Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à reconnaître et protéger la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail (n° 2406) (M. Sébastien Peytavie, rapporteur)              2

– Examen du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2023285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé (n° 2349) (Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, rapporteure)              2

– Examen, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance (n° 2350) (Mme Isabelle Santiago, rapporteure)              15

– Examen, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public (n° 2391) (M. Christophe Naegelen, rapporteur)              21

– Présences en réunion.................................30

 

 

 


Mercredi
3 avril 2024

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 46

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq,
présidente

puis de

M. Cyrille Isaac-Sibille,

secrétaire

 


  1 

La réunion commence à neuf heures trente-cinq.

 

La commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à reconnaître et protéger la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail (n° 2406) (M. Sébastien Peytavie, rapporteur).

La commission a accepté les amendements figurant dans le tableau ci-après (*) :

N° Id

Auteur

Groupe

Place

16

X

M. PEYTAVIE Sébastien

Ecolo - NUPES

1er

43

16

Mme ABOMANGOLI Nadège

LFI - NUPES

1er

17

 

M. PEYTAVIE Sébastien

Ecolo - NUPES

1er

27

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

2

28

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

2

25

 

M. ROUSSET Jean-François

RE

3

29

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

3

30

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

3

31

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

3

32

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

3

33

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

3

42

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

3

26

 

M. ROUSSET Jean-François

RE

4 bis

34

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

4 bis

35

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

Ap. 4 bis

36

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

Ap. 4 bis

37

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

Ap. 4 bis

38

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

Ap. 4 bis

39

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

Ap. 4 bis

40

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

Ap. 4 bis

41

 

Mme CHANDLER Émilie

RE

Ap. 4 bis

(*) Les autres amendements étant considérés comme repoussés.

*

Puis la commission examine le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2023285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé (n° 2349) (Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, rapporteure).

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, rapporteure. La dimension technique de ce projet de loi éclipse son contenu politique : par ce texte, le Gouvernement sollicite la ratification d’une ordonnance de l’article 74-1 de la Constitution. Contrairement aux ordonnances prévues à son article 38 dont beaucoup se plaignent, non sans raison, au motif qu’elles dépossèdent le Parlement de sa compétence sur presque tous les sujets, de telles ordonnances ont pour particularité de se limiter à une seule thématique : l’extension et l’adaptation de la loi nationale aux collectivités d’outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie. Le Parlement n’habilite pas le Gouvernement à agir ; la Constitution y pourvoit directement. La seule condition consiste à ratifier l’ordonnance dans les dix-huit mois suivant sa publication, sous peine de caducité. Ainsi, le Parlement agit en étant contraint par les délais. Nous avons jusqu’au 20 octobre pour nous prononcer sur cette ordonnance du 19 avril 2023, ce qui me conduit à remercier la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement de son efficacité et de sa prévoyance.

Il est fort rare que l’Assemblée examine cette catégorie d’ordonnances – entre 2014 et 2020, quatre textes de ce type ont été recensés –, et d’autant plus rare pour la commission des affaires sociales que la santé est une compétence dévolue aux autorités locales polynésiennes et néo-calédoniennes, tandis que le droit commun s’applique de plein droit à Wallis-et-Futuna. Notre commission n’est donc concernée que parce que le présent projet de loi étend et adapte aux collectivités du Pacifique des dispositions législatives relatives à la recherche impliquant la personne humaine, à l’avortement et aux droits des personnes malades. Pour nos juridictions suprêmes, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, il s’agit non de questions sanitaires, compétence des territoires, mais d’éléments relatifs aux libertés publiques et à la politique de recherche pour lesquels l’État est compétent.

L’objet de l’ordonnance du 19 avril 2023 est de rendre le droit commun applicable aux collectivités du Pacifique, non de voter la loi. Le Parlement a déjà discuté sur le fond de l’avortement ainsi que des droits des malades, et nous avons intégré dans notre droit les règles européennes sur la recherche. Comme l’a reconnu la rapporteure du Sénat, première assemblée saisie, il ne s’agit pas de « refaire le match ». Le débat a déjà eu lieu ; les options ont été choisies.

Après avoir inscrit dans la Constitution la liberté de la femme d’interrompre sa grossesse, nous donnons, par cohérence, aux Néo-Calédoniennes et aux Polynésiennes les mêmes droits que les Lilloises ou les Lyonnaises. Je me réjouis de constater que personne ne s’est lancé dans un combat à contretemps suggérant, pour les uns, l’allongement, pour les autres, la réduction du délai légal pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG), au risque de créer une distorsion entre les droits de nos compatriotes, suivant leur collectivité de résidence. Ce même raisonnement vaut pour les droits des malades et les conditions de la recherche.

Par cette ordonnance dont le Sénat a presque unanimement voté la ratification le mois dernier, la France fait en sorte que tous les Français et toutes les Françaises aient les mêmes droits dans le domaine de la santé. Ce principe d’égalité ne doit pas susciter de débat entre nous. Par conséquent, je vous demande de soutenir le projet de loi de ratification.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes, pour deux minutes.

Mme Angélique Ranc (RN). Le présent projet de loi a pour objectif d’étendre et d’adapter à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna diverses dispositions législatives relatives à la liberté et à la santé publique ainsi qu’à la recherche. Il est une belle avancée en tant qu’il permet à des patients de ces territoires d’être intégrés à des recherches cliniques. Nous nous réjouissons que ces dispositions permettent, par exemple, à des patients atteints de cancer et en échec thérapeutique de participer à des protocoles de recherche, et d’accéder plus facilement à des traitements innovants. Jusqu’à présent, ces territoires ultramarins devaient en effet conduire leurs propres recherches sur des pathologies jugées spécifiques, car liées aux caractéristiques de leur population ou région.

Nous aurions pourtant tort de nous arrêter à cette avancée théorique en ignorant la réalité de l’offre de soins dans ces territoires français. Dans les îles Wallis et Futuna, la situation du système de santé est particulièrement préoccupante. Si les dispositions relatives aux recherches sur la personne humaine n’ont pas semblé soulever de problèmes majeurs lors de leur adoption par le Sénat et par l’Assemblée nationale, la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, qui étend le délai légal de recours à l’IVG de douze à quatorze semaines, reste une question clivante. L’allongement du délai n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucune demande d’extension dans aucun de ces trois territoires.

L’accessibilité de ces droits constitue un véritable enjeu, car l’absence d’équipements et de formation des sages-femmes à l’acte chirurgical comporte des risques non négligeables. Comme à son habitude, le Gouvernement semble se borner à étendre de grands principes sans anticiper leur réelle application par les territoires, donc sans en assurer un accès effectif et équitable.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Rassemblement National s’abstiendra sur le présent texte.

Mme Chantal Bouloux (RE). Le projet de loi soumis à notre examen vise à garantir une application uniforme et adaptée de la législation en matière de santé publique dans l’ensemble du territoire français. L’ordonnance du 19 avril 2023 étend d’abord le champ d’application de la loi relative à la bioéthique de 2021, notamment en matière de recherches impliquant la personne humaine, à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française ainsi qu’aux îles Wallis et Futuna. Elle permet également d’étendre et d’adapter aux territoires concernés la loi allongeant le délai de recours à l’IVG de douze à quatorze semaines – un acte politique fort voulu et soutenu par notre majorité en faveur des droits des femmes à disposer pleinement de leur corps. Enfin, le texte prévoit de renforcer l’accès aux soins et la politique de prévention en santé dans ces territoires, notamment par l’extension des compétences des sages-femmes, permis par la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite « loi Rist 1 », et par un accès effectif à la contraception pour les personnes mineures.

Sans revenir sur le fond de chacune des dispositions législatives concernées, qui sont d’ores et déjà en application dans le territoire métropolitain où elles ont prouvé leur bienfondé, nous tenons à rappeler qu’elles sont le fruit de combats politiques conduits par notre majorité depuis 2017. C’est donc dans un souci de cohérence avec l’action politique menée et par conviction profonde que le groupe Renaissance votera en faveur de ce projet de loi.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Ce texte rappelle combien les outre-mer sont relégués dans l’ordre de construction de la loi. Par la méthode, d’abord : souvent, la loi s’y résume à des ordonnances d’application prises très tardivement, même dans des domaines fondamentaux, et qui fondent des inégalités entre citoyens et citoyennes. On le voit, les dispositions locales sont toujours tardivement mises à jour, ce qui en fait perdre le bénéfice, alors qu’elles ont été votées à l’Assemblée nationale. En l’espèce, le présent texte étend et adapte aux collectivités françaises du Pacifique des dispositions relatives à la bioéthique et à la recherche impliquant la personne humaine ; à l’IVG, en allongeant les délais de recours de douze à quatorze semaines et en supprimant le délai minimal de réflexion à l’issue d’un entretien psychosocial ; aux compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles ainsi qu’à la prescription de la contraception à des personnes mineures.

Nous voterons évidemment le texte, mais il faut prendre conscience que l’on étend des dispositions législatives datant de plusieurs années, voire, pour certaines, de plus d’une décennie. La méthode de l’ordonnance conduit parfois à ce que des droits soient appliqués dans les outre-mer douze ans après leur application dans l’Hexagone. Elle est inacceptable, d’autant que les dispositions visent des questions aussi importantes que la recherche sur des pathologies ou le droit à l’avortement : les femmes polynésiennes, kanak, wallisiennes doivent attendre douze ans pour bénéficier de droits préalablement reconnus dans la métropole.

Il faut en tirer une leçon : les lois doivent être écrites en amont, en concertation avec les autorités locales, puis transposées efficacement et rapidement afin d’assurer l’égalité des droits. Cela est d’autant plus important que les trois collectivités, si elles ont été consultées, ont rapporté combien cette consultation, bâclée, n’avait pas permis de répondre dans de bonnes conditions.

Les conditions de saisie, les délais, la méthode sont déplorables. Nous voterons le projet de loi, mais déplorons cette situation.

Mme Maud Petit (Dem). Depuis la réforme constitutionnelle de 2003 et la création de l’article 74-1, le Gouvernement est habilité à actualiser par voie d’ordonnance le droit applicable à l’outre-mer. Cela a l’avantage de la simplicité et de la rapidité puisque la ratification de l’ordonnance par le Parlement a lieu moins de dix-huit mois après sa publication.

Nous sommes donc réunis pour exercer notre rôle de législateur dans une dimension davantage légistique que politique. Il s’agit, non de modifier la loi dans son essence, mais de faire en sorte qu’elle s’applique de la même façon à tous les Français, y compris par-delà les océans. Il est d’autant plus important que nous nous acquittions de cette tâche avec sérieux et diligence que plusieurs collectivités du Pacifique pourraient, sans cela, subir un retour dans le passé législatif en matière de santé publique. En effet, pour des raisons qui tiennent à leur autonomie, les territoires de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et des îles Wallis et Futuna ne peuvent bénéficier de ces progrès sans l’entremise de ces dispositions législatives spécifiques.

Le présent projet de loi de ratification, adopté à la quasi-unanimité par le Sénat, permet d’assurer la pérennité de plusieurs évolutions de notre droit. Je pense notamment à un meilleur encadrement de la recherche médicale impliquant la personne humaine grâce aux diverses lois de bioéthique adoptées dans l’Hexagone ces dernières années ainsi qu’à l’harmonisation des délais de recours à l’interruption volontaire de grossesse, qui seront de quatorze semaines pour toutes les femmes de notre pays, où qu’elles résident. Je pense encore à plusieurs dispositions renforçant l’accès aux soins, notamment la loi « Rist 1 » du 26 avril 2021, qui permettra notamment un meilleur dépistage et traitement des infections sexuellement transmissibles.

J’appelle cependant votre attention sur la réalité sociale et médicale de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et des îles Wallis et Futuna, dont les populations souffrent de sévères difficultés d’accès à la santé.

Le groupe Démocrate votera en faveur de ce projet de loi.

M. Thibault Bazin (LR). L’article unique du présent projet de loi, adopté au Sénat, prévoit la ratification de l’ordonnance du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé. Cette ordonnance a été prise sur le fondement de l’article 74-1 de la Constitution, qui prévoit une habilitation permanente d’extension des dispositions de droit commun existant dans les domaines de compétence de l’État.

Si seulement les autres ordonnances pouvaient être ratifiées dans les mêmes délais, et même ratifiées tout court ! Je profite de cette occasion pour déplorer le peu d’ordonnances ratifiées depuis quelques années. Il faut progresser en ce sens, et il serait bon que Mme la présidente de la commission en exprime le souhait au Gouvernement.

Je ne reviens pas ici sur mes réserves personnelles quant à la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique. L’ordonnance rend applicable aux territoires de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis et Futuna les dispositions du code de la santé publique se rapportant aux recherches impliquant la personne humaine, précisant les conditions dans lesquelles ces recherches peuvent être menées tout en garantissant la sécurité et la bonne information du participant.

La ratification de l’ordonnance conduisant, non pas à faire évoluer la loi, mais à préserver le droit existant, notre groupe ne s’opposera pas à l’adoption du texte, qui permet, par ces modifications, d’assurer aux trois territoires ultramarins une pérennité législative et le même sort en matière de recherche et de santé.

M. Alexandre Vincendet (HOR). Le projet de loi que nous examinons vise à ratifier l’ordonnance du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé – la ratification doit être effectuée avant octobre 2024 sous peine de caducité du texte. Sur le fondement de l’article 74-1 de la Constitution, le Gouvernement a souhaité permettre aux Polynésiens, aux Calédoniens, aux Wallisiens et aux Futuniens de bénéficier de plusieurs dispositions issues de lois relatives à la recherche impliquant la personne humaine et la santé. Comme le prévoit la Constitution, les assemblées des collectivités ont été consultées sur le projet d’ordonnance. Aucun empiétement de l’État sur une compétence dévolue n’a été soulevé par le territoire ou par le Conseil d’État.

Le premier objectif de cette ordonnance était de rattraper le retard accumulé après l’adoption, pour la métropole, de plusieurs lois de bioéthique depuis 2012. Ce texte d’apparence technique aura ainsi des effets concrets en pérennisant les réformes menées par le Gouvernement et la majorité en matière de santé dans les collectivités du Pacifique. Sont étendus des sujets majeurs, notamment les dispositions de la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, qui allonge de douze à quatorze semaines le délai de recours à l’IVG. Je pense aussi aux dispositions de la loi « Rist 1 » de 2021, qui étend les compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles.

Le groupe Horizons et apparentés porte une grande attention aux territoires d’outre‑mer : la loi se doit d’y être adaptée et appliquée, en veillant à l’effectivité des droits pour tous nos concitoyens. C’est pourquoi nous nous réjouissons de cette ordonnance et voterons en faveur du projet de loi de ratification, qui a été adopté à la quasi-unanimité au Sénat. Nous espérons qu’il en sera de même dans notre commission.

M. Arthur Delaporte (SOC). Nous examinons un texte d’apparence technique, qui vise à étendre de nombreuses dispositions relatives à la santé, déjà applicables dans l’Hexagone, à la Polynésie, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna. Certaines des mesures de l’ordonnance du 19 avril 2023 que nous devons ratifier permettent d’adapter un droit appliqué depuis plus de dix ans dans l’Hexagone.

Sur la forme, on regrettera que les territoires français du Pacifique doivent attendre autant de temps pour obtenir un cadre juridique adapté, s’agissant par exemple de bioéthique.

En outre, nous sommes saisis à quelques mois seulement du délai imparti à la ratification et le Gouvernement n’a pas reçu l’ensemble des avis des territoires concernés. C’est, de sa part, un manque de sérieux et de considération pour nos compatriotes ultramarins. En séance, je recommanderai au Gouvernement de revoir sa copie quant à la notification des projets d’extension du droit comme au retard accumulé dans la nécessaire mise à jour législative.

Sur le fond, la ratification du texte est évidemment importante puisqu’elle permet d’étendre et d’adapter des mesures concernant la recherche impliquant la personne humaine, les dispositifs d’accès aux médicaments ou l’extension bienvenue des compétences des sages‑femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles.

Pour la transposition de la loi de 2016 relative à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures ainsi qu’à la suppression de la notion de détresse pour délivrer la contraception d’urgence, l’attente a été longue. Mieux vaut tard que jamais, me direz-vous, mais nous aurions préféré qu’elle intervienne plus tôt pour les femmes du Pacifique.

L’allongement de la durée de l’IVG est un droit fondamental pour toutes les femmes de notre pays. Compte tenu des spécificités des territoires concernés, il ne suffit pas d’accorder nos droits pour en garantir l’effectivité. Pour cela, il faut des moyens, de la prévention, en particulier dans ces territoires où les inégalités sont fortes. En Nouvelle-Calédonie, par exemple, l’avortement n’est légal que depuis 2009.

Nous soutenons ce projet de loi de ratification car il est nécessaire. Il est toutefois criant qu’il ne répond pas au besoin légitime de reconnaissance de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’ordonnance du 19 avril 2023 soumise à notre ratification par le présent projet de loi vise à étendre et à adapter à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna diverses dispositions législatives relatives à la santé.

Les dispositions relatives à la recherche impliquant la personne humaine ont fait l’objet de fortes demandes de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, qui souhaitaient intégrer des patients dans des essais thérapeutiques et leur permettre d’accéder à des traitements innovants. Il s’agissait de rattraper un retard accumulé dans l’intégration des dispositions des lois relatives à la bioéthique en matière de recherche adoptées depuis 2012 : il est d’ailleurs étonnant que le texte ne soit soumis à notre approbation que maintenant.

Le second objet de l’ordonnance est d’étendre et d’adapter aux territoires de Wallis-et-Futuna, de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française certaines dispositions de la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, qui étend de douze à quatorze semaines le délai de recours à l’IVG et supprime le délai minimal de réflexion à l’issue d’un entretien psychosocial. Là encore, il est étonnant que le texte arrive si tardivement.

L’ordonnance prévoit également l’extension des compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles, pour Wallis-et-Futuna, ainsi que des dispositions relatives à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures, pour la Polynésie française.

Le groupe Écologiste soutient l’application de l’ensemble de ces dispositions, qui sont indispensables aux populations concernées, mais la ratification de l’ordonnance pose la question essentielle de l’effectivité des droits. Si l’adoption de ces dispositions répond à un retard flagrant dans l’accès à des traitements innovants ou à une rupture d’égalité avec le territoire hexagonal pour ce qui est de l’allongement du délai de recours à l’IVG, il ne suffit pas de consacrer un droit pour qu’il soit effectif. Le rapport du Sénat le souligne à plusieurs reprises : l’extension à Wallis-et-Futuna de la réglementation relative à la recherche sur la personne humaine ne pourra, par exemple, pas s’appliquer compte tenu de la situation locale. Nous voterons donc le texte et veillerons à son application.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). Le contenu et les objectifs généraux de ce texte ayant été rappelés, je veux souligner que si les trois territoires du Pacifique ont été formellement consultés sur le projet d’ordonnance, les conditions et les délais de saisine ne leur ont pas permis de rendre un avis étayé et complet. Alors que l’ordonnance touche à des sujets de société appelant à une consultation élargie de la population, le gouvernement central a saisi l’assemblée de Polynésie à la fin de janvier 2023, dans un contexte électoral peu propice à une analyse approfondie. Si l’institution n’avait pas préparé un renouvellement intégral de ses représentants, elle aurait certainement apporté une contribution à la rédaction de l’ordonnance, notamment pour assurer la cohérence de ses dispositions avec celles du code de la santé publique et son adéquation à la répartition des compétences entre l’État et la Polynésie. Nous avons déposé plusieurs amendements en ce sens.

Pour ce qui est de l’extension de la compétence directe des comités de protection des personnes, nous estimons que la spécificité polynésienne doit être considérée dans la réflexion éthique sur un projet de recherche, dans le domaine médical ou tout autre champ.

Le groupe GDR a également formulé deux demandes de rapport pour évaluer le coût de l’allongement du délai de recours à l’IVG et le financement des soins médicaux dans le territoire polynésien. Ses cent dix‑huit îles s’étendant sur un territoire équivalent à celui de l’Europe continentale, le parcours est difficile pour une femme qui souhaite recourir à l’IVG mais n’a pas les moyens de se rendre en avion à Tahiti, où se trouvent les structures agréées.

Enfin, nous proposons un accompagnement systématique des femmes recourant à l’IVG, car l’impact psychologique de telles situations n’est plus à démontrer. Il est encore plus lourd pour une personne devant quitter tous ses repères et sa famille. Avec mes collègues polynésiens, j’ai déposé de nombreux amendements de précision, que je vous invite à adopter.

M. Paul-André Colombani (LIOT). L’ordonnance du 19 avril 2023 que le Gouvernement nous propose de ratifier touche à des sujets techniques parfois sensibles. Les dispositions relatives à la recherche sur la personne humaine sont très attendues par les territoires du Pacifique. Elles permettront un meilleur accès des patients aux essais cliniques et aux thérapies innovantes, notamment dans le traitement des cancers. Cela permettrait de réduire la perte de chance des patients dans ces territoires et de conduire des recherches spécifiques sur des problématiques régionales.

En revanche, les représentants de Wallis-et-Futuna reconnaissent eux-mêmes que ces dispositions seront sans objet dans leur territoire du fait de la faiblesse de l’offre de soins. Nous ne pouvons que le déplorer.

Nous souscrivons aux dispositions relatives à l’IVG, notamment à l’extension du délai de recours. La question de l’effectivité du droit se pose dans tout le pays, mais avec encore plus d’acuité dans ces territoires. Qu’il s’agisse des infrastructures ou des compétences des professionnels de santé, les conditions ne sont pas toujours réunies pour garantir effectivement ce droit.

Si notre groupe soutient ce texte, il exprime cependant quelques regrets, qui sont ceux des territoires du Pacifique. Ils touchent aux modalités de saisine sur le projet d’ordonnance ; aux délais qui se sont écoulés entre la publication et la demande de ratification – un décalage qui est trop souvent la règle pour les outre-mer ; au défaut de prise en compte des demandes de modification formulées par la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Des amendements viendront peut-être y répondre.

Mme la rapporteure. Je veux redire mon attachement aux territoires ultramarins et l’attention particulière que je leur porte. Il est essentiel d’intégrer leurs spécificités dans nos politiques publiques, afin que les textes et les droits puissent s’y appliquer, autant que possible, dans les mêmes conditions que dans l’Hexagone. Tel est d’ailleurs l’objet de ce projet de loi, et j’ai rappelé dans mon propos liminaire qu’il s’agit, non de débattre à nouveau sur le fond, mais de rendre applicables des droits déjà acquis dans l’Hexagone. Les territoires ultramarins que j’ai sollicités sur ce texte y sont tous favorables. Je soutiendrai la plupart des amendements déposés, hormis ceux qui impliqueraient une remise en cause sur le fond.

Article unique

La commission adopte l’article unique non modifié.

Article 2 (nouveau) : Correction de malfaçons législatives et application au code de la santé publique des dispositions organiques prévues par les statuts de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie

Amendements identiques AS25 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS2 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). L’amendement vise à confier à l’autorité locale le soin de définir les modes d’exercice et de coopération entre professionnels de santé autorisés en Polynésie française.

Mme la rapporteure. Je donne un avis favorable à cette demande de la collectivité de Polynésie.

La commission adopte les amendements.

Amendements identiques AS26 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS3 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). L’amendement est rédactionnel.

La commission adopte les amendements.

L’amendement AS4 de Mme Mereana Reid Arbelot est retiré.

Amendement AS36 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq

Mme la rapporteure. L’amendement prend en compte la modification des missions de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) prévue par la loi de finances initiale de 2023 dans les mécanismes d’adaptation du droit national aux collectivités du Pacifique.

La commission adopte l’amendement.

Puis, suivant l’avis de la rapporteure, elle adopte les amendements identiques rédactionnels AS27 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS5 de Mme Mereana Reid Arbelot.

Amendements identiques AS28 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS6 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme la rapporteure. L’amendement vise à prendre acte de la compétence de la Polynésie française en matière d’organisation sanitaire. Il donne aux autorités locales, et non à la loi nationale, le pouvoir d’agir sur les normes en vigueur.

La commission adopte les amendements.

Puis, suivant les avis de la rapporteure, elle adopte successivement les amendements identiques AS29 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS7 de Mme Mereana Reid Arbelot, ainsi que l’amendement AS8 de Mme Mereana Reid Arbelot, tous rédactionnels.

Amendement AS9 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). L’amendement tend à ce que puissent être pris en compte des sites investigateurs polynésiens pour satisfaire l’obligation de nommer un coordonnateur. Il a été travaillé avec les services du gouvernement de la Polynésie française.

Mme la rapporteure. La Polynésie française étant partie intégrante de la France, on ne peut pas viser des lieux « en France ou en Polynésie française ».

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). Je retravaillerai l’amendement d’ici à la séance.

L’amendement est retiré.

Amendement AS10 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). L’amendement, issu des discussions techniques préalables au projet d’ordonnance, vise à supprimer deux points et une formalité impossible.

Mme la rapporteure. L’amendement a une incidence sur l’application du droit en Nouvelle-Calédonie. Je vous propose de le retirer pour que nous trouvions une meilleure rédaction d’ici à la séance.

L’amendement est retiré.

Amendements AS1 de Mme Mereana Reid Arbelot et AS32 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (discussion commune)

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). Mon amendement tend à étendre à la Polynésie française la dérogation consentie à l’État quant à l’obligation de souscrire une assurance pour les recherches.

Mme la rapporteure. Je vous suggère de le retirer au profit de mon amendement, qui va dans le même sens, mais dans une rédaction plus adaptée. Le droit en vigueur fait application de ce principe en matière de recherche impliquant la personne humaine.

L’amendement AS1 est retiré.

La commission adopte l’amendement AS32.

Amendements identiques AS30 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS11 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme la rapporteure. L’amendement tend à corriger une erreur de référence et à prendre en compte le transfert de la compétence santé aux autorités locales néo-calédoniennes et polynésiennes.

M. Thibault Bazin (LR). Si je comprends bien, le Sénat, qui a déjà examiné le texte, n’aurait pas vu l’erreur que vous proposez de rectifier et devra donc se prononcer à nouveau.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. C’est le cas.

Mme la rapporteure. Tout à fait.

La commission adopte les amendements.

Amendements AS31 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS12 de Mme Mereana Reid Arbelot (discussion commune)

Mme la rapporteure. Comme l’amendement AS12, l’amendement AS31 vise à tirer les conclusions de la décentralisation de la compétence relative à la santé, mais il prend également en considération le fait que les produits médicamenteux utilisés dans le cadre de recherches impliquant la personne humaine peuvent relever à la fois de la réglementation nationale et de la réglementation locale. Il ne convient donc pas de remplacer la première par la seconde, mais de prévoir leur application conjointe.

Je demande à Mme Reid Arbelot de retirer son amendement, au profit du mien, sinon j’émettrai un avis défavorable.

L’amendement AS12 est retiré.

La commission adopte l’amendement AS31.

Amendements AS33 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS13 de Mme Mereana Reid Arbelot (discussion commune)

Mme la rapporteure. Les deux amendements tendent à tirer les conclusions de la décentralisation des compétences de santé dans les procédures de communication des examens de caractéristiques génétiques et des identifications par empreinte génétique : les modalités d’agrément des laboratoires édictées par l’État n’ont plus à s’y appliquer. Toutefois, contrairement au dispositif de l’amendement AS13, celui de l’amendement AS33 ne distingue pas le cas de la Nouvelle-Calédonie de celui de la Polynésie française ; les deux collectivités étant également compétentes en matière sanitaire, les règles locales s’appliqueront sans que l’État leur dicte de conditions spécifiques.

L’amendement AS13 est retiré.

La commission adopte l’amendement AS33.

Amendement AS17 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). Il revient à l’État de définir les principes relatifs à la qualité, à la sécurité et au caractère éthique des dons et de l’utilisation des éléments et produits du corps humain, pour garantir le respect des libertés publiques. Toutefois, l’application des règles relève de la compétence de la Polynésie française. Or le pays dispose déjà d’une réglementation relative aux dons de sang et aux critères de sélection des donneurs. Il convient donc de supprimer la mention de cette action de l’État. Encore une fois, cet amendement vise à mettre le texte en adéquation avec les compétences locales.

Mme la rapporteure. Nous sommes en désaccord sur ce point, même si nous partageons l’intention d’adapter l’application des normes au périmètre des compétences. Selon moi, la question de la discrimination des donneurs de sang relève de l’égalité des droits ; la règle ne peut donc qu’être nationale.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement AS22 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). Cet amendement vise à proposer systématiquement un accompagnement psychologique aux femmes qui souhaitent recourir à une interruption volontaire de grossesse. L’incidence de l’IVG n’étant plus à prouver, il est nécessaire d’informer chaque femme concernée qu’un accompagnement est possible.

Mme la rapporteure. Demande de retrait ou avis défavorable.

Le texte tend à faire valoir dans les territoires ultramarins les mêmes droits que dans l’Hexagone. La loi prévoit déjà qu’une consultation psychosociale est systématiquement proposée avant et après l’IVG. Tel qu’il est rédigé, votre amendement tend à la proposer avant l’IVG, mais non après. Son adoption pourrait faire craindre que les femmes ne soient pas vraiment accompagnées dans leur choix de recourir à l’IVG, ce qui serait un recul dans l’accès à cet acte.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). Il me semble qu’une consultation n’est pas systématiquement proposée.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques AS34 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS18 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme la rapporteure. Les deux amendements visent à tenir compte de la décentralisation de la compétence sanitaire pour la définition des conditions d’autorisation et de fonctionnement des établissements de santé, des laboratoires de biologie médicale et des autres organismes pratiquant l’assistance médicale à la procréation.

La commission adopte les amendements.

Amendements AS35 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq et AS15 de Mme Mereana Reid Arbelot (discussion commune)

Mme la rapporteure. L’État n’étant plus compétent pour régir l’assistance médicale à la procréation en Polynésie française, en particulier pour autoriser les laboratoires à conserver des embryons, l’amendement AS35 vise à en tirer les conclusions en renvoyant explicitement aux normes édictées par les autorités locales.

L’amendement AS15, quant à lui, vise seulement à supprimer les normes nationales encadrant les activités concernées. J’en demande le retrait.

L’amendement AS15 est retiré.

La commission adopte l’amendement AS35.

Amendement AS14 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). L’amendement tend à appliquer en Polynésie française l’élargissement des compétences des sages-femmes ainsi qu’à définir le délai du recours à l’IVG médicamenteuse dans la loi, et non au niveau réglementaire. Je précise que la réglementation locale détermine les modalités de réalisation desdites IVG.

Mme la rapporteure. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, l’État est compétent pour définir les normes de fond relatives à la garantie des libertés publiques, dont l’IVG fait partie. Les autorités locales sont compétentes pour fixer les règles médicotechniques. Les compétences des personnels de santé et le délai de recours à l’IVG médicamenteuse appartiennent à la seconde catégorie. Il revient donc bien aux autorités locales de les modifier dans le sens qu’elles jugent opportun.

L’amendement est retiré.

Article 3 (nouveau) : Demande de rapport au Gouvernement sur le coût de l’allongement de douze à quatorze semaines du délai légal de recours à l’interruption volontaire de grossesse

Amendement AS23 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). Cet amendement vise à demander au Gouvernement un rapport évaluant le coût de l’allongement de douze à quatorze semaines du délai de recours à l’IVG. Chaque décision relative à la santé prise à Paris entraîne des dépenses pour la Polynésie française. La moindre des choses est d’en connaître le montant.

Mme la rapporteure. Avis défavorable, d’abord parce qu’il s’agit de demander un rapport ; or l’avis de la commission est assez constant en la matière. Ensuite, la loi visant à renforcer le droit à l’avortement qui a porté le délai de recours à l’IVG à quatorze semaines de grossesse date du 2 mars 2022. Son évaluation interviendra prochainement, et la situation des territoires ultramarins sera prise en considération.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je soutiens l’amendement. Il ne s’agit pas de contester la décision mais d’évaluer le coût que devront assumer les autorités locales. Le territoire est singulier ; il est légitime de prendre toute la mesure des conséquences de notre décision.

M. Philippe Vigier (Dem). Je soutiens également cette demande de rapport. L’application par ordonnance des lois dans les territoires ultramarins entraîne toujours un décalage dans le temps, qui va d’un à cinq ans. Celle-ci est rapide, ce dont nous nous félicitons. Le Printemps de l’évaluation donnera lieu à des travaux dans ce domaine, toutefois disposer d’un instantané de la situation en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie aidera la représentation nationale à les mener, en l’éclairant. Il n’y a pas là de contradiction, mais une aide possible. Par ailleurs, Wallis-et-Futuna rencontre de grandes difficultés à préserver l’équilibre budgétaire ; sans la Nouvelle-Calédonie, son système de santé serait mis à mal.

Mme Fanta Berete (RE). De nombreux rapports font état des difficultés que rencontrent les territoires concernés ; par exemple, les personnels ont du mal à se déplacer pour satisfaire les demandes. J’y suis très sensible. Disposer rapidement d’un tel rapport permettrait d’ajuster au mieux les dispositifs, même si ce n’est pas simple. Il a déjà fallu attendre longtemps pour que la loi soit transposée ; avec tout mon respect, madame la rapporteure, je vous demande donc d’émettre un avis favorable à cette demande de rapport.

M. Thibault Bazin (LR). Il est important d’évaluer pour ces territoires également les conséquences des décisions que nous avons prises. Les éléments complémentaires qu’apporterait le rapport demandé seraient donc essentiels.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article unique

Amendement AS16 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR - NUPES). Le présent amendement vise à demander au Gouvernement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, un rapport définissant l’articulation des prérogatives de l’ANSM et celles de l’Agence de la biomédecine en Polynésie française. En effet, beaucoup d’imprécisions demeurent.

Mme la rapporteure. L’avis est défavorable, pour les mêmes raisons. Par ailleurs, il est préférable de laisser les autorités nationales et locales discuter des clarifications nécessaires, plutôt que d’agir sur le fondement d’un avis du Gouvernement.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

Mme la rapporteure. Je vous remercie, chers collègues. Je salue en particulier Mme Reid Arbelot, pour son travail d’adaptation des dispositions législatives aux territoires ultramarins.

 

La commission examine ensuite, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance (n° 2350) (Mme Isabelle Santiago, rapporteure).

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Lors de la Conférence des présidents du 26 mars 2024, le président du groupe Socialistes et apparentés a souhaité exercer le « droit de tirage » que l’article 141, alinéa 2, du Règlement confère aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires. Dès lors, en application de l’article 140, alinéa 2, il revient à notre commission de vérifier que les conditions définies aux articles 137 à 139 sont réunies, sans se prononcer sur l’opportunité de l’initiative.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Le système français de protection de l’enfance, l’aide sociale à l’enfance (ASE), est à bout de souffle. Trop souvent, des drames nous rappellent la crise que traverse ce service public marqué par des réformes nombreuses mais insuffisantes. L’État s’est désengagé, au détriment de l’accompagnement des enfants, notamment en matière de santé et d’éducation – la commission d’enquête pourra le montrer. Il est grand temps que la représentation nationale établisse un diagnostic clair des causes des dysfonctionnements et propose des solutions pour y remédier.

Avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, j’ai donc déposé le 18 mars une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Lors de la Conférence des présidents du 26 mars 2024, le président Boris Vallaud a exprimé le souhait de notre groupe d’exercer le droit de tirage prévu à l’article 141 de notre Règlement. Il revient aujourd’hui à la commission des affaires sociales, compétente sur le fond, de vérifier que les conditions requises à la création de ladite commission d’enquête sont réunies. En revanche, puisque le groupe exerce son droit de tirage, il n’appartient pas à la commission de se prononcer sur l’opportunité de la commission d’enquête, ni d’en amender le contenu.

Conformément à la lettre du Règlement, mon intervention n’a pas pour objet d’anticiper le diagnostic du service public de l’ASE, qu’il incombera à la commission d’enquête d’établir. Néanmoins, je suis convaincue que nous accueillerons tous favorablement cette occasion de dresser un état des lieux exhaustif des problèmes que rencontre ce service public au cœur de la promesse républicaine, donc des difficultés auxquelles sont confrontés les plus vulnérables : les enfants.

Pour créer une commission d’enquête, il faut satisfaire aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et des articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale. Si nous concluons que la demande est recevable, la Conférence des présidents en prendra acte, en application de l’article 141 du Règlement.

Trois conditions doivent être réunies. Premièrement, une commission d’enquête ne peut être créée qu’aux fins de réunir des éléments d’information sur des faits déterminés ou sur la gestion de services publics ou d’entreprises nationales, en vue de soumettre ses conclusions à l’assemblée qui l’a créée. La présente proposition de résolution tend à assigner à la commission d’enquête trois principales missions relatives à la gestion du service public de l’ASE : identifier les manquements à l’origine de la situation actuelle ; cibler les défaillances de sa gouvernance ; formuler des recommandations législatives, réglementaires et budgétaires. Il ne fait aucun doute que la commission d’enquête satisfait pleinement à la première condition.

Deuxièmement, une commission d’enquête ne peut avoir le même objet qu’une mission d’information investie des prérogatives d’une commission d’enquête ou qu’une commission d’enquête dont les travaux se seraient achevés au cours des douze mois précédant sa création. Je connais l’intérêt de beaucoup d’entre nous pour les services de la protection de l’enfance : ce sujet nous concerne tous et doit figurer au nombre de nos priorités, dans tous les territoires. Cependant, nous constatons qu’aucune enquête parlementaire n’y a été consacrée au cours des douze derniers mois. Il est donc tout à fait opportun que mon groupe exerce son droit de tirage en ce sens. Il n’est pas douteux que la commission d’enquête présentera un intérêt pour tous les groupes.

Troisièmement, une condition d’enquête ne peut avoir pour objet des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires en cours. Saisi par la Présidente de l’Assemblée nationale, en application de l’article 139 du Règlement, le garde des sceaux a indiqué que le périmètre de la commission d’enquête était susceptible de recouvrir des procédures en cours. Toutefois, selon une appréciation constante du critère, l’existence de poursuites judiciaires n’empêche pas la création d’une commission d’enquête, mais exige de veiller tout particulièrement à la bonne articulation de l’enquête parlementaire et des procédures judiciaires – le garde des sceaux l’a souligné. L’intention n’est évidemment pas de faire obstacle à une procédure judiciaire ; bien au contraire, il s’agit de faire toute la lumière sur les manquements et les défaillances de la protection de l’enfance. Il n’y aura donc aucune difficulté à respecter le périmètre d’une enquête en cours.

Ainsi, je vous propose de considérer que la présente proposition de résolution satisfait pleinement les critères de création d’une commission d’enquête et qu’aucun obstacle ne s’oppose donc à ce que la Conférence des présidents prenne acte de la création de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). Dans tous nos territoires, nous constatons des difficultés liées à la prise en charge des enfants, qu’il s’agisse de tout-petits, de fratries ou d’adolescents, ainsi qu’à la sortie de l’ASE, en particulier au regard de l’accompagnement des jeunes majeurs jusqu’à 21 ans, qui n’est pas assuré partout. De nombreux enfants sont en attente de placement sur décision judiciaire : dans mon département de Maine-et-Loire, ils sont 200. Le nombre des demandes explique en partie la situation, mais il y a également un problème de financement de l’ASE par les départements, auquel s’ajoute un manque de remplaçants pour les familles d’accueil qui partent à la retraite et un défaut d’attractivité des postes en foyer d’accueil, qui affecte le recrutement et la fidélisation du personnel. Un état des lieux est donc nécessaire pour formuler des propositions adaptées à l’évolution de l’ASE.

Mme Laure Lavalette (RN). Plusieurs groupes, poussés par la survenue de drames sordides, ont souhaité la création d’une commission d’enquête relative aux défaillances de l’ASE ; je me réjouis que l’une d’entre elle aboutisse. C’est peut-être notre dernière chance, en tant que parlementaires, d’agir concrètement dans ce domaine. En effet, bien que révélateurs des lacunes de l’ASE, les travaux menés ces dernières années n’ont pas provoqué de prise de conscience collective. Il s’agit de nous assurer que les lois que nous adoptons pourront s’appliquer partout et pour tous, donc de mettre fin à la loterie de la protection de l’enfance qui fait dépendre le sort des enfants confiés de circonstances géographiques plutôt que de principes de justice et d’équité.

Pour y parvenir, il est essentiel que cette commission d’enquête travaille loin des clivages politiques et sans tabou – ce ne sera pas facile pour tout le monde. L’expérience a montré qu’en abordant ce sujet sans prudence, on peut susciter des tensions susceptibles de nuire à notre projet commun. Les enfants ont besoin d’apaisement. Aucune question ne sera inutile ; aucun sujet ne doit être évité. La commission sera regardée, ses membres interpellés. Je félicite d’ailleurs les quatre-vingts ex-enfants placés qui ont créé un comité de vigilance : celui‑ci sera notre boussole.

Nous attendons que la commission d’enquête lève le voile opaque qui cache le fonctionnement de l’ASE. Il est dans l’intérêt de tous, y compris de l’institution, de mettre en lumière ses défaillances, afin que chacun puisse reprendre confiance en elle. Pour y parvenir, il est impératif de ne pas craindre de froisser un président de département ou un directeur de l’ASE, ni de pointer les failles d’une profession, sauf à être accusés de tout mélanger ou de jeter l’opprobre. Il est d’ailleurs indispensable de reconnaître les spécificités des métiers en liens avec l’ASE et les défis que doivent relever ceux qui les exercent pour espérer apporter des améliorations.

Nous espérons de tout cœur que cette commission d’enquête remettra la voix et l’intérêt de l’enfant au centre de nos préoccupations.

M. Stéphane Viry (LR). L’ASE est à l’ordre du jour : cet après-midi, deux débats seront organisés en séance publique, dans le cadre de nos travaux de contrôle. Le premier, à la demande du groupe LFI - NUPES, concerne les défaillances de l’ASE ; le second, les conditions d’accueil des enfants placés à l’ASE, à la demande du groupe Ecolo - NUPES.

Le groupe Les Républicains s’associe à la demande de création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance. Je ne vois pas d’obstacle à sa recevabilité : il s’agit de faire la lumière sur un service public dont chacun convient qu’il mérite un examen approfondi. Depuis plusieurs mois, les analyses le concernant sont légion, sans provoquer de réaction.

Le problème n’est pas la loi. Le code civil prévoit comment protéger les enfants ; il est inutile de modifier ou de densifier la législation. En revanche, il faut s’interroger sur les lacunes du système et les raisons de l’insuffisance de la protection accordée aux enfants. Le problème vient-il d’un manque de moyens, d’une mauvaise articulation des actions, de la doctrine de la prise en charge des enfants placés ? L’intérêt du sujet fait consensus : les enfants confiés à l’ASE ont subi les défaillances de leurs parents ; la nation a l’obligation morale d’en assumer les conséquences. Ces dernières semaines, des drames ont eu lieu – je suppose qu’ils ont motivé cette proposition de résolution. Je me réjouis que cette dernière donne l’occasion à l’Assemblée de faire son travail de contrôle et d’évaluation.

M. Nicolas Turquois (Dem). Nous constatons un dysfonctionnement majeur. Évidemment, nous respectons le droit du groupe Socialistes et apparentés d’exercer son droit de tirage. Toutefois, la délégation aux droits des enfants a commencé un travail sur ce sujet, qui doit dépasser les clivages politiques. Il faut coordonner ces différents travaux, et éviter qu’ils ne se percutent.

M. Paul Christophe (HOR). L’ASE est un service départemental essentiel, chargé de protéger les enfants en danger ou vulnérables. En 2021, on a recensé en France quelque 377 000 mesures relevant de la protection de l’enfance, concernant environ 2 % des mineurs.

Les membres du groupe Horizons et apparentés sont conscients des difficultés auxquelles l’ASE est confrontée. J’ai constaté leur ampleur comme membre de la délégation aux droits des enfants, et comme membre de la mission d’information de 2019 sur l’ASE, dont Mme Perrine Goulet était rapporteure. Le rapport a, par exemple, relevé que le suivi psychologique des enfants était très limité, voire inexistant.

Conscients des enjeux, le Gouvernement et la majorité ont agi ces dernières années. La stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022 a abouti à la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Celle-ci a apporté plusieurs réponses, notamment dans le domaine de l’hébergement, en interdisant de placer à l’hôtel les mineurs et les jeunes majeurs confiés à l’ASE. Elle a également amélioré la santé en instaurant un suivi annuel de chaque enfant. En 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a déployé le troisième plan contre les violences faites aux enfants, pour les années 2023 à 2027. Il prévoit notamment un dispositif automatisé de contrôle des antécédents judiciaires des personnes intervenant dans l’accueil du jeune enfant et la protection de l’enfance.

Le groupe Socialistes et apparentés a exercé son droit de tirage annuel pour créer une commission d’enquête consacrée à la protection de l’enfance. Le groupe Horizons et apparentés soutient cette démarche.

M. Jérôme Guedj (SOC). Nous avons fait ce choix, après un débat intéressant, parce que nous estimons qu’il faut changer de braquet. Vous avez mentionné d’autres travaux parlementaires ; la création de la commission d’enquête confirmera l’intérêt que la représentation nationale accorde à ces sujets que nous étudions tous, sans constater de changement global d’approche.

Tous les clignotants sont au rouge. Les départements sont responsables de l’ASE ; ils seront évidemment interrogés. Toutefois, l’ASE évoluant dans un environnement, il nous faudra également analyser son articulation avec la justice, avec l’éducation nationale, avec les services de santé, en particulier s’agissant de l’accès aux soins psychiatriques, et avec les services chargés des personnes handicapées.

Nous sommes à la croisée des chemins. Il ne s’agit pas de désigner les gentils et les méchants, mais de prendre acte de la faillite d’une politique publique, qui nous oblige tous à agir. La commission d’enquête dispose de prérogatives, comme le droit de visiter des lieux habituellement fermés aux parlementaires, notamment des pouponnières et des hôtels accueillant des jeunes confiés à l’ASE, et d’interroger sous serment des responsables ministériels et départementaux, différents professionnels et les jeunes concernés. Je suis convaincu qu’elle pourra créer l’électrochoc nécessaire pour élaborer des réponses. Certaines seront peut-être de nature législative, d’autres, budgétaire : nous n’échapperons pas à l’épineuse question des finances locales et des conséquences d’une décentralisation pas toujours compensée.

Nous sommes donc heureux de vous présenter la présente proposition de résolution, qui s’inscrit dans le cadre d’un travail méthodique sur la protection de l’enfance, puisqu’Isabelle Santiago s’est déjà fortement mobilisée en faveur de l’adoption d’un seuil de non‑consentement sexuel, de l’accompagnement des jeunes de l’ASE jusqu’à 21 ans et de la loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, promulguée le 18 mars. Nous pouvons désormais nous rassembler autour de cette commission d’enquête, dont nous avons hâte de suivre les travaux.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). « Mon cœur est un peu saccagé par tout ça » : ces mots sont ceux de Lina, venue aujourd’hui à l’Assemblée nationale pour nous raconter son histoire, et pour nous demander des comptes. À 16 ans, elle s’est retrouvée livrée à elle-même du jour au lendemain, placée dans un hôtel par l’ASE. Il aura fallu des morts pour que le problème fasse enfin du bruit. Il y a deux mois, Lily, une adolescente de 15 ans, s’est pendue dans la chambre d’hôtel où elle était placée, dans le Puy‑de‑Dôme. Nous n’accepterions pas cela pour nos propres enfants. Pourtant, jusqu’à récemment, personne ne parlait de ces jeunes, invisibles, oubliés.

Heureusement, certains anciens enfants placés s’organisent, interpellent les responsables politiques, mettent le système en question. C’est le cas de Lyes Louffok, devenu un militant infatigable des droits des enfants ; sans lui, ce système ne serait peut-être pas apparu au grand public avec la même force. Au fond, quand on s’intéresse aux enfants placés, aux agressions sexuelles, aux réseaux de trafics en tout genre impliquant des mineurs, la question est toujours la même : comment instaurer une culture de la protection ?

Notre pays proclame fièrement ses valeurs au fronton des mairies ; il doit offrir à chaque enfant le droit à la protection, à l’éducation, à la sécurité affective. Or malgré les efforts de nombreux travailleurs sociaux dévoués, le système ne fait souvent qu’aggraver la situation de jeunes déjà affaiblis par des circonstances malheureuses. Lucie, 14 ans, est placée en famille d’accueil depuis qu’elle a 5 ans ; elle a changé de famille pas moins de six fois, chaque déménagement ébranlant un peu plus sa confiance en elle. Comment peut-elle envisager l’avenir, alors que son présent est si précaire ? Et que dire de Thomas, 16 ans, brillant à l’école mais contraint d’abandonner ses rêves d’études supérieures pour entrer précipitamment dans la vie active, faute de soutien adapté ? Ces histoires ne sont pas isolées ; elles reflètent une réalité bien plus vaste, celle de milliers d’enfants dont les droits fondamentaux sont négligés et dont les voix sont étouffées.

Ces jeunes, nous les recevons aujourd’hui même, à l’occasion des débats inscrits à l’ordre du jour à la demande des groupes La France insoumise et Écologiste. Certains d’entre eux se sont regroupés en un comité de vigilance – je salue leur courage. En tant que législateurs, il est de notre devoir de mettre au jour les injustices, de mettre en cause le statu quo et d’agir pour que chaque enfant bénéficie des mêmes chances de se développer sereinement. Pour ces raisons, je soutiens avec détermination la création de la commission d’enquête sur les politiques de protection de l’enfance – je remercie Mme Santiago d’en être la rapporteure –, avec pour seul objectif de ne laisser aucun enfant derrière.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Depuis plusieurs années, des signaux d’alerte s’allument, des témoignages émergent dans l’actualité. Trop souvent, ce sont des signaux de détresse. Nous devons prendre la mesure de situations, auxquelles il ne faut pas nous habituer. L’ASE, l’accompagnement des enfants et des jeunes, ne doivent pas constituer des sujets annexes ; la responsabilité est collective – publique. Nous, ici, avons une responsabilité majeure. Je remercie nos collègues d’avoir pris l’initiative de demander la création de cette commission d’enquête. Elle nous permettra de poursuivre le travail de mise au jour, et surtout de prendre des décisions indispensables.

La commission d’enquête devra examiner tout le parcours, de l’entrée dans le dispositif à la sortie, laquelle fait partie des aspects les plus délicats et requiert de nouvelles dispositions. Elle devra mettre en lumière les failles de l’organisation, les disparités de traitement en fonction des territoires et l’évolution des dispositifs, parfois leur dégradation. Il faudra évaluer les structures et les moyens nécessaires pour être à la hauteur des enjeux et satisfaire les besoins des enfants et des jeunes concernés. Les conditions de sa création sont réunies, et nous soutenons son principe.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Je remercie le groupe Socialiste d’avoir usé de son droit de tirage pour créer cette commission d’enquête. Les conditions de recevabilité sont évidemment réunies. Il faut rappeler ce qui a motivé cette création : nous sommes très loin d’avoir une politique de protection des enfants unifiée et efficace. Les drames que nous découvrons, de manière répétée, sont chaque fois un nouveau déchirement et une preuve supplémentaire que les lois que nous avons adoptées ces dernières années ne suffisent pas ou ne sont pas appliquées.

La semaine prochaine, nous discuterons de l’application de la loi que nous avons adoptée en 2022. D’ores et déjà, nous pouvons dire notre incompréhension : comment expliquer que le décret d’application sur l’interdiction d’accueil en hôtel ait été pris deux ans après la promulgation de la loi, alors même que nous affirmions déjà, à l’époque, l’urgence d’agir ? Nous avons l’obligation de garantir la sécurité de ces enfants. Les pouvoirs publics échouent.

Cet après-midi en séance publique, dans le cadre de nos travaux de contrôle, nous consacrerons deux débats à l’ASE. Je rappelle que sur 100 000 mineurs qui se prostituent en France chaque année, 80 % sont issus de l’ASE : c’est un véritable scandale et un exemple parmi tant d’autres des dysfonctionnements de notre politique de protection.

Les enjeux sont multiples : accueil des enfants mineurs non accompagnés, prévention, éducation, scolarité, diminution du nombre d’assistants familiaux, accompagnement au-delà de 18 ans. La création d’une commission d’enquête sur ce sujet est donc non seulement recevable, mais surtout indispensable.

Mme la rapporteure. Je remercie l’ensemble des groupes pour leur engagement unanime en faveur de ce sujet – je n’en doutais d’ailleurs pas. Je le prends comme une exigence car tous les clignotants sont au rouge. Cela fait presque dix ans que je travaille sur ce sujet, d’abord comme vice-présidente du département du Val-de-Marne, chargée de la protection de l’enfance, puis à l’Assemblée nationale, au sein de la délégation aux droits de l’enfant. J’ai relu une grande partie des rapports qui ont été publiés sur ces questions : tout y est, en particulier sur les besoins fondamentaux des enfants.

Il s’agit donc désormais de se pencher sur cette réalité. Nous devons accorder une véritable place aux jeunes, en nous inspirant du travail mené par la commission Laurent, au Québec, même si son rôle était un peu différent – la commission était extérieure au Parlement et conseillait le législateur sur les orientations à prendre. Les jeunes seront à nos côtés dans nos travaux, puisque nous aurons à cœur de recueillir leurs propositions lors des auditions qui seront menées.

Selon moi, le point majeur concerne les petits : pour se construire, ils ont un besoin fondamental de sécurité. J’ai eu la chance, avec Michèle Peyron, de rédiger un rapport sur le fonctionnement des crèches. Nous étions un peu sorties du cadre qui nous avait été fixé pour montrer l’importance des 1 000 premiers jours dans le développement de l’enfant. Le décret de 1974 relatif aux pouponnières et aux crèches n’est plus adapté. Il est urgentissime que nous intervenions sur ces sujets et je compte sur vous tous pour combler ces failles. Tous les clignotants sont au rouge, y compris pour la vie professionnelle des travailleurs sociaux. L’important, c’est que nous trouvions des pistes d’amélioration très concrètes dans l’intérêt des enfants.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Sur ce sujet sensible, l’accord des groupes de la commission est unanime. Il ne nous reste plus qu’à travailler pour trouver des solutions pratiques.

En application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission constate que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance sont réunies.

 

Enfin, la commission examine, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public (n° 2391) (M. Christophe Naegelen, rapporteur).

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Lors de la Conférence des présidents du 26 mars dernier, le groupe Libertés, Indépendants, Outremer et Territoires a fait usage du droit de tirage conféré par l’article 141, alinéa 2, du Règlement aux groupes d’opposition ou minoritaires, en vue de la création d’une commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public.

En application de l’article 140, alinéa 2, il revient à la commission de vérifier que les conditions requises par le Règlement sont réunies, sans se prononcer sur l’opportunité de cette initiative.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. À ma demande, le groupe LIOT a choisi de faire usage de son droit de tirage pour demander une commission d’enquête sur les difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public. Nous sommes face à l’évidence : fermeture de lits et de services entiers de maternité, fuite de personnels soignants et médicaux, explosion de l’absentéisme et du recours à l’intérim, délabrement des bâtiments, j’en passe et des meilleures, notre service public hospitalier est en déliquescence.

L’hôpital public est pris dans une spirale infernale que l’électrochoc de la crise sanitaire et le sursaut du Ségur de la santé n’ont pas permis de freiner. Au contraire, elle semble même s’être accélérée au cours de la période récente. Si ce constat est bien connu et largement partagé, notre incapacité collective à renverser la vapeur, alors même qu’il s’agit d’un enjeu vital pour notre système de santé, montre bien que nous n’avons pas assez travaillé sur les causes de cet effondrement.

Les tentatives pour colmater les brèches, à coups de revalorisations salariales, de plans d’investissement, de régulation du recours à l’intérim médical et soignant, n’y font rien, malgré les milliards d’euros qui ont été mis sur la table depuis 2020. Nous ne faisons que mettre des pansements sur une jambe de bois.

Mon groupe pense profondément que si nous voulons sauver l’hôpital public, nous devons chercher le mal à la racine, mieux comprendre l’enchaînement des causes, identifier les responsabilités dans le délitement à l’œuvre. Quelle a été la part du manque de moyens et d’investissement au fil des années ? Quelles décisions administratives, politiques ou médicales ont accéléré cette chute ? Quelles en ont été les étapes ? Quelle a été la part des politiques conduites à l’échelle nationale et des responsabilités locales ? Il est essentiel de répondre à ces questions pour identifier les solutions les plus pertinentes si nous voulons redresser l’hôpital.

C’est un enjeu vital pour nos concitoyens, dont les jours peuvent être mis en danger s’ils n’ont pas accès à une prise en charge de qualité, à une distance raisonnable de leur domicile. Mais c’est aussi un enjeu de démocratie : comment accepter la rupture majeure d’égalité résultant des difficultés d’accès aux soins dans certains territoires ou pour certaines franges de la population ?

Pour travailler utilement, notre commission d’enquête pourrait séquencer ses travaux en deux phases. Dans un premier temps, il s’agirait de conduire une série d’auditions à l’échelle nationale pour entendre l’ensemble des acteurs politiques, administratifs, médicaux et associatifs concernés afin de préciser notre analyse de l’origine et des étapes de la déliquescence du service public hospitalier. Dans un second temps, nous procéderions à un audit complet de quelques territoires dans lesquels nous nous déplacerions à la rencontre de l’ensemble des acteurs locaux, de l’agence régionale de santé (ARS) aux soignants. Cela nous permettrait de mieux distinguer ce qui résulte des politiques nationales de ce qui relève de causes plus locales. Bien entendu, il ne s’agirait pas d’en rester à un constat d’échec et à la mise en évidence des responsabilités. Notre rapport sera force de proposition pour le Gouvernement, qui ne sait plus par quel bout prendre le problème.

J’ai brossé à grands traits les réflexions qui motivent notre proposition de résolution car il me semblait légitime que notre commission soit éclairée, même si elle n’a pas à se prononcer sur l’opportunité d’une telle démarche. Notre groupe ayant fait usage de son droit de tirage, la commission d’enquête sera en effet créée de droit, pour peu que les conditions de recevabilité soient respectées.

Je vous les rappelle rapidement. Tout d’abord, la commission d’enquête doit porter sur des faits précis ou sur la gestion d’un service public. On peut difficilement prétendre que ce n’est pas le cas puisqu’il s’agit très explicitement de se focaliser sur le service public hospitalier.

Ensuite, la commission d’enquête ne doit pas porter sur des faits pour lesquels une procédure judiciaire est en cours. De ce point de vue, nous pouvons être rassurés : dans un courrier reçu hier soir, le garde des sceaux, interrogé sur ce point par la Présidente de l’Assemblée nationale, a indiqué qu’il n’avait pas connaissance de procédures en cours susceptibles de recouvrir le périmètre de la commission d’enquête envisagée. La deuxième condition est donc remplie.

Enfin, la commission d’enquête ne doit pas porter sur un sujet pour lequel les pouvoirs d’enquête reconnus aux parlementaires ont été mobilisés au cours des douze derniers mois. En l’occurrence, sans même parler de l’hôpital public, aucune commission d’enquête n’a directement porté sur le champ sanitaire depuis le début de la XVIe législature. Nous pouvons donc être tranquillisés sur ce point.

Au terme de cet exposé, je pense que nous pouvons considérer que la recevabilité de la proposition de résolution que je vous présente ne fait pas débat. Je vous encourage donc à enrichir de votre participation les travaux de notre commission d’enquête, qui débuteront après la suspension des travaux parlementaires d’avril.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Paul Midy (RE). La santé est au cœur de nos services publics et de notre pacte républicain. Il est donc très utile de faire toute la transparence sur la situation actuelle et de déterminer comment nous en sommes arrivés là. Nous devons travailler collectivement pour appréhender les enjeux, trouver les solutions et les appliquer dans le cadre des contraintes de notre système de santé, qui sont évidemment très fortes.

M. Christophe Bentz (RN). La création d’une commission d’enquête sur les difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public est bienvenue. Je rappelle toutefois que la désertification médicale est un phénomène ancien et grave, car il a pour conséquence principale une perte de chance pour les Français, qui renoncent nombreux à se soigner et à vivre en bonne santé : ce n’est pas digne d’une grande nation au XXIe siècle.

Cette situation n’est pas le fruit du hasard ou d’une conjoncture ; il y a des responsables, des gens qui ont fait des choix politiques en matière de santé – de mauvais choix, en l’occurrence. J’espère que cette commission sera l’occasion de pointer les responsables – gouvernants, politiques, État, ARS – qui ont contribué à désertifier notre pays et à faire reculer les services publics de santé dans nos territoires.

Enfin, j’aimerais que l’examen du texte sur la fin de vie soit l’occasion de faire un point sur l’état des services de soins palliatifs à l’hôpital public.

Mme Farida Amrani (LFI - NUPES). La situation de l’hôpital public est dramatique. En trente ans, le meilleur système hospitalier public au monde est devenu un hôpital déshumanisé, au bord de l’implosion.

Trente ans de politique néolibérale ont conduit à la casse de notre service public hospitalier. Alors qu’elles étaient fondées jusque-là sur l’analyse des besoins, les politiques de santé se sont tournées vers une véritable marchandisation de la santé, représentée par la tarification à l’acte, entre autres. Malgré les nombreuses crises traversées, le cap n’a pas changé et le Gouvernement réalise toujours plus d’économies. Nous constatons, impuissants, une véritable organisation de la fuite vers le privé. Les habitants de la première circonscription de l’Essonne, dont je suis députée, peuvent en témoigner : faute de moyens, la maternité du Centre Hospitalier Sud Francilien renvoie les patientes pratiquement systématiquement vers les cliniques privées.

Le 28 juillet 2022, le groupe La France insoumise a lancé une opération « Allô Ségur », illustrant la stratégie insoumise « un pied dedans, un pied dehors ». Nous avons visité 80 établissements et recueilli 500 témoignages, mettant ainsi en lumière une souffrance généralisée du personnel hospitalier et des patients face à la dégradation des conditions de travail dans nos hôpitaux, exacerbée par la pandémie de covid-19. Les politiques d’austérité persistantes ont plongé le système de santé dans une crise grave et chronique. Malgré les multiples alertes des soignants et des usagers, les gouvernants successifs n’ont pas apporté de changement structurel, comme en témoigne la fermeture massive des services d’urgence.

La Fédération hospitalière de France (FHF) se montre, elle aussi, critique des décisions budgétaires du Gouvernement, soulignant qu’après une ponction de plus de 300 millions d’euros sur les fonds destinés à l’hôpital public, l’aide exceptionnelle de 500 millions d’euros s’avère insuffisante pour faire face aux besoins réels. Ces arbitrages alourdissent le déficit important des hôpitaux publics et aggravent une situation budgétaire déjà précaire. La FHF appelle donc le Gouvernement à garantir la pérennité du système de santé.

La France insoumise partage la position du groupe LIOT : la responsabilité des dysfonctionnements et de la crise de l’hôpital public est ancienne et collective ; elle est le résultat de plusieurs décennies de décisions politiques et administratives. Il nous paraît impératif de remettre en question les politiques menées pour parvenir à des solutions pérennes et pour combattre l’éloignement de l’accès aux soins subi par nos concitoyens. C’est pourquoi nous soutenons cette proposition.

M. Philippe Juvin (LR). Voilà une initiative très heureuse, car ce sujet préoccupe tout le monde. L’année dernière, 70 % des hôpitaux ont fermé des lits en médecine et 29 % ont fermé des lits en chirurgie. Alors que 30 % des postes de médecins hospitaliers sont vacants, nous n’avons reçu que 3 000 candidatures sur les 10 000 postes vacants publiés au concours de praticiens hospitaliers. C’est donc un sujet absolument capital, qui est en train de nous submerger, avec des conséquences sur l’accès aux soins qui se fait mal, et probablement une surmortalité et une surmorbidité.

Le syndicat Samu-Urgences de France, qui fut un temps présidé par l’ancien ministre de la santé François Braun, avait créé le No Bed Challenge, qui consistait à compter chaque nuit le nombre de patients dormant sur un brancard aux urgences. Il a estimé qu’en décembre 2022, 150 personnes étaient décédées faute de soins ou en raison d’un retard dans les soins. Les conséquences sont donc considérables.

Quant aux causes que vous aurez à étudier, elles sont multiples. Certaines sont financières : l’argent va-t-il vraiment aux soins ? D’autres sont liées à l’hôpital lui-même : la gouvernance, l’hyperbureaucratie envahissante qui rend le temps médical disponible relativement faible, les ressources humaines aussi.

La crise de l’hôpital, c’est aussi la crise du système de santé et on voit bien que quand la médecine de ville ne fonctionne pas, les hôpitaux ne fonctionnent pas. Est-ce que l’hôpital fait ce qu’il devrait faire ? Est-ce à l’hôpital de faire le suivi des maladies chroniques ? Ne devrait-il pas être le lieu des diagnostics difficiles ou des traitements des complications aiguës des maladies chroniques, plutôt que de vouloir tout faire ? Il y a également une question démographique, à la fois des patients, qui vieillissent, et des médecins et des infirmières, qui sont moins nombreux.

Enfin, c’est un enjeu démocratique : moi qui suis médecin, je sais où me faire soigner et je sais surtout où ne pas me faire soigner. Je sais où me faire opérer et où ne pas me faire opérer, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

M. Nicolas Turquois (Dem). Pour ma part, j’avoue avoir des interrogations sur l’objet réel de cette commission d’enquête. S’agit-il d’analyser les causes profondes des difficultés structurelles de l’hôpital ou d’en faire un objet politique ? La question reste ouverte. L’hôpital est confronté à des défis réels, mais ceux-ci peuvent donner lieu à de puissants effets de loupe médiatiques et politiques. Alors que nous dépensons beaucoup plus pour l’hôpital que nos voisins et qu’il y a sept ans, on a l’impression que rien ne va. Sur le terrain, je constate pourtant que des hôpitaux et leurs soignants font un travail formidable. Veillons à ne pas jeter de l’acide sur le fonctionnement de l’hôpital à force de dire que rien ne va, et soyons très attentifs à l’orientation donnée à cette commission d’enquête.

Il faut s’interroger sur les difficultés de recrutement : le nombre de médecins formés reste insuffisant et la suppression du numerus clausus ne donnera ses effets que sur le temps long ; il faut le mesurer. Ne négligeons pas la compétition aux effets délétères que les hôpitaux de proximité se livrent parfois au lieu de coopérer. N’oublions pas non plus de parler d’efficacité. Au-delà des sujets régulièrement évoqués, nous devons aborder avec lucidité ces questions politiques et syndicales. Ce travail peut être utile s’il est fait avec attention.

M. Paul Christophe (HOR). L’objet de cette commission d’enquête dont il est demandé la création serait de questionner les responsabilités politiques, administratives et médicales dans la crise grave de l’hôpital public, qui nuit à l’accès aux soins des citoyens. Telle que la demande est formulée, je comprends qu’il s’agit d’examiner les causes de la crise pour pouvoir y remédier à l’avenir.

Nous sommes tous conscients de la situation critique dans laquelle se trouve l’hôpital public depuis plusieurs années. Face à cette situation, le Gouvernement et la majorité cherchent à réformer en profondeur ce secteur, en plus des aides exceptionnelles mises en place durant la crise sanitaire, afin de retrouver une situation pérenne pour les soignants comme pour les patients. Le Ségur de la santé, organisé en 2021 avec les représentants du secteur, tendait à réformer le système de santé actuel. Des investissements importants ont été réalisés afin d’améliorer la prise en charge des patients et le quotidien des soignants, et de revaloriser les métiers des établissements de santé.

Le groupe Horizons et apparentés est particulièrement sensible aux conditions de travail des soignants et à l’accès aux soins, comme en témoigne la proposition de loi de notre ancien collègue et désormais ministre délégué Frédéric Valletoux visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, adoptée à l’Assemblée le 15 juin dernier et promulguée le 27 décembre.

Soutenant cette initiative, nous serons très attentifs aux travaux menés et aux conclusions de cette commission d’enquête. Notre groupe prend acte de ce choix, selon la formule consacrée, dès lors que la proposition de résolution répond aux critères de recevabilité.

M. Jérôme Guedj (SOC). Lucas, Cathy, Achata, Thérèse et peut-être beaucoup d’autres... Ces personnes sont mortes récemment aux urgences. Si l’hôpital allait mieux, peut‑être en serait-il allé autrement. Comme le rappelle l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, au cours du seul mois de décembre 2022, 150 personnes sont décédées sur des brancards, faute de prise en charge, du fait du manque de lits et de personnels, selon le syndicat Samu-Urgences de France. Fermeture de lits, de services d’urgence et de maternités : le manque d’accès aux soins touche tous les territoires, mais certains plus que d’autres – je pense particulièrement aux habitants des territoires ruraux et ultramarins.

Je partage le constat concluant l’exposé des motifs de cette proposition de résolution : « Toute la lumière doit être faite sur les dysfonctionnements de notre hôpital public, afin de pouvoir proposer des solutions concrètes pour qu’aucun citoyen ne soit éloigné de l’accès aux soins, sur aucun de nos territoires. » Mais pour cela, au moment de la création de cette commission d’enquête, peut-être faut-il envisager d’aller plus loin.

C’est bien d’évaluer les difficultés d’accès aux soins et de tenter d’identifier les solutions pour y remédier, mais il faut aussi remonter aux choix politiques. Il faut ainsi s’interroger sur la construction et la définition nationale de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, sur la manière dont il ruisselle sur chacun des établissements hospitaliers. Il faut analyser la faible attractivité des métiers et anticiper un possible effondrement de l’offre humaine pour faire tourner les hôpitaux car la crise est probablement devant nous. Il faut remettre en question le mode de management et l’organisation du temps de travail à l’hôpital, le lien entre la médecine de ville et le médico-social, l’articulation avec le secteur privé.

Ce sont autant de sujets systémiques qui dépassent la seule question de l’accès aux soins pour chacun des patients. Sinon un big bang, c’est un questionnement principiel sur l’organisation de l’hôpital public. Nous sommes évidemment pour la création de cette commission d’enquête.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Le groupe LIOT propose de créer une commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public, initiative que nous ne pouvons qu’encourager. Ces difficultés d’accès aux soins, je la constate chaque semaine en me rendant dans les différents hôpitaux de France, dans le cadre de la mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques, dont je suis corapporteure avec Nicole Dubré-Chirat.

Que ce soit à Lille, Nantes, Angers, Marseille, Strasbourg, Issy-les-Moulineaux ou Paris, nous constatons des situations plus qu’alarmantes : des services entiers d’urgences psychiatriques sont fermés faute de psychiatres et de pédopsychiatres, ce qui contraint les patients à faire de longs trajets – une heure, voire davantage. À Cholet, où le service spécialisé a fermé, les patients doivent ainsi se rendre à l’hôpital de Nantes. Dans certains cas, les services tiennent à bout de bras, grâce à des soignants qui se sacrifient en faisant des heures supplémentaires et en tournant entre différents établissements, au détriment de leur propre santé. Une pédopsychiatre nous a même confié qu’elle avait dû, faute de lit, renvoyer chez lui un enfant de 10 ans qui avait fait une tentative de suicide, en priant pour qu’il ne se passe rien de grave dans la nuit. Voilà la situation de notre système de santé.

Vous me direz peut-être que seule la psychiatrie est touchée, que les autres services sont mieux lotis. Nous avons des raisons d’en douter : d’autres services, comme les urgences généralistes ou la pédiatrie, sont régulièrement en grève pour revendiquer de meilleures conditions de travail et dénoncer les conditions d’accueil des patients. Quoi qu’il en soit, il faut poser la question de l’accès de tous et toutes à tous les services de l’hôpital public. Nous vous remercions donc d’avoir proposé la création de cette commission d’enquête.

M. Laurent Panifous (LIOT). Chacun de nous connaît l’état critique de notre système de santé, que ce soit en ville, notamment dans le secteur médico-social, mais aussi à l’hôpital où la crise dure depuis plusieurs dizaines d’années et risque de s’aggraver avec le vieillissement de la population. Nous devons garder à l’esprit le lien indissociable qui existe entre le secteur de la médecine de ville et l’hôpital, qui fait que les difficultés de l’un dégradent forcément la situation de l’autre.

Nous proposons une commission d’enquête centrée sur la situation spécifique et complexe de l’hôpital public, pilier de l’offre de soins, et sur l’égalité face à la santé. Nous allons analyser le fonctionnement des hôpitaux et les difficultés de toute nature qu’ils rencontrent : budget, modèle tarifaire, conditions matérielles, recrutement et formation des soignants. Nous devrons étudier les grandes différences qui existent entre la ville et le monde rural, entre les grands centres hospitaliers et les petits hôpitaux de proximité. Nous devrons aussi nous interroger sur la pertinence du pilotage central et territorial actuel.

La santé étant la priorité des Françaises et des Français, il est légitime que nous nous interrogions sur le fonctionnement d’un pilier du secteur, l’hôpital public.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Nous passons aux interventions des autres députés.

Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). À titre personnel, je voulais vous remercier d’avoir mis en avant ces difficultés récurrentes que nous connaissons tous, en insistant sur leur ancienneté. Pour avoir exercé dans les hôpitaux depuis trente ans, je peux constater que beaucoup d’argent a été investi dans l’immobilier, le mobilier, les évolutions salariales – même si ce n’est pas forcément suffisant –, et l’organisation de l’accès aux urgences. Au fil des ans, les services d’urgence ont vu affluer des patients sans cesse plus nombreux, qui ont fini par considérer que c’était le circuit habituel. L’afflux a provoqué une saturation totale de ces services, malgré les filtres mis en place tels que l’appel au 15 et la permanence des soins – qui n’est pas exercée partout de la même façon –, comme nous l’avons constaté en psychiatrie, secteur qui est sans doute le plus en difficulté. Il faut dresser le constat des mesures prises et des dysfonctionnements, mais aussi réfléchir à l’évolution d’un système qui est à bout de souffle, en travaillant sur la complémentarité entre l’hôpital et le milieu extrahospitalier. C’est nécessaire pour rendre le travail attractif et intéressant dans ce secteur.

M. Cyrille Isaac-Sibille, président. Monsieur le rapporteur, vous vous attaquez à un sujet vaste, compliqué, aux multiples facettes : financement, management, patientèle, missions. L’hôpital public est à la fois un recours, un pôle d’excellence et un lieu de formation. Les établissements sont d’une grande variété : centre hospitalier universitaire, hôpital général, hôpital de proximité sur lequel pèsent de nombreuses interrogations. Quitte à s’attaquer une tâche aussi ample, il aurait été intéressant de parler de secteurs hospitaliers en général, car les systèmes hospitaliers public et privé ne fonctionnent pas de la même manière et ne rencontrent pas les mêmes difficultés. Les uns peuvent s’inspirer des autres. Aux cours de vos travaux, qui s’annoncent d’ampleur, il serait intéressant d’observer ce qui fonctionne bien chez l’un pour essayer de l’appliquer chez l’autre.

M. le rapporteur. En effet, le sujet est vaste et ne se prête pas au morcellement : on ne peut pas en étudier qu’un aspect, favoriser la psychiatrie par rapport aux urgences ou à la maternité, les trois secteurs étant en difficulté sur notre territoire.

Tout d’abord, je voulais remercier Laurent Panifous pour son intervention et tous les collègues de mon groupe pour avoir accepté de soutenir cette demande de commission d’enquête. Nous avons défini le sujet de manière à faire un audit global du secteur hospitalier – pilotage, management, comparaisons entre centres de taille différente et entre établissements publics et privés. Le titre de la commission d’enquête fait référence à l’hôpital public dont nous voulons étudier les financements et les dotations, par opposition à ce qui est donné aux hôpitaux privés. Ces derniers représenteront donc une part importante de notre travail, ne serait-ce que pour nous permettre d’appréhender les différences avec le secteur public, en termes de management ou de chances, par exemple.

Paul Midy, Christophe Bentz et d’autres ont rappelé que cette tâche nous incombait à tous. Je les en remercie et j’espère que nous pourrons travailler ensemble dans un esprit de concorde et dans l’intérêt commun. Farida Amrani, notre collègue de La France insoumise, a évoqué les positions de la FHF, dont les représentants seront sans doute parmi les premières personnes à être auditionnées par notre commission. Quant au délitement des urgences, rappelé par notre collègue Philippe Juvin, il sera aussi au menu de nos travaux, associé aux problèmes de gouvernance.

Cher collègue Turquois, je suis content d’apprendre qu’il y a moins de problèmes dans le département de la Vienne qu’ailleurs. Dans leur très grande majorité, les collègues me rapportent les soucis que rencontrent leurs hôpitaux. Nous dépensons plus que nos voisins pour nos hôpitaux, dites-vous. Mais dépense-t-on mieux ? Étant soucieux des deniers publics, nous aurons aussi à répondre à cette question.

Vous avez eu raison, cher collègue Christophe, de rappeler qu’il fallait identifier les causes pour trouver les solutions, et de faire référence à la proposition de loi de Frédéric Valletoux. J’aurais aimé que l’on aille encore plus loin, même si ce texte représente une bonne première étape. Comme l’indiquait Jérôme Guedj, il s’agit d’un sujet systémique et nous l’aborderons comme tel dans cette commission d’enquête.

Vous avez insisté, madame Rousseau, sur les difficultés rencontrées par la psychiatrie et la pédopsychiatrie, que nous examinerons dans le cadre de problématiques plus générales telles que celle des moyens.

Vous connaissez le système de l’intérieur, madame Dubré-Chirat. En réponse à votre intervention, je voudrais réitérer mon souhait de travailler avec tous et d’organiser des auditions nombreuses et variées. Comme je l’ai déjà indiqué, j’aimerais que nous prenions deux régions – peut-être trois avec une d’outre-mer –, et que nous fassions un audit descendant complet, depuis la direction générale de l’ARS jusqu’au personnel travaillant dans l’hôpital local, afin d’établir des comparaisons entre les régions et d’identifier les niveaux où se concentrent les difficultés. Évidemment, ces audits ne seront réalisés qu’après l’audition de tous les acteurs nationaux, notamment des ministres successifs en remontant au moins jusqu’à Xavier Bertrand, et des représentants des associations, des fédérations de médecins et autres.

Lors de la précédente législature, j’avais été rapporteur de la commission d’enquête sur les moyens des forces de sécurité, qui avait donné lieu à un audit complet de notre police et de notre gendarmerie et dont certaines propositions avaient été reprises dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Les commissions d’enquête servent précisément à cela : constater des manquements et élaborer des propositions de manière transpartisane afin d’améliorer la vie de nos concitoyens. C’est dans cet esprit que les députés du groupe LIOT proposent aujourd’hui la création d’une commission d’enquête sur l’hôpital public.

En application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission constate que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête relative aux difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public sont réunies.

 

 

La réunion s’achève à onze heures quarante.


Présences en réunion

 

Présents.  M. Éric Alauzet, Mme Farida Amrani, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Fanta Berete, Mme Anne Bergantz, Mme Sylvie Bonnet, Mme Chantal Bouloux, M. Victor Catteau, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, M. Paul‑André Colombani, Mme Josiane Corneloup, Mme Laurence Cristol, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Ingrid Dordain, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Marc Ferracci, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, M. Jérôme Guedj, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, M. Philippe Juvin, Mme Rachel Keke, Mme Laure Lavalette, Mme Katiana Levavasseur, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, M. Paul Midy, M. Christophe Naegelen, M. Yannick Neuder, M. Laurent Panifous, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Maud Petit, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, Mme Isabelle Santiago, M. Nicolas Turquois, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Alexandre Vincendet, M. Stéphane Viry

Excusés.  Mme Clémentine Autain, M. Louis Boyard, M. Elie Califer, Mme Caroline Fiat, Mme Justine Gruet, Mme Sandrine Josso, M. Didier Le Gac, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Isabelle Valentin

Assistaient également à la réunion.  M. Arthur Delaporte, M. Benjamin Saint-Huile