Compte rendu
Commission d’enquête
sur la libéralisation
du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir
– Audition de M. Alexandre Gallo, président-directeur général de DB Cargo France et président de l’Association française du rail (AFRA) 2
– Table ronde réunissant des opérateurs de fret ferroviaire en France : M. Tristan Ziegler, directeur général de Lineas France, M. Philippe Millet, président du groupe Millet, M. Jean-Claude Brunier, président-directeur général du groupe Open Modal, M. Jean-Claude Brunier, président-directeur général du groupe Open Modal, et M. Rémy Crochet, président-directeur général de Froidcombi 14
– Table ronde réunissant des responsables de grands ports français : Mme Anne-Marie Jean, présidente du conseil d'administration du groupe Ports de Strasbourg, M. Maurice Georges, président du directoire du port de Dunkerque, M. Florian Weyer, directeur général du port du Havre, et Mme Fabienne Margail, cheffe du département solutions intermodales et passage portuaire du port de Marseille. 28
– Présences en réunion................................45
Jeudi
28 septembre 2023
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 12
session de 2022-2023
Présidence de
M. David Valence,
Président de la commission
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La séance est ouverte à quatorze heures
M. le président David Valence. Nous poursuivons nos auditions en accueillant M. Alexandre Gallo, président-directeur général de DB Cargo France et président de l’Association française du rail (AFRA). Cette audition est particulièrement intéressante, dans la mesure où nous allons auditionner pour la première fois un concurrent de Fret SNCF dans ce cycle d’auditions.
Parmi les objectifs de cette commission d’enquête figurent deux aspects principaux. Le premier concerne l’ensemble du secteur du fret ferroviaire en France et la manière dont la part modale a évolué au cours des vingt dernières années, essentiellement en France, mais également à l’étranger. À ce titre, vous pourrez peut-être dresser des parallèles qui seront intéressants pour nous. Nous souhaitons également comprendre le rôle qu’a pu éventuellement jouer la libéralisation dans la détérioration ou la préservation de cette part modale, qui était déjà dégradée – la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises a structurellement diminué en France depuis 1973, bien avant la libéralisation du secteur.
Nous avons déjà identifié un certain nombre de facteurs explicatifs comme l’absence de stratégie claire et de politique publique d’accompagnement pour l’ensemble du secteur du fret ferroviaire, le manque de réformes ou d’adaptations de Fret SNCF à l’ouverture à la concurrence, ou encore la désindustrialisation – plus marquée en France que dans d’autres pays.
Vous représentez DB Cargo, qui est arrivé en France à partir de 2006. Le jugement rétrospectif que vous pourrez porter au nom du groupe sur la situation du fret ferroviaire à ce moment-là et depuis lors nous intéresse particulièrement. J’imagine que vous aborderez aussi la question de la dégradation du réseau et des difficultés rencontrées pour y accéder.
Le deuxième aspect sur lequel nous nous penchons est le dernier épisode de la réorganisation de Fret SNCF, avec le choix de la solution de discontinuité par le gouvernement français pour parer à l’enquête approfondie lancée le 18 janvier dernier par la Commission européenne. Nous serons intéressés par le parallèle que vous pourrez dresser avec la procédure ouverte à l’encontre de DB Cargo en Allemagne par la Commission européenne, procédure qui n’a pas le même niveau de maturité. Nous souhaiterons également connaître votre point de vue sur l’évolution des vingt-trois flux dont Fret SNCF devra se séparer. Êtes-vous déjà positionné pour reprendre certains d’entre eux ? Le marché, en particulier celui des trains complets et réguliers avec des moyens dédiés, est-il suffisamment mûr pour que les perspectives de reprise de ces liaisons ne conduisent pas à un report modal inversé ? Il s’agit de la principale crainte du point de vue de l’utilité collective : ne pas entraîner une recarbonation de certains acheminements de marchandises.
Enfin, en tant que président de l’AFRA, vous pourrez nous parler de la manière dont les entreprises ferroviaires ont accueilli ce choix du gouvernement français, ainsi que de la manière dont la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire et les annonces qui l’ont complétée pourront désormais être pérennisées.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure. »
(M. Alexandre Gallo prête serment.)
M. Alexandre Gallo, président-directeur général de DB Cargo France et président de l’Association française du rail. Je suis très honoré de votre invitation, à la fois au titre de DB Cargo et de l’Association française du rail.
L’AFRA a été créée initialement pour le fret en mars 2019, mais son périmètre s’est étendu aux activités voyageurs et elle a notamment accueilli Transdev et Trenitalia. Elle regroupe aujourd’hui vingt-six membres, dont des entreprises de fret et de voyageurs, des constructeurs, des équipementiers et des entreprises de services. La raison d’être de l’AFRA est de veiller et de contribuer à installer une concurrence saine, juste et non discriminatoire, et de développer le transport ferroviaire au service d’une économie durable grâce à la libre concurrence.
Il n’existait pas de stratégie de fret ferroviaire en France jusqu’à il y a quelques années. La stratégie de fret a d’abord été trop tardive et a accompagné un certain nombre de désillusions en matière industrielle en France.
Je souhaite au préalable briser une idée reçue : les entreprises alternatives n’ont pas fait de dumping social. Concrètement, la grille de rémunération des conducteurs de la SNCF est à 24 747 euros en début de carrière contre 28 000 euros chez DB Cargo et à 34 000 euros en milieu de carrière contre 37 000 euros chez DB Cargo. Nous n’avons pas à rougir des conditions sociales que nous offrons à nos collaborateurs : dans l’entreprise que je dirige, le turnover annuel est de 1,8 % chez les conducteurs.
Je rappelle que Captrain, filiale de droit privé de la SNCF, est également membre de l’AFRA. Par ailleurs, la Deustche Bahn (DB) et la SNCF mènent des stratégies de développement à l’international dans leurs pays respectifs, mais aussi en Espagne et en Belgique. Enfin, toutes les entreprises ferroviaires en France sont soumises aux mêmes règles de sécurité ferroviaire et sont régies par l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF).
L’ouverture à la concurrence a permis de stabiliser le déclin. La part modale du fret ferroviaire en France a fortement décliné jusque dans les années 2009-2010. Après une stabilisation autour de 9 %, elle a de nouveau crû à 10,7 % en 2021-2022, en gagnant 1,1 point de parts de marché. On peut y voir les bénéfices de l’Alliance 4F et du pacte ferroviaire passé entre cette dernière, l’État et SNCF Réseau.
La crise dans le fret a démarré à la fin des années 1970 à la suite des crises pétrolière, puis sidérurgique et charbonnière. La part de l’industrie est passée en France de 14 % à 9 % du PIB entre 2000 et 2021, soit le niveau de la Grèce. Ce déclin s’est accompagné de mouvements sociaux importants, qui ont eu un impact significatif sur la confiance des chargeurs vis-à-vis du mode de transport ferroviaire. Je pense notamment aux grèves liées à la modification des régimes des retraites en 2022-2023, aux grèves des années 2019-2020 sur les retraites, suspendues par l’épidémie de covid, mais également aux grèves relatives au pacte ferroviaire en 2018 et 2019. En 2022, le nombre de jours de grève s’est établi à 125 608, mais le record date de 2018, année de la réforme ferroviaire, avec 667 085 jours de grèves au sein du groupe ferroviaire historique.
Le sous-investissement dans le réseau est patent depuis trente ans et se caractérise par le vieillissement des installations et des infrastructures, qui à son tour se traduit par un manque de fiabilité et de qualité du service. En comparaison, l’Allemagne est mieux équipée en installations ferroviaires que la France, notamment en termes de lieux de massification, comme les ports maritimes, par exemple le port de Hambourg. Les ports maritimes français sont comparativement marqués par une sous-performance. Le premier port d’importation français est le port d’Anvers. De plus, le fret ferroviaire a été le parent pauvre des politiques publiques, qui n’ont pas élaboré de stratégies dans ce domaine.
Au premier semestre 2022, nous avons enregistré une très forte activité, selon les chiffres qui viennent d’être publiés par l’Autorité de régulation des transports. Mais, depuis le mois de juillet 2022, la crise de l’énergie, l’impact des grèves et l’entrée en récession de la zone Europe ont fortement affecté la croissance du fret ferroviaire.
Je souhaite également revenir sur le financement de l’infrastructure, point qu’il ne faut pas ignorer, compte tenu notamment de l’actualité du projet de loi de finances (PLF). L’Allemagne pratique une fiscalisation du mode routier, appelée la Maut, qui est orientée non seulement sur les émissions de dioxyde de carbone, mais aussi sur l’ensemble des externalités. Elle a trois composantes : une taxe pour l’utilisation de la route par kilomètre, qui dépend du poids et des essieux, une taxe pour la pollution de l’air causée par kilomètre et une taxe pour la pollution sonore. Cette dernière est aujourd’hui fixée forfaitairement – à 2 centimes d’euro par kilomètre –, mais elle dépendra à l’avenir du poids et du nombre des essieux. La contribution au financement des infrastructures est très importante : l’État allemand s’est engagé sur dix ans à investir annuellement 8,9 milliards d’euros dans les infrastructures communes et dans la mobilité, dont 8,3 milliards d’euros sont financés chaque année par la Maut.
À l’heure où le ministère de l’économie et des finances a annoncé la fin des exemptions sur le gazole non routier (GNR), nous allons être pénalisés. Simultanément, des exemptions sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sont maintenues au moins jusqu’en 2024.
Les aides à l’exploitation sont importantes car elles permettent d’accompagner l’ensemble des acteurs de la filière, notamment sur le wagon isolé. Celui-ci étant structurellement générateur de pertes, il est nécessaire de l’accompagner, comme c’est également le cas en Allemagne. Le gouvernement allemand s’oriente vers un subventionnement du wagon isolé à hauteur de 300 millions d’euros, sachant qu’en Allemagne les volumes sont trois à quatre fois plus importants qu’en France.
J’en viens à la performance de SNCF Réseau. Je rappelle que le contrat de performance a été signé dans l’urgence, en catimini, à la fin de la précédente législature. Le secteur a éprouvé des difficultés pour en prendre connaissance ; ce sont finalement des journalistes qui nous l’ont diffusé. Il n’est pas assez ambitieux, notamment sur la performance et la productivité de SNCF Réseau, et ses indicateurs sont trop peu nombreux. On aurait pu imaginer des critères comme la mesure de la vitesse commerciale, le nombre de jours de grève au sein de l’entreprise ou le taux de réponse réel et conforme aux sillons demandés par les entreprises ferroviaires. Nous travaillons aujourd’hui sur ces indicateurs de manière conjointe avec SNCF Réseau. À ce titre, je remercie M. Matthieu Chabanel pour l’ouverture d’esprit dont il fait preuve et pour la bonne collaboration actuelle avec SNCF Réseau. Cependant, nous militons en faveur d’une meilleure cohérence et d’un suivi de la performance du réseau.
Je conclurai en évoquant le reporting quotidien du nombre de rames « calées » pour DB Cargo, c’est-à-dire les trains immobilisés au-delà de huit heures. Hier matin, j’en avais sept : un m’était imputable, trois étaient dus au non-respect des plages de travaux et à des travaux inopinés de la part de la SNCF et trois étaient dus à la grève générale sur le réseau ferré national. Cet exemple témoigne de l’histoire du ferroviaire et, a contrario, de la confiance que nous devons restaurer entre les chargeurs qui veulent le mode ferroviaire et les entreprises ferroviaires qui sont capables de les servir.
M. le président David Valence. Votre intervention pose bien les enjeux, notamment celui des mouvements sociaux, qui a déjà été mentionné par une dizaine d’interlocuteurs différents lors des précédentes auditions. Pouvez-vous évoquer la question des vingt-trois flux qui seront abandonnés par Fret SNCF et la manière dont vous regardez cette activité des trains longs et réguliers avec des moyens dédiés ? Par ailleurs, constatez-vous une volonté de traiter de la même manière les opérateurs alternatifs et l’opérateur historique dans l’accès au réseau ? La situation s’est-elle améliorée avec le temps ? Estimez-vous que les chargeurs sont désormais plus enclins à utiliser le fret ferroviaire, notamment en raison des enjeux de décarbonation, qui étaient moins prégnants il y a une dizaine d’années ?
M. Alexandre Gallo. Au sein de l’AFRA, nous ne discutons pas des opportunités de prendre tel ou tel trafic, cette question relevant de la libre concurrence. Cependant, au départ, nous craignions beaucoup ce scénario de discontinuité, car nous pensions qu’il induirait une déstabilisation du secteur. Jusqu’à présent, cette crainte s’est avérée infondée car la mise en place d’un mécanisme de sous-traitance éventuelle par la SNCF offre certaines garanties pour les chargeurs.
L’ensemble des entreprises alternatives à Fret SNCF se positionnent pour reprendre des flux, à la demande des chargeurs. Au sein des vingt-trois flux, certains clients sont déjà clients de DB Cargo France, dont des clients allemands. Par conséquent, ma maison mère me demande de regarder en priorité ces flux, en fonction des ressources qui me sont allouées. Ensuite, notre stratégie d’entreprise est orientée sur les flux très longs parcours, internationaux et techniques, c’est-à-dire qui nécessitent une autorisation de transport exceptionnel (ATE), avec des gabarits très particuliers.
Il faut respecter un équilibre de marché et DB Cargo France n’a pas la vocation, ni la volonté de reprendre l’intégralité de ces vingt-trois flux. Chaque entreprise ferroviaire doit pouvoir se positionner. La solution retenue pour le fret en France ne va pas se traduire par une déstabilisation, mais par une stagnation du marché. Toutes les ressources que nous pouvions allouer à une croissance l’année prochaine vont plutôt s’orienter vers la reprise des trafics en discontinuité. J’avais pour ambition de développer une offre de wagons isolés en France, mais cela ne sera pas possible puisque je serai obligé de reprendre des trafics de fret.
Vous avez également évoqué le réseau. Lors de l’ouverture à la concurrence, les entreprises alternatives ont subi une discrimination. Tel n’est plus le cas depuis un bon nombre d’années, d’autant que Fret SNCF a désormais les mêmes préoccupations que nous en matière de sillons de fret. L’Alliance 4F a précisément pour objectif de faire cause commune pour aider SNCF Réseau à obtenir des crédits. Nous avons beaucoup œuvré dans le cadre de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire (SNDFF) pour obtenir des mesures concrètes. Il n'en demeure pas moins que la performance du gestionnaire d’infrastructure n’est pas au rendez-vous lorsqu’il s’agit de satisfaire l’ensemble de nos demandes de sillons. En outre, la qualité des sillons pose souvent question.
La gestion des circulations demeure également problématique. Par exemple, sur un sillon commandé à 120 kilomètres heure entre Forbach et Bayonne, la vitesse commerciale est en réalité de 64 kilomètres heure. Cette différence n’est pas anodine : l’allongement de la durée entraîne l’obligation d’utiliser un à deux conducteurs de plus, ce qui entraîne des coûts supplémentaires qu’il nous faut absorber ou répercuter au client final.
Or, si l’engouement des chargeurs pour le fret ferroviaire est réel, ils ne sont pas pour autant prêts à dépenser 30 à 40 % de plus. Seule la massification peut nous aider. L’Allemagne réussit bien plus grâce à la fréquence des trains que grâce à la longueur des trains. La fluidité des circulations y est meilleure, notamment parce que le réseau n’est pas en étoile comme c’est le cas en France : les opérateurs sont donc moins affectés par les plages de travaux ou les différents aléas qui peuvent survenir.
Enfin, les logisticiens sont la clef du marché. Tant que grands logisticiens ne proposeront pas à leurs clients le mode ferroviaire, le report modal ne décollera pas. La route présente des avantages indéniables : elle dispose d’une flexibilité et d’une ponctualité que le ferroviaire ne pourra jamais proposer. En revanche, un chargeur doit pouvoir comparer deux offres en intégrant l’ensemble des externalités et le coût économique. Je rappelle que le ferroviaire présente une grande pertinence sur la longue distance par rapport au mode de transport routier.
M. le président David Valence. Vous avez évoqué l’axe Forbach-Bayonne, qui est effectivement un axe très structurant pour le fret. Comment faire en sorte que les trains roulent plus vite qu’à 64 kilomètres heure sur cet axe ?
Ensuite, diriez-vous que les vingt-trois flux sont ceux sur lesquels les chargeurs seront les plus fidèles au fret ferroviaire ?
Selon vos propres propos, les moyens que vous envisagiez d’orienter vers le wagon isolé seront finalement consacrés à la reprise de certains des vingt-trois flux opérés aujourd’hui par Fret SNCF. Pourquoi aviez-vous imaginé investir dans le wagon isolé, alors que vous privilégiez par ailleurs la massification ?
J’ai participé récemment à un grand salon de logistique. À cette occasion, j’ai découvert pour la première fois chez un grand logisticien une brochure vantant les mérites du fret ferroviaire. Une telle situation ne se produisait jamais auparavant.
Pouvez-vous revenir sur le coût d’entrée humain de la solution de fret ferroviaire par rapport au fret routier ? En effet, il est toujours plus compliqué de former des personnels dédiés au fret ferroviaire, notamment chez les logisticiens et les chargeurs.
M. Alexandre Gallo. La vitesse de circulation est une difficulté récurrente en France. La commande centralisée du réseau n’est pas suffisamment déployée pour le moment et la France compte plus de mille postes d’aiguillage contre seulement quatre sur l’ensemble du territoire belge, par exemple. De même, le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS) doit nous permettre d’augmenter le nombre de trains en circulation simultanée sur la même ligne, particulièrement à l’heure où l’on parle de RER métropolitains, lesquels constituent une réelle source d’inquiétude pour les transporteurs de fret.
Ensuite, la typologie des vingt-trois flux que Fret SNCF remet sur le marché dans le cadre de la discontinuité doit être prise en compte. En l’espèce, il s’agit majoritairement de flux de transport combiné. Or ces derniers nécessitent un réseau de qualité, c’est-à-dire des sillons corrects. De tels sillons existent et ils sont opérés aujourd’hui par Fret SNCF avant d’être transférés ailleurs demain à l’entreprise qui possédera le contrat commercial.
Ces flux combinés sont à la fois un avantage et un inconvénient. L’avantage est le suivant : puisque ces sillons sont relativement stables pour les flux remis au marché, ils permettent de garantir aux opérateurs de transport combiné que les opérations se dérouleront correctement. A contrario, les flux de transport combiné peuvent être immédiatement remis à la route, puisqu’il s’agit du mode alternatif sur la longue distance.
Je ne partage pas complètement votre opinion sur le wagon isolé, qui est en réalité une massification, à partir de réseaux capillaires, vers des installations terminales embranchées (ITE), des usines et des territoires. Cette massification entre également dans notre stratégie. Ce trafic nous intéresse car il est fréquent entre la France et l’Allemagne. Investir dans des dessertes et des moyens locaux permet de rééquilibrer des trafics et de ne pas transporter des wagons vides. Pour y parvenir, il est naturellement nécessaire de s’appuyer sur une force commerciale compétente.
De plus, le dispositif d’aide mis en place par le Gouvernement pour le wagon isolé nous permet d’identifier un certain nombre d’éléments de perte dans ce trafic. Les enveloppes prolongées par le ministre Clément Beaune sont de nature à inciter de nouveau le développement du wagon isolé. Celui-ci peut également bénéficier d’innovations industrielles. Nous travaillons beaucoup sur le couplage automatique digital (DAC) des wagons, qui offre de la productivité, mais surtout de la sécurité pour les opérateurs. La France ne devrait pas passer à côté de ces innovations, qui sont particulièrement mises en lumière en Allemagne compte tenu du nombre élevé de wagons.
Vous avez évoqué les logisticiens et le coût humain. Pour de nombreux chargeurs, le fret ferroviaire fait peur en raison de ses contraintes, mais probablement aussi d’un manque de pédagogie de notre part. La stratégie nationale de développement du fret ferroviaire comporte justement un programme incitatif. J’invite les logisticiens à en prendre connaissance. Nous pouvons les aider à comprendre ce qu’est le ferroviaire et comment passer de la route au fer sans opposer les modes, mais avec complémentarité.
M. le président David Valence. Je n’ai pas exprimé d’opinion sur le wagon isolé. Simplement, les personnes qui ont été entendues par notre commission se sont parfois vues critiquées pour avoir trop concentré la stratégie de Fret SNCF sur du massifié et du capacitaire. Il est donc intéressant de voir qu’un opérateur alternatif s’intéresse au wagon isolé alors que son cœur de métier repose sur la massification. En outre, vous considérez que le wagon isolé est une forme de massification, dès lors que l’assemblage est pratiqué.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. S’agissant du réseau et des travaux, nous devons tenir compte des engagements en matière de régénération du réseau et des installations de fret, au travers notamment des soixante-douze mesures de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire. Il est question de 4 milliards d’euros, mais le chiffrage des besoins réalisé par 4F va bien au-delà, compte tenu des enjeux de modernisation majeure ou de création d’infrastructures. Les travaux à effectuer pour assurer la seule régénération vont constituer un handicap pour le trafic en raison des coupures occasionnées. Cela n’est-il pas contradictoire avec l’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire à l’horizon 2030 ?
Vous avez indiqué que la branche craignait d’être déstabilisée par la mise en œuvre du programme de discontinuité. Vous avez néanmoins ajouté qu’en l’état, vos craintes ne se matérialisaient pas. Les opérateurs alternatifs devant reprendre tout ou partie des vingt-trois flux abandonnés par Fret SNCF, les objectifs de développement du marché seront peut-être obérés pendant un certain temps. Pouvez-vous nous fournir de plus amples détails à ce sujet ?
Vous avez souligné que le transport routier conserve des avantages évidents. Ne craignez-vous pas que non seulement l’objectif de doublement de la part modale ne soit pas atteint, mais qu’en outre vous ayez des difficultés pour augmenter le tonnage transporté ?
Vous avez indiqué que votre entreprise s’intéressait au wagon isolé en raison des enjeux de la massification. Parlant de la reprise des vingt-trois flux, vous avez souligné le nécessaire équilibre des marchés occupés. Fret SNCF pourrait devenir demain une nouvelle entité et se voir affecter un marché spécifique, le trafic mutualisé. Dès lors, ne pensez-vous pas qu’il lui sera difficile d’atteindre l’équilibre dans son plan d’affaires – son business plan, comme disent les libéraux ? J’ai cru comprendre que, dans ce secteur, les marges sont restreintes, voire négatives. Les résultats le confirment depuis plusieurs années. La future entité n’est-elle pas condamnée à dégager des résultats négatifs ? Quelle est sa viabilité dans un tel scénario ?
Le plan de discontinuité pose un autre problème : il déshabille Fret SNCF pour habiller un concurrent qui est lui-même sur la sellette à Bruxelles. Que pouvez-vous répondre à ce sujet ?
M. Alexandre Gallo. Je répondrai à toutes vos questions avec le franc-parler que l’on me prête généralement.
Permettez-moi tout d’abord de vous contredire s’agissant du réseau. Le chiffre de 4 milliards d’euros obtenu par 4F provient d’une étude. Il porte à la fois sur la régénération et sur l’investissement en matière de capacité, d’installations terminales et de réseau capillaire. La régénération concerne notamment le triage à gravité sur lequel Fret SNCF est le seul à intervenir à Woippy ou à Miramas. On ne peut limiter les 4 milliards d’euros à la régénération. Les études ont été menées dans le cadre d’un groupe de travail qui se réunit mensuellement et qui est animé par SNCF Réseau. Selon ce groupe de travail, le développement de cette capacité repose sur un triptyque. Pour faire passer des trains de fret, trois éléments sont en effet nécessaires : des capacités de sillon, des installations de réception – triages, lignes capillaires, terminaux multimodaux – et du gabarit. Or le gabarit constitue un point clef.
On peut faire rouler un train avec des remorques en P400 – 4 mètres de hauteur – de Constanza à Sarrebruck, mais on ne peut pas aller de Sarrebruck à Paris. Le réseau n’a pas été construit pour cela. Il existe donc un gisement de productivité considérable, notamment sur l’artère nord-est, où l’on pourrait faire passer de nombreux trains en P400. Je reproche à SNCF Réseau de ne pas mener une analyse systémique, c’est-à-dire de se concentrer sur les coûts, sans raisonner sur les gains. Il serait par exemple pertinent de se demander combien rapporteraient les trains en P400 sur l’artère nord-est au regard des coûts de mise à niveau de l’infrastructure. C’est à cette équation « libérale » qu’il faut répondre.
Il est souvent question des péages. Un débat a lieu sur les péages voyageurs en France, qui sont effectivement élevés. Mais, dans le fret, nous n’avons pas à nous plaindre du coût des péages. Je suis prêt à payer des péages plus cher en échange d’une bonne qualité et de capacités de circulation. Et je pense que mes confrères partagent ce point de vue.
Vous m’avez demandé également comment on construit les ressources qui vont nous permettre de croître. Former un conducteur que nous recrutons au niveau baccalauréat prend à peu près dix à douze mois ; je rappelle d’ailleurs que nous le payons pendant la formation. Nous offrons des emplois correctement rémunérés sur les territoires. Ces ressources sont longues à mettre en place et à produire. Je reste intimement convaincu que nous allons y arriver, même si nous ne doublerons probablement pas la part modale du fret d’ici à 2030. Si nous démontrons que nous parvenons à produire une croissance de 50 ou 60 %, nous aurons gagné.
Vous l’avez souligné justement : les marges du ferroviaire sont faibles. Dans les structures de coûts fixes, en règle générale, le profit s’opère sur le volume et non sur la vente unitaire. C’est précisément à travers ces gros volumes que Fret SNCF peut y arriver : lorsque l’on produit de gros volumes, on bénéficie de synergies et d’économies d’échelle qui peuvent permettre d’équilibrer les comptes. Je me suis spécialisé plutôt dans la longue distance et les trafics techniques internationaux parce que j’ai dimensionné l’entreprise pour y parvenir. Je dispose d’un réseau d’agences et d’un maillage spécifique, avec en moyenne quatre heures de conduite entre chaque agence.
Si Fret SNCF se structure correctement, l’entreprise peut réussir. M. Frédéric Delorme vous a indiqué que l’entreprise ne perd plus les montants d’argent qu’elle a perdus par le passé. Pour ma part, j’exerce ce métier parce que j’ai la foi du charbonnier : il faut être un peu « atteint » pour faire du fret ferroviaire, compte tenu des difficultés que nous rencontrons. Mais soyons clairs : on ne vient pas au ferroviaire ou au fret ferroviaire par hasard.
Face au transport routier de marchandises, le ferroviaire souffre d’un désavantage en matière de coûts d’infrastructure : je paye le moindre mètre de rail sur lequel mes trains circulent. Ce n’est pas le cas du secteur routier, alors même que le réseau autoroutier a été multiplié par cinq depuis 1974.
DB Cargo n’est pas formellement partie prenante dans la procédure de la Commission européenne, même en tant que bénéficiaire présumé de l’aide. Cette procédure a été initiée contre l’Allemagne et non contre DB Cargo. Elle est encore en cours et la confidentialité des discussions entre l’État allemand et la Commission est de mise. DB Cargo France n’est qu’une filiale et je ne suis pas au courant des discussions. Cependant, la situation de DB Cargo est différente de celle de Fret SNCF, qui discute avec la Commission européenne depuis très longtemps.
Désormais, l’Allemagne souhaite elle aussi promouvoir le wagon isolé. Quand on demande à la SNCF d’assurer un maillage territorial, on ne peut pas lui demander systématiquement d’être bénéficiaire ; il faut savoir ce que l’on veut. Je suis d’accord avec vous : il faut apporter un soutien à certaines activités si on veut les conserver. C’est le cas aujourd’hui, mais il n’en a pas toujours été ainsi.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Depuis l’ouverture à la concurrence, certaines entreprises sont entrées sur le marché mais d’autres ont échoué. Pouvez-vous nous donner des détails à ce sujet ?
Avant la réintégration de Réseau ferré de France (RFF) dans SNCF en 2014, avez-vous eu à connaître l’antagonisme entre ces deux structures ?
Lors de votre intervention liminaire, vous avez donné des exemples de trains « calés » au-delà de huit heures pour diverses raisons. À un moment ou à un autre, ces problèmes compromettent le développement de vos marchés.
Je souhaite revenir sur les caractéristiques économiques de la filière, qui présente des marges modestes. Selon un grand nombre d’observateurs, cette caractéristique est également liée à l’absence de saut technologique dans le domaine du fret ferroviaire. L’économiste des transports Yves Crozet estime que l’essentiel du gain de productivité a été réalisé sur les agents. Cette absence de saut technologique constitue-t-elle un handicap majeur depuis une vingtaine d’années et doit-elle inquiéter pour l’avenir ?
M. Alexandre Gallo. Je vous renvoie à un arrêt de la Cour de cassation. Des procédures ont été intentées contre le gestionnaire d’infrastructure délégué lorsque RFF a été créé mais que la SNCF a conservé la gestion déléguée de l’infrastructure.
Je souhaite du reste apporter une clarification. Certains auditionnés ont indiqué qu’Euro Cargo Rail (ECR), ancien nom de DB Cargo France, avait fait partie des entreprises ayant déposé une plainte contre Fret SNCF pour aide illégale d’État. Or la seule plainte formulée par ECR est celle qui a abouti à l’arrêt du 22 novembre 2016 de la Cour de cassation relatif à la saisine de l’Autorité de la concurrence. Cette saisine avait porté sur des attitudes discriminatoires du gestionnaire d’infrastructure délégué envers l’entreprise ECR dans le cadre de la commande capacitaire.
L’arrêt de la Cour de cassation a été qualifié de « structurant » par l’Autorité de la concurrence. Elle y relève que les pratiques sanctionnées ont consisté pour la SNCF à utiliser dans son propre intérêt commercial des informations confidentielles et stratégiques concernant ses concurrents, dont elle disposait en tant que gestionnaire délégué des infrastructures ; ainsi qu’à empêcher ses concurrents par différents moyens d’accéder à des capacités ferroviaires indispensables à leur activité – cours de marchandises, sillons, wagons.
Parmi les exemples concrets, on peut mentionner la surréservation de sillons. Face à des concurrents qui voulaient aller sur un axe, le procédé consistait ainsi à réserver la totalité des sillons pour être certain que les concurrents ne puissent pas y circuler. Il s’agissait d’une des pratiques mises en lumière par l’Autorité de la concurrence. Désormais, il n’est plus possible d’agir de la sorte, et ce depuis plusieurs années. Encore une fois, nous n’observons presque plus d’attitudes discriminatoires.
Une discrimination demeure malgré tout dans la gestion des circulations vis-à-vis du trafic voyageurs. Ainsi, mes trains sont systématiquement arrêtés pour laisser passer un convoi de voyageurs en retard. En tant que voyageur, j’utilise les transports en commun dans Paris et j’emprunte fréquemment les trains de la SNCF pour mes déplacements professionnels et personnels. Je sais donc ce que peut être un train en retard et je me dis qu’il n’est pas si grave de faire patienter un train de fret. Mais si l’attente se poursuit jusqu’à le faire entrer dans une plage de travaux qui l’immobilise, cela devient réellement problématique. Dans ce cas, mon train est « calé » pendant huit heures.
La préservation des bandes capacitaires dans la trame deux heures, dans le cadre des RER métropolitains, nous préoccupe et constitue un réel point de crispation dans les discussions que nous menons avec SNCF Réseau.
Existe-t-il encore des blocages de réseau pour nous empêcher de développer notre activité ? SNCF Réseau ne peut donner que ce qu’il a. Aujourd’hui, il doit effectuer un arbitrage entre des capacités d’un côté et des travaux de l’autre. À travers un dialogue itératif, nous nous efforçons de préserver des bandes capacitaires pour nous permettre de circuler, mais également de développer des itinéraires alternatifs.
Sur certains axes, la difficulté concerne la redondance des moyens. Quand je descends de Forbach vers Perpignan, je peux utiliser alternativement la rive droite ou la rive gauche du Rhône ; mais quand mes trains se rendent à Bayonne, il n’existe pas de possibilité identique. Les problèmes se posent également pour aller en Italie. Nous n’avons toujours pas de visibilité sur l’avenir des projets dans la vallée de la Maurienne et nous ignorons toujours quand la circulation ferroviaire sera rétablie. Le tunnel Lyon-Turin apportera une vraie redondance et une réelle sécurisation des circulations ferroviaires.
Cet exercice est donc particulièrement difficile, mais les opérateurs de fret sont aujourd’hui prêts à en payer le prix, dès lors que le client est au courant. En matière de logistique, le juste à temps ne consiste pas à être le plus rapide possible, mais à effectuer le transport dans le délai convenu avec le client. Si j’indique au client que je vais être obligé de partir deux heures avant et d’arriver deux heures plus tard pendant une période d’un mois en raison de travaux sur la ligne, il le comprendra. En revanche, la situation devient problématique lorsque SNCF Réseau me met au pied du mur et que je suis, à mon tour, obligé de mettre mon client au pied du mur : de son côté, il a immobilisé des moyens, des collaborateurs, des camions et des entrepôts.
Il faut dédramatiser la question des travaux et se dire qu’il s’agit d’un mal nécessaire qui doit être bien anticipé et traité correctement avec SNCF Réseau, ce que nous faisons dans des comités de pilotage.
Vous m’avez aussi interrogé sur le volet innovation. Le ferroviaire est un des plus vieux métiers de France et nous souffrons aujourd’hui d’un manque d’innovation technologique. En un sens, c’est logique : si le secteur est riche en hommes, il est pauvre en profit, or le profit est important pour pouvoir investir et réinvestir. Le manque d’innovation est aussi une des causes du déséquilibre entre les grands et les petits opérateurs.
En France, la pluralité d’offres est manquante. Il existe peu de segments moyens : le secteur est composé de petits opérateurs ou de grandes entreprises ferroviaires. Il n’existe pas de Mittelstand de l’entreprise ferroviaire dans notre pays. Par conséquent, seules les grandes entreprises peuvent avoir les moyens d’investir sur une vision de très long terme. Aujourd’hui, pour mes soixante-cinq locomotives électriques interopérables, j’investis dans le TCS type 3, qui me permettra de circuler sur l’ERTMS 2. Mais cet investissement me coûte 55 millions d’euros sur six ans ; il faut donc avoir les reins solides pour investir dans cette technologie.
En matière d’innovation, le couplage automatique digital (DAC) est à mon avis important car il permet d’ouvrir les métiers d’agent au sol à d’autres catégories, par exemple l’emploi féminin. Nos métiers sont insuffisamment féminisés aujourd’hui.
Je ne crois pas au train sans conducteur, avant une bonne trentaine d’années. L’importance du facteur humain et de la sécurité dans le transport ferroviaire est telle que l’on ne peut pas encore proposer des trains autonomes sur des lignes complètement ouvertes, surtout dans l’état actuel du réseau. Il en va différemment sur un réseau fermé et captif, comme la ligne 14 du métro parisien.
M. Sylvain Carrière (LFI-NUPES). Monsieur Gallo, vous disiez récemment que « SNCF Réseau est le maillon faible du secteur ferroviaire », tout en défendant les opérateurs alternatifs. Pouvez-vous chiffrer les investissements nécessaires dans le réseau pour que vous puissiez conduire vos activités opérationnelles ? Fret SNCF est aujourd’hui à la dérive et le doit entre autres à l’énormité des coûts de gestion de réseau et des investissements associés. Vous vous inscrivez dans une logique d’optimisation des profits, ce qui est logique pour une entreprise. Cependant, je n’ai pas bien compris certains de vos propos. Seriez-vous prêts à vous inscrire dans une logique de mutualisation des coûts, notamment pour les investissements nécessaires dans le réseau ?
DB Cargo enregistre des pertes annuelles importantes depuis sa création. Ces pertes sont d’ailleurs équivalentes à celles de Fret SNCF. Comment sont-elles compensées ? Se retrouvent-elles exclusivement dans la dette ?
M. Alexandre Gallo. Nous avons défini une enveloppe de 4 milliards d’euros en matière de fret ferroviaire. À mon sens, elle suffira à atteindre les objectifs. On entend parler de 100 milliards d’euros pour l’ensemble du système ferroviaire, mais les 4 milliards d’euros dont nous parlons concernent exclusivement le fret. La plupart des travaux qui ne sont pas inclus dans cette enveloppe profiteront à la fois au fret et au trafic de voyageurs.
Je suis donc bien en peine de vous dire combien il faut exactement consacrer au réseau pour le régénérer complètement. Je laisse ce sujet aux spécialistes pour me concentrer sur ma partie, celle du fret. J’ai participé à l’élaboration de cette enveloppe et je continue de participer aux travaux avec SNCF Réseau.
Je n’ai pas très bien compris le sens de votre question sur la mutualisation des coûts. Si vous demandez si l’on peut trouver des accords de coopération avec Fret SNCF ou avec d’autres entreprises, je vous réponds que nous le faisons d’ores et déjà. Certaines de mes dessertes locales, par exemple à Noisy-le-Sec, sont réalisées par Fret SNCF. De même, Fret SNCF ou d’autres entreprises ferroviaires me demandent d’effectuer des dessertes. Comme Fret SNCF est très soucieuse de la sécurité, nous nous comprenons très bien lorsque nous discutons.
Pourrions-nous étendre cette coopération ou cette mutualisation ? La réponse est également positive. Pourrions-nous favoriser l’émergence d’opérateurs ferroviaires de proximité dès lors qu’il existe une offre ? Oui. Soyez rassurés, nous coopérons déjà ensemble.
Enfin, je ne peux vous laisser dire que DB Cargo est en perte depuis sa création. Cela n’est pas vrai. La période du covid a fortement impacté l’ensemble des entreprises ferroviaires. Par ailleurs, je ne connais pas le niveau de dette de DB Cargo, ni l’ensemble de l’analyse financière de la société en Allemagne.
M. le président David Valence. Les 4 milliards d’euros que le Gouvernement a annoncés après l’interpellation de l’Alliance 4F, c’est-à-dire l’ensemble des acteurs fédérés de l’activité de fret ferroviaire, sont bien dédiés au fret. Ces investissements portent sur les triages, les capillaires fret, les voies de service, les passages au gabarit P400 de tunnels.
À l’inverse, dans les 100 milliards d’euros, il y a principalement autre chose que du fret : des investissements mutualisés sur des voies fret ou voyageurs, ou des voies uniquement dédiées aux voyageurs dans un certain nombre de cas. Au sein de ces 100 milliards d’euros figure également la demande du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) de consacrer 1,5 milliard d’euros par an de manière récurrente à partir de 2027 à la régénération et à la modernisation du réseau. Si le système ERTMS 2 est déployé sur des grands axes structurants, il permet naturellement de faire circuler un plus grand nombre de trains de fret, alors même qu’il ne figure pas dans l’enveloppe des 4 milliards d’euros. De même, la commande centralisée du réseau représente 500 millions d’euros dans l’enveloppe de 1,5 milliard. Le fret ne sera pas l’unique bénéficiaire mais elle permettra de faire circuler plus de trains de marchandises, notamment parce que le temps de circulation sera réduit.
Un des sujets identifiés comme une réussite dans l’évaluation que le COI a faite de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire concerne la mobilisation locale. La logique sous-jacente est la suivante : faire circuler du fret est positif pour les territoires de départ ou d’arrivée des trains. Quel niveau de mobilisation des collectivités constatez-vous en France autour de cet enjeu du fret ferroviaire ? On suppose qu’il est croissant, mais on nous dit qu’il est inégal. En tant qu’entreprise ferroviaire, avez-vous les moyens d’effectuer ce type de comparatif ou vaut-il mieux poser cette question à des chargeurs ?
M. Alexandre Gallo. Ce niveau de mobilisation est en effet croissant mais inégal. L’appétence des régions et territoires pour le fret ferroviaire n’est pas la même selon les enjeux. Certaines régions sont encore industrielles et disposent donc d’un maillage ferroviaire assez dense, d’autres se sont désindustrialisées ou n’ont simplement jamais été de grandes régions industrielles.
Pour ces dernières, il est difficile d’engager des ressources ou de venir légitimer des moyens auprès des administrés et des contribuables. C’est la raison pour laquelle je parle d’inégalité. Cependant, l’intérêt est globalement croissant : dans certaines régions, nous sommes invités à des réunions sur le développement du fret pour faire connaître l’offre ferroviaire. Les régions les plus intéressées sont naturellement les grandes zones frontalières et industrielles ou celles qui accueillent les grands ports maritimes. Ces dernières sont en effet désireuses d’offrir un débouché logistique aux compagnies maritimes. Cette idée infuse lentement, mais elle infuse.
Mon rêve est de pouvoir profiter à un moment donné d’un effet de ciseau entre le développement du fret ferroviaire et la fiscalité locale, qui est désormais autorisée dans le domaine du transport routier de marchandises.
M. le président David Valence. L’intérêt inégal est lié à la diversité des histoires industrielles selon les territoires. Par exemple, le faible développement du fret ferroviaire en Bretagne, à l’exception de l’étoile ferroviaire rennaise, tient à la situation géographique de cette région mais aussi au fait qu’au moment où son réseau ferroviaire s’est développé, elle ne possédait pas d’industries. Les régions d’anciennes industries sont souvent celles où la part modale du fret ferroviaire est la plus élevée, comme c’est le cas dans le Grand Est, où elle est à l’objectif.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. L’intérêt est effectivement différencié selon les régions. Mais le caractère industriel ne suffit pas toujours. L’axe Seine est une région industrielle majeure. Pourtant, je n’y perçois pas un engouement, même récent, en faveur de l’accroissement de la part modale du fret. On évoque certes le port du Havre ou celui de Rouen. Mais l’on part de tellement loin, malgré le caractère industriel de la région, que l’on en vient à douter des objectifs théoriques affichés publiquement aujourd’hui.
Dans votre politique de ressources humaines à l’horizon 2030, êtes-vous confronté à des difficultés de recrutement et de formation des conducteurs ? Quelle est votre vision prospective pour les agents de conduite ?
M. Alexandre Gallo. L’axe Seine est important. Les quantités effectivement transportées par le fret ferroviaire sont parfois minorées parce que l’on a tendance à ne considérer que les conteneurs allant du Havre à Paris. Or le trafic ne se limite pas à ces conteneurs : je mène par exemple une grosse activité de carrières depuis le nord de la France vers la région parisienne, qui emprunte à un moment ou à un autre l’axe Seine. Cette région se prête particulièrement au transport ferroviaire, d’autant plus qu’elle possède une belle ligne, la ligne Serqueux-Gisors, qui doit permettre le détourage des axes voyageurs normaux. Je n’oublie pas non plus que l’on y fait beaucoup de fluvial, lequel représente une autre forme de report modal vertueux. De fait, le fluvial comme le ferroviaire permettent de remplir les objectifs de la loi Climat et résilience.
S’agissant des conducteurs, nous rencontrons bien involontairement plus de problèmes sur la qualité des candidats que sur leur nombre. En effet, les critères physiques et psychologiques sont tels que j’ai parfois l’impression de recruter des pilotes de ligne. Les critères d’évaluation actuels sont très exigeants et certains candidats ne sont pas « câblés » pour réussir les tests d’aptitude. Peut-être sont-ils un peu trop élevés.
Il serait également pertinent de mener une réflexion sur la mutualisation. Aujourd’hui, chaque entreprise fonctionne avec son propre centre de formation. Les écoles de marine marchande ne fonctionnent pas de la même manière : elles forment un vivier commun d’officiers, de techniciens et d’ingénieurs dans lequel les entreprises vont ensuite puiser. Les pouvoirs publics pourraient peut-être amorcer cette mutualisation, pour créer une filière dans les territoires. Encore une fois, nous proposons des emplois régionaux, non délocalisables.
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La commission procède à l’audition de MM. Tristan Ziegler, directeur général de Lineas France, Philippe Millet, président du groupe Millet, Jean-Claude Brunier, président-directeur général du groupe Open Modal, et Rémy Crochet, président-directeur général de Froidcombi.
M. le président David Valence. Nous recevons à présent des opérateurs de fret ferroviaire : M. Tristan Ziegler, directeur général de Lineas France, branche fret du groupe ferroviaire belge Lineas, qui a connu un développement très prononcé dans le secteur ferroviaire en France ; M. Philippe Millet, président du groupe Millet, qui fabrique également du matériel ferroviaire ; M. Jean-Claude Brunier, président-directeur général du groupe Open Modal, qui est également présent dans le secteur routier, et M. Rémy Crochet, président-directeur général de Froidcombi.
Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de cette commission d’enquête. Nous vous avons réunis parce que vous dirigez des entreprises de tailles très différentes qui interviennent sur des segments variés, du transport de marchandises dangereuses au secteur sucrier ou céréalier. Vous intervenez également dans des régions différentes. Lineas est particulièrement actif sur le quart nord-est de la France et a récemment inauguré une plateforme à Mondelange, près de Thionville, sur un axe ferroviaire extrêmement parcouru par des trains de voyageurs et des trains de fret.
La commission d’enquête a pour objectif de comprendre les évolutions du fret ferroviaire depuis le début des années 2000 et de l’attrition de sa part modale, contrairement à ce qui a pu se passer dans plusieurs pays voisins. Il ne s’agit pas de dégager des facteurs de causalité, mais des facteurs de responsabilité de ce déclin. Il nous importe aussi de savoir si des nouveautés sont intervenues ces dernières années, à la faveur du lien plus systématiquement établi entre la transition écologique et ce mode de transport de marchandises, notamment sur la longue distance. Nous souhaitons en outre mesurer l’effet de la prise de conscience, chez les chargeurs, de solution du fret ferroviaire au regard de leur « scope » ; mais aussi évaluer l’effectivité des mesures d’investissement et de soutien au fonctionnement décidées par le Gouvernement dans le cadre de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire en 2021. Enfin, nous nous penchons sur les évolutions de Fret SNCF sous la pression de l’enquête ouverte par la Commission européenne le 18 janvier dernier, et par conséquent sur la solution de discontinuité retenue par le gouvernement français pour éviter que l’entreprise ne doive rembourser une dette de 5,3 milliards d’euros.
Je vous inviterai à vous présenter chacun à votre tour, en indiquant quels sont vos secteurs d’activité, vos zones géographiques d’intervention et vos segments d’investissement. Nous souhaitons également que vous reveniez sur vos relations avec l’opérateur public de fret ferroviaire, le gestionnaire d’infrastructure et plus globalement sur les éléments de compréhension du déclin de la part modale du fret ferroviaire depuis des décennies, ainsi que les conditions de l’exercice de la concurrence entre les opérateurs et le paysage du fret ferroviaire aujourd’hui, y compris dans la perspective de la cession des vingt-trois flux.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(MM. Tristan Ziegler, Philippe Millet, Jean-Claude Brunier et Rémy Crochet prêtent serment.)
M. Tristan Ziegler, directeur général de Lineas France. Lineas est un opérateur privé de fret ferroviaire en Europe, né de la discontinuité de la branche fret de la Société nationale des chemins de fer belges. À partir de nos bases belges et hollandaises et des grands ports de Zeebrugge, Anvers et Rotterdam, nos activités s’étendent d’une part vers l’est et le corridor rhodanien, et d’autre part vers un corridor nordique en direction des pays scandinaves. L’entreprise est présente en France depuis 2012 en traction ferroviaire et a procédé par développements géographiques successifs : d’abord dans le nord de la France, puis dans le nord-est, et nous atteignons maintenant le corridor rhodanien, en descendant jusqu’à Avignon et Perpignan. Notre objectif assumé vise la satisfaction de nos clients. Pour y parvenir, nous investissons massivement dans le service de ces clients et dans le numérique afin de permettre au transport ferroviaire d’être à la hauteur des exigences du marché.
M. Jean-Claude Brunier, président-directeur général du groupe Open Modal. Je préside un petit groupe familial, Open Modal, composé de plus de 300 collaborateurs et réalisant un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros, dont la stratégie depuis plusieurs décennies consiste à intégrer la chaîne combinée du rail-route. Après une carrière dans l’informatique, j’ai repris une petite PME de transport routier que mon père avait créée après la guerre, à Montpellier.
Mon père avait quelques activités rail-route, que j’ai reprises. Cette stratégie me semble particulièrement pertinente, puisqu’elle combine les avantages de la route et du rail. J’ai essayé de la développer et je me suis rapidement rendu compte que pour maîtriser l’ensemble de la chaîne du transport combiné, tous ses maillons doivent être sous contrôle et de résistance égale. J’ai développé la chaîne maillon par maillon, d’abord à partir du transport routier de marchandises, à travers la société familiale initiale TAB.
Au début, nous travaillions avec les opérateurs historiques, puisque nous étions encore sous le monopole du fret ferroviaire. Nous avons été les premiers à créer un opérateur de transport combiné à travers une joint-venture avec Veolia Transport. L’activité s’est ensuite développée et nous avons innové : nous avons été les premiers à mettre en œuvre des trains longs de 850 mètres. Jusque-là, les opérateurs confiaient à l’entreprise SNCF la traction du train, mais aussi le sillon. Nous avons été les premiers à être des candidats autorisés, c’est-à-dire que nous achetions nous-mêmes les sillons à SNCF Réseau. Cet opérateur de transport combiné s’appelle T3M. Il conduit aujourd’hui une activité nationale importante et travaille en collaboration avec Hupac.
Nous avons ensuite créé un opérateur de terminalistique, BTM, qui gère des terminaux parisiens à Bonneuil, mais aussi à Valenton et à Toulouse. Nous achevons la construction du Terminal Ouest Provence (TOP), un terminal de 14 hectares à Miramas, dont la pré-inauguration aura lieu la semaine prochaine. Pour finir, nous avons récupéré il y a quatre ans une entreprise ferroviaire que nous avons transformée, Combirail.
Grâce à cette technique et ces maillons que nous gardons sous contrôle, nous essayons d’offrir une alternative de qualité, en alliant la route et le rail, avec neuf fois moins d’émissions de dioxyde de carbone et six fois moins d’énergie grâce à au rail. En effet, la résistance du rail est bien moindre que celle du pneu. De plus, les véhicules routiers de TAB roulent maintenant au biométhane compressé.
Cette filière du transport combiné correspond aujourd’hui aux enjeux de décarbonation et de frugalité énergétique qui caractérisent la transition énergétique dans laquelle nous sommes entrés. Cette activité est malheureusement en grande difficulté : au premier trimestre, le transport combiné rail-route a baissé de 22 %. La situation est donc très inquiétante et très grave.
Encore une fois, le rail et la route additionnent leurs qualités : le rail propose la capacité, la sécurité et la rapidité ; la route offre la proximité, la souplesse et l’adaptation. Cette technique doit faire venir les transporteurs routiers vers le ferroviaire.
M. Rémy Crochet, président-directeur général de Froidcombi. Froidcombi est un opérateur ferroviaire de transport combiné créé en 1998. Nous sommes spécialisés dans le transport sous température dirigée. Initialement, nous ne faisions que des fruits et légumes, mais nous nous sommes développés dans les produits frais, les produits surgelés, la messagerie et l’industriel, pour compléter l’activité et renforcer la productivité de nos trains.
Nous sommes le seul opérateur en France à circuler à 140 kilomètres heure, afin de garantir un temps de transport – transit time – permettant d’acheminer des fruits et légumes et des produits surgelés. En 2022, nous avons réalisé l’équivalent de 58 000 équivalents camions. Notre zone de chalandise s’étend de Nice à Perpignan, en partant d’Avignon vers la région parisienne, la région lilloise et le Benelux, avec six trains par jour. L’actionnariat de Froidcombi se répartit de la manière suivante : 25,5 % pour ID Logistics, 25 % pour ID Stef et 49 % pour Combicargo.
Nous croyons beaucoup au ferroviaire mais nous sommes bloqués par le système. Nos clients sont demandeurs, mais ils recherchent la qualité, qui n’est pas du tout au rendez-vous aujourd’hui pour différentes raisons.
Cependant, le transport combiné et le ferroviaire ont un grand avenir. À l’heure actuelle, si nous pouvions satisfaire nos clients comme ils le souhaitent, nous pourrions d’ores et déjà doubler notre activité. En revanche, je ne suis pas d’accord pour considérer que la part modale du fret aura doublé dans dix ans, car les infrastructures ne sont pas suffisamment bonnes, ne serait-ce que pour permettre une croissance de 10 %. Toutes les nuits, nous devons faire face à des difficultés de circulation. Les seules périodes où l’on peut travailler correctement se limitent à dix jours au mois d’août et du 25 décembre au 5 janvier. En temps normal, nous ne pouvons pas développer l’activité, alors même que le potentiel est immense.
M. Philippe Millet, président du groupe Millet. Le groupe Millet est une société familiale créée par mon grand-père. Je suis passionné par le ferroviaire comme tous mes collègues présents à cette audition. Nos activités principales portent sur la location de wagons et de locomotives dans dix-sept pays d’Europe et la réparation de wagons, dans le plus grand atelier de France – mille places de garage. Nous avons une entreprise ferroviaire concurrente de Fret SNCF, nous avons repris un atelier de transformation de wagons et nous avons récemment racheté une usine de réparation de locomotives.
Le groupe réalise 165 millions d’euros de chiffre d’affaires et compte 460 collaborateurs. Nous ne comptons pas nos heures, mais nous devons aussi regarder les choses en face : toutes les sociétés de transport ferroviaire françaises sont en grande difficulté, pour ne pas dire en faillite. Chacun travaille pour arranger son bilan, ce que je fais également, pour ne pas montrer différentes pertes.
Nous devons nous poser les bonnes questions. Il y a trente ans, la France réalisait 30 % de plus que l’Allemagne en fret ferroviaire. Aujourd’hui, l’Allemagne produit deux fois et demie plus que la France, dans un marché comptant 192 opérateurs de transport ferroviaire contre huit en France. Chez nous, il est impossible de trouver une machine diesel de forte puissance. Il faut aller en Espagne pour se fournir et le constructeur propose un délai de quarante-deux mois, pour une commande minimale de vingt machines à 6 millions d’euros l’unité.
Tout le système a été bloqué en France depuis soixante-dix ans et personne ne peut se développer. Nous sommes le seul pays où il faut obtenir des agréments à l’infini pour disposer de machines. Le constructeur espagnol dont je parlais vend des centaines de machines en Europe, mais pas en France en raison des contraintes administratives. J’ai le souvenir d’un ministre bien connu qui, lorsqu’on lui demandait comment augmenter le trafic de 30 %, répondait : « C’est bien simple, c’est le principe du ressort : plus on le comprime, plus il monte haut. »
Il sera impossible d’atteindre l’objectif du doublement de la part du fret ferroviaire en 2030. Il faut ouvrir les yeux et attaquer le système bille en tête, il faut tout ouvrir. Est-il normal qu’une entreprise comme Fret SNCF soit cédée à une entreprise dix fois plus en difficulté qu’elle ? La DB enregistre des pertes abyssales et elle est confrontée aux mêmes problèmes que Fret SNCF. La situation est aberrante, mais tout le système est organisé pour permettre de tels arrangements, en toute confidence sans que personne ne puisse intervenir.
Je le répète, le système est bloqué. Je suis désolé d’être aussi dur, mais puisque vous nous avez conviés, nous devons vous dire les choses en face. De toute manière, il n’y a ni locomotives ni de wagons en France et personne n’en a commandé à ce jour. La capacité européenne est de 16 800 wagons, pour un parc existant de 720 000 wagons. On ne peut donc remplacer que 2,6 % du parc par an. Aujourd’hui, les wagons neufs compensent la moitié des wagons cassés.
Simultanément, l’autorisation de circulation des camions sur le territoire français est passée de 38 à 44 tonnes. La semaine dernière, le ministre des finances a annoncé que le Gouvernement allait supprimer l’avantage fiscal sur le gazole non routier (GNR) pour les agriculteurs et les pêcheurs, mais personne ne parle de la détaxation du gazole pour la route. Le message n’est pas le bon.
Nos clients, qui sont les plus gros chargeurs dans le pétrole, le gaz, la chimie ou les céréales, se disent tous favorables à la décarbonation, mais à condition que cela ne leur coûte pas un centime de plus. À titre subsidiaire, celui qui utilise le ferroviaire en France court un risque majeur de blocage des voies. Nous avons tous connu des grandes grèves. Lors de la Seconde Guerre mondiale, les cheminots, et particulièrement les cheminots communistes, qui étaient extraordinaires, ont réussi à bloquer l’avancée des Allemands. Mais, après la guerre, on les a placés sur un piédestal. Quatre-vingts ans plus tard, ces braves gens ont un pouvoir de nuisance phénoménal. Dix personnes arrivent à bloquer le pays à partir d’un seul triage.
Nos clients connaissent les mérites du ferroviaire mais ils ne veulent pas prendre le risque de voir leurs usines bloquées. Dès lors, ils préfèrent le transport routier, qui présente l’avantage d’être plus rapide et plus souple. Permettez-moi de prendre un autre exemple : en France, 3,7 % des voies sont bloquées pour des motifs liés aux températures. Nous avons effectué des relevés de température sous huissier dans une desserte de nos usines ; à 18 degrés, on nous empêche de circuler à huit heures du matin car la température est estimée comme trop élevée. Dans ce cas, comment nos homologues font-ils pour travailler en Afrique du Nord ou en Espagne ?
En résumé, il faut revoir beaucoup de choses. Pardonnez-moi d’être aussi dur, mais il fallait crever l’abcès, pour pouvoir ensuite discuter plus tranquillement.
M. le président David Valence. Monsieur Ziegler, comment estimez-vous le plan de discontinuité établi par le gouvernement français en réponse à l’enquête approfondie lancée par la Commission européenne le 18 janvier 2023 sur les soutiens publics regardés comme indus qui ont été perçus par l’entreprise du groupe public ferroviaire ? Comment évaluez-vous la capacité des autres entreprises ferroviaires à récupérer ces vingt-trois flux ? Pouvez-vous détailler les investissements que vous effectuez à destination des clients, notamment en matière numérique ?
Monsieur Brunier, vous avez été assez alarmiste sur l’évolution du transport combiné, qui représente une part très significative des vingt-trois flux qui seront cédés par Fret SNCF. Comment expliquez-vous la baisse de 22 % de votre activité au premier trimestre de cette année ? Quels en sont les facteurs ? Quelle est votre appréciation des politiques publiques qui ont été lancées il y a deux ans dans le cadre de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire ? Sont-elles insuffisantes ?
Monsieur Crochet, vous avez mentionné la saturation du réseau. Celui-ci présente le paradoxe d’être moins circulé que d’autres en Europe, mais de souffrir simultanément de goulets d’étranglement plus prononcés autour de nœuds ferroviaires. Pouvez-vous détailler cette saturation et la mauvaise qualité de service que vous êtes contraint de rendre malgré vous ?
Monsieur Millet, vous avez évoqué la complexité des procédures d’agrément comme un facteur de faiblesse de l’offre de fret ferroviaire en France par rapport à l’étranger. Pouvez‑vous revenir sur ce sujet ? Vous avez également mentionné l’exemple des températures des rails. Faut-il voir les règles de sécurité actuellement appliquées en France sur le réseau ferroviaire comme un facteur de blocage ou d’insuffisante attractivité en comparaison d’autres services de transport ? Enfin, vous présentez la particularité de fabriquer du matériel de fret ferroviaire. Pouvez-vous revenir sur les caractéristiques de ce matériel, dont on sait qu’il a une durée de vie plus longue que celle du matériel pour le trafic de voyageurs ? Pouvez-vous détailler l’âge moyen du matériel ferroviaire circulant aujourd’hui en France, ainsi que son espérance de vie moyenne ?
M. Tristan Ziegler. En dehors du choc immense que représente le plan de discontinuité et des craintes qu’il peut susciter auprès des cheminots, la responsabilité de Fret SNCF, du gouvernement français, des membres de l’Alliance 4F et de l’Association française du rail (AFRA) consiste à éviter tout report modal inversé. La première responsabilité consiste à pouvoir opérer ces vingt-trois lignes dans un délai extrêmement court, avec une qualité au moins équivalente pour éviter tout risque. Nous nous sommes mis au travail, pour être en mesure de proposer une réponse.
Certains y verront une forme d’opportunité commerciale, mais il s’agit avant tout d’une responsabilité, celle d’assurer une continuité de service, en travaillant de la manière la plus intelligente possible sur la pertinence géographique, les ressources, les moyens et les sillons, avec les clients. Ce travail est bien plus compliqué que le simple changement de couleur d’une locomotive. À date, nous disposons de plans permettant la reprise, qui sont désormais entre les mains des clients impactés par ce changement – dont malheureusement nous faisons également partie car nous avons découvert que Lineas figurait dans deux des vingt-trois flux concernés. Nous nous efforçons de trouver des solutions pour que les trains continuent, même si nous ne disposons pas de garanties pour le moment. Quoi qu’il en soit, nous proposons des offres qui permettraient d’éviter le report modal inversé : nous avons les moyens d’assurer cette continuité.
Depuis deux ans, nous avons fortement investi dans le numérique. Il faut savoir qu’il est plus simple aujourd’hui pour un patron d’entreprise ferroviaire de savoir où sont les colis qu’il a commandés la veille sur une plateforme internet que de savoir où sont les trains qu’il exploite. Nous n’exploitons que deux cent vingt trains par semaine, mais nous sommes très en retard en termes de géolocalisation par rapport aux grandes enseignes de logistique.
En conséquence, nous avons centré notre réflexion sur l’offre que nous aimerions apporter à nos clients. Nous souhaitons qu’ils puissent planifier leurs trains et vérifier que les ressources soient à disposition et bien comprises par l’opérateur. Cela passe par la planification et la gestion du temps réel. Il s’agit donc d’un système intégré de supply chain qui permet à nos clients d’avoir accès au « cœur du réacteur », pour communiquer le mieux possible en interface avec les différents gestionnaires de réseau au niveau européen.
L’avenir du ferroviaire sera européen et « longue distance ». Les différents passages de frontières doivent être les plus fluides possible – ils sont très compliqués à l’heure actuelle, notamment parce que les différents gestionnaires d’infrastructure ne communiquent pas très bien entre eux. Nous avons donc créé un système permettant d’agréger les informations de ces gestionnaires.
M. Jean-Claude Brunier. L’année 2023 est une année horrible pour le transport combiné pour plusieurs raisons. Le premier facteur est lié aux prix de l’énergie. Nous fonctionnons en grande partie avec des locomotives électriques. En 2020-2021, presque toutes les entreprises ferroviaires achetaient l’électricité à travers SNCF Réseau, car elles ne pouvaient pas vraiment faire autrement. Nous achetions l’électricité entre 55 et 60 euros le mégawattheure. En 2021-2022, le prix de l’électricité a augmenté et SNCF Réseau nous la vendait à 120 euros le mégawattheure.
En septembre 2022, SNCF Réseau nous a annoncé que le prix de l’électricité passerait à 500 euros le mégawattheure, soit une multiplication par cinq par rapport à l’année précédente. Or, dans le compte d’exploitation d’une entreprise ferroviaire, l’énergie est essentielle. Nous aurions donc dû augmenter nos tarifs de 40 %, ce qui nous aurait fait sortir des marchés. Nos organisations professionnelles sont intervenues auprès du Gouvernement et du Parlement. Nous avons obtenu quelques aides, mais des aides générales. De fait, jusqu’au mois de juin, nous avons acheté l’électricité 300 euros le mégawattheure. Nos comptes d’exploitation sont totalement déstabilisés.
Les opérateurs ont dû par conséquent augmenter massivement leurs prix, entre 10 et 20 %, soit une hausse colossale. Les entreprises qui faisaient du transport combiné se sont retrouvées dans une situation épouvantable par rapport aux routiers, qui ont bénéficié d’avantages et continuent de profiter de la ristourne sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
Cette année, le premier semestre a été épouvantable. Nous nous sommes battus comme nous pouvions et nous avons obtenu l’autorisation du Gouvernement de sortir du contrat avec SNCF Réseau, qui prévoyait des pénalités effroyables. Nous nous sommes donc adressés directement au marché et avons découvert en quelques mois le marché de l’électricité, qui est ni plus ni moins qu’une bourse : ce marché évolue à la minute. Nous avons finalement pu acheter au prix de 100 euros le mégawattheure pour la fin de l’année 2023, plus 30 euros de pénalité, soit 130 euros le mégawattheure. Pour 2024, nous avons également acheté autour de 100 euros le mégawattheure, auquel il faudra rajouter une taxe dont on ne sait pas si elle restera stable ou si elle sera multipliée par cinq ou six. En résumé, l’énergie est un facteur explosif.
Le deuxième facteur explicatif concerne les grèves, qui se sont enchaînées au premier trimestre, occasionnant des désorganisations considérables. Notre stratégie a consisté à conserver la confiance de nos clients et nous avons fait ce qu’il fallait pour ne pas trop les inquiéter. Cela a eu des conséquences dramatiques sur le plan économique. Nos personnels ont été exemplaires, alors qu’ils ont vécu des moments extrêmement difficiles.
Lorsque les grèves se sont achevées, Fret SNCF s’est fait « rattraper par la patrouille » bruxelloise. À ce jour, je suis assez réservé sur les effets induits. Notre entreprise ferroviaire sert d’autres activités de notre groupe et nous n’avons pas la vocation, pour le moment, à nous mettre sur le marché. Les injonctions de Bruxelles vont semer la confusion. Elles sont très pénalisantes pour nous. Dans la chaîne du transport combiné, le ferroviaire est concerné par la traction de ligne, mais aussi par le premier et le dernier kilomètre pour entrer sur les terminaux. Généralement, comme c’est le cas à Avignon, Fret SNCF réalise le premier et dernier kilomètre pour l’ensemble des opérateurs. Nous avons donc subi des grèves intempestives, et nous en subirons peut-être d’autres. Les conséquences sont calamiteuses pour le transport combiné, notamment au terminal d’Avignon qui commençait à peine à se développer sur des trafics nationaux et internationaux. Là-bas, le trafic a été réduit de 80 % et le terminal court le risque d’un dépôt de bilan.
Le dernier facteur explicatif est lié à la dégradation de la qualité de service de SNCF Réseau. À titre d’exemple, nous opérons un train long de 850 mètres sur le terminal du Canet qui sera bientôt fermé. Sur ce terminal, SNCF Réseau n’arrive pas à tenir le poste. On apprend donc la veille, voire le matin même, qu’il n’y a pas de personnel en poste et que le terminal ne fonctionne pas. Depuis le mois de mai, nous avons été confrontés à une quinzaine d’interruptions. Nous avons alerté la directrice générale, mais, malgré ses assurances, la direction régionale ne répond pas. C’est un autre monde, qui n’est pas le nôtre.
Telles sont les raisons qui expliquent nos difficultés. Nous avons résolu une partie des problèmes, mais pas l’intégralité de ceux-ci. Cela demeure très inquiétant pour l’avenir du transport combiné.
J’en termine en évoquant l’aide accordée à Fret SNCF. Il est vrai que le transport combiné avait redressé la tête grâce au plan de 4F et aux aides du Gouvernement associées sur le coût de pince et les sillons. Nous avons donc regagné un avantage concurrentiel par rapport à la route. Entre 2020 et 2022, nous respections les objectifs du plan, avec le doublement, voire le triplement, du transport combiné. Quand le Gouvernement fait ce qu’il faut pour améliorer le transport combiné et le fret ferroviaire, cela fonctionne.
M. Rémy Crochet. La question de la saturation du réseau et celle de la qualité de service sont en réalité liées. Les infrastructures françaises sont catastrophiques. En 2007, on nous avait annoncé que des travaux seraient conduits sur cinq ans. Aujourd’hui, nous sommes en 2023 et ceux-ci devraient durer au moins jusqu’en 2030.
Pour éclairer mes propos, je souhaite vous parler de la vie du sillon. Certains opérateurs travaillent leurs sillons deux ans avant la première circulation du premier train. Ils combinent avec SNCF Réseau des sillons « préconstruits », c’est-à-dire des sillons sur lesquels SNCF Réseau s’engage à faire circuler leurs trains de telle heure à telle heure, de tel endroit à tel endroit. Il s’agit là de la « première vie » du sillon.
Vient ensuite la deuxième vie du sillon. En mars de l’année n-1, nous commandons l’ensemble de nos sillons pour l’année suivante. En mars 2023, j’ai ainsi commandé tous nos sillons pour l’année 2024, en revendiquant les préconstruits travaillés depuis deux ans. Compte tenu de ces éléments, nous pensions pouvoir obtenir une réponse positive et proche de la réalité de nos préconstruits. Le 15 juillet, nous avons obtenu un premier retour. Celui-ci était très bon d’un point de vue quantitatif, mais le qualitatif était déplorable : seulement 17 % des demandes sur lesquelles nous travaillions depuis deux ans ont été remplies, avec des temps de transports souffrant d’un écart de quarante-cinq minutes à deux heures sur l’ensemble de nos sillons. Cela pose des problèmes lorsque l’on opère des fruits et légumes !
La situation est donc catastrophique, sans parler des sillons qui disparaissent sans que nous soyons prévenus. Par exemple, j’ai appris il y a quelques heures qu’au mois de novembre 2023, quinze jours de sillon prévus pour Froidcombi allaient tout simplement disparaître en raison de travaux sur la ligne Avignon-Paris. Ce phénomène est récurrent, sur l’ensemble de l’année. Les engagements pris deux ans auparavant deviennent caducs en l’espace de quelques jours. Les réponses de SNCF Réseau sont dirigées par la finance et les travaux, mais surtout pas par la qualité, ni le service client.
Les infrastructures de terminaux ne sont pas non plus à la hauteur. Le terminal d’Avignon a été construit il y a quarante ans pour traiter 70 000 unités de transport intermodal (UTI). Aujourd’hui, il doit traiter 110 000 UTI. Or SNCF Réseau n’a réalisé aucuns travaux depuis dix ans sur ce terminal et les prochains sont peut-être envisagés pour 2028. Froidcombi serait capable de sortir deux trains supplémentaires l’année prochaine, mais aujourd’hui plus une seule caisse ne rentre sur le terminal d’Avignon, ce qui entraîne une augmentation de la saturation et du temps de passage pour nos transporteurs routiers.
La situation d’Avignon n’est pas un cas isolé : SNCF Réseau n’a pas investi dans ses terminaux depuis vingt ans. Nous ne demandons pas la construction de nouveaux terminaux, mais simplement que SNCF Réseau entretienne correctement l’existant. Au-delà des terminaux et de la manutention, il faut évoquer les faisceaux de réception, qui ne cessent de se réduire. Quand deux voies ne sont plus disponibles sur les dix existantes, le train souffre d’au moins deux heures de retard chaque jour.
Le week-end dernier, le trafic voyageurs a été fortement perturbé en gare Montparnasse en raison d’un problème d’alimentation électrique. De notre côté, nous vivons des « petits Montparnasse » toutes les nuits. Toutes les nuits, nous sommes confrontés à des soucis sur ce réseau, qu’il s’agisse de sangliers, de suicides, de problèmes d’aiguillage ou de problèmes électriques. Le réseau n’est pas entretenu, c’est une catastrophe.
Froidcombi opère des trains à 140 kilomètres heure. Toutes les nuits, nous devons patienter derrière des trains de ferraille qui roulent à 80 kilomètres heure ou des trains de voitures qui circulent à 60 kilomètres heure. Tous les matins, nous questionnons SNCF Réseau, et les réponses ne sont pas satisfaisantes. La conséquence est simple : la plupart des chargeurs de fruits et légumes ont tendance à vouloir délaisser le fret ferroviaire.
L’organisation et la planification des travaux posent également un problème. La semaine dernière, SNCF Réseau nous a prévenus que nous ne pourrions pas circuler en raison de travaux. À la dernière minute, les travaux ont finalement été levés, mais nous n’avons pas été prévenus. Je le répète : toutes les nuits, nous subissons des déconvenues de la sorte. L’organisation interne de SNCF Réseau est déplorable et marquée par une absence de communication entre les services. SNCF Réseau est un mur : on ne peut pas discuter avec eux.
Malheureusement, tout le monde en pâtit et l’ensemble du ferroviaire souffre en conséquence d’une image catastrophique. Aujourd’hui, les problèmes que rencontre Froidcombi proviennent à 88 % de SNCF Réseau, à 10 % de l’entreprise ferroviaire et à 2 % de la manutention. SNCF Réseau répond de ses sillons théoriques, établis un an au préalable et du nombre total de sillons ; mais jamais de sa réelle circulation. En juillet, je n’ai obtenu que 17 % de sillons valables sur la totalité de mes demandes. Aujourd’hui, à cause de SNCF Réseau, des infrastructures ferroviaires et des terminaux, il est impossible de développer cette activité.
Nous sommes aussi confrontés à des problèmes d’infrastructures sur des longueurs et des proximités de faisceaux. Les temps de transports sont tellement « péjorants » en comparaison de la route que le chargeur ne veut plus choisir le ferroviaire. Aujourd’hui, nous sommes contraints de faire du report modal inversé.
Aux mois de novembre et de décembre dernier, nous avons enregistré quarante-trois nuits de grève à la gare Paris-Nord. En avril, nous avons essuyé quinze jours de grève en Bourgogne, qui nous ont fait perdre trois ou quatre heures chaque nuit sur l’ensemble de nos trains. En avril dernier, Paris-Nord a encore subi des grèves. Face à ces événements, SNCF Réseau ne répond pas à nos réclamations financières : l’entreprise ne nous propose que 7 millions d’euros pour l’ensemble des grèves depuis six mois, quand l’AFRA a calculé que le manque à gagner s’élève à 50 ou 60 millions d’euros pour la totalité de la profession. Bref, SNCF Réseau se moque ouvertement de nous. Malheureusement, les années 2025-2028 s’annoncent pires encore. Je suis désolé de dresser un tel tableau de SNCF Réseau, mais nous ne pouvons plus travailler avec ces gens-là.
M. Philippe Millet. Nous vivons une situation extrêmement compliquée du fait des agréments nécessaires pour pouvoir circuler sur les voies SNCF. Ces agréments concernent les conducteurs, mais aussi les entreprises, dans les domaines de la sécurité ou du matériel. Nous fabriquons des wagons et utilisons des machines dans toute l’Europe, mais nulle part ailleurs nous ne souffrons des mêmes contraintes. Cela explique pourquoi il n’existe que huit entreprises ferroviaires aptes à opérer du fret en France, dont trois gros opérateurs, et que d’autres abandonnent cette activité. Je pense notamment au groupe Colas, qui a vendu l’ensemble de ses activités ces dernières années. D’autres entreprises cherchent également à vendre tant elles perdent de l’argent. Aujourd’hui, personne ne veut du fret.
En termes de ressources humaines, former un conducteur coûte 40 000 euros, mais environ un sur deux quitte la formation en cours de route, pour différentes raisons. Il faut également faire face à la concurrence : les entreprises de travaux sont prêtes à les payer deux à trois fois plus cher. De la même manière, une région est prête à offrir des salaires trois à quatre fois plus élevés pour s’attacher les services de conducteurs pour leurs TER.
Vous avez évoqué les locomotives. Le système de sécurité en vigueur en Europe est le système TCS. Mais, en France, personne n’a encore obtenu les accords pour développer le TCS, ce qui explique aussi pourquoi personne ne s’implante chez nous.
Tout le monde s’oppose aujourd’hui aux locomotives diesel pour des motifs écologiques légitimes. Mais, à l’heure actuelle, 90 % des embranchements pour parcourir les premiers ou les derniers kilomètres chez le client ne fonctionnent qu’avec des locomotives diesel. Là aussi, il est très compliqué et très onéreux d’obtenir des agréments pour ces locomotives diesel. Le gros constructeur européen de locomotives diesel s’appelle Stadler. Il construit chaque année quatre-vingt-quinze locomotives de forte puissance à destination du marché européen, mais aucune n’est achetée en France. Nous sommes en contact étroit avec lui mais, comme je vous l’ai dit précédemment, le délai est de quarante-deux mois, pour une commande minimale de vingt machines à 6 millions d’euros l’unité, soit 120 millions d’euros au total.
En résumé, nous n’arriverons pas à doubler la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030 : les contraintes sont trop élevées. Nous-mêmes, en tant que constructeurs de wagons, nous sommes confrontés aux exigences de l’European Railway Agency (ERA), l’agence responsable de l’autorisation des véhicules et de la certification de sécurité des opérateurs de train. Le délai de réponse de cette agence est de six mois à un an pour le prototype du wagon. Pendant ce temps-là, il est impossible de lancer une chaîne de production, ni de commander les pièces détachées, les matériaux ou les barres de fer. En outre, il est compliqué d’innover dans le monde ferroviaire, puisque les wagons sont entretenus à l’étranger, par d’autres personnes.
Jusqu’à récemment les carnets de commandes étaient relativement bien remplis. Il y a un an, nous avions une visibilité de deux ans à deux ans et demi, pour tout type de matériel. Aujourd’hui, le délai s’est réduit à un an et demi. Le marché retombe, particulièrement dans le transport combiné, où nous n’avons plus de demande, quand nous en enregistrions deux par mois il y a dix-huit mois. Les seules demandes proviennent de l’Espagne, pays dans lequel les subventions sont importantes. Certains de nos confrères construisent des wagons combinés mais n’arrivent pas à les vendre et sont obligés de stocker des dizaines de wagons à 140 000 euros l’unité dans des garages.
Je souscris par ailleurs aux propos sur l’incidence catastrophique des travaux. Nous ne sommes jamais prévenus de leur réalisation, de leur arrêt ou de leur poursuite. Quand certains travaux sont achevés, nous nous apercevons que d’autres sont en cours un peu plus loin, sur la même ligne. En outre, dès lors que des saturations ou des contraintes de circulation interviennent, la priorité est systématiquement donnée aux trains de voyageurs, aux dépens des trains de fret. On peut considérer que cette priorité est normale, mais elle démobilise complètement nos clients, qui n’ont pas confiance et changent donc de moyen de transport. La route est beaucoup plus concurrentielle en termes de souplesse, d’agilité et de rapidité des décisions. Du reste, le marché du fret ferroviaire continue de chuter en France, alors que ce n’est pas le cas dans d’autres pays. En Allemagne, par exemple, le marché continue à croître malgré la conjoncture difficile.
Le parc européen de fret ferroviaire a trente-six ans d’âge moyen. Vous m’avez également interrogé sur la durée de vie moyenne d’un wagon. En réalité, cette durée de vie est calculée de manière financière : dès lors que le wagon coûte plus cher en entretien que son espérance de rentabilité, il vaut mieux le faire partir à la casse. En outre, tout dépend de la visibilité du marché au moment du choix. Aujourd’hui, les capacités de construction sont relativement saturées et la mise en route d’une usine de construction de wagons coûte environ 50 millions d’euros, ce qui nécessite de disposer d’une perspective d’amortissement très longue.
Le tableau général n’est pas bon. Les agréments sont contraignants, les grèves sont contraignantes et les conditions de circulation déplorables. Un train qui part avec un quart d’heure de retard perd son sillon, alors que le même quart d’heure peut se rattraper dans le transport routier. L’obligation de réserver les sillons au mois de mars pour l’année d’après est également très contraignante : peut-on savoir en mars 2023 le trafic que l’on effectuera réellement en décembre 2024 ? Et pourtant, nous sommes obligés de demander des sillons, que nous saturons sans savoir si le client existera toujours à ce moment-là. Dans le domaine céréalier, nous dépendons de la qualité des récoltes, qui ne peut se présumer à l’avance. En Allemagne, il est à l’inverse possible de disposer du jour au lendemain de sillons de qualité, grâce à de bonnes informations qui assurent la fiabilité du service. Chez nous, les clients perdent confiance. Comment ne pas les comprendre ?
Même si je suis dépité, je suis un amoureux du ferroviaire, dans lequel j’ai investi tout mon argent pour essayer de faire croître mon entreprise, à raison de 50 millions d’euros chaque année. Il faut avoir la foi !
M. le président David Valence. D’une manière générale, dans ce métier, les gens ont la foi. Je n’ai pas votre expérience dans le fret, mais j’avais la charge d’une politique publique de transport de voyageurs dans une région qui fait circuler un grand nombre de trains et qui transporte 190 000 voyageurs chaque jour. Je connais donc les phénomènes de feuilles mortes dus au mauvais entretien le long des voies ou les heurts d’animaux sauvages en raison de la moindre protection latérale des voies par rapport à celle dont bénéficient les TGV. Dans notre région, nous finançons une opération d’entretien des bords de voies à hauteur de 1 million d’euros alors que nous ne devrions pas le faire.
Je suis aussi conscient des problèmes en matière de travaux. Tout le monde peut être exaspéré, mais il ne faut pas perdre la foi. Il y a peu de temps, la région dont je suis l’élu a été informée qu’un atelier de maintenance devait être construit en plein tissu urbain pour pouvoir réaliser un grand projet ferroviaire. Pendant deux ans, la région a mené la concertation et a essuyé de multiples critiques sur le lieu d’implantation de l’atelier, qui nous était imposé. Au moment où nous sommes parvenus à un point d’équilibre avec les associations et les autorités locales, après d’innombrables réunions publiques et autant de polémiques, on nous a finalement expliqué que cet atelier ne pouvait être implanté dans ce lieu. Je comprends donc votre dépit et votre découragement. Mais c’est un métier de gens qui ont la foi.
En revanche, je ne partage pas votre point de vue sur l’Allemagne : le réseau allemand n’est pas en très bon état. Jusqu’à il y a peu, il était même très en retard dans le déploiement du système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS), à peu près autant que la France. En outre, l’Allemagne va devoir procéder à un très grand nombre de travaux dans les années à venir, tout le monde le sait. Le réseau voyageurs en est déjà perturbé, ce qui conduit à interrompre des circulations entre Mannheim et Cologne. Nous ne sommes pas les seuls à devoir effectuer des efforts de rattrapage sur le réseau : même le réseau de référence en Europe est aujourd’hui sous tension.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Je ne suis pas un spécialiste de votre secteur, mais vos témoignages tranchent très sensiblement avec ce que nous avons entendu sur les perspectives du fret ferroviaire depuis le début de nos auditions. Vous formulez des critiques récurrentes à l’égard du réseau. Pour différentes raisons, nous redoutons ensemble l’ouverture d’une assez longue période de difficulté qui risque de remettre en cause l’objectif affiché de doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici à 2030. J’ai déjà interrogé plusieurs des personnes que nous avons auditionnées sur la sincérité de cet objectif.
Monsieur Millet, vous avez indiqué que les entreprises et les opérateurs connaissent de grandes difficultés financières et que certains y laisseront leur peau. Pourriez-vous revenir sur la situation de ces entreprises ? Pour ce qui est de Fret SNCF, certains de vos confrères ont souligné que la période actuelle est particulièrement préoccupante, tandis que d’autres considèrent que la profession réunit les conditions pour que les vingt-trois flux ne profitent pas in fine à la route.
Vous avez en outre laissé entendre que l’on allait déshabiller Fret SNCF pour habiller DB Cargo, « entre amis » pour ainsi dire. Pouvez-vous nous en dire plus ? Pensez-vous que DB Cargo fera demain la pluie et le beau temps à la place de Fret SNCF ? Indépendamment de nos sensibilités différentes, ce sujet pose question pour l’avenir de la filière.
M. le président David Valence. Je souhaiterais également connaître la position de Lineas sur cette série de questions. Comment l’entreprise a-t-elle réussi à réaliser pendant des années une croissance à deux chiffres sur un marché qui est présenté par tous comme un marché en attrition ? Cette performance signifie bien que des segments peuvent demeurer dynamiques.
M. Philippe Millet. Notre entreprise a également réussi à produire une croissance à deux chiffres dans un marché qui perdait environ 2,5 % par an. Nous avons gagné des parts de marché sur nos confrères grâce à nos méthodes de gestion différentes et au caractère familial de notre société.
Pour autant, l’ensemble des entreprises ferroviaires françaises connaissant des difficultés. Certaines arrivent à les camoufler plus ou moins bien grâce à leurs autres activités. Par exemple, nous louons des wagons et des locomotives à nos filiales. Quand nous voyons que ces dernières sont en difficulté, nous réduisons le prix de nos wagons. D’autres entreprises vendent des actifs tous les ans dans un schéma de sale and lease-back, afin de faire rentrer du résultat. Mais cela ne dure qu’un temps.
Nous sommes également confrontés à l’opérateur principal Fret SNCF, qui n’hésite pas à faire du dumping sur certains marchés de manière parfois très agressive, d’autant plus qu’il sent qu’elle va maintenant disposer de ressources. Il se redéploie sur d’autres marchés en proposant par exemple des offres 10 % inférieures aux nôtres. En conséquence, nous allons perdre des parts de marché. Est-il normal qu’une entreprise « en faillite » puisse agir de la sorte ? Est-il normal que Fret SNCF déclare qu’il accompagnera l’entreprise qui reprendra des flux en y mettant ses ressources ? Nous savons tous que plus personne ne gagne de l’argent dans ce métier, mais un acteur supplémentaire va malgré tout être ajouté. Aujourd’hui, Fret SNCF produit déjà une mauvaise prestation. Demain, quand un train ne pourra pas être opéré faute de conducteur, il s’agira forcément d’un train combiné qui aurait été donné au « Millet » local.
Il faut ouvrir les yeux : ils ont agi de cette manière pendant des années. D’autres entreprises du groupe SNCF s’en sortent bien mieux que les opérateurs privés. Est-ce normal ? Il faut se poser les bonnes questions. Ils continuent à se développer et à opérer des flux grâce à des aides et des arrangements. Des locomotives ou des conducteurs sont prêtés pour une journée. C’est pour cette raison que le monde ferroviaire ne se développe pas. En France, l’investissement pour la remise en état du réseau est de 46 euros par habitant, contre 607 euros au Luxembourg, 413 euros en Suisse, 124 euros en Allemagne et 103 euros en Italie. En France, nous sommes toujours les derniers.
Un ministre m’a dit : « Dans notre gouvernement, comme les précédents gouvernements et certainement les prochains gouvernements, nous sommes à 100 % pour le ferroviaire. Mais notre gouvernement, comme les précédents gouvernements et certainement les prochains gouvernements, est à 100 % contre le chômage. Et à tonne transportée, la route consomme 4,2 fois plus de personnes que le fret ferroviaire. » La TICPE fait rentrer de l’argent dans les caisses de l’État. Dans le fret ferroviaire, tout est déficitaire, les sillons comme le réseau.
Nos usines sont dotées d’une centaine de kilomètres de voies. Pour leur réparation, une entreprise privée nous coûte deux moins cher que Fret SNCF ou SNCF Réseau. Ici aussi, il faut se poser des questions.
M. Tristan Ziegler. Vous m’avez demandé comment Lineas est parvenue à réaliser une croissance à deux chiffres sur un marché en réduction. Un paysage très sombre est brossé au cours de cette audition, mais il n’est pas tout à fait en ligne avec ce que nous sommes capables de faire. Dans le ferroviaire, il faut être passionné, avoir la foi. Ce n’est pas facile, c’est un combat, mais c’est possible. Ce n’est pas ease of use, dans l’air du temps du XXIe siècle, où tout doit être facile.
Chez Lineas, nous parvenons à faire du développement parce que les hommes et les femmes qui réalisent les trains sont extraordinairement compétents et motivés. Ils ne volent pas au-dessus des travaux, ils ne volent pas au-dessus des grèves, mais ils sont disponibles dans les rares fenêtres de tir dont nous disposons. À un moment donné, il faut avoir cette foi. Quand nous opérons pour un client chez Lineas, nos taux de réalisation sont de 98 à 99 % là où le client obtenait 60 % avec le précédent opérateur. Nous parvenons donc à réaliser plus de trains. Sur une commande de 100 trains, nous en réalisons 99. Cela repose exclusivement sur la compétence et la flexibilité des équipes, qui se plient en quatre pour leurs clients.
Je pourrais vous dire que le travail avec SNCF Réseau est une catastrophe, mais nous avons appris à vivre avec. Est-ce normal ? Je ne sais pas. Lorsque j’ai pris mes fonctions il y a treize ans, les règles du jeu étaient claires : il fallait faire avec le système tel qu’il est, avec ses qualités et ses défauts. Nous nous sommes donc adaptés à un système qui est forcément améliorable. Je souhaite naturellement qu’il s’améliore et qu’il soit plus capacitaire, afin de pouvoir doubler la part modale. Il faut malgré tout saluer l’engagement des gouvernements successifs et des plans. Nous sommes sur une voie plus vertueuse, même si la situation est beaucoup plus dure que ce que tout le monde avait imaginé.
Dans toute activité, et dans le ferroviaire en particulier, il y aura toujours des gens qui vous expliqueront pourquoi ce n’est pas possible, quand d’autres vous expliqueront comment ce sera possible. Nous devons nous concentrer sur le fait que cela doit être possible, que cela sera possible.
M. Jean-Claude Brunier. Tous les défauts qui viennent d’être mentionnés existent. Mais nous souhaitons tous faire prospérer nos entreprises. Soyons objectifs : nous avons traversé ces derniers temps des difficultés, dont la crise du covid. Dans ce contexte, le ferroviaire a quelque part sauvé la nation. À un moment où les routiers ne pouvaient pas circuler, le ferroviaire a circulé de manière magistrale, et le combiné en particulier, bien facilité par un trafic moindre sur le réseau.
Au-delà, les années 2021 et 2022 ont été d’excellentes années, avec des taux de marge remarquables, que nous n’avions jamais connus. En effet, le fret s’est relancé. Nous avons obtenu des avantages économiques par rapport à la route qui nous ont permis de rééquilibrer la balance. Mais pour réussir le transport combiné, il faut à la fois disposer du ferroviaire et du routier.
Si de nombreux problèmes demeurent, le transport combiné répond intrinsèquement à la demande des clients. J’ai maîtrisé le maillon routier, le maillon de l’opérateur en innovant beaucoup, et j’ai maîtrisé le maillon terminalistique. Le terminal que nous sommes en train d’achever est un terminal de nouvelle génération : aucun terminal n’avait été construit depuis une quinzaine d’années, aucun portique n’avait été installé depuis trente ou quarante ans. Connaissez-vous un seul industriel productif avec une usine datant de trente ou quarante ans ? Très modestement, nous sommes en train de lancer quelque chose de nouveau.
L’ingrédient fondamental n’est pas l’argent mais la qualité. Un des maux profonds du fret ferroviaire est que le groupe SNCF, qui dispose d’un savoir-faire extraordinaire, n’a pas compris qu’on ne peut pas fonctionner dans un tel métier avec un niveau de service largement en dessous de celui du marché. Cela ne peut pas se vendre, même au rabais. Le nœud du problème est là, me semble-t-il. Rémy Crochet disait que SNCF Réseau ne connaît que les travaux et la finance. Le jour où SNCF Réseau mettra le client au cœur de son entreprise, nous aurons gagné. Il faut avoir des clients, et savoir les garder. Mais pour y parvenir, il faut conduire une véritable révolution culturelle.
M. le président David Valence. Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré. Nous savons que vous êtes tous des passionnés du train et qu’il y avait parfois dans vos considérations pessimistes un peu d’amour déçu ou qui ne demande qu’à retrouver une réciprocité à la hauteur de votre passion.
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La commission procède à l’audition de Mme Anne-Marie Jean, présidente du conseil d'administration du groupe Ports de Strasbourg, M. Maurice Georges, président du directoire du port de Dunkerque, M. Florian Weyer, directeur général du port du Havre, et Mme Fabienne Margail, cheffe du département solutions intermodales et passage portuaire du port de Marseille.
M. le président David Valence. Nous terminons nos auditions de la journée par une seconde table ronde réunissant des dirigeants de grands ports français. Une des voies de massification du transport fret ferroviaire repose sur l’intermodalité avec les ports. Ce modèle nous est proposé par certains de nos grands voisins étrangers, avec par exemple le port de Hambourg, comme cela nous a été encore rappelé il y a quelques minutes.
Dans ce paysage, on dit souvent que la connectivité au rail de nos grands ports français, hormis peut-être le cas de Dunkerque, reste insuffisante. C'est une situation à laquelle plusieurs gouvernements ont essayé de répondre, à travers notamment l’enveloppe de 66 millions d'euros mobilisée dans le cadre du plan de relance pour accélérer les investissements dans les ports et améliorer leur connectivité au ferroviaire.
Quels sont les investissements effectivement réalisés, en cours de réalisation ou prévus dans vos ports respectifs pour améliorer cette connectivité ? Avez-vous défini une stratégie de report modal et de décarbonation ? Quels sont les freins persistants, qu’ils soient liés aux gestionnaires d'infrastructures ou à la concurrence avec la route ? Enfin, quel est l'état de la desserte ferroviaire de vos ports et quelle est la part modale du fret ferroviaire dans votre activité.
Notre commission d’enquête souhaite comprendre les facteurs de responsabilité dans la dégradation de la part modale du fret ferroviaire au cours des vingt dernières années, certains établissant un lien avec l'ouverture à la concurrence. Ce lien n'a pas été formellement confirmé par nos interlocuteurs. D’autre part, nous nous interrogerons sur le plan de discontinuité retenu par le Gouvernement pour essayer de protéger l'opérateur public de fret ferroviaire d'un risque de faillite à la suite de l'enquête approfondie ouverte par la Commission européenne à l'encontre de Fret SNCF le 18 janvier dernier. Cette procédure est beaucoup plus avancée que celle qui existe à l'encontre de DB Cargo en Allemagne.
Nous venons d’entendre des opérateurs alternatifs, des concurrents de Fret SNCF, qui se sont dits inquiets du risque de déstabilisation du marché du fret ferroviaire – un secteur dont on nous a dit qu’il n’était pas encore mature en France par rapport à d'autres pays européens.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Mmes Anne-Marie Jean et Fabienne Margail et MM. Maurice Georges et Florian Weyer prêtent serment).
Mme Anne-Marie Jean, présidente du conseil d'administration du groupe Ports de Strasbourg. Merci d'abord de nous avoir invités en tant que représentants d’un port fluvial. Ce n'est pas spontanément ce à quoi on pense au sujet des ports français : on pense davantage aux ports maritimes, et à raison puisqu’ils représentent le plus fort trafic, mais le port de Strasbourg joue aussi toute sa place. Nous nous voulons le plus européen des ports français, avec notre ouverture sur le Rhin, qui est le fleuve le plus important en termes de trafic.
S’agissant du ferroviaire, nous soutenons fortement la multimodalité. Aujourd'hui même a lieu à Strasbourg une journée annuelle qui s'appelle Multimoday et qui vise à réunir l'ensemble des acteurs – chargeurs, transporteurs, personnel du port – pour travailler ensemble sur les démarches visant à accroître la multimodalité, c’est-à-dire à enlever du trafic de la route pour le diriger vers le fleuve ou le fer. Le potentiel le plus important se trouve du côté du fer, qui présente une meilleure capillarité que le fleuve.
Le port de Strasbourg gère trois sites : le site de Strasbourg, le plus important, le site de Lauterbourg, tout au nord du département du Bas-Rhin, et le site de Marckolsheim, au sud du département. Au total, le réseau intègre 110 kilomètres de voies, que nous gérons de façon autonome. Elles sont la propriété du port, nous avons la charge de leur entretien et de leur exploitation en termes de circulation des trains. Nous avons une gare de triage qui en est la tour de contrôle.
Notre trafic ferroviaire représente 1,2 million de tonnes par an, dont à peu près 700 000 en conteneurs. Nous avons commencé le trafic des conteneurs en 2005 et il s'est très fortement développé depuis. Hors conteneurs, les marchandises sont essentiellement de l'acier, des céréales et des hydrocarbures. Le trafic est relativement stable d'une année sur l'autre.
Ce qui a été très important pour notre activité les dernières années, c'est la capacité de jouer la coopération et la solidarité des modes. En période de basses eaux ou de trop fortes eaux, lorsque le fleuve ne permet plus ces passages il faut permettre au trafic fluvial d’utiliser le fer. Cela a été le cas l'année dernière. Grâce à nos huit navettes ferroviaires hebdomadaires avec Anvers et les quatre avec Rotterdam, nous avons pu basculer une bonne partie du trafic. Cette année, nous sommes moins affectés par les basses eaux, mais nous savons bien qu'en tendance longue, c'est quelque chose qui nous menace plus fortement.
Nous croyons beaucoup au développement du ferroviaire sur notre territoire. Notre gare de fret ferroviaire, située sur la partie nord du port de Strasbourg, qui lui-même s'étend sur dix kilomètres le long du Rhin, n'est pas saturée, mais au rythme actuel, nous pourrions subir une saturation. C’est la raison pour laquelle nous avons engagé il y a deux ans des études pour la création, dans la partie sud cette fois, d'une deuxième gare de fret ferroviaire que nous voulons complètement compatible avec le ferroutage. Nous espérons que cette deuxième gare verra le jour en 2027.
C'est une volonté politique. Je ne suis pas une opérationnelle du port. Je suis la présidente du conseil d'administration en tant qu'élue de Strasbourg et vice-présidente de grande métropole en charge de l'économie. J'ai la volonté politique très forte de développer le fret ferroviaire pour réduire l'engorgement routier et être compatible avec la plus souveraine des missions que nous avons votées sur Strasbourg. Cette volonté politique est confirmée par les études que nous avons réalisées et qui montrent que le potentiel de transfert est suffisamment important pour justifier les investissements que nous prévoyons. Nous visons le trafic qui se fait actuellement par la route et qui pourrait basculer vers le fer.
Nous avons pris, au niveau du port, un certain nombre de mesures pour favoriser la multimodalité. En termes d'effectifs, nous nous appuyons, depuis la mi-2020, sur une chargée de développement multimodal dont le rôle est d'accompagner les entreprises du port qui souhaitent basculer vers la multimodalité. Dans les dernières années, les entreprises qui utilisaient auparavant le fer s’en sont déshabituées, au point que leurs responsables dédiés au transport ne savent plus concrètement comment s'y prendre. Le rôle de cette chargée d'affaires consiste à aider les entreprises à réutiliser ou à se mettre à utiliser le fer, et parfois à assurer les adjonctions qui permettent de constituer un train. Une entreprise seule ne peut pas affecter un train complet.
Nous avons aussi travaillé sur l'évolution du statut réglementaire de nos voies pour pouvoir déroger à certaines règles de sécurité et gagner en fluidité dans les trafics. Nous investissons sur l’une de nos voies d'accès actuellement un peu faible et qui risque d’entraver le développement du trafic si elle reste en l'état. Nous avons mis en place depuis le 1er janvier 2022 une incitation au report modal via notre système tarifaire, en proposant un abaissement de la redevance d'usage du port en faveur des opérateurs qui utilisent le report modal de façon à favoriser l'utilisation au dernier kilomètre. Cette initiative nous a permis d'augmenter le nombre de navettes conteneurs opérées sur le port.
Nous réfléchissons également à la création d'un opérateur ferroviaire de proximité pour la zone portuaire Strasbourg-Kehl. Nous travaillons de façon très étroite avec le port de Kehl qui est juste en face, de l'autre côté du Rhin. Nous avons installé une gouvernance croisée, avec trois administrateurs du port de Kehl au conseil d'administration du port de Strasbourg et inversement. Un travail commun est consacré à la stratégie. Nous ne raisonnons pas du tout en termes de concurrence, mais bien de coopération entre nos deux ports. La question du ferroviaire, nous la partageons aussi aujourd'hui sur la liaison entre Strasbourg et Rotterdam. Un cinquième du temps et du coût est lié au passage de la frontière, au tout petit trajet pour traverser le Rhin et passer de Strasbourg à l'autre côté, pour accéder ensuite aux voies ferroviaires qui nous mènent directement vers le nord. C'est quelque chose que nous voudrions traiter, le fonctionnement actuel n’apparaissant pas très satisfaisant.
Nous travaillons également avec la région Grand Est et SNCF Réseau pour conforter nos lignes. Nous faisons face à un risque de saturation des sillons sur la ligne Strasbourg-Kehl, également sur la ligne de Strasbourg-Lauterbourg. À Strasbourg et dans ses environs, nous menons une politique très forte en faveur du transport de voyageurs à travers notre réseau express métropolitain. La forte augmentation constatée depuis un an a motivé l’ajout de sept cents trains de voyageurs quotidiens à la gare de Strasbourg. Certains de ces trains empruntent les mêmes voies que les trains de marchandises. À un moment donné, nous risquons d'avoir un peu trop de trafic sur ces voies. Il faut conforter les lignes et nous y travaillons avec SNCF Réseau et la région Grand Est.
Je le répète, notre volonté de développer le fer est réelle, notamment grâce à la deuxième gare de fret. Nous ambitionnons un doublement du trafic, ce qui est conforme aux ambitions nationales en matière de fret ferroviaire.
Mme Fabienne Margail, cheffe du département solutions intermodales et passage portuaire du port de Marseille. Tout d'abord, je rappellerai le positionnement de gateway euro-méditerranéen du port de Marseille-Fos et son articulation directe avec les dessertes ferroviaires. Le report modal massifié ferroviaire ou fluvial est pour le port un facteur très important de compétitivité : fluvial avec l'axe Rhône-Saône, et ferroviaire grâce à la capillarité des réseaux vers la France et les pays européens.
Notre stratégie de développement du ferroviaire vise à consolider et étendre l’hinterland du port, notamment dans des visions d'axe, en allant en particulier dans les zones Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, nord de la France et au-delà de la frontière, vers l’Allemagne en particulier. Il nous faut en même temps répondre aux enjeux environnementaux en favorisant une croissance responsable conciliant le développement et la performance environnementale.
Nous suivons les parts modales du trafic conteneurisé. En 2022, la part modale fer et fleuve a dépassé les 20 % pour la quatrième année consécutive, tandis que la part de la route, est passée sous les 80 %. La part du ferroviaire est de 16 % et le volume de boîtes transportées sur les trains en 2022 correspond à peu près à un triplement sur ces dix dernières années.
Le port affiche des perspectives de développement de la part modale ferroviaire à l’horizon 2030 et 2040. Pour 2030, nous avons ciblé dans notre projet stratégique une part de 20 %. Pour 2040, nous avons réalisé un exercice sur la zone industrielle ou portuaire de Fos, visant un report modal ferroviaire de 25 %, globalement massifié de 35 %.
Depuis 2008, le port est propriétaire et gestionnaire d'un réseau ferré qui dessert directement ses terminaux. C'est un réseau qui est ouvert à tous les opérateurs français et européens circulant sur le réseau national. Des entreprises françaises et internationales y circulent, aussi bien des entreprises ferroviaires que des opérateurs de transport combiné.
Notre objectif est de permettre l'augmentation des volumes et l'accueil de tous les opérateurs susceptibles de répondre aux besoins de nos clients, qu’ils soient maritimes via les terminaux ou implantés dans la zone industrielle ou portuaire. Il nous faut donc traiter les questions liées aux conteneurs et à la logistique industrielle.
Avoir les meilleures capacités d'accueil suppose de travailler avec nos partenaires sur les infrastructures du port, les accès et la desserte de l’hinterland.
Dans les deux bassins de Fos, nous avons des projets ferroviaires pour accompagner la croissance des flux conteneurisés, directement au droit des terminaux de Graveleau, et également sur la zone de Mourepiane, en reconstitution des flux du Cannet.
D’autres projets visent à accompagner le développement des industriels et des logisticiens, à des échelles de temps différentes. Certains sont engagés et d'autres en conception. Il s’agit de travaux d'amélioration des performances du réseau ferré portuaire, ou encore, dans notre interface étroite avec SNCF Réseau, des projets d'amélioration des accès à la zone de Fos et un soutien au développement d’un hub roulier sur les bassins est, avec des études sur l’amélioration des gabarits.
Parmi les freins, deux sujets méritent d’être évoqués. C’est d’abord celui de l’accessibilité. Nous devons avoir un meilleur accès à l'agglomération lyonnaise et pouvoir la dépasser, ce qui soulève la question du contournement et des travaux sur l’étoile ferroviaire lyonnaise, sans oublier l’accès au Lyon-Turin. En termes de performance de desserte, les opérateurs qui desservent le port doivent pouvoir disposer de sillons de qualité et en quantité suffisante vers nos axes forts d’hinterland. Nous évoquions l’axe Méditerranée-Rhône-Saône, sur lequel prennent appui des dessertes vers le nord-est, mais l'axe sud-ouest est également un axe de développement. Nos études prospectives ont montré des besoins croissants à l’horizon 2030, en intégrant l'ensemble des trafics multimodaux conventionnels.
En termes de partenariat, il faut mentionner le travail étroit mené avec des plateformes clés de notre hinterland pour mettre en place les meilleures offres de desserte du port.
M. Maurice Georges, président du directoire du port de Dunkerque. Le port de Dunkerque a une grande tradition ferroviaire, mais assez contrastée, marquée par l'histoire et en pleine transformation. Actuellement, ce trafic représente 9,5 millions de tonnes de fret, un volume important réparti entre 7,1 millions de tonnes directement pour les frets ferroviaires liés à l'industrie implantée et 2,4 millions de tonnes pour les frets ferroviaires liés au maritime. Historiquement, c’est un réseau très important : le réseau portuaire comprend 103 kilomètres de voies ferrées, dont 57 kilomètres électrifiés. Pratiquement toutes les industries historiques sont embranchées, avec vingt et une installations terminales embranchées à usage privatif et cinq entreprises ferroviaires qui circulent régulièrement sur les réseaux privés portuaires. Nous avons confié au prestataire Socorail la gestion des circulations et des opérations dans un contrat renouvelé récemment.
Au total, la part modale accuse une baisse. Pourquoi ? Tout ce trafic était marqué par l'industrie et par un grand nombre d'importations à destination des industries de la Lorraine, dont le charbon et les centrales à vapeur. Ces industries sont structurellement en baisse du fait de la décarbonation naturelle de notre industrie et de la transformation industrielle. La part du fret en modal s’élevait encore à 36 % en 2011, à 31 % en 2015, mais n’était plus que de 13 % en 2022. C'est une tendance de fond, qui n’est pas inquiétante puisqu'elle correspond à une décarbonation majeure de notre économie.
Le développement lui-même se fait plutôt sur les nouveaux développements, en particulier sur le trafic des conteneurs, qui est en forte croissance puisqu’il a été multiplié par trois en une dizaine d'années – 750 000 équivalents vingt pieds en 2022. Ce trafic profite d’un report modal, mais avec un niveau encore faible. S’il était de 4 % en 2022, il se situait à 2 % en 2021. Nous constatons un vrai contraste entre la part historique du report modal lié à l'industrie et au vrac d’une part, à celle du trafic des conteneurs d’autre part.
Actuellement, nous avons environ trente-cinq trains de fret par jour à Dunkerque, dont une quinzaine dédiés à ArcelorMittal, deux pour les trafics céréaliers, trois trains hebdomadaires pour la base multimodale de Dourges Delta 3, opérés par Novatrans, et un par semaine sur un flex opéré par Sogestran vers Metz. Cette ligne quotidienne pour Metz est importante parce qu'elle montre qu'il y a un potentiel de report modal utilisant d'ailleurs les anciennes artères nord-est vers Metz. Nous sommes en discussion avec le port de Strasbourg pour savoir comment nous pourrions étendre cette ligne.
Néanmoins, nous sommes à des niveaux de trafic encore faibles, dont trois par semaine à Dourges. Malgré les aides apportées au fret ferroviaire, et bien que le port de Dunkerque soit en croissance importante sur les conteneurs, je pense que nous n'avons pas encore atteint le niveau critique qui permet de rentabiliser les services avec une fréquence plus forte et avec un service vraiment valorisable pour tous les chargeurs.
L'État a investi au titre du plan de relance plus de 8 millions d'euros sur un total de 10 millions d'euros, ce qui a permis de doubler la longueur des voies ferroviaires du terminal à conteneurs. Désormais, nous avons quatre voies de 850 mètres sur le terminal à conteneurs, qui permettent d'exploiter des trains longs. Le passage de 2 % à 4 % de part modale entre 2021 et 2022 est une conséquence directe de cette politique. La croissance du trafic conteneurs alimente la demande, ce qui nous permet d'être assez ambitieux pour l'avenir.
Le port de Dunkerque anticipe des hypothèses de croissance forte de trafic de conteneurs à l'horizon 2025, 2030 et 2035, soutenue par un projet de développement portuaire dit Cap 2020. L'étude Systra réalisée en 2022 nous permet d'espérer assez sérieusement une part modale ferroviaire de 21 % à l'horizon 2035. Cette part nécessite que les sillons associés soient disponibles, ce qui est étudié et coordonné dans le cadre de la plateforme infrastructures et services ferroviaires menée par l’État, en liaison avec SNCF Réseau. Par rapport aux trente-cinq trains quotidiens actuels à Dunkerque, nous avons la capacité, aussi bien sur Dunkerque que dans les sillons, d’ajouter au moins une quinzaine de trains par jour, voire plus d'ici là. Le potentiel existe donc.
Je pense que la croissance se fera à la fois par la disponibilité de l'infrastructure et par le développement du trafic de conteneurs. La vraie question, c'est que les opérateurs de transport combiné aient le niveau de trafic en import comme en export. Le port Dunkerque est plus structurellement un port d'importation, ce qui rend l’équilibre aller-retour plus difficile pour les opérateurs ferroviaires. Nous développons des lignes à l'exportation. Elles sont soutenues par le développement de l’industrie et de la logistique dunkerquoises et vont dans le bon sens pour le report modal.
La capacité structurelle du ferroviaire apparaît importante. Nous assistons à une profonde transformation qui nous fait passer d’une histoire industrielle et d’une histoire de vrac à un nouveau moment de la logistique des transports combinés.
Nous connaissons également un fort développement de la logistique et du trafic rouliers, puisqu’une ligne assure douze allers-retours quotidiens avec le port de Douvres opérés par DFDS. Nous venons d'implanter une nouvelle zone logistique et nous pensons que ce trafic transmanche apporte un réel potentiel au développement du ferroutage. Nous n'avons pas de service de ferroutage à Dunkerque, mais nous constatons une vraie demande de l'opérateur maritime lui-même comme des opérateurs logistiques. Nous avons lancé l'année dernière un appel à manifestation d'intérêt et sommes en discussion avec un opérateur potentiel pour un investissement dans un terminal de ferroutage. Cet investissement pourrait être porté en partie par le port de Dunkerque, mais aussi par l’opérateur lui-même, le point important étant que l'opérateur trouve son équilibre économique.
J’ai parlé de l'industrie historique, mais, comme vous le savez, Dunkerque est en plein renouveau industriel. Toutes les nouvelles industries seront reliées au fer. C'est le principe de base et c'est le principe des investissements que nous menons. Je peux citer la nouvelle usine chimique SNF, leader mondial des polymères hydrosolubles, qui sera mise en service en 2024 et qui bénéficiera d’un embranchement ferré dès le départ. La gigafactory de batteries Verkor, quant à elle, sera mise en service en 2025. Elle sera elle aussi branchée au fer dès le début, de même que la future gigafactory ProLogium. Nous poursuivons cette tradition d'industrie embranchée. Les investissements associés seront réalisés pour partie par le port de Dunkerque et pour partie par les industriels eux-mêmes.
Nos investissements annuels s’élèvent à 2 millions d'euros, mais un investissement majeur pour un vrai embranchement et une modification du réseau se situe à environ 10 millions d’euros. C’est ce montant qui a accompagné le développement du dryport du terminal de conteneurs. C'est à peu près l'ordre de grandeur pour chaque investissement assuré par le port et par les industries. Concernant le ferroutage, le même montant de 10 millions d’euros est nécessaire. Sur les cinq ans à venir, les investissements dédiés au développement du réseau ferroviaire du port Dunkerque seront de l’ordre de 50 millions d’euros
M. Florian Weyer, directeur général du port du Havre. Je m’exprime ce soir au nom d’Haropa Port, le grand port fluvio-maritime de l'axe Seine, qui rassemble les ports du Havre, de Rouen et de Paris. En tant que directeur général délégué du port du Havre, je donnerai aussi quelques chiffres et exemples spécifiquement havrais.
Historiquement, le fret ferroviaire et les ports sont faits pour bien s'entendre puisque le fret ferroviaire s'adresse à des trafics de marchandises issus de l'industrie sidérurgique ou de marchandises dangereuses comme celles du nucléaire ou de l'industrie chimique, qui transitent assez naturellement par les ports.
Dans le contexte de contraction généralisée du fret ferroviaire qui a été rappelé par beaucoup d’interlocuteurs, la baisse de volume observée en France se situe à 43 % à l'échelle nationale depuis l'an 2000. La part modale des marchandises transportées est tombée à 9 %. Cette baisse de volume se retrouve à l'identique dans les chiffres des ports. Au Havre, par exemple, six mille trains partaient il y a vingt ans du port chaque année. Aujourd'hui, nous en comptons quatre mille. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation de déclin malgré toutes les raisons logiques qui l'expliquent.
Dans les ports français, et singulièrement au Havre, je considère que la prise en main du fret ferroviaire est finalement assez récente à l'échelle de l'histoire de ce mode de transport. Nous pouvons dire que les quinze années passées ont été consacrées à une remise à niveau des installations plus qu'à un véritable développement. Nous avons ainsi investi dans un réseau ferroviaire dont nous n'avons la gestion que depuis 2008 un montant total de 100 millions d'euros, dont environ 40 millions d'investissements et 60 millions en entretien et maintenance, pour remettre à niveau ce réseau en profitant du statut particulier des voies ferrées locales. Le statut permet de déroger à de nombreux standards techniques par rapport au réseau ferré national et d'être beaucoup plus efficace, économe et adapté aux exigences et aux contraintes techniques de ce mode de transport au sein d'un ensemble portuaire, avec un réseau qui, évidemment, n'est pas partagé avec le trafic de voyageurs et peut donc avoir des standards de sécurité et de performance adaptés, à la différence du réseau ferré national qui est par nature mixte.
À l'échelle européenne, nous observons une disparité forte des aides d’État en faveur du fonctionnement du fret ferroviaire. Nous en sommes régulièrement pénalisés. J'en veux pour preuve ce que nous disent beaucoup d'opérateurs. Pour desservir le port de Strasbourg, par exemple, n'importe quel opérateur de fret vous dira que cela coûte beaucoup moins cher de faire partir un train d’Anvers plutôt que du Havre. Cela s'explique notamment parce que la Belgique et ses ports ont fait le choix de subventionner puissamment le fret ferroviaire, beaucoup plus que ce qui a pu être fait en France jusqu'en 2020.
De ces trois points – contraction généralisée des volumes, prise en main récente des enjeux et disparité des aides à l'échelle européenne – découle ce que l'on peut qualifier de sous-exploitation des générateurs de flux naturels que devraient être les grands ports français. J’illustrerai mon propos par une comparaison entre Le Havre et Hambourg. Le port de Hambourg, c'est à lui seul 15 % des volumes totaux du fret ferroviaire allemand. Le linéaire du réseau de Hambourg représente à peu près deux fois celui du port du Havre : 160 kilomètres au Havre, 300 à Hambourg, qui dispose de trois fois plus d'installations terminales embranchées que Le Havre. Jusqu'ici, on peut se dire qu'on joue à peu près dans la même cour, mais quand on regarde l'utilisation qui est faite de ces infrastructures, on constate que la part modale du ferroviaire sur le trafic de conteneurs au Havre correspond à 5 %, contre 51 % à Hambourg, soit un rapport de dix. Au Havre, nous comptons vingt trains par jour contre deux cent dix à Hambourg, là aussi un rapport de dix. Quand on regarde le volume transporté, c'est ce qui fait le plus mal : au Havre, nous transportons 2 millions de tonnes par an par le ferroviaire contre 50 millions à Hambourg, soit un rapport de un à vingt-cinq. Enfin, huit entreprises ferroviaires desservent le port du Havre et cent soixante-trois celui de Hambourg.
Ces chiffres sont éloquents pour des ports de taille, sinon complètement comparable, du moins leur donnant vocation à jouer à peu près dans la même cour : Le Havre, ce sont 3 millions d'équivalents vingt pieds maritimes par an, avec des projets pour monter rapidement à 6 millions ; Hambourg, plus de 8 millions.
Notre enjeu, en lien justement avec les perspectives de croissance des flux maritimes au Havre, est de changer de braquet sur le fret ferroviaire. En 2022, nous avons transporté 108 000 équivalents vingt pieds en fret ferroviaire sur les 3 millions de l'ensemble de notre trafic maritime, 3 millions dont 2 millions desservent l’hinterland et 1 million sont du transbordement de bateau à bateau. C'est cette part modale de 5 % que j'évoquais tout à l'heure. Nous ambitionnons de passer à 6 millions d'équivalents vingt pieds de conteneurs maritimes au Havre dans les prochaines années, au regard de l’investissement d'un milliard d'euros annoncé par l'armateur MSC au Havre pour tripler la capacité de son terminal.
Nous ambitionnons donc d’augmenter significativement les volumes ferroviaires, avec l’objectif de dépasser les 200 000 équivalents vingt pieds pour les conteneurs à l'horizon 2025 et d'atteindre les 400 000 à l'horizon 2030. Nous travaillons avec l'ensemble des acteurs de l'axe Seine et en particulier avec SNCF Réseau pour transcrire cela dans les projections de sillons. Nous travaillons dans le cadre d'une plateforme ferroviaire et nous avons un objectif de 116 sillons par semaine dédiés au seul transport combiné dans la vallée de la Seine en 2030, ce qui correspond à un triplement par rapport au volume actuel.
Après la comparaison un peu décoiffante avec le port de Hambourg, je souhaite malgré tout souligner l'effort significatif de rattrapage engagé par l'État depuis la fin des années 2010, avec des aides à l'exploitation du fret qui ont significativement augmenté – 170 millions d'euros par an supplémentaires depuis 2020, soit un quasi-triplement. Il faut aussi mentionner le milliard d'euros d'investissement annoncé à très court terme dans la stratégie nationale et qui a été porté, à l'échelle de la décennie, à un peu plus de quatre milliards, si j'ai bien écouté ce qui a été dit dans les précédentes auditions. C’est aussi un changement de méthode. La planification de long terme à l'échelle régionale est cruciale pour les ports. Les plateformes, infrastructures et services copilotés par l'État et SNCF Réseau jouent un rôle majeur pour nous emmener vers ces développements de trafic, tout comme les concertations dans les territoires sous l'égide des préfets de région. C'est, me semble-t-il, la première génération de contrats de plan État-région qui intégrera la dimension du fret ferroviaire.
En visant explicitement les grands ports et les chantiers de transports combinés, on donne la priorité à l'efficacité et à des gains maximums de parts de marché. C'est l’un des quatre enjeux principaux identifiés dans la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire.
Cet effort national se traduit par de premiers frémissements, de premières concrétisations sur le terrain. Nous avons déjà des réalisations à notre actif. En Normandie, la ligne ferroviaire Serqueux-Gisors est modernisée depuis mars 2020, pour un montant de 260 millions d'euros financé par l'État et la région. Cela permet d'offrir vingt-cinq sillons supplémentaires disponibles par jour. C'est tout à fait majeur.
Au niveau des ports, en particulier sur l'axe Seine, nous accompagnons les efforts de l'État par un engagement financier volontariste en faveur du fret ferroviaire. Chaque conteneur chargé sur un train au port du Havre est subventionné par le port à hauteur de 12 euros. Sur la vingtaine de services ferroviaires existant aujourd'hui depuis le port du Havre, soit une vingtaine de fréquences ferroviaires quotidiennes, nous enregistrons chaque année de nouvelles lignes grâce aux réponses à un appel à manifestation d'intérêt que nous avons lancé en 2021 et qui nous amène à accompagner financièrement les deux à trois premières années d'exploitation des nouvelles lignes ferroviaires qui partent du port. Nous savons bien que ces lignes ont toujours un temps de montée en charge pendant les premières années, où elles sont déficitaires. Le port verse des aides complémentaires en plus des douze euros par conteneur. C’est de cette manière que nous avons pu créer un nouveau service l'année dernière vers Châlons-sur-Saône et que nous avons trois projets de nouvelles destinations d'ici la fin de cette année vers Montoir-de-Bretagne, Tours et Niort. Cela nous a permis, comme je le disais, de passer d'un volume de conteneurs ferroviaires à 75 000 équivalents vingt pieds en 2020 à près de 108 000 en 2022.
Je terminerai en mentionnant la dynamique d’accompagnement dans nos investissements. Le conseil de surveillance a voté en septembre dernier un projet de 15 millions d'euros en faveur de l'amélioration de la performance du réseau ferré portuaire havrais pour se mettre en situation d'atteindre les objectifs que j'évoquais tout à l'heure. Nous avons également engagé un partenariat opérationnel très fort avec SNCF Réseau. Nous sommes le premier port français à avoir rejoint la démarche PERL – performance, régularité lignes – qui consiste à remettre les trains à l'heure, en suivant de très près la ponctualité à zéro minute au départ, qui est de 60 % pour le fret en France et à peu près identique depuis le port du Havre. La ponctualité à l'arrivée, à cinq minutes, est de 68 % à l'échelle nationale et de 55 % au port du Havre. Ce sont des chiffres qui laissent entrevoir la marge de progrès pour rattraper les niveaux qu'on espère atteindre en desserte.
On dit souvent que le ferroviaire est une grande chaîne et qu’il suffit d'un seul maillon faible pour que celle-ci ne fonctionne pas bien. Performance opérationnelle, compétitivité financière, investissement, mise à niveau des infrastructures, aides d'État pour les secteurs particulièrement déficitaires, c’est finalement tout ce continuum qui nous permettra, on l'espère, de regagner des parts de marché pour ce mode vertueux.
M. le président David Valence. Madame Margail, combien d'entreprises ferroviaires desservent le port de Marseille ? Les chargeurs font-ils preuve d’une préoccupation croissante en matière de décarbonation des flux de mobilité et de marchandises ? Vous avez indiqué que l'axe sud-ouest était un fort axe de développement pour vous. Pouvez-vous nous expliquer quels investissements il faudrait, quelles mobilisations pour développer cet axe sud-ouest depuis le port de Marseille ?
S’agissant du port de Dunkerque, vous avez évoqué les plateformes d’infrastructures et de services ferroviaires. Que pouvez-vous nous en dire ? Quel est leur fonctionnement ? Qu’ont-elles apporté ? Quelle est l’attitude des régions et de SNCF Voyageurs en cas de conflit identifié de circulations sur un sillon fret ? Vous avez parlé du nombre d'entreprises embranchées et j’aimerais étendre votre réflexion au sujet de la logistique. En France, il n'y a pas de contraintes urbanistiques concernant l'implantation des plateformes logistiques et leur raccordement à des modes massifiés, que ce soit la voie d'eau ou le fer. Au cours des vingt ou trente dernières années, le réseau logistique français s'est développé sans beaucoup tenir compte des embranchements à des modes massifiés, à quelques exceptions près.
Je pose la même question sur le fonctionnement de la plateforme à M. Weyer. Cette plateforme de l’axe Seine est la plus ancienne, lancée, je crois, par le préfet Philizot. S’agissant de la démarche PERL, quelles sont les actions mises en place pour garantir la ponctualité au départ et à l’arrivée ? Qu'est-ce qui explique également que vous ayez, au port du Havre, un niveau de ponctualité à l'arrivée inférieur à celui de la moyenne du réseau ferroviaire français de fret ?
La question suivante s’adresse à tous les participants. Comment mesurez-vous l'implication des collectivités territoriales dans le développement de l'intermodalité et donc de la part modale du fret ferroviaire dans vos ports. Nous savons qu’il y a des disparités à l’échelle nationale. Or, pour vos investissements, c’est un point important. Ce qui a été financé par le plan de relance pourrait-il l'être à l’avenir dans le cadre des contrats de plan État-région ?
Madame Jean, nous avons souvent parlé ici du coût humain pour entrer dans les logiques de fonctionnement du fret ferroviaire. Comment avez-vous pris la décision d'embaucher cette chargée de développement multimodal, et quel est son profil ?
Mme Fabienne Margail. Une dizaine d’entreprises sont présentes, qu’il s’agisse d’opérateurs combinés, de tractionnaires ou d’entreprises assurant d’autres trafics dans la zone industrialo-portuaire en particulier. Comme je l’indiquais, ce sont des entreprises nationales ou des groupes internationaux. Parmi ces opérateurs, je peux citer Delta Rail, du groupe Modalis, Ferovergne, du groupe Combronde, Greenmodal, le groupe SNCF, etc. Ces entreprises desservent directement le port. À proximité se trouve le terminal du Cannet. Des sites logistiques sont également concernés. Des entreprises combinées comme T3M sont présentes. Parmi les entreprises ferroviaires, je citerai Captrain et Fret SNCF, Combirail, DB Cargo, Europorte, Socorail, la Régie départementale des Bouches-du-Rhône.
J'évoquais le sujet du développement du roulier et la reprise ferroviaire. L'année dernière, un train test a été opéré sur le bassin est pour charger des semi-remorques sur des wagons. Un nouvel opérateur, CargoBeamer, a mené ce test. C’est une possibilité offerte par le réseau pour accueillir les différents opérateurs.
Sans entrer dans le détail des investissements, je veux souligner la fragilité susceptible d’apparaître eu égard aux aléas climatiques. Cette ligne peut souffrir parfois de discontinuité. Nous parlions des plateformes infrastructures et services. Le port est à la fois sur la plateforme de l’axe Méditerranée-Rhône-Saône et sur la plateforme Grand Sud. Cette situation doit permettre la satisfaction des besoins.
S’agissant de la préoccupation des chargeurs, j'évoquerai nos interactions avec l’AUTF, l'association des utilisateurs de transport de fret. Lors d’une manifestation lyonnaise à laquelle nous avons été invités, un des sujets était de mettre en avant des démarches visant à faciliter, d’un point de vue logistique, l'utilisation de l’axe Rhône-Saône via les opérateurs massifiés et les plateformes.
M. Maurice Georges. En ce qui concerne les plateformes, un travail assez important a été fait entre 2019 et 2020, notamment consacré au développement des sillons et aux besoins en fret. Nous avons réussi à définir un certain nombre de besoins consolidés dans un scénario de reconquête à l'horizon 2030. La région s’est montrée très intéressée en matière de nouveaux sillons fret, notamment dans sa capacité à couvrir le port de Calais. Il faut aussi prendre en compte les besoins de la plateforme de Dourges, qui forme le hub régional actuel, ainsi que le développement des futures plateformes Canal Seine-Nord Europe, Marquion, voire Longueil-Sainte-Marie.
Avec la participation très active de la région, les opérateurs logistiques sont réunis dans le cadre de l'association Norlink. Il y a une réelle prise en compte des besoins collectifs en matière de fret à l'échelle de la région, dans un dialogue qui m'a paru assez sain avec SNCF Réseau. J'aurais pu citer aussi Getlink à l'échelle régionale dans cette perspective de reconquête à l’horizon 2030.
S’agissant des embranchements ferroviaires pour la logistique, notre projet de ferroutage vise deux clients potentiels, à savoir le transmanche et le roulier jusqu’à l’Irlande, puisque nous avons une ligne quotidienne vers l’Irlande exploitée par DLDS, avec un taux important de non-accompagnés sur cette ligne. Ce trafic peut donc s’embrancher sur du ferroutage. À la sortie immédiate du terminal se trouve la nouvelle zone logistique de Dunkerque, dite DLI, qui a été livrée il y a deux ans et qui est commercialisée à 80 %. Elle fournira d'ici deux ou trois ans 400 000 mètres carrés de nouveaux entrepôts, 40 000 étant d'ores et déjà livrés. Il est clair que toute cette logistique a besoin de report modal. L’intérêt d’un terminal de ferroutage est sa double vocation : gérer le trafic roulier transmanche et vers l'Irlande et gérer directement les flux logistiques arrivant où repartant de cette nouvelle plateforme. Nous n'aurons pas un embranchement ferroviaire pour chaque entrepôt, mais il y aura juste à côté le terminal de ferroutage qui permettra de se brancher directement. Nous pensons amortir le ferroutage avec une double clientèle, à la fois maritime et logistique.
M. Florian Weyer. La plus ancienne plateforme infrastructures et services est en effet située en Normandie et nous avons la chance de bénéficier d'un siège permanent au sein de cette plateforme, sous l’impulsion du préfet Philizot, qui portait haut les enjeux du développement du port de l'axe Seine. Pour nous, c'est une vraie force de bénéficier de ce siège. Nous avons un dialogue de très grande qualité avec SNCF Réseau et avec la région Normandie. Depuis 2021, nous avons retrouvé un vrai confort en termes de disponibilité de sillons entre Paris et la Normandie grâce à la modernisation de la ligne Serqueux-Gisors.
Pour autant, il subsiste des goulets d'étranglement, qui sont l'enjeu des discussions actuelles au sein de cette plateforme. C'est d'une part le projet de ligne nouvelle Paris-Normandie, puisque le trafic voyageur entre Paris et la Normandie sature la ligne existante aux heures de pointe. Malgré Serqueux-Gisors, il y a reste des endroits où il faut repiquer sur la ligne classique, notamment entre Paris et Mantes – soit la première étape du projet de ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN), dont la Première ministre a annoncé récemment l'accélération avec une enquête publique visée à fin 2026. Pour nous, c'est le premier enjeu. Le deuxième enjeu, ce sont l'accès et le contournement au nord-est parisien, en l'absence d’une plateforme pour desservir toutes les zones logistiques, très nombreuses dans le nord-est parisien, en mode ferroviaire. La Seine et ses affluents desservent une bonne partie de l’Île-de-France mais, à cet endroit-là, elle ne passe pas. Nous aimerions jouer la complémentarité entre le fluvial et le ferroviaire et, dans le nord-est parisien, on aura besoin de ferroviaire. L’enjeu est également le contournement de Paris, puisque le seul point de passage possible aujourd'hui en venant de l’axe Seine pour contourner Paris est Valenton, un secteur totalement saturé lui aussi. Nous avons besoin d'un contournement préférentiellement par le nord.
En ce qui concerne la démarche PERL, ses deux premières actions sont toutes simples, mais elles n'avaient jamais été mises en œuvre jusqu'ici. La première est de disposer d'une mesure commune de la ponctualité, ce qui ne se faisait pas au port du Havre. On ne mesurait pas de façon conjointe, entre SNCF Réseau, le port et les opérateurs, la ponctualité du départ et de l’arrivée. Les premiers mois de cette démarche ont été passés à construire cet indicateur de mesure de la ponctualité. Évidemment, quand on ne la mesure pas, il est tout de suite beaucoup plus compliqué de vérifier les dérives !
La deuxième démarche est de construire ensemble des plans d'action. Là aussi, jusqu'ici, il n'y avait pas au niveau local cette culture de réflexion commune sur des plans d'action associant une multiplicité d'acteurs, puisque dans le système ferroviaire du port, nous avons des opérateurs nationaux, des opérateurs de proximité – même si nous n’en avons que huit – et des terminaux maritimes sur lesquels se trouvent des gares ferroviaires. Notre terminal multimodal représente un investissement de 140 millions d'euros qui a été soutenu par l'État. Il a été mis en service en 2016 et a eu la vertu d'impulser une nouvelle dynamique en faveur du ferroviaire et du fluvial. Les premiers résultats que j'ai cités viennent aussi de cette installation. Néanmoins, son fonctionnement actuel peut être aussi source de complexité, puisqu'il vient finalement s'ajouter aux ITE, aux installations terminales et aux gares ferroviaires présentes sur les terminaux maritimes. La formation d’un train se fait en plusieurs étapes, depuis un terminal maritime, en passant ensuite par le terminal multimodal puis en l'envoyant vers le réseau ferré national. À chaque fois que vous ajoutez une étape, vous créez une complexité et un aléa supplémentaire. D’où les difficultés que l'on peut parfois rencontrer pour injecter les trains à l'heure, au-delà de l'absence d'outils de mesure qui n'incitaient pas les acteurs à une grande performance.
Dans le sens des arrivées vers le port du Havre, nous subissons à plein les effets de saturation de la ligne existante depuis Paris, puisque, par construction, les trains de fret circulent la nuit. On vise une arrivée au port le matin en faisant passer les trains avant l'heure de pointe, pendant laquelle les circulations de voyageurs saturent complètement la capacité. Dès lors qu'un train a un peu de retard par rapport à son horaire, il vient « taper » dans les trains de voyageurs de l'heure de pointe et il va soit s'insérer péniblement, soit devoir attendre la fin de la pointe pour passer. On est quelque part en bout de chaîne et on subit de fait cette saturation. C'est la raison pour laquelle nous avons un grand besoin de la LNPN pour gagner en performance.
Un dernier élément : au-delà du terminal multimodal, les 15 millions d'euros que j'évoquais à propos de la nouvelle étape de développement du réseau ferré sont soutenus par l'État au travers du plan de relance.
Mme Anne-Marie Jean. Le profil de notre chargée de développement est résolument commercial, en appui de toutes les compétences techniques du port. C'est une personne qui pratique plusieurs langues et qui va au-devant des entreprises, des opérateurs, des 450 entreprises du territoire portuaire, mais aussi de celles de la région. Le port est autant exportateur qu'importateur. Il est très utilisé aussi par les entreprises alsaciennes. Il est donc important que la chargée de développement puisse connaître les potentialités et savoir comment s'y prendre.
Nous avons quatre opérateurs ferroviaires réguliers, Naviland Cargo, MMR, H&S et Socorail Europorte.
J'aimerais élargir la question des perturbations dues à l'état dégradé du réseau aux trois grands types de fragilité que nous identifions pour le développement du fret ferroviaire. J'en ai déjà cité une, qui est celle des écarts réglementaires entre la France et l'Allemagne et qui nous complique un peu la vie. Pour le passage de frontière, nous devons avoir un conducteur qui parle français, qui maîtrise parfaitement toutes les normes françaises et qui doit être habilité selon les règles de sécurité françaises, un conducteur partant allemand, maîtrisant de même toutes les règles de sécurité allemandes et lui aussi habilité. La motrice qu'ils conduisent doit être doublement équipée de tous les systèmes français et allemands. Vous comprenez que cela génère du surcoût et de la complexité et que, pour ce petit tronçon, nous pourrions trouver un accord, d’autant que les règles de sécurité françaises et allemandes sont d'un égal niveau d'exigence.
Le deuxième point concerne les gabarits ferroviaires. Nous avons évidemment des trains qui vont vers l'ouest et vers le sud. Pour cela, il faut que nous franchissions des tunnels qui nous permettent de passer sous les Vosges pour aller vers l'ouest et des tunnels qui traversent le Jura pour aller vers le sud. Dans les deux cas, des questions de gabarit handicapent le passage du fret. C'est une des raisons qui font que notre trafic n'est pas aussi important que nous le souhaiterions. L'objectif est le passage au gabarit P400 sur ces différentes traversées.
J’en viens à la question de la possible saturation des sillons et de la qualité des voies. Elle se pose globalement pour le réseau autour de Strasbourg, mais tout particulièrement pour la ligne Strasbourg-Lauterbourg parce que celle-ci n'est pas électrifiée et n'est pas en très bon état. C'est particulièrement dommage car elle est parallèle au Rhin et elle nous permettrait de mieux relier le port de Strasbourg au port de Lauterbourg et, au-delà, de poursuivre vers l’Allemagne. Mais il y a là une petite portion qui se situe sur le territoire allemand, la liaison entre Lauterbourg et Wœrth-sur-le-Rhin, où le trafic ne se fait que sur une voie, ce qui est très handicapant. C'est un frein au développement du port de Lauterbourg. Pendant longtemps, ç’a été une réserve foncière pas très utilisée. Aujourd’hui, nous constatons l’implantation d’entreprises industrielles appelées à utiliser les aménités du port, c'est-à-dire les liaisons fluviales et ferroviaires. La possibilité ferroviaire risque d'être un peu difficile à exploiter si nous n’arrivons pas à résoudre cette difficulté.
J'aimerais également répondre à la question relative à la conditionnalité de l'accessibilité pour les zones d'activité. Je ne sais pas à quel niveau il faudrait l’imposer pour qu’elle soit effective – ici, je prends ma casquette de vice-présidente de l'Eurométropole. À l'Eurométropole de Strasbourg, nous essayons d’y réfléchir pour les zones d'activité que nous avons ou que nous pourrions aménager. Nous tenons vraiment compte de l'accessibilité des modes massifiés en priorité, avec le souhait de cesser de faire des zones d'activité qui soient, pour les entreprises et pour leurs salariés, exclusivement accessibles par voie routière. Pour le port, nous avons pris la décision en conseil d'administration de privilégier les entreprises utilisant les aménités fluviales et portuaires. Nous ne prenons pas en traître les entreprises dont les amodiations viennent à terme dans les prochaines années, nous les prévenons dès maintenant. À celles qui aujourd'hui utilisent exclusivement la route, nous signifions que leur amodiation ne sera pas renouvelée si elles ne se mettent pas à utiliser le fer ou le fleuve. Les deux ne sont pas forcément possibles selon leur activité, mais avec le travail que nous faisons sur le fer, nous avons la conviction que si elles font un peu d'efforts avec nous et qu'on les y aide, elles peuvent l'utiliser. Pour un terrain disponible, nous n’acceptons pas de nouvelles entreprises qui n'utiliseraient pas les modes massifiés ; pour celles qui sont présentes, cela va devenir une condition de renouvellement de leur présence sur le port.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Madame Jean, vous avez décrit votre action en matière d'accompagnement des entreprises pour le recours au fer et au fleuve. Au-delà de l’aspect qualitatif, avez-vous déjà un résultat quantitatif qui nous permettrait d'apprécier la portée de votre démarche ? Par ailleurs, avez-vous l'occasion d'échanger avec vos collègues sur la question du réembranchement ? Au port de Rouen, c’est un souci très présent pour des activités telles que la chimie.
Madame Margail, vous avez parlé de saut qualitatif et quantitatif pour Marseille, avec le souhait d’aller au-delà de Lyon et d’étendre l’hinterland. Dans la stratégie du port de Marseille, les hypothèses de développement tiennent-elles compte du « bouchon » lyonnais et des solutions éventuelles à apporter ?
En préparant cette audition, j'ai vu que votre projet pour Mourepiane traîne depuis dix ans. Au regard de l'enjeu, c'est considérable.
Monsieur Georges, vous avez dit que les nouvelles industries, dont les gigafactories, seraient embranchées. Pourriez-vous préciser le cadre de négociations ou la charte passée entre les entreprises qui s'installent, les autorités publiques et vous-même ?
S’agissant du Havre, j'ai vu effectivement des initiatives pour doubler la part modale du fer et tripler les conteneurs. Ces efforts ne risquent-ils pas d'être retardés ? Vous avez évoqué la mise en œuvre de la LNPN, qui prévoit quatorze voies pour dépasser le goulot d’étranglement de la ligne actuelle. Pour Serqueux-Gisors, vous avez indiqué que vingt-cinq sillons étaient désormais disponibles. Sont-ils effectivement opérationnels ? Les projections, qui donnent trente-cinq départs du Havre et vingt-cinq départs de Rouen à l’horizon 2030, seront-elles tenues sur cette ligne Serqueux-Gisors ?
Mme Anne-Marie Jean. Malheureusement, je ne peux vous apporter de réponse précise. Je verrai avec la direction générale du Port et vous transmettrai les éléments.
Sur les résultats de la stratégie de reconquête, nous sommes passés, ces deux dernières années, de douze liaisons hebdomadaires à dix-sept. Je ne saurais vous dire combien d'entreprises nous avons captées ni quels volumes, mais cela a permis d'augmenter le nombre de liaisons, parce que ce ne sont pas des liaisons à vide.
Une dizaine d’entreprises sur le port utilisent de façon très régulière le fer. Nous en avons identifié onze autres qui présentent de bons potentiels et avec lesquelles nous travaillons pour mettre en place une ITE si elles n'en ont pas ou pour établir des modalités commerciales afin de privilégier l’usage du fer.
S’agissant des collaborations avec les autres ports, je ne peux pas non plus vous répondre de façon précise. Il y a des réunions régulières entre les ports. Tout semble fonctionner dans un très bon esprit de collaboration et d'échange de bonnes pratiques.
M. Florian Weyer. En ce qui concerne le réembranchement, que ce soit à Rouen ou au Havre, nous avons les mêmes logiques et les mêmes projets que ce qui a été indiqué par mes collègues, à savoir s’assurer que toute nouvelle implantation industrielle soit raccordée au ferroviaire ou au fleuve, et faire en sorte également, comme à Strasbourg, que tout renouvellement d'autorisation d'occupation du domaine s'accompagne d'un effort en faveur des modes vertueux. Nous disposons pour cela d’un outil très puissant, la domanialité publique, qui nous permet de décider qui va occuper le terrain et combien cela va coûter. Nous pouvons même choisir d'introduire dans la redevance d'occupation que nous versera l'industriel ou le logisticien une prime, par exemple pour une desserte en mode de transport vertueux, ou un malus en l'absence de desserte par ces modes de transport. Nous souhaitons influer de la sorte sur les modes de desserte et d'embranchement à Rouen comme au Havre. Au Havre, nous avons encore 400 hectares de terrain que nous souhaitons développer au niveau de la circonscription portuaire pour des projets industriels. À Rouen, c'est un peu plus d'une centaine. Nous nous inscrivons bien sûr dans cette logique.
Il faut avancer sur deux jambes. Réembrancher, c'est à la fois embrancher des sites industriels et logistiques dans les ports, mais c'est aussi développer, pour atteindre les destinations, des chantiers de transport combiné sur l'ensemble du territoire national, à la fois sur l'axe Seine et au-delà. Un verrou bloque ou ralentit un certain nombre de projets, qui est la politique d'attribution et de gestion de ces chantiers de transport combiné par SNCF Réseau. Aujourd'hui, quand SNCF Réseau attribue un chantier de transport combiné, il l'attribue à un opérateur, c'est-à-dire que ce sera un chantier uniquement exploité par ledit opérateur, avec ses propres trains. Si l’on allait vers des chantiers multi-opérateurs, on permettrait de développer singulièrement les trafics.
On dit souvent que le transport, et singulièrement le fret ferroviaire, est le parent pauvre en termes de financement. Nous avions des acteurs qui étaient prêts à investir des sommes considérables pour aller de bout en bout de la chaîne logistique. Je parle des armements maritimes, avec évidemment des cycles de profits très particuliers. Nous savons tous qu'en 2021 et 2022, il y a eu des revenus qui se chiffrent en milliards d'euros et qu’un certain nombre d'armements auraient souhaité pouvoir investir dans des chantiers de transport combiné en France pour mettre en œuvre des solutions de bout en bout avec un acheminement maritime relayé par un acheminement fluvial ou ferroviaire. Mais on n'a pas encore réussi à faire sauter ces verrous pour permettre à des acteurs économiques comme les armements d'investir dans des infrastructures qu'ils pourraient ensuite exploiter.
Nous attendons bien sûr la LNPN avec impatience. La ligne Serqueux-Gisors n’a pas tout résolu. De fait, un bouchon subsiste entre Paris et Mantes. Cette première phase est vitale. La nouvelle gare de Rouen est importante, mais elle est un peu moins urgente puisque la ligne Serqueux-Gisors permet un contournement. Vingt-cinq sillons supplémentaires par jour ont été permis par cette modernisation et ils ne sont clairement pas saturés puisque moins de la moitié est utilisée aujourd’hui. Nous avons encore ce réservoir de capacité qui peut nous permettre de desservir certaines destinations, notamment tout le grand ouest, mal irrigué. Nous voudrions aller vers Tours, Vierzon ou Orléans. Par contre, nous risquons assez vite, si le projet LNPN ne se fait pas à temps, d’être confrontés au bouchon pour aller vers le nord-est parisien et au-delà.
M. Maurice Georges. Toutes les nouvelles entreprises qui arrivent, celles du secteur de la batterie comme les autres, cherchent à verdir leurs investissements stratégiques. L'embranchement ferroviaire fait partie du verdissement de leurs opérations.
Ensuite, l’embranchement ferroviaire est une utilité et fait partie de la discussion qu'il faut avoir pour ce qui relève des utilités, comme pour l'électricité ou l'eau industrielle. Ce sont des infrastructures qui doivent être prises en compte avec tout leur aspect de verdissement. Les industriels sont demandeurs, il n’est pas nécessaire de les pousser.
Toutes ces grandes installations industrielles, qui, pour certaines, occupent de très grandes surfaces, se font la plupart du temps dans le cadre d'aménagements portuaires et d'aménagements de nouvelles zones industrielles. Lorsque nous réalisons un aménagement portuaire, nous intégrons un dispositif ferroviaire, qui relève vraiment de l'architecture portuaire. Une partie de cet investissement relève des coûts d'aménagement portuaire. Pour le dernier kilomètre, des coûts sont à prendre en compte par l'industriel, au même titre que les branchements d'utilité. Je ne vous cache pas que cela peut faire l'objet de négociations finales sur la répartition des derniers millions.
En conclusion, les industriels sont demandeurs. Les aménagements portuaires comprennent structurellement une architecture et des réaménagements ferroviaires. La négociation finale vise à répartir les coûts.
Mme Fabienne Margail. Nous travaillons à la prise en compte de nos projections de besoins sur les modes massifiés avec les interlocuteurs qui les auront directement en charge. Mourepiane, c’est un accompagnement financier, notamment des collectivités. Le travail se fait avec SNCF Réseau puisqu’il s’agit de la combinaison de deux projets, la réouverture d'un raccordement et l'optimisation de voies sur le port et un de ses terminaux.
Nous travaillons aussi avec SNCF Réseau sur la question des gabarits. La possibilité de mettre les remorques sur les trains est de plus en plus incontournable. Dès à présent, des trafics peuvent circuler sur des wagons surbaissés, mais avec des restrictions.
À Fos-sur-Mer, nous travaillons en local, dans un cadre stratégique et de projection à long terme très large, l'orientation d'aménagement de la zone industrialo-portuaire de Fos à l'horizon 2040, ou OAZIP 2040. La démarche a été portée par le port, la région, la métropole et l’État. Le souhait est de pouvoir faire une projection des développements industriels et logistiques en disposant du volet de la desserte et du volet des infrastructures, ferroviaires et fluviales. Les travaux engagés dans les terminaux visent à améliorer la robustesse et la facilité d'accès au ferroviaire.
Dans le cadre du projet de port fluvio-maritime, à l'échelle de l'axe Méditerranée-Rhône-Saône, nous sommes dans une logique de schéma directeur associant les gestionnaires d'infrastructures et les collectivités du territoire. C'est grâce à ces partenariats que pourront être mis en adéquation les développements sur un territoire et les répercussions les rendant possibles à d'autres échelles.
La séance s’achève à dix-neuf heures.
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Présents. - M. Sylvain Carrière, M. Gérard Leseul, M. Matthieu Marchio, M. Nicolas Ray, M. David Valence, M. Hubert Wulfranc