Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Commission d’évaluation des politiques publiques relatives à la mission Justice (M. Éric Dupont-Moretti, ministre de la justice)

Discussion unique sur l’exécution budgétaire :

-          mission Justice (M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial)

Discussion sur la thématique d’évaluation :

-          Le pilotage des projets informatiques par la Chancellerie (M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial) 15

  présences en réunion...........................20

 


Jeudi
30 mai 2024

Séance de 10 heures 

Compte rendu n° 79

session ordinaire de 2023-2024

 

 

Présidences de

 

M. Éric Coquerel,

Président

et de

M. Jean-René Cazeneuve,

Rapporteur général

 

 


  1 

La commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède à l’audition de M. Éric Dupont-Moretti, ministre de la justice.

M. le président Éric Coquerel. Je vous prie de bien vouloir excuser mon retard, en raison de mon audition par la commission d’enquête sur la dette. Nous abordons aujourd’hui l’examen des politiques publiques relatives à la mission justice. Je rappelle que nous commencerons par une discussion centrée sur l’exécution budgétaire de 2023, avant de passer à l’évaluation des thématiques retenues par les rapporteurs spéciaux. Je tiens également à préciser que les séquences de questions-réponses se dérouleront désormais en alternant questions courtes et réponses courtes, surtout vis-à-vis du ministre. Cette méthode diffère de celle utilisée l’année dernière : les questions étaient alors accumulées avant que les réponses ne soient fournies à la fin.

M. Éric Dupont-Moretti, ministre de la justice. Chaque année, il est de mon devoir de rendre compte de l’utilisation des moyens croissants alloués à la justice, en particulier devant votre commission. Concernant l’exécution budgétaire de l’exercice 2023 au ministère de la justice, je martèle sans discontinuer que le renforcement des moyens de la justice demeure ma priorité absolue. À défaut, l’amélioration de ce service public essentiel serait vaine. Partant de cet axiome, si je suis fier du chemin budgétaire accompli depuis presque quatre ans à la tête du ministère, grâce à la volonté du président de la République et du Premier ministre, l’héritage des trente dernières années n’est pas encore soldé. Mon objectif, partagé par cette majorité, reste de doter la justice de moyens à la hauteur des attentes de nos compatriotes. Concrètement, cela signifie une justice plus rapide, plus efficace, plus protectrice et plus proche des justiciables. Ces objectifs sont ceux qui sont fixés par nos concitoyens, et toutes mes actions, y compris la bonne exécution budgétaire annuelle du ministère, sont orientées en ce sens.

Pour ce qui est de l’exécution des crédits de paiement du ministère en 2023, la loi de finances initiale a octroyé 9,6 milliards d’euros à la mission justice, soit une hausse de 8 % par rapport au budget 2022, qui atteignait 8,9 milliards d’euros. Ainsi, plus de 700 millions d’euros supplémentaires ont été alloués en 2023 au service public de la justice. Cette hausse annuelle s’inscrit dans un contexte haussier pluriannuel ayant fait passer le budget de ce ministère de 7,6 milliards d’euros à mon arrivée en 2020 à 10,1 milliards d’euros en 2024, soit une augmentation de 33 % en quatre ans. Ces hausses illustrent la volonté du gouvernement de maintenir un effort significatif en faveur des fonctions régaliennes, notamment pour la justice du XXIe siècle.

En 2023, par rapport aux 9,6 milliards d’euros de crédits qui ont été votés, l’exécution effective a atteint 9,4 milliards d’euros, soit une différence de 200 millions d’euros, équivalente à seulement 2 % des crédits votés. Ce taux de sous-exécution est très faible et inférieur aux 3 % de crédits en moyenne mis en réserve de précaution en cas d’accident budgétaire au niveau interministériel. Il n’y a donc pas eu d’accident budgétaire en 2023, ce qui est heureux et doit être souligné. Après l’annulation des crédits non utilisés de la réserve de précaution et l’autorisation de report sur l’année suivante à hauteur de 105 millions d’euros, principalement issus des crédits immobiliers, 1,5 million d’euros seulement n’ont finalement pas pu être utilisés par le ministère, soit 0,01 % de ses crédits. Cela me semble infinitésimal.

Concernant l’exécution des autorisations d’engagement, la loi de finances initiale 2023 a octroyé 10,5 milliards d’euros à la mission justice, soit une baisse de 3,4 % par rapport au budget 2022, qui atteignait 10,9 milliards d’euros. Cette baisse s’explique par l’ajustement de la dotation en crédits d’autorisations d’engagement, principalement sur les marchés de gestion déléguée de l’administration pénitentiaire, dont les besoins d’engagement pluriannuel ont été réévalués à la baisse.

Par rapport à ces 10,5 milliards d’euros d’autorisations d’engagement, l’exécution effective a atteint 9,9 milliards d’euros, soit une différence d’environ 650 millions d’euros, équivalente à 6 % des crédits votés. Ces crédits non consommés résultent essentiellement d’ajustements techniques en matière d’investissements immobiliers et numériques, permettant de synchroniser le rythme des commandes avec celui de l’exécution des projets. Ces moyens budgétaires importants ont permis d’alimenter principalement les trois grandes directions métiers : 3,4 milliards d’euros pour les services judiciaires, soit 9 % de plus par rapport à 2022 ; 3,9 milliards d’euros consacrés à l’administration pénitentiaire, soit 7 % de plus par rapport à 2022 ; et 0,9 milliard d’euros au bénéfice de la protection judiciaire de la jeunesse, soit 10 % de plus qu’en 2022.

Comme chaque année, j’exprime ma reconnaissance devant votre commission pour l’augmentation des moyens alloués au service public de la justice. J’ai veillé à ce que chaque euro soit employé pour améliorer la justice française et pour la rendre plus rapide, plus humaine, plus lisible et plus accessible. En ce qui concerne les emplois, 2 249 recrutements supplémentaires ont été effectués par le ministère en 2023, contre un objectif de 2 253 équivalents temps plein (ETP), soit une différence de seulement quatre recrutements non réalisés en raison de quelques départs non anticipés en fin d’année. Ces chiffres démontrent la capacité de recrutement du ministère de la justice, qui a réussi en 2023 à saturer son schéma d’emploi. À titre de comparaison, le schéma d’emploi total de l’État pour 2023 s’élevait à 10 800 ETP, ce qui signifie qu’environ un recrutement sur cinq de l’État en 2023 a été destiné à améliorer la justice française. Je tiens à le souligner.

Ces 2 249 recrutements se répartissent comme suit : 804 pour l’administration pénitentiaire, dont 691 personnels de surveillance ; 1 226 pour les services judiciaires, dont 199 magistrats et 96 greffiers ; 92 pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ; 126 pour le secrétariat général ; et 1 pour le Conseil supérieur de la magistrature. Le plafond d’emploi du ministère atteint 92 748 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2023, soit 1 390 effectifs de plus qu’en 2022. Il a été exécuté à hauteur de 91 176 ETPT, soit une différence de 1 572 par rapport au maximum autorisé. Cet écart s’explique essentiellement par des recrutements parfois décalés de quelques mois pour des raisons pratiques, mais qui ont bien été réalisés avant la fin de l’année 2023. Je rappelle que la notion de plafond d’emplois, comme son nom l’indique, ne constitue pas une cible à atteindre absolument en gestion, mais plutôt une autorisation maximale à ne pas dépasser. Ce qui compte finalement, c’est qu’en fin d’année, tous les recrutements prévisionnels annuels aient été effectués. Le contrat est rempli de ce point de vue, avec une saturation du schéma d’emploi annuel à hauteur de 2 250 emplois recrutés en 2023.

Je souhaite maintenant recentrer mon propos sur l’exécution budgétaire de 2023, en détaillant ce que ce budget a permis de mettre en place au sein de l’institution judiciaire. Premièrement, le budget 2023 a permis des progrès substantiels concernant les conditions de travail des agents. En matière d’effectifs, comme je l’ai déjà mentionné, 2 250 agents supplémentaires ont rejoint le ministère et, depuis mon arrivée, ce sont 7 800 agents supplémentaires qui ont intégré nos rangs entre 2020 et 2023, portant les effectifs de ce ministère à plus de 91 000 fin 2023, soit une augmentation de près de 9 %. Ces renforts permettent une meilleure répartition de la charge de travail entre nos agents. Par ailleurs, en matière de rémunération, le budget 2023 avait alloué une enveloppe de 110 millions d’euros à des revalorisations substantielles, contre 17 millions d’euros en 2020, soit une multiplication par 6,5 en trois ans. Cette dotation a permis de financer une revalorisation moyenne de 1 000 euros bruts mensuels en moyenne pour les magistrats à compter d’octobre 2023. Cette mesure était nécessaire pour maintenir l’attractivité de ce métier et aligner la rémunération des magistrats de l’ordre judiciaire sur celle de leurs collègues de l’ordre administratif. Concernant les greffiers, j’ai signé un protocole d’accord en octobre 2023 incluant la revalorisation statutaire des greffiers de catégorie B et la création d’un corps de greffiers de catégorie A. Pour les personnels pénitentiaires, j’ai obtenu le passage en catégorie B pour les surveillants et en catégorie A pour les officiers, avec des revalorisations indemnitaires et indiciaires en parallèle.

Deuxièmement, l’année 2023 a vu la livraison de onze nouveaux établissements pénitentiaires. Je rappelle que le plan « 15 000 places de prison » est une priorité du président de la République. Ce programme vise à garantir une réponse pénale adéquate, à améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires, à optimiser la prise en charge des détenus et à lutter contre la surpopulation carcérale.

Troisièmement, nous avons poursuivi en 2023 le plan de transformation numérique numéro 2 du ministère, qui constitue le véritable plan de numérisation de la justice dans notre pays.

Quatrièmement, le Parlement a adopté en 2023 à une très large majorité la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour la période 2023-2027. Elle pose un cadre pour les évolutions de la justice durant le quinquennat. Sur le plan budgétaire, elle trace des trajectoires ambitieuses concernant les moyens alloués au ministère de la justice. Plus précisément, en matière de crédits, cette loi prévoit que le budget du ministère passera de 9 579 millions d’euros en 2023 à 10 748 millions d’euros en 2027, soit une augmentation de 12 % sur le quinquennat. En matière d’emploi, la loi d’orientation et de programmation prévoit des créations nettes d’emplois au ministère de la justice, fixées à 10 000 ETP d’ici 2027, dont 1 500 magistrats et 1 800 greffiers supplémentaires. Ces trajectoires ambitieuses ont été autorisées par le Parlement et j’entends pleinement les exécuter, tant pour l’année 2023 que pour les suivantes.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial pour la justice. Monsieur le ministre, permettez-moi tout d’abord de vous indiquer que je me réjouis de vous retrouver pour cette commission d’évaluation des politiques publiques dédiée à la mission budgétaire Justice. Mes questions s’articuleront autour de trois thèmes et je me concentrerai non pas sur ce que vous avez dit mais sur ce que vous n’avez pour le moment pas dit. Ces trois thèmes seront : les prisons, les frais de justice et, enfin, les moyens alloués au second plan de transition numérique.

En ce qui concerne les prisons, parmi les trois gros programmes de la mission, qui correspondent chacun à l’une des trois directions dites « métier » du ministère, le programme 107 – Administration pénitentiaire est celui qui a fait l’objet de la plus forte sous-exécution. La sous-exécution constatée trouve principalement son origine dans la sous-exécution des crédits de l’action 02 et en son sein, ce sont les dépenses de titre 2 qui contribuent fortement à cette sous-exécution. Ces chiffres découlent en réalité d’une nouvelle sous-exécution du plafond d’emploi de ce programme qui témoigne du déficit persistant d’attractivité du ministère.

Hors titre 2, des difficultés de mise en œuvre au niveau local du Plan 15 000 places de prison ont conduit à une nouvelle sous-exécution des dépenses d’investissement.

Deux conséquences de ces deux remarques. D’une part, le retard du Plan 15 000 conduit à aggraver une surpopulation carcérale qui est importante. Le nombre de détenus en France a ainsi atteint un nouveau record en 2023, le seuil de 75 000 détenus ayant été atteint en fin d’année, pour un peu plus de 61 000 places opérationnelles et au 1er mars 2024, la densité carcérale globale s’établissait à 124,3 %. La seconde conséquence a trait aux conditions de travail des agents de l’administration pénitentiaire. En sous-effectifs et confrontés à un nombre grandissant de détenus, ces personnels sont victimes de souffrance au travail. Vous avez eu vous-même l’occasion d’échanger à ce sujet à la suite d’un drame terrible avec les personnels concernés.

Ma première question est donc la suivante : comment comptez-vous remédier aux difficultés de recrutement auxquelles reste confrontée l’administration pénitentiaire et au retard déjà accumulé du Plan 15 000 ?

Ma seconde question a trait à l’augmentation des frais de justice, qui semble inarrêtable. Alors même que la budgétisation en loi de finances initiale prévoyait une hausse de 8 % des crédits de paiement ouverts pour les dépenses de frais de justice, celle-ci n’a pas été suffisante puisque les crédits de paiement exécutés en faveur des dépenses de frais de justice ont augmenté de 10 % par rapport à 2022 – pour un total de 715,9 millions d’euros.

Enfin, même si nous aurons l’occasion d’y revenir dans la seconde partie de la commission, pourriez-vous nous indiquer globalement comment ont été mobilisés les 265,5 millions d’euros consommés en 2023 au titre du second plan de transformation numérique ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Vous pourriez parler de « Plan 18 000 ». En effet, monsieur Ciotti, lors des débats sur ce texte, avait souhaité ajouter 3 000 places supplémentaires. Je n’étais pas opposé à cette proposition et j’avais suggéré que des élus nous soumettent des propositions quant aux terrains, car sans terrain, il n’y a pas de prison. À ce jour, je n’ai reçu aucune proposition ; non seulement je n’en ai pas reçu, mais un blocage semble apparaître en région parisienne, dû à la volonté de madame Pécresse. Je le dis très clairement, car la situation est limpide à cet égard.

En ce qui concerne la surpopulation carcérale, je ne m’en satisfais évidemment pas. J’ai d’ailleurs informé l’intersyndicale pénitentiaire que nous allions lancer une grande réflexion sur cette question, qui est à mes yeux cruciale. Permettez-moi de rappeler que cela prouve de manière absolue que la justice n’est pas laxiste. Certains invoquent un prétendu laxisme de la justice pour en faire la cause de la délinquance, ce qui est un syllogisme assez singulier. En effet, on prétend que la justice est laxiste, ce qui engendrerait de la délinquance, et par conséquent, que le ministère de la justice serait responsable de cette délinquance. Or un certain nombre de facteurs, extrêmement nouveaux d’ailleurs, peuvent en partie expliquer la délinquance, notamment celle des jeunes.

Le recrutement dépend évidemment de la construction pénitentiaire. À cet égard, j’ai apporté de nombreux documents, notamment des photographies, pour illustrer nos avancées. Nous avons atteint la moitié de la construction des établissements pénitentiaires programmés dans le cadre du plan 15 000.

Au sujet de l’attractivité, nous avons instauré une politique de revalorisation salariale ambitieuse. Des mesures de revalorisation catégorielles ont été mises en œuvre pour un montant de 77 millions d’euros. Parmi celles-ci, j’ai déjà évoqué la revalorisation indemnitaire des magistrats et, concernant les personnels pénitentiaires, le passage de la catégorie C à B pour les surveillants et de B à A pour les officiers. Pour rappel, ces revendications étaient portées par les syndicats depuis vingt-cinq ans.

Sur la question du numérique, je pense avoir répondu de manière satisfaisante. Si un détail manque, je reviendrai dessus.

M. le président Éric Coquerel. Les crédits de la mission justice progressent depuis une dizaine d’années, mais cette augmentation reste contenue après la prise en compte de l’inflation, qui dépasse 8 % entre 2022 et 2023. Ce constat est d’autant plus vrai après l’annulation de presque 3 % des crédits en 2024. Bien que nous parlions de l’exécution en 2023, j’aimerais des détails sur la manière dont vous allez procéder à ces annulations.

Le groupe de travail sur la charge de travail des magistrats estime qu’il faudrait au minimum doubler le nombre de magistrats pour gérer la charge de travail actuelle et rester en dessous des seuils d’alerte. Comment envisagez-vous de répondre à cette problématique ?

L’aide juridictionnelle constitue un dispositif fondamental, particulièrement dans un contexte de sous-investissement. Il est nécessaire de le revaloriser, d’élargir les actes pouvant bénéficier de cette aide et d’augmenter ses plafonds pour garantir une plus grande accessibilité à la justice. La Cour des comptes vous a demandé de définir une doctrine d’admission et d’aider les bureaux d’aide juridictionnelle à la mettre en œuvre. Prévoyez-vous de suivre cette recommandation ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Sur la charge de travail, il reste des progrès à accomplir, j’en ai pleinement conscience. Toutefois, avec la loi de programmation 2023-2027, nous aurons atteint depuis l’élection du président de la République une augmentation budgétaire de près de 60 %, ainsi qu’un plan d’embauches historique. Quand j’emploie le terme « historique », je fais référence à son sens premier : jamais été vu dans l’histoire. Nous disposerons de 1 500 magistrats supplémentaires grâce à cette loi de programmation, ainsi que de 1 800 greffiers supplémentaires. Je n’oublie pas les embauches massives déjà effectuées. Pour mémoire, il fut un temps où le nombre de magistrats embauchés était négatif, car les départs à la retraite n’étaient même pas remplacés. Ainsi, quand je parle de 1 500 magistrats de plus, il s’agit de 1 500 magistrats en plus des remplacements de ceux qui partent à la retraite. Je suis conscient que cela peut sembler insuffisant, mais ce n’est pas négligeable. La grande majorité des juridictions, notamment lors des discours de rentrée, ont souligné ces moyens supplémentaires.

Les autres leviers pour alléger la charge de travail incluent évidemment le numérique, mais aussi la simplification des procédures pénales et civiles, ainsi que de l’introduction de solutions amiables, qui commencent à porter leurs fruits. De ce point de vue, pour nos compatriotes, la durée des procès passe de trois à quatre ans à quelques mois. Il y a un véritable investissement des juridictions dans la médiation amiable, qui permet d’alléger la charge de travail. Un autre vecteur important est le retour du terrain. Les magistrats, par leur inventivité, considèrent que ces budgets les obligent parfois à une réorganisation structurelle de leurs fonctionnements internes. Cela engendre un certain nombre de propositions extrêmement intéressantes, qui sont notamment valorisées sur le site des bonnes pratiques. En dépit des restrictions budgétaires, ma priorité absolue reste le maintien du plan d’embauches. J’ai annoncé dans toutes les juridictions les nouveaux apports en personnel, et je tiens à ce que cette parole, qui m’engage, soit respectée.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Il convient tout d’abord de saluer l’augmentation historique des moyens alloués à la justice, avec une hausse de 33 % sur quatre ans. La bonne exécution de ces moyens, bien que perfectible, est également notable. Compte tenu des masses financières en jeu, il serait désespérant de ne pas constater une certaine maîtrise. D’une part, nous avons globalement maîtrisé la dépense publique en 2023, et le dérapage du déficit n’est pas imputable à cette gestion ; d’autre part, nous avons respecté notre loi de programmation, ce qui est crucial. Les lois de programmation représentent aujourd’hui environ 20 % de la dépense publique, et nous avons tenu nos engagements en matière de justice.

Vous avez mentionné l’ouverture de onze établissements en 2023 dans le cadre du plan de construction des établissements pénitentiaires. Compte tenu de cette dynamique, êtes-vous en phase avec votre plan de montée en puissance concernant le nombre de places en prison ? Respectez-vous ce plan ?

Vous êtes récemment venu dans le Gers, et je vous en remercie. Vous avez pu constater le travail de grande qualité effectué entre le tribunal, les forces de l’ordre et les élus de ce département. En lien avec le plan d’embauches ambitieux que vous avez annoncé jusqu’en 2027, comment assurez-vous que ces moyens seront effectivement alloués aux juridictions de proximité ? Avez-vous également réouvert certaines de ces juridictions ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Nous avons complètement revu notre méthode de recrutement. Autrefois, la Chancellerie et la Direction des services judiciaires répartissaient les magistrats embauchés de manière centralisée, en partant du haut pour infuser dans les juridictions. Dans le cadre des états généraux de la justice, on m’a demandé de déconcentrer ce processus, et j’ai été très sensible à cet argument. Désormais, les chefs de cour reçoivent un nombre de magistrats et de greffiers affectés, mais ils ont la responsabilité de les répartir dans les différents tribunaux judiciaires. Pourquoi avons-nous adopté cette approche ? Parce que nous estimons qu’il est essentiel d’être au plus près du terrain et des spécificités territoriales. Un regard macro ne suffit pas ; il faut une vision beaucoup plus précise, celle des chefs de cour sur leurs juridictions. D’ailleurs, leurs retours ne font pas état de doléances particulières. Bien sûr, les magistrats souhaiteraient que nous embauchions encore plus de personnel, ce qui est compréhensible. Cependant, tout le monde reconnaît, y compris les syndicats, les efforts consentis.

En ce qui concerne la justice de proximité, j’ai rouvert des tribunaux au lieu d’en fermer, car je pense qu’il est crucial de faciliter l’accès des justiciables à la justice. Cela ne doit pas être une contrainte. Dans certains territoires, l’absence de transports en commun complique l’accès à la justice. Nous avons donc instauré des audiences foraines et rouvert des tribunaux de proximité, notamment à Cholet et à Bernay, afin de pallier les difficultés rencontrées par les justiciables. Ces derniers devaient en effet auparavant se déplacer sur de longues distances, ce qui s’avérait très compliqué. Nous avons ainsi rétabli plusieurs juridictions.

Concernant la construction pénitentiaire, nous avons effectivement perdu du temps en raison de la pandémie de Covid-19. Cette situation est indéniable. De plus, la guerre en Ukraine a eu un impact sur la disponibilité de certaines matières premières. Cependant, je tiens à préciser que tous les établissements pénitentiaires que nous avons construits sont opérationnels. Il ne s’agit pas de simples projections, mais bien de prisons réelles. Je dispose de chiffres précis à ce sujet. Les documents relatifs à ces réalisations sont à la disposition de tous les parlementaires pour consultation.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Je souhaite revenir sur le plan de construction de 15 000 à 18 000 places de prison. Nous savons que son exécution est très difficile. À la fin de l’année 2023, 4 100 places pénitentiaires nettes ont été créées, mais la surpopulation carcérale s’est aggravée, atteignant le seuil de 75 000 détenus. Dix-neuf établissements ont été livrés, dont huit en 2023, alors que dix autres sont en travaux. Le coût initial de ce projet était de 4,5 milliards d’euros. Cependant, la Cour des comptes a révélé que ce montant devait être révisé pour atteindre 6,2 milliards d’euros. Vous avez également annoncé que 3,9 milliards d’euros avaient été utilisés en 2023.

Au-delà du coût, nous nous intéressons particulièrement aux facteurs de retard et aux difficultés d’exécution de votre plan. Au Rassemblement national, nous avons tout intérêt à ce qu’un maximum de places sortent de terre d’ici 2027. Nous devons donc étudier et comprendre précisément les raisons des blocages, car nous ne comptons pas nous arrêter là. Les craintes des riverains et des communes, ainsi que la volonté politique de privilégier une implantation proche des centres urbains compliquent la recherche de terrains disponibles. En matière foncière, la topographie du terrain, son accessibilité, l’absence de surplomb et la proximité des réseaux de distribution posent également problème. Les caractéristiques techniques des projets et la multiplication des modalités de prise en charge des détenus complexifient les constructions et empêchent la standardisation des bâtiments.

Quels sont les principaux obstacles, au-delà des facteurs humains et politiques – nous avons bien compris que certains élus réclament des infrastructures mais ne mettent pas les terrains à disposition –, et les obstacles techniques qui expliquent les retards de livraison concernant tant dans la phase de recherche de foncier que dans celle de la construction ?

Ensuite, sur la base du retour d’expérience des dix-neuf établissements déjà livrés, lesquels pourraient servir de modèle en termes de rapidité et d’efficacité de livraison ? Pour quelles raisons ? Existe-t-il un type de terrain, une localisation, un cahier des charges ou des caractéristiques facilitant la construction et, par extension, la chaîne d’établissement pénitentiaire ?

Enfin, concernant le domaine réglementaire et législatif, nous avons adopté une loi post-émeutes pour la reconstruction rapide des bâtiments détruits. Elle a apporté une souplesse totale par voie d’ordonnance pour des opérations ciblées, en dérogeant aux règles de la commande publique et de construction. Un tel texte pourrait-il ou aurait-il pu accélérer les délais pour le plan de 15 000 places de prison ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Le premier obstacle, ce sont tous ceux qui réclament de la sécurité sans jamais me faire signe pour un terrain. Je pourrais citer de nombreux exemples. Par exemple, 2 500 places sont actuellement bloquées en région parisienne. On m’a informé, et je n’invente rien, qu’une guerre administrative allait m’être livrée. C’est le premier obstacle. Je ne peux pas construire sans les autorisations nécessaires. Les prisons sont indispensables, mais toujours dans la commune voisine, dans la circonscription d’à côté. Cette situation entraîne une énorme perte de temps pour trouver le bon terrain.

Vous me demandez pourquoi ne pas construire le même type d’établissement pénitentiaire partout. Plusieurs critères doivent être pris en compte, notamment la proximité de la juridiction. Une évaluation est conduite, et vous conviendrez que l’on ne construit pas la même prison pour 1 000 détenus que pour 200. Les prisons diffèrent aussi les unes des autres. Il y a les prisons classiques, mais aussi des prisons hybrides, comme les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), qui concernent ceux qui sont en reliquat de peine et que l’on souhaite voir travailler. Je ne tiens pas à ce qu’ils récidivent. Ainsi, ces prisons sont situées en cœur de ville, près des intervenants qui facilitent la réinsertion, notamment par le travail. La question de l’emploi pénitentiaire se pose aussi. Il faut des structures permettant l’accès aux entrepreneurs souhaitant employer des détenus. Je crois fermement que c’est l’une des clés pour éviter la récidive.

Enfin, les problèmes techniques sont innombrables. Je vous suggère de rencontrer le directeur de la PIG, responsable de l’immobilier et de la construction des établissements pénitentiaires. Les contraintes sont multiples, allant des espèces protégées à une assiette romaine découverte sur le terrain. Parfois, on me propose des terrains qui semblent convenables, mais qui se révèlent inondables. Lors des premiers creusements, on découvre ces problèmes techniques. Or il est impensable de construire une prison dans laquelle les détenus auraient les pieds dans l’eau. Une analyse technique approfondie est donc nécessaire avant de lancer la première pierre et d’entamer les travaux. Il est essentiel de disposer de fonds pour construire des prisons, mais aussi de terrains adéquats. Le budget a été voté et est plutôt bien exécuté. Si vous avez des terrains disponibles, n’hésitez pas à me contacter.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Vous avez mentionné, il y a près d’un an dans cet hémicycle, que l’on vous offrait une truelle à chaque inauguration et que vous en aviez suffisamment pour bricoler. Quelques semaines plus tard, vous présentiez votre loi de programmation justice, proposant de construire 15 000 places de prison, plan porté à 18 000 pour séduire monsieur Ciotti et l’extrême-droite. Peu importe que la Cour des comptes critique le gouvernement sur sa gestion du programme d’administration pénitentiaire, rappelant qu’il ne semble pas suffisant pour résoudre le problème persistant de la surpopulation carcérale. Au 1er avril, 77 450 personnes étaient incarcérées en France, avec une densité carcérale de 150,4 % dans les maisons d’arrêt. Chaque mois, les records d’incarcération sont battus, et vous remporterez à n’en pas douter la médaille olympique de l’inflation pénale. La sous-exécution du schéma d’emploi du programme 107 est révélatrice. La Cour des comptes indique que les effectifs des surveillants en activité sont restés stables entre 2021 et 2024, malgré la volonté de les renforcer. Les postes ne sont pas pourvus, et rares sont les agents prêts à travailler dans des conditions où ils se sentent physiquement submergés par le nombre de détenus à surveiller. Je reviens de ma quatrième visite au centre pénitentiaire de La Talaudière. Il ne m’a pas fallu longtemps pour y trouver le cadavre d’un énorme rat parmi les détritus voisins de la cour de promenade. Et l’odeur d’urine qui règne donne la nausée. C’est le quotidien des personnes qui vivent et travaillent dans cette prison. Cette situation humilie la République chaque jour. Plutôt que de collectionner les truelles, pourquoi n’adoptez-vous pas le mécanisme pérenne de régulation carcérale que réclame le monde de la justice, comme le suggère le comité des ministres du Conseil de l’Europe ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Tout d’abord, toute la justice ne réclame pas ce que vous affirmez. C’est une partie qui s’exprime par le vecteur syndical. Il serait facile de libérer 10 000 détenus, mais cela porterait atteinte aux décisions rendues et à leur autorité. Les choses ne sont pas aussi simples. Nicole Belloubet a ordonné la libération d’un certain nombre de détenus pendant la période Covid, ce qui était justifié car la prison est par définition un lieu clos, et nous avions déjà enregistré des décès. D’ailleurs, les détenus libérés étaient en fin de peine, et certains, en raison des faits qu’ils avaient commis, ont été exclus de cette mesure. Ce n’est donc pas une question simple. Votre approche est un peu binaire et manichéenne. Je refuse de m’y résoudre. Je préfère promouvoir des peines alternatives comme le bracelet électronique ou le travail d’intérêt général pour la délinquance de basse intensité.

Concernant le schéma d’emploi, nous atteindrons 100 % en 2023 et les mesures prises portent déjà leurs fruits. En ce qui concerne la rénovation des établissements pénitentiaires, nous avons doublé les budgets. Vous mentionnez des établissements indignes, et il en subsiste, mais plusieurs établissements ont été rénovés et d’autres sont neufs. Vous devriez visiter ces nouveaux établissements, car dans l’univers carcéral, cela représente un changement significatif. Les douches individuelles dans les cellules représentent un investissement budgétaire considérable, mais nécessaire. La détention a en effet deux objectifs : punir, ce que j’assume, et réinsérer.

Il est également primordial de souligner les conditions de travail du personnel pénitentiaire, à qui je rends hommage et qui a été endeuillé par les événements dramatiques que nous avons traversés. Je souhaite aussi apporter une précision : ce n’est pas pour plaire à monsieur Ciotti que j’ai accepté les 18 000. Mon accord était conditionné au fait qu’il y ait un certain nombre de propositions et non d’entraves, notamment administratives, et pas cette guerre administrative que j’évoquais. Ces conditions étaient essentielles.

Il est également important de préciser que, selon moi, la justice doit rester indépendante. Ce n’est pas le garde des Sceaux qui décide des peines. Il peut suggérer la fermeté au procureur, ce que j’ai fait et que j’assume, mais pour le reste, contrairement à ce que j’entends parfois, même dans l’hémicycle, elle est totalement indépendante. Et il faut que cela demeure ainsi.

M. Patrick Hetzel (LR). Afin de mesurer précisément l’exécution budgétaire, il est impératif d’examiner les taux de vacances par juridiction. Pour ce faire, nous avons besoin de la traditionnelle circulaire de localisation des emplois des magistrats. Il semblerait que la Direction des services judiciaires ait transmis ces éléments, qui se trouvent sur votre bureau depuis quelques semaines. Quand envisagez-vous de la publier ?

M. Fabien Di Filippo (LR). Nous assistons à un vieillissement accéléré de la population carcérale, similaire à celui de la population générale. Le nombre de détenus de plus de 50 ans a été multiplié par six en trente-cinq ans, représentant aujourd’hui près de 15 % des détenus. Actuellement, quatre mille détenus ont plus de 60 ans. Ainsi, dans les années à venir, nous aurons de plus en plus de détenus âgés, voire très âgés, se trouvant dans des situations médicales de plus en plus problématiques et nécessitant un accompagnement accru. Quels moyens sont alloués dans votre budget pour aborder ces questions ? Envisagez-vous la création d’établissements spécialisés pour prendre en charge ces détenus, qui finiront probablement leur vie en prison dans des conditions médicalement très précaires ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Monsieur Hetzel, à la Chancellerie, vous êtes chez vous, en quelque sorte, puisque vous y êtes venu récemment pour consulter divers documents qui ne vous étaient d’ailleurs pas cachés. Le Figaro a présenté cela comme une quasi-perquisition. J’en ai été fort marri car, comme vous le savez, ma porte vous est toujours ouverte. Je souhaitais rectifier ce point.

Nous rencontrons un véritable problème concernant la psychiatrie en prison, notamment pour les détenus souffrant de pathologies lourdes. Un travail important est mené en collaboration avec la ministre de la santé, car ces questions dépassent le simple cadre pénitentiaire. Ces enjeux sont essentiels.

Suite au drame d’Incarville, j’ai immédiatement reçu l’intersyndicale. Les questions de sécurité ont évidemment été abordées dans une ambiance très lourde et très émouvante. J’ai rencontré certaines familles, les collègues des victimes, ainsi que les blessés pour prendre de leurs nouvelles. Nous avons rapidement mis en place plusieurs mesures. Parmi les engagements que j’ai pris, j’ai assuré que nous aurions des discussions sur la surpopulation carcérale.

La question de la surpopulation carcérale est extrêmement complexe. J’entends les différentes propositions et les solutions varient évidemment en fonction des positions politiques. J’ai informé les syndicats, et je m’y tiendrai, que nous organiserons une forme d’états généraux de la détention. Ils seront associés à ce processus. Ensuite, nous inclurons les directeurs interrégionaux et les directeurs d’établissements pénitentiaires. J’ai eu une longue réunion hier avec les directeurs interrégionaux. Nous intégrerons également les magistrats et le monde de la justice au sens large, ainsi que les parlementaires qui souhaiteront apporter leurs contributions. Ces questions seront abordées avec lucidité. Chacun constatera que ce n’est pas une tâche aisée. Tous pourront proposer leurs idées sur le sujet. Nous travaillerons également de manière interministérielle, car vous avez raison, la question de la santé en prison se pose. Je vous invite, le moment venu, à partager ces réflexions avec les parlementaires. La porte vous sera grande ouverte.

Mme Perrine Goulet (Dem). Tout d’abord, je tiens à saluer l’augmentation du budget du programme 182 (protection judiciaire de la jeunesse), qui atteint en 2023 près de 1,1 milliard d’euros. Cependant, on constate une sous-exécution de l’action 4 du programme, relative à la formation au sein de l’école de protection judiciaire de la jeunesse. Cette sous-exécution résulte des difficultés de recrutement à l’ensemble des postes dévolus à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Quelles mesures sont prises pour accroître l’attractivité des métiers de la PJJ ?

En ce qui concerne la justice civile des mineurs, vous avez annoncé en mars dernier deux évolutions majeures. La première concerne un plan de recrutement important. Nous savons tous que le travail des juges pour enfants connaît une augmentation du nombre de dossiers et que leurs conditions d’exercice, souvent sans greffier, sont compliquées. Combien de juges pour enfants et combien de greffiers seront recrutés dans le cadre de ce plan ? Ces recrutements permettront-ils de respecter un nombre correct de dossiers suivis par magistrat ?

La seconde évolution porte sur l’organisation judiciaire. On constate parfois sur le terrain une dissonance entre les décisions d’un juge pour enfants et celles d’un juge aux affaires familiales. Dans un souci d’efficacité, est-il pertinent de maintenir ces deux juges intervenant sur un même dossier lorsque l’enfant est suivi en protection de l’enfance par le juge des enfants ? Avez-vous prévu de réfléchir à une nouvelle organisation de l’assistance éducative ?

Enfin, il y a deux ans, le Parlement a voté une modification de l’article 375-3 du Code civil, précisant la nécessité d’évaluer l’accueil d’un enfant par un autre membre de la famille ou une personne digne de confiance avant de le confier à un accueil institutionnel. Quels moyens financiers ont été alloués pour informer et former les juges sur cette disposition afin qu’elle soit réellement appliquée et que nous réduisions le nombre d’enfants accueillis en institution au profit de l’accueil familial ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. La PPJ a bénéficié, depuis plusieurs années, de mesures de revalorisation indiciaire et indemnitaire, comme tous les corps du ministère. Les chiffres très positifs du schéma d’emploi de la PJJ pour 2023 constituent pour nous tous un véritable encouragement. De plus, la mise en place en 2023 d’un plan d’attractivité, particulièrement destiné aux cadres de la PJJ, est en cours. En matière de crédits, nous sommes passés de 0,74 milliard d’euros en 2020 à 0,95 milliard d’euros en 2024, soit une augmentation de 27 %. Concernant l’emploi, 92 postes supplémentaires seront créés en 2024, dont 69 pour les dispositifs d’insertion, accompagnés de la déconcentration de l’affectation des emplois. Je ne peux pas vous fournir, dans les 1 500 magistrats qui doivent être embauchés, le détail fonction par fonction. Dès que je serai en mesure de le faire, je vous communiquerai cette information.

Qu’est-ce qui permet de dire que les juges ne sont pas informés ? Peut-être ne se tournent-ils pas vers certaines mesures, mais je pense qu’ils ne les ignorent pas. L’École nationale de la magistrature (ENM) a également pour vocation d’informer nos magistrats des nouvelles possibilités offertes. C’est son rôle. J’examinerai cette question de près. Si une circulaire est nécessaire pour indiquer que le texte existe, nous la prendrons. Cependant, a priori, nul n’est censé ignorer la loi, en particulier nos magistrats. Si vous estimez qu’il existe une carence dans l’application d’un texte nouveau, nous pourrons diffuser un certain nombre d’informations. Elles me semblent a priori inutiles, mais nous allons évaluer le niveau de carence.

Mme Lise Magnier (HOR). Vous avez souligné les efforts considérables réalisés pour la rémunération, la reconnaissance et l’attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire, efforts attendus depuis vingt-cinq ans. Le changement de catégorie constitue un geste fort pour ce corps de sécurité nationale, tout comme les diverses revalorisations salariales associées. Nous sommes tous d’accord pour dire que l’attractivité de ces métiers est un enjeu de sécurité nationale et de protection de notre État de droit. Les efforts que vous poursuivez doivent désormais porter leurs fruits, notamment en matière de recrutement. Nous savons également que le chemin reste long, surtout avec les prévisions d’ouverture de nouveaux établissements et l’organisation du temps de travail de nos surveillants pénitentiaires. Cela pèse évidemment sur leurs conditions de travail actuelles. Je tiens à souligner leur engagement professionnel exemplaire, car ils participent tous à l’effort pour permettre aux établissements pénitentiaires de fonctionner 365 jours par an, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Cela engendre des heures supplémentaires de manière quasi systématique, avec des règles applicables qui ne permettent pas leur paiement effectif. Le plafonnement et l’écrêtement constituent des stocks d’heures supplémentaires dans l’ensemble de nos établissements pénitentiaires, les volumes pour certains agents dépassant l’entendement. Le décalage du paiement de ces heures fait perdre du pouvoir d’achat à nos agents pourtant si dévoués. Avez-vous connaissance du stock d’heures supplémentaires que nous leur devons, tous établissements confondus, en volume et en valeur budgétaire ? Surtout, quel plan comptez-vous mettre en œuvre pour résorber ce stock et payer les heures dues à nos agents ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Les heures supplémentaires sont intrinsèquement liées à l’organisation des établissements. Le temps de travail est calculé sur une base hebdomadaire de 39 heures. Pour l’année 2023, 103,6 millions d’euros sont alloués à ces heures supplémentaires, ce qui représente une somme considérable. Nous pourrons aborder ce sujet lorsque la réforme de la filière portera pleinement ses fruits. Je suis très optimiste à ce sujet et je tiens à rappeler que, pour la première fois en 2021, la Direction de l’administration pénitentiaire a pu assumer tous les recrutements, soit 1 804 créations de postes. Une autre piste d’amélioration a été ouverte dans le cadre de l’accord en cours de finalisation avec l’intersyndicale. Il inclut l’ouverture d’un chantier sur les cycles de travail qui vise à améliorer les conditions de travail et à poursuivre la transformation de la Direction de l’administration pénitentiaire. Les questions sécuritaires, d’attractivité, salariales et indemnitaires ont déjà été abordées pour certaines d’entre elles. Il est impératif que nous progressions sur ces sujets.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Mon intervention portera sur les centres éducatifs fermés (CEF). L’exécution budgétaire révèle des difficultés structurelles nécessitant des mesures de même nature, et non de simples ajustements conjoncturels. En effet, le rapport annuel de performance fait état d’une série de problèmes concernant le personnel encadrant. Dans deux tiers des situations problématiques remontées, les difficultés structurelles en ressources humaines entraînent une instabilité des effectifs et de l’encadrement, ainsi qu’une dégradation de la dynamique d’équipe. Parmi ces difficultés, on peut citer des vacances de postes ou des changements récents de l’encadrement, un renouvellement important des effectifs éducatifs et des difficultés de recrutement de travailleurs sociaux. La faible attractivité des postes, le manque de qualification, l’absence de diplômes d’éducateurs spécialisés ou de moniteurs éducateurs et le manque d’expérience font porter un risque sur la qualité de l’action éducative. De plus, de nombreux postes sont ouverts en CDD, difficilement pourvus et nécessitent souvent le recours à l’intérim. On observe également un fort taux d’absentéisme, entraînant une multiplication des arrêts maladie, des absences de longue durée, des démissions, des mises à pied et, malheureusement, parfois des licenciements.

Une instabilité des effectifs entraîne un taux d’occupation bien en deçà de l’objectif fixé. En CEF, le taux d’occupation moyen s’élève à 70 % de janvier à novembre 2023, en légère augmentation par rapport à 2022, année au cours de laquelle il était de 68 %, alors que la cible reste fixée à 85 %. Une telle situation appelle des réponses fortes. Il ne s’agit pas seulement de comprendre les raisons de cette instabilité des effectifs et d’y remédier, que ce soit par la revalorisation des salaires, la réforme de la formation ou l’amélioration des conditions d’exercice des missions, qui sont forcément difficiles pour les personnels impliqués. Le rapport de performance souligne la nécessité d’améliorer la gouvernance de ces établissements, d’assurer la cohérence des parcours en amont et en aval des placements, et d’étendre les bonnes pratiques de prise en charge développées par ces professionnels. Ces mesures devraient contribuer à l’amélioration du taux d’occupation. Cependant, les termes employés nous semblent creux. Dans le cadre de l’analyse de la performance d’une mission budgétaire, nous sommes en droit d’attendre du gouvernement des annonces chiffrées concernant spécifiquement les questions de ressources humaines dans les centres éducatifs fermés.

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Vous avez souligné plusieurs difficultés qui n’ont pas échappé à notre attention. C’est pourquoi j’ai ordonné une inspection, afin d’obtenir une vision très claire des problèmes rencontrés, ainsi que des aspects positifs. En effet, nous disposons de renseignements indiquant que les CEF sont efficaces pour prévenir la récidive. Il est important de noter que depuis 2017, 680 embauches supplémentaires ont été réalisées au sein de la protection judiciaire de la jeunesse. Je peux par ailleurs vous fournir la liste des différents établissements CEF ouverts récemment : Épernay en 2022, Bergerac au printemps 2022, Saint-Nazaire en novembre 2022, tandis que dix-neuf autres doivent être livrés d’ici la fin du quinquennat.

Les CEF rencontrent des difficultés similaires à celles des prisons, malgré un nombre d’éducateurs supérieur à celui des jeunes délinquants. Par exemple, un maire s’oppose fermement à l’ouverture d’un CEF dans sa commune en raison de la présence d’un golf. Cette opposition soulève des questions sur la solidarité républicaine. Je ne peux accepter ce type d’excuse, même si la résistance est quasi générale. Imaginons un cas d’évasion d’un CEF. Or un tel événement est très rare et le risque zéro n’existe nulle part. Ces difficultés sont réelles. Trois CEF doivent être livrés en 2024 à Rochefort, Le Vernet, en Guyane, et trois autres en 2025, en Seine-et-Marne, dans le Calvados et à Dignes. Deux autres sont prévus pour 2026 à Villeneuve-Loubet et à Bléré, en Indre-et-Loire ; onze autres devant être livrés en 2027. Je crois fermement en l’efficacité des CEF, malgré quelques dysfonctionnements, comme dans toute institution. Une inspection a été ordonnée et nous en tirerons les conséquences nécessaires.

M. le président Éric Coquerel. Un vote sur le CETA doit avoir lieu. Je propose que nous allions voter et qu’à notre retour, monsieur le rapporteur général préside.

La séance est suspendue.

M. Jean-René Cazeneuve, président. Je vous propose de reprendre notre discussion.

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). En ce qui concerne les recrutements au sein de votre ministère, nous saluons les efforts budgétaires en faveur de la justice, mais nous constatons une aggravation de la sous-exécution : 1 573 ETPT en 2023 contre 390 en 2021 et 1 135 en 2022. Cela reflète les difficultés de recrutement dans l’administration pénitentiaire et la justice judiciaire, où il manque notamment 154 ETP. Vous avez mentionné la grève et surtout l’accord signé, prévoyant la revalorisation des métiers du greffe, avec le passage de 3 000 greffiers en catégorie A sur trois ans. Où en est l’application de cet accord ?

À propos des amendes forfaitaires et des contraventions, j’ai déjà rédigé une question écrite et posé une question orale concernant les jeunes accumulant des dettes de plusieurs milliers d’euros issues de contraventions et d’amendes forfaitaires majorées, car ils ne peuvent les régler. Ces dettes pénalisent leur entrée dans la vie active et leur recouvrement devient impossible. J’ai demandé si la loi pouvait évoluer pour permettre de transformer ces dettes en travaux d’intérêt général. On m’a répondu qu’il s’agissait d’une peine alternative à l’emprisonnement, de nature différente, et que ce serait une solution plus grave. Je le comprends, mais peut-on envisager des peines alternatives à ces dettes de contraventions, afin que les jeunes puissent entrer dans la vie active sans ces entraves, qui rendent leur insertion difficile et sont, à mon avis, contre-productives ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Sur les accords de filière greffe, je rappelle que la loi prévoit 1 800 greffiers en emplois nets. Ceux qui partent à la retraite seront remplacés jusqu’en 2027. Le protocole que j’ai signé en octobre dernier avec trois organisations syndicales représentatives, l’UNSA, FO et la CFDT, comporte trois volets.

Premièrement, une nouvelle grille indiciaire des greffiers a été mise en œuvre sur les fiches de paie de décembre 2023, avec effet rétroactif au 1er novembre. Cette mesure représente un coût de 2 millions d’euros en 2022 et de 12 millions d’euros en année pleine. Cette revalorisation indiciaire a permis une hausse de l’ensemble des échelons de la grille, comprise entre 10 points, soit 590 euros bruts annuels, et 22 points, soit 1 300 euros bruts annuels. Les échelons inférieurs de la grille bénéficient des plus fortes augmentations, dans un souci d’attractivité.

Deuxièmement, le plan de requalification des agents faisant fonction de greffier prévoit 700 requalifications sur trois ans.

Enfin, la création d’un corps de catégorie A de cadres greffiers est en cours de mise en œuvre. Je tiens à préciser que cet accord a pris du temps à se concrétiser en raison des demandes divergentes de nos greffiers. Certains réclamaient une revalorisation, tandis que d’autres souhaitaient accéder à la catégorie A. Il a fallu du temps pour concilier ces demandes et parvenir à un accord.

Concernant l’amende des jeunes, je dois avouer que vous me prenez un peu de court. Une réflexion approfondie s’impose. Je ne peux pas répondre de manière précipitée, ce ne serait pas sérieux. Il est nécessaire que les choses mûrissent et fassent l’objet d’une véritable réflexion.

Puis la commission procède à la discussion sur la thématique d’évaluation Le pilotage des projets informatiques par la Chancellerie (M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial).

M. Jean-René Cazeneuve, président. Nous arrivons au second temps de la discussion de notre commission, consacré au pilotage des projets informatiques par la Chancellerie.

M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial. Si j’ai choisi de consacrer le rapport de printemps de l’évaluation de la mission budgétaire Justice au pilotage des projets informatiques par la Chancellerie, c’est parce que le numérique au ministère de la justice, et donc l’informatique, est perçu comme « le sujet dont on n’espère plus rien, […] le sujet dont on rit jaune […] le sujet avec lequel « on fait avec » ». Ces mots, monsieur le garde des Sceaux, sont les vôtres et vous les avez prononcés il y a un an lors du lancement du second plan de transformation numérique du ministère de la justice. Si je partage votre constat, il faut reconnaître que vos propos sonnent comme un terrible aveu d’échec de la Chancellerie. En effet, affirmer en 2023, après trois ans de mandat et plus de six ans de majorité au pouvoir, que l’informatique est un sujet dont on n’espère plus rien revient à admettre que vous n’avez pas été capables de résoudre un problème pourtant bien identifié. Pire, vos mots ont été prononcés alors qu’un premier plan de transformation numérique du ministère avait été mis en place sur la période 2018-2022, initialement doté de 530 millions d’euros. Votre administration nous a même indiqué que le montant global engagé en matière d’investissement informatique sur cette période s’est finalement élevé à plus de 600 millions d’euros en autorisations d’engagement. Ce demi-milliard d’euros n’aurait-il donc servi à rien ? C’est la question à laquelle j’ai cherché à répondre au cours de ce Printemps de l’évaluation. Pourquoi, malgré les sommes engagées, la situation demeure-t-elle insatisfaisante et, à certains égards, kafkaïenne pour les agents du ministère ? La réponse à laquelle je suis parvenu est la suivante : c’est sans doute faute d’un pilotage efficace des projets informatiques par la Chancellerie. Je ne nie pas les difficultés dont vous avez hérité. Vous y avez été confronté dans la pratique, en tant qu’avocat, et la situation est désormais bien documentée. Les « chantiers de la justice » en 2018, puis les États généraux de la justice en 2022 ont donné lieu à des rapports très clairs sur ce sujet, soulignant l’insuffisance technique du ministère, les outils obsolètes et les procédures trop lourdes. De même, le retard de la France en matière de numérisation de la justice par rapport à ses voisins européens est régulièrement souligné, tant par l’Union européenne et son Tableau de bord de la justice que par la CEPEJ, l’outil du Conseil de l’Europe. Ce que je conteste, c’est la façon dont vous et votre ministère avez répondu à ces difficultés. Mon opinion n’est pas seulement politique. Elle est étayée par les travaux de plusieurs institutions, pour certaines indépendantes, ainsi que par mes échanges avec les professionnels de la justice.

Par exemple, à la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes a mené une enquête sur le premier plan de transformation numérique du ministère de la justice, dont les conclusions ont été rendues voici deux ans. Que disent-elles ? « Malgré le rapport précurseur sur les « chantiers de la justice », (…) le PTN s’est révélé n’être ni un plan stratégique de transformation du ministère, ni un schéma directeur des systèmes d’information, ni le support d’une réforme organisationnelle pour la restructuration du ministère (…). Il constitue plutôt un catalogue de projets visant à remettre à niveau un ensemble de systèmes d’information vieillissant et incomplet, c’est-à-dire essentiellement un plan de rattrapage. » Si je me satisfais du rattrapage qu’a permis d’opérer ce plan, l’objectif de transformation n’est pas atteint. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous avez été amené à mettre en place un second plan de transformation numérique, ce qui est assez inédit.

Il est intéressant de comprendre pourquoi l’objectif initial a été à ce point manqué. La Cour des comptes est très claire à ce sujet. Ce qui fait défaut à la transformation numérique du ministère tient essentiellement en trois points : une absence de vision, un pilotage défaillant et des ressources humaines inadaptées à la tâche requise. Le pilotage défaillant, en particulier, a des conséquences négatives pour les projets, au premier rang desquelles les retards conséquents qu’ils accusent. Les cas de Cassiopée et de Portalis sont à cet égard particulièrement éloquents. Or ce retard des projets, outre l’explosion des coûts qu’il engendre, entraîne en retour des difficultés de pilotage : d’une certaine manière, c’est le serpent qui se mord la queue.

Ces défauts de pilotage ont perduré, même après le rapport très sévère de la Cour des comptes. Un autre rapport d’inspection, remis il y a un an et demi au sujet de la transformation numérique du ministère, pointe précisément les mêmes problèmes. Vous avez mentionné que la Chancellerie m’était ouverte. Cependant, il a été particulièrement difficile pour moi d’obtenir ce rapport. Avant d’aborder les points soulevés par ce rapport, je souhaite déplorer fortement qu’il ait fallu vous solliciter plus de quatre fois, vous et vos équipes, et mentionner en dernier recours les pouvoirs spéciaux dont nous disposons en tant que rapporteurs spéciaux de la commission des finances pour obtenir ce document. La relation entre l’équipe gouvernementale à laquelle vous appartenez et le Parlement gagnerait à être plus collaborative avec les députés que nous sommes.

À la lecture de ce rapport, j’ai constaté que les problèmes de pilotage des projets informatiques par la Chancellerie persistent. Premièrement, le ministère n’a pas développé une stratégie numérique suffisamment élaborée, seule capable de permettre une véritable transformation. Deuxièmement, les ressources humaines ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux, tant en termes de moyens que de compétences, ce qui entraîne une externalisation massive créant des difficultés supplémentaires. Troisièmement, le pilotage budgétaire reste perfectible. Dans ces conditions, quelles réformes avez-vous entamées avec vos directions pour assurer un pilotage efficient des projets informatiques de votre ministère et pour offrir aux citoyens et aux professionnels du service public de la justice la justice qu’ils méritent.

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Dans votre carquois, peu de flèches concernent l’exécution, car les chiffres ne vous permettaient pas de formuler de nombreuses critiques. Vous les avez donc concentrées sur le numérique. Vous avez rappelé mes propos, qui sont forts et témoignent de ma franchise et de ma lucidité. Cependant, être lucide ne conduit pas nécessairement au fatalisme. Je vais vous démontrer en quelques minutes que vous êtes pessimiste. Vous verrez, car je sais que vous êtes un homme de bonne foi, que beaucoup de choses ont été accomplies et que certaines actions menées sous mon autorité répondent à vos interrogations et à vos inquiétudes. Je vais entrer dans le détail, notamment en ce qui concerne le pilotage des projets informatiques conduits par la Chancellerie.

Ce sujet m’intéresse particulièrement, car il est décisif pour la transformation de la justice. De plus, des améliorations réelles et mesurables ont été apportées. Les budgets accordés par la représentation nationale en 2023 ont été bien utilisés. Votre soutien sur les questions budgétaires est d’ailleurs absolument essentiel. Toutefois, je n’hésite pas à affirmer que le numérique au ministère de la justice est probablement l’un des domaines où l’abandon budgétaire de plusieurs décennies a eu les conséquences les plus graves. Vous l’avez d’ailleurs reconnu en évoquant des rattrapages dans votre intervention précédente. Je parle de rattrapages, bien sûr, mais surtout d’améliorations. J’avais déclaré en 2023 que c’était un sujet dont on n’espérait plus rien et dont on riait jaune. Ces mots ne vous ont pas échappé et plusieurs rapports ont été rendus, le dernier en date étant celui des inspections de la justice et des finances, il y a exactement un an. Mon intention n’est pas de contester point par point les constats de ce rapport, dont je partage un certain nombre de conclusions, voire la majorité. Ce qui est nécessaire en la matière, c’est tout ce que j’aurais aimé voir durant mes trente-six ans d’exercice professionnel d’avocat : des logiciels adaptés, conçus en associant étroitement les utilisateurs que sont les magistrats et les fonctionnaires, un matériel solide, mis à jour et fonctionnant correctement, un réseau stable, rapide et sans coupure, pour accompagner les professionnels en cas de difficulté. L’enjeu est que ces outils permettent un meilleur accès à la justice, garantissent un meilleur équilibre des armes entre les parties et améliorent la lisibilité des décisions. Je suis, comme vous, conscient que cela n’a pas toujours été le cas au quotidien, y compris en 2024.

Depuis 2017, les investissements importants dédiés à la transformation numérique n’ont pas été vains. Depuis la réélection du président de la République, et notamment depuis 2023, les retards accumulés depuis trop longtemps sont réellement en cours de résorption. Le premier plan de transformation numérique, doté de 530 millions d’euros, a essentiellement servi de plan de rattrapage. Au début du premier quinquennat du président de la République, les tribunaux ne disposaient pas de wifi. Aujourd’hui, cette technologie est omniprésente. À cette époque, seuls quelques magistrats possédaient des ordinateurs portables. Or, désormais, 65 000 magistrats et fonctionnaires du ministère de la justice en sont équipés. Auparavant, les matériels de visioconférence étaient rares et disputés dans les tribunaux. Aujourd’hui, plus de 4 000 dispositifs de visioconférence sont disponibles, permettant en 2023 d’éviter plus de 30 000 extractions, sujet d’une importance capitale.

Le nombre de configurations différentes des postes de travail au ministère est passé de 600 en 2018 à 60 en 2023, simplifiant ainsi considérablement leur maintenance. Ce changement a permis la mise en œuvre du premier plan quinquennal, posant le socle matériel indispensable. Sans cela, l’amélioration des logiciels aurait été vaine, car personne n’aurait pu en profiter. Il était nécessaire de mettre, si j’ose dire, la charrue avant les bœufs. Les résultats de ce premier plan sont visibles. Nos personnels nous le confirment, et j’ai demandé au secrétariat général de mener une enquête de satisfaction interne sur la perception de ces évolutions. Vous n’étiez peut-être pas au courant de cette enquête et n’avez pas pu nous la demander lors de votre visite à la Chancellerie. Je tiendrai les données chiffrées à votre disposition si vous le souhaitez. Je souhaite vous citer un chiffre : fin 2021, 42 % des magistrats et fonctionnaires estimaient que leur environnement numérique s’améliorait. Ce chiffre est passé à 72 % fin 2023. Cela m’importe, car cela montre que les efforts déployés n’ont pas été inutiles. On observe une progression similaire de la satisfaction concernant les matériels, la connectivité, la visioconférence et l’assistance aux utilisateurs.

Le véritable plan de transformation numérique est le second, qui a été mis en œuvre depuis 2022. Vous noterez qu’il nécessite également des budgets importants. Vous avez raison à ce sujet. Cependant, ces budgets sont à la hauteur de notre ambition pour la justice et de notre organisation interne, qui permet désormais une utilisation optimale de chaque euro. C’est dans ce but que j’ai créé, en début d’année, la Direction du numérique. Vous évoquiez le pilotage ; il était essentiel de rehausser la place accordée à ce sujet et de marquer durablement la priorité que tous au ministère doivent y accorder, ces évolutions facilitant la vie des magistrats, des fonctionnaires et, in fine, des justiciables.

Une justice qui fonctionne mieux matériellement est évidemment plus efficace et plus rapide. Bien que cela puisse sembler une tautologie, il est parfois utile de le rappeler. Cette amélioration était également rendue nécessaire par l’augmentation significative des effectifs numériques du ministère. En 2017, ils étaient 262 ; aujourd’hui, ce chiffre atteint 450, soit une augmentation de 71 % depuis l’élection du président de la République. Cet effort n’est pas terminé. L’internalisation doit se poursuivre avec le recrutement de 40 personnes supplémentaires en 2024. Cela permet de réduire notre dépendance aux prestataires externes. Dans cette optique, nous avons désormais un responsable identifié pour chaque grand projet informatique.

Depuis mon arrivée, j’ai acté cette évolution pour des projets tels que Portalis, la procédure pénale numérique (PPN) ou le projet phare « zéro papier ». J’ai désigné un directeur de programme dématérialisation, en fonction depuis un mois, pour coordonner les efforts collectifs sur ce sujet, y compris sur le terrain. Nous soutenons ainsi notre progression vers le zéro papier, tant dans les juridictions administratives que dans celles de l’ordre judiciaire. La PPN s’étend désormais de manière inéluctable : en 2023, 1,6 million de procédures contraventionnelles et correctionnelles ont été transmises de manière dématérialisée et, depuis 2024, le rythme est de 200 000 procédures par mois. Cette évolution majeure a été rendue possible grâce à la création, en juin, d’une direction de programme commune avec le ministère de l’intérieur. Nous innovons au service de l’efficacité, ce qui nous permet des gains importants. En 2023, la PPN a permis de redéployer 266 personnes travaillant dans les greffes vers des tâches plus valorisantes.

Portalis progresse également. J’ai souhaité que soient priorisés les deux contentieux les plus importants pour les Français. Ainsi, Portalis est actuellement déployé dans cinquante-neuf conseils des prud’hommes et la version CPH sera généralisée au premier semestre 2025. L’expérimentation pour les affaires familiales a débuté ce mois-ci dans quatre tribunaux judiciaires et la version générique qui servira pour les autres fonctions civiles sera testée à partir d’octobre. Le terrain est évidemment associé à toutes nos démarches, condition essentielle pour que la transformation numérique se concrétise. À titre d’exemple, tous les grands projets (PPN, Portalis…) sont désormais en lien permanent avec les utilisateurs directs, qui contribuent à améliorer l’existant et à concevoir les évolutions. L’École nationale de la magistrature a mis en place une formation complète de treize jours, intitulée « Cycle approfondi du numérique ». Elle permet aux utilisateurs de terrain qui le souhaitent d’approfondir leur connaissance des enjeux numériques globaux et de mieux profiter de la transformation, tant localement qu’au ministère. Pour ceux qui sont moins à l’aise avec l’outil numérique et afin de résoudre les problèmes quotidiens, j’ai souhaité aussi déployer des techniciens informatiques de proximité pour une assistance quotidienne dans les tribunaux judiciaires. Concernant l’exécution du budget, nous avons recruté 130 techniciens en 2023, alors que nous avions initialement prévu d’en recruter 100. Vous conviendrez que le budget dédié au numérique est bien utilisé.

M. Jean-René Cazeneuve, président. Il faut conclure.

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Je souhaitais aborder d’autres logiciels et applications, mais nous pourrons traiter ces sujets à travers les questions que vous voudrez bien me poser.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Ma première question concerne le dérapage des délais et des coûts liés aux aspects informatiques, point sur lequel vous n’avez pas encore répondu. J’ai bien entendu vos propos sur l’amélioration de la satisfaction des utilisateurs entre 2021 et 2023, avec une augmentation notable du degré de satisfaction. Cependant, je souhaite souligner une publication parue dans Actu juridique en juillet dernier. Cet article met en lumière la durée de réalisation des projets informatiques, qui laisse les professionnels de la justice désemparés. Certains magistrats évoquent même une situation critique, comme le titre de l’article l’indique : « Justice malade : plongée dans l’enfer du numérique judiciaire ». De cet article, plusieurs points ressortent. D’une part, l’instabilité des réseaux est mentionnée, malgré l’existence du wifi. Cette instabilité persiste et complique les opérations quotidiennes. D’autre part, l’obsolescence des outils informatiques représente un problème récurrent, rendant les relations avec les auxiliaires de justice, notamment les avocats, parfois difficiles.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Vous avez mentionné précédemment que 30 000 extractions avaient été évitées grâce à l’utilisation de la visioconférence. Avez-vous un objectif précis à ce sujet ? Bien entendu, cela a un impact en termes de sécurité, mais cela n’aura pas les conséquences dramatiques que nous avons connues. En termes de coûts, pensez-vous que cette pratique va réellement se développer ?

M. Éric Dupont-Moretti, ministre. Oui, j’ai un objectif clair. Cela fait partie des protocoles qui seront signés dans les discussions que j’ai eues avec l’intersyndicale. Cependant, ce n’est pas un objectif chiffré. Nous allons voir ce que nous pouvons faire. Il existe des situations où, légalement, nous ne pouvons pas nous passer de la visioconférence. Dans d’autres cas, nous pouvons encore améliorer la visioconférence, ce qui entraînera directement moins de transfèrements. C’est ce que le personnel pénitentiaire appelle ardemment de ses vœux. Nous sommes en cours d’examen de ces questions. J’ai exprimé très clairement ma volonté d’avancer sur ce sujet afin de mieux protéger nos agents pénitentiaires.

Vous mentionnez un article au titre alarmant. Je vais vous fournir des retours de terrain. Il y a les sondages et il y a les votes. Je vais vous donner les votes, tandis que vous m’avez donné les sondages. Concernant le taux de satisfaction des équipements, cela touche tout le ministère de la justice et tous les utilisateurs. Les chiffres sont les suivants : 56 % en 2021, 66 % en 2022, et 74 % en 2023. Si vous me dites que nous n’avons pas amélioré les choses, c’est à désespérer de tout. Pour le taux de satisfaction de la connectivité, nous obtenons 21,42 % en 2021, 60,2 % en 2022 et 72 % en 2023. Le sentiment d’amélioration de l’environnement numérique de travail est également important pour nos agents, magistrats, greffiers et contractuels. En 2021, il était de 42 %, en 2022 de 62,6 % et en 2023 de 71 %. Le taux de satisfaction de la visioconférence est passé de 67 % en 2022 à 70 % en 2023. Enfin, le taux de satisfaction global du service assistant, c’est-à-dire les techniciens envoyés dans les juridictions, est passé de 45 % en 2021 à 70 % en 2022, pour atteindre 75 % en 2023. Je trouve que cela vaut mieux qu’un article au titre accrocheur.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Merci infiniment, monsieur le garde des Sceaux. Nous terminons sur une note extrêmement positive.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de M. Patrick Hetzel.

 

 

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du jeudi 30 mai 2024 à 10 heures

Présents. - M. Franck Allisio, M. Mickaël Bouloux, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Jocelyn Dessigny, M. Fabien Di Filippo, Mme Perrine Goulet, M. Patrick Hetzel, M. Pascal Lecamp, Mme Lise Magnier, Mme Eva Sas

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, M. Joël Giraud, M. Tematai Le Gayic, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard