Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

–– Audition, ouverte à la presse, de M. Jérémie Pellet, directeur général d’Expertise France, de M. Samuel Fringant, président-directeur général de Défense Conseil international et du général (2S) Didier Castres, président de Geos Groupe, sur la politique de coopération française à l’égard de l’Afrique.

 


Mercredi
7 février 2024

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 39

session ordinaire de 2023-2024

Présidence
de M. Jean-Pierre Cubertafon,
vice-président

 


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La séance est ouverte à onze heures.

M. Jean-Pierre Cubertafon, président. Mes chers collègues, je vous prie d’excuser le président Thomas Gassilloud qui a dû nous quitter pour participer à l’hommage national rendu aux victimes des attentats du 7 octobre 2023 en Israël.

Nous restons sur la thématique de la coopération française à l’égard de l’Afrique, en recevant trois acteurs importants de cette coopération, qui contribuent, pour chacun d’entre eux, à renouveler et approfondir la relation partenariale avec l’Afrique.

Monsieur Jérémie Pellet, vous êtes le directeur général d’Expertise France, l’agence publique française de mise en œuvre des projets internationaux de coopération technique. Votre champ de compétence dépasse de loin le seul secteur de la sécurité et de la défense, et votre champ d’action s’étend bien au-delà de l’Afrique.

Monsieur Samuel Fringant, vous êtes le président-directeur général de Défense conseil international (DCI), qui peut être défini comme l’opérateur de transfert du savoir-faire du ministère des armées au profit de pays partenaires de la France. DCI est une société à mission émanant des forces armées et de la direction générale de l’armement (DGA), dont l’État est actionnaire à plus de 50 %. Vous aidez ces pays partenaires à relever les défis sécuritaires auxquels ils sont confrontés, en contribuant notamment à l’amélioration de l’efficacité opérationnelle de leurs armées.

Enfin, général Didier Castres, vous êtes le président de Geos Groupe, une entreprise de sécurité privée, spécialisée dans l’accompagnement et le développement des projets en zones à risque.

Nous serons heureux de vous entendre sur la manière dont vous contribuez au rayonnement de la France en Afrique, sur les missions essentielles qui sont les vôtres, sur les difficultés que vous êtes amenés à rencontrer dans le contexte géopolitique en mutation que nous connaissons et les enjeux que vous percevez pour l’avenir.

M. Jérémie Pellet, directeur général d’Expertise France. Le cas de l’agence que je dirige depuis cinq ans, Expertise France, est assez pertinent dans le cadre de votre cycle d’auditions sur l’Afrique. En premier lieu, plus de 50 % de son activité intervient sur le continent africain. Ensuite, nous sommes une agence de coopération technique présente dans tous les domaines, y compris celui de la sécurité et de la défense.

Pour commencer, je souhaite tordre le cou à une idée reçue, selon laquelle les relations de coopération entre notre pays et le continent africain régressent. Ce n’est pas le cas, elles changent de nature, mais elles se développent et Expertise France en constitue un bon exemple. Nous sommes l’agence de coopération technique de la France interministérielle, nous travaillons pour tous les ministères, y compris le ministère des armées. Notre activité connaît une croissance rapide, notamment sur le continent africain. Notre mission de service public, précisée par la loi de 2021 consiste à mobiliser et projeter l’expertise française à l’international, à partir de ressources bilatérales et multilatérales, et dans tous les domaines.

La loi acte également notre filialisation à l’Agence française de développement (AFD), mais avec un mandat propre, et notre rôle dans le cadre de la politique extérieure de coopération et de développement ne cesse de croître. Depuis cinq ans, Expertise France a doublé son activité, de 190 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018 à 390 millions d’euros l’année dernière, et a quadruplé sa taille depuis sa création en 2015, en se développant sur différents champs : la coopération, la justice, la gouvernance, la culture, la santé, l’éducation, l’emploi, le développement durable, mais aussi la paix et la sécurité.

Nous déployons 1 200 personnes aujourd’hui sur le terrain, dont 750 en Afrique et une majorité de ressortissants africains figurent parmi ces personnels.

Nous sommes donc au cœur de la nouvelle relation avec l’Afrique, sur les start-ups avec le programme Choose Africa, en format groupe AFD, sur la coopération muséale, la restitution des biens culturels, l’élargissement de la coopération de la France à de nouveaux pays, comme le Rwanda, l’Éthiopie, l’Angola et le Mozambique. Nous avons été impactés significativement par la situation politique au Sahel, mais la croissance de notre activité sur le continent africain depuis dix ans témoigne aussi de l’appétit pour les compétences françaises sur le continent.

Les pays du continent, et pas seulement les pays francophones, ont envie de travailler avec nous pour renforcer leurs politiques publiques, notre cœur de métier, et notamment le champ de la coopération de sécurité et de défense, qui intéresse plus particulièrement votre commission. Cette activité était déjà exercée par les agences qui ont précédé la création d’Expertise France en 2015, comme France coopération internationale ou France expertise internationale, qui travaillaient déjà dans le cadre des Nations unies pour sécuriser les camps de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), à Gao et Kidal, où nous avons d’ailleurs mobilisé des entreprises françaises, dont Geos. Elle a représenté, en 2023, 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit le quart de l’activité de l’agence dans les quatre domaines que sont le renforcement des forces de sécurité et de défense, les menaces globales, la prévention et l’adaptation aux risques, notamment les risques NRBC, et la stabilisation dans les pays en conflit.

Nos modes d’action sont assez étendus. Nous mobilisons une large palette d’interventions : l’assistance technique, l’envoi d’équipes projets dans les ministères, dans les structures de sécurité, de défense ; mais aussi la dotation en matériels et la construction d’infrastructures, voire d’infrastructures lourdes. Nous agissons toujours dans le cadre d’une activité non létale, en raison des contraintes de notre mandat. Nous sommes actifs dans le renforcement des forces de défense en Afrique de l’Ouest, en République démocratique du Congo, mais aussi dans le champ de la lutte contre la criminalité transnationale organisée ; la sécurité maritime ou la cybersécurité.

D’un point de vue géographique, notre présence est relativement forte en Afrique de l’Ouest, dans le golfe de Guinée, mais aussi en Afrique centrale, dans l’océan Indien. D’autres projets emblématiques se déroulent également en dehors du continent, comme la construction du quartier général du poste de commandement du régiment modèle au Liban ou la sécurisation des frontières en Jordanie. Notre grande force réside dans notre capacité à mobiliser des financements internationaux, en particulier européens, grâce à une très grande confiance structurée au fil des années avec l’Union européenne sur les questions de coopération et de défense.

Ensuite, il me semble important de rappeler quelques principes de notre intervention. Tout d’abord, le renforcement des capacités d’intervention et de déploiement des armées locales est toujours réalisé à la demande des partenaires. Nous ne faisons pas à la place des forces locales, nous contribuons à leur montée en puissance, à travers une approche intersectorielle. L’une des forces de notre agence est que nous favorisons dans nos activités le renforcement du lien de confiance entre les populations civiles et les forces de défense et de sécurité, en rendant ces forces plus professionnelles, plus redevables et en instaurant un dialogue inclusif continu entre elles, en y intégrant des dimensions de justice, de bonne administration, voire de santé.

Nous répondons à l’urgence du temps politique. Nous avons construit et livré des emprises militaires, notamment des postes militaires renforcés dans des régions très compliquées, en moins de deux ans. Nous contribuons au déploiement de l’expertise française. Je pense notamment au renforcement des fonctions prévôtales, par exemple en Mauritanie ou au Tchad, où nous travaillons évidemment très étroitement avec la gendarmerie française. Pour ce faire, nous nous appuyons sur notre partenariat avec tous les acteurs réunis derrière notre comité opérationnel de défense. Il s’agit bien sûr des acteurs institutionnels, du ministère des armées, de l’état-major des armées (EMA), de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), du réseau diplomatique de défense, de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), des opérateurs français des armées – DCI, le Civipol l’Économat des armées. Je n’oublie pas non plus nos partenaires étrangers, comme Enabel : de plus en plus, sur les financements européens, il nous est demandé d’agir en « équipe Europe ». Je suis d’ailleurs actuellement le président de l’association des agences de coopération européenne.

Dans ce contexte de révision de notre présence militaire sur le continent africain, nous pouvons continuer à mieux nous organiser pour répondre aux besoins de nos partenaires africains, qui nous en font la demande. Nous avons agi de la sorte lorsque nous avons équipé les bataillons d’un certain nombre de forces en Afrique de l’Ouest, et nous continuons à le faire dans le golfe de Guinée, en complémentarité avec l’action de nos propres forces. En ce sens, nous nous inscrivons totalement dans le cadre de la nouvelle posture de coopération de défense française en Afrique de l’Ouest.

Nous nous situons exactement dans la ligne de la mission qui a été récemment confiée par le Président de la République à Jean-Marie Bockel en tant qu’envoyé spécial pour l’Afrique, lequel réfléchit à la manière de bâtir avec les pays africains des partenariats de sécurité renouvelés, équilibrés et mutuellement bénéfiques, fondés sur leurs besoins, leurs demandes et leur capacité d’action propre. Il faut garder ces principes en tête avec une posture alliant l’humilité – ce n’est ni à la France, ni à l’Europe d’être prescripteurs en la matière – et une posture d’efficacité. Cette efficacité inclut aussi la durabilité et le maintien en condition opérationnelle du soutien que nous apportons.

Dans ce contexte, il existe sans doute des marges d’amélioration pour la coordination de l’équipe France. Nous disposons d’un très bon partenariat avec les acteurs institutionnels, en particulier avec la DCSD, dont les coopérants sont impliqués directement dans nos projets, notamment au Bénin. Mais une certaine concurrence existe parfois aussi entre les acteurs français, là où nombre de nos partenaires étrangers sont très bien organisés et parlent souvent d’une seule voix.

En conclusion, nous sommes aujourd’hui à un moment charnière. La présence militaire française directe sur le terrain sera peut-être conduite à diminuer, mais la véritable question est la suivante : par quoi la remplacer ? Par ce qu’attendent nos partenaires africains ? Il s’agit là d’une véritable question de choix politique, dont les implications opérationnelles et budgétaires sont élevées. En tout état de cause, comme l’ensemble du groupe AFD, Expertise France se transforme, car je suis convaincu qu’il n’y aura pas de développement sans sécurité et qu’il faut encore mieux articuler ces deux éléments pour assurer le développement durable du continent.

M. le général (2S) Didier Castres, président de Geos Groupe. Geos fait partie du groupe ADIT depuis 2019. Si son ADN initial était les prestations de sûreté et de sécurité, son offre a été élargie : nous gérons aujourd’hui des programmes complexes et fournissons de la formation et des expertises spécifiques. À titre d’exemple, Expertise France nous avait confié la rémunération et le suivi financier des membres du G5 Sahel pendant cinq ans.

Le groupe Geos réalise 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont la moitié dans une dizaine de pays d’Afrique. ; avec 900 collaborateurs, dont 700 en Afrique. Nous intervenons autour de quatre métiers. Le premier métier vise à aider l’implantation et le développement commercial d’entreprises ou d’organisations institutionnelles en leur garantissant les conditions de sécurité nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, à leur mobilité et à leur implantation. À ce titre, nous assurons la sécurité d’un certain nombre d’emprises diplomatiques, qu’elles soient européennes ou françaises, par exemple au Burkina Faso. Cette sécurisation est menée autour de trois axes : l’information sur la situation sécuritaire la sécurisation des emprises et enfin l’extraction ou l’évacuation si les conditions de sécurité ne sont plus considérées comme tenables. Nous avons par exemple évacué du Yémen 150 personnes par bateau.

Le deuxième métier, plus récent, vise à faciliter l’insertion d’organisations non gouvernementales (ONG), d’organisations professionnelles ou institutionnelles particulières dans les pays à risque, par de la formation aux environnements hostiles. Dans ce domaine, nous travaillons de manière régulière avec Acted, avec l’AFD, avec Expertise France, mais aussi avec Médecins sans frontières (MSF). L’année dernière, nous avons ainsi formé environ 700 personnes à ces zones de crise ou à ces comportements en zone de crise.

Le troisième métier consiste à suppléer les entreprises ou les organisations internationales dans la mise en place d’expertises, dès lors qu’elles ne souhaitent pas engager leur propre personnel dans des zones à risque. Nous avons par exemple été sollicités par les Nations unies pour assurer la maintenance de leur système informatique à Bamako, nous avons assuré pour la Minusma la sûreté passive des bases de Gao et de Kidal, ainsi que la gestion financière du G5 Sahel, comme évoqué précédemment.

Le dernier métier concerne la capacité de Geos à gérer des projets complexes, depuis l’audit, le conseil, jusqu’à la réalisation du projet. À ce titre, nous assurons depuis le mois de décembre la gestion complète du port d’Abidjan, c’est-à-dire la sécurité, le contrôle des flux entrants et sortants, ou la relève des taxes des bateaux qui entrent et qui sortent.

Le premier avantage de ce type d’action porte sur notre basse visibilité, puisque nous faisons toujours appel à des prestataires locaux. Un autre avantage tient à la réversibilité : ce type de contrat avec ce genre de prestataire offre de la souplesse, il permet de réduire ou d’augmenter la voilure beaucoup plus facilement que ne peuvent le faire les institutions régaliennes de notre pays, notamment les armées, domaine que je connais le mieux. Par ailleurs, lorsque nous menons à bien une mission, les coûts associés sont bien moins élevés que ceux que l’État devrait supporter s’il le faisait par lui-même. Engager une entreprise comme Geos permet ainsi de recentrer ou d’alléger les charges administratives, les charges logistiques de l’État.

Pour répondre à la question qui m’a été posée, je vais me permettre de mettre de côté mon costume de président de Geos pour enfiler mon treillis de sous-chef de l’état-major de l’armée. Il n’existe pas une seule Afrique, mais plusieurs Afriques, au moins quatre, de manière schématique. L’Afrique de l’Ouest et le Sahel représentent l’Afrique des risques et des frottements stratégiques avec nos compétiteurs. C’est de cette Afrique que la France est en train d’être expulsée. La deuxième Afrique est celle du centre du continent, celle de la francophonie et des ressources stratégiques. Par exemple, des gisements incroyables en terres rares et en minéraux rares viennent d’être découverts au Zimbabwe. Les Chinois sont déjà présents dans la zone et les Russes y avancent, mais je ne pense pas que des sociétés françaises ont déjà examiné leur engagement dans ce pays. Il y a ensuite une troisième Afrique, l’Afrique australe, soit l’Afrique du business, avec l’Afrique du Sud comme pays majeur. Celle-ci doit plutôt être privilégiée. Enfin, la quatrième Afrique est celle de l’Afrique de l’Est, l’Afrique des flux commerciaux, du canal du Mozambique et de la mer Rouge.

Je concentrerai mon propos sur l’Afrique de l’Ouest, que je connais le mieux. Ici, la situation va bien au-delà d’une problématique qui serait simplement sécuritaire ou économique. Cette zone d’Afrique est en train de basculer et pourrait devenir le levier de nos compétiteurs, et notamment la Russie, pour imposer un modèle de société qui n’est pas le nôtre. Les Russes sont arrivés au Tchad, puis au Burkina Faso, ils sont maintenant au Niger et peut-être, demain, au Sénégal voire en Côte d’Ivoire. Si notre pays a l’intention de conserver une forme d’influence dans cette zone-là, il est clair qu’elle ne passera pas par les champs physiques comme par la présence militaire, elle reposera sur les champs immatériels, qu’il faut investir. En résumé, il faut passer d’une stratégie démonstrative et bruyante à une stratégie discrète, une stratégie d’accès.

Sa mise en œuvre suppose plusieurs conditions cumulatives. Tout d’abord, l’État doit bénéficier d’un réseau d’entreprises « de confiance », dont il convient de déterminer les critères. Ensuite, l’État doit s’ouvrir à des capacités d’externalisation, de transfert d’un certain nombre d’actions régaliennes. Il faut donc trouver la bonne ligne de « séparation des eaux » entre l’État et les entreprises privées. En outre, il importe de sortir de la logique d’offre pour entrer dans une logique de réponse à la demande. À cet égard, il faut être capable de susciter cette demande plutôt que se contenter de l’attendre. Enfin, il est nécessaire de mettre en place une structure capable d’intégrer et de coordonner de nombreuses capacités, qui existent déjà séparément.

De manière pratique, il faudrait procéder à une expérimentation. J’y ai particulièrement pensé quand j’ai lu la décision politique de réduire profondément nos effectifs prépositionnés outre-mer. Par exemple, on pourrait imaginer que l’ensemble Port-Bouët-port- aéroport d’Abidjan-Lomo Nord soit transformé en camp multinational de mise en condition opérationnelle des contingents africains ou européens qui participeront à des opérations. En la matière, Geos a l’expérience pour diminuer la visibilité : nous l’avons déjà fait en Afghanistan ou au Mali, pour assurer le fonctionnement et la vie d’un camp. Ensuite, DCI est en mesure de faire de la formation sans porter spécialement des uniformes français et Expertise France est capable de faire le reste.

Si les Africains nous le demandaient, un tel projet permettrait d’intégrer de nombreuses compétences et savoir-faire en matière de formation médicale, de formation militaire, de livraison de matériel. Il serait même possible d’aller plus loin dans cet intégrateur, pour balayer l’ensemble des champs, du culturel, jusqu’à l’entraînement militaire sur le champ de tir de Lomo Nord.

En résumé, cet exemple d’intégration me semble être une manière pour notre pays de conserver une forme d’influence en Afrique, tout en obéissant aux instructions données par le pouvoir politique. Ce type d’exemple peut être multiplié à l’envi. Pour y parvenir, il nous faut faire preuve de volonté.

M. Samuel Fringant, président-directeur général de Défense Conseil international. DCI est un outil de coopération et de rayonnement de la France depuis plus de cinquante ans, mais, un outil neuf en termes d’influence française en Afrique.

Je souhaite dans un premier temps exposer les raisons qui font de DCI un outil d’influence très particulier au bénéfice ou à la disposition du ministère des armées. Défense conseil international a été créé en 1972 pour accompagner les grands contrats d’export à l’armement et assurer la formation opérationnelle dans le cadre de ces grands contrats d’export, en qualité d’auxiliaire et afin de ne pas obérer la capacité opérationnelle de nos forces. Au fil du temps, DCI a été chargé d’assurer plus largement des transferts de savoir-faire opérationnel des armées, y compris les plus critiques, et en intégrant les savoir-faire de la direction générale de l’armement, dans le cadre de programmes de coopération internationale. En résumé, notre raison d’être est de contribuer au rayonnement de la France et du ministère des armées, ainsi que de sa base industrielle de technologie et technologique de défense (BITD) ; mais aussi au renforcement de la coopération de défense et de sécurité avec les pays alliés et partenaires de la France et de l’Union européenne. Selon les propres termes de Mme Florence Parly, ancienne ministre de la défense, DCI conduit une mission d’intérêt général et constitue un organisme de droit privé investi d’une mission de service public au sens de la réglementation européenne, en tant qu’opérateur du ministère des armées, pour la mise en œuvre d’actions de coopération bilatérale dans le domaine de la défense et de la sécurité.

Concrètement, DCI réalise 230 millions d’euros de chiffre d’affaires dans les domaines militaires les plus sensibles, avec un millier de salariés, vingt-trois centres de formation répartis en France et à l’étranger, complètement intégrés aux infrastructures militaires. À titre d’illustration, nous venons de terminer la formation des équipages de sous-marins Scorpène au Brésil, nous accueillons en France des pilotes d’hélicoptères algériens et nous allons débuter la formation à la guerre électronique de Polonais dans quelques mois.

Cet outil est totalement contrôlé par l’État, avec une très forte coordination assurée au niveau du ministère de l’intérieur. Nous avons, parmi nos organes de gouvernance, un comité d’expertise opérationnelle, présidé par l’officier général en charge des relations internationales auprès du chef d’état-major des armées. Ce comité, auquel je rends compte, rassemble l’ensemble des officiers généraux en charge des relations internationales auprès de chacun des chefs d’état-major, un représentant de la DGRIS et un représentant de la DGA. J’entretiens également des liens réguliers avec le cabinet du ministre des armées, le chef d’état-major des armées, le chef d’état-major particulier, mais aussi des organismes extérieurs, dont la DCSD. Cette proximité unique explique le rôle d’auxiliaires qui nous est confié, mais aussi le nombre dans nos rangs d’anciens militaires ou de jeunes retraités issus des armées (80 % des effectifs), qui sont détenteurs d’expertises très rares

Par ailleurs, en tant qu’entreprise, nous disposons d’une agilité propre pour répondre, le cas échéant, à des besoins spécifiques et dans des délais très, très courts. En résumé, DCI est un outil d’influence para-étatique du ministère des armées qui assure une présence française discrète si nécessaire sur un certain nombre de missions couvrant l’ensemble des savoir-faire de nos armées.

Dans un deuxième temps, laissez-moi évoquer la stratégie de DCI pour se positionner comme un outil d’influence en Afrique. Ce positionnement est assez récent : à mon arrivée, en 2019, l’Afrique représentait 0,1 % de notre activité et nous étions présents seulement dans trois pays. Considérant que notre mission était une mission d’influence, nous avons complètement redessiné cette stratégie en adaptant nos produits de formation, en abaissant drastiquement notre structure de coûts de 30 % en dix-huit mois – et je tiens ici à rendre hommage à l’ensemble des salariés de DCI qui ont œuvré à cet effort extrêmement important. Dans le même temps, nous avons conduit une rénovation complète de notre offre de formations pour mieux les adapter aux besoins, notamment en Afrique.

En parallèle, je me suis efforcé de faire connaître et de mettre à disposition cet outil spécialisé auprès des instances de l’Union européenne (UE) et de l’Otan, en profitant du changement d’approche de leur politique de partenariat de défense, appuyée par de nouveaux instruments que sont la facilité européenne de paix pour l’UE et les paquets de développement capacitaire de défense pour l’Otan.

Ces démarches apparaissaient d’autant plus logiques que l’une des particularités du groupe consiste à couvrir l’intégralité du spectre des savoir-faire les plus critiques des armées françaises et de la DGA. Ceci a permis de justifier le positionnement de DCI comme opérateur de référence dans des domaines sensibles et complexes de défense. Nous avons initié un processus d’accréditation pour pouvoir être délégataires de crédits européens avec l’aide de l’État et l’appui de l’ensemble des autorités françaises, à commencer évidemment par le ministère des armées et le ministère des affaires étrangères. L’ambassadeur Philippe Léglise-Costa nous a ainsi permis d’ouvrir un bureau au sein de la représentation permanente de l’Union européenne dès octobre 2022. L’insertion dans les locaux nous permet une meilleure coordination avec l’ensemble des opérateurs paraétatiques concernés, comme Expertise France ou le Civipol.

Dans la foulée de cette accréditation auprès de l’Union européenne, nous avons également obtenu la signature d’un protocole d’accord avec le secrétariat international de l’Otan, le 28 juillet 2023. Nous sommes pour l’heure la seule et première société habilitée à gérer des projets otaniens de capacity building.

En résumé, sur ce second point, notre stratégie pour garantir l’influence a permis de nous adapter aux réalités des besoins et des capacités en Afrique, mais surtout de valoriser notre positionnement d’opérateur du ministère des armées pour obtenir, dans un cadre multilatéral, le statut à la fois d’opérateur européen et otanien spécialisé dans le champ de la défense, en espérant ainsi démultiplier l’influence de la France.

Enfin, je souhaite m’attarder sur les résultats obtenus, plus particulièrement depuis 2023. Le mouvement initié en 2021 dans le cadre des relations bilatérales a bénéficié, avec cette réduction de coûts et l’adaptation des offres de formations, d’un réel effet démultiplicateur. Ainsi, l’Afrique, qui représentait 0,1 % de notre activité en 2018 y contribuera à hauteur de 15 % en 2024, soit un passage de 700 000 euros à 58,7 millions d’euros de volume d’affaires global, dans des domaines extrêmement critiques du champ de la défense.

Depuis 2022, nous assurons la formation d’une trentaine de pilotes d’hélicoptères algériens en bilatéral ou encore la formation de mécaniciens aéronautiques rwandais. Nous participons au soutien aux exportations d’entreprises. Depuis l’été 2023, l'état-major des armées (EMA) nous a confié la formation état-major de vingt-huit stagiaires issus de quatorze pays africains et de huit stagiaires français. Depuis 2023, nous avons démultiplié l’influence du ministère des armées. Pour l’UE, nous agissons au Bénin, où nous allons fournir des capacités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR). D’autres mesures sont attendues dans les semaines à venir pour les pays riverains du lac Tchad : le Tchad, le Cameroun, le Nigéria, le Bénin.

Dans le cadre de la force multinationale mixte contre Boko Haram, nous déployons un service de surveillance et de renseignement, nous construisons ou mettons à niveau des infrastructures de l’avant. Nous allons soutenir la mobilité des forces en sourçant des moyens adaptés. En Somalie, sous la supervision de l’Union européenne, nous fournirons des munitions de petit calibre qui doivent servir à l’entraînement des forces.

Dans le cadre de l’Otan, nous accompagnons la Mauritanie pour renouveler sa stratégie de renseignement et nous l’aidons à assurer, par ailleurs, la reconversion des personnels en tenue qui quittent le service actif et sont souvent la proie d’organisations criminelles. Nous accomplissions des actions en coordination avec d’autres opérateurs comme le Civipol au profit des marines égyptiennes, ou encore avec l’économat des armées en Mauritanie, où nous formons des opérateurs de drones.

Je m’autorise à qualifier ce bilan provisoire de success story et j’en tire quelques éléments de conclusion. Le premier concerne la militarité de l’outil DCI, auxiliaire des armées doté d’une expérience de cinquante ans à l’international, qui nous permet d’être acceptés par nos partenaires africains et de bien comprendre leurs besoins opérationnels dès le départ, pour une meilleure efficacité immédiate.

Le deuxième point porte sur les savoir-faire spécialisés, notamment dans les domaines les plus critiques, à haute valeur ajoutée. Ils ont leur place dans les politiques de partenariat ambitieuses de l’Otan et de l’UE, en accompagnant les besoins de montée en gamme de nos partenaires africains dans des domaines de capacités opérationnelles.

Troisièmement, DCI est aujourd’hui un outil démultiplicateur de l’influence de la France dans le domaine de la coopération de défense en Afrique, en permettant aux représentants de la France au sein de l’UE et au sein de l’Otan de répondre présents pour porter des projets de défense en Afrique ; mais aussi en assurant la cohérence opérationnelle des projets sur le terrain, en évitant les doublons grâce à l’excellente coordination sur le terrain avec le réseau français des attachés de défense et les coopérants, en soulageant la charge des forces armées dans des géographies pourtant prioritaires.

L’avenir de DCI en Afrique s’inscrit dans le prolongement des actions menées, tant directement auprès des pays africains que par l’intermédiaire de l’UE ou de l’Otan. Nous proposons un outil qui n’est pas comme les autres, à la fois spécialisé et réorganisé pour gagner en agilité et en initiative. DCI constitue un outil de partenariat, de coopération unique, aussi bien dans le cadre bilatéral que multilatéral, capable de mettre en œuvre des solutions spécifiques au plus près des besoins des partenaires africains. Il s’agit en définitive d’un vecteur de souveraineté contrôlée, orientée par l’État au service des intérêts de la France en Afrique comme en Europe et dans le temps.

M. Jean-Pierre Cubertafon, président. Je cède la parole aux orateurs de groupe.

M. Benoît Bordat (RE). La coopération entre nos forces et les acteurs de la coopération, de la sécurité et de la défense, est un aspect à considérer sans tabou en réponse aux défis sécuritaires de l’Afrique. Le cycle Afrique vise, depuis ses débuts, à explorer notre aspiration à développer un modèle innovant de collaboration, en l’espèce militaire, avec les nations africaines.

Le Président de la République a d’ailleurs annoncé deux axes pour repenser notre présence militaire : d’une part, la réduction des effectifs français au profit d’une montée en puissance de nos partenaires africains ; d’autre part, une meilleure formulation des besoins militaires et sécuritaires pour accroître l’offre de formations, d’accompagnement et d’équipement face aux défis stratégiques de l’Afrique. La collaboration entre nos forces armées, les acteurs et les opérateurs de sécurité, notamment privés, mérite d’être explorée, comme le maintien en condition opérationnelle (MCO) ou encore la formation. Ces partenariats sont judicieux pour faire face aux guerres de demain.

J’en profite pour adresser une mention spéciale à l’équipe France, qui œuvre à la cohérence des efforts de ces acteurs. L’histoire récente, marquée par l’expérience américaine au Moyen-Orient, nous enseigne que la frontière entre complémentarité et dépendance est ténue. Conformément au document de Montreux, nous devons tracer une voie distincte, tout en nous appuyant sur l’innovation et l’agilité du secteur privé. Notre coopération avec les opérateurs sur le continent doit être alignée sur nos valeurs républicaines pour un soutien logistique, la sécurité, la formation ou l’intelligence économique.

De quelle manière les acteurs de la coopération de sécurité peuvent-ils optimiser la formation des forces africaines face à une demande croissante ? Quel peut en être le vecteur d’influence pour la France sur l’Afrique ? Comment envisager une collaboration efficace entre nos forces et le secteur privé, en réponse aux défis sécuritaires spécifiques à l’Afrique ?

M. Jérémie Pellet. Nos interventions préalables témoignent de la diversité de la capacité d’action des opérateurs français, qui sont très complémentaires. Le général Castres a bien souligné que la bonne organisation consiste à disposer d’une vision d’ensemble des projets, avant de mobiliser ensuite la bonne expertise. Elle suppose d’avoir une capacité d’ensemblier que nous possédons à Expertise France, une capacité à mobiliser les acteurs publics et privés et enfin, de parfois laisser la place à nos alliés. Telle est à mon sens la collaboration efficace de la France aujourd’hui, dans un panorama où les concurrents sont très nombreux, très offensifs et bien organisés. Nous ne pouvons donc pas souffrir de défauts d’organisation en la matière.

M. le général (2S) Didier Castres. Vous avez évoqué les valeurs républicaines. Aujourd’hui, il faut tirer le constat qu’elles ne sont plus universelles. Elles sont contestées, partout. Nous l’avons vu en Irak, en Afghanistan, au Sahel. Cela ne signifie pas que nous devons les abandonner, mais nous ne pouvons pas en faire un point d’entrée, au risque de nous fermer bien des portes.

Ensuite, il faut combattre notre inclinaison à proposer du « prêt-à-porter » occidental plutôt que du « sur-mesure » adapté à la spécificité des terrains. À ce titre, l’exemple le plus caricatural est pour moi la mission de formation de l’Union européenne (EUTM) au Mali. Je pense que, dans notre approche de la coopération, nous souffrons d’un problème de décentration, en ne parvenant pas à nous mettre à la place de l’autre. Pour pouvoir produire une réponse adaptée à la demande, il faut bien connaître nos interlocuteurs. Malheureusement, la révision générale des politiques publiques (RGPP) a chassé nos experts. Auparavant, nous disposions de diplomates, de militaires, qui, pour imager, connaissaient « tous les cailloux du Sahel par leur prénom et tous les acacias par leur nom de famille ». Cela n’est plus le cas, ce qui nous conduit à transposer des modèles occidentaux, qui ne correspondent ni à leur culture ni à leur niveau de maturité.

Ensuite, nous avons tendance à vouloir répondre dans des segments d’expertise extrêmement limités, quand il faut plutôt entrer dans une logique de proposition ou de réponse intégrée. À titre d’exemple, il existe aujourd’hui un problème sur le fleuve Sénégal, entre la Mauritanie et le Sénégal, pour assurer la sécurité face aux trafics et aux mouvements terroristes évoluant dans cette zone. Plutôt que de proposer de former des pilotes de vedette, il me semble plus pertinent de proposer l’installation d’une brigade fluviale pour assurer la sécurité. Il faut essayer de voir comment nous pouvons dépasser l’étape de la formation technique pour proposer des capacités intégrées.

Vous connaissez tous le CPCO, le centre de planification et de conduite des opérations. Je pense qu’il faut créer le CPCI, entendu comme le centre de planification et de conduite des projets intégrés, pour traiter des problématiques qui dépassent les logiques frontalières. Cet intégrateur nous manque, il convient de le créer, soit par l’intermédiaire de l’État, soit à travers une entreprise du secteur privé, une fois ses aptitudes vérifiées. Il s’agit d’une réponse insuffisante, mais pour autant, d’un début nécessaire.

M. Samuel Fringant. Nous devons saisir la formidable opportunité existante en matière de formation militaire, qui porte naturellement sur la culture du savoir-faire, mais aussi du savoir-être, dans une démarche consistant à aider, à faire faire et non pas à faire. Il faut manifester une forme d’humilité, consistant à considérer que chaque besoin est spécifique, chaque culture est particulière et qu’on ne peut proposer un modèle figé, ce qui nécessite l’agilité dont je parlais précédemment. À titre d’exemple, nous sommes capables aujourd’hui de fournir des formations militaires sur des matériels idéalement français, mais également étrangers ; nous opérons par exemple sur des matériels des bâtiments de conception turque, dans certains pays.

De même, la langue ne doit pas être un obstacle à la formation. Tout en privilégiant naturellement la francophonie, il nous faut pouvoir intégrer l’anglais ou d’autres langues. Par ailleurs, la formation peut être envisagée de manière duale, militaire et civile, notamment dans le domaine de la mécanique. Sous réserve d’intégrer les éléments que je viens d’évoquer et les particularismes locaux, la formation représente donc un formidable levier d’influence.

Ensuite, pour être efficace, il faut améliorer l’animation du réseau. Chaque stagiaire est un « ambassadeur de la France », avec lequel il faut entretenir des relations, au fil des ans, à travers l’expertise. Les outils nous le permettent aujourd’hui : grâce au numérique, il est possible de mettre en ligne des réseaux d’experts, des clubs, qui permettent de nourrir ce lien. Dans le même registre, la culture des « frères d’armes » est essentielle. Lorsque nous organisons des réunions d’anciens de Saint-Cyr dans certains pays à l’occasion du 2 décembre, nous constatons bien tout le lien affectif que nous pouvons cultiver, mais encore faut-il le faire.

Dans le cadre de notre plan stratégique, qui a été validé par les représentants de l’État au sein de notre conseil d’administration, j’ai souhaité mener une étude assez précise sur l’enseignement militaire supérieur et comparer la stratégie des grandes puissances alliées qui sont à certains égards, là encore, nos premiers concurrents. Les armées françaises forment le même volume de cadets que leurs homologues britanniques et américaines. Mais les Britanniques forment deux fois plus d’officiers supérieurs que les Français, et les Américains quatre fois plus.

Mme Gisèle Lelouis (RN). Au nom de mon groupe, je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre présence et de vous prêter à cette audition. Vous œuvrez à la politique de coopération française à l’égard de l’Afrique et, indirectement, au rayonnement de la France et à la protection des intérêts français dans cette région. Votre expertise nous est utile pour comprendre les évolutions des peuples et des pays africains ces dernières années. Général Castres, depuis près d’un an à la tête de Geos Groupe, vous œuvrez à accompagner, protéger, assister et préparer des entreprises et des institutions dans leurs projets souvent en zone sensible et vous connaissez donc parfois mieux le terrain que d’autres acteurs. Les analyses de Geos Groupe concernant le moment présent permettent-elles de conduire des projections pour guider les pouvoirs publics français ? Existe-t-il une coopération quotidienne ? Existe-t-il toujours un partage d’informations dans les domaines relatifs à la défense et la sécurité avec les pays considérés comme des partenaires de la France ?

La DCI intervient essentiellement en tant qu’opérateur du ministère des armées. Avez-vous déjà eu par le passé des partenariats avec des organisations ou des États, parfois éloignés de la France ? Monsieur Fringuant, pensez-vous qu’il s’agirait là d’une manière de faire valoir les intérêts de la France, ou bien le contraire ?

Enfin, en tant qu’agence publique, Expertise France travaille en lien étroit avec les institutions publiques françaises, mais aussi avec l’Union européenne, pour répondre à la demande de pays partenaires qui souhaitent renforcer la qualité de leurs politiques publiques, pour relever ces défis. Monsieur Pellet, de quelle manière s’effectue cette coopération avec l’Union européenne dans l’accès à la santé ou à l’éducation ?

M. le général (2S) Didier Castres. Vous demandez si nos analyses sont en mesure d’orienter les pouvoirs publics en matière d’anticipation. Je vous réponds par la négative, notre métier consiste à traiter l’immédiat, nous n’avons pas vocation à faire de la prospective. Nous évaluons le risque et adressons aux entreprises des feux verts, orange ou rouges selon les pays et les zones géographiques.

De même, nous ne coopérons pas ni n’échangeons d’informations avec le ministère des armées ou avec le ministère des affaires étrangères. Il n’existe pas de processus organisés permettant cet échange d’informations, mais des discussions plus informelles sont maintenues.

M. Samuel Fringant. DCI est contrôlé par l’État. À ce titre, rien ne se fait sans l’accord, voire, l’initiative de l’État. J’ai notamment évoqué notre coordination très forte avec le ministère des armées. Elle implique évidemment le strict respect des règles d’export control pour le matériel militaire ou les formations militaires qui sont concernées et qu’on considérait comme du matériel. Cela dit, cela ne signifie pas que DCI ne puisse pas prendre d’initiatives, lors de formations, notamment dans des pays qui ne sont pas pourvus de matériel français. Par exemple, il nous est arrivé de réaliser des formations sur des hélicoptères étrangers, puis de convaincre nos partenaires de basculer sur des flottes françaises.

Nous dispensons également une formation des équipages de drones, toujours avec l’autorisation des pouvoirs publics, mais les drones utilisés par les pays partenaires peuvent être américains ou turcs. Nous formons sur la doctrine d’emploi et sommes donc en avance de phase vis-à-vis de nos industriels, ce qui permet de nourrir une coopération étroite avec le délégué général pour l’armement et le ministère des armées.

M. Jérémie Pellet. Expertise France intervient de deux manières en matière de coopération européenne : d’une part en réponse au programme européen de coopération dans les pays, souvent piloté par les délégations de l’UE, qui mettent en œuvre ces priorités à travers un certain nombre de partenaires, dont Expertise France, agence accréditée pour la gestion dédiée de fonds européens ; d’autre part à travers des programmes régionaux ou continentaux sur l’éducation, la formation des enseignants ou la santé. Nous fonctionnons en bonne intelligence avec l’État, qui nous accompagne sur ce volet important, qui représente à peu près la moitié de notre activité.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Vous nous avez présenté un éventail de solutions de coopération, qui ont pour objectif de réduire l’empreinte et de renforcer l’agilité et l’adaptation aux besoins. Néanmoins, je vois trois limites ou trois difficultés dans l’accomplissement de cette stratégie.

D’abord, la réduction de l’empreinte peut aussi se traduire, en d’autres termes, par une forme d’opacité. Or cette notion d’opacité est d’autant plus importante à manier avec précaution que la stratégie française s’inscrit dans une recherche affirmée d’accroissement de l’influence. Cette notion d’influence me pose problème, dans la mesure où elle est très peu souvent définie. Contrairement à ce que l’on imagine, on ne se préservera pas de manipulation par ce choix de la discrétion, mais plutôt par celui de la transparence.

Une deuxième problématique porte sur l’intrication des intérêts privés et publics, au point que nous pouvons nous demander si les moyens de l’État sont mis au service de l’intérêt général ou bien d’intérêts privés. Par exemple, l’évolution du budget de soutien aux exportations (Soutex) atteint depuis quelques années des records. Or nous ne sommes pas toujours certains que cet argent ne serve pas in fine davantage aux actionnaires des grands groupes plutôt qu’à l’intérêt général.

Troisièmement, se pose évidemment la question de la conformité des partenariats aux standards internationaux en matière de droits humains et de lutte contre la corruption, par exemple. Général, vous avez évoqué la nécessité de se mettre à la place de nos interlocuteurs et je souscris entièrement à ce point de vue. Néanmoins, la question de savoir si nous privilégions des partenariats politiques ou si nous privilégions le respect intégral de nos principes se posera à chaque fois. Dans ces conditions, l’ambiguïté entre le statut du public et du privé est de nature à semer encore plus de confusion et à nous affaiblir. Selon le moi, le sujet qui pose le plus problème dans ce cycle d’auditions concerne la réalité de nos intérêts en Afrique. Quels sont réellement nos intérêts ? Quel est le degré de solvabilité de nos partenaires ? Agissons-nous pour la gloire ou n’est-il pas malgré tout question d’agent ? Vous êtes aussi chef d’entreprise.

M. le général (2S) Didier Castres. Monsieur le député, n’espérez pas que je réponde à ces questions, qui sont éminemment politiques. De notre côté, nous allons tous proposer des options pour décliner la stratégie qui sera définie par notre pays.

S’agissant de la question de nos intérêts – je sors ici de ma fonction de président de Geos – mon appréciation est plutôt fondée sur ce que j’ai vécu auparavant. Si nous ne menons pas une action suffisamment forte et coordonnée dans la zone sahélienne, nous allons laisser se créer une zone de trois millions de kilomètres carrés, c’est-à-dire la superficie de la Turquie, qui sera une zone grise, dans laquelle nous serons aveugles et que se partageront ce qu’il reste des États, mais aussi des chefs de guerre, des trafiquants, et des extrêmistes idéologiques et religieux. Les trafics qui en naîtront seront probablement accentués par des pays qui déploient une logique prédatrice.

Quels sont les enjeux ? En termes militaires, il s’agit d’abord de ne pas laisser se créer un nouveau califat qui n’en porterait pas le nom, mais serait susceptible de mener des attentats contre les intérêts occidentaux au sens large, dont ceux de la France.

Ensuite, depuis que certains pays sahéliens ont pris leur autonomie ou qu’ils ont banni la démocratie de leur pays, ils ont décidé de relâcher toute forme de d’engagement vis-à-vis des flux migratoires. Les flux migratoires ne sont pas qu’une menace, il s’agit aussi d’un drame humain, comme en témoigne le nombre de personnes qui se noient chaque année dans la Méditerranée. Devons-nous rester indifférents à ces trafics ? À ce sujet, je vous souhaite vous faire part d’un commentaire supplémentaire. Tout le monde constate que la Russie est en train de prendre le contrôle de ces pays. Or, si nous avons très peur des missiles et des bombes russes, nous devrions nous interroger sur leur capacité à organiser des flux migratoires incontrôlés vers l’Europe, comme ils l’ont fait depuis la Biélorussie vers la Pologne.

M. Jérémie Pellet. En tant qu’agence publique de coopération, nous sommes évidemment soumis à un certain nombre d’obligations de transparence. Toutes nos activités sont disponibles, localisables. L’ensemble du groupe AFD travaille dans le cadre de standards internationaux, vérifiés par des ONG indépendantes. Je ne considère donc pas que le renforcement de la coopération se traduise par plus d’opacité. En revanche, il est certain qu’un certain nombre de forces étrangères jouent clairement aujourd’hui en Afrique cette carte de l’opacité, en particulier sur des sujets sensibles.

La conformité des partenariats est elle aussi passée au crible des critères de lutte anti-corruption et de transparence. De fait, notre agence continue à renforcer la lutte contre la corruption et la transparence de nos financements.

M. Samuel Fringant. Toutes nos activités sont extrêmement contrôlées et régulées. Elles font l’objet de d’audits et répondent à des règles d’éthique élémentaires, notamment compte tenu du contrôle exercé par l’État, qui est d’autant plus important que nous évoluons dans des domaines éminemment sensibles. Discrétion n’est pas opacité, et si certaines missions très spécifiques dans des géographies très particulières exigent de la discrétion, celle-ci est menée en parfaite transparence vis-à-vis des autorités françaises.

Il ne faut pas forcément opposer intérêts publics et privés. L’une de nos filiales, HeliDax, met à disposition une flotte de quarante-cinq hélicoptères – pour la formation des pilotes d’hélicoptères de l’armée de terre, lui permettant d’obtenir des gains d’économies substantiels par rapport au dispositif antérieur couvert par nos armées. Notre référencement auprès des autorités de l’Union européenne et de l’Otan a été rendu d’autant plus facile que nous faisions l’objet d’un contrôle extrêmement étroit de la part des autorités françaises.

M. Vincent Bru (Dem). La coopération, les échanges techniques et de savoirs avec nos partenaires africains, l’accompagnement dans la croissance des entreprises dans un cadre sécuritaire, représentent des actions d’importance pour le rayonnement de la France. Mais cette action doit s’inscrire dans la garantie de protection de nos ressortissants sur le territoire partenaire où ils agissent.

Or les bouleversements au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger rappellent l’importance de la protection de nos ressortissants, y compris de pouvoir les exfiltrer dans le cadre d’un plan coordonné et rapide. Quelles mesures d’accompagnement sont-elles prises pour garantir la sécurité des expatriés en cas de perturbation au sein de ces pays africains, comme cela pourrait être le cas prochainement au Sénégal ? Par ailleurs, les échanges de savoir-faire et de compétences permettent de garantir des liens avec nos pays partenaires africains. Mais pour autant, dans le cas de ces transferts, quelles garanties sont-elles mises en place pour s’assurer que ces savoir-faire ne sont pas diffusés, mais réellement protégés ?

Enfin, je me permets de quitter le continent africain pour poser une question plus précise au président de DCI. J’ai lu ce matin un article du Canard enchaîné qui évoque le problème d’un appel d’offres qui serait incomplet, entraînant un retard dans la formation des armées ukrainiennes. Accepteriez-vous exceptionnellement de donner à la commission quelques précisions à ce sujet ?

M. Jérémie Pellet. Aucun de nous trois n’a la charge de la protection de nos ressortissants, qui relèvent dans les pays du contrôle de l’ambassadeur et du centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay. Nous appliquons strictement les consignes. En revanche, puisque nous intervenons dans des pays en crise, parfois même en guerre, nous portons un soin tout particulier à la sécurité de nos personnels, qu’ils soient expatriés ou locaux, Français ou internationaux. Chez nous, les formations de sécurité sont obligatoires avant tout départ sur le terrain.

M. le général (2S) Didier Castres. Quand nous sommes sollicités par des entreprises, nous mettons en œuvre ces plans. Nous venons d’évacuer un certain nombre d’expatriés qui travaillaient en Haïti. Nous avons également mis en place un plan d’évacuation et un système de soutien sanitaire pour une cinquantaine d’expatriés d’une grande entreprise de défense française en Égypte. Nous intervenons sans armes, mais nous sommes capables, pour toutes les entreprises qui nous le demandent, d’évacuer rapidement des personnels, d’affréter un avion ou un médecin sur une zone sanitaire de niveau trois. Naturellement, quand la tension augmente dans un pays, nos responsables prennent contact avec l’ambassade pour assurer une meilleure coordination.

M. Samuel Fringant. Les risques de diffusion de nos savoir-faire constituent un vrai sujet, auquel nous accordons une grande importance. Nos formations sont soumises à l’autorité de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), qui évalue au cas par cas.

Mais en tout état de cause, tout partenariat doit d’abord reposer sur la confiance. En outre, ces formations ont souvent une validité limitée dans le temps. Au-delà de la formation, la capacité à maintenir les liens avec les pays formés ou les stagiaires formés est essentielle.

Vous avez également évoqué l’appel d’offres annulé, je crois, pour la deuxième fois. Il ne m’appartient pas de commenter, mais je souhaite vous faire part d’une réflexion. Dans leur grande sagesse, les parlementaires avaient souhaité introduire dans la loi de programmation militaire (LPM) un article permettant de recourir à un opérateur du ministère des armées – initialement DCI était désigné – pour permettre à ce même ministère d’agir de manière très réactive, dans des domaines sensibles bien délimités. Malheureusement, cet article n’a pas été conservé par le Conseil constitutionnel pour des raisons procédurales, le Conseil estimant qu’il s’agissait d’un cavalier budgétaire.

Dans le cas précis que vous avez mentionné, la crise ukrainienne est survenue au printemps 2022 et nous en sommes aujourd’hui au deuxième appel d’offres. Heureusement, un accord-cadre a établi en urgence par l’EMA, qui désigne DCI pour pourvoir dans l’urgence à ces formations. Mais, faute de véhicule juridique adapté, le droit obère les capacités du ministère des armées à recourir à un acteur tel que DCI.

Sur le fond, s’agissant de cette décision de justice, il ne m’appartient pas d’en juger et je n’en connais pas véritablement le motif. Une fois encore, l’objectif ne vise en aucun cas à contourner les règles de la commande publique.

M. Xavier Batut (HOR). L’Union européenne dispose depuis 2021 d’un instrument extra budgétaire, nourri par les contributions des États membres, pour financer des interventions conduites par ses partenaires en Afrique : la facilité européenne pour la paix (FEP). Cet instrument remplace la facilité de paix pour l’Afrique, dans le but de couvrir d’autres zones de conflit dans le monde. Il permet notamment de soutenir militairement l’Ukraine dans sa guerre qui l’oppose à la Russie.

Dans le contexte africain. Expertise France et DCI, accrédité l’année dernière par la commission européenne, en sont les bénéficiaires majeurs. Puisque la FEP constitue un instrument de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne, j’imagine que les financements doivent s’effectuer selon un principe de conditionnalité. Ma question porte donc sur la manière dont vous intégrez la dimension européenne dans votre action. Prenez-vous en compte la stratégie de l’Union européenne ou celle définie par le conseil en 2021 ? Quelle coopération mettez-vous en place avec d’autres opérateurs européens sur le terrain ?

M. Jérémie Pellet. Au-delà de la facilité européenne de paix, nous mobilisons entre 400 et 500 millions d’euros par an à Bruxelles pour tous ces programmes. Ils répondent évidemment aux orientations politiques définies par Bruxelles et aux stratégies établies. Il s’agit notamment de la FEP. La coordination s’effectue de différentes manières. Dans un premier temps, nous avons mobilisé la capacité des opérateurs français, élément essentiel qui nécessite un dialogue continu avec Bruxelles et avec les délégations de l’Union européenne. Selon moi, sa dimension sera de plus en plus multi-étatique, ce qui impliquera de travailler avec d’autres partenaires de l’UE. À ce titre, Expertise France met en œuvre un certain nombre d’équipes Europe.

M. Samuel Fringant. Je partage ces derniers propos. Pour mémoire, la FEP est un plan à cinq ans de 12 milliards d’euros, qui devrait bientôt être abondé significativement. Vous connaissez tous la part prépondérante qu’occupe l’Ukraine dans ce budget. En 2023, nous avons pu capter près de soixante millions d’euros pour l’Afrique. La coordination va effectivement se renforcer. J’en veux pour illustration la coordination renforcée que nous mettons en œuvre avec l’Économat des armées. Nous sommes très complémentaires.

M. le général (2S) Didier Castres. Pour notre part, nous mettons en œuvre la politique de l’Union européenne dès lors qu’il nous est demandé d’assurer la sécurité de leur emprise, mais cela se limite à cet aspect. Il s’agit donc d’une part très marginale de notre développement.

M. Jean-Pierre Cubertafon, président. Nous passons à présent aux questions des députés.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Messieurs, je suis heureux de vous retrouver. Nous avions travaillé il y a quelques années ensemble, lorsque je menais une mission d’information sur le continuum sécurité, défense et aide au développement. À l’époque, l’une de recommandations portait précisément sur la coordination, qui a été évoquée à plusieurs reprises dans vos propos. De fait, de nombreux acteurs interviennent, dont les armées, mais également l’AFD, les ONG, le ministère des affaires étrangères, la BITD et la DGA.

Votre travail doit se décliner de façon coordonnée à plusieurs niveaux : au niveau national, mais également au niveau local et au niveau international. Il nécessite un intégrateur, par exemple du type CPCO comme l’indiquait le général Castres, mais quoi qu’il en soit, une instance de pilotage interministériel.

Concrètement, en attendant, mieux, avez-vous des rendez-vous réguliers interministériels pour mener une approche et une vision partagées de la stratégie d’influence du gouvernement ? En effet, de telles réunions permettent de mobiliser les bons acteurs, aux bons endroits.

M. Jérémie Pellet. Monsieur le député, vous avez mis le doigt sur le sujet clé. La réussite de tous nos projets est locale. Dès lors, toute approche intégrée doit être territoriale. Lorsqu’il est question d’approche sécuritaire territoriale, il faut également tenir compte des besoins des populations locales et de leurs perspectives d’avenir. Cela nécessite une connaissance fine du terrain et la capacité à mobiliser une très grande diversité d’acteurs, dont les ONG, notamment les ONG locales, mais aussi des acteurs publics.

Cette approche territoriale intégrée constitue la principale leçon que nous tirons tous des dernières années en Afrique, en particulier au Sahel. Elle nécessite du temps, de la préparation et la connaissance du terrain C’est celle que nous appliquons aujourd’hui sur le continent africain.

Ensuite, la dimension locale de l’approche territoriale intégrée se réalise sous le contrôle de notre ambassade, en dialogue avec nos partenaires des pays en question. Nous sommes par nature un intégrateur de compétences, que nous déployons sur le terrain. Cette dimension doit devenir de manière générale notre grille de mise en œuvre commune des projets, où que nous soyons.

M. le général (2S) Didier Castres. Nous devons être conscients que plus aucune administration, plus aucun pays ne sont capables de résoudre seuls une crise. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans la période de « l’inter » : l’interservice, l’interministériel, l’inter public-privé qui permet d’intégrer des étrangers dans cette discussion. Nous savons relativement bien le faire au niveau interministériel. Je rappelle en outre que le premier accord entre l’AFD et les armées a été signé par Rémy Rioux et le général de Villiers, il y a seulement sept ans.

Ensuite, la coordination entre le secteur public et le secteur privé n’existe pas, hormis dans le cas de sociétés disposant de liens très directs avec l’État. Il existe une structure spécialisée dans l’inter ministériel et qui développe très bien ce genre de stratégie : le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Mais le SGDSN n’est ni un acteur normatif, ni un acteur opérationnel.

Ensuite, un deuxième niveau est nécessaire. Une fois que cette stratégie a été élaborée et validée par le pouvoir politique, il convient de réfléchir à la manière d’inscrire le secteur privé dans cette stratégie. Aux États-Unis, le National Security Council (NSC) prépare les décisions du président des États-Unis et s’assure ensuite que tous les acteurs concernés la mettront en œuvre. Malheureusement, nous manquons d’un tel organisme en France, la cellule diplomatique et l’état-major particulier de l’Élysée ne pouvant à eux seuls assurer ces missions.

M. Samuel Fringant. La question de la coordination doit aussi se mesurer à l’aune de l’intention des acteurs considérés. Pour sa part, DCI poursuit une mission d’influence de la France. Notre pays est doté d’une structure et culture administrative, mais l’essentiel concerne la réalité du terrain. En Afrique comme ailleurs, je me félicite de l’excellente coordination dans les sujets que nous venons de traiter, entre le réseau des ambassadeurs, nos attachés de défense et nos coopérants. Cet échelon de coordination est déterminant au quotidien, car il nous permet d’être les plus efficaces possible.

Ensuite, pour DCI, cette coordination est étroite avec le ministère des armées. Je pense au comité d’expertise opérationnelle déjà évoqué, mais également aux interfaces avec la DGRIS, l’EMA et liens étroits que nous entretenons avec la DCSD ou Civipol, opérateur du ministère de l’intérieur, dont nous sommes le deuxième actionnaire après l’État. De fait, il existe souvent un véritable continuum entre les sujets de défense et la sécurité.

Enfin, le fait d’être totalement intégré au sein de la représentation permanente de l’Union européenne, en compagnie de nos amis d’Expertise France et de Civipol, est déterminant. Nous sommes également les seuls à être référencés au sein de l’Otan et avons été à ce titre la seule société invitée au sommet de Madrid au mois d’octobre dernier.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Vous avez parlé de l’Afrique de l’Ouest, avec un focus sur l’Afrique subsaharienne, et avez évoqué la nécessité d’un changement de stratégie, pour passer d’une stratégie démonstrative à une stratégie plus discrète, d’un champ plus physique à un champ immatériel. Je souhaite que vous puissiez évoquer la stratégie d’influence, notamment sous le prisme de la guerre informationnelle.

Agissez-vous, au sein de vos structures, au niveau de cette sphère informationnelle ? Si tel est le cas, de quelle manière, compte tenu de la nécessaire décentration et adaptation de nos collaborations aux besoins des pays africains ? Avez-vous reçu des remontées en ce sens de la part de nos partenaires africains ? Je pense notamment aux formations proposées par DCI.

Ensuite, il a beaucoup été question de l’interaction avec nos alliés européens. Nous savons également que les États-Unis ont récemment fait preuve d’un regain d’intérêt pour cette zone. La vice-présidente Kamala Harris a même récemment publié un tweet indiquant que l’Afrique représente l’avenir pour les États-Unis et l’économie mondiale. Travaillez-vous également avec les Américains ?

M. Jérémie Pellet. L’AFD et Expertise France travaillent sur les sujets de guerre informationnelle. Nous mobilisons aussi l’expertise de Canal France international pour l’appui aux médias et la formation des journalistes. D’autres initiatives relèvent plus de la protection contre les cyberattaques et de la sécurité sur les réseaux, enjeu tout autant essentiel. En résumé, nous sommes présents sur ce champ majeur, qui bénéficie une coordination très renforcée de la part du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Vous avez évoqué également le regain d’intérêt des États-Unis pour l’Afrique. Les États-Unis ont toujours entretenu une relation un peu cyclique avec le continent, mais ils y consacrent une part importante de leur aide au développement, à travers un mécanisme qui privilégie les prestataires américains et selon des modalités techniques différentes des nôtres, associées à un dialogue plus informel. Cependant, sur certains sujets très spécifiques, notamment les pays en crise où, parfois seule l’expertise France est présente, la coopération avec les Américains est assez fructueuse.

M. le général (2S) Didier Castres. De notre côté, nous ne menons pas de guerre informationnelle. En revanche, nous protégeons nos propres systèmes et si des entreprises nous le demandent, nous pouvons réaliser des audits de leur système de cyberdéfense et leurs systèmes informatiques.

M. Samuel Fringant. Nous ne participons à des formations de ce genre en Afrique, elles ne figurent pas à notre catalogue. En revanche, nous proposons une offre de formations dans le domaine cyber en défensif, qui est pour l’heure déployée en seulement Europe, mais a sans doute vocation à l’être également en Afrique dans les années à venir.

Ensuite, nous n’avons pas à proprement parler de compétiteurs privés américains. En revanche dans le cadre du programme Foreign Military Sales (FMS) des opérateurs américains peuvent être concurrents de DCI, dans la mesure où, à travers ces dispositifs, les armées américaines couvrent les besoins de formation de leurs alliés.

M. Jean-Pierre Cubertafon, président. Ces échanges ont été riches et complets. Ils rappellent, s’il le fallait, l’importance de la coopération française avec l’Afrique. Nous en retenons des enseignements sur la politique française, non seulement sur les dimensions de sécurité, mais également de coopération militaire et civile, d’aide au développement, de gestion de crise, dans le domaine public et privé. Nous avons abordé, avec la question de M. Bru, le cas de nos ressortissants. Je me permets ici apporter tout mon soutien aux Français présents sur place, dans ces temps tumultueux.

 

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La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Xavier Batut, M. Pierrick Berteloot, M. Frédéric Boccaletti, M. Benoît Bordat, M. Vincent Bru, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Frank Giletti, M. Jean-Michel Jacques, Mme Anne Le Hénanff, Mme Gisèle Lelouis, Mme Delphine Lingemann, M. Aurélien Saintoul, Mme Nathalie Serre, Mme Sabine Thillaye, Mme Corinne Vignon

Excusés. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Caroline Colombier, Mme Martine Etienne, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Emmanuel Fernandes, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Anne Genetet, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Sylvain Maillard, Mme Jacqueline Maquet, M. Olivier Marleix, Mme Pascale Martin, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, M. Lionel Royer-Perreaut, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Jean-Louis Thiériot

Assistait également à la réunion. - Mme Valérie Bazin-Malgras