Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

–– Audition conjointe, ouverte à la presse, de M. Emmanuel Chopin, membre du comité de Liaison Défense du MEDEF, Président de NovaKamp, de M. Philippe Duhamel, président du comité défense du CIDEF, directeur général adjoint Systèmes de mission défense chez Thales, et M. Albert Corbel, Secrétaire général de CFDT Défense, sur les partenaires sociaux et la défense globale.


Mercredi
10 avril 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 56

session ordinaire de 2023-2024

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 


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La séance est ouverte à neuf heures.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, avant de commencer cette audition, je dois vous demander l’autorisation de publication de notre recueil d’auditions relatif à notre cycle Afrique, augmentées des contributions des groupes et d’un avant-propos.

En l’absence d’opposition, l’autorisation de publication de ce recueil sous forme de rapport d’information est adoptée. Je vous remercie.

Nous poursuivons notre cycle d’auditions consacrées à la défense globale avec l’audition de représentants des entreprises et des partenaires sociaux. Nous accueillons M. Emmanuel Chopin, membre du comité de Liaison Défense (CLD) du Medef, qui joue un rôle d’interface entre les armées et le monde de l’entreprise au sens large. Vous êtes par ailleurs Président de NovaKamp une société spécialisée dans l’approvisionnement énergétique des bases vies, notamment au profit des armées. Nous recevons également. M. Philippe Duhamel, directeur général adjoint Systèmes de mission défense chez Thales, qui intervient ce matin en tant que président du comité défense du Conseil des industries de défense françaises (Cidef), entité qui regroupe les trois groupements des industriels de la défense, le Gican, le Gifas et le Gicat. Nous accueillons enfin M. Albert Corbel, secrétaire général de CFDT Défense, accompagné par M. Franck Uhlig, secrétaire fédéral de la fédération générale de la métallurgie et des mines CFDT.

Je rappelle que cette audition concerne le rôle des entreprises et des partenaires sociaux dans la défense globale.

Messieurs, comme vous le savez, notre cycle sur la défense globale repose sur l’idée selon laquelle la défense est l’affaire de tous. Je pense que cette idée est assez partagée, non seulement par les militaires, mais aussi par l’ensemble des citoyens. Tous les acteurs de la vie économique portent des responsabilités en matière de défense nationale, particulièrement les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) et leurs salariés civils de la défense, qui constituent un pilier essentiel de notre modèle de défense globale.

Il n’existe pas de défense nationale efficace sans des services publics qui fonctionnent, sans un secteur énergétique performant, sans logisticiens contribuant à l’effort de la nation, sans agriculteurs en mesure d’assurer notre souveraineté alimentaire, sans services financiers, sans infrastructures entretenues, sans réseau numérique solide et protégé.

Alors que la guerre en Ukraine signe le retour de la guerre en Europe, nous vous auditionnons aujourd’hui pour que vous nous éclairiez sur la façon dont les acteurs économiques et les partenaires sociaux prennent conscience de l’évolution du contexte stratégique et des responsabilités qui pourraient être les leurs, dans des conditions éventuellement extrêmes.

De votre point de vue, comment les nouvelles exigences en matière de résilience sont-elles prises en compte ? Comment les organisations dans lesquelles vous travaillez se préparent-elles à l’émergence de crises d’ampleur où la violence interétatique redevient possible ? Quel bilan tirez-vous des efforts développés depuis la crise Covid et la guerre en Ukraine pour renforcer nos capacités de réaction face aux crises ?

Nous attendons de votre part une double lecture, à la fois en tant que contributeurs actifs du secteur de la défense, mais aussi partenaires sociaux engagés dans ce secteur. Nous serons très intéressés par votre vision des impulsions récentes lancées pour conforter notre capacité à basculer, le cas échéant, en économie de guerre.

Comment cette économie de guerre se met-elle en place concrètement au sein des entreprises de défense, par exemple en matière de stocks stratégiques, de réserve industrielle, ou d’aménagement du temps de travail pour potentiellement monter en cadence ? Vous pourriez également évoquer la façon d’attirer davantage de jeunes vers notre BITD ou de convaincre un secteur financier parfois réticent à investir dans notre défense.

M. Emmanuel Chopin, membre du comité de Liaison Défense du Medef, Président de NovaKamp. Pour le Medef, syndicat professionnel résolument engagé aux côtés de la défense, cette audition fournit l’occasion de mettre en exergue les défis auxquels sont confrontées toutes les entreprises de l’écosystème de défense, acteurs directs ou indirects, et plus particulièrement les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Pour mémoire, le Medef rassemble 190 000 adhérentes, dont 80 % de très petites entreprises (TPE) et de PME. Les principaux acteurs de l’industrie de défense sont structurés au sein de la BITD, qui regroupe une dizaine de grands groupes internationaux, 4 000 ETI-PME, soit 200 000 personnes qui y travaillent. Mais au-delà de cette colonne vertébrale et de notre outil industriel de défense, il existe près de 30 000 entreprises partenaires du ministère des armées.

La profondeur de l’industrie de défense est donc très significative dans nos territoires. La mobilisation de cette industrie nécessite ainsi nécessairement une prise en compte globale de tous ces acteurs diffus, leurs fédérations et leurs sous-traitants. Chaque acteur peut être à lui seul le facteur de risque limitant, le maillon faible d’une montée en puissance conjointe rapide et maîtrisée de tout le secteur de la chaîne de valeur visant à mettre en place cette économie de guerre.

L’économie de guerre n’est pas sans lien avec la guerre économique. Toutes les entreprises de notre tissu industriel sont naturellement au cœur des crises et des conflits, en raison de la concurrence technologique que se livrent les grandes puissances. Nos entreprises produisent, sont sources de solutions technologiques innovantes et peuvent être la cible de prédation et de déstabilisation, principalement lorsqu’il s’agit de secteurs stratégiques et vitaux pour notre pays.

Ainsi, l’injonction d’une économie de guerre n’est jamais que la matérialisation, visible sous la forme d’une puissante accélération, d’une réalité quotidienne de notre tissu industriel, qu’il s’agisse de grands groupes internationaux ou de PME. Invoquer les conflits en cours, même si cela est clairement légitime pour motiver cette accélération soudaine, ne suffit pas et ne suffira pas tant les défis qu’il convient de relever pour notre industrie – particulièrement celle de la défense – sont nombreux, afin de pouvoir répondre à cette forte stimulation, jusqu’aux plus bas de la chaîne industrielle.

L’ordre mondial est violemment secoué et nous pouvons identifier trois grands champs de bouleversements. Tout d’abord, notre monde est de plus en plus fragmenté, entraînant la multiplication des crises et l’apparition de nouveaux espaces de conflictualité. Pour s’en convaincre, il suffit de penser au cyber, à l’espace, aux fonds marins, à la désinformation et à la montée du protectionnisme et des politiques de sécurité nationale. Nous sommes donc entrés dans une ère de guerres militaires, économiques, juridiques, technologiques et de l’information.

Nous vivons également dans un monde de pénurie, qu’il s’agisse de la pénurie de matériaux, des minéraux, des métaux rares, des composants électroniques ; mais également d’énergie, d’eau, de foncier, de compétences, de financement, tout particulièrement pour les entreprises de l’industrie de défense.

Enfin, nous connaissons aujourd’hui un monde en profonde transformation, qu’il s’agisse de la primauté des enjeux climatiques et de décarbonation ou de l’accélération des mutations numériques et technologiques, dont l’intelligence artificielle, le quantique ou l’hydrogène. Nous constatons également les attentes nouvelles des citoyens et de la jeunesse et, plus spécifiquement pour les entreprises, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

Sur ce dernier point, l’industrie de défense est particulièrement sensible à ces critères d’évaluation. Nous ne déploierons pas de politique sociétale et environnementale ambitieuse sans paix, ni sécurité. Les industries de défense n’ont ainsi pas à rougir de leurs performances en matière de responsabilité sociétale et elles jouent d’ailleurs un rôle majeur trop peu reconnu par les indicateurs extrafinanciers. Le monde industriel subit ainsi l’ensemble de ces bouleversements dans un contexte nouveau, auquel les acteurs doivent faire face sans rien négliger, au risque de s’affaiblir ou de prêter le flanc à une nouvelle menace.

Dans ce contexte général hybride, complexe, et dans celui plus singulier d’une accélération en économie de guerre, les enjeux pour les industries de défense (principalement les PME et ETI) sont globalement de deux ordres. Premièrement, il s’agit de la capacité de monter en production selon des temporalités accélérées, auxquelles les entreprises et leurs écosystèmes ne sont ni habitués ni bien préparés. Cela nécessite réactivité, anticipation et donc visibilité de la commande ; mais cela implique également de passer d’une logique de flux régulier à une logique de masse et de stocks, voire de stocks de prévoyance. Simultanément, l’enjeu consiste à rester compétitif et innovant pour accompagner les mutations technologiques et climatiques ; et ainsi continuer à servir, pour certaines entreprises, d’autres secteurs que la défense au travers de technologies duales.

Si ces deux enjeux ne sont heureusement pas antinomiques, ils concourent cependant à la schizophrénie des dirigeants de nos entreprises de défense qui doivent déjà, et encore plus demain, arbitrer entre vitesse opérationnelle, structuration, renforcement de l’entreprise, normes ISO, RSE, vision anticipatrice de l’innovation et rentabilité économique – la mère des batailles – pour finalement arbitrer en vue de la pérennité, voire de la survie de la société.

Pour répondre positivement à cette montée en puissance vers une économie de guerre, le Medef appelle à un certain nombre de mesures en accompagnement de nos entreprises, de leurs dirigeants et de toutes les équipes qui y travaillent. Le premier grand sujet concerne le financement. Nos entreprises de défense œuvrent par nature sur des cycles longs, sont réputés comme étant des investissements illiquides offrant des rentabilités non spéculatives et sources d’enjeux de réputation. Il s’agit là d’autant de freins naturels au financement et aux investissements.

Il convient donc de faciliter le financement public et privé, français et européen, pour renforcer les capitaux propres, faciliter les investissements et concourir au développement, voire à la transmission de ces entreprises. L’objectif principal consiste bien à préserver la compétitivité et la capacité à investir dans des cadences de production accélérées, tout en continuant à innover et en se protégeant contre les risques (menaces d’ingérence, prédations capitalistiques, espionnage industriel, cyberattaques, campagnes de désinformation.), sans oublier les problématiques connues de souveraineté industrielle.

Le deuxième thème a trait à la performance industrielle et commerciale. Nos entreprises de défense, comme toutes les PME-ETI, ne sont pas en mesure de résoudre seules les enjeux d’encours, d’approvisionnements et de stocks pour une production en cadence accélérée et en volume ; en raison de l’absence de leviers commerciaux et, surtout, de l’existence de forts enjeux de rentabilité.

Il s’agit donc de dynamiser l’ensemble des leviers industriels et commerciaux autour de quelques pistes. La première vise à sécuriser les approvisionnements en matières premières et composants critiques, en facilitant l’accès aux PME de notre écosystème de défense à ces ressources via les grands groupes et via des politiques d’achats groupés. Il convient aussi de faciliter l’accès au foncier ; garantir les investissements en infrastructures sur le long terme ; réduire, voire subventionner le coût de l’énergie ; simplifier les processus administratifs et contractuels ; fluidifier les processus de paiement entre les grands groupes donneurs d’ordre et les PME sous-traitantes et enfin simplifier les normes. Il est clair que la culture du risque en économie de guerre ne doit pas être la même qu’en situation normale. Il faut en outre miser sur les collaborations nationales et transnationales.

Le troisième thème relève des ressources humaines. La montée en puissance de notre industrie de défense ne se réalisera pas sans le plein soutien des femmes et des hommes qui y travaillent. Assurer la pérennité de son emploi n’est pas incompatible avec l’esprit de défense, mais cela passera toujours au premier plan.

Au-delà d’un déficit structurel de main-d’œuvre qualifiée, sur lequel nous ne reviendrons pas, il importe donc de mobiliser les ressources humaines en valorisant davantage l’image des métiers de l’industrie et de la défense ainsi que les formations associées, afin de pallier la faible attractivité du secteur ; en réinventant l’esprit de défense à tous les niveaux des entreprises et en favorisant la réserve, dans le but évident de contribuer à la meilleure connaissance des sujets défense dans l’écosystème industriel civil.

Des voies d’amélioration ont d’ores et déjà été identifiées par le CLD : instaurer une relation tripartite pour donner une place, un rôle et une responsabilité réelle à l’employeur civil ou étudier de vrais dispositifs de contrepartie. Le Medef, par la voix de son comité Liaison Défense, est pleinement impliqué dans cette réflexion sur les enjeux de préparation à l’économie de guerre. La commission souveraineté et sécurité économique du Medef est également mobilisée sur cette problématique d’actualité.

La France est un acteur majeur de l’industrie de défense en Europe et dans le monde. Notre industrie possède tous les atouts intrinsèques pour réussir ce changement de paradigme vers une économie de guerre, sous réserve d’avoir pris en compte les mesures précitées et de faire en sorte que les actes suivent les paroles, au même rythme que celui qui est imposé à notre industrie de défense.

M. Philippe Duhamel, président du comité défense du Cidef, directeur général adjoint Systèmes de mission défense chez Thales. Le Cidef a longuement travaillé sur la question de l’économie de guerre en général, qu’il s’agisse de la réserve industrielle, de la sécurité contre les risques de sabotage, de la modification des goulets d’étranglement et de la mise en place de mesures de remédiation.

Un certain nombre d’industriels ont déjà beaucoup investi pour augmenter les capacités de production. Citons notamment MBDA, Nexter et Thales. Cependant, l’outil industriel, destiné à fabriquer des systèmes complexes, présente une réelle inertie de fait, liée au nombre de tâches à accomplir ou au nombre de technologies impliquées. La capacité à accélérer est donc corrélée à la durée des cycles de développement. À titre d’exemple, dans le domaine de l’industrie aéronautique civile, les hausses de cadences sont annoncées deux ans à l’avance par Airbus ou Boeing.

Ce sujet nous offre l’opportunité de remettre à plat des processus, des habitudes héritées de trente ans d’efforts de défense maintenus au niveau minimum. Nos axes d’amélioration dépendent à la fois des industriels eux-mêmes, mais aussi de l’État. Le système de normes actuelles génère des coûts et des délais qui brident parfois l’innovation. Il importe de se saisir de cet enjeu à travers une action collective de fond, qui doit associer les armées et l’industrie, pour identifier les normes et règlements qui en sont responsables et celles dont nous pourrions nous passer selon le contexte. Cela nécessite une volonté politique, qui doit être relayée au plus haut niveau et de manière continue au sein de l’administration. Depuis deux ans, nous avons assez peu avancé dans ce domaine.

En 2021, à la demande du conseil du contrôleur général des armées, nous avions déjà identifié les besoins clés, assortis de propositions, concernant la sécurisation et la protection des réseaux numériques ; la circulation des personnes pour développer et produire ; la poursuite des programmes, y compris en phase précontractuelle, et la simplification de l’action de l’État pendant la phase de gestion de crise. Nous tenons à la disponibilité de la commission un tableau détaillé de ces propositions.

Du point de vue de la BITD, la défense globale s’appréhende avec plusieurs cas de figure. Mes trente-sept années d’expérience chez Thales me font dire qu’il existe une tendance à diluer trop profondément la défense dans la sécurité, alors qu’elles sont d’essence différente. Les mesures à prendre doivent nous permettre de continuer à fonctionner, de poursuivre puis accélérer la production, tout en continuant à innover.

Certaines mesures relèvent évidemment de la responsabilité des industriels. D’autres ne le sont pas et impliquent des coûts que l’industrie ne pourra pas supporter toute seule. La problématique budgétaire est donc incontournable. La notion de défense globale n’a pas été vraiment appréhendée depuis la fin de la guerre froide. Elle nécessite donc une redéfinition et une acculturation de l’ensemble de la sphère publique. L’année dernière, lorsque l’administration a défini les priorités en cas de pénurie d’électricité, l’application aux industries de défense a différé selon les préfets. Cette question nous interpelle.

Il est donc nécessaire d’assurer la mobilisation des ministères, notamment celui de l’intérieur. Le rôle des préfets est à ce titre absolument essentiel, comme le prévoit l’ordonnance de 1959. La défense globale est une approche interministérielle, mais celle-ci a fait un peu défaut aujourd’hui. La résilience et l’optimisation industrielle ne sont pas compatibles.

Parmi les risques identifiés, il faut d’abord mentionner le risque en matière de ressources humaines, de pénurie de main-d’œuvre et de mouvement social. Les personnels des entreprises en dehors du champ de la défense doivent être mieux acculturés aux enjeux de la défense. Ensuite, dans certains cas, il semble important de pouvoir déroger au droit du travail si nous voulons beaucoup plus produire. Il est nécessaire d’anticiper la montée en cadence avec des plans bien établis.

L’absence de sensibilité aux enjeux de défense se ressent également au sein de la population, de l’administration et de la classe politique. J’en veux pour preuve le cas du label « investissements socialement responsables » (ISR), élaboré par Bercy, dont l’une des versions excluait les acteurs liés à la dissuasion Au niveau de la BITD et notamment les acteurs les plus éloignés des systèmes livrés aux armées, la diffusion du label ProMilès est  de nature à diffuser  l’esprit de défense en favorisant le lien Armée – Entreprise. Au niveau des préfectures, nous comptons beaucoup sur la mobilisation des officiers généraux des zones de défense et de sécurité (OGZDS) pour diffuser cet esprit.

Un autre risque porte évidemment sur la logistique et les approvisionnements. La sécurité d’approvisionnement en matières minérales et en composants a suscité la création de l’Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi) et la rédaction de l’article 49 de la LPM. Mais il est loisible de se demander si ces éléments seront suffisants en cas de crise grave et durable. La priorisation est certes bénéfique, mais elle n’est applicable qu’aux sous-traitants français. Or l’armée française utilise de nombreux équipements réalisés en coopération et l’industrie, nolens volens, utilise pour des questions de coûts des sous-traitants étrangers sur lesquels la France n’aura pas la même capacité de « coercition ».

S’agissant toujours des approvisionnements, nous pensons que la question de l’exploitation des ressources du sous-sol en France doit être posée, car elle est liée à celle de la résilience. Par ailleurs, la régularité des commandes de l’État est essentielle pour assurer le maintien et l’augmentation d’une cadence de production. Il faut également planifier les capacités de transport, notamment au niveau européen, en particulier les flottes marchandes aériennes et maritimes capables d’assurer cet approvisionnement.

La gestion du risque des attaques cyber doit également être mentionnée. Dans ce domaine, le risque est évidemment d’autant plus grand que les entreprises sont petites, en raison du coût de la protection cyber. Des moyens doivent être mis en place en conséquence. Le dernier point concerne les opérations de relocalisation, qui engendrent des délais importants dans la prise de décision et la mise à disposition des crédits. Le soutien de cette relocalisation apparaît donc absolument fondamental.

En conclusion, de nombreuses actions ont déjà été menées, mais beaucoup demeurent à accomplir. Il faut agir et prévoir bien avant la survenue des crises : le besoin d’anticipation est impérieux sur l’ensemble de ces sujets.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous recevrons avec plaisir vos propositions. Je souhaiterais notamment obtenir plus de détails sur vos préconisations en matière de changement des normes.

M. Albert Corbel, secrétaire général de CFDT Défense. Au nom de la CFDT Défense, je vous remercie de cette invitation. Il est en effet fondamental que le législateur écoute également les représentants du personnel des entreprises de la BITD au moment où celles-ci sont appelées à fournir un effort sans précédent dans l’hypothèse d’une guerre ou d’une crise majeure.

La présentation de votre cycle consacré à la défense globale insiste particulièrement sur le cadre national de la réaction face aux risques de crise majeure : résilience nationale, souveraineté nationale et défense nationale. La CFDT souhaite élargir la focale, pour passer de la souveraineté nationale à l’autonomie stratégique défendue au niveau européen. Se situer dans une économie de guerre pour protéger les populations revient à donner du sens aux missions des travailleurs et des travailleuses, dans les entreprises de défense. L’adhésion à l’intérêt de la mission constitue un facteur crucial de performance.

Se situer dans une perspective d’autonomie stratégique européenne vise également à donner du sens à une Europe plus politique, dans un contexte électoral où plane un risque important d’abstention qui favoriserait des résultats peu compatibles avec notre souhait d’une Europe plus soucieuse de droits sociaux et de droits humains. Nous pensons qu’il est extrêmement important de se positionner et d’agir en partenaire avec les pays de l’Union, notamment dans les domaines de la santé et des industries de défense.

Dans le champ purement économique, la coopération européenne favorise la réduction des coûts de développement et d’acquisition supportés par chaque pays, en dépit d’un renchérissement global des enveloppes. Elle favorise aussi théoriquement l’alignement des points de vue opérationnels, industriels et culturels et contribue à l’intégration des acteurs. Elle facilite enfin la consolidation de la BITD et même sa survie face à la concurrence majeure des États-Unis. Nous pouvons citer aujourd’hui de grosses entreprises du secteur de l’armement qui ont acquis avec bonheur une dimension européenne – à l’instar de MBDA, Airbus Defence and Space, KNDS Nexter, Thales –, mais également des projets comme le système de combat aérien du futur (Scaf) et le char du futur MGCS.

Le 5 mars 2024, la Commission européenne a présenté une stratégie industrielle pour la défense européenne, accompagnée d’un programme européen d’industrie de défense, dans la continuité de ses initiatives précédentes concernant le fonds européen de défense, le règlement visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (Edirpa) et le règlement en soutien à la production de munitions. La Commission européenne fait preuve de volontarisme pour inciter les États membres à concentrer leurs dépenses d’armement vers la BITD européenne.

Sous réserve d’un accueil positif des États membres européens et d’une plus grande coopération entre les acteurs industriels européens, cette initiative devrait offrir des perspectives de production et de visibilité à plus long terme à la BITD française, au profit de la sécurité des citoyens européens.

Il s’agit par ailleurs de faire en sorte que les financements qui ont été évoqués, tant privés que publics, soient au rendez-vous pour permettre cette montée en puissance. Sur le territoire national, des choix démocratiques doivent être menés en termes de dépenses et de fiscalité. C’est la raison pour laquelle la CFDT revendique la tenue d’une conférence des finances publiques qui permette de trouver les financements pour les défis à venir, dont la sécurité nationale.

L’exportation d’armements et le droit international doivent également être mentionnés. Pour l’exécutif, il est absolument clair que le maintien en capacité de la production de la BITD ne se conçoit pas sans exportations d’armement. Sur ce terrain, la CFDT, soucieuse de la sécurité de tous et du respect des droits humains sur l’ensemble de la planète tient à rappeler les règles associées au commerce des armes. Je pense notamment au traité sur le commerce des armes (TCA), qui empêche de vendre des armes qui pourraient être utilisées pour commettre des crimes graves tels que le génocide, les crimes contre l’humanité, les violations des conventions de Genève de 1949, les attaques contre des civils ou des biens civils protégés ou d’autres crimes de guerre définis par les accords internationaux.

Il faut également mentionner la position commune de 2008 dite PESC du Conseil de l’Union européenne, adoptée sous présidence française, qui rend juridiquement contraignant le code de conduite en matière d’exportation d’armements établi en 1998. L’arrangement de Wassenaar signé par la France en 1996 rassemble quant à lui quarante-deux États membres. Il vise à promouvoir la transparence et la responsabilité dans les transferts d’armes et des biens à double usage, afin d’éviter les accumulations déstabilisantes et de préserver la stabilité internationale.

Enfin, il faut mentionner les obligations internationales concernant les actions des entreprises domiciliées en France ou relevant de sa juridiction, qui incluent la prévention des violations des droits humains commis à l’étranger par des sociétés françaises, en adoptant un cadre juridique contraignant les entreprises à exercer une diligence raisonnable en matière de droits humains.

Les entreprises ayant des liens avec l’État ou recevant son soutien doivent faire l’objet de mesures particulières pour prévenir les violations des droits humains. Or un des nœuds du problème concerne le système français de contrôle des exportations d’équipements militaires, qui est critiqué pour son manque de transparence et son insuffisante efficacité. Les exportations d’armes sont soumises à une autorisation de l’État décidée par le Premier ministre, après consultation de la commission interministérielle pour l’étude des exportations d’équipements militaires (CIEEMG).

Des préoccupations sont soulevées quant aux risques que les équipements militaires exportés contribuent à des violations des droits humains, en particulier dans le cadre de la coopération militaire avec les Émirats arabes unis. De plus, le manque de transparence entourant les décisions d’exportation, attribué au secret militaire, complique la surveillance et la responsabilité. La CIEEMG opère à huis clos et ne rend pas compte de ses décisions ou de ses méthodes d’évaluation à l’Assemblée nationale. Les rapports annuels sur les exportations d’armes manquent de détails précis, rendant difficile la compréhension des transferts d’armes.

Dans un autre registre, les entreprises de la BITD sont aujourd’hui confrontées aux mêmes problèmes de recrutement et de fidélisation que l’ensemble des autres secteurs d’activité. Une difficulté supplémentaire peut cependant aggraver la situation du secteur de la défense. Ce dernier peut en effet souffrir d’un déficit d’image si la finalité de son activité n’est pas justifiée par une communication claire et convaincante, à la fois gouvernementale et professionnelle. Par ailleurs, il faut, comme partout, mettre en lumière l’attractivité des métiers, les rémunérations, les conditions de travail, les parcours de carrière. Tout doit être exploré pour favoriser le recrutement et la fidélisation dans ce secteur.

Compte tenu de l’évolution considérable des types de conflits et des technologies mises en œuvre, les métiers de l’industrie des armes balayent aujourd’hui entièrement le spectre des technicités, des compétences traditionnelles aux exigences les plus pointues dans les milieux et domaines nouveaux, comme l’espace, l’intelligence artificielle, la cyberdéfense. Les enjeux de formation initiale et continue et l’implication de l’enseignement professionnel, de l’enseignement supérieur et de la recherche sont fondamentaux. Les offres de reconversion et la transition professionnelle constituent des leviers à explorer pour assurer les recrutements. Des dispositifs de partenariat doivent être étudiés pour transformer la concurrence, entre les grands donneurs d’ordre et les entreprises de sous-traitance ou entre grands donneurs d’ordres, en une coopération moins conflictuelle, notamment au niveau européen, favorable aux candidats à l’embauche comme au secteur tout entier.

Dans ce secteur comme ailleurs, nous militons pour un dialogue social de qualité, transparent et loyal. Cette remarque rejoint la demande de la CFDT de renforcer les moyens attribués au dialogue social, à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail, au-delà de ce que permettent les ordonnances travail de 2017. Ceci est d’autant plus important que l’exigence d’économie de guerre entraîne ou entraînera des évolutions probablement considérables dans l’organisation du travail, dont la définition doit s’appuyer sur l’expertise et l’expérience du personnel.

Enfin, les enjeux environnementaux et climatiques ne doivent pas être oubliés au prétexte d’être capables de se défendre contre une agression qui reste aujourd’hui potentielle. Pour concilier la prise en compte de ces deux risques, il faudrait profiter des technologies duales et d’innovation utiles à une utilisation civile. En l’occurrence, il y a matière à porter l’innovation sur les énergies non fossiles, la mobilité électrique ou la sobriété.

En conclusion, je souhaite réagir aux propos récents tenus par le ministre des armées lors d’une conférence de presse, lors de laquelle il a évoqué la réquisition possible dans le secteur de l’armement. La BITD n’est pas l’armée et la France n’est pas en guerre. Le respect du droit du travail reste de rigueur ; la coercition ne permettra pas d’obtenir l’engagement des travailleurs et des travailleuses du secteur de la défense.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous partageons la nécessité de progresser vers la compréhension des enjeux d’exploitation en matière d’armement. À ce sujet, le Journal officiel a publié la composition de la délégation parlementaire de contrôle de la politique du gouvernement en matière d’exportation de matériels de guerre. Pour notre commission, outre le président qui en est membre de droit, Olivier Dussopt en fera partie.

Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.

Mme Patricia Lemoine (RE). Je souhaite vous interroger sur la manière dont s’exprime votre coopération avec l’ensemble des forces vives dans les territoires. Pourriez-vous, à ce titre, nous indiquer comment vos entreprises travaillent avec les collectivités territoriales, notamment sur les sujets de défense, par exemple, pour orienter l’offre de formation professionnelle vers les métiers qui vous concernent ?

Vous nous avez en effet fait part de vos difficultés de recrutement. Les partenaires dans les territoires – vous avez évoqué notamment le rôle crucial du préfet – ont-ils constitué une ressource utile pour accompagner les entreprises amenées à accélérer leur rythme de production face à une demande démultipliée depuis la guerre en Ukraine ?

Pourriez-vous nous parler de vos relations avec le tissu économique local ? En effet, vos entreprises sont en lien permanent avec le maillage important des TPE et PMI, qui constituent vos fournisseurs. Mais êtes-vous aussi en mesure d’interpeller d’autres acteurs de la sphère économique sur les enjeux de défense ? Je pense notamment aux chambres consulaires. Seriez-vous favorable, comme c’est le cas par exemple en Suède, à la mise en place d’un conseil intersectoriel qui aurait pour objectif de renforcer la coopération entre les secteurs privé et public sur les questions liées à la préparation aux crises et à la défense globale ?

Enfin, j’aimerais vous interroger sur votre vision, en tant qu’employeur, des conventions de partenariat avec la réserve militaire opérationnelle et les autres réserves, comme celles de la gendarmerie ou encore la garde nationale. Ces dispositifs sont-ils suffisamment identifiés par les entreprises que vous représentez ? Quelles mesures mériteraient selon vous d’être mises en place pour les inciter à signer davantage de telles conventions ?

M. Emmanuel Chopin. Les PME ont par nature des relations permanentes avec les autorités locales et les préfets, ne serait-ce que parce que l’essentiel de nos sites sont classés ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement). Elles ne créent pas pour autant des synergies et nous n’avons pas entamé de démarches fortes vers les autorités civiles pour promouvoir cet esprit de défense.

Ensuite, nous disposons de relations naturelles avec les centres de formation, qui sont extrêmement ciblées sur nos besoins dans des métiers sous tension, comme les chaudronniers soudeurs. Pour renforcer notre attractivité, nous organisons également des visites de nos sites par les autorités civiles et les étudiants.

Je laisserai le représentant des grands groupes parler de la réserve, mais tiens à rappeler que le CLD du Medef est pleinement impliqué dans cette démarche et y dédie notamment un groupe de travail spécifique.

M. Philippe Duhamel. En matière de recrutement de personnels sur nos territoires, nous travaillons en lien avec Pôle emploi. À titre d’exemple, Thales recrute dans l’une de ses usines des personnes sans diplômes, que nous formons. La relation avec les préfets concerne surtout la préparation des crises et la planification, qui pourraient clairement être améliorées dans certains cas.

Ensuite, les grands groupes de défense sont très impliqués dans la réserve et comportent un grand nombre de réservistes en leur sein. Ils leur permettent notamment d’effectuer un nombre de jours de réserve plus importants que le minimum. Par exemple, chez Thales, certains salariés effectuent jusqu’à soixante jours de réserve opérationnelle dans l’armée. Naturellement, un tel dispositif est plus aisé à mettre en œuvre dans des grands groupes que dans des PME et dans des territoires où des bases ou régiments sont présents plutôt que dans des déserts militaires.

M. Albert Corbel. L’acculturation à l’esprit de défense n’est pas toujours aisée à transmettre, en particulier dans nos organisations.

S’agissant de la réserve, des partenariats doivent être développés avec des entreprises, pour permettre aux candidats d’agir de manière plus sereine, à travers notamment l’augmentation du nombre de jours qui y sont consacrés et le financement par l’employeur. La CFDT est impliquée dans ces partenariats entre les entreprises et l’État et a ainsi participé à la définition de la doctrine de la réserve.

M. Frank Giletti (RN). Je vous remercie pour vos interventions, qui nous permettent d’appréhender les questions de défense, avec un regard et une expertise économique et sociale qui ne sont pas habituels dans cette commission.

Je souhaite vous faire part d’un exemple qui illustre l’indispensable collaboration entre les mondes de l’économie, du dialogue social et de la défense pour faire réussir nos armées. Dans ma circonscription du Var, à Cuers-Pierrefeu, une externalisation malheureuse de la maintenance des avions Atlantique 2 a donné lieu, dans les années 2010, à une crise qui a gêné les opérations de la marine nationale. Ces avions sont notamment dédiés à la surveillance sous-marine, au sauvetage en mer et à la maîtrise du combat, mais aussi à la dissuasion. En l’espèce, une mauvaise adaptation du prestataire de services aux réalités militaires et opérationnelles de son client, le service industriel de l’aéronautique, a entraîné de graves dysfonctionnements sur la chaîne de maintenance. Ces dysfonctionnements ont par la suite provoqué une crise sociale se manifestant par plusieurs grèves et clouant des avions sur le tarmac. Cette crise a heureusement pris fin et l’atelier industriel de l’aéronautique (AIA) assure, de nouveau dans de bonnes conditions, la maintenance des avions Atlantique 2, qui sont indispensables à notre défense et à notre marine.

Cet exemple illustre en tout état de cause l’indispensable bonne coopération entre les entreprises et les partenaires sociaux pour permettre un bon fonctionnement des services dévolus aux armées et donc notre capacité à agir sur un plan militaire.

J’aimerais cependant vous interroger sur un autre volet de cette coopération. Les carrières des militaires sont souvent courtes et hachées, et leur reconversion dans le secteur public ou privé s’avère parfois indispensable. La qualité de leurs initiatives, le sérieux et la rigueur des militaires en font des éléments particulièrement appréciés dans vos entreprises. Je souhaite plus spécifiquement vous interroger sur l’intégration des anciens militaires blessés, présentant un handicap moteur ou psychique. Comme pour les autres candidats issus du monde civil, ces profils peuvent parfois aussi susciter des réticences chez un potentiel employeur. Je souhaitais donc savoir quelles mesures vous mettez en œuvre au sein de vos sociétés pour intégrer ces profils qui ont tant donné pour la France. Monsieur Corbel, de votre côté, comment les accompagnez-vous ?

M. Emmanuel Chopin. Dans le cadre du comité de Liaison Défense du Medef, un groupe de travail est dédié à l’accompagnement des militaires blessés. Le monde civil s’est habitué aux militaires blessés physiquement, qui s’intègrent facilement dans les équipes. En revanche, l’intégration des militaires victimes de syndromes post-traumatiques (SPT) est plus difficile. Ces militaires nécessitent donc un accompagnement très particulier, que certaines entreprises ont testé. Le CLD est associé à cette démarche, avec des correspondants locaux.

M. Albert Corbel. Notre organisation syndicale accompagne tous ses adhérents, qu’ils soient militaires ou civils. Je confirme que les cas de SPT sont plus difficiles à gérer.

S’agissant de la situation du service industriel de l’aéronautique et de l’AIA, nous ne sommes naturellement pas responsables des décisions d’externalisation pour le maintien en condition opérationnelle (MCO). Nous y sommes plutôt opposés, dans la mesure où ce cas n’est pas isolé. Je pense tout particulièrement à l’entretien d’un certain nombre de bâtiments de guerre de Naval Group, qui a été confié à un autre industriel et a induit un trou de charge pour un certain nombre d’équipiers, qui ne permet pas de maintenir la compétence.

M. le président Thomas Gassilloud. L’intégration des militaires blessés représente une raison supplémentaire de faire vivre une relation de défense à l’échelle des territoires, d’autant plus que les entreprises peuvent mentionner dans leur reporting de responsabilité sociale et environnementale (RSE) l’intégration de ces militaires blessés.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je profite de l’opportunité qui m’est offerte pour interroger M. Duhamel, en tant que député de la quatrième circonscription de Haute-Garonne qui a la chance d’avoir Thales Alenia Space (TAS) sur son territoire, entreprise au sein de laquelle 1 300 postes sont aujourd’hui menacés d’être réorientés. Quelle est la stratégie spatiale d’un groupe comme Thales à court, moyen et long terme ? Quelle est la place aussi pour Leonardo et ADS dans la stratégie future du groupe ?

TAS est reconnue pour l’excellence des infrastructures spatiales qu’elle produit. Elle est en revanche peu présente sur les services. Or la part des services dans le marché spatial devient prépondérante sur le segment des infrastructures ; elle est également promise à une plus forte croissance. Comment le groupe Thales compte-t-il soutenir TAS pour développer ses activités de services, pour pérenniser et développer l’emploi, notamment en France, mais aussi dans les autres pays où l’entreprise est implantée ?

Enfin, quelle est la contribution directe ou indirecte de Thales et des industries de défense dans les actions qui sont menées actuellement par l’armée israélienne à Gaza, comme le laisse entendre le rapport du collectif Stop arming Israël ?

M. Philippe Duhamel. Le management de Thales se tient à votre disposition pour évoquer le sujet que vous avez mentionné. TSA a la chance d’appartenir à un grand groupe, qui permet de repositionner un grand nombre de personnels sur des métiers identiques dans d’autres segments d’activités comme le radar ou la radio.

M. Franck Uhlig, secrétaire fédéral de la fédération générale de la métallurgie et des mines CFDT. La CFDT est effectivement préoccupée par le sort des salariés de TSA et la pérennité de l’activité satellites. En effet, le spatial constitue un élément clé de la défense globale. Au niveau européen, il existe une réelle volonté de développer la nouvelle constellation IRIS2, qui permettrait de sécuriser les communications des États et des acteurs économiques. Dans ce cadre, il est essentiel de disposer de compétences industrielles pour pouvoir répondre à ces besoins et sortir par le haut des difficultés concurrentielles au niveau mondial. Actuellement, le principal problème européen porte sur les lanceurs, ce qui entraîne des conséquences sur l’industrie des satellites. Des réunions consacrées à ce sujet interviendront dans le cadre de l’Agence spatiale européenne (ESA) au second semestre.

M. le président Thomas Gassilloud. S’agissant de la deuxième partie de la question de M. Piquemal sur les exportations de matériel de guerre, des éléments très précis ont été apportés par le ministre des armées dernièrement, mais le sujet pourra à nouveau être soulevé lors du cycle d’auditions prévues en juin et éventuellement lors de la réunion des trois commissions qui aura sans doute lieu en septembre, à l’occasion de la remise du rapport annuel.

Mme Sabine Thillaye (Dem). Ma question concernera l’espace cyber. Les cyberattaques ont aujourd’hui la particularité de pouvoir émaner d’acteurs étatiques ou de criminels, qu’ils soient isolés ou en groupe, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre. La France et ses entreprises sont particulièrement exposées aux risques. En 2022, les TPE et PME ont représenté 40 % des attaques, par exemple par rançongiciels, traitées par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), soit une perte de chiffre d’affaires d’environ 1,1 milliard d’euros pour les entreprises. Mais le risque n’est pas seulement financier, il est également technique, juridique, réputationnel et humain. Aujourd’hui, il s’agit d’acculturer les collaborateurs de l’ensemble des entreprises à ces risques, mais aussi de les sensibiliser à la défense et à la sécurité. Vos entreprises mènent-elles des démarches particulières à ce sujet ?

Ensuite, la loi de programmation militaire (LPM) que nous avons adoptée l’an dernier prévoit d’augmenter le nombre des réservistes à 80 000 d’ici 2030. Parmi eux, certains seront aussi affectés au renforcement des unités cyber. Cette LPM renforce les obligations de l’employeur, qui doit désormais libérer ses salariés réservistes pour un minimum de dix jours par an pour leur permettre de participer à leur activité de réserve. Disposer des collaborateurs réservistes représente une réelle opportunité pour une entreprise, surtout lorsque ces derniers peuvent mettre leurs compétences à profit, comme en cyberdéfense. Les entreprises perçoivent-elles la présence de réservistes en leur sein comme une plus-value ou comme une contrainte ? Accueillez-vous favorablement les réservistes servant dans les unités cyber ? Considérez-vous qu’ils puissent contribuer de manière significative à la lutte contre le risque cyber au sein de l’entreprise ?

Enfin, M. Corbel a évoqué l’échelon européen. Or l’industrie de défense européenne demeure marquée par une très forte fragmentation. La puissance existe, mais elle n’est pas forcément utilisée comme elle devrait l’être. Comment pouvons-nous parvenir à une meilleure collaboration et une meilleure utilisation des finances ?

M. Philippe Duhamel. Le risque cyber est parfaitement compris et nos groupements Gican, Gifas et Gicat sensibilisent les entreprises, en particulier les plus petites, sur les actions à réaliser pour s’en prémunir le mieux possible. In fine, les chefs d’entreprise doivent prendre les décisions qui s’imposent.

Les entreprises de la défense accueillent toutes avec enthousiasme le monde de la réserve. Au-delà des contraintes que la réserve implique, la plus-value l’emporte. Le nombre de réservistes augmente, dans le cyber ou dans d’autres domaines. Chez Thales, certains réservistes rejoignent par exemple le 13ᵉ régiment de dragons parachutistes. En revanche, je ne saurais parler des entreprises qui n’appartiennent pas au monde de la défense.

Ensuite, la fragmentation des industries de défense européennes nécessiterait un exposé particulier. Cette question est en effet particulièrement complexe, chaque pays envisageant cette question selon son propre prisme. La France présente l’avantage d’avoir des industries en avance sur les autres dans un certain nombre de domaines.

Dans le domaine de la défense, la coopération interétatique se matérialise par des coopérations entre des industriels. L’idéal consiste naturellement à pouvoir coopérer avec un acteur disposant du même niveau technique, mais force est de constater que cela n’est pas toujours le cas, ce qui suscite des difficultés.

M. Albert Corbel. Lors de la réflexion sur la LPM, la CFDT et les organisations patronales ont participé à un cycle de réunions consacrées à la doctrine d’emploi de la réserve, qui concernera en réalité plus de 80 000 réservistes. Les conventions signées avec les grands groupes ou les petites entreprises pour faciliter l’emploi de la réserve obtiennent notre encouragement. Je suis tout à fait d’accord pour considérer que, du point de vue des employeurs, mais aussi du point de vue des salariés, des collaborateurs réservistes représentent une réelle opportunité. La CFDT avait demandé de pouvoir adresser des communications à des salariés réservistes, pour valider et vérifier l’utilisation de leurs droits à bon escient. Cette proposition n’a malheureusement pas été adoptée par la commission.

M. Franck Uhlig. La fragmentation de l’industrie européenne de défense est en réalité de deux ordres. Il s’agit d’une part du nombre d’acteurs industriels européens, en sachant que d’éventuels rapprochements pourraient intervenir. Ensuite, il importe de réorienter les investissements de défense vers des productions européennes, afin de renforcer notre BITD continentale. Par exemple, en 2022, sur les 240 milliards d’euros investis par les États membres en matériel de défense, près de 80 % des montants portaient sur des productions extraeuropéennes.

L’autonomie stratégique européenne doit désormais se matérialiser. Des initiatives ont été lancées en ce sens, à l’image du fonds européen de défense, qui a pour objectif de lancer des programmes de développement en commun entre plusieurs États membres et ensuite de répartir la production entre différents pays, afin de réduire le nombre de plateformes. Un acteur industriel seul ne peut répondre à tous les besoins, mais une coopération européenne peut obtenir des résultats à moyen terme, en faveur de notre résilience. La Commission européenne a effectué des propositions en ce sens et il appartient désormais aux pays de se positionner.

M. le président Thomas Gassilloud. Je précise que la structuration des capacités industrielles à l’échelle européenne est au cœur de la mission de nos collègues Thiériot et Larsonneur, qui devraient rendre leur rapport en mai.

M. Emmanuel Chopin. Dans le domaine cyber, les PME et ETI de la BITD sont accompagnées par la direction générale de l’armement (DGA), qui effectue des audits et finance une partie de la protection. Il s’agit là d’une norme « utile » que la DGA impose aux entreprises de la BITD.

Mon entreprise accueille plusieurs réservistes. Je suis réserviste opérationnel au commandement des opérations spéciales (COS), mon directeur technique est réserviste opérationnel dans l’armée de l’air et deux autres réservistes figurent parmi nos effectifs. Mais, en règle générale, c’est l’appartenance à la BITD plus que la taille des entreprises, qui détermine la présence de réservistes. Un grand groupe hors BITD a ainsi peu voire pas de réservistes.

Enfin, je souhaite indiquer que le Medef a publié hier trente propositions en vue des élections européennes, dont quatre concernent particulièrement la défense. La première porte sur un « Buy European Act », pour promouvoir le label « Fabriqué en Europe ». La deuxième appuie un plan de soutien massif de 100 milliards d’euros aux entreprises de la BITD, axé autour d’un principe simple : la préférence européenne. La troisième porte sur le développement de partenariats stratégiques pour les approvisionnements, se traduisant par une massification à l’échelon européen. La dernière concerne la protection, à la fois économique, mais également contre les prédations, à travers le contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises aujourd’hui et, demain, dans les entreprises européennes.

M. le président Thomas Gassilloud. Pouvez-vous nous transmettre ce document ?

Mme Sabine Thillaye (Dem). Quelles démarches les entreprises hors BITD peuvent-elles accomplir pour sensibiliser leurs collaborateurs aux questions de défense, notamment de cyberdéfense et de sécurité ?

M. Emmanuel Chopin. Il est nécessaire de travailler très en amont, dès l’école et la formation, pour acculturer la population aux enjeux de la défense et des industries de la BITD. Le comité Liaison Défense du Medef dispose de représentations régionales, qui mènent des initiatives, en particulier avec les chambres de commerce et d’industrie, pour conduire cette même acculturation à un autre niveau. Les entreprises de la BITD sont naturellement les vecteurs d’une meilleure connaissance du « fait défense », mais je ne dispose pas de réponse précise à votre question.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous aurons l’occasion de creuser ce sujet lors de futures auditions, notamment de Mmes les ministres Belloubet et Ferrari. J’ajoute qu’un projet de loi sera vraisemblablement déposé d’ici l’été afin de décliner la directive NIS 2 sur la résilience des entités critiques.

M. Loïc Kervran (HOR). Au nom du groupe Horizons, je souhaite réaffirmer quelques convictions profondes. Tout d’abord, nous partageons les propos tenus par MM. Duhamel et Chopin sur la responsabilité sociale et sociétale des entreprises. Je le dis également en tant que député d’un territoire où l’industrie de défense est très présente ; nous sommes très fiers de la contribution du département du Cher à la défense de la France et de l’Europe.

Ensuite, le groupe Horizons est très attaché à la BITD et aux enjeux de son financement. Je rappelle à ce titre que mon collègue Christophe Plassard avait déposé une proposition de loi pour flécher une partie des sommes récoltées via le livret A vers le financement de la BITD. Mon groupe avait également repris la proposition de loi votée au Sénat et proposé de l’inscrire au plus vite au programme de l’Assemblée. À ce sujet, je tiens à saluer le vote du groupe Les Républicains qui, lors de la conférence des présidents, avait voté en faveur de son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée.

Selon moi, l’esprit de défense va bien au-delà de la BITD et nous sommes convaincus que l’ensemble du monde économique porte une responsabilité dans son entretien et son développement. Nous avons ainsi évoqué les réserves, l’accueil de nos militaires blessés physiquement et psychiquement, la reconversion aussi de nos militaires qui quittent nos armées.

Enfin, en matière de planification, en cas de conflit majeur, comment faire passer une partie de notre industrie civile et de ses employés vers une production militaire ?

M. le président Thomas Gassilloud. Je me permets de compléter cette question. Monsieur Corbel, vous apparaît-il nécessaire de préciser aujourd’hui en temps de paix les doctrines d’emploi qui pourraient concerner les agents civils des entreprises en temps de guerre, et notamment les dérogations limitées, temporaires et proportionnées au code du travail ?

M. Albert Corbel. La CFDT ne s’est pas encore penchée longuement sur cette question, mais il me semble effectivement nécessaire d’anticiper une situation de guerre, que nous ne connaissons cependant pas aujourd’hui. Le droit du travail ne pourra vraisemblablement pas être identique en cas de conflit. Cette possibilité doit être envisagée, en associant naturellement les représentants du personnel pour l’élaboration de telles règles.

M. Philippe Duhamel. S’agissant de la planification, le code du travail offre déjà un certain nombre de possibilités pour répondre à des crises limitées, comme le travail le samedi ou les délais de prévenance. En revanche, la question serait quelque peu différente en cas de crise d’une grande ampleur. Naturellement, il est toujours désagréable de planifier des événements qui nous déplaisent, mais cela serait malgré tout assez sage.

Ensuite, l’histoire montre que des industries civiles ont su se transformer pour s’adapter en temps de guerre. Des usines Ford produisaient ainsi des avions pendant la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, la situation a certes changé, mais rien ne nous empêcherait de réfléchir à des planifications. Il faut néanmoins être conscients que cette planification est onéreuse. L’industrie est prête à y réfléchir.

M. le président Thomas Gassilloud. Je suis convaincu que nous gagnerions tous à expliquer en temps de paix quel serait le rôle de chacun dans des circonstances de crise majeure, notamment les salariés du secteur privé. Les législateurs pourraient se demander comment mieux expliciter le régime de mise en garde et les conséquences qui pourraient être associées à l’activation de ce régime.

M. Emmanuel Chopin. Je tiens à souligner l’existence d’une initiative concernant la réserve opérationnelle industrielle. Elle vise à « récupérer » des personnels civils, afin qu’ils contribuent à accélérer la production dans des entreprises de la BITD. À l’heure actuelle, les réflexions butent sur des sujets statutaires, comme ceux relatifs à la propriété intellectuelle.

M. le président Thomas Gassilloud. Lors de mon dernier déplacement en Ukraine, j’ai pu constater que les entreprises se mobilisent sans cadre juridique précis, en faveur de l’effort de guerre du pays. Par exemple, 150 entreprises ukrainiennes produisent des drones hors cadre juridique.

M. Albert Corbel. Des solutions existent déjà pour faire intervenir du personnel civil dans des opérations à destination des militaires, notamment en matière d’entretien, dans le cadre de réserves provisoires.

M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). De quelle manière les industriels de défense collaborent-ils avec les partenaires sociaux pour garantir des conditions de travail optimales tout en répondant aux besoins opérationnels des forces armées françaises ? Des initiatives ont-elles été prises pour assurer un dialogue constructif et une coopération efficace ?

M. Albert Corbel. Pour le moment, à ma connaissance, le dialogue social en entreprise n’a pas anticipé des situations de conflit majeur.

M. le président Thomas Gassilloud. Quelles sont les conséquences concrètes pour les salariés des entreprises de cette économie de guerre annoncée depuis bientôt deux ans ? Cela se traduit-il par exemple par une hausse des heures supplémentaires, des horaires en trois-huit ?

M. Franck Uhlig. M. Duhamel a précédemment souligné à juste titre que dans les industries de défense, il n’est pas possible de relancer des chaînes d’approvisionnement dans un délai trop bref, car chaque maillon doit être en mesure de pouvoir répondre aux exigences. Les effets concrets des annonces sur l’économie de guerre (changements d’horaires de travail, accentuation de passage en trois-huit, travail le samedi ou heures supplémentaires) commencent seulement à se faire sentir chez certains acteurs, mais ce n’est pas le lot commun des entreprises de la BITD. De toute manière, les commandes formelles ne sont pas encore suffisantes pour assurer cette montée en puissance.

S’agissant de la notion de réquisition, il m’a semblé que celle-ci concernait surtout les matières premières et les stocks, plutôt que les personnels. Ensuite, la Commission européenne envisage, à travers son programme européen pour l'industrie de la défense (EDIP), de pouvoir créer des structures juridiques en mesure de gérer des stocks non dédiés à un État membre, afin de disposer d’une chaîne d’approvisionnement efficace, car bénéficiant d’une plus grande visibilité, y compris pour les salariés.

M. Philippe Duhamel. Le dialogue social dans les entreprises de la BITD n’a pas été modifié depuis deux ans. Grâce aux commandes export de Rafale, Thales a augmenté sa capacité de production, ce qui a nécessité des investissements, pour construire des bâtiments et des salles blanches, acheter des machines, solliciter ses sous-traitants et recruter en masse le personnel nécessaire. De telles opérations prennent du temps. L’augmentation de la production suit un processus bien établi chez Thales, qui correspond aux besoins actuels. Une accélération franche nécessiterait certainement un changement d’échelle, mais nous n’en sommes pas là pour le moment.

M. le président Thomas Gassilloud. Cet exemple illustre bien que la hausse de production que vous connaissez n’est pas liée à l’économie de guerre en France, mais à un autre phénomène, les commandes export.

M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). Ne craignez-vous pas des résistances en fonction des appartenances syndicales ?

M. Philippe Duhamel. Je vous répondrai prudemment en vous disant que je suis extrêmement confiant dans l’engagement de nos personnels pour contribuer au succès des armes de la France.

M. Albert Corbel. Je peux citer un autre exemple, qui concerne cette fois-ci une demande émanant de la France : les commandes de canons Caesar ont entraîné une hausse considérable de la charge de travail. Celle-ci est intervenue dans le cadre du dialogue social existant, qu’il n’a pas été nécessaire de modifier.

Ensuite, j’adhère totalement à cette idée d’engagement des salariés, particulièrement ceux de la BITD, quelles que soient les positions des centrales nationales. Sur le terrain, il n’est pas contestable.

M. le président Thomas Gassilloud. Je cède la parole à mes collègues pour une série de questions complémentaires.

M. Hubert Julien-Laferrière (NI). Monsieur Corbel, l’année dernière, la CFDT avait exprimé des craintes face aux conséquences sociales de la loi de programmation militaire. Malgré l’augmentation conséquente du budget désormais établie sur sept ans, vous redoutiez que la hausse des cadences n’affecte les conditions de travail des salariés. Un an plus tard, estimez-vous que vos craintes étaient fondées ? Ensuite, la CGT avait émis de son côté des craintes d’ordre politique et s’était opposée aux 50 milliards d’euros consacrés à la dissuasion nucléaire, en contradiction avec le traité de non-prolifération que la France a pourtant signé. La CFDT s’est-elle exprimée à ce sujet ?

M. Jean-Michel Jacques (RE). Je tiens à souligner que les réquisitions ne s’opposent pas au droit du travail, contrairement à ce que j’ai entendu. Les mesures votées par l’Assemblée nationale en matière de réquisitions n’ont pas pour objet de s’opposer au droit du travail, ni de forcer la main aux salariés de la BITD. En revanche, il est vrai que la nation peut avoir besoin de procéder à ces réquisitions et ces constitutions de stocks. Nous ne sommes pas en guerre, mais nous vivons malgré tout une période de contestation profonde. Ces réquisitions renforceront même la BITD pour lui permettre de se développer. Pouvez-vous évoquer ces sujets ?

M. José Gonzalez (RN). Le 28 mars dernier, le ministre des armées a publié un décret relatif à la sécurité des approvisionnements de nos forces armées et des formations rattachées. Ce décret faisait suite à l’adoption de l’article 49 de la LPM, que nous avons voté l’année dernière. Il vise notamment à introduire une notion de constitution de stocks de matériaux stratégiques par les entreprises liées au secteur de la défense et à prioriser les demandes émanant de l’État sur les contrats communs. Pourriez-vous nous expliquer de manière pratique comment il sera mis en application ?

Messieurs Chopin et Duhamel, comment les entreprises privées dans lesquelles vous exercez des responsabilités ont-elles perçu ces annonces ? Monsieur Corbel, pouvez-vous nous indiquer quelle est la position des syndicats vis-à-vis des nouveaux articles R. 1339-8 et suivants du code de la défense sur les priorisations des prestations liées à l’État sur tout autre engagement contractuel et la nécessité de leur exécution sans délai ?

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Quelles sont les conséquences de la guerre économique – cette nouvelle guerre froide – entre les États-Unis et la Chine pour notre industrie, nos emplois, la recherche et développement, notre stratégie et notre défense ? Quelles voies préconisez-vous pour exister dans cette guerre ? Ne pensez-vous pas qu’une Europe non alignée, fondée sur un commerce et une coopération équitables, permettrait de construire un avenir en commun ? Enfin, comment anticipez-vous l’approvisionnement en cobalt, en lithium ou nickel, matières premières essentielles pour la conception des micropuces pour notre système de défense et, partant, pour notre indépendance ?

M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). Je tiens à souligner le caractère essentiel du dialogue social au sein du secteur de la défense, ainsi que le rôle majeur des entreprises et des partenaires sociaux pour entretenir ce dialogue. Ma question portera davantage sur le dialogue social au sein des armées, qui est selon moi un élément essentiel et présente plusieurs enjeux : la question des ressources humaines, l’environnement du travail, la cohésion, l’efficacité des équipes et leur implication, l’organisation du travail et le bon fonctionnement des différents services.

Les partenaires sociaux doivent apporter leur contribution dans le développement et la modernisation des organisations à travers un dialogue renforcé. À ce titre, existe-t-il des négociations en cours entre les partenaires sociaux et le ministère des armées ? Si tel est le cas, quel est l’état des négociations ? Êtes-vous confrontés à des points de blocage ? Considérez-vous que les droits et les moyens qui vous sont octroyés afin d’exercer votre activité sont suffisants ?

M. le président Thomas Gassilloud. Monsieur Duhamel, pouvez-vous revenir également sur les normes que vous considérez les plus injustifiées et bloquantes pour notre remontée en puissance ?

M. Philippe Duhamel. L’article 49 de la LPM prévoit la constitution de stocks de matières premières ou de produits semi-finis, pour l’équivalent de deux ans de production. Dans le cas des produits finis, des stocks supplémentaires ne seront pas envisageables si la production tourne déjà à pleine vitesse. La priorisation concerne la fabrication pour les industriels qui interviennent à la fois dans les domaines civil et militaire. Le ministère des armées demandera aux industriels de rang 2 ou 3 des détails sur les coûts induits par cette priorisation, afin de déterminer si le jeu en vaut la chandelle.

Ces aspects concernant les stocks et la priorisation seront étudiés au cas par cas et aboutiront éventuellement à un arrêté du ministère des armées, qui devrait faire l’objet de discussions préalables. Initialement, l’article 49 avait suscité un certain émoi dans le monde de la défense, mais certaines incertitudes ont pu être levées.

Il a été question un peu plus tôt de la guerre économique. À ce titre, un grand enjeu porte pour nous sur l’approvisionnement en puces électroniques, une problématique qui dépasse très largement le monde de la défense. Des stocks pourraient être constitués, en conséquence.

S’agissant des normes, nous ne souhaitons naturellement pas en modifier la plupart. En revanche, dans certains domaines, nous souhaitons que certaines procédures soient plus rapides. Par exemple, quand nous recrutons une personne qui doit être habilitée, nous pouvons être confrontés à de réelles difficultés lorsque la période d’habilitation dépasse celle de la période d’essai. Je reconnais les efforts accomplis par le ministère des armées dans ce domaine, mais nos besoins en personnels habilités ne cessent de croître. Dans le même ordre d’idée, le processus d’homologation de réseaux sécurisés permettant d’échanger des données de niveau « Secret » est particulièrement long.

Les traitements des études sur la sécurité au travail nécessitent également des délais assez longs, de même que les délais d’autorisation d’exploitation de moyens de production ou les délais de traitement du porter à connaissance par la préfecture locale. Ces exemples montrent bien que l’accélération de la cadence des industries de défense dépend d’un grand nombre de paramètres.

Ensuite, le secteur de la défense est particulièrement soumis aux normes, qui pèsent sur les petites entreprises, notamment en raison des coûts associés. Par exemple, le délai pour traiter une obsolescence chimique peut être extrêmement long. À ce titre, des dérogations temporaires pourraient dans certains cas nous aider à assurer nos carnets de commandes concernant les pièces de rechange.

M. le président Thomas Gassilloud. Pourriez-vous nous adresser les documents relatifs à ces derniers points ? En tant que parlementaires, nous devons bien mesurer le chemin que la puissance publique doit encore parcourir pour vous accompagner dans cette montée en puissance.

M. Albert Corbel. Je me réjouis du souci que vous manifestez concernant les conditions de travail du personnel de la BITD et du ministère des armées.

Monsieur Hubert Julien-Laferrière, nous ne sommes pas aujourd’hui dans l’économie de guerre envisagée par la LPM. Ensuite, la CFDT n’a pas pour habitude de se prononcer sur la doctrine et la stratégie militaire de la nation.

Monsieur Gonzalez, je ne connais pas précisément l’ensemble des articles du code de la défense. S’agissant des réquisitions, celles qui sont définies aujourd’hui sont nécessaires et acceptées. Lorsque j’évoquais la résistance qui pourrait voir le jour chez certains personnels, je ne pensais pas à la réquisition des personnes, mais bien à celle de l’activité de l’entreprise, qui pourrait, selon eux, entraîner une incidence sur le chiffre d’affaires. Par ailleurs, je n’ai pas à me prononcer à titre syndical sur les conséquences de la guerre froide entre les États-Unis et la Chine.

Monsieur Cubertafon, je n’ai pas très bien compris votre question. Les négociations à l’œuvre au ministère des armées sont classiques et le dialogue social est plutôt de bon niveau avec les instances centrales.

M. Emmanuel Chopin. La norme protège, elle est légitime ; la difficulté porte en réalité sur la rapidité d’exécution, qui nécessite une analyste des risques adaptée. En conséquence, la norme demeure, mais il faut savoir l’adapter aux risques du moment. Tout dépendra de l’esprit des personnels. J’ai en tête l’exemple très précis d’une personne qui a quitté récemment une société de la BITD opérant dans la fabrication de drones, car cette entreprise avait reçu une commande pour des drones avec un barillet lanceur de grenades. Cette personne n’a pas accepté de travailler sur ce type de matériel, alors que sa société produisait jusqu’à présent des drones pour réaliser des inspections de champs. En résumé, l’esprit de défense pourrait également entraîner des conséquences sur le dialogue social.

Enfin, les entreprises de la BITD ont besoin de trouver des financements pour se développer. À ce titre, il faudrait qu’elles soient considérées comme de véritables acteurs de la RSE.

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie.

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La séance est levée à onze heures.

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Xavier Batut, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, M. Hubert Brigand, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Christelle D'Intorni, M. Olivier Dussopt, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Pierre Henriet, M. Jean-Michel Jacques, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Philippe Juvin, M. Loïc Kervran, Mme Gisèle Lelouis, Mme Patricia Lemoine, Mme Michèle Martinez, M. Frédéric Mathieu, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Christophe Naegelen, M. François Piquemal, M. Lionel Royer-Perreaut, M. Aurélien Saintoul, M. Philippe Sorez, M. Bruno Studer, Mme Sabine Thillaye, Mme Corinne Vignon

 

Excusés. – Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Frédéric Boccaletti, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Martine Etienne, M. Jean-Marie Fiévet, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Murielle Lepvraud, Mme Pascale Martin, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Fabien Roussel, M. Mikaele Seo, Mme Nathalie Serre, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Mélanie Thomin