Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

 Audition de Mme Marie-Laure Denis, dont la nomination en tant que présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) est proposée par le Président de la République, et vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l'article 29-1 du Règlement (M. Philippe Pradal, rapporteur)                            2

 Examen du projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (n° 1983) (M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur)                21

 Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (n° 2052) (Mme Perrine Goulet, rapporteure)                            44

 

 

 


Mercredi
17 janvier 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 42

session ordinaire de 2023-2024

Présidence
de M. Sacha Houlié, président


  1 

La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La Commission auditionne Mme Marie-Laure Denis, dont la nomination en tant que présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) est proposée par le Président de la République, et vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l'article 29-1 du Règlement (M. Philippe Pradal, rapporteur).

M. le président Sacha Houlié. La nomination à la fonction de président de la Cnil, à laquelle le Président de la République a le pouvoir de procéder en application de l’article 13 de la Constitution, est soumise à l’avis préalable des commissions parlementaires. Votre nomination, madame Denis, ou en l’occurrence plutôt votre reconduction, ne pourra avoir lieu que si l’addition des votes négatifs de la commission des lois de l’Assemblée nationale et de celle du Sénat ne dépasse pas les trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Vous serez entendue à 11 heures 30 par la commission des lois du Sénat. Afin de préserver la simultanéité des travaux des deux commissions, le dépouillement du vote intervenu à l’Assemblée nationale n’aura lieu qu’après votre audition au Sénat. Les résultats seront ensuite annoncés dans les deux chambres.

Ainsi qu’en dispose l’article 29-1 du Règlement de l’Assemblée, la commission a désigné sur cette nomination un rapporteur appartenant à un groupe minoritaire ou d’opposition : M. Philippe Pradal, du groupe Horizons.

Le rapporteur vous a adressé un questionnaire, auquel vous avez apporté des réponses écrites, qui ont été adressées à tous les membres de notre commission.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Madame la présidente, vous avez débuté votre carrière au Conseil d’État en 1992. Vous avez ensuite exercé plusieurs fonctions en cabinet ministériel, avant de rejoindre en 2004 le Conseil supérieur de l’audiovisuel, où vous avez présidé plusieurs groupes de travail, dont celui sur la protection de l’enfance. Enfin, avant de rejoindre la Cnil en février 2019, vous avez été successivement membre du collège de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, et membre du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie.

Cette riche expérience, vous l’avez mise au service d’une institution de régulation dont le rôle s’est considérablement renforcé, notamment depuis l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD). En témoigne l’augmentation des effectifs – que vous évoquez dans votre réponse écrite – de 200 équivalents temps plein en 2019 à 288 au 1er janvier 2024.

La Cnil exerce également une action de contrôle et de sanction, qui contribue à responsabiliser les entreprises privées, notamment les géants du numérique, vis-à-vis de leur rôle fondamental en matière de protection des données personnelles.

L’institution que vous présidez est aussi en première ligne pour garantir que l’application des nouvelles technologies par les pouvoirs publics et les entreprises protège les données personnelles des individus et n’empiète pas sur leurs libertés individuelles.
À l’échelle de la commission des lois, nous avons par exemple beaucoup évoqué, l’année dernière, l’essor des solutions d’intelligence artificielle pouvant être utilisées en matière de vidéoprotection, notamment pour autoriser l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique pendant les Jeux olympiques. L’équilibre du dispositif repose notamment sur le suivi attentif de la Cnil lors de la mise en œuvre de cette expérimentation.

La Cnil est ainsi régulièrement sollicitée pour donner un avis sur les textes examinés à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Je salue nos collègues M. Latombe et Mme Garrido, membres du collège de la Cnil : leur participation aux travaux menés par cette dernière contribue à enrichir les nôtres.

Je vous remercie pour la qualité des réponses écrites que vous nous avez fait parvenir, et par avance pour celles que vous nous apporterez dans le cadre de cette audition.

Mme Marie-Laure Denis, présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Je suis très honorée de vous présenter le bilan de mes cinq années d’action au sein de la Cnil et la façon dont j’aborderai mon second mandat s’il m’est permis de poursuivre mon engagement.

Je remercie les membres du collège de la Cnil et ses agents, qui, au quotidien, font preuve d’une grande implication pour fournir un service public de qualité. Le bilan que je vais présenter en détail est aussi, naturellement, le leur.

La Cnil est une autorité administrative indépendante dont le champ d’intervention recouvre tous les secteurs d’activité. C’est probablement l’une des raisons qui expliquent qu’elle ait été auditionnée par le Parlement plus de 120 fois depuis 2019, dont 62 par l’Assemblée nationale.

Mon mandat a eu la particularité de coïncider avec trois événements majeurs et inédits depuis la création de l’institution.

Le premier est l’entrée en vigueur effective du RGPD, quelques mois avant ma nomination, dans un contexte de numérisation accélérée de la société. En pratique, elle s’est traduite par deux changements importants : une nouvelle donne juridique pour les entreprises, nécessitant une action de pédagogie de la part du régulateur ; et une augmentation massive du nombre de plaintes adressées à la Cnil, qui a doublé depuis 2018 pour atteindre un pic de plus de 16 000 en 2023.

Le deuxième événement est, bien sûr, la crise sanitaire liée à la covid-19. Elle a posé des questions vraiment nouvelles en matière d’utilisation des données personnelles et nécessité une mobilisation sans précédent de la Cnil pour conseiller les pouvoirs publics, accompagner la recherche médicale et contrôler le respect des droits des personnes. J’avais eu l’occasion, monsieur le président, de vous en présenter le bilan fin 2022. Sur ce seul sujet, la Cnil a rendu, dans des délais records, 31 avis sur des projets de textes, s’est prêtée à 12 auditions parlementaires, a transmis au Parlement, puis publié, 5 rapports d’évaluation, a délivré 169 autorisations de recherche en santé, dont près des deux tiers en moins d’une semaine, et a procédé à 53 contrôles.

Dans un registre très différent, le troisième fait notable, ces cinq dernières années, concerne l’accroissement de l’exposition au risque cyber, principalement pour les petites et moyennes entreprises, les collectivités territoriales et les établissements hospitaliers. Il est souvent possible d’éviter ou d’atténuer les attaques cyber en appliquant des mesures de sécurité simples. C’est pourquoi la Cnil accentue ses efforts d’accompagnement et de contrôle. Chaque année, parmi d’autres actions, elle met à jour un guide de la sécurité largement accessible aux professionnels. Parallèlement, le niveau de sécurisation des données personnelles est évalué lors de chaque contrôle.

Ces cinq dernières années, la Cnil a visé trois principaux objectifs.

Premièrement, la protection effective des données personnelles des Français. Pour faire face au nombre grandissant de saisines, la Cnil a profondément modifié son fonctionnement. Cela a porté ses fruits : en 2022 et en 2023, nous avons, pour la première fois depuis plus de dix ans, traité plus de plaintes que nous n’en avions reçu.

La plupart des saisines se résolvent par des actions de conciliation, qui aboutissent à une mise en conformité ; seule une minorité justifient des mesures répressives. Chaque année, 16 000 plaintes sont analysées et 300 contrôles déclenchés. Le nombre de mises en demeure et de sanctions a triplé en cinq ans, pour atteindre 168 mises en demeure et 42 sanctions en 2023. Dans la logique du RGPD, le montant des amendes prononcées a dépassé le demi-milliard d’euros depuis 2019. Avant cette date, la plus grosse sanction de la Cnil se comptait en centaines de milliers d’euros. Enfin, la possibilité de prononcer des injonctions garantit la mise en conformité.

Le second objectif de la Cnil a été d’accompagner les administrations et les entreprises pour leur apporter de la sécurité juridique. La protection de la vie privée ne doit pas être vécue comme un frein à l’innovation numérique, ni avoir pour effet de ralentir celle-ci sans raisons objectives. La Cnil a donc renforcé ses offres d’accompagnement et produit de nombreux instruments relevant de ce que l’on appelle le droit souple. Cela s’est traduit, depuis 2019, par l’adoption par notre collège de près de 500 avis sur des projets de textes, législatifs et réglementaires, le plus souvent rendus publics, par l’adoption ou la mise à jour d’une cinquantaine d’outils de droit souple – recommandations, référentiels, guides – et par le lancement d’un cours en ligne, suivi par plus de 170 000 personnes et comportant un module très prisé consacré aux collectivités territoriales.

Nous recevons chaque année 1 500 demandes de conseils de la part d’entreprises et de fédérations professionnelles ; notre objectif est de répondre dans un délai de six mois. Cette forme d’accompagnement est utile, mais elle n’est pas suffisante. J’ai donc créé deux programmes supplémentaires pour accompagner en continu pendant six mois certains projets innovants d’entreprises ou d’administrations.

L’un est un « bac à sable », c’est-à-dire une sélection de projets correspondant à un thème annuel et pour lesquels nous allons aider un organisme, pas à pas, à construire sa conformité au RGPD. Chaque année, une dizaine d’organismes en bénéficient. L’édition en cours est consacrée aux usages de l’intelligence artificielle (IA) dans les services publics.

Un autre programme, non thématique, a été lancé récemment. Il vise à permettre à des entreprises ayant le potentiel pour devenir des acteurs majeurs de l’innovation numérique d’être conseillées pendant six mois par les équipes de la Cnil dans le but de bien prendre en compte les enjeux de vie privée dans leur système d’information. Il s’agit en quelque sorte de régulation en amont.

Parallèlement, j’ai voulu créer une méthode de régulation qui puisse produire des effets à grande échelle dans des domaines concernant le quotidien numérique des Français. Nous l’avons notamment appliquée à la question des traceurs publicitaires, communément appelés cookies. Pour obtenir la modification des interfaces de la majorité des grands sites afin qu’il soit aussi aisé, dès le premier écran, de refuser les traceurs que de les accepter, nous avons procédé en trois temps. D’abord, nous avons ouvert un dialogue avec les organismes et les publics concernés pour clarifier les règles – c’est l’un des rôles essentiels du régulateur. Ensuite est venue une phase d’accompagnement, avant que nous ne lancions des campagnes de vérification et que nous ne prononcions des mesures correctrices lorsque c’était nécessaire.

En appliquant cette méthode qui a porté ses fruits, nous travaillons actuellement à mieux protéger les nombreuses données sensibles exploitées par les applications de nos téléphones portables ; j’y reviendrai.

Le troisième grand objectif de la Cnil a été de chercher à mieux appréhender les écosystèmes qu’elle régule pour apporter des réponses adaptées aux nouveaux enjeux numériques. Dans ce but, j’ai pris l’initiative de créer trois nouveaux services. D’abord, un service de l’intelligence artificielle, sujet sur lequel je sais que votre commission travaille activement ; il s’agit, pour la Cnil, de renforcer son expertise concernant ces systèmes, d’évaluer le risque pour la vie privée et de préparer l’entrée en vigueur du futur règlement européen. Par ailleurs, notre laboratoire d’innovation numérique analyse les tendances émergentes et mène des expérimentations. Enfin, une mission économique est désormais chargée d’étudier les modèles d’affaires liés à l’utilisation des données personnelles et de mesurer l’impact économique des choix de régulation.

Ainsi, durant ces cinq dernières années, la Cnil s’est continuellement transformée pour répondre aux attentes de ses publics. Je crois pouvoir dire qu’elle représente une boussole, exigeante mais pragmatique, lorsqu’il s’agit de protéger la vie privée de nos concitoyens. Mais je suis aussi consciente du fait que, dans un environnement mouvant, où émergent de nouvelles technologies, notamment la révolution de l’intelligence artificielle, la seule consolidation des actions entreprises ne saurait suffire.

Aussi dédierai-je le second temps de mon intervention aux grandes lignes de mon ambition pour un éventuel second mandat, si vous en décidez ainsi.

Je serai brève s’agissant des Jeux olympiques, en rappelant que la Cnil continuera d’accompagner les pouvoirs publics, légitimement soucieux d’assurer la sécurité de cet événement hors normes, mais que son rôle, dans le cadre d’un dialogue qui est déjà constructif, sera aussi de veiller à ce que la protection de la vie privée soit bien prise en compte, par exemple dans la mise en œuvre de la vidéosurveillance algorithmique et la collecte des données personnelles pour l’accès à des périmètres sécurisés.

Au-delà de la situation exceptionnelle créée par les Jeux olympiques, je retiendrai trois enjeux essentiels, dans un cadre juridique modifié par les nombreux textes constituant le « paquet numérique » européen.

Le premier consiste à concilier le développement de l’intelligence artificielle et la protection des données personnelles. C’est un défi : le RGPD veut la minimisation des données, l’IA en demande des quantités gigantesques ; le RGPD impose le tri entre données sensibles et non sensibles, l’IA les exploite toutes ; le RGPD garantit le droit d’accéder à ses données personnelles, de les faire modifier ou effacer, mais comment procéder parmi les 175 milliards de paramètres codés par ChatGPT – et encore, dans une ancienne version ! Pourtant, nous devons pouvoir, nous aussi, en France et en Europe, développer et maîtriser ces nouvelles technologies.

Ma conviction est qu’il y a des réponses à ces questions. Quand les moteurs de recherche sont apparus, le droit à la protection des données personnelles a été adapté pour trouver un équilibre entre le bénéfice que cette innovation apporte aux individus et la protection des droits des personnes, qui définit nos sociétés européennes. Nous n’avons évidemment pas interdit les moteurs de recherche, mais l’Europe a inventé le droit à l’oubli pour en compenser les effets indésirables. La Cnil continue de jouer un rôle majeur pour faire respecter cet équilibre. C’est un défi du même ordre, quoique plus complexe encore, qui se présente à nous avec l’intelligence artificielle.

C’est le rôle de la Cnil que de veiller à ne pas freiner l’éventuel développement d’un ChatGPT français, tout en protégeant ses utilisateurs. Pour cela, il faut indiquer aux acteurs comment développer ce type de modèle en se conformant au RGPD, en exploitant ses marges d’interprétation : l’IA présente indubitablement des risques ; cela implique des garanties, des précautions à prendre en amont et des droits à assurer en aval.

J’ai souhaité que la Cnil lance un plan « intelligence artificielle » en mai dernier. Nous avons déjà commencé à accompagner des entreprises et des administrations. D’ici à l’été prochain, nous aurons publié un ensemble de recommandations explicitant comment appliquer les dispositions du RGPD en matière d’intelligence artificielle. Les premières sont déjà parues. Ces travaux se poursuivent de façon soutenue, en tenant compte, naturellement, du cadre réglementaire européen.

Le deuxième défi que la Cnil doit relever est de réguler davantage les applications sur les téléphones portables. Elle a beaucoup fait depuis vingt ans pour assainir les traitements de données par les sites internet : des politiques de confidentialité, des interfaces pour les cookies, des formulaires en ligne ont été contrôlés et améliorés. Mais le téléphone portable est devenu le premier vecteur d’accès au numérique ; or les applications mobiles sont bien plus sensibles encore. Un site internet peut utiliser vos données de navigation ; un terminal mobile, lui, peut donner accès à votre géolocalisation en temps réel, à un appareil photographique et à un microphone, à vos photos et à vos vidéos, à l’ensemble de vos contacts avec leurs coordonnées.

Certaines réponses ont été apportées par les acteurs ; la Cnil a déjà effectué des contrôles et statué sur des plaintes, mais il faut en faire plus. En concertation avec les acteurs, nous devons avoir une approche plus globale de la régulation de ce secteur. Un large ensemble de recommandations est en cours d’élaboration et vient d’être soumis à consultation publique. Il s’agira d’une étape doctrinale majeure pour la régulation des applications mobiles. Je souhaiterais le faire aboutir au cours de l’année 2024 et, en tenant compte d’un temps d’adaptation pour le secteur, assurer ensuite le respect d’un haut standard de protection de la vie privée sur ces applications.

Le troisième défi, tout à fait essentiel, est la protection des enfants dans leurs interactions avec le numérique. Ce sujet est sans doute le plus urgent et le plus complexe. La représentation nationale s’en est emparée, dans le cadre de trois propositions de loi et lors des débats sur le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique.

Les effets indésirables du numérique sur les enfants et les adolescents justifient une très grande vigilance. Celle-ci passe par un accompagnement volontariste des mineurs et de leurs parents dans leurs usages numériques, et par une protection efficace des données.

En pratique, pour renforcer la protection des enfants en ligne, la Cnil doit continuer à produire des contenus pédagogiques, comme elle l’a fait récemment pour les 8-10 ans, et élargir les publics visés. Elle doit ensuite accompagner les organismes pour qu’ils prennent en compte les spécificités du jeune public, notamment en déployant des mentions d’information adaptées, au besoin en utilisant des icônes ou des vidéos – je pense au droit à l’effacement de leurs données, qui mérite toute notre attention. Enfin, la Cnil doit renforcer ses contrôles, en particulier s’agissant du respect de l’obligation d’exiger un contrôle parental pour l’inscription des mineurs de moins de 15 ans sur les réseaux sociaux.

Consciente de n’avoir pas eu le temps d’évoquer de nombreux sujets très importants, je soulignerai en conclusion que la Cnil veille à ce que le numérique soit bien au service de chaque citoyen, comme le prévoit l’article 1er de la loi « informatique et libertés ». Cette position se reflète dans la promotion du RGPD comme vecteur de confiance ; le respect de la vie privée qui le fonde conditionne le développement de l’innovation numérique dans un cadre respectueux des libertés et droits fondamentaux des individus. Ainsi mis en œuvre, le RGPD et les textes issus du nouveau « paquet numérique » européen pourront constituer de véritables leviers grâce auxquels nous nous efforcerons de garder la main, notamment vis-à-vis des plateformes étrangères, en renforçant notre souveraineté numérique.

M. le président Sacha Houlié. Merci pour cette présentation, malgré tout très complète ! Je vous remercie également pour le travail que nous avons conduit, notamment pendant la période du covid pour évaluer les textes que nous avons alors adoptés et qui, malheureusement, ont désormais disparu du code de la santé publique. Nous avions pu établir toute une série de préconisations qui ont, chaque fois, été prises en compte par le législateur.

Par ailleurs, notre production législative a été enrichie par vos travaux à au moins trois reprises concernant des textes régaliens. D’abord dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, s’agissant des attaques cyber et de leur prévention au profit des établissements, en particulier les établissements publics de l’État. Ensuite, sur les nouveaux logiciels de vidéosurveillance, notamment dans la loi relative aux Jeux olympiques. Enfin, sur le cadre de l’usage de la vidéosurveillance, particulièrement lors des manifestations d’ampleur – je pense aux drones. À ce sujet, vous pourrez peut-être nous préciser votre appréciation du cadre d’application actuel, depuis avril 2023, à la suite des différents décrets pris, sanctionnés puis rétablis dans une forme plus acceptable à la suite des décisions du Conseil d’État.

Le Président de la République a fait hier des annonces sur le contrôle des écrans des enfants. La Cnil a-t-elle été consultée ? Que préconise-t-elle quant au temps d’usage ? Les recommandations doivent-elles être limitées au temps scolaire ou s’étendre au cadre familial ou intime ? La Cnil a-t-elle recommandé un type d’outil pour limiter le temps d’écran ou accompagner les parents, comme un guide d’utilisation ? Tout cela relève-t-il du droit souple  ou nécessite-t-il des transformations législatives en vue desquelles la Cnil aurait déjà été consultée ?

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je vous remercie, madame, de la clarté de votre propos.

Comment développer et faire mieux connaître le rôle que joue la Cnil dans l’accompagnement des entreprises et des collectivités locales ? Il permet d’améliorer les pratiques et d’aller vers une souveraineté numérique qui soit compatible avec la protection des citoyens, sans entraver le développement des nouvelles technologies et la puissance de notre modèle en la matière.

Vous avez indiqué, dans vos réponses écrites, que la Cnil était beaucoup saisie, mais pas nécessairement de ce dont elle devrait l’être. Dans quel champ la Cnil devrait-elle être obligatoirement saisie et dans quels cas sa saisine vous semble-t-elle superfétatoire ?

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Laure Miller (RE). Merci de la clarté de votre exposé et de la précision de vos réponses, qui illustrent le travail que vous avez accompli à la présidence de la Cnil.

Vous aviez notamment à relever l’immense défi de la mise en œuvre du RGPD, en accompagnant les entreprises et les collectivités territoriales. Vous avez eu la lourde tâche de sensibiliser davantage les Français à l’enjeu de la protection des données personnelles, qui leur paraissait encore accessoire il y a peu, mais dont ils mesurent désormais, pour la majorité d’entre eux, le caractère primordial : elle permet l’exercice de nos libertés les plus fondamentales. Les données peuvent être des armes de conquête pour les États comme pour les entreprises. Dans cette affaire, la Cnil occupe une place centrale.

« Il faut un ordre public numérique », déclarait le Président de la République le 24 juillet dernier. C’est ce que vous appelez un environnement numérique de confiance. Cette ambition, la majorité et le Gouvernement l’ont défendue dans le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. La Cnil prendra toute sa part dans l’application de ce texte, qui la charge de contrôler le respect des règles qui encadrent le recours par les fournisseurs de plateformes en ligne à la méthode de la publicité ciblée. La Cnil sera également engagée dans le cadre de la mise en œuvre du filtre anti-arnaques.

Nous vous savons pleinement mobilisée s’agissant de ces sujets qui affectent le quotidien numérique des Français. Pouvez-vous nous dire un mot du bilan de votre action en la matière et de la méthode que vous emploierez pour mettre en application les dispositifs consacrés par ce projet de loi ?

Naturellement, les députés du groupe Renaissance souhaitent vous renouveler leur confiance.

M. Yoann Gillet (RN). La Cnil a « épinglé » des communes qui utilisaient des caméras Lapi (lecture automatisée des plaques d’immatriculation) dans un but de verbalisation pour les forfaits post-stationnement. C’est interdit par la loi, je ne remets pas cela en cause. Mais la Cnil a aussi visé des communes qui utilisaient ces caméras pour ce pour quoi elles sont prévues : enregistrer les plaques afin que cela puisse, sur réquisition des autorités compétentes, servir à des enquêtes. Cela pose un problème, et il y a là une question d’interprétation de la loi.

Aux termes de celle-ci, « ces traitements ne sont licites que si et dans la mesure où ils sont nécessaires à l’exécution d’une mission effectuée, pour l’une des finalités énoncées au premier alinéa, par une autorité compétente ». Les services de police et de gendarmerie nationales peuvent utiliser des dispositifs fixes ou mobiles pour enregistrer ces données, en prenant notamment des photographies des véhicules. Mais, dans les faits, ce sont les communes qui installent les dispositifs de vidéosurveillance et les caméras Lapi, et la Cnil les met en demeure de les débrancher.

Selon la Cnil, aucun document ne prévoit cette collaboration entre les services de l’État et les communes. Or, il existe des conventions de coordination entre police municipale, police nationale et préfecture qui prévoient l’installation de ces systèmes.

La Cnil a-t-elle formulé des recommandations concrètes sur l’évolution de la législation ? En quoi accompagne-t-elle les collectivités locales ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Les personnes concernées par des traitements de données personnelles disposent de droits leur permettant de garder la maîtrise des informations les concernant. Le responsable du fichier doit ainsi leur expliquer la procédure à suivre et à qui elles peuvent s’adresser afin d’exercer concrètement leurs droits, le délai de réponse étant d’un mois.

Dans ce cadre et en vertu du troisième alinéa de l’article 12 du RGPD, les banques doivent faciliter, pour leurs emprunteurs, l’exercice des droits prévus par les articles 15 à 22 du règlement, notamment le droit d’accès aux données personnelles et le droit de rectification. Le RGPD est protecteur pour l’emprunteur, puisqu’il exige que les conditions économiques du prêt soient aisément contrôlables. Lors d’un litige concernant le recouvrement d’une dette issue d’un prêt bancaire, la banque doit apporter la preuve de l’existence du prêt accordé et indiquer le montant estimé du solde de la dette restant due, mais sans avoir à en prouver l’exactitude. C’est à l’emprunteur d’apporter la preuve des paiements effectués et du montant du solde.

Dans certaines situations pourtant, les emprunteurs ne sont pas informés de leurs droits, notamment en ce qui concerne l’accès à leurs données personnelles, ce qui les empêche de prouver l’état du solde. Les emprunteurs peuvent ainsi ne pas être d’accord avec les montants avancés par la banque, sans pour autant être en mesure de prouver le chiffre exact. Cela entraîne des litiges longs et coûteux pour les emprunteurs et des situations inextricables, dans lesquelles des particuliers et des entreprises sont tenus captifs par des organismes prêteurs qui peuvent opérer sur leurs débiteurs un chantage au signalement à la Banque de France.

Madame la présidente, partageant avec votre prédécesseure, Isabelle Falque-Pierrotin, une situation d’union conjugale avec un haut responsable bancaire, que comptez-vous faire pour que les banques informent systématiquement les emprunteurs de leurs droits, dans le respect du RGPD, afin d’éviter des contentieux dans lesquels lesdits emprunteurs, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, ne peuvent apporter de preuves ?

Mme Cécile Untermaier (SOC). En ce qui concerne le dopage sportif, vous connaissez la question des tests génétiques. Il en résulte des données très intrusives, qui doivent absolument être protégées. Quel est le cadre permettant d’y parvenir ?

Les faux avis sur Google ne correspondent sans doute pas au cœur de votre métier, mais je veux vous alerter sur ce sujet. Le temps de réparation de la situation est disproportionné, s’agissant d’une entreprise qui fait bien son travail et se trouve pénalisée par ces faux commentaires. J’aimerais avoir votre avis à ce sujet.

Enfin, merci pour votre travail sur le RGPD et la protection des données. J’ai néanmoins le sentiment que les citoyens ont abandonné ce combat, pourtant essentiel, car ils ont le sentiment d’être impuissants. La Cnil n’a-t-elle pas un rôle d’information et de communication à jouer ?

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Après avoir passé plusieurs années à la tête de la Cnil, vous êtes la mieux placée pour savoir que la révolution numérique engendre des changements techniques considérables. Ainsi, on a vu émerger une intelligence artificielle qui se substitue de plus en plus à l’homme. Contrairement à lui, qui s’adapte à son environnement, la machine se soumet aux algorithmes statistiques. En 2020, sur la base d’un travail mené avec vos équipes, le Défenseur des droits a publié un rapport visant à mettre en lumière les risques considérables de discrimination que peut faire peser sur chacune et chacun d’entre nous l’usage exponentiel des algorithmes. Trois ans plus tard, nous nous sommes encore un peu plus enfoncés dans une société des algorithmes et de la surveillance. Au cours des derniers mois, par ailleurs, l’attention s’est focalisée sur un projet de loi qui institutionnalise la suspicion à l’égard des personnes immigrées, lesquelles sont majoritairement des personnes racisées.

Vous êtes loin de l’ignorer, car la Cnil participe à la lutte contre le racisme, notamment en insistant sur la nécessité de vérifier si les algorithmes utilisés remplissent bien leurs fonctions sans créer de biais, en particulier pour l’accès à l’emploi, à un logement ou à l’éducation. À cet égard, l’exemple de Parcoursup est particulièrement frappant. Nous serons tous d’accord, malheureusement, pour dire que les biais algorithmiques peuvent toujours, que cela soit volontaire ou non, générer des discriminations, et on peut légitimement craindre que l’essor de l’intelligence artificielle contribue à alimenter ces biais, voire à renforcer les discriminations raciales.

Le développement de l’IA constitue donc un vrai défi, qui est avant tout éthique, pour les prochaines années. J’aimerais vous entendre sur la manière dont la Cnil a su s’approprier cet enjeu au cours de votre premier mandat et sur la façon dont vous envisagez d’agir pour parer les éventuelles dérives vers les formes de racisme que l’IA ou la reconnaissance faciale pourraient générer.

Nous avons été amenés, ici même, à nous prononcer sur une proposition de loi prévoyant l’expérimentation d’un service placé sous l’autorité du Premier ministre et qui serait chargé de réaliser des tests de discriminations individuelles ou statistiques. Si ce texte entrait en vigueur à l’issue de son passage au Sénat, comment envisageriez-vous l’articulation entre les prérogatives de ce service et celles de la Cnil ?

M. Paul Molac (LIOT). L’institution que vous présidez depuis 2019 joue un rôle essentiel dans notre vie démocratique, en particulier à l’ère du numérique, qui fait peser des menaces et des risques toujours plus élevés. Je crois que l’essentiel a été dit dans votre propos liminaire et vos réponses au questionnaire écrit, et nous vous savons gré du travail que vous avez fait au cours de votre mandat. Je me limiterai à une question relative à vos rapports avec l’État et les administrations.

On l’oublie parfois, car l’action de la Cnil fait généralement les gros titres, généralement en lien avec les Gafam – Facebook, Microsoft et autres géants – mais votre institution peut aussi mener des actions contre certaines pratiques de l’État. Chacun est en droit d’attendre de lui un comportement exemplaire en matière de protection des données et de respect des règlements. L’actualité nous rappelle pourtant que les administrations centrales commettent aussi des manquements. Le rôle de la Cnil prend alors tout son sens, mais son pouvoir de sanction reste limité lorsque le justiciable se trouve être l’État.

Pour prendre un exemple dont on a beaucoup parlé, en novembre 2023, la Cnil a été saisie d’une affaire concernant l’utilisation par Bercy et le ministère de la fonction publique d’une base de données comportant les adresses mail de plus de 2,3 millions d’agents publics, dans le but d’adresser un message, une vidéo de six minutes vantant les mérites de la réforme des retraites, en plein débat à l’Assemblée nationale. Dans sa décision, la formation restreinte de la Cnil a souligné la gravité du manquement, à savoir le détournement d’une base de données pour envoyer un message politique étranger à sa fonction. La Cnil a relevé qu’un nombre important de personnes était concerné et a souligné les hautes fonctions des responsables publics impliqués – je rappelle par ailleurs que le ministère de l’économie est aussi chargé du numérique. Or quel a été le résultat ? Un simple rappel à l’ordre. Quel regard portez-vous sur cette décision ? Était-ce suffisant ? Pensez-vous que la palette des sanctions à la disposition de la Cnil contre les administrations gagnerait à être renforcée ?

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Les conditions dans lesquelles les services de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes et les militaires peuvent procéder à la captation, à l’enregistrement et à la transmission d’images au moyen de drones sont déterminées par le code de la sécurité intérieure. La Cnil s’est prononcée à deux reprises, en janvier et en juillet 2021, sur ces nouvelles dispositions légales : elle a appelé à un encadrement strict de l’usage des drones compte tenu des risques d’atteinte aux libertés publiques et à la vie privée des individus. En pratique, les forces de l’ordre peuvent notamment être autorisées à utiliser des caméras aéroportées – les fameux drones – pour la prévention d’actes de terrorisme, le secours aux personnes, la sécurité des rassemblements sur la voie publique et l’appui au personnel au sol pour le maintien ou le rétablissement de l’ordre public.

Il n’est pas explicitement fait mention de la sécurité du personnel qui assure des missions de service public en matière de sécurité et de rétablissement de l’ordre public. Je pense notamment aux pompiers et aux policiers municipaux, qui ne peuvent pas utiliser des drones pour vérifier en amont de leurs opérations qu’on ne leur tend pas, par exemple, un guet-apens. Envisagez-vous à cet égard une évolution de votre doctrine ?

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Rémy Rebeyrotte (RE). J’ai pu constater, en étant responsable du texte sur le RGPD et en observant la manière dont les choses se mettaient en place, que la Cnil savait démultiplier ses moyens et ses missions d’une manière tout à fait remarquable. Vous ne restez pas les deux pieds dans le même sabot, c’est le moins qu’on puisse dire.

Eu égard aux nouveaux enjeux que vous avez définis, notamment l’intelligence artificielle, la démultiplication des applications, l’accès des mineurs et l’effacement des données, comment envisagez-vous l’évolution des moyens de la Cnil ? Vous faites énormément de choses avec des moyens limités, même s’ils ont, heureusement, été renforcés ces dernières années pour faire face aux nouvelles missions que vous devez exercer. Quelles comparaisons peut-on faire avec les institutions comparables d’autres pays européens, qui ont souvent beaucoup plus de moyens, humains, techniques ou matériels ?

M. Jordan Guitton (RN). Vous présidez depuis 2019 la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dont les missions sont essentielles puisqu’il s’agit de protéger les données personnelles des Français. On le voit d’année en année, lors des débats sur tous les textes, c’est devenu un sujet majeur et un enjeu de souveraineté pour notre pays.

Les Jeux olympiques et paralympiques qui se dérouleront en 2024 seront en proie, vous l’avez dit, à de nombreuses cyberattaques. Lors des JO de Londres, plus de 200 millions de cyberattaques avaient déjà eu lieu, notamment lors de la cérémonie d’ouverture. À Tokyo, en 2021, le nombre s’était élevé à 450 millions. À Paris, selon le Comité d’organisation des Jeux olympiques, le niveau de menace sera multiplié par dix. Pouvez-vous nous donner votre avis sur la préparation et la défense de notre pays face à ces futures menaces ?

Le texte relatif aux Jeux olympiques que nous avons voté prévoit notamment l’utilisation des caméras algorithmiques que vous avez évoquées. Dans quelle mesure et par quelles actions concrètes contrôlerez-vous les prestataires, qui pourront avoir accès à certaines données ? Que pensez-vous de l’expérimentation, qui durera jusqu’au 31 mars 2025, soit six mois après les Jeux olympiques ?

Ma dernière question concerne l’utilisation de l’intelligence artificielle à des fins politiques. Le porte-parole de Renaissance s’en est servi pour détourner la vidéo dans laquelle Marine Le Pen souhaitait ses vœux. Quelles actions concrètes la Cnil mènera-t-elle pour que les plateformes numériques suppriment rapidement de telles falsifications et protègent la démocratie contre les détournements de données ? Il me semblait que la lutte contre les fake news était un objectif du Gouvernement, mais il les utilise parfois lui-même à des fins politiques…

M. Hervé Saulignac (SOC). Je voudrais vous interroger sur l’algorithme utilisé par les caisses d’allocations familiales pour orienter leur politique et le contrôle des allocataires. Les critères employés, comme les revenus, le chômage, les allocations perçues par ailleurs au titre du RSA, la situation géographique, le handicap et le statut de mère célibataire, semblent tout à fait discriminatoires et cibleraient de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables. Le produit de l’algorithme est assez alarmant, puisqu’il se traduit par un score de suspicion qui pourrait conduire, dans certains cas, à priver les allocataires de leurs droits. La presse a également fait état de discriminations de genre pratiquées par des algorithmes, comme celui de Parcoursup. Tout cela soulève des questions absolument fondamentales en matière d’éthique et d’équité pour l’utilisation des algorithmes dans le secteur public. Avez-vous agi en la matière, en tant que présidente de la Cnil ? Quelles actions avez-vous entreprises ou envisagez-vous de mener pour garantir que l’utilisation des algorithmes dans le secteur public respecte bien les principes éthiques fondamentaux de notre société ?

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Comme plusieurs collègues l’ont dit, l’évolution de la définition de ce qui relève du domaine de l’acceptable en matière d’utilisation des données sensibles est une question qui agite beaucoup notre commission. Nous avons eu l’occasion de parler de l’intelligence artificielle, de la vidéosurveillance algorithmique et de divers systèmes au sujet desquels la Cnil a été sollicitée. Les tribunaux administratifs le sont également quant aux logiciels utilisés, à la façon dont on y a recours et à la qualification des données répertoriées. Je pense notamment à un jugement du tribunal administratif de Caen, qui a été partiellement censuré par le Conseil d’État mais a instauré un début de doctrine en la matière.

Le législateur, de son côté, continue à être fasciné par l’innovation. Celle-ci est très positive, mais il faut aussi prendre conscience des conséquences qu’elle peut emmener. En matière de données sensibles, biométriques ou à caractère biométrique, personnelles ou à caractère personnel, toute une législation a vu le jour sur laquelle la Cnil est souvent à peine consultée et ses avis pas toujours suivis ; les plus hautes juridictions sont sans cesse amenées à trancher. Il y a donc un léger souci. Nous avons besoin, en tant que législateur, d’être éclairés par des spécialistes. J’ai entendu tout à l’heure que vous renforciez la commission dédiée à l’intelligence artificielle (IA), mais j’aimerais en savoir plus sur votre plan, pour la suite de votre mandat, concernant ces questions qui ne cesseront de prendre de l’ampleur.

M. Stéphane Rambaud (RN). L’intelligence artificielle générative, l’IAG, est devenue depuis quelques mois un sujet à la mode, largement vulgarisé par ChatGPT, le robot conversationnel de la société américaine OpenAI. Objet de curiosité, ce chatbot permet de créer très rapidement des contenus originaux, visuels, sonores ou écrits, par le biais d’une interface simple et accessible à tous. La puissance créatrice de cet outil numérique fascine le plus grand nombre, ce qui explique largement son succès auprès du grand public. Mais l’IAG soulève aussi beaucoup de questions, en particulier celles de la protection des données personnelles et de l’utilisation des contenus générés, et suscite des inquiétudes en matière de droit d’auteur et de manipulation de l’information.

L’Union européenne a dernièrement réussi à finaliser un accord sur l’encadrement de l’intelligence artificielle, et plus particulièrement sur la régulation des IAG et l’intégration d’exceptions à l’usage de l’IA dans le domaine de la sécurité. En parallèle de la création d’une réglementation européenne, la France peut et surtout doit contribuer, par son droit interne, au développement d’une IAG respectueuse des données personnelles, de la protection des citoyens et des libertés fondamentales. Les mécanismes de régulation et de surveillance à instituer, qu’ils soient européens ou nationaux, nécessiteront la saisine d’une autorité indépendante. La Cnil est toute désignée pour remplir ce rôle, puisqu’elle a déjà de l’expertise et de l’expérience en matière de protection des données personnelles. J’émettrai un avis favorable à votre reconduction, mais j’ai une question simple à vous poser : la Cnil entend-elle assurer cette fonction de protection des données personnelles en lien avec le développement des technologies de l’intelligence artificielle, et être le gendarme de l’IAG ?

M. Didier Paris (RE). Les questions qui se posent à propos de l’intelligence artificielle ont déjà été largement évoquées. D’autres, encore renforcées à l’approche des Jeux olympiques, concernent la gestion des fichiers de police et de renseignement. Lorsque j’ai mené, il y a déjà quelques années, une mission sur cette question, j’ai pu voir à quel point les fichiers étaient nombreux, et constater que, pour un certain nombre d’entre eux, les contrôles étaient relatifs, ou difficiles.

L’exercice par les citoyens de leurs droits en ce qui concerne les fichiers de police et de renseignement mérite en tout cas d’être amélioré. La Cnil joue un rôle important dans ce domaine puisque, selon la nature du fichier, on peut s’adresser à elle plutôt qu’à l’administrateur. Comment le contrôle s’exerce-t-il actuellement, dans quelle mesure a-t-il évolué au fil des années et la Cnil est-elle fréquemment saisie ? Je pense en particulier au TAJ, le traitement d’antécédents judiciaires : de très nombreuses personnes figurent dans ce fichier, y compris en ayant été entendues en tant que témoins, ou alors que leur propre responsabilité n’était pas mise en cause. Or, le nettoyage du TAJ, si vous me permettez cette expression, est parfois relatif.

Pouvez-vous faire le point sur ces questions de sécurité publique, dont l’importance va sans doute s’accroître encore avec les Jeux olympiques ?

Mme Marie-France Lorho (RN). Le 29 novembre dernier, le préfet de police de Paris a annoncé quels dispositifs il souhaitait mettre en place dans le cadre des Jeux olympiques à Paris et en Île-de-France. Il a alors souligné que la liberté de circulation serait conditionnée par la validation d’un QR code dans certaines zones.

La généralisation du QR code est particulièrement attentatoire à la liberté de circulation, garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Je m’inquiète de la pérennité de cette mesure, initialement instaurée à l’occasion de la crise sanitaire et au sujet de laquelle la Cnil avait indiqué, dans un avis du 12 mai 2021, qu’il était nécessaire de s’assurer de son caractère temporaire.

La Cnil avait également relevé que le dispositif devait intégrer un certain nombre de garanties afin de limiter autant que possible la divulgation et la conservation d’informations privées. En effet, les QR codes ne sont pas exempts de failles en matière de cybersécurité. Ils pourraient faire l’objet d’un hameçonnage et mettre en danger les données personnelles. Ceux qui scannent ces dispositifs pourraient aussi être victimes de logiciels malveillants si des QR codes conduisent vers de mauvaises destinations.

La Cnil entend-elle cautionner la pérennité d’un dispositif qu’elle ne souhaitait pas voir prolongé lors de la crise sanitaire ? Quelles garanties de sécurité entend-elle donner aux Français pour la protection de leurs données à l’occasion des Jeux olympiques ?

M. Philippe Gosselin (LR). On voit bien que le suspense n’est pas très intense quant au vote qui aura lieu tout à l’heure.

Il y a beaucoup à dire au sujet de l’IA, des JO et de la cybersécurité, mais cela a été fait. Quel regard portez-vous sur la gestion des fichiers ? C’est une question qui revient régulièrement, dans cette commission mais aussi à la Cnil.

Par ailleurs, quelles seraient, pour vous, les perspectives idéales en matière de capacités financières et de recrutement ? La Cnil, cela a été dit tout à l’heure, fait beaucoup avec des moyens plutôt mesurés. On peut s’en réjouir, mais face aux nouvelles menaces et à vos nouvelles fonctions, estimez-vous que vos moyens sont suffisants ? Sinon, quel serait le niveau souhaitable ?

Mme Marie-Laure Denis. Je suis très sensible au fait qu’autant de membres de votre commission aient posé des questions très variées, qui traduisent l’intérêt porté aux sujets sur lesquels travaille la Cnil – je vous en remercie.

La Cnil a eu un rôle très actif en ce qui concerne les drones. En en voyant voler pendant le confinement par exemple, elle s’est interrogée sur la base légale qui permettait de les utiliser pour détecter les personnes s’affranchissant des règles en vigueur durant cette période. Il y a un équilibre à trouver entre la sécurité publique et la protection de la vie privée, mais encore faut-il, et je crois qu’on le comprend ici, qu’il y ait un cadre légal et des garanties. Après une décision du Conseil d’État qui a interdit l’usage des drones, pour absence de base légale, dans une manifestation particulière, j’ai saisi la formation restreinte de la Cnil, c’est-à-dire sa commission des sanctions, qui a prononcé, quelques mois plus tard, une injonction générale interdisant aux forces de l’ordre d’utiliser des drones tant qu’un cadre légal n’avait pas été établi. D’où la loi et la décision du Conseil constitutionnel qui sont ensuite intervenues. D’après les garanties apportées par le législateur, il faut un arrêté préfectoral, susceptible de recours devant le juge administratif ; il existe des quotas par département pour l’usage des drones ; enfin, il faut informer autant que possible de leur utilisation, laquelle n’est possible que pour des finalités déterminées.

J’en profite pour dire que ce n’est pas à la Cnil de préciser si les pompiers ou les policiers municipaux peuvent utiliser des drones : c’est le rôle du législateur. La Cnil s’assure, en revanche, que les personnes ayant accès aux images sont limitées et que toutes les garanties prévues par la loi sont respectées. La surveillance par drones est en effet d’une nature potentiellement très intrusive – je ne nie pas du tout son intérêt sur le plan de la sécurité – parce qu’elle peut être imperceptible et qu’elle intervient dans l’espace public, c’est-à-dire dans un lieu d’exercice des libertés publiques, notamment la liberté de manifestation, la liberté syndicale et la liberté de culte. La Cnil vérifie très concrètement, par exemple, que les intérieurs des immeubles ne sont pas filmés, et elle a vraiment agi pour l’encadrement de cette technologie de surveillance.

Monsieur le président, vous m’avez interrogée sur le contrôle des écrans à la suite de l’annonce faite hier par le Président de la République. C’est une question qui est très largement du ressort de l’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, mais nous intervenons dans deux domaines. D’abord, nous faisons beaucoup de pédagogie. L’éducation au numérique, selon moi, concerne à la fois les parents et les enfants – je le dis sans arrogance ni prétention : je crois que nous avons tous à apprendre en la matière. Nous fédérons un collectif, Educnum – éducation au numérique –, qui compte de nombreuses parties prenantes et a un partenariat avec l’éducation nationale. Nous produisons beaucoup de ressources : nous venons de mettre au point par exemple, pour les 8-10 ans, des vidéos et des jeux de cartes pour attirer l’attention sur le fait que le numérique est une opportunité, mais qu’il existe aussi des risques. Nous allons prolonger cette action en faisant un manga pour les collégiens. Par ailleurs, j’attends personnellement beaucoup du contrôle parental, qui doit désormais exister sur tous les instruments numériques – téléphones, ordinateurs, tablettes, consoles de jeux. La Cnil a récemment rendu un avis sur l’un des décrets relatifs aux dispositifs de contrôle, qui fait actuellement l’objet d’un contentieux. Elle y souligne que l’on pourrait aller plus loin, par exemple en prévoyant que le contrôle parental soit activé par défaut. Nous continuons à nous rapprocher de l’Agence nationale des fréquences, qui est chargée de la mise en œuvre du contrôle parental sur le plan technique.

En matière de publicité, les compétences sont partagées entre la Cnil et, principalement, l’Arcom. Depuis au moins une dizaine d’années, la Cnil est très active sur le sujet, qu’il s’agisse de prospection commerciale, de régulation des cookies et autres traceurs, ou à l’égard des courtiers en données, ou data brokers. La Cnil définit des bonnes pratiques à l’intention des professionnels et n’hésite pas à prononcer des sanctions significatives dans des affaires de profilage publicitaire – les applications mobiles relèvent de la même problématique. Nous continuerons sur cette lancée.

Le filtre anti-arnaque prévu par le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique consiste à bloquer les sites cachant des intentions malveillantes à l’égard de leurs utilisateurs –  sites qui pourraient être nombreux. Afin de concilier liberté d’expression et protection de la vie privée, le texte offre la possibilité à l’éditeur du site d’intenter un recours contre cette mesure auprès d’une personnalité qualifiée membre de la Cnil. La Cnil est heureuse d’endosser ce rôle, même si le nombre de saisines potentielles demeure incertain. Cette tâche devrait mobiliser cinq à dix emplois à temps plein. Le texte prévoit, comme nous l’avions préconisé, l’envoi d’un message d’avertissement à l’internaute avant l’éventuel blocage du site, ce qui est de nature à garantir le respect de la liberté d’expression.

Monsieur Rebeyrotte, les pouvoirs publics accompagnent, depuis quelques années, l’extension des missions de la Cnil. De 215 agents à mon arrivée, elle est passée aujourd’hui à 288. Cela étant, les effectifs de nos homologues anglais et allemand excèdent 1 000 personnes. En tout état de cause, la tendance à la numérisation de la société entraînera un accroissement de nos missions, qu’il s’agisse des plaintes ou des sollicitations des professionnels.

C’est pourquoi, tout en ayant le sentiment d’être bien accompagnés, monsieur Gosselin, nous avons besoin de moyens supplémentaires pour recruter dans un secteur de plus en plus concurrentiel des ingénieurs, des informaticiens et des juristes, et plus généralement pour mener à bien nos missions, renforcer nos systèmes d’information et faire de la pédagogie.

Madame Untermaier, l’utilisateur d’un portable ou d’un ordinateur a certes tendance à privilégier l’utilité immédiate de sa démarche par rapport à la protection de ses données. Cela étant, l’ensemble des actions que nous conduisons visent à accroître la transparence et à redonner aux individus une capacité de contrôle sur leurs données. Sans prétendre que notre action explique à elle seule l’évolution des mentalités, depuis que nous nous sommes attachés à réguler les cookies, il y a deux ou trois ans, la proportion de Français qui savent ce qu’est un traceur publicitaire et qui ont conscience qu’ils sont pistés sur internet est passée de moins de 50 % à 95 %. Le doublement des plaintes déposées depuis cinq ans atteste aussi d’une sensibilisation à ces sujets. Reste que les gens prennent surtout conscience des enjeux lorsqu’ils rencontrent des difficultés, par exemple à la suite d’une attaque cyber – ce dernier phénomène étant amené à se développer.

Monsieur le rapporteur, pour améliorer encore notre accompagnement, nous devons nous adosser davantage à des têtes de réseau, à des fédérations professionnelles, à des associations telles que l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, Départements de France ou Régions de France. Les partenariats que nous nouons avec elles nous permettent de répondre aux enjeux de la protection des données dans les collectivités territoriales. J’ai signé, au salon des maires, un partenariat avec les chambres de commerce et d’industrie (CCI). Contrairement à la Cnil, qui n’a pas de services déconcentrés – même si elle organise un nombre croissant d’événements en région –, les CCI sont en mesure de quadriller le terrain.

La Cnil est heureuse d’être fréquemment saisie sur des projets de loi et de décret, ce qui la conduit à rendre plus d’une centaine d’avis par an. Toutefois, compte tenu du principe de responsabilisation défini par le RGPD, peut-être certains projets ne justifieraient-ils pas d’être étudiés par les dix-huit membres du collège de notre institution. A contrario, on est parfois surpris de ne pas pouvoir donner d’avis sur certains textes, au motif qu’ils ne remplissent pas les caractéristiques essentielles relatives au traitement des données personnelles : je pense, par exemple, à un texte particulièrement intrusif pris par le ministère de la justice, qui prévoyait l’activation des téléphones portables à l’insu des personnes. Peut-être pourrait-on améliorer les choses à l’occasion de la modification future d’un texte.

S’agissant des caméras Lapi, monsieur Gillet, nous aurions pu aller beaucoup plus loin. Nous nous sommes contentés pour l’instant d’adresser aux communes des mises en demeure, lesquelles ne sont pas des sanctions et, de surcroît, n’ont pas été publiées. J’ai ainsi écrit à trente-huit communes pour leur dire qu’elles pouvaient parfaitement utiliser leur système pour contrôler le paiement du stationnement, mais qu’elles ne pouvaient pas, en revanche, l’employer pour constater des infractions.

M. Yoann Gillet (RN). Je parlais des réquisitions judiciaires.

Mme Marie-Laure Denis. Le droit est assez simple. Les communes ont la faculté d’utiliser des traitements algorithmiques pour contrôler que le détenteur d’une voiture a payé son stationnement, mais elles ne peuvent elles-mêmes visionner les images enregistrées. Si des conventions ont été conclues avec la police ou la gendarmerie, c’est à elles d’opérer les contrôles. Nous avons discuté avec le ministère de l’intérieur de ce que les communes ont le droit de faire. Il partage l’analyse de la Cnil et c’est lui qui nous a permis d’établir la liste des trente-huit communes que nous avons mises en demeure. Par ailleurs, nous accompagnons autant que possible les collectivités locales. Nous avons un service des délégués et de l’accompagnement. Nous proposons, dans notre cours en ligne, un module spécifique pour les collectivités locales. En dehors des trois grandes associations que j’ai citées, nous avons noué un partenariat avec l’association Déclic, qui mutualise les outils numériques de nombreuses communes. Nous sommes à la disposition des collectivités locales. D’ailleurs, si nous n’effectuons que 300 contrôles et ne prononçons que 150 mises en demeure et 40 sanctions par an, à rapporter à un total annuel de 16 000 plaintes, c’est parce que nous traitons l’essentiel dans le cadre de la conciliation. Nous continuerons à accompagner les collectivités locales dans le cadre de l’application de la Lapi.

Monsieur Coulomme, la Cnil régule les banques comme tous les autres secteurs d’activité. Elles font même l’objet d’un accompagnement spécifique, ce qui est assez rare chez nous. Un « club conformité » leur est dédié : il n’en existe que deux autres, pour les assurances et pour la voiture autonome. Nous nous réunissons très régulièrement, avec l’ensemble des représentants du secteur bancaire et ses autorités – Banque de France, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – pour veiller à la protection des données dans ce secteur très régulé qui, par définition, brasse beaucoup de données personnelles, par exemple dans le cadre de la lutte contre le blanchiment ou de dossiers de surendettement. Il faut concilier les différentes obligations réglementaires pesant sur les établissements et la protection de la vie privée.

Tous les principes de la protection des données font l’objet d’un accompagnement – droit d’accès, droit d’information… – mais nous effectuons aussi des contrôles : depuis cinq ans, nous en avons réalisé près de soixante et avons prononcé vingt-six mesures correctrices. Quinze banques en ligne, qui ont des problématiques particulières, ont été contrôlées. Nous contrôlons également un certain nombre de fichiers, notamment le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers. Nous recevons plus de 20 000 saisines par an de personnes souhaitant savoir, par exemple, si elles figurent dans un fichier ou si un compte bancaire a été ouvert à leur nom sans qu’elles en soient informées. Pas moins de 95 % des saisines concernent Ficoba, le fichier national des comptes bancaires et assimilés.

Madame Untermaier, la Cnil s’est intéressée au dopage sportif dans le cadre de l’examen de la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques. Ce texte a autorisé, de manière inédite en France, la réalisation de tests génétiques, dont les résultats constituent des données extrêmement sensibles. La Cnil n’a pas eu à se prononcer sur le principe des tests, décidé au niveau mondial, mais uniquement sur le traitement des données qui peut en résulter. Elle a insisté sur la nécessité d’informer l’athlète au préalable. Rappelons que ces tests sont effectués en dernier recours, s’il n’existe pas d’alternative moins intrusive. Nous nous sommes aussi intéressés au transfert des données, notamment vers le Canada, qui abrite le siège de l’Agence mondiale antidopage. Nous avons préconisé, sur ces différents sujets, un certain nombre de garanties.

S’agissant des faux avis sur Google, nous avons noué un partenariat avec la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et la DGFIP (direction générale des finances publiques).

Monsieur Rimane, l’intelligence artificielle peut effectivement être créatrice de biais. Les méthodes probabilistes employées peuvent être source d’erreurs, si les données servant à l’entraînement des systèmes ne sont pas représentatives de la population par exemple. C’est pourquoi la Cnil veille particulièrement à ce que les systèmes qu’elle examine ne prévoient pas de décisions purement automatisées. Nous nous intéressons notamment à la minimisation du nombre de données, qui conduit à ne retenir que celles qui présentent un certain degré de pertinence, ce qui est de nature à exclure une partie des biais. À titre d’exemple, nous avons interagi avec un laboratoire pharmaceutique qui souhaite employer l’intelligence artificielle pour déterminer les variables explicatives du cancer de la prostate : parmi les centaines de millions de dossiers qu’il utilise, certains concernent des hommes qui n’ont pas de cancer de la prostate, ­ ce qui peut se comprendre pour des raisons de classification, mais également des femmes, ce qui ne paraît pas indispensable.

L’un des rôles de la Cnil est de veiller à ce que les systèmes d’intelligence artificielle précisent, autant que possible, les finalités de leur traitement. Par ailleurs, la durée de conservation des données doit varier en fonction de leur usage, selon par exemple qu’il s’agit d’entraîner le système ou de détecter les biais. Le législateur nous a demandé d’accompagner les fournisseurs d’algorithmes qui seront utilisés sur les images des caméras pendant les Jeux olympiques pour détecter des comportements suspects. Nous avons ainsi accompagné une dizaine d’industriels pendant plusieurs mois. Nous avons été particulièrement attentifs aux biais. À ce propos, je rappelle que c’est à la suite d’une mise en demeure de la Cnil il y a quelques années – même si d’autres raisons, tenant au tirage au sort, sont également entrées en ligne de compte – que le portail APB (admission postbac) a été enterré et remplacé par Parcoursup, afin de gagner en transparence et d’éviter des décisions entièrement automatisées.

Monsieur Molac, un dixième des plaintes reçues par la Cnil a concerné l’utilisation par le ministère de la fonction publique d’un fichier de paiement des agents à des fins étrangères à sa nature. J’ai saisi notre formation restreinte – ce à quoi je n’étais pas tenue –, qui a prononcé un rappel à l’ordre, faute de pouvoir sanctionner financièrement l’État. La sanction médiatique a toutefois été réelle. Cela dit, il arrive à la Cnil de prononcer des sanctions à l’égard du secteur public : nous l’avons fait, par exemple, contre le ministère de l’intérieur, au sujet des drones ou des radars tronçons ; la Cnil avait aussi adressé des mises en demeure, dont certaines ont été rendues publiques, au sujet des outils utilisés pendant la période du covid. Nous avons prononcé récemment une sanction à l’encontre de Bercy concernant le fichier des douanes Sirene (Système d’information du renseignement des navires et équipages), qui était utilisé sans base légale : un nouveau texte nous a alors été présenté. En effet, non seulement nous contrôlons des fichiers à l’occasion des avis que nous rendons sur des projets de texte, mais nous appelons aussi à la modification de textes dans le cadre des très nombreux contrôles que nous opérons dans le secteur régalien.

S’agissant, monsieur Guitton, des menaces de cyberattaques pendant les Jeux olympiques, nous travaillons étroitement avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, qui exerce la responsabilité principale en la matière, en lien avec le Comité international olympique. Nous nous contentons, mais c’est beaucoup, de publier des messages pédagogiques relatifs à la cybersécurité à destination de l’ensemble des citoyens. Nous avons récemment publié une recommandation sur les mots de passe. Le site de la Cnil est consulté près de 12 millions de fois par an, ce qui montre que les gens sont sensibilisés à ces sujets. Nous accompagnons beaucoup les établissements hospitaliers sur la cybersécurité.

Lors de chacun de nos contrôles, nous examinons les aspects liés à la sécurité, sujet indissociable de la protection des données. La moitié des sanctions que nous prononçons concernent des manquements à la cybersécurité. J’ai envoyé récemment des dizaines de mises en demeure à des administrations et à de grandes entreprises publiques au sujet de protocoles de sécurité chiffrés (https). Nous sommes fortement intégrés à l’environnement cyber : à titre d’exemple, nous participons à cybermalveillance.gouv.fr.

Quant à l’utilisation politique de l’intelligence artificielle, le jour où l’on aura la garantie, par un marquage par exemple, de savoir que l’intelligence artificielle est à l’origine de tel ou tel contenu, on aura accompli un grand pas en avant.

Monsieur Saulignac, nous contrôlons actuellement la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ainsi que plusieurs caisses d’allocations familiales (CAF). Notre examen porte sur des algorithmes beaucoup plus récents que ceux qui sont mentionnés dans la presse ; j’espère qu’ils ne poseront pas les mêmes problèmes que ceux qui ont été relayés. Le contrôle étant en cours, je ne peux pas en dire plus. Concernant l’aspect des discriminations, nous nous sommes rapprochés de la Défenseure des droits, pour prolonger l’action avec elle. D’une manière générale, il convient de concilier la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale et la protection des données. C’était l’un de nos thèmes prioritaires de contrôle en 2023, et nous avons contrôlé non seulement la Cnaf et plusieurs CAF, mais aussi la Caisse nationale de l’assurance maladie et la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Nous examinons avec attention l’utilisation des algorithmes.

Madame Regol, les tribunaux administratifs ont rendu plusieurs décisions, récemment, sur l’utilisation de caméras algorithmiques par les collectivités locales. La plupart d’entre eux n’ont pas constaté d’utilisation de la reconnaissance faciale. Le droit en vigueur ne permet pas aux collectivités locales d’utiliser des caméras faisant appel à des algorithmes fonctionnant en temps réel, à l’exception de dispositifs tels que les caméras Lapi ou de l’emploi d’algorithmes à des fins statistiques. Certaines des communes dont le traitement a fait l’objet de recours devant le juge administratif utilisaient aussi les algorithmes à des fins statistiques, ce qui est autorisé, par exemple pour réguler les flux de circulation, faire de l’optimisation énergétique ou contrôler les zones à faible émission ou les voies réservées. La Cnil s’intéressera, dans les mois qui viennent, aux algorithmes utilisés par des caméras et à leur utilisation différée, dont l’objet est de retrouver des caractéristiques de telle ou telle personne ou d’un comportement donné.

Monsieur Rambaud, la Cnil se penche sur le traitement des données par l’intelligence artificielle depuis de nombreuses années. Un rapport du Conseil d’État de 2022, ainsi que l’avis rendu par l’ensemble des autorités européennes de protection des données à la même époque et d’autres travaux ont conclu au fait que ces autorités pourraient légitimement jouer un rôle en la matière, compte tenu de la proximité entre la question des données personnelles et celle de l’intelligence artificielle. Le règlement sur l’intelligence artificielle (RIA) est complémentaire du RGPD, il ne s’y substitute pas. En tout état de cause, la Cnil aura un rôle majeur à jouer en matière de régulation des systèmes d’intelligence artificielle. Comme nous sommes accoutumés à travailler de manière transversale et à interagir avec un grand nombre de régulateurs et d’écosystèmes, et compte tenu des compétences dont nous disposons, c’est une possibilité qui devra être examinée de près par les pouvoirs publics.

Parallèlement à la coordination nationale de l’intelligence artificielle, touchant à ce qui s’appelle dans le RIA single point of contact, il faut aussi assurer la régulation sectorielle de marché. On peut penser que les autorités de protection des données recevront des prérogatives notamment quant à la surveillance des algorithmes utilisés pour des fonctions régaliennes de surveillance et de contrôle de l’immigration, ou dans le domaine de la justice. Aux Pays-Bas vient d’être créé, au sein de l’autorité de protection des données néerlandaise, un département de surveillance et de coordination des algorithmes quelque peu séparé du reste de l’institution, ce qui pourrait nous inspirer.

S’agissant, monsieur Paris, du traitement des antécédents judiciaires, nous le contrôlons aujourd’hui comme par le passé. Il pose en effet des difficultés importantes en termes de protection de la vie privée, puisqu’il est question d’examiner la photographie d’une personne afin de l’identifier dans un fichier. Ce contrôle est donc très régulier, comme l’est celui du fichier Accred (Automatisation de la consultation centralisée de renseignements et de données), qui permet de cribler, suivant l’expression en usage, les bénévoles et autres personnes ayant un rôle à jouer dans l’organisation et le déroulement des Jeux olympiques, afin de s’assurer que leur passé ne soit pas incompatible avec leurs fonctions.

Enfin, madame Lorho, toujours au sujet des Jeux olympiques, vous attiriez mon attention sur les QR codes. Ce terme, pour beaucoup d’entre nous, est porteur de connotations négatives, du fait de la crise sanitaire que nous avons connue. Il s’agirait ici plutôt de codes semblables à ceux que l’on présenterait pour assister à un spectacle.

J’ai rencontré le préfet de police de Paris début décembre, après qu’il a décrit l’alternative qui se présente à nous : soit fermer des quartiers entiers, soit en autoriser par dérogation l’entrée, après connexion à une plateforme numérique délivrant un QR code aux individus concernés. La Cnil, toujours sensible à l’inclusion, soutient qu’il doit également être possible d’obtenir une telle dérogation sans passer par la voie numérique. Nous participerons naturellement, dès mars ou avril, à des discussions avancées avec le sous-traitant choisi pour déployer cette plateforme numérique.

Nous serons également sollicités – le préfet de police me l’a assuré – pour rendre un avis sur le texte qui actualisera l’arrêté en vigueur, datant de 2011 et ayant déjà été mis à jour en 2019 au moment du G7 de Biarritz, qui prévoit les contrôles de sécurité applicables aux résidents de certaines zones.

Nous nous assurerons, tant dans la rédaction de cet avis que dans nos échanges avec le sous-traitant et avec la préfecture de police de Paris, que les principes de sécurisation et de minimisation des données recueillies seront bien respectés. Nous examinerons leurs sources et leur nature, la durée et la raison de leur conservation, ainsi que les conditions à réunir pour y accéder. Nous nous assurerons, en somme, du respect de l’ensemble des principes protégeant la vie privée, tout en cherchant à concilier ce respect avec la préservation de la sécurité des Français.

M. le président Sacha Houlié. Nous vous libérons, madame, et vous remercions pour la complétude de vos réponses.

La réunion est suspendue de dix heures trente-cinq à onze heures.

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*     *

Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l’article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination.

Les résultats du scrutin ont été annoncés, simultanément à ceux de la commission des Lois du Sénat, le mercredi 17 janvier 2024 à 12 heures 35 :

Nombre de votants : 44

Bulletins blancs ou nuls : 7

Suffrages exprimés : 37

Avis favorables : 30

Avis défavorables : 7

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Puis, la Commission examine le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (n° 1983) (M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur).

M. le président Sacha Houlié. Nous reprenons nos débats sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). La discussion menée hier avec le garde des sceaux valait discussion générale. Nous passons à la discussion des amendements.

Article unique

Amendements de suppression CL1 de Mme Emmanuelle Ménard, CL26 de M. Xavier Breton et CL72 de M. Patrick Hetzel

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Il ne s’agit pas pour nous ce matin de nous prononcer pour ou contre l’IVG mais bien pour ou contre son inscription dans la Constitution. Or la constitutionnalisation du droit à l’IVG est inutile. Nous disposons déjà d’une législation libérale, qui n’est pas contestée. En 2022, quelque 234 000 avortements ont eu lieu, en augmentation de plus de 7 % par rapport à l’année précédente.

Il n’existe aucun risque de régression législative : quelle famille politique promouvrait aujourd’hui ou demain une telle mesure ? Prendre prétexte de la décision de la Cour suprême des États-Unis, pays dans lequel les mouvements « pro-vie » constituent une force politique considérable, c’est tout simplement tromper les Français.

Il n’existe pas davantage de risque de revirement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Depuis la loi Veil du 17 janvier 1975, il a accepté toutes les évolutions, toujours plus permissives, de la législation sur l’IVG, considérant qu’il ne lui appartenait pas, dans un tel domaine, de substituer son appréciation à celle du législateur.

Inscrire l’IVG dans la Constitution serait donc inutile, mais aussi dangereux. En effet, toucher à la Constitution s’agissant d’une question de société comme celle de l’avortement revient à ouvrir la boîte de Pandore, et la voie à toutes les surenchères. Vous voudrez demain y inscrire l’euthanasie, le changement de sexe, la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui, bref y insérer un catalogue de tous les droits que vous estimerez devoir rendre inaliénables, à un moment ou à un autre.

Pourquoi prendre l’initiative d’un tel projet de loi ? Tout simplement parce que, en France, les responsables politiques parlent de réviser la Constitution chaque fois qu’ils entendent montrer l’importance qu’ils attachent à un sujet donné.

J’ai entendu hier, pendant l’audition du ministre, qu’il s’agissait d’une mesure symbolique. Je ne suis pas opposée à traiter des symboles en politique mais en l’occurrence, il s’agit surtout de mettre la poussière sous le tapis. Au lieu de vous interroger sur les causes du recours massif à l’IVG et sur les moyens d’aider les femmes concernées, vous voulez inscrire dans le marbre constitutionnel ce que Simone Veil considérait clairement comme une situation de détresse.

M. Xavier Breton (LR). Comme tous les sujets d’ordre éthique, la question de l’avortement nous met face à la nécessité de concilier deux principes : la liberté des femmes, d’une part, et la protection de la vie à naître de l’autre. Si nous ne parvenons pas à cette conciliation, nous devrons affronter les contradictions qui en résultent.

L’équilibre actuel a été trouvé douloureusement, dans le cadre de la loi Veil et de celles qui l’ont suivie. Est-il modifié par le projet ? Soit il ne l’est pas, et il faut alors expliquer à quoi sert la modification proposée ; soit il l’est, et il faut nous indiquer jusqu’où ira le déséquilibre résultant de la seule prise en considération de la liberté des femmes, à l’exclusion de la protection de la vie à naître, et quel sera son effet.

J’ai écouté hier les orateurs des différents groupes et j’ai bien entendu que certains ne font aucune référence à la protection de la vie à naître. Le garde des sceaux, quant à lui, a parlé de « protection de l’enfant à naître » ainsi que de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine », qui sont des éléments importants. Notre discussion devra faire apparaître clairement la nécessité de concilier les deux principes plutôt que de n’en affirmer qu’un seul, après quoi il faudra nous demander si le texte va, oui ou non, modifier l’équilibre existant.

M. Patrick Hetzel (LR). La constitutionnalisation envisagée pourrait entraîner un risque juridique nouveau, plus important que les avantages susceptibles d’en être retirés.

Nous avons importé un débat né aux États-Unis. Or le contexte français est très différent. Aucun parti représenté aujourd’hui au Parlement ne fait figurer dans son programme la suppression du droit à l’IVG.

Le texte qui nous est proposé susciterait une asymétrie juridique, au contraire de la loi Veil, qui constitue une loi d’équilibre. Monsieur Breton a évoqué la protection de la vie à naître, qui est un élément constitutif de cet équilibre ; il faut aussi mentionner la clause de conscience des professionnels de santé. Constitutionnaliser une partie de la loi Veil mais non son intégralité créerait ainsi des problèmes juridiques qui, jusqu’à présent, n’existaient pas.

Les amendements que nous défendons ont pour objet de faire apparaître ces éléments juridiques.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Je ne vous surprendrai pas : mon avis sera défavorable.

L’ensemble des amendements déposés, monsieur Hetzel, nous permettront d’apporter des éléments de réponse, à la fois en droit et en opportunité.

La portée de ce texte n’est pas seulement symbolique, madame Ménard, car il permettra la reconnaissance d’une liberté fondamentale tandis que le Conseil constitutionnel se limite aujourd’hui à considérer l’IVG comme conforme à la Constitution. Nous allons ainsi lui conférer la protection juridique suprême.

Nous le faisons parce que, depuis dix ou quinze ans, le droit à l’IVG subit des attaques auparavant inimaginables, qui se multiplient dans le monde entier. Bien sûr, l’arrêt Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization, aux États-Unis, a fait fonction d’électrochoc mais, partout ailleurs, les droits des femmes sont également attaqués par l’intermédiaire du droit à l’avortement.

Ainsi le Honduras a-t-il récemment inscrit dans sa Constitution l’interdiction totale de l’avortement. D’autres assauts ont été menés en Pologne, en Hongrie, en Espagne, mais aussi en France, où des associations comme le Planning familial ont subi des dégradations de leurs locaux et où une partie du personnel soignant ne respecte pas la liberté des femmes de choisir une méthode d’IVG. Ces professionnels ne font pas jouer leur clause de conscience, mais cherchent bien plutôt à faire souffrir ou se remettre en question les femmes qui ont recours à l’avortement.

Ces attaques existent également dans le débat public, non pas toujours pour interdire l’avortement, mais souvent pour en restreindre l’accès. Toutes les propositions relatives à la réduction du délai de recours à l’IVG, à son déremboursement, à la remise en place de délais de réflexion, à la remise en question du délit d’entrave à l’IVG, contribuent à menacer l’accès à l’avortement.

Face à la réalité des attaques contre l’IVG, nous proposons de reconnaître dans la Constitution cette liberté fondamentale, dont la protection est réelle mais insuffisante, dans la mesure où elle n’est pas reconnue par les juridictions européennes et pas suffisamment par notre Conseil constitutionnel.

J’insiste sur le fait que cette constitutionnalisation ne bouleverse pas le droit existant. Elle ne modifie pas le cadre législatif qui résulte des lois votées entre 1975 et 2022. Le Conseil d’État s’est montré très clair à cet égard.

Cette loi constitutionnelle est donc à la fois rien, puisqu’elle ne touche pas au cadre législatif, et tout, puisqu’elle permet la reconnaissance d’une liberté fondamentale particulièrement importante pour les droits des femmes et pour l’égalité et qu’elle envoie un message positif aux générations présentes et futures, dans notre pays comme à travers le monde.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Inscrire dans la Constitution le droit à l’IVG pour le garantir, c’est une bonne manière de commencer l’année.

Mme Ménard tout à l’heure se demandait quel parti pourrait bien menacer le droit à l’IVG. Mais elle-même regrettait, en 2017, que l’IVG soit aujourd’hui généralisé et banalisé ! Marine Le Pen, en 2012, voulait dérembourser ce qu’elle nommait les « IVG de confort » : il semble qu’elle ait depuis changé d’avis, mais rien n’empêche qu’elle en change encore en sens opposé. La constitutionnalisation du droit à l’IVG est une protection.

Je suis d’autant plus inquiet que, lorsque nous avons voté en première lecture la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, vingt-trois membres du groupe Rassemblement national et sept membres du groupe Les Républicains s’y sont opposés.

Il faut garantir le droit à l’IVG dans la Constitution parce que ce droit est menacé partout dans le monde, dès lors que les amis de Mme Le Pen ou de M. Zemmour conquièrent le pouvoir. C’est le cas en Hongrie ; c’est le cas en Pologne, où trois femmes sont mortes depuis 2021 pour avoir essuyé un refus de recours à l’IVG ; c’est le cas en Italie, où les amis de Mme Le Pen sont au pouvoir. Mme Meloni affirme ne pas vouloir toucher à l’IVG au niveau national mais celle-ci est mise en péril à l’échelon local par toutes les coalitions auxquelles participe son parti.

Il faut donc inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, parce que protéger ce droit, c’est protéger les femmes contre la rapacité de certains. Après les discours prononcés hier dans cette commission, je suis très inquiet de l’avenir du droit à l’avortement dans notre pays.

Mme Pascale Bordes (RN). Je rappelle que nous, législateurs, faisons la loi française, et qu’il est question ici de notre Constitution et non de celles de pays plus ou moins lointains et exotiques. La Constitution n’est pas un catalogue de droits, c’est notre norme supérieure.

Vous avez indiqué, monsieur le rapporteur, que le présent texte permettrait la reconnaissance d’une liberté fondamentale. Or la liberté fondamentale des femmes d’avoir recours à l’IVG n’est pas menacée en France, nous sommes tous d’accord sur ce point. En revanche, d’autres droits et libertés sont bel et bien en péril. C’est le cas par exemple de la liberté de ne pas se faire assassiner à 17 ans, comme le jeune Thomas à Crépol, ou de celle, pour les femmes, de disposer de leur corps et de ne pas se faire violer. Ces libertés sont très sérieusement menacées, au quotidien, en France et personne ne les défend – vous préférez défendre une liberté qui n’est pas attaquée.

Ne perdons pas de vue que la difficulté réelle à laquelle fait face notre pays ne concerne pas l’IVG, que le Rassemblement national n’entend pas remettre en cause, mais réside bien plutôt dans l’état de sinistre abyssal de notre système de santé, qui empêche bon nombre de femmes, notamment en milieu rural, d’avoir recours à l’IVG dans les délais requis et dans de bonnes conditions.

Je suis très étonnée du silence qu’entretiennent à ce sujet ceux qui se prétendent grands défenseurs du droit des femmes. Le vrai danger est là et non ailleurs.

Mme Véronique Riotton (RE). C’est aujourd’hui jour pour jour l’anniversaire de la loi Veil. Je rappelle que huit personnes sur dix, en France, sont favorables à la constitutionnalisation de l’IVG.

Faut-il qu’une liberté soit menacée pour enfin travailler à son extension et à sa protection ? Ne nous y trompons pas – nous venons à l’instant de les entendre : les voix d’extrême droite, les lobbies « antichoix », œuvrent chaque jour à la restriction de la liberté d’avorter, y compris sur les réseaux sociaux et à travers les frontières.

Plutôt que des États-Unis, parlons de l’Europe : aujourd’hui, beaucoup de nos voisines italiennes, polonaises, hongroises n’ont pas la possibilité d’avorter, quelquefois même en cas d’inceste ou de viol. Cette matinée fournira à ceux qui hésitaient encore des raisons de renforcer ce droit, cette liberté d’avoir recours à l’IVG, en construisant enfin autour d’elle des remparts constitutionnels infranchissables.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). En parlant de mesure symbolique, monsieur le rapporteur, je me suis bornée à reprendre les termes employés hier par le garde des sceaux.

Je me plais à rappeler que la loi Veil de 1975, dont c’est l’anniversaire aujourd’hui, énonce en son article 1er : « La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi. »

Cet article 1er institue un équilibre entre les droits de la mère et ceux de l’embryon en autorisant une dérogation au respect de tout être humain dès le commencement de la vie. En inscrivant l’IVG dans la Constitution, on supprimerait cet équilibre et l’on mettrait fin à la clause de liberté de conscience des personnels de santé. Comment s’opposeraient-ils en effet à une liberté constitutionnelle ?

Pour ceux qui l’auraient oublié, c’est sur vos bancs que l’autorisation de pratiquer une interruption médicale de grossesse jusqu’à la veille de l’accouchement pour cause de détresse psychosociale a fait l’objet d’un vote favorable, en août 2021, avant d’être retoquée.

Vous procédez toujours de la même façon, à l’envers et de façon irréversible. Plutôt que de vous attaquer aux causes des IVG, qui sont toujours plus nombreuses, plutôt que de placer dans tous les établissements scolaires des infirmières, qui peuvent jouer un rôle d’information et de conseil, vous préférez inscrire la liberté d’avorter dans la Constitution, sans vous soucier des conséquences d’un tel acte sur celles qui y ont recours. Pourquoi nous en soucier, puisqu’elles peuvent jouir de leur liberté ?

Y a-t-il urgence à constitutionnaliser l’IVG, ou plutôt à mener une véritable politique de prévention de l’avortement, notamment auprès des jeunes ? Lors de sa conférence de presse, hier, Emmanuel Macron parlait à l’envi de bon sens : voilà une occasion de le mettre en pratique !

Mme Émilie Bonnivard (LR). Je ne suis pas favorable à ces amendements de suppression car le contexte international peut à bon droit nous inquiéter. Il n’est nullement question de l’importer en France, mais on ne peut préjuger de l’avenir, par exemple de l’avis que le Conseil constitutionnel serait amené à rendre au sujet d’une loi qui restreindrait le droit à l’avortement.

La constitutionnalisation est donc pertinente, mais il est vrai qu’elle dévoie l’équilibre de la loi Veil puisqu’il manque à la rédaction proposée le pan relatif au respect de la dignité de l’enfant à naître et de la vie humaine.

Cela suscite des interrogations, qui rejoignent celles qu’a énoncées Mme Ménard. Un seul exemple : une femme qui se verrait refuser le recours à l’IVG par un professionnel de santé au motif qu’elle a dépassé le délai prévu par la loi pourrait saisir le Conseil constitutionnel, en arguant du fait qu’elle n’a pu exercer sa liberté constitutionnelle dans le temps imparti.

Inscrire dans la Constitution la liberté de recourir à l’IVG me semble néanmoins être une bonne manière de la préserver, même s’il faut garantir davantage le respect de l’équilibre auquel est parvenue la loi Veil.

M. Xavier Breton (LR). Monsieur le rapporteur, nous prenons acte de ce que ce projet de loi constitutionnelle, s’il devait être adopté, ne changerait rien au cadre législatif. Il modifierait néanmoins les conditions d’élaboration du cadre législatif futur – sans quoi il serait sans utilité. En effet, la liberté de la femme, et elle seule, se verrait conférer un poids plus important, sans qu’il soit tenu compte de l’équilibre à respecter avec la protection de la vie à naître. Votre proposition se résume à ce que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. » Vous ne vous préoccupez de rien d’autre. C’est votre choix, il faut l’assumer. De fait, vous mettez en place les conditions d’une rupture de l’équilibre atteint par la loi Veil.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je conçois que l’on se soucie de l’équilibre entre les différents droits. Néanmoins, le droit à naître n’est pas entaché par le droit à interrompre une grossesse non désirée. Je revendique quant à moi cette liberté pour les femmes, et cela ne me dérange pas que celle-ci soit attachée à leur corps.

Ayons à l’esprit qu’une femme qui ne désire pas un enfant ne le gardera pas, et faisons en sorte que le dispositif institutionnel soit au rendez-vous. Bien sûr, la contraception est préférable à l’IVG. Mais lorsque le cas se présente, cette femme doit trouver les moyens de le faire et pour cela, sans doute faut-il ériger au niveau constitutionnel cette liberté fondamentale. Cela obligera en effet le Gouvernement et le législateur à la rendre effective. Certains amendements dont nous allons débattre portent d’ailleurs sur le caractère effectif du droit à l’IVG. C’est un point sur lequel nous ne lâcherons pas.

Enfin, je ne suis pas d’accord avec les propos de nos collègues du Rassemblement national : la loi fondamentale est un écrin qui protège les droits fondamentaux. Si la liberté fondamentale d’avorter est menacée, mettant en péril la vie de certaines femmes, nous devons pouvoir l’inscrire dans la Constitution, sachant que la liberté essentielle de procréer n’est absolument pas remise en question.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Je suis opposée à ces amendements de suppression et je souligne que dans certaines circonstances, l’IVG n’est pas une liberté pour les femmes mais une obligation.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Aujourd’hui, le droit à l’avortement n’est pas reconnu comme une liberté ; il le sera grâce à ce projet de loi constitutionnelle. Le Conseil d’État considère lui-même que celui-ci ne bouleversera en aucun cas l’équilibre entre les différents droits et libertés reconnus par notre Constitution. Enfin, monsieur Breton, la protection de la vie à naître que vous évoquez ne figure pas dans notre bloc de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel, qui a eu à se prononcer à plusieurs reprises sur l’avortement, s’assure du respect de l’équilibre entre le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, d’une part, et la liberté de la femme telle qu’elle découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’autre part. Utilisons les termes reconnus par notre juge constitutionnel.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL96 de Mme Mathilde Panot, CL29 de Mme Mereana Reid Arbelot, CL48 de Mme Elsa Faucillon, CL98 de M. Jean-Félix Acquaviva ; amendements identiques CL10 de M. Xavier Breton, CL64 de M. Patrick Hetzel, CL80 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)

Mme Mathilde Panot (LFI-NUPES). Nous souhaiterions que soit inscrit dans la Constitution : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne en état de grossesse qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. » Le droit à la contraception est en effet le corollaire du droit à l’IVG. En Pologne, où personne ne pensait que cela pourrait arriver, c’est avec l’interdiction de vendre la pilule du lendemain sans ordonnance qu’a commencé la remise en cause du droit à l’avortement.

J’espère que c’est la rédaction à laquelle nous parviendrons plus tard, une fois que le compromis que nous sommes prêts à accepter pour l’instant aura été acquis. Les réactionnaires de tout poil défendront alors sans doute la formulation que nous nous apprêtons à adopter, comme ils le font maintenant pour la loi Veil ! L’histoire avance, les droits des femmes aussi.

J’ajoute, madame Bordes, que ce ne sont pas des pays exotiques qui remettent en cause le droit à l’avortement : ce sont l’Italie, la Pologne, la Hongrie. Même à Andorre – dont Emmanuel Macron est coprince ! – une militante sera jugée aujourd’hui pour avoir dénoncé l’interdiction de l’avortement.

Si nous n’inscrivons pas le droit à l’avortement dans la Constitution aujourd’hui, alors que cela recueille une large majorité d’opinions favorables parmi les Français et les partis politiques, nous ne le ferons jamais.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). L’amendement CL29 a le même objet que celui de Mme Panot. Notre groupe avait d’ailleurs soutenu la proposition de loi qu’elle avait défendue en 2022 reprenant la même formulation, qui nous semble complète et permettre un meilleur ancrage dans la Constitution. La mention de la contraception est importante car il apparaît que dans certains pays, c’est par la restriction du droit à la contraception que le droit à l’interruption de grossesse est attaqué.

Quant à l’amendement CL48, il propose d’utiliser au moins le terme « droit » plutôt que celui de « liberté ».

Notre souhait est de rendre l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution la plus solide possible, afin que ce droit soit réellement garanti. J’ajoute qu’il doit l’être pour toute personne « en état de grossesse ». À nos collègues qui tiennent absolument à ce que figure le mot « femme », je voudrais rappeler que lors des débats sur l’écriture inclusive, on nous a expliqué que la dénomination « hommes » n’excluait pas du tout les femmes. Dans ce cas, pourquoi ne pas aujourd’hui utiliser aussi un terme générique, comme « personne en état de grossesse » ? Faudrait-il inscrire « les hommes en état de grossesse » pour que ce droit s’applique à tous… ?

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). L’amendement CL98 reprend lui aussi la rédaction de la proposition de loi constitutionnelle adoptée par l’Assemblée nationale en novembre 2022, qui présente selon nous trois avantages. D’abord, introduire un article dédié renforce l’effectivité du droit, tandis qu’une inscription à l’article 34 de la Constitution n’exclut pas le risque que le législateur n’en restreigne l’exercice. Ensuite, nous privilégions la notion de droit à celle de liberté. Même si nous avons pris connaissance de l’avis du Conseil d’État, il nous semble que le choix de ce terme n’est pas anodin. Enfin, la notion d’égal accès est importante au regard des fractures entre nos territoires.

Nous adopterons néanmoins une attitude responsable : nous accepterons la première avancée qui nous est proposée.

M. Xavier Breton (LR). L’amendement CL10 est un amendement de repli, les amendements de suppression ayant été rejetés. Nous proposons une rédaction englobant la liberté de la femme et la protection de la vie à naître, autrement dit la sauvegarde de la dignité humaine : ce n’est pas la liberté qui doit être garantie constitutionnellement, mais l’interruption volontaire de grossesse elle-même. Une telle formulation permet de conserver l’équilibre existant, là où la rédaction actuelle du texte affirme le droit de la femme au détriment de la protection de la vie à naître.

M. Patrick Hetzel (LR). Si l’on constitutionnalise le droit à l’IVG, faisons-le en renvoyant vers la loi ordinaire pour lui donner un cadre juridique. Une formulation trop générique risque en effet de donner lieu à un débat juridique et de soulever des questions prioritaires de constitutionnalité : dès lors que l’IVG est un droit fondamental, les délais et clauses de conscience peuvent être remis en cause.

M. Philippe Gosselin (LR). Il faut effectivement sécuriser sur le plan juridique la constitutionnalisation du droit à l’IVG. L’inscription à l’article 34 n’est pas anodine : il est important que la capacité législative encadre et limite ce droit, afin que ne soit pas menacé l’équilibre avec l’autre principe à valeur constitutionnelle qu’est la protection de la vie.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Mme Panot a utilisé le terme de compromis ; c’est effectivement à un compromis avec nos collègues sénateurs que nous travaillons. Certains des amendements qui viennent d’être défendus proposent de revenir à la rédaction de la proposition de loi de Mme Panot, soit dans sa version initiale, soit dans celle qui avait été adoptée en commission et en séance publique. D’autres, pour reprendre les mots de M. Gosselin, soulèvent la question de la sécurisation de cette liberté.

Il me semble plus opportun et sécurisant de reconnaître cette liberté à l’article 34 de la Constitution que dans un nouvel article 66-2. Le titre VIII, au sein duquel il serait ajouté, porte en effet sur l’autorité judiciaire. Y inscrire le droit à l’avortement, ce serait le renvoyer à ce qu’il était initialement : non pas une liberté mais une dérogation dans le code pénal, autrement dit une tolérance. Dans son avis, le Conseil d’État lui-même exprime une préférence pour l’article 34.

J’en viens aux points soulevés par Mme Faucillon. Je voudrais d’abord souligner que le point de crispation majeur, s’agissant de la rédaction actuelle, concerne le maintien ou la suppression du terme « garantie ». Par ailleurs, le choix entre les termes « liberté » et « droit » ne me semble plus faire débat, dans la mesure où ils ont la même acception, comme le souligne le Conseil d’État. Enfin, je suis en désaccord s’agissant de l’emploi du mot « personne » au lieu du mot « femme » qui s’entend bien, selon moi, de façon inclusive. C’est d’ailleurs ce qu’affirme le Conseil d’État dans son avis : la liberté de recourir à l’avortement concerne « toute personne qui aurait débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil, l’âge, la nationalité et la situation au regard du séjour en France ».

Je vous invite donc à retirer l’ensemble de vos amendements. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Erwan Balanant (Dem). L’amendement CL48 défendu par Mme Faucillon est similaire à un amendement que j’avais moi-même défendu lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Panot. Je pense néanmoins, compte tenu du travail que nous avons réalisé et des différents échanges que nous avons eus depuis, que l’inscription du droit à l’avortement dans un nouvel article 66-2 aurait été une erreur. Son inscription à l’article 34, dans la formulation actuelle, permet d’atteindre un équilibre. Je ne suis pas d’accord, à cet égard, avec les propos tenus par Patrick Hetzel : la rédaction retenue place simplement un cliquet, empêchant tout retour en arrière. Il me semble que, parmi ceux qui affirment que le présent texte ne servirait à rien, certains ne sont pas encore convaincus, en réalité, de la nécessité de défendre et de garantir la liberté de recourir à l’IVG. Quoi qu’il en soit je voterai contre l’amendement de Mme Faucillon, considérant que nous sommes parvenus à une rédaction équilibrée et protectrice.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Je voudrais d’abord féliciter Mathilde Panot et Elsa Faucillon pour leur engagement sur ces questions. Je comprends leur souhait que nous débattions de la rédaction qui avait été votée par l’Assemblée nationale en novembre 2022. Néanmoins, le choix de l’article 34 me semble pertinent. Après les discussions qui se sont tenues tant à l’Assemblée qu’au Sénat, il est temps d’aboutir à une rédaction de compromis.

Sur l’utilisation du mot « femme » plutôt que « personne », l’avis du Conseil d’État est assez éclairant : il précise bien que la liberté de recourir à l’IVG pourra être acquise à toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil, l’âge, la nationalité et la situation au regard du séjour en France. Il n’existe donc aucun obstacle à ce que le terme « femme » fasse l’objet d’une acception inclusive.

Je voudrais dire enfin à notre collègue Xavier Breton que l’avis du Conseil d’État réaffirme clairement que la conciliation des différentes libertés est le rôle du juge constitutionnel. Il précise que « l’inscription de la liberté de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, dans les termes que propose le Gouvernement, ne remet pas en cause les autres droits et libertés que la Constitution garantit, tels que notamment la liberté de conscience qui sous-tend la liberté des médecins et sages-femmes de ne pas pratiquer une interruption volontaire de grossesse ». Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance votera contre ces amendements.

Mme Pascale Bordes (RN). Les amendements qui défendent l’utilisation du terme de « droit » à l’IVG renvoient invariablement à l’inconditionnalité de ce droit et à une obligation de résultat qui pèserait sur les services de l’État. Il ne faut surtout pas ouvrir cette boîte de Pandore, sans quoi tout devient possible : il y a quelques mois, certains de nos collègues ne se montraient pas choqués à l’idée qu’une IVG puisse être réalisée quasiment au terme de la grossesse. L’utilisation du mot « droit » ouvre aussi la voie à ce que l’avortement puisse être demandé non pas seulement par la femme mais aussi par son compagnon par exemple. Pour ces raisons, nous voterons contre ces amendements.

M. Paul Molac (LIOT). L’expression « dans les conditions fixées par la loi », défendue par nos collègues du groupe Les Républicains, risque d’affaiblir considérablement le droit à l’IVG. Il n’est pas exclu en effet qu’à l’avenir, la loi ordinaire encadre ce droit jusqu’à le rendre inapplicable. C’est ainsi par exemple que les collectivités locales, censées s’administrer librement dans les conditions prévues par la loi selon l’article 34 de la Constitution, ne disposent en réalité d’aucune autonomie fiscale ou administrative.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). À entendre certains discours, j’ai l’impression que ce n’est pas la constitutionnalisation de l’IVG qui est attaquée, mais l’IVG en elle-même. Les amendements qui proposent de rouvrir le débat sur la formulation qu’avait proposée Mme Panot en novembre 2022 sont importants pour bien fixer la position de chacun.

Ce qui nous est proposé aujourd’hui, c’est une rédaction d’équilibre. Or un équilibre ne vaut que s’il est respecté des deux côtés : il ne faudrait pas que le texte issu de nos travaux soit ensuite affaibli par le Sénat. Si un compromis est trouvé, il devra faire l’objet d’un accord. Rappelons l’objectif de départ : il s’agit de garantir à toute personne le droit à l’IVG et à la contraception, et de faire en sorte qu’il ne puisse jamais y avoir de régression. En refusant un compromis, nos collègues de droite adoptent une attitude irresponsable, en contradiction avec les propos qu’ils ont tenus publiquement sur la constitutionnalisation de l’IVG.

M. Xavier Breton (LR). À quoi renvoie exactement le mot « femme » qui figure au deuxième alinéa de l’article unique du projet de loi ? On peut imaginer une définition juridique, ou affective, ou littéraire… Alors que certains veulent remettre en cause la distinction entre les sexes, il faut dire clairement que ce terme renvoie à l’état civil, lequel fournit la seule définition qui existe dans notre droit.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Ce débat est très intéressant. Nous-mêmes socialistes avons déposé en octobre 2022 une proposition de loi sénatoriale rejoignant la rédaction proposée par Mmes Panot et Faucillon. Le texte qui nous est soumis n’est pas totalement satisfaisant : nous aurions aimé que le droit soit plus clairement réaffirmé, qu’il intègre la contraception et, point essentiel, qu’il figure à l’article premier de la Constitution. Nous nous sommes cependant résolus à ne pas déposer d’amendements car nous sommes soucieux de trouver un compromis, considérant que le vote du texte doit absolument aboutir : des millions des femmes l’attendent, en France mais aussi à l’étranger.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Dans leur grande majorité, les députés et les sénateurs du groupe Les Républicains soutiennent le compromis proposé. Il ne me semble donc pas utile de soulever des problèmes là où il n’y en a pas. Il est vrai, en revanche, que nous disposons au sein de notre groupe de la liberté de vote.

J’ajoute que nos débats ont une valeur interprétative et seront lus en cas de contentieux. Il faut donc que nous puissions poser toutes les questions nécessaires, s’agissant d’un sujet aussi fondamental que la modification de notre Constitution. Le respect de l’équilibre trouvé par la loi Veil est important. Jusqu’à quatorze semaines de grossesse, le droit de la femme l’emporte ; au-delà, notre responsabilité collective est de faire en sorte que soient respectés l’enfant à naître et la dignité humaine. Ces débats ne peuvent pas être éludés.

Les amendements CL96 et CL98 sont retirés.

La commission rejette successivement les autres amendements.

Amendements identiques CL3 de M. Xavier Breton, CL57 de M. Patrick Hetzel et CL73 de M. Philippe Gosselin

M. Thibault Bazin (LR). Le terme de « garantie » que vous utilisez engendre certaines incertitudes. Cette garantie serait-elle relative ou absolue ? Cette formulation pourrait remettre en cause l’équilibre trouvé par la loi Veil, qui a prévu un encadrement éthique de cette liberté. De fait, toute liberté a ses conditions et ses limites.

Il semble donc judicieux de compléter l’alinéa 2 en prévoyant également des limites. C’est, en effet, en réglementant au quotidien l’usage des libertés que la loi peut garantir à tous le même usage des mêmes droits, et c’est précisément ce qui caractérise l’État de droit.

En l’espèce, il faut déterminer par la loi une limite temporelle et une limite liée au respect de la clause de conscience, notamment des médecins. Il faut aussi maintenir une distinction entre l’interruption volontaire et l’interruption thérapeutique de grossesse.

M. Patrick Hetzel (LR). Il faut en effet déterminer une limite temporelle, comme cela a été rappelé plusieurs fois, ainsi qu’une limite liée au respect de la clause de conscience des médecins. Il faut également maintenir la distinction entre l’interruption volontaire et l’interruption thérapeutique. Or, avec la rédaction qui nous est proposée, ces questions semblent se trouver dans un angle mort.

M. Philippe Gosselin (LR). Mêmes arguments pour l’amendement CL73. La rédaction doit être aussi complète que possible, et l’expression d’« angle mort » que vient d’employer M. Hetzel me semble très juste.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. La rédaction proposée par ces amendements apporterait plus d’ambiguïtés que de réponses. Elle pourrait amener à penser que le législateur pourrait – voire devrait – introduire demain des régressions, voire des restrictions au droit à l’avortement tel qu’il est défini par notre dispositif législatif.

Votre demande – que le législateur soit compétent pour fixer les conditions de l’exercice de cette liberté – est satisfaite par la rédaction du projet de loi. C’est du reste ce que rappelle clairement le point 12 de l’avis du Conseil d’État, selon lequel « cette rédaction, comme le souhaite le Gouvernement, laisse au législateur la possibilité de faire évoluer le cadre juridique dans lequel s’exerce cette liberté, en en fixant les garanties et les limites […], sous le contrôle du Conseil constitutionnel. »

Par ailleurs, comme cela a été dit à plusieurs reprises, cette rédaction ne remet aucunement en question la liberté de conscience ni la clause de conscience, car elle ne change rien aux autres libertés reconnues par notre Constitution ou par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ni au dispositif législatif actuel.

Je demande donc le retrait de ces amendements. À défaut, avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Pourquoi donc vouloir ajouter ce mot de « limites » ? Pourquoi inscrire dans la Constitution ce que la loi fait déjà ? L’inscription dans la Constitution du droit à l’IVG est une manière de garantir la liberté d’accès à celle-ci. Y inscrire aussi le mot « limites » alors que la loi les prévoit déjà, puisqu’elle définit le cadre qui s’applique, ne garantit plus du tout le droit à l’IVG et ouvre plutôt la porte à sa remise en cause par la loi. Nous nous opposerons donc à ces amendements.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Le terme de « conditions » qui figure dans le texte satisfait pleinement ces amendements. Par ailleurs, comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, le rôle du juge constitutionnel sera de concilier les différentes libertés. Il a, du reste, expressément indiqué qu’il n’y avait aucune difficulté pour concilier la liberté de recourir à l’IVG avec la liberté de conscience.

En outre, étant donné qu’aucune de nos libertés, même la liberté d’expression, n’est sans limites, à l’exception peut-être de la liberté de conscience, quel intérêt y aurait-il à écrire qu’il existe une limite à la liberté de recourir à l’IVG – et à elle seule ?

Mme Émilie Bonnivard (LR). Permettez-moi une question très concrète. Prenons l’exemple d’une femme qui, à douze semaines de grossesse, décide d’avorter. Elle se rend chez un médecin qui, invoquant la clause de conscience, refuse de procéder à l’IVG et l’oriente vers un autre médecin. Intervient alors un principe de réalité : il est possible que cette femme n’ait pas effectivement accès à l’IVG dans le délai légal de quatorze semaines. Peut-elle alors invoquer le fait que la liberté qui est censée lui être garantie par la Constitution n’a pas été effective et attaquer la décision de ne pas procéder à l’avortement ? Quelle sera la position du juge, si c’est une disposition légale qui l’a privée de ce droit ? Je crains la jurisprudence qui pourrait être ainsi engendrée.

M. Xavier Breton (LR). La notion de « conditions » peut assurément intégrer celle de « limites », mais l’intervention de notre collègue Léaument montre qu’il s’agit de tout autre chose : selon lui, il ne devrait y avoir aucune limite à une liberté absolue, totale, de la femme. Or, comme l’a rappelé le garde des sceaux, ce droit de la femme n’est pas absolu : il doit être concilié avec celui de la protection de la vie à naître. Comme toute liberté, celle-ci aussi est limitée et il importe de bien préciser que la notion de conditions englobe aussi celle de limites.

M. Patrick Hetzel (LR). N’oublions pas le principe de la hiérarchie des normes, qui prévaut dans notre droit : alors que l’IVG sera inscrite dans la loi fondamentale, la clause de conscience, quant à elle, relèvera de la loi ordinaire. N’y a-t-il pas là un risque en cas de contentieux, dans le cadre par exemple d’une question prioritaire de constitutionnalité ? C’est la raison pour laquelle nous voulons associer les termes de conditions et de limites.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Je souscris au sens et à l’esprit de ces amendements, mais la rédaction qu’ils proposent ne permettra pas d’atteindre l’objectif, car la loi évolue. Pourtant, il faut bien fixer des limites dans le temps car, à défaut, il pourrait devenir possible d’avorter jusqu’à neuf mois de grossesse et je ne suis pas certaine que cela soit le souhait de la plupart des gens. En outre, faute d’inscrire des limites et de rappeler la clause de conscience, certains médecins se trouveront obligés de pratiquer l’avortement.

Quoi qu’il en soit, je m’abstiendrai sur ces amendements en raison de leur rédaction. Renvoyer à la loi ne garantit en rien les autres libertés que vous voulez garantir : la liberté de conscience et la liberté du droit à naître. Une rédaction plus précise s’impose.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Ces amendements sont un exemple typique de mauvaise foi. Les libertés sont toujours limitées. La Constitution énonce des libertés, des garanties et des droits dont les limites sont les autres libertés, les autres garanties et les autres droits. Vous voudriez qu’une liberté soit limitée alors que les autres ne le sont pas ? On voit bien là votre intention de ne pas constitutionnaliser l’IVG. Ne recourez pas à des arguties qui n’ont aucune place dans ce débat, relisez plutôt la Constitution : une liberté est une liberté, et elle a pour limites les autres libertés.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Madame Bonnivard a mis très justement en avant un argument avancé hier par le garde des sceaux. Le projet de loi ne crée pas un droit opposable. Il ne change pas le cadre législatif existant, qui n’en prévoit pas. Dans le cas d’espèce qui a été évoqué, la personne concernée pourrait se retourner, le cas échéant, contre le professionnel de santé pour défaut d’information et de conseil. En effet, un professionnel invoquant sa liberté de conscience doit apporter conseil et information afin de permettre à la patiente de trouver un autre professionnel pour pratiquer l’avortement.

Par ailleurs, M. Breton a raison de souligner qu’aucune liberté n’est absolue.

Enfin, monsieur Hetzel, la clause de conscience est déjà protégée, puisqu’elle s’appuie sur une liberté reconnue par la Constitution : la liberté de conscience. Ce n’est pas le cas pour le droit à l’avortement, que nous élevons donc au niveau constitutionnel.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL99 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL31 et CL30 de Mme Mereana Reid Arbelot et CL97 de Mme Mathilde Panot (discussion commune)

M. Paul Molac (LIOT). L’amendement CL99 vise à inscrire dans notre Constitution un « droit » à l’interruption volontaire de grossesse, plutôt qu’une « liberté garantie à la femme », selon la formule choisie par le Gouvernement.

Le Conseil d’État, dans son avis sur le texte, rappelle qu’il n’y a pas de différence juridique en la matière entre droit et liberté. Toutefois, lorsqu’on modifie la Constitution, le choix des mots a son importance. Un droit est une garantie réelle offerte à une personne, à la différence d’une liberté, qui renvoie à l’idée d’une faculté. Le Conseil constitutionnel a, du reste, lui-même utilisé ce terme en évoquant le « droit de recourir à une interruption volontaire de grossesse » dans sa décision du 16 mars 2017 sur la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Les amendements CL31 et CL30 tendent à remplacer le terme de « femme » par « personne en état de grossesse ». Je me satisfais de votre réponse de tout à l’heure, monsieur le rapporteur, selon laquelle aucun des mots « homme » ou « femme » n’exclut personne. Je dois même dire que j’aime bien votre monde ! Mais admettez que lorsqu’on écrit « les femmes naissent libres et égales en droits », tout le monde n’en conclut pas encore que cela concerne aussi tous les hommes. Ce monde est aujourd’hui en germe, il pousse dans toute la société, mais de nombreuses résistances et réactions s’opposent à son éclosion. Il nous semble donc important d’inscrire à cet endroit du texte qu’il s’applique à toute personne en état de grossesse.

Tous ceux qui se sont opposés à cette modification ne sont pas des réactionnaires, même si c’est le cas pour une bonne part d’entre eux : certains craignent que la disparition du mot « femme » laisse penser que des pressions pourraient s’exercer de la part de tiers sur les choix en matière d’IVG. Mais la formulation actuelle écarte cette hypothèse. Je me demande donc si la volonté de compromis qui est à l’œuvre sur ce texte ne repose pas sur un manque de transparence : ne serait-il pas préférable d’aller au bout de la démarche et d’écrire que la garantie s’applique à « toute personne en état de grossesse », plutôt qu’aux seules femmes ?

Mme Mathilde Panot (LFI-NUPES). L’amendement CL97 prendra tout son sens lors de l’examen du texte en séance publique, où il importera de rappeler l’avis du Conseil d’État selon lequel la liberté – ou le droit – que nous inscririons dans la Constitution s’appliquerait à « toute personne ayant débuté une grossesse ». Nous proposons donc de remplacer « à la femme » par « aux personnes », mais il s’agit surtout de faire entendre dans l’hémicycle une parole forte de la part du rapporteur et du ministre. Pour l’instant, je retire donc l’amendement.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Ces amendements portent sur des notions majeures. Pour ce qui est de remplacer « liberté » par « droit », comme je l’ai déjà dit, l’acception est la même. Du reste, l’article 34 renvoie souvent à des libertés : libre administration des collectivités territoriales, liberté des médias, exercice des libertés publiques…

Ensuite, le mot « garantie », évoqué lors de toutes les auditions auxquelles nous avons procédé, est un élément majeur pour créer ce bouclier protecteur non régressif que nous voulons. Il n’y a donc pas lieu de le retirer.

Pour ce qui est, enfin, du mot « femme », je pense, madame Faucillon, que nous partageons un combat pour le même monde. Mais, comme pour le mot « garantie », retirer le mot « femme » ne pourrait-il pas être considéré comme une volonté de les invisibiliser, ou de laisser penser que ce mot renvoie encore à une conception exclusive ? Je pense qu’il faut conserver ce terme qui fait entrer dans notre Constitution le corps des femmes. Il s’agirait ainsi d’actualiser notre contrat social sans retirer pour autant le moindre droit à toute personne qui entamerait une grossesse et souhaiterait recourir à l’IVG.

L’amendement de Mme la présidente Panot sera effectivement important en séance, où il permettra d’entendre, plus encore que ma propre réponse, celle du Gouvernement, qui s’appuiera sur l’avis du Conseil d’État, très clair à cet égard.

Je demande donc le retrait de ces amendements, ou l’avis sera défavorable.

Mme Véronique Riotton (RE). Monsieur le rapporteur, vous avez répondu en droit, en citant notamment l’avis du Conseil d’État. Mais l’on peut simplement affirmer sans hésiter que l’avortement s’adresse aux femmes, et que le droit que nous cherchons à rendre constitutionnel pour elles s’appliquera donc à toutes les personnes concernées.

M. Xavier Breton (LR). Il ne faut pas tourner autour du pot : le mot « femme » qui figure dans le texte renvoie-t-il, oui ou non, à la seule définition juridique qui en existe à ce jour dans notre droit, à savoir la distinction de sexe à l’état civil ? Il me semble dans votre esprit que non, mais alors donnez-nous la nouvelle définition ! Ici, nous faisons du droit et les mots que nous inscrirons dans la Constitution sont importants. Il n’y a pas de place pour le flou ou l’à-peu-près. Une femme, c’est une femme ! Si c’est le mot que vous choisissez, il répond à la seule définition connue en droit.

M. Erwan Balanant (Dem). Monsieur Breton, au risque de vous heurter, je rappelle qu’il arrive que des femmes, nées femmes, décident un jour de devenir des hommes pour l’état civil, ce qui est aujourd’hui possible. Ainsi, dans le Finistère, une femme devenue homme s’est trouvée enceinte. Un homme enceint ! Aussi bizarre que cela puisse vous paraître, c’est une réalité : cette femme biologique enceinte était un homme pour l’état civil.

Ne tournons pas autour du pot : nous parlons bien de la femme biologique. Il est physiologiquement impossible à un homme devenu femme d’être enceinte. Arrêtez donc de vous faire des nœuds au cerveau pour rien !

Lors de l’examen de l’ancienne proposition de loi, nous avions adopté une rédaction plus large, moins discriminante et peut-être plus solide sur ce point. Mais puisque nous sommes dans la perspective d’un compromis, avançons !

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Monsieur Breton, vous semblez plus attaché à la définition du mot « femme » qu’à celle du mot « homme », mais je rappelle que, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce dernier terme désigne toute personne. Il en est de même ici pour le mot « femme ». L’avis du Conseil d’État est très clair à ce propos, en son point 15 : « Il résulte de l’objet même de cette liberté et conformément à l’intention du Gouvernement qu’elle doit être entendue comme bénéficiant à toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil, l’âge, la nationalité et la situation au regard du séjour en France. » Le Conseil d’État reconnaît que la rédaction proposée est claire et sans ambiguïté, et donc protectrice.

L’amendement CL97 est retiré.

La commission rejette successivement les autres amendements.

Amendement CL28 de M. Fabien Di Filippo, amendements identiques CL11 de M. Xavier Breton, CL65 de M. Patrick Hetzel et CL81 de M. Philippe Gosselin, et amendements identiques CL9 de M. Xavier Breton, CL79 de M. Philippe Gosselin et CL63 de M. Patrick Hetzel (discussion commune)

M. Fabien Di Filippo (LR). L’amendement CL28 tend à compléter le texte en mentionnant la « liberté de consentement de la femme à l’acte de mettre fin à sa grossesse. » En effet, si la femme doit recevoir une information parfaite sur les possibilités de recourir à l’IVG dans toutes les situations, elle doit aussi recevoir une information parfaite sur les possibilités de mener à terme cette grossesse et d’être accompagnée tout du long, afin de pouvoir prendre une décision libre et éclairée, hors de toute pression familiale ou du stress ou de la détresse que peut parfois provoquer une nouvelle à laquelle elle ne s’attendait pas.

M. Xavier Breton (LR). L’amendement CL11 vise à susciter des échanges sur la notion de liberté et de consentement de la femme – liberté tant d’avorter que de ne pas avorter. En effet, si des pressions peuvent exister pour pousser les femmes à ne pas avorter, n’oublions pas, n’en déplaise à certains, qu’il arrive aussi qu’il s’en exerce – de la part du compagnon, de la belle-famille, etc. – pour les pousser à avorter alors qu’elles ne le souhaitent pas.

Nous avons le devoir, au niveau de la loi comme de la société, d’être aux côtés de ces femmes pour assurer la liberté de leur décision d’avorter ou de ne pas avorter. Il s’agit donc, avec cet amendement, de rappeler l’importance du respect de la liberté et du consentement de la femme en la matière.

M. Patrick Hetzel (LR). La question est effectivement bien de nous assurer du respect du libre consentement de la femme. Il ne faut pas être naïfs, nous savons que des pressions sont susceptibles de s’exercer. Si donc nous voulons donner des garanties, il faut le faire à 360 degrés et en tenant compte notamment de ces pressions.

M. Philippe Gosselin (LR). La pression existe bel et bien, et il importe d’assurer un consentement libre et éclairé.

M. Xavier Breton (LR). L’amendement CL9 est défendu.

Je saisis cette occasion pour revenir sur le débat à propos des mots « homme » et « femme ». M. Balanant a employé tout à l’heure la notion de « femme biologique ». Elle n’est pas employée par le Conseil d’État, qui se contente d’évoquer une situation, celle de « toute personne ayant débuté une grossesse », mais sans donner de définition juridique du mot « femme ».

Il conviendra donc de définir le mot « femme » car, si nous en restions à la seule acception qui existe actuellement dans notre droit, à savoir la distinction sexuelle enregistrée à l’état civil, les personnes ayant changé de sexe pour l’état civil seraient exclues de la garantie inscrite dans la Constitution.

M. Philippe Gosselin (LR). Un consentement libre et éclairé est nécessaire. Il convient d’éviter les pressions extérieures, dans un sens ou dans l’autre, or je ne suis pas sûr que ce soit garanti aujourd’hui. Quitte à constitutionnaliser, au moins profitons-en pour clarifier ce point.

M. Patrick Hetzel (LR). L’amendement CL63 propose une autre formulation sur le respect du principe de consentement.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. La notion de consentement est sous-jacente à l’exercice de toute liberté : à moins que vous ne fassiez pas confiance aux femmes, nul besoin de le préciser pour cette seule liberté-là. Le Conseil d’État considère d’ailleurs dans son avis sur ce projet de loi « que la rédaction proposée par le Gouvernement a pour effet de faire relever l’exercice de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse de la seule appréciation de la femme, sans autorisation d’un tiers, que ce soit le conjoint ou les titulaires de l’autorité parentale. » Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Pascale Bordes (RN). Je suis d’accord avec M. le rapporteur. J’ajoute que cette question relève du domaine de la loi et non de celui de la Constitution.

Mme Véronique Riotton (RE). Je suis extrêmement choquée. Certains veulent donc garantir la « liberté de consentement » de femmes qui « peuvent subir des pressions extérieures » ! Insinuent-ils que les femmes recourent à l’IVG par manque d’information, qu’elles ne sont pas capables de mesurer la gravité de cet acte, et encore moins de prendre une décision éclairée ? Quel mépris ! Ces amendements culpabilisent les femmes et procèdent d’une vision paternaliste et rétrograde, reprenant l’argument même qui était employé à l’époque par les adversaires du vote des femmes. Les seuls ici qui souhaitent forcer les femmes à faire un choix et qui ne respectent pas leurs décisions sont ceux qui s’opposent à la constitutionnalisation de l’IVG. C’est bien la preuve qu’elle est nécessaire.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). C’est hallucinant : le droit à l’IVG deviendrait le seul droit constitutionnel dont l’exercice serait soumis au respect du consentement de son titulaire. Cette infantilisation des femmes est réactionnaire et patriarcale.

M. Erwan Balanant (Dem). Monsieur Breton, les trois mots « interruption volontaire de grossesse » sont pourtant assez clairs ! Si l’interruption est volontaire, c’est que la personne y ayant recours est consentante. De la même façon, votre obsession à définir ce qu’est une femme est inutile puisque la grossesse est définie comme l’état d’une femme enceinte : la question est réglée, et l’état civil n’a rien à y voir. Arrêtez de vous faire des nœuds au cerveau, la formulation actuelle, validée par le Conseil d’État, est très claire. Ces débats sont plutôt révélateurs d’un certain nombre de réticences face au droit à l’IVG.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Je suis sidérée par l’aveuglement de certains. La question du consentement des femmes à l’IVG se pose, même si ce n’est pas forcément dans la Constitution qu’il faut l’aborder. Je rappelle que des centaines de femmes ont subi des avortements et stérilisations sans leur consentement à La Réunion dans les années 1970, et je ne suis sans doute pas la seule à recevoir dans ma permanence des femmes se plaignant des pressions de leur conjoint pour qu’elles avortent alors qu’elles souhaitent garder l’enfant. Monsieur Balanant, le mot « volontaire » doit aussi protéger les femmes qui subissent des pressions inadmissibles.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Nous avions réussi jusqu’à présent à éviter les anathèmes et les raccourcis. Je regrette que le ton ait changé.

Le droit des femmes à disposer librement de leur corps est atteint lorsqu’elles font l’objet de pressions – qui peuvent être assimilées à une emprise – pour avorter ou pour s’en abstenir. Nous ne pouvons l’éluder.

Quant à la question du consentement éclairé, n’oublions pas que l’IVG n’est jamais un acte anodin et qu’elle est toujours un non-choix, qui s’impose parce que quelque chose a été raté auparavant. Si les femmes sont éclairées sur l’acte même de l’IVG, elles ne le sont pas toujours sur les alternatives qui leur auraient permis de l’éviter, ce que beaucoup d’entre elles auraient préféré. Il ne faut pas faire comme si toutes les femmes étaient toujours au meilleur niveau de forme et d’information ! Et même : une de mes amies, bac + 6, a eu recours quatre fois à l’avortement ! Il y a toujours des cas particuliers, mais nous devons pouvoir en débattre.

M. Xavier Breton (LR). Plus notre collègue Balanant parle de la définition du mot « femme », moins on comprend !

Les pressions sur les femmes, pour avorter ou pour s’en abstenir, existent : ce n’est pas péjoratif de le dire. Vous ne semblez pas être capables de l’entendre, ce qui est révélateur de l’idéologie qui sous-tend ce texte.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. En prévision des débats en séance publique, je souligne que la question du consentement relève du domaine législatif. L’article L. 2222-1 du code de la santé publique, reprenant l’article 223-10 du code pénal, dispose que « L’interruption de la grossesse sans le consentement de l’intéressée est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL8 de M. Xavier Breton, CL62 de M. Patrick Hetzel et CL78 de M. Philippe Gosselin, amendements identiques CL7 de M. Xavier Breton, CL61 de M. Patrick Hetzel et CL77 de M. Philippe Gosselin, amendement CL43 de M. Thibault Bazin, amendements identiques CL6 de M. Xavier Breton, CL60 de M. Patrick Hetzel et CL76 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)

M. Xavier Breton (LR). Monsieur le rapporteur, votre argument n’est pas recevable : le fait que le respect du consentement à l’IVG soit déjà prévu par la loi n’empêche pas de le constitutionnaliser, puisque c’est exactement la démarche que vous suivez pour l’IVG elle-même !

L’amendement CL8 propose d’introduire dans la Constitution le respect de l’équilibre entre un principe d’autonomie, qui protège ici le droit des femmes à disposer de leur corps, et un principe de vulnérabilité, qui protège la vie à naître. Comme souvent en bioéthique, il s’agit de coordonner ces deux principes, alors que la rédaction actuelle ne reconnaît que le premier.

M. Patrick Hetzel (LR). La loi Veil a déjà été modifiée à plusieurs reprises, mais sans jamais que l’équilibre entre le respect de la liberté de la femme à disposer de son corps et celui de la vie à naître n’ait été altéré. Le présent texte rompt cet équilibre en proposant de constitutionnaliser l’un sans se préoccuper de l’autre. C’est cette asymétrie que nous nous proposons de corriger.

M. Philippe Gosselin (LR). En cette date anniversaire de la promulgation de la loi Veil, n’oublions que Simone Veil avait affirmé avec force, à la tribune de l’Assemblée nationale, la nécessité de garantir l’équilibre entre la liberté de la femme et la protection de la vie à naître. Contrairement à ce qui est dit, cet équilibre n’est pas préservé par la rédaction actuelle, qui ignore complètement ce deuxième principe. Afin de se prévenir de toute interprétation abusive du Conseil constitutionnel, inscrivons les deux dans la Constitution.

M. Thibault Bazin (LR). Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 juin 2001, s’est prononcé sur la question de l’équilibre entre ces deux principes en précisant que le respect de la Constitution impose « d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». L’amendement CL43 propose de reprendre ces termes.

M. Xavier Breton (LR). L’amendement CL6 a le même objet. Nous utilisons souvent l’expression de « protection de la vie à naître », mais elle n’a pas de définition juridique précise. C’est celle de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine » qui est utilisée par la jurisprudence et qui devrait donc figurer dans la Constitution.

M. Patrick Hetzel (LR). Le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé à quatre reprises sur l’IVG : en 1975, en 2001, en 2014 et en 2016. Il a rappelé l’équilibre nécessaire entre les deux principes et nous proposons par cet amendement de reprendre la formulation utilisée dans une de ces décisions.

M. Philippe Gosselin (LR). Ces décisions du Conseil constitutionnel, rendues dans des contextes politiques très différents, affirment toutes la nécessité du maintien de l’équilibre entre ces deux principes. Certains cherchent clairement à rompre cet équilibre avec la rédaction actuellement proposée.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Le projet de loi ne rompt aucun équilibre. Par ailleurs, toutes les décisions du Conseil constitutionnel sur l’IVG ont porté sur des avancées législatives. S’il devait à l’avenir se prononcer sur une loi de régression, il n’aurait plus, grâce à la constitutionnalisation du droit à l’IVG que nous proposons, à recourir à une interprétation extensive de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est source d’insécurité juridique. Avis défavorable.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Il n’existe aucune liberté absolue dans notre constitution : elles se limitent mutuellement. Pourquoi alors vouloir poser des limites au seul droit à l’IVG ? Je vous recommande la lecture de l’avis du Conseil d’État, cela vous permettra peut-être de voir que vos arguments ne correspondent pas à la réalité de l’exercice du droit dans notre pays.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL17 de M. Xavier Breton et CL87 de M. Philippe Gosselin, amendements identiques CL19 de M. Xavier Breton et CL89 de M. Philippe Gosselin, amendements identiques CL67 de M. Patrick Hetzel, CL88 de M. Philippe Gosselin et CL18 de M. Xavier Breton, et amendements identiques CL16 de M. Xavier Breton et CL86 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)

M. Xavier Breton (LR). Les amendements CL17, CL19, CL18 et CL16 proposent de préciser que le droit de recourir à l’IVG est soumis à un délai de réflexion – entre deux et sept jours – entre l’entretien psycho-social préalable et le recueil du consentement. Ce délai, qui existait dans la loi mais a été supprimé par une proposition de loi lors de la précédente législature, est constitutif de l’équilibre dont nous discutons puisqu’il permet de garantir la liberté des femmes d’avorter mais également de ne pas le faire, dans des cas où elles font l’objet de pressions.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. La question des délais relève du domaine législatif. Je rappelle que les délais de réflexion ont été supprimés progressivement, le dernier l’ayant été en 2022. Si une loi venait à les réinstituer, elle serait probablement jugée inconstitutionnelle. Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL83 de M. Philippe Gosselin et CL13 de M. Xavier Breton, et amendements identiques CL12 de M. Xavier Breton et CL82 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)

M. Xavier Breton (LR). Le respect d’un équilibre demande aussi qu’une information complète sur les alternatives à l’avortement soit garantie. C’est l’objet de mes deux amendements, car votre rédaction risque de remettre en cause cette information.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Ces questions ne relèvent même pas du domaine législatif, mais réglementaire. Avis défavorable.

Mme Véronique Riotton (RE). Sans l’assumer, vous réduisez la question de l’avortement à celle de la relation à l’argent puisque vous présupposez qu’il suffirait que les femmes soient informées des aides aux alternatives à l’avortement pour qu’elles renoncent à avorter. Quelle méprise ! Votre vision moralisatrice et culpabilisatrice réduit l’autonomie des femmes à peau de chagrin. Autant de raisons pour constitutionnaliser le droit à l’IVG.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL44 de M. Thibault Bazin et CL2 de Mme Emmanuelle Ménard, amendements identiques CL85 de M. Philippe Gosselin et CL15 de M. Xavier Breton, amendements identiques CL74 de M. Philippe Gosselin et CL4 de M. Xavier Breton, et amendements identiques CL5 de M. Xavier Breton et CL75 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)

M. Thibault Bazin (LR). Tout le problème de votre formulation est que l’on ne sait pas si la garantie est totale ou relative. Pour préserver l’équilibre que réalise la loi Veil entre les différentes libertés, l’amendement CL44 propose d’inscrire la clause de conscience dans la Constitution.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). La clause de conscience, sanctuarisée dans la loi, est menacée par cette réforme. Simone Veil elle-même la considérait pourtant comme essentielle. Dans son discours de 1974 devant l’Assemblée nationale, elle soulignait que « l’interruption de grossesse ne peut être pratiquée que par un médecin, comme c’est la règle dans tous les pays qui ont modifié leur législation dans ce domaine. Mais il va de soi qu’aucun médecin ou auxiliaire médical ne sera jamais tenu d’y participer. » Le Comité consultatif national d’éthique a d’ailleurs à nouveau formulé un avis négatif sur sa suppression.

Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution risque d’en faire un droit absolu. Comment, dans ces conditions, des médecins pourront-ils continuer à faire valoir leur liberté de conscience afin de ne pas la pratiquer ? Aura-t-on seulement le droit de manifester son opposition à l’IVG, qui sera une liberté fondamentale ? Cette réforme, présentée comme un progrès, risque d’avoir de graves conséquences.

M. Philippe Gosselin (LR). Garantir la liberté de conscience du médecin fait partie de l’équilibre que nous recherchons. Si cette liberté, qui est la contrepartie de celle d’avorter, n’est pas inscrite dans la Constitution, elle pourra être remise en cause par la loi et deviendra un vain mot. Ce n’est pas une vue de l’esprit : une proposition de loi a déjà été défendue en ce sens et certains n’ont pas renoncé à limiter cette liberté, voire à la supprimer.

M. Xavier Breton (LR). Madame Riotton, les situations matérielles compliquées que vivent certaines femmes peuvent restreindre leurs choix. Vous en concluez qu’il faut constitutionnaliser le droit à l’IVG mais au contraire, cette constitutionnalisation supprimera toute possibilité à la fois de débattre et de garantir un choix libre, affranchi des contraintes matérielles. Votre volonté de constitutionnaliser ne marche qu’à sens unique et ignore les alternatives.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. La constitutionnalisation ne remet en cause ni les dispositifs législatifs prévoyant la double clause de conscience, ni la liberté de conscience telle qu’elle est reconnue par la Constitution. Avis défavorable.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Certains groupes politiques ont tenté de supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG au motif qu’il existe déjà une clause générale. Je rappelle d’abord que la clause spécifique s’applique à tous les soignants alors que la clause générale ne concerne que les médecins, les sages-femmes et les infirmiers. Ensuite, la clause spécifique pose un principe absolu alors que la clause générale prévoit une exception, en cas d’urgence. Enfin, la clause spécifique est prévue par la loi alors que la clause générale n’a que valeur réglementaire et pourrait donc être plus facilement supprimée.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL40 de M. Thibault Bazin et CL14 de M. Xavier Breton (discussion commune)

M. Thibault Bazin (LR). Nous avons évoqué le cadre bioéthique de la loi Veil, fondée sur l’équilibre entre la sauvegarde de la dignité et le respect de la liberté. L’amendement CL40 propose d’inscrire dans la Constitution la nécessité du respect d’un délai de réflexion pour se rapprocher de cet esprit voulu par Simone Veil.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Avis défavorable. J’ajoute à l’attention de M. Bazin que le droit à l’avortement ne relève pas de la bioéthique.

M. Thibault Bazin (LR). J’emploie le mot de « bioéthique » non dans son sens juridique, mais dans son sens philosophique de l’éthique des êtres humains. Il est important de réfléchir avec cette perspective, qui était déjà celle de Simone Veil en 1974.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL35 de M. Thibault Bazin et CL22 de M. Xavier Breton, et amendements CL23 de M. Xavier Breton et CL24 de M. Xavier Breton (discussion commune)

M. Thibault Bazin (LR). L’amendement CL35 propose de distinguer entre l’interruption volontaire et l’interruption médicale, car leurs enjeux éthiques sont différents.

M. Xavier Breton (LR). Les amendements CL22, CL23 et CL24 ont le même objet. Il est important de distinguer clairement les deux car les délais dans lesquels l’interruption de grossesse est autorisée sont différents. Certains – notamment au Planning familial, qui défriche le terrain idéologique en ce domaine et auquel les ministres ont peur de s’opposer – souhaitent en effet instaurer une liberté inconditionnelle de l’IVG, en l’autorisant jusqu’au terme de la grossesse. Nous avons donc des raisons d’être inquiets.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Avis défavorable : la constitutionnalisation ne remet pas en cause le cadre législatif, qui distingue très clairement entre interruption médicale et volontaire.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Monsieur Breton, vous pouvez être rassuré : le projet de loi prévoit d’inscrire dans la Constitution que « la loi détermine les conditions » du recours à l’IVG. Il n’y a donc aucun risque de voir le droit à l’IVG devenir inconditionnel.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL20 et CL21 de M. Xavier Breton (discussion commune)

M. Xavier Breton (LR). Ceux qui se réclament des libertés ayant tendance à fonctionner à sens unique, il est important de préciser que le délit d’entrave ne porte pas atteinte à la liberté d’information des femmes sur les alternatives à l’avortement afin qu’elles puissent se décider en totale conscience.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Avis défavorable. Le cadre législatif ne sera pas modifié. Le Conseil constitutionnel a été très clair au sujet de la protection de la liberté d’expression à la suite de la création du délit d’entrave. Selon sa décision du 16 mars 2017, « en réprimant les expressions et manifestations perturbant l’accès ou le fonctionnement des établissements pratiquant l’interruption volontaire de grossesse » ainsi que « les pressions morales et psychologiques, menaces et actes d’intimidation », le délit d’entrave ne porte pas « à la liberté d’expression et de communication une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi ».

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’article unique non modifié.

Après l’article unique

Amendement CL37 de M. Thibault Bazin

M. Thibault Bazin (LR). Au contraire de l’interdiction de l’IVG, qui n’est proposée par aucun groupe parlementaire à ce jour, la question des pratiques eugénistes s’invite régulièrement lors de l’examen de divers textes, notamment en matière de bioéthique, et certaines séries ou films auxquels je ne veux pas faire écho nourrissent les inquiétudes. Il nous semblerait donc plus urgent de graver dans le marbre la ligne rouge qu’a défendue dans ce domaine Agnès Buzyn lors de l’examen du projet de loi relative à la bioéthique.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements CL25 de M. Xavier Breton et CL36 de M. Thibault Bazin (discussion commune)

M. Xavier Breton (LR). Vous choisissez de constitutionnaliser la liberté de la femme, mais pas la protection de la vie à naître afin d’assurer un équilibre. Une autre question se pose toutefois : celle de la gestation pour autrui (GPA), pratique qui ne peut en aucun cas être éthique, puisqu’il s’agit d’une marchandisation ou d’une utilisation du corps des femmes comme un moyen. Il serait très fort que la France se place à la pointe du combat pour une abolition universelle de la gestation pour autrui, en l’inscrivant dans sa Constitution. Ce n’est pas virtuel : certains font la promotion de cette pratique sur des marchés, et on nous dira bientôt que, puisque c’est possible à l’étranger, il faut aussi que ce soit le cas chez nous, sinon seuls les riches pourront se le permettre. Nous devons, par respect de la dignité de la personne humaine et notamment des femmes, interdire la gestation pour autrui.

M. Thibault Bazin (LR). Il existe peut-être davantage de pratiques qui ne sont pas éthiques dans ce domaine qu’en matière d’IVG – le nombre d’actes pratiqués a plutôt augmenté en France, ce qui prouve qu’il n’y a pas d’entrave. Je rappelle que des salons de promotion de la GPA ont été organisés en Île-de-France. Nous devrions nous réarmer, pour reprendre un terme très entendu depuis hier, dans la lutte contre une pratique considérée comme une ligne rouge lors de l’examen du projet de loi relative à la bioéthique. Gravons les choses dans le marbre en interdisant la gestation pour autrui.

M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur. Ces deux amendements sont totalement en dehors du périmètre de ce projet de loi constitutionnelle. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Titre

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL49 de Mme Mereana Reid Arbelot.

La commission adopte l’ensemble du projet de loi constitutionnelle, non modifié.

M. le président Sacha Houlié. Je suis heureux, pour toutes les femmes concernées, que la commission soit parvenue à adopter le projet de loi constitutionnelle reconnaissant la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

*

*     *

 


Enfin, la Commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (n° 2052) (Mme Perrine Goulet, rapporteure).

Le tableau ci-dessous récapitule les décisions de la Commission.

 

Article

Amendement

Auteur

Groupe

Sort

1er

5

Mme GOULET Perrine

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

1er

12

M. IORDANOFF Jérémie

Écologiste - NUPES

Accepté

1er

16

M. OTT Hubert

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

1er

4

Mme GOULET Perrine

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

1er

6

Mme GOULET Perrine

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

1er

18

M. OTT Hubert

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

1er

13

Mme GOULET Perrine

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

1er

17

M. OTT Hubert

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

1er

20

Mme YADAN Caroline

Renaissance

Accepté

ap. 1er

7

Mme GOULET Perrine

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

ap. 1er

19

M. OTT Hubert

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

ap. 1er

9

M. LÉAUMENT Antoine

La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale

Repoussé

2

23

M. MASSON Bryan

Rassemblement National

Repoussé

2

2

Mme MARTIN (ALPES-MARITIMES) Alexandra

Les Républicains

Repoussé

2

8

Mme GOULET Perrine

Démocrate (MoDem et Indépendants)

Accepté

ap. 2

14

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Repoussé

ap. 2

15

M. GOUFFIER VALENTE Guillaume

Renaissance

Repoussé

ap. 2

10

M. LÉAUMENT Antoine

La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale

Repoussé

ap. 2

1

Mme DUPONT Stella

Renaissance

Repoussé

ap. 2

3

Mme SAS Eva

Écologiste - NUPES

Repoussé

ap. 2

11

M. POTIER Dominique

Socialistes et apparentés

Repoussé

*

*     *

La séance est levée à 13 heures 10.

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Membres présents ou excusés

 

 Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, M. Philippe Dunoyer, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Perrine Goulet, Mme Marie Guévenoux, Mme Claire Guichard, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Brigitte Liso, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, Mme Mathilde Panot, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, Mme Michèle Peyron, Mme Marie Pochon, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, M. Davy Rimane, Mme Véronique Riotton, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Caroline Yadan

 

 Excusés. - M. Ian Boucard, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, M. Didier Lemaire, M. Thomas Ménagé, Mme Naïma Moutchou, M. Philippe Schreck

 

 Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, Mme Émilie Bonnivard, M. Fabien Di Filippo, M. Patrick Hetzel, Mme Sandra Regol