Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

– Audition, ouverte à la presse, du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’Armée de Terre, sur le projet de loi de finances 2024.

 


Mercredi
11 octobre 2023

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 09

session ordinaire de 2023-2024

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 


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La séance est ouverte à neuf heures.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, je souhaite la bienvenue au général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre. L’année 2024 marquera la première année de mise en œuvre de la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030. Il s’agit d’une LPM dite de transformation, en particulier pour l’armée de terre qui mène une modernisation d’ampleur à travers le passage au nouveau modèle « armée de terre de combat », dont vous pourrez nous rappeler le contenu, le sens des inflexions et le calendrier.

Le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui est bien sûr de connaître votre sentiment sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Les montants de 13,58 milliards d’euros sont affectés au programme 178 « Préparation et emploi des forces », dont près de 2,2 milliards d’euros en crédits de paiement pour l’action « Préparation des forces terrestres », soit une hausse de 16 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023. Vous nous direz, mon général, les priorités qui seront financées par ces augmentations de crédits, que scrute avec beaucoup d’attention notre rapporteur pour avis François Cormier-Bouligeon.

Sur le volet capacitaire, à la lumière des commandes qui seront passées et livrées l’année prochaine, vous pourriez revenir sur l’avancée du programme Scorpion et de la pérennisation du char Leclerc. L’armée de terre figure, par ailleurs, au cœur de nombreuses priorités de la LPM : la dronisation de nos forces armées ; la défense sol-air ou encore le développement de la robotique terrestre. Vous pourrez nous dire comment ces préoccupations se déclinent concrètement pour les forces terrestres dans le PLF 2024.

Enfin, mon général, l’exercice Orion a révélé les progrès restant à faire dans la numérisation et les systèmes d’information, mais également en matière d’épaisseur logistique et de soutien. Le projet de loi de finances permet-il d’améliorer ces points d’attention ? Enfin, nous souhaiterions aborder les questions des ressources humaines qui, nous le savons, sont au cœur de vos préoccupations. Plusieurs articles ont récemment évoqué les enjeux de recrutement et de fidélisation dans un contexte d’attractivité moindre par rapport au secteur privé. Sur l’ensemble de ces sujets et sur tous ceux que vous souhaiteriez aborder, nous attendons votre analyse.

M. le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre. Je vous remercie pour vos mots d’accueil.

Le projet de loi de finance 2024 permettra à l’armée de Terre de disposer des ressources, d’une part, pour poursuivre la modernisation de notre armée - nous passerons cette année de 25 % à 36 % de « Scorpionisation » - et d’autre part pour mener à bien un mouvement profond de réorganisation afin de gagner en réactivité. L’objectif de ce « choc de simplification » viser à une meilleure efficacité.

La loi de programmation militaire et le budget 2024 permettront avant tout à l’armée de terre de produire des effets en remplissant ses missions. La première réside dans la défense de notre « maison », de notre pays et de ses habitants, en métropole et outre-mer. Sa deuxième mission a pour objet d’exprimer une solidarité stratégique avec nos voisins et de participer à la défense collective, principalement en Europe. Sa troisième mission consiste à éviter le contournement au large.

Permettez-moi ce matin d’avoir une pensée pour les vingt-mille soldats de l’armée de Terre déployés en opérations, et en particulier pour ceux déployés au sud Liban et au Niger. Le sud Liban est en effet situé à proximité immédiate d’une explosion soudaine de violence qui menace de s’étendre. Au Niger, nos soldats ont entamé hier le mouvement de retrait demandé par le Président de la République ; il s’achèvera à la fin de l’année.

Parmi les effets produits par l’armée de terre en 2024 grâce aux ressources du projet de loi de finance, je souhaite insister sur ceux qui ont trait à la défense du territoire national. Cette année 2014 sera particulière avec la tenue des Jeux olympiques, moment majeur pour notre pays. L’armée de Terre y contribuera de différentes manières. Je rappelle par exemple qu’un tiers des médailles obtenues lors des précédents Jeux paralympiques ont été remportées par des membres des armées. Au-delà, l’armée de Terre participera à l’ensemble du mouvement olympique et pré-olympique, notamment au parcours de la flamme. Dans le cadre de cette mise en valeur, des manifestations sportives seront organisées par l’armée de Terre. Nous contribuerons enfin à la protection des Jeux olympiques. Si le contenu de cette contribution n’est pas complètement arrêté aujourd’hui, environ vingt mille soldats seront sollicités lors des Jeux, soit l’équivalent des troupes actuellement déployées sur l’ensemble de ses autres missions.

Par ailleurs, l’année 2024 verra la poursuite de l’opération Sentinelle, qui mobilise en permanence trois mille soldats, ainsi que la contribution à la border force pour lutter contre l’immigration illégale à nos frontières. L’armée de Terre poursuivra sa participation au dispositif Héphaïstos, qui a été moins sollicité en 2023 qu’en 2022. Les unités de la sécurité civile sont constituées par des unités de l’armée de Terre employées par le ministère de l’intérieur et de l’outre-mer. Une quatrième formation militaire de la sécurité civile (Formisc) sera créée.

L’année 2024 sera mémorielle, avec le 80e anniversaire des débarquements et de la libération progressive du pays. Nous célébrerons également le 110e anniversaire du début de la première guerre mondiale.

L’armée de Terre interviendra également outre-mer, notamment dans la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane, mais également à Mayotte, qui subit une grave crise de l’eau. Nous mènerons en outre de grands exercices dans les Caraïbes et en Polynésie française.

L’armée de Terre agira en faveur de la jeunesse. Sur une classe d’âge de huit cent mille jeunes, nous en touchons chaque année trois cent mille, notamment à travers les Journées défense citoyenneté (JDC) et les classes de défense et de sécurité globale. Nous impliquons quarante mille jeunes dans nos rangs : nous en recrutons vingt mille, nous en insérons treize mille via les dispositifs de service militaire adapté (SMA) et de service militaire volontaire (SMV), et nous en initions sept mille lors des périodes de préparation militaire.

L’année 2024 verra en outre le lancement d’un projet extrêmement ambitieux de réserves. Nous intégrerons deux mille réservistes supplémentaires et allons créer six bataillons : un par brigade opérationnelle. Nous placerons sous l’autorité du gouverneur militaire de Paris notre régiment de réserve du 24e régiment d’infanterie et avons déjà signé les premiers contrats de réservistes spécialistes de l’industrie. Nous expérimenterons en outre une implication beaucoup plus étroite des réservistes dans nos unités d’active.

En résumé, les ressources offertes en année 2024 doivent avant tout servir à produire des effets au profit de nos concitoyens, dans la défense de notre « maison » ; la défense collective, notamment en Europe ; ou dans la défense plus au large.

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie pour votre propos à la fois très large et synthétique sur l’actualité de l’armée de terre, qui a permis d’aborder les grandes transformations, les effets produits, la projection en opérations extérieures et sur le territoire national, la politique mémorielle, les actions dédiées à la jeunesse et les réservistes.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées sur les crédits de l’armée de Terre. Mon général, nous vous accueillons à nouveau avec plaisir au sein de la commission de la défense nationale et des forces armées. À travers vous, au nom de mon groupe Renaissance, mais je pense également au nom de tous les collègues réunis ici, nous souhaitons rendre hommage et témoigner de notre gratitude à tous les hommes et toutes les femmes de l’armée de terre, et en particulier à ceux récemment tombés en opération.

Rapporteur pour avis des crédits relatifs aux forces terrestres, je me félicite que pour sa première année de mise en œuvre, la LPM 2024-2030 récemment adoptée soit effectivement respectée. Je souhaiterais vous interroger en premier lieu sur la manière dont l’impératif de « cohérence avant la masse » se déclinera concrètement dans le PLF 2024 au profit des forces terrestres. Je pense en particulier aux enjeux relatifs à l’activité et à la préparation opérationnelles, qui étaient particulièrement prégnants lors de l’examen de la loi de programmation militaire. Dans un contexte fortement inflationniste, quels moyens mettez-vous en œuvre pour poursuivre l’amélioration de l’activité des forces terrestres, laquelle constitue un sujet majeur ?

Par ailleurs, la presse s’est fait l’écho de vos inquiétudes relatives à l’atteinte des objectifs de recrutement de l’armée de terre en 2023, s’agissant des militaires du rang principalement. Pourriez-vous revenir sur les raisons de ces difficultés et sur les attentes des forces terrestres en la matière pour 2024, tout en les mettant en perspective avec les problématiques liées à la fidélisation de l’ensemble des catégories de personnel ? Les moyens prévus par le projet de loi de finance 2024, notamment les mesures de revalorisation indiciaire, vous semblent-ils suffisants ? Les mêmes problématiques se font-elles ressentir pour le recrutement des réservistes opérationnels et des futurs volontaires du territoire national ? Quels sont les objectifs de l’armée de terre en la matière pour 2024 ?

Mon général, j’ai commencé mon propos par une pensée pour les soldats tombés récemment. Je voudrais le conclure en joignant nos pensées aux vôtres pour nos soldats déployés au Liban, dans ce contexte terrible d’attaques terroristes contre les Israéliens, que nous soutenons.

M. le général Pierre Schill. La cohérence, déjà au cœur de la loi de programmation militaire, est le maître mot de ce projet de loi de finance. Nous la retrouvons à la fois dans la construction et dans la mise en œuvre. Pour l’armée de Terre, cette cohérence revêt trois dimensions.

La première dimension, verticale, est d’ordre capacitaire. Elle concerne l’équilibre entre les équipements principaux, les équipements additionnels, le carburant, les munitions et l’entraînement. La deuxième dimension est latérale : l’efficacité de l’armée de Terre repose sur l’équilibre entre les capacités de commandement, de soutien et d’appui. La troisième dimension relève de la profondeur et de l’adaptation à l’émergence de menaces nouvelles. Nous entamons dès ce projet de loi de finance 2024 l’acquisition des capacités futures qui seront nécessaires pour maintenir cette cohérence dans le temps.

La préparation opérationnelle et l’activité seront au cœur des efforts consacrés par le projet de loi de finance 2024. L’activité est principalement portée par les crédits d’entretien programmé du matériel, qui s’élèveront à un milliard cinq cent mille euros en 2024.

Ces crédits d’entretien du matériel se répartissent de la manière suivante : un tiers est consacré à l’activité aérienne des hélicoptères ; un autre tiers à l’activité des blindés et des véhicules principaux ; le dernier tiers est dévolu au fonctionnement de l’armée de Terre « à hauteur d’homme », c’est-à-dire au fonctionnement de tous les autres véhicules. Ils permettent la préparation opérationnelle qui s’effectue d’abord au quotidien, dans nos unités.

Ensuite, cet effort quantitatif et qualitatif sur l’activité contribuera au succès de la transformation Scorpion. En effet, le projet de loi de finance conforte la poursuite de la livraison de nouveaux véhicules, et notamment des véhicules Scorpion. Trois nouveaux escadrons Jaguar seront créés et actifs l’an prochain. Les crédits permettront également à plus de deux mille cinq cent soldats de participer à des exercices internationaux, qui correspondent à la partie « haute » de l’entraînement que nous pouvons déployer. Parmi ceux-ci, je cite l’exercice Steadfast Defender 2024, qui rassemblera un grand nombre de membres de l’Otan dans le cadre d’un exercice de synthèse. Nous préparons également un exercice bilatéral de grande envergure qui sera mené avec les Américains en 2025, l’exercice Warfighter.

L’augmentation des crédits d’entretien programmé des matériels l’an prochain est de deux cent trente millions d’euros. Un quart de ce montant pour couvrir l’augmentation des coûts provoqués par l’inflation ; un quart pour améliorer la réactivité de notre armée de Terre, en augmentant notamment les stocks de pièces, les lots de projection et l’outillage ainsi que les munitions ; un quart pour acheter des petits équipements de cohérence, de capacités critiques, notamment dans le franchissement, dans notre parc de drones ou dans notre optique et notre transmission. Un quart pour augmenter la puissance de combat avec le lancement de la pérennisation du Leclerc.

Vous m’avez interrogé sur les difficultés en matière de recrutement. Pour l’armée de Terre, la ressource humaine représente notre bien le plus précieux, par sa quantité, sa qualité, sa structure et l’esprit guerrier général qui anime nos soldats. En 2023, nous rencontrons une diminution de deux mille recrutements, essentiellement chez les militaires du rang. Il nous faut analyser cette difficulté de recrutement, pour déterminer si elle est d’ordre structurel - liée à une diminution des classes d’âge ou à une évolution de la société - ou d’ordre conjoncturel, en lien avec l’épidémie de la Covid et les confinements, qui ont peut-être davantage affecté cette classe d’âge que nous ne l’imaginions au départ.

Nous avons pris un certain nombre de mesures d’adaptation de manière immédiate, afin de relancer nos recrutements. Sur le projet de loi de finance 2024, elles se traduiront par une évolution des campagnes marketing et des messages portés, en insistant sur l’aventure. Les premiers éléments de cette campagne ont été lancés. Nous allons renforcer la chaîne de recrutement, puisque plus de quatre-vingt postes de recruteurs seront abondés en 2024 et nous adapterons nos processus de sélection.

À ce titre, les prérequis de santé ont notamment été revus. Il ne s’agit pas de diminuer nos standards, mais peut-être de les individualiser davantage en fonction des métiers et de réfléchir à la notion « d’aptitude immédiate ». En effet, nous formons nos jeunes pendant au moins un an avant de les envoyer en opération. L’aptitude dentaire en fournit une illustration. Si des jeunes se présentent au recrutement avec des problèmes dentaires, tels que des caries, deux solutions sont possibles. La première consiste à leur demander de se faire soigner chez un dentiste avant de revenir pour le processus de recrutement. La deuxième, que nous privilégions de plus en plus, vise à les incorporer directement, en estimant qu’ils pourront être soignés dans l’année au sein des armées.

Par ailleurs, il est possible de se représenter nos ressources humaines en flux comme une forme de « baignoire ». Les recrutements constituent le robinet d’entrée et la fidélisation le robinet de sortie. Cette année, les recrutements ont été plus faibles qu’attendu, mais la fidélisation ne s’est pas dégradée au sein de l’armée de Terre. Nous continuons de travailler à la fidélisation de nos militaires, notamment en leur proposant de nouveaux métiers. Les éléments relatifs à la rémunération doivent également être mentionnés et j’aurais peut-être l’occasion d’évoquer cet aspect plus en détail au cours de cette audition.

Mme Caroline Colombier (RN). Général, je vous remercie pour votre présence, qui est toujours très appréciable et appréciée. Je m’associe bien sûr à vos pensées pour nos soldats en opération, particulièrement pour le 515e régiment du train de Brie et le 1er RIMA qui sont déployés au sud Liban. Malgré le retrait de l’armée de terre du Sahel, cette dernière jouera un rôle crucial dans le monde en crise qui s’annonce, où la conflictualité s’accroît.

Pleinement conscient de cet enjeu, le groupe Rassemblement national exprime depuis longtemps son inquiétude concernant le dimensionnement de votre armée, notamment les ressources humaines dont vous venez de parler. En effet, cette année, avec 2 500 effectifs en moins que les prévisions, l’armée de terre n’a pas atteint sa cible de recrutement. Certes, d’autres armées occidentales sont confrontées aux mêmes déficits de recrutement, mais ce manque de bras ne peut que nous alerter sur la pérennité de nos effectifs pour l’avenir. Cette difficulté nous conduit surtout à réfléchir à la résilience de notre nation. En cas de conflit majeur, la question ne se poserait pas dans les mêmes termes. Qu’en serait-il d’une nation dont les combattants n’ont plus ni culture, ni valeurs militaires ?

La France s’est fondée sur cette culture militaire qui, aujourd’hui, à l’exception de rares milieux, a disparu. En témoigne une certaine forme de reproduction familiale dans nos armées. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici de revenir à une quelconque militarisation de la société, mais force est de constater que ce désarmement moral imprègne nos démocraties, alors même que les régimes autoritaires enclenchent la dynamique inverse. Pour répondre à ces défis, l’armée de terre a engagé une réflexion sur le service national universel (SNU) et la création de volontaires du territoire national (VTN), en plus du plan sur la réserve.

Général, alors que nous rentrons dans la phase d’exécution de ce plan, pourriez-vous nous préciser de quelle manière il va se traduire et quels sont bénéfices que vous en attendez ? Pourriez-vous également revenir sur le dispositif des VTN ?

M. le général Pierre Schill. Vous avez évoqué la reproduction militaire dans les armées. Aux académies militaires de Saint-Cyr Coëtquidan, le taux d’élèves officiers issus de familles de militaires se situe entre 15 et 25 % suivant les écoles. Ça ne me semble pas constituer une reproduction sociale. 

Vous m’avez également interrogé sur l’esprit de défense, le service national universel (SNU) et le projet des volontaires du territoire national. Nous réfléchissons à accroître l’intégration et la continuité entre les différents types d’engagement dans nos armées, depuis la réserve d’un côté du spectre, jusqu’à l’engagement long, à l’autre extrémité. Il s’agit de nourrir la ressource humaine de notre armée de Terre et de contribuer à une plus grande proximité de nos armées avec une part plus large de la population.

Le statut de volontaire, intermédiaire entre un statut de réserviste – militaire à temps partiel – et un statut d’active – un militaire à temps complet — fait partie de nos réflexions. Nous effectuerons des propositions en ce sens au ministre. L’objectif vise à proposer un plus grand nombre d’opportunités aux jeunes qui souhaiteraient nous rejoindre, par exemple pour une année de césure ou un temps particulier. Une expérimentation pourrait être menée en 2024, idéalement dans le cadre des Jeux olympiques.

Nous avons donc pour ambition de mener une réforme en profondeur de nos réserves et de notre modèle d’armée, pour adapter notre réponse aux conflits à venir et contribuer à l’esprit de défense en métropole et en outre-mer.

M. le président Thomas Gassilloud. Les plus anciens d’entre nous ont peut-être connu les officiers de réserve en situation d’activité. Si je comprends bien, votre proposition reprendrait ce concept, n’est-ce pas ?

M. le général Pierre Schill. L’objectif consiste ici à recruter des volontaires, qui n’avaient initialement pas en tête de signer un contrat de trois ou cinq ans, tout en leur donnant l’occasion de s’engager ensuite s’ils le souhaitent. De même, des jeunes pourraient effectuer une année de césure dans nos armées, pour consacrer du temps à un engagement ou à la défense au sens large, même s’ils ne poursuivaient pas cet engagement par la suite.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je souhaite vous interroger sur les aspects relatifs aux recrutements. Vous connaissez notre scepticisme à l’égard de la multiplication des dispositifs et des statuts. De plus, nous ne croyons pas que nous ne parviendrons à atteindre les objectifs en termes de masse, en contournant l’obstacle et sans faire le choix d’une conscription rénovée.

Nous avons appris que le calendrier du système principal de combat terrestre (MGCS) serait une nouvelle fois décalé. Mais cette fois-ci, le délai est de dix ans, voire plus, ce qui fera peser une énorme tension sur le parc des chars Leclerc. Tout semble se dérouler, comme, malheureusement, nous l’avions indiqué durant le débat sur la loi de programmation militaire : les deux calendriers industriels français et allemands ne sont pas synchrones. À terme, l’armée de terre française en pâtira, au même titre que notre capacité industrielle, notamment celle de Nexter. Je souhaiterais donc vous entendre à ce sujet. L’Institut français des relations internationales (Ifri) a recommandé, par exemple, le lancement d’une commande d’EMBT (Enhanced Main Battle Tank). De quelle manière envisagez-vous cette proposition ?

Ma deuxième question porte sur l’activité intense de l’armée de terre dans le cadre de la mission Aigle en Roumanie. De quelle manière est-elle financée ? Puisqu’il ne s’agit pas d’une opération extérieure (Opex), je m’interroge sur la pérennité du financement.

M. le général Pierre Schill. Le dossier du MGCS comporte des dimensions militaires, industrielles et politiques. Il s’insère dans le cadre plus global des relations franco-allemandes. Ma responsabilité première porte sur le périmètre militaire. Dans ce cadre, je me suis accordé avec mon homologue allemand, le général Alfons Mais, pour cosigner un document exprimant nos besoins militaires convergents.

Ce système de combat de char du futur doit se concevoir comme un système européen partagé. Mon intérêt opérationnel repose sur l’interopérabilité, qui se situe au cœur de la soutenabilité du système. Nous convergeons également sur notre définition du char : il ne s’agit pas d’un Leclerc ou d’un Léopard améliorés, mais d’un système fondamentalement nouveau inclus, ab initio, dans le cloud de combat. Il intégrera une robotisation accrue : certaines plateformes seront pilotées ou pilotables, d’autres seront robotisées.

L’EMBT est un « gap filer », c’est-à-dire un système temporaire, permettant de combler un trou entre deux systèmes. Les discussions se poursuivent, car je ne veux absolument pas que nous manquions la marche de ce changement de génération en consacrant trop de ressources à un système intermédiaire. En outre, je dois pérenniser notre capacité blindée lourde pour disposer d’une brigade blindée projetable. À ce titre, la pérennisation du Leclerc représente une étape, symbolisée par la livraison de vingt et un premiers chars modernisés en 2024. Un point d’étape sera effectué en 2025 pour évaluer l’ampleur de la modernisation supplémentaire qui sera nécessaire au char Leclerc, afin d’opérer la jonction calendaire avec le MGCS.

Ensuite, l’activité de nos forces en Roumanie est une composante à part entière de l’activité de l’armée de Terre. Nous y envoyons des unités sur un standard de préparation qui permettrait leur engagement immédiat en opération si nécessaire, mais celles-ci y poursuivent leur entraînement. Nos activités en Roumanie, y compris les manœuvres avec nos partenaires, se poursuivront en 2024. Elles contribuent à la préparation opérationnelle de nos armées. Les éléments présentés dans le projet annuel de performances (PAP) 2024 incluent l’activité prévisionnelle que nous réalisons aussi en Roumanie.

M. le président Thomas Gassilloud. Chers collègues, je tiens à vous informer que, dans le prolongement de la visite de nos collègues allemands en juin à Évreux, une délégation de la commission de la défense, se rendra au Bundestag le 6 novembre prochain. Je vous invite à y participer. Nous pourrons notamment y aborder la question du MGCS dans le cadre de discussions de nature politique. Nous avons également demandé une audition commune de nos deux chefs d’état-major des armées de terre, à la fois française et allemande, qui permettra de bien fixer l’existence d’un besoin militaire commun.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Mon général, je m’associe évidemment au sentiment partagé de notre gratitude à l’égard de vos hommes. Vous avez utilisé une belle expression en parlant de « défendre notre maison », en métropole et en outre-mer.

Je dois vous faire part d’une réelle inquiétude sur l’avenir de la cavalerie blindée chenillée, compte tenu des délais de livraison des MGCS, prévus pour la période 2040 à 2045. Nous avons entendu vos propos concernant ce système de combat. Cependant, nos 200 Leclerc actuels peuvent subir une attrition et sont soumis à des problèmes de disponibilité opérationnelle. À ce titre, la question du « gap filer » peut se poser. Faut-il promouvoir la solution EMBT, qui est déjà un projet franco-allemand ? Je souhaiterais que vous puissiez évoquer ce sujet, peut-être à huis clos si vous le souhaitez.

Ma deuxième question concerne les ressources humaines et la fidélisation. À la lumière du rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) et des échanges que je peux mener avec des officiers supérieurs, je constate qu’à responsabilités équivalentes, la différence de rémunération entre un officier et un administrateur de l’État n’est évidemment pas en faveur des armées. Nous risquons de perdre les meilleurs. Quelle est votre réflexion à ce sujet ?

M. le général Pierre Schill. Dans les débats concernant les ressources humaines, une attention particulière s’est portée sur la population des officiers lors de la publication de ce rapport du HCECM. Je rappelle que seule la moitié des officiers sous statut militaire appartiennent à l’armée de Terre, à la marine ou à l’armée de l’air. En résumé, les officiers de l’armée de Terre représentent un quart à un sixième de la population générale des officiers, objets du rapport du HCECM.

Dans l’armée de Terre, l’escalier social demeure particulièrement opérant, plus que dans d’autres armées : environ la moitié des officiers sont issus du corps des sous-officiers et des militaires du rang. Ensuite, notre armée est celle de garnisons dans des villes moyennes de nos provinces et de nos régions. Or votre question concerne davantage les officiers « parisiens » du sommet de pyramide. Elle est certes importante pour le commandement futur des armées, mais elle ne résume pas mes préoccupations pour la gestion d’un corps d’officiers plus large. En outre, au même titre que les autres armées, l’armée de Terre mesure chaque année le moral de ses troupes. Lors de la campagne 2023, 80 % des membres de l’armée de Terre, toutes catégories confondues, indiquent qu’ils ont un très bon, bon ou assez bon moral. Et parmi eux, les officiers atteignent un niveau encore plus élevé, avec un taux de près de 90 %. Ils mettent en avant le sens et l’utilité de leur métier. S’agissant du moral, ils font part de leurs préoccupations légitimes quant au coût de la vie, aux rémunérations bien sûr, mais aussi aux difficultés du quotidien.

La rémunération des officiers du « haut » de la pyramide doit être dynamique lors des fins de carrière, de manière à conserver dans nos rangs les meilleurs profils, pour pouvoir assurer le haut encadrement militaire.

Mme Sabine Thillaye (Dem). Au nom de mon groupe Démocrate, je vous remercie d’être devant nous et, au même titre que mes collègues, je souhaite à mon tour souligner l’engagement de nos soldats sur le terrain.

Je tiens également à revenir sur la question du recrutement et souhaiterais connaître votre avis sur la modernisation des systèmes d’information dans l’armée et la réalisation de Sparta. La modernisation du recrutement du personnel dans les trois armées devait permettre la fidélisation des recrues, mais également de diminuer les taux d’attrition et les non-renouvellements des contrats. Disposez-vous d’une vision particulière à ce sujet ? Cet outil permet-il véritablement d’améliorer la gestion des parcours et donc la fidélisation au sein des armées ?

Ensuite, la prime des liens de service produit-elle des effets véritablement bénéfiques ? Pourrions-nous éventuellement l’améliorer ? Enfin, les armées françaises ne sont pas les seules à être confrontées à des soucis de recrutement. Les autres pays européens y font face, et notamment la Bundeswehr allemande. Face à ces défis, la Bundeswehr avait un temps envisagé d’engager des spécialistes en provenance d’autres États de l’Union européenne. Des discussions existent-elles dans ce domaine ? Ces problèmes de recrutement dans nos armées impactent évidemment la défense européenne.

M. le général Pierre Schill. L’enjeu principal auquel notre armée d’emploi fera face au cours des prochaines années réside dans le maintien d’une dynamique vertueuse des motifs d’engagement, qu’il s’agisse du goût de l’aventure, du sens du service ou de l’action.

Le service des armes est un service singulier qui ne peut être comparé à d’autres engagements. Tout jeune qui nous rejoint fait le choix d’un métier à part. Cette réalité, qui peut s’appeler singularité militaire, est intimement liée à l’ambition de notre pays, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, qui a des intérêts partout dans le monde et entend les défendre. Nos jeunes, même s’ils ne l’expriment pas de cette manière, nous rejoignent aussi parce que nous sommes l’armée d’un pays qui est décidé à employer des moyens culturels, économiques, politiques et militaires en appui de sa politique. Or cette réalité n’est pas forcément partagée par tous nos voisins. Notre armée de Terre continue de recruter quinze mille jeunes chaque année pour le service du pays. Les critères de rémunération sont présents naturellement mais secondaires. Nous en tenons compte dans nos campagnes de recrutement, dans les messages que nous adressons aux jeunes en mettant en lumière les bénéfices qu’ils tireront de leur engagement. Ils vivront une aventure et mèneront une vie particulière. La campagne de communication actuellement déployée dans les rues de France souligne ces aspects et, plus largement, la finalité de l’engagement.

Par ailleurs, lorsqu’un jeune nous rejoint et frappe à la porte d’un centre pour entamer ce circuit de recrutement, il est nécessaire qu’il ne soit pas rebuté par l’ensemble des démarches administratives nécessaires. La démarche de modernisation de l’administration engagée depuis plusieurs années se poursuivra. Des chantiers ont débuté sur la répartition des responsabilités de l’administration du personnel entre les services de soutien et les armées. Ma conviction est que l’administration du personnel fait partie du commandement. Le système de recrutement Sparta contribue de manière importante à cette démarche.

Vous me posiez également la question des primes de lien au service, qui relèvent plus de la fidélisation. Elles produisent leurs effets et il est nécessaire que nous puissions les ajuster d’une année sur l’autre en fonction des cibles véritablement visées. Dans ce domaine également, il s’agit de produire des effets à l’aide des outils dont nous disposons.

Nos jeunes s’engagent généralement pour un premier contrat de cinq ans. Notre objectif majeur pour nos soixante mille militaires du rang, consiste à les faire se ré engager au-delà de ce premier jalon, pour aller au moins jusqu’à onze ans de service. Le positionnement des primes est à ce titre primordial.

Enfin, chez les sous-officiers, les primes de lien au service seront focalisées sur le maintien de sous-officiers un peu plus anciens, afin de conserver dans nos rangs les plus qualifiés, qui sont la colonne vertébrale des unités de l’armée de Terre.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je réserverai mes questions sur l’avenir du char de bataille pour la partie à huis clos. Je rappelle simplement que nous étions quelques-uns à avoir déposé un amendement concernant l’EMBT.

Je souhaite naturellement m’associer à vos pensées pour nos militaires déployés un peu partout dans le monde et singulièrement dans le sud du Liban, à l’heure où Israël subit un terrorisme de grande ampleur, d’une abjection innommable, inqualifiable. Ce terrorisme présente évidemment de lourdes menaces de guerre. Je souhaite en outre adresser des pensées à nos soldats déployés au Niger, dont la mission est en cours d’évacuation.

Ma question portera sur l’innovation au sein de nos armées, en cette première année de la LPM 2024-2030. Cette innovation couvre plusieurs aspects. Quel regard le chef d’état-major porte-t-il sur le rôle de l’intelligence artificielle, les plateformes dronisées et la robotisation dans l’armée de terre ?

Pouvez-vous plus particulièrement évoquer un champ mis en lumière par la guerre en Ukraine, celui de la capacité de minage et de déminage, ainsi que les ruptures technologiques qui peuvent y être associées ? Je pense en particulier aux moyens dévolus à nos sapeurs, à qui je tiens d’ailleurs à rendre hommage, avec des programmes comme le programme moyen d’appui au contact ou MAC ; mais aussi à toutes les nouvelles architectures auxquelles nous pouvons réfléchir et les enseignements à tirer pour nos armées du conflit en Ukraine.

M. le général Pierre Schill. L’innovation constitue l’un des enjeux majeurs de la loi de programmation militaire avec des effets dès le projet de loi de finance 2024. Les conflits en Ukraine et dans le Haut-Karabakh consacrent l’explosion de l’usage de nouvelles technologies.

Nous avons à nous adapter et à capter cette innovation selon différentes profondeurs temporelles. La profondeur immédiate consiste à savoir comment, en 2024, nous allons intégrer dans l’emploi de nos forces des modes d’action nouveaux. Je pense notamment aux drones et au tir sous drones. C’est la raison pour laquelle j’ai créé un quatrième grand commandement de l’armée de Terre, le commandement du combat futur. Je l’ai confié au général Baratz, qui commandait les forces françaises au Sahel jusqu’à cet été. Son travail consistera à intégrer dans nos forces ces innovations, afin qu’elles puissent nous servir au combat. Il aura aussi à proposer des adaptations de plus long terme tenant compte d’évolutions technologiques plus lointaines.

L’intelligence artificielle est une révolution puissante, qui va modifier de manière très profonde la société. À court terme, son usage concerne essentiellement la robotisation, le pilotage des drones et de véhicules terrestres. Dans ce dernier domaine, les variables sont plus difficiles à résoudre que dans les airs, le sol présentant des discontinuités nombreuses. Vous avez évoqué le déminage, qui constitue un débouché prometteur de la robotisation. Le deuxième grand volet de l’usage de l’intelligence artificielle par l’armée de Terre concerne l’analyse d’image, notamment satellite.

Le commandement du combat futur institué dès cette année et consolidé en 2024 aura pour mission d’intégrer les différents domaines d’innovation, qu’ils émanent du programme 144, de l’Agence de l’innovation de défense (AID), ou qu’ils proviennent des innovations d’usage et de l’innovation participative. Les projets de nos soldats dans ce domaine sont nombreux et extrêmement pertinents.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Je me joins aux propos qui ont été précédemment tenus pour rendre hommage à tous nos soldats sur le territoire français ou en opérations extérieures et qui mettent leur vie en danger pour la protection de notre pays, des Françaises et des Français.

Je voudrais vous interpeller à propos du conflit en Ukraine. Je suis actuellement, en compagnie de notre collègue Lionel Royer-Perreaut, chargé d’une mission sur l’aide de la France dans le conflit ukrainien. Nous sommes donc conscients des matériels fournis par l’armée de terre à cette occasion. Je pense notamment aux VAB, aux AMX-10, dont le remplacement par du matériel plus adapté aux conflits modernes est prévu. Du point de vue français, comment envisagez-vous l’appauvrissement des stocks et leur futur renouvellement ? Le délai de latence est-il préjudiciable à l’armée de terre française ?

M. le général Pierre Schill. L’armée de Terre contribue de manière importante au soutien de l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie. Ce soutien s’est opéré par la cession d’équipements, dont une partie provenait des équipements en service dans l’armée de Terre française, quand une autre partie a été prélevée sur des équipements qui étaient en train d’être remplacés, comme les véhicules de l’avant blindé (VAB). Le recomplètement est en cours. Par exemple, le projet de loi de finance 2024 prévoit que l’ensemble des Caesar cédés à l’Ukraine seront remplacés : fin 2024, soixante-seize camions Caesar seront en service dans l’armée de Terre française. Nous avons également cédé des munitions. De la même manière, le projet de loi de finance 2024 permet d’entamer leur recomplètement et de procéder à l’achat de munitions complémentaires.

L’aide que nous continuons d’apporter à l’Ukraine concerne également la mise en service effective des équipements que nous cédons, incluant l’entraînement de ceux qui les emploient. Ces opérations sont réalisées par les armées et relayées par les industriels, notamment pour le maintien en condition de ces équipements. Nous formons en outre des unités ukrainiennes. Comme le ministre l’a indiqué, l’armée de Terre aura formé environ sept mille soldats ukrainiens à la fin de l’année 2023 en France ou en Pologne. 2024 sera enfin l’année de réflexions sur les meilleures manières de prolonger et rationnaliser nos aides, par exemple dans le domaine de l’artillerie et de la formation des cadres.

M. Laurent Jacobelli (RN). Le Rassemblement national a déjà eu l’occasion de le répéter au sein de cette commission : nos armées ont besoin de plus de moyens pour faire face aux menaces qui émergent partout dans le monde. Tous les domaines sont concernés : les hommes, les matériels, les munitions. Ce constat étant posé, il nous faut impérativement pouvoir compter sur les matériels dont nous disposons déjà et sur ceux que nous nous apprêtons à recevoir. Il nous faut donc les maintenir en conditions opérationnelles. Pour y parvenir, il est nécessaire que la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) dispose de stocks et de composants nécessaires et qu’elle sorte de la logique de flux, qui lui a été imposée depuis des années et dont nous voyons bien les limites actuellement. Ma question est simple : les budgets figurant dans le projet de loi de finance 2024 apparaissent-ils suffisants pour répondre à cet impératif ?

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Mon général, je vous remercie pour ces présentations et vos réponses aux différentes questions. Cependant, un sujet n’a pas été abordé. Lors de la dernière législature, j’ai eu l’opportunité d’être corapporteur aux côtés de ma collègue Isabelle Santiago d’un rapport d’information portant sur la transition écologique et surtout énergétique.

Toujours très engagé en faveur de cette transition tant nécessaire et inévitable, j’accorde une grande attention aux évolutions et transformations de nos armées, de leurs pratiques et de leur matériel. Ainsi, je constate avec grand plaisir que la transition écologique et énergétique est concrètement prise en considération dans le projet de loi de finances 2024. Je pense notamment aux 42 millions d’euros dédiés au plan eau, ou encore aux 44 millions d’euros prévus au titre de la mise en place des contrats de performance énergétique.

Le ministère des armées est le premier propriétaire terrien de l’État. L’un des enjeux clés de sa transition écologique et énergétique réside également dans le verdissement de sa flotte de véhicules. À ce titre, mon général, allez-vous dresser un bilan de l’évolution du parc de véhicules à faibles émissions dans l’armée de terre ? De quelle manière projetez-vous cette évolution dans le cadre de l’exécution de la loi de programmation à venir ?

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Une grande campagne de rénovation de l’hébergement est intervenue, en particulier dans le cadre du plan Famille. Etes-vous satisfait de sa mise en œuvre ? Le rythme actuel vous semble-t-il suffisant ? Dans les régiments, il semble qu’un aspect important des chantiers concernait les réseaux d’eau et de chaleur, qui nécessitaient un investissement élevé. En êtes-vous satisfaits ? Je reste en effet persuadée qu’une armée attractive et moderne accueille les jeunes dans de bonnes conditions, en offrant de bonnes infrastructures de travail et de vie.

Mme Valérie Bazin-Malgras (LR). Lors de son audition la semaine dernière, le ministre des armées nous a annoncé une excellente nouvelle, et notamment pour moi, député de l’Aube, puisqu’elle concerne la livraison de trois chars Leclerc rénovés au 5e régiment de dragons de Mailly-le-Camp. Ces chars ont-ils simplement été rénovés ou s’agit-il d’une dotation supplémentaire ?

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Vous avez évoqué la formation de militaires ukrainiens. Quel est le nombre exact de militaires de votre armée engagés dans la formation de ces soldats ukrainiens ? Quelle est la quantité d’heures de formation délivrées ? Par ailleurs, quelle est votre évaluation du coût financier de notre engagement en Irak ?

Je tiens également à évoquer le Liban, où 700 de nos militaires sont engagés dans l’opération Daman. De quelle manière analysez-vous la situation locale, qui s’est brusquement détériorée en raison de la reprise du conflit israélo-palestinien ?

Par ailleurs, vous avez mentionné les logements parmi les éléments d’attractivité de l’armée de terre. Quelles initiatives ont-elles déjà été prises dans ce domaine ? Quelles initiatives envisagez-vous de conduire désormais ? Je rappelle que notre collègue David Amiel conduit actuellement un travail sur le logement des fonctionnaires. Etes-vous associés à cette réflexion ?

M. Frédéric Boccaletti (RN). Nous avons compris que la LPM souhaite privilégier la cohérence plutôt que la masse. Cependant, malgré une augmentation des crédits à saluer, l’adéquation entre les moyens alloués et les missions confiées reste complexe.

Le segment de l’artillerie y est particulièrement sensible. Compte tenu de la cession de trente canons Caesar à l’Ukraine, du décalage des programmes actés par la LPM, qui impacte le dimensionnement de notre défense surface-air et du faible nombre de lance-roquettes unitaires vieillissant, notre artillerie apparaît affaiblie.

Pourtant, le conflit russo-ukrainien nous prouve l’importance de ce segment, et notamment dans la lutte antidrones. L’armée américaine l’a bien compris, puisqu’elle reconstitue une brigade entièrement dédiée à l’artillerie. Mon général, de quelle manière ce projet de loi de finances permet-il de répondre aux failles capacitaires que nous identifions ? Quelle solution vous semble-t-elle préférable concernant les lance-roquettes unitaires (LRU) ? Préfèreriez-vous une option nationale, l’achat de matériel américain ou une solution hybride permettant de répondre aux besoins à court terme ?

M. Christophe Blanchet (Dem). Mon général, puisque vous avez mentionné une référence sportive aux armées dans votre propos liminaire, permettez-moi de saluer l’équipe de France militaire, championne du monde de rugby. S’agissant des Jeux olympiques, vous avez évoqué une probable montée en charge de 20 000 hommes en renfort pour assurer la protection de l’événement. Connaissez-vous la part des réservistes dans ce contingent ?

Ensuite, vous avez souligné votre engagement auprès de la jeunesse et avez fait référence aux 300 000 JDC, aux classes défense et aux 13 000 SMV et SMA. Je regrette que vous n’ayez pas mentionné le SNU, auquel 45 000 jeunes se sont consacrés cette année. À ce sujet, l’accord de 2019 sur le SNU concernait 2 000 jeunes de 15 à 16 ans. Ils ont aujourd’hui entre 19 et 20 ans. Au sein de cette cohorte, avez-vous observé des recrutements plus massifs ? Avez-vous suivi ces jeunes pour voir ce qu’ils sont devenus aujourd’hui ?

Certains considèrent par ailleurs que le SNU a une coloration militaire. Il est vrai que des militaires interviennent pendant une demi-journée. À votre avis, ce format est-il suffisant pour impliquer ces jeunes et évoquer l’esprit militaire ? Ne serait-il pas pertinent d’envisager au minimum une seconde demi-journée ?

Mme Patricia Lemoine (RE). Ma question concerne les réservistes. Le PLF consacre 195 millions d’euros à leur engagement, soit 20 millions d’euros de plus que précédemment. L’objectif affiché par la LPM consiste ainsi à atteindre 3 800 réservistes et 180 000 jours d’activités supplémentaires.

Considérez-vous que cette première marche soit suffisante pour amorcer l’objectif de doublement de la réserve affichée dans la LPM ? Quelle part de réservistes l’armée de terre espère-t-elle récupérer ? Dispose-t-elle des moyens humains pour encadrer les réservistes supplémentaires ?

M. le général Pierre Schill. Le projet de loi de finance 2024, à l’image de la loi de programmation militaire, poursuit clairement l’objectif d’une augmentation des stocks, qui sont au cœur de notre réactivité. Il nous faut non seulement disposer des matériels, mais également des munitions, des pièces et de la main-d’œuvre pour le maintien en condition opérationnelle (MCO). Nous utilisons une partie de ces pièces pour l’entraînement et en opération. Jusqu’à présent, nous agissions plutôt dans une logique de diminution des stocks, en considérant que l’industrie serait toujours capable de nous fournir. Aujourd’hui, compte tenu des coups de semonce enregistrés lors de la crise Covid et de l’attaque russe en Ukraine, il est assumé dans la loi de programmation militaire de reconstituer des stocks permettant de faire face à des alertes immédiates ou à de moindres cadences de la part des industriels.

Les crédits d’entretien programmé du matériel général et les crédits du budget opérationnel de programmes (BOP) de l'armée de Terre nous permettent de renforcer nos stocks, notamment en pièces. Nous discuterons donc avec l’industrie, pour passer de contrats de forfaitisation à des contrats d’achat de pièces de rechange et de munitions.

Monsieur le député Fiévet, vous avez évoqué la transition écologique et le verdissement de notre flotte de véhicules non porteurs d’armes. Tout d’abord, les changements climatiques sont des facteurs d’aggravation des situations de crise latente ou de conflit. Nous devons y être extrêmement attentifs. Les armées s’adaptent à ces nouvelles conditions météorologiques. Nos capacités seront plus sollicitées au cours des prochaines années pour intervenir en cas de catastrophe naturelle sur le territoire métropolitain ou dans nos outre-mer. Comme je l’indiquais un peu plus tôt, la situation à Mayotte fait également l’objet de toute notre attention.

La transition écologique est inéluctable mais elle ne peut se réaliser que de manière progressive, compte tenu de la singularité de nos missions et de certains de nos véhicules porteurs d’armes. Elle passe aujourd’hui par l’utilisation accrue de biocarburants, mais nous disposons également du premier Griffon hybride, dont les impacts opérationnels peuvent être positifs, notamment en termes de discrétion.

S’agissant des questions de la vie courante, la première urgence concerne l’adaptation, autour de deux volets. Le premier volet, sur lequel nous établissons nombre de nos efforts, concerne la sobriété énergétique du bâti, qui peut nous permettre d’obtenir des gains rapides. Les crédits d’infrastructure inscrits dans le projet de loi de finance 2024 sont ainsi en croissance. Ils portent à la fois sur la dimension opérationnelle, mais également sur les infrastructures du quotidien. Le deuxième volet porte sur le verdissement de nos flottes. Les achats de véhicules dédiés à la vie quotidienne de nos unités seront orientés vers des véhicules sobres, hybrides ou électriques à chaque fois que cela sera possible.

L’évocation du bâti me permet également d’évoquer les sujets relatifs à l’hébergement et à l’infrastructure d’une manière générale. Le plan Famille et les plans ministériels d’amélioration de l’hébergement, qui sont d’ores et déjà à l’œuvre, donnent satisfaction. Ils se poursuivront en 2024. La priorité est accordée aux militaires que nous sommes tenus d’héberger. Il s’agit en grande partie de militaires du rang et particulièrement des plus jeunes d’entre eux. Ainsi, environ un tiers des militaires de l’armée de Terre vivent en quartiers.

À partir de 2024, l’hébergement des ayants droit « optionnels » connaîtra également une impulsion particulière. Je pense notamment à ces sous-officiers célibataires que nous ne sommes pas tenus de loger, mais qui continuent à loger dans les quartiers. Par ailleurs, les célibataires géographiques peuvent également être concernés.

M. le député Royer-Perreaut m’a interrogé sur les conditions de logement de nos militaires. L’ambitieux programme CEGeLog porté au niveau ministériel a été mis en œuvre et il commence à porter ses fruits. Je rappelle qu’il concerne la rationalisation, la rénovation et la construction additionnelle de logements pour les familles, en particulier dans les garnisons implantées dans des territoires soumis à des tensions sur le coût des logements. L’opérateur Nové aura la charge de la rénovation d’une partie du parc de logements.

Cette politique du logement, dont les effets se feront ressentir dès 2024 s’accompagne de l’application de la nouvelle politique de rémunération des militaires, qui comporte plusieurs primes qui se révèlent incitatives pour l’accession à la propriété. Ainsi, l’indemnité de mobilité géographique des militaires (IMGM) est désormais versée sans condition de déménagement effectif. Il va de même pour l’indemnité de garnison (Igar), l’une des dimensions majeures du troisième bloc de la nouvelle politique de rémunération des militaires, qui sera versée cette année. Elle sera dorénavant versée indépendamment de la solution de logement de la famille, qu’elle soit locataire ou propriétaire.

Nous savons que l’accession à la propriété comporte une dimension sociale et familiale extrêmement importante. Simultanément, elle aurait vraisemblablement pour conséquence d’entraîner une sédentarisation accrue des familles. La nécessaire mobilité géographique liée à la mobilité fonctionnelle au sein de nos armées, entraînera donc probablement une augmentation des célibats géographiques.

Vingt-et-un chars Leclerc rénovés arriveront dans les forces en 2024. Sur notre parc de deux cent chars Leclerc, une partie est constamment en rénovation. A Mailly-le-Camp, trois Leclerc rénovés viendront en remplacement de trois autres qui partiront à leur tour en rénovation. Leurs capacités accrues permettront un emploi plus important. À l’issue du programme, le parc complet sera composé de chars rénovés.

Environ deux cent militaires assurent la formation des soldats ukrainiens en Pologne, la formation en France étant également assurée par le même nombre de soldats.

Je répondrai à la question sur le Liban lors de la partie à huis clos de l’audition. Un des enjeux majeurs concerne l’éventualité d’une entrée en guerre du Hezbollah contre Israël. Des tirs du Hezbollah en direction d’Israël sont intervenus au cours des derniers jours, mais à ce stade, nous estimons qu’ils constituent plus une forme de signalement qu’une véritable entrée en guerre.

L’artillerie représente une dimension essentielle de la cohérence générale de notre armée de Terre. Nous avons cédé un certain nombre de pièces d’artillerie et de munitions à l’Ukraine, qui seront compensées au cours de l’année 2024. Avant la fin 2023, j’aurai reçu au moins le premier canon de remplacement des canons Caesar que nous avions cédés. Le rythme de production de Nexter pourrait être de six canons par mois. Les munitions connaissent également le même mouvement de remplacement. Il est essentiel de pouvoir renforcer notre capacité de feu dans la profondeur.

À ce titre, nous créerons en 2024 une brigade d’artillerie qui assurera le commandement des régiments aujourd’hui placés directement sous les ordres des divisions. Sans rentrer dans un détail excessif, cette brigade prendra place au sein d’un commandement dont le nom sera « commandement des appuis et du renseignement dans la profondeur ». Il aura pour objectif de monter en gamme sur le ciblage tactique, ou le Kill Web. Au sein de ce commandement, nous regrouperons nos capacités de renseignement, la brigade du renseignement, nos capacités en hélicoptères, la brigade d’aéro-combat et cette brigade d’artillerie. En outre, les régiments d’infanterie créeront en leur sein une section de mortiers pour renforcer leur capacité de feu.

M. Boccaletti a évoqué la question du remplacement du LRU. Les industriels se sont engagés à nous fournir des réponses en 2024, qui nous permettront d’arrêter un choix. Idéalement, il s’agirait pour moi d’un choix souverain, notamment compte tenu de l’enjeu des munitions, qui constituent en réalité l’intelligence du système. Les frappes de cent vingt à cent cinquante kilomètres dans la profondeur relèvent de la responsabilité de la composante terrestre, quand les frappes plus profondes (cinq cent kilomètres et au-delà) relèvent de celle de l’interarmées ou du niveau stratégique. Elles sont extrêmement dépendantes des techniques de guidage et du contrôle national sur ses capacités de guidage. Ainsi, les pays fournisseurs d’armes à l’Ukraine autorisent ou non les Ukrainiens à utiliser leurs munitions à telle ou telle distance et face à tel ou tel objectif. L’idéal consisterait donc à disposer d’une solution industrielle qui allie souveraineté et rapidité. En outre, nous travaillons également à la pérennisation ou à l’allongement de la durée de vie de nos LRU et de nos munitions.

Nous évaluons actuellement le nombre de réservistes qui seront impliqués lors des Jeux olympiques. Comme je l’ai indiqué précédemment, nous devrions solliciter jusqu’à une vingtaine de milliers de soldats de l’armée de terre pour cet événement, en plus de ceux qui continueront à être déployés en opération, notamment pour Sentinelle. Au total, trente-cinq mille à quarante mille soldats de l’armée de terre seront concernés, qu’il s’agisse de l’active ou de la réserve. L’emploi des réservistes devra être précisé, mais il est certain que tous les réservistes de l’armée de terre sont appelés à se rendre disponibles l’été prochain, d’autant plus qu’au-delà des Jeux olympiques, d’autres événements commémoratifs (le 80e anniversaire du débarquement en Provence et de la libération de Paris) interviendront lors de cette période.

Je ne dispose pas de chiffres exacts sur le suivi de l’engagement des premières cohortes du SNU. Cependant, lors des Journées défense citoyenneté, nous nous adressons à des jeunes de seconde pour les intéresser aux enjeux de défense. Il nous revient ensuite de garder le lien avec ceux qui témoignent d’un vif intérêt, pour nourrir leur réflexion et aboutir à un engagement, qui peut prendre plusieurs formes, lorsqu’ils sont majeurs.

L’armée de terre compte aujourd’hui vingt-quatre mille réservistes dans ses rangs. À terme, en 2030, ce chiffre sera doublé pour atteindre quarante-huit mille réservistes. En 2024, il y aura deux mille réservistes supplémentaires. Au-delà des chiffres, nous allons mener une véritable transformation de la réserve. Ainsi, l’armée de Terre va développer trois formes de réserves : une réserve de compétences, une réserve territoriale et une réserve de combat.

Au cours des prochaines années, notamment en 2024, nous allons mettre l’accent sur cette réserve de compétences, particulièrement avec la montée en gamme des réservistes dans  nos états-majors. L’objectif, surtout dans nos états-majors opérationnels, consiste à disposer d’un réserviste pour un membre d’active. Le commandement de nos divisions et les états-majors tels que celui du commandement des feux dans la profondeur, doivent pouvoir compter sur des réservistes pour remplir leurs missions de guerre, y compris pour les exercices. Cette réserve de compétences se développera aussi cette année à travers la réserve des industriels. Les premiers contrats ont d’ailleurs été signés au cours du Forum Entreprises Défense, la semaine dernière, à Versailles-Satory.

Par ailleurs, je vous ai indiqué qu’en 2024, nous créerons six bataillons de réserve en réorganisant et en densifiant les unités de réserve déjà présentes dans nos six brigades interarmes. En 2025, nous développerons six bataillons de réserve supplémentaires autour de nos brigades d’appui. En 2024, le seul régiment de l’armée de Terre entièrement composé de réservistes, le 24e régiment d’infanterie de Vincennes, sera placé sous les ordres du gouverneur militaire de Paris. Cette évolution constitue la première étape d’une expérience de territorialisation. Si celle-ci fonctionne bien, elle pourra être dupliquée à Lyon ou à Marseille par exemple dans les années à venir.

En 2024, nous allons également créer un bataillon de réservistes du renseignement, auprès de la brigade du renseignement, qui aura pour vocation de renforcer cette brigade dans son cœur de métier, mais aussi de servir de réservoir pour l’ensemble de l’armée de Terre. Enfin, nous allons expérimenter une intégration accrue de nos réservistes au sein de nos régiments opérationnels, afin de renforcer le spectre de leur emploi et l’esprit de corps.

En conclusion, nous attachons une attention particulière aux réserves, car ce projet doit transformer la structure même de nos armées. En 2024, nous disposons des ressources nécessaires pour accomplir cette première marche.

M. le président Thomas Gassilloud. Avant le passage à huis clos, je souhaite vous remercier publiquement pour la précision et la complétude de vos réponses.

 

L’audition se poursuit à huis clos

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, nous entamons à présent la partie à huis clos de cette audition.

M. Frank Giletti (RN). Je souhaite revenir sur l’exercice Orion, dont l’objectif portait sur l’adaptation opérationnelle de nos armées aux exigences des conflits à haute intensité. Le retour d’expérience (Retex) sur Orion me semble très parcellaire en comparaison de la communication qui avait précédé la tenue de cet exercice majeur. Il est cependant apparu que le service de santé des armées (SSA) avait éprouvé des difficultés pour gérer des blessés en urgence absolue. Ensuite, sur le plan logistique, des difficultés ont été révélées quant à l’usage des tablettes numériques et à la gestion d’une grande masse de flux satellitaires. Cette situation nous semble inquiétante, dans la mesure où ces solutions sont coûteuses et où les prochains systèmes de combat ne feront que renforcer ces flux, ainsi que l’usage de la connectivité.

Selon vous, quels sont les chantiers prioritaires que nous devons mener pour répondre aux enjeux identifiés par l’exercice Orion ?

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous sommes tous conscients de l’importance du statut de nation-cadre au sein de l’Otan, notamment en matière d’influence. Un article récent de l’Institut français des relations internationales (Ifri) insiste sur le choix stratégique conduit par l’Allemagne de développer cet objectif de nation-cadre pour influer sur le mode de fonctionnement de l’Otan. Quelle est votre vision de cette notion de nation-cadre ? Quelles sont ces implications et comment devons-nous l’utiliser pour peser, nous aussi, au sein de l’Otan ?

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Ma question est d’ordre opérationnel. Dans les spécifications du MGCS, il est indiqué que le char doit pouvoir tirer en mouvement jusqu’à 8 000 mètres. Il me semble, d’une part, que cette performance est assez rare et que, d’autre part, des missiles avaient été envisagés pour le char Leclerc, à travers l’emploi de l’obus Polynege. Où en sont les réflexions dans ce domaine ?

M. Laurent Jacobelli (RN). Général, le maintien en condition opérationnelle (MCO) suscite des interrogations, dans la mesure où le taux de disponibilité est malheureusement très faible. Quelles sont les perspectives envisagées ? Pouvez-vous nous rassurer en la matière ? Les chiffres sont plutôt inquiétants.

M. le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre. L’exercice Orion a constitué un succès, bien au-delà de nos attentes, à la fois en termes d’enseignement et de signalement vis-à-vis de nos partenaires et alliés.

En réalité, Orion a confirmé ce que nous savions. Il a permis de documenter concrètement un certain nombre de points forts et de points faibles déjà identifiés. Les axes d’amélioration concernent notamment les procédures, les moyens et les modalités du combat, mais aussi l’organisation de l’exercice. Or savoir organiser de tels exercices est primordial pour conforter notre posture stratégique : nous devons nous préparer à l’affrontement, précisément pour être en mesure de l’éviter. Dans ces conditions, le signalement dissuasif que constitue la démonstration de force d’un exercice majeur réussi est de la plus haute importance.

Être une nation-cadre et savoir organiser un exercice de cette ampleur permettant à des alliés de s’entraîner et de découvrir nos capacités renforce notre crédibilité. Dans le cadre de l’exercice, nous avons dû surmonter la complexité qui consistait à faire coexister certains postes de commandement et unités physiquement déployés quand d’autres unités étaient simulées par ordinateur.

Les manques identifiés dans la loi de programmation militaire (LPM) concernaient notamment les systèmes de communication et de liaison. L’exercice Orion a confirmé que ces capacités devaient faire l’objet de notre attention.

De son côté, le service de santé des armées (SSA) entame une réforme d’ampleur, aussi bien pour son fonctionnement courant que pour ses capacités opérationnelles. Le projet de loi de finances (PLF) 2024 contribue à consolider ses capacités puisque nous achetons des shelters de type postes de secours, mais également des ambulances et des éléments d’un hôpital militaire. Ces achats doivent accompagner le mouvement de réforme profonde que le nouveau directeur central du SSA doit bientôt présenter au ministre des armées. La réforme interne de l’armée de Terre comprend une montée en gamme de nos brigades et la réorganisation de nos grands commandements. Nous travaillons avec le SSA à la création de chefferies santé adaptées à ces unités.  

Au-delà, l’exercice Orion a confirmé que la logistique représentait un élément majeur des capacités de combat modernes. La création du commandement de l’appui logistique de théâtre que nous établirons à l’été 2024 en regroupant nos brigades de maintenance et de logistique avec la brigade du génie nouvellement créée nous donnera une meilleure maîtrise de l’action sur l’arrière de nos divisions. Chaque brigade interarmes devra également créer en son sein des unités logistiques.

En résumé, Orion a été un exercice de très grande ampleur. Il a contribué à la préparation opérationnelle de l’armée de Terre et a été couronné de succès. Il sera renouvelé en 2026 et nous travaillons d’ores et déjà à sa préparation, afin de calibrer au mieux nos ambitions.

D’un point de vue militaire, nous ne devons pas manquer la marche du MGCS. Nous n’avons pas besoin d’un « Leclerc en mieux », mais d’autre chose. Ma priorité porte sur une solution militaire adaptée, tout en prenant en compte les impératifs industriels dans une répartition forcément franco-allemande. Je sais que la solution qui sera finalement retenue aura fait l’objet d’un compromis entre la mobilité, la puissance de feu, la protection et la connectivité. En revanche, le système doit être soutenable dans la durée, en étant partagé avec le plus d’alliés possibles, sans être devancé par nos adversaires.

Le MGCS rentrera en service en 2040 et il fonctionnera encore en 2080, ce qui implique qu’il soit évolutif dans ses capacités de feu principales mais aussi de défense y compris anti-drones. Mon homologue allemand partage mon appréciation sur ce point. Désormais, nos besoins militaires sont convergents. Le tir à huit mille mètres en direct implique d’embarquer un missile hyper véloce et donc des décisions industrielles, qui n’ont pas été préemptées dans le document commun que nous avons rédigé avec le chef d’état-major de l’armée de Terre allemand. Désormais, les industriels doivent travailler.

La question de la nation-cadre au niveau du corps d’armée combine des capacités effectives et une posture. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de proposer une solution qui allie ces deux dimensions, alors que l’Otan s’interroge sur sa nouvelle structure de forces. De notre côté, nous avons proposé de mettre sur la table un poste de commandement de corps d’armée et une division dotée des capacités de combat, d’appui et de commandement, qui puisse être projetable en trente jours, pour des durées de combat variables. Ce faisant, nous signalons à nos alliés que nous sommes une des rares nations en Europe à afficher ce niveau d’ambition, et nous démontrons que nous avons les moyens de cette ambition. Nous sommes un allié crédible, y compris pour des scénarios impliquant les engagements les plus durs en Europe. Nos alliés le savent.

Ce poste de commandement de corps d’armée et cette division constituent des outils nous permettant d’être crédibles au sein de l’Otan, mais aussi d’indiquer à nos alliés que nous disposons des moyens d’être nation-cadre d’un engagement hors du cadre OTAN. Il peut s’agir de l’application de nos accords de défense dans le golfe arabo-persique ou d’une opération de coalition dont la France pourrait prendre la tête, par exemple au Liban.

Vous m’avez interrogé sur les hélicoptères. La disponibilité technique ne constitue pas un critère absolu. Au quotidien, dans la préparation opérationnelle de mes forces, je n’ai pas besoin de la disponibilité de l’ensemble de mes hélicoptères, mais d’un nombre d’heures de vol. Des arbitrages sont opérés sur les crédits qui nous sont donnés entre nombre de machines rendues disponibles, même si elles ne volent pas, et volume d’heures à effectuer concentrées sur un nombre moindre d’hélicoptères employés au maximum de leur potentiel. Dans la situation actuelle, ils me permettent d’assurer le nombre d’heures de vol nécessaires pour mes pilotes, dans la préparation et la conduite des engagements opérationnels. Cependant, en cas de déploiement massif, il s’agira de disposer de suffisamment de régiments d’hélicoptères de combat ; la disponibilité devra être maximale. Nous travaillons avec l’industriel pour améliorer cette disponibilité technique. Un tiers des crédits consacré à l’entretien programmé des matériels de l’armée de Terre est consacré à la flotte des hélicoptères. Airbus Hélicoptères doit y contribuer. Nous réfléchissons notamment à l’augmentation du pas-de-visite des hélicoptères, notamment la flotte NH90.

M. le président Thomas Gassilloud. Mon général, je vous remercie.

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La séance est levée à onze heures dix.

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Benoît Bordat, M. Hubert Brigand, M. Vincent Bru, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Christelle D'Intorni, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Gisèle Lelouis, Mme Patricia Lemoine, Mme Jacqueline Maquet, Mme Michèle Martinez, Mme Lysiane Métayer, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Christophe Naegelen, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Valérie Rabault, M. Julien Rancoule, M. Lionel Royer-Perreaut, M. Aurélien Saintoul, M. Philippe Sorez, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Mélanie Thomin, Mme Corinne Vignon

Excusés. - M. Julien Bayou, M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, M. Sylvain Maillard, M. Olivier Marleix, M. Frédéric Mathieu, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Fabien Roussel, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, Mme Nathalie Serre, M. Bruno Studer, M. Michaël Taverne, Mme Delphine Lingemann

Assistaient également à la réunion. - Mme Sabine Thillaye, M. Jean-Luc Warsmann