Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public
– Audition, ouverte à la presse, de MM. Pierre-Alain Raphan et Cédric Roussel anciens députés, rapporteurs de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Ludovic Royé, président de l’Association des directeurs et directrices techniques nationaux (AsDTN) 19
– Présences en réunion................................38
Mardi
17 octobre 2023
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 26
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente de la commission
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La séance est ouverte à quatorze heures quinze.
La commission auditionne M. Pierre-Alain Raphan et M. Cédric Roussel anciens députés, rapporteurs de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous avons le plaisir d’accueillir messieurs Pierre-Alain Raphan et Cédric Roussel, anciens députés et rapporteurs – avec Mme Céline Calvez, qui est absente cet après-midi – de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.
Avant d’en venir aux questions, pourriez-vous revenir sur les avancées apportées par la loi visant à démocratiser le sport en France ? Dans le rapport déposé en première lecture sur ce texte, vous notiez que « le mouvement sportif a engagé sa mue au regard des exigences éthiques partagées par le corps social ». Où en est-on aujourd’hui selon vous ? Cette loi a-t-elle permis de renforcer durablement l’éthique du sport français ? Quelles sont les éventuelles limites ou lacunes que vous identifiez dans le cadre applicable à ce domaine ?
Quelles appréciations portez-vous sur l’organisation et la gouvernance du milieu sportif ainsi que sur les divers contrôles qui s’exercent sur lui ? Le cadre existant pour prévenir, détecter et sanctionner les violences sexuelles et sexistes, les actes de racisme et la discrimination vous paraît-il devoir être renforcé ?
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Pierre-Alain Raphan et M. Cédric Roussel prêtent serment.)
M. Cédric Roussel, ancien député, rapporteur de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Je vous remercie de nous permettre de nous exprimer. Nous allons ainsi pouvoir faire le point sur l’application de cette loi, qui a fait consensus à l’époque. Il s’agit d’une loi d’ensemble qui traite plusieurs problèmes en lien avec la régulation. Pour ma part, j’étais rapporteur du titre III, qui a davantage vocation à réguler le modèle économique sportif.
Céline Calvez était en charge du titre Ier, que je vais présenter brièvement avant de laisser la parole à Pierre-Alain Raphan, qui s’est occupé plus particulièrement du titre II. Ce titre-là nous intéressait de manière collective puisqu’il s’agissait de la gouvernance des fédérations sportives. Il pourra notamment énumérer le principe de certaines mesures et la manière dont les débats ont été menés.
En ce qui concerne le titre Ier, nous avons surtout souhaité insister sur le développement de la pratique sportive au-delà de la seule performance sportive, avec des intentions et des enjeux de santé publique et de lutte contre la sédentarité. Je pense en particulier à un article sur la mutualisation d’infrastructures sportives nouvellement construites dans le cadre d’établissements scolaires : ces derniers ont désormais l’obligation de proposer un accès mutualisé aux associations sportives extérieures.
Dans le même sens, un volet est consacré au développement du sport santé, dans le but de faire davantage progresser cette expérimentation qui constituait un véritable objectif du premier quinquennat. Des ouvertures étaient permises dans le cadre d’activités physiques adaptées à des prescriptions qui concernent un public plus large, atteint notamment de maladies chroniques ou confronté à des problèmes d’obésité. L’idée était là aussi d’élargir le champ du sport au-delà de la seule performance sportive au titre de la prévention de certaines maladies, voire de l’accompagnement dans un programme de guérison plus global.
Il a également été instauré l’obligation de la nomination d’un référent sport dans tous les établissements et services médico-sociaux. Outre l’intention, il s’agissait de mettre en place une animation de ce sujet-là dans ces établissements. La règle du certificat médical a été simplifiée. Ces éléments font partie des principales avancées pour inciter à une plus grande pratique sportive.
Les différents sports, par exemple la boxe ou les échecs, n’exigent pas le même niveau d’aptitude physique. La simplification de la règle permet de responsabiliser les fédérations et de définir les obligations et les fréquences de présentation du certificat médical de non-contre-indication à la pratique sportive qu’elles imposent à leurs licenciés et pratiquants.
Il y a également deux points forts en matière d’éducation. Le programme « savoir rouler à vélo » a été complété par l’inscription du principe de « l’aisance aquatique ». Outre le « savoir rouler », qui concerne aussi bien les vélos que les trottinettes, il s’agit de permettre à nos jeunes enfants d’avoir une aisance dans l’eau dès le plus jeune âge. Nous avons également inscrit le principe d’une activité physique quotidienne des élèves dans le code de l’éducation, qui a notamment donné lieu à la mesure prévoyant trente minutes d’exercice physique quotidiennes, portée par le Gouvernement.
Il s’agit également de renforcer la vitalité associative et l’engagement des jeunes en permettant aux établissements volontaires de créer, en complément des associations sportives, des associations dans le cadre d’alliances éducatives territoriales afin de faire vivre les projets sportifs territoriaux liés à la pratique sportive.
M. Pierre-Alain Raphan, ancien député, rapporteur de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Le titre II répond aux attentes de millions de bénévoles qui rêvaient de voir leur fédération épouser un modèle de gouvernance renouvelé, connecté aux enjeux du siècle et répondant à leurs attentes.
Nos mandats sont pour nous l’occasion de constater que les pratiques démocratiques s’estompent, que la confiance dans les élus s’édulcore et que les derniers remparts démocratiques se trouvent parfois dans les pratiques associatives, les clubs et les fédérations. De nombreux rapports nous invitaient à nous saisir de leurs préconisations quant aux réformes nécessaires en matière de gouvernance des fédérations. C’était une promesse de campagne et nous l’avons tenue en 2022.
Nous devions tout d’abord agir sur la parité. Au moment où cette loi a été pensée, il n’y avait qu’une seule femme parmi les présidents des fédérations de disciplines olympiques. L’accès des femmes aux responsabilités était presque prohibé par le système tel qu’il était conçu. Par l’article 5 de la loi, nous avons exigé une parité dans toutes les instances nationales dès 2024 et dans toutes les instances régionales à partir de 2028.
S’il y avait plus de femmes dans ces instances, on aurait peut-être connu moins de problèmes. À défaut d’avoir des données empiriques en la matière, c’est en tout cas une intention que nous avions. Il est tout de même surprenant qu’au XXIe siècle, dans le pays des lumières, il faille en passer par la loi pour rendre aux femmes la place qu’elles méritent naturellement. Nous avons donc dû forcer ce sujet, qui ne se réglait pas tout seul.
Nous avons également abordé un sujet démocratique. La démocratie est le fait de donner la capacité aux gouvernés de choisir leurs gouvernants. Or, ce n’était pas le cas dans toutes les fédérations, où les modèles de vote et d’accès aux responsabilités différaient en fonction des statuts. Dans certains cas, la gouvernance des fédérations était plus proche de la vision exposée par Clemenceau : « Pour bien décider, il faut être un nombre impair. Et trois, c’est déjà trop ! »
La vision démocratique était personnalisée et amenait, dans certains systèmes fédéraux, à la réélection des dirigeants avec plus de 95 % des suffrages. Ces résultats auraient même pu être enviés par certains dictateurs ! On n’était pas loin de ce type de gouvernance dans certaines fédérations. Dans l’article 6, nous avons proposé que les clubs membres de fédérations puissent voter directement afin de choisir leurs gouvernants. Cela permet une respiration du système.
La démocratie est un mouvement constant qui demande une respiration constante. On se doit donc d’apporter de nouvelles énergies, de nouveaux visages et de nouvelles idées, notamment par l’intermédiaire des bénévoles. Au bout de trois mandats, les gouvernants en place ont tendance à utiliser leur intellect davantage pour préserver leur position que pour porter de nouveaux projets de développement.
Bien évidemment, je ne vise pas toutes les fédérations. Certaines d’entre elles sont exemplaires sur le plan démocratique, par exemple la fédération de badminton, qui souhaitait même aller plus loin que cette loi en faisant voter directement les licenciés. Même si cela peut poser des difficultés d’organisation, on voit en tout cas cette volonté de faire participer le plus grand nombre aux choix stratégiques des fédérations.
Le parcours de cette loi a été inspiré par une pratique personnelle. J’ai eu la chance de m’investir dans la fédération de taekwondo. À l’époque, je faisais partie de ces millions de bénévoles. J’ai vu certaines choses et je me suis dit qu’il fallait modifier le système plutôt que de s’attaquer aux hommes qui l’avaient détourné. En l’occurrence, cette fédération est un cas d’école à suivre dans la mise en œuvre de cette loi. Les élections ont encore été annulées par la justice, mais certaines parties de la loi seront applicables à partir du 1er janvier 2024. Je pourrais vous transmettre des documents à ce sujet.
Un événement m’a profondément marqué lors de l’élaboration de cette loi. En 2018, Aude Amadou et moi-même avions soutenu un texte relatif à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Il proposait notamment d’instaurer une parité dans les instances d’organisation des JOP. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) nous a alors transféré une réponse étonnante du Comité international olympique (CIO), qui expliquait que le fait d’imposer la parité relevait d’une ingérence législative mettant en danger le maintien de l’organisation des JOP en France !
Je vous laisse méditer la signification de cette réponse. Cela signifiait qu’il y avait une inversion de la hiérarchie des normes au sein du milieu sportif et que ce dernier se sentait au‑dessus des lois !
Nous avons ensuite proposé d’autres sujets, qui ont donné lieu à d’autres rapports. L’un de ces rapports proposait une loi beaucoup plus large intégrant ce type de disposition. Nous avons proposé un premier modèle de loi qui était très complet, mais nous avons dû faire des choix puisque le calendrier parlementaire était à l’époque fortement contraint et bousculé par le covid. D’où les titres I, II et III que nous avons évoqués.
Lorsque je suis entré en politique, un vieux sage m’avait dit : « Tu peux venir avec les meilleures convictions et les meilleures solutions aux pires des problèmes, tant que ton sujet n’est pas médiatique, il ne sera pas politique. » En fait, c’est le courage et la résilience de Mme Abitbol qui a permis d’accélérer les choses – vous l’avez d’ailleurs auditionnée. Elle a publié un livre dans lequel elle fait des révélations.
Au-delà de la révélation de ces crimes, nous avons pu voir l’attitude de certains présidents de fédération qui, lorsqu’ils étaient invités à démissionner, ont dit de manière décomplexée : « Je suis élu. Ce n’est pas une ministre qui va m’imposer quoi que ce soit. » Cela a également contribué à l’inscription de cette loi à l’ordre du jour, tout comme la libération de la parole. On le doit notamment au courage de ces femmes. À l’époque, nous avons eu des discussions assez musclées, voire des menaces, parce que les lois n’étaient pas votées comme le mouvement sportif aurait souhaité qu’elles le soient.
Le premier rôle de l’État est de protéger. Ceci étant, il y a parfois un État qui se protège. Robert Badinter disait il y a encore quelques mois : « La France est bien le pays de la Déclaration des droits de l’homme, mais il y a encore des efforts à faire quant à son application. » En l’occurrence, comment un État qui est informé de délits et de crimes par une inspection générale ne peut-il pas agir plus vite et plus fort sur ces sujets-là, alors même que des délégations de service public accordées aux fédérations ? Cette interrogation a peut-être été soulevée dans d’autres auditions. Que peut-on déduire de ces silences ? Nous n’avons pas toutes les réponses. Cette loi n’est pas parfaite et il reste encore beaucoup à faire. Elle constitue un premier pas. Nous sommes à votre disposition pour réfléchir à tous ces sujets.
M. Cédric Roussel. Notre proposition de loi a consacré, dans le titre III dont je fus le co-rapporteur, la possibilité de créer une société commerciale pour la gestion et l’exploitation des droits TV et marketing par des fédérations et des ligues professionnelles sportives. Cette mesure a fait débat. Pour autant, un consensus a été trouvé dès la première lecture. Je pense que les intentions étaient partagées. Il faut préciser que cette mesure intéressait plus particulièrement les ligues professionnelles, comme celle du football.
Je rappelle que les discussions au Parlement ont eu lieu dans un contexte particulier pour le monde du football, celui de l’affaire dite « Mediapro », du nom de cet attributaire des droits de diffusion de matchs de Ligue 1, aux capitaux sino-hispanique, qui s’est révélé défaillant dès 2020. En cette période planait le risque d’un écran noir dans la diffusion des matchs de football de notre championnat de France, que je n’avais pas connu de mon vivant en tant qu’amateur et supporter de football. Le football français se trouvait déstabilisé en quelque sorte par une influence étrangère. En l’occurrence, Mediapro s’est retiré très rapidement sans qu’il y ait une réelle mise en cause de sa responsabilité et des conséquences pour l’économie des clubs de football français. L’échec de Mediapro a constitué un risque financier pour l’ensemble des clubs professionnels, qui sont à la fois des employeurs de notre économie et des pourvoyeurs de culture sportive et de vie sociale sur nos territoires.
En juin 2021 avait été lancée la mission d’information sur les droits audiovisuels des manifestations sportives, dont je fus le rapporteur et mon collègue Régis Juanico le président. Nous fîmes le constat que le football français professionnel était au bord de la banqueroute. L’économie du football était déjà déstabilisée en 2020 par la crise du covid, en raison notamment de la décision de l’arrêt anticipé de notre championnat prise par le Premier ministre Édouard Philippe. Néanmoins, il y avait peut-être un problème plus structurel et une réflexion plus profonde à mener, d’où la volonté partagée avec les membres de la commission Éducation, culture et sport de l’Assemblée nationale de lancer cette mission d’information.
Son but : mieux comprendre cette affaire et ses possibles conséquences sur l’économie du sport. À l’époque, je n’étais pas le seul à m’être étonné de l’absence d’audit de la part de la Ligue de football professionnel (LFP). Nasser Al-Khelaïfi en avait fait pourtant la demande au sein des instances, mais une majorité des membres l’avait alors rejeté. Par conséquent, il n’y avait pas eu ce temps de diagnostic.
Cette mission d’information se voulait une mission de contrôle dans l’objectif d’apprendre des erreurs commises. Nous étions dans une démarche constructive visant à tirer les leçons d’un fait exceptionnel dans l’histoire du football français. Elle a révélé qu’il y avait des réflexions à mener quant au modèle économique sportif français, notamment en termes de régulation, de financement, de transparence et de contrôle des acquisitions de clubs professionnels par des investisseurs étrangers.
Cela n’empêche pas que nous soyons ouverts à ce que des investisseurs internationaux viennent investir dans notre championnat, qui est attractif. Pour autant, on se doit d’imposer une forme d’identité, de « made in France ». Nous avons en France un principe de solidarité financière entre le sport professionnel et le sport amateur qui est tout à fait exceptionnel. Il n’est pas forcément partagé par tous les pays européens, c’est la raison pour laquelle nous devons le défendre au sein des instances.
Il faut imposer un modèle économique et sportif européen afin d’éviter une déstabilisation économique, voire une forme d’influence. La diplomatie par le sport, qu’on qualifie de « soft power », devrait davantage être prise en compte dans les politiques que mènent notre pays et l’Europe.
La possibilité pour une ligue professionnelle de créer une société commerciale pour la gestion de ses droits audiovisuels sportifs, actée dans le titre III de notre loi, a permis en l’occurrence à la LFP de lever des capitaux supplémentaires auprès d’acteurs privés pour une meilleure assise financière. Ce fut un moyen de sortir de la crise provoquée par l’affaire Mediapro sans entamer les finances publiques.
À titre personnel, j’ai toujours pensé que l’hybridation des financements et des acteurs est la clé de la pérennisation et du développement du financement du sport dans notre pays. Beaucoup d’acteurs peuvent et voudraient davantage participer au financement de nos politiques sportives. C’est la raison pour laquelle il faut encourager l’hybridation des financements, l’investissement et le sponsoring dans les clubs professionnels sportifs. Cela participe de la pérennité des clubs et, plus largement, du financement du sport.
Nous avons inscrit dans la loi des garde-fous pour la création de ces sociétés commerciales. L’ouverture du capital aux acteurs extérieurs est limitée à 20 %, les 80 % restants étant détenus par la ligue ou la fédération sportive concernée. Le principe de la solidarité financière entre le sport professionnel et le sport amateur doit figurer également dans les statuts de la société commerciale et le paiement de la taxe Buffet est maintenu. De même, la relation tripartite est respectée puisque les statuts doivent être validés et approuvés par la fédération sportive et la ligue professionnelle concernées ainsi que par le ministère des sports. Ces encadrements constituent en soi une innovation juridique puisque la rédaction des statuts d’une société commerciale est réputée libre par définition. Cela a pu se faire car la majorité des parlementaires s’est entendue sur le fait que le sport n’est pas un bien commercial comme les autres et qu’il exige donc un cadre particulier.
Une autre mesure vise à préserver une forme d’éthique et de protection de l’œuvre audiovisuelle sportive en luttant contre le piratage sportif. Un dispositif de lutte contre le streaming sportif illégal a en effet été adopté, après l’examen en première lecture de notre texte, dans la loi relative à a régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique portée par la ministre de la culture Roselyne Bachelot. On a ici l’illustration d’une convergence des luttes entre le sport et la culture, avec l’instauration d’un dispositif dynamique permettant à un ayant droit lésé de demander le blocage de la retransmission illégale d’un match de football diffusé en direct par un site pirate en streaming. Le dispositif de blocage est également innovant d’un point de vue juridique. Tout cela s’articulant autour d’un tiers de confiance : l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
Le titre III a consacré également la transposition dans notre droit de la convention dite « de Macolin ». De manière schématique, il s’agit d’un dispositif visant à lutter contre les sites de paris sportifs illégaux en ligne en facilitant l’échange d’informations entre les instances nationales de régulation.
Enfin, a été inscrite dans cette loi la possibilité pour les sociétés sportives, dont les clubs professionnels, d’opter pour le statut juridique de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC).
Nous aurions pu aller plus loin en étendant cette mesure aux fédérations sportives, mais le climat de nos discussions avec le CNOSF, très tendu par ailleurs sur d’autres mesures du titre II notamment, ne l’a pas permis. Quoi qu’il en soit, l’option de la SCIC pour les fédérations sportives permettrait à mon sens une hybridation des compétences et de la gouvernance qui serait de nature à accompagner celles qui le souhaitent dans une transition de leur modèle économique.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais savoir avec quelles instances vous avez eu des débats irritants qui ne vous ont pas permis d’aller jusqu’au bout. Était-ce avec les fédérations ou ici, à l’Assemblée nationale ?
M. Cédric Roussel. Les deux. Le contexte était celui d’une proposition de loi parlementaire (PPL), avec un temps de discussion très limité en comparaison d’un projet de loi. Cela a contribué à frustrer aussi bien les acteurs du sport que les parlementaires. En deuxième lecture, il y a eu un certain nombre de postures, avec notamment des débats sur le port du voile, qui n’avait pourtant pas vocation à être évoqué compte tenu du périmètre du texte. C’était sans doute lié au contexte politique de fin de législature, à quelques mois des élections présidentielles de mai 2022. Toujours est-il que la fin de la discussion a été électrique sur des points qui ne relevaient pas directement du texte. Par ailleurs, certains articles du titre II, en particulier la limitation des mandats, ont fait l’objet de discussions qui n’ont pas été vraiment fluides.
M. Pierre-Alain Raphan. Le titre II apportait tout de même des changements significatifs dans la gouvernance du sport en France. Nous avons très rapidement constaté que des lignes de fracture étaient apparues au sein des représentants des fédérations. Des auditions se sont tenues pour inviter tous les acteurs à s’exprimer. Certaines fédérations ne souhaitaient absolument pas bouger. Elles affirmaient notamment que nous allions mettre à mort les grands événements sportifs français.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lesquelles, par exemple ?
M. Pierre-Alain Raphan. Des fédérations historiques, souvent celles qui organisent de grands événements : le football, le rugby et le tennis, voire le judo. L’histoire dira si cela tient aux disciplines ou aux générations. Je n’ai pas la réponse à cette question. Bousculer certains privilèges provoque des réactions. En tant que parlementaires, notre rôle est de trouver des compromis sur tous ces sujets, quelle que soit leur complexité.
Les représentants des ligues et des clubs, qui avaient parfois d’autres intérêts, ont également réagi sur des sujets presque discrétionnaires : « On ne pense pas assez à nous. Pourquoi n’y a-t-il pas un partage des moyens plus affirmé ? Pourquoi chaque euro ne va pas au club ? » Certaines ligues ou certains clubs avaient de grandes rétrocessions tandis que d’autres n’en avaient aucune, sans explication ni règle bien établie. Nous avons également constaté des lignes de fracture entre partis politiques au sein de l’Assemblée nationale. Je pense en particulier à l’approche des Républicains sur le sujet du port du voile dans le football, qui a été relayée par le Sénat. Nous nous sommes donc heurtés à bon nombre de difficultés.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À l’entame de cette commission d’enquête, nous nous sommes beaucoup interrogés sur la question de la simplification du mouvement sportif. Elle nous est apparue extrêmement complexe à appréhender vu de l’extérieur. Nous avons parfois eu le sentiment d’une dissolution des responsabilités entre différentes instances dont la hiérarchisation est peu claire : le ministère des sports, le CNOSF, l’ANS, les fédérations, les ligues, les clubs, etc.
Le CNOSF fixe des objectifs, mais sans contraindre. L’ANS donne des financements, mais sans contraintes. Et, 17 % des fédérations n’ont toujours pas de comité d’éthique alors que cela figure dans la loi. Le CNOSF propose des formations sur les violences sexistes et sexuelles (VSS), mais ces dernières ne sont pas mises en place.
Nous avons auditionné plusieurs acteurs. Au mieux, leurs relations avec l’ANS ne se passent pas très bien. Dans le pire des cas, ils nous ont dit que cette agence ne servait à rien. Nous avons également évoqué la question du financement du mouvement sportif. Le Medef a intégré l’ANS. À ce jour, jusqu’à preuve du contraire, il n’a pas mis un euro dans cet organisme. Pourtant, il détient 10 % des voix au sein de cette instance.
Entre-temps, des dispositifs ont été mis en place sur les questions de VSS, de discriminations, de racisme, etc. Je pense notamment au contrôle d’honorabilité, mais il n’y a là non plus aucune contrainte. En tout cas, personne ne peut vérifier que le contrôle d’honorabilité est effectué au sein des clubs ou des fédérations.
En ce qui concerne la cellule Signal-sports, les quatre cinquièmes des personnes que nous avons auditionnées ignoraient son existence. Comment aller plus loin par rapport au texte que vous avez élaboré, proposé et voté pour une meilleure reconnaissance des personnes responsables de ce qui se passe au sein du mouvement sportif ? C’est une question que nous avons posée à plusieurs reprises. Qui est responsable de quoi ? Qui fait quoi ?
M. Pierre-Alain Raphan. Si vous trouvez la réponse, n’hésitez pas à nous en informer ! C’est du Bourdieu ! On se demande si le système n’a pas été complexifié pour arranger certains. Toujours est-il qu’il y a matière à simplifier les choses. Il serait même assez sain de le faire. Il faut également apporter des clés de lecture aux dirigeants des clubs, qui se sentent parfois démunis. La finalité de ce système est de faire en sorte que des enfants fassent du sport et s’épanouissent !
Pour cela, les bénévoles ont besoin de moyens. Le problème, c’est que ces moyens sont très souvent captés par de hautes instances, qui font des choix. Certaines se concentrent sur le haut niveau et tant pis pour le reste ! Il y a peut-être des sujets à travailler en ce qui concerne l’harmonisation de la répartition des moyens par échelon. Et il y a sans aucun doute un sujet de simplification en termes de responsabilité afin de réaffirmer le rôle dévolu à chacun. Il faut avant tout que l’État réaffirme son rôle et son pouvoir. En cela, les délégations de service public ont leur importance. Lorsque les systèmes ne respectent pas ces délégations, il convient de les leur enlever et de les proposer à d’autres.
Quant aux « surcouches », le CNOSF intègre des fédérations qu’il ne représente pas puisqu’il ne s’agit pas de disciplines olympiques. Ne devrait-on pas réunir tout le monde d’une manière un peu différente ? L’État ne devrait-il pas simplement reprendre son rôle régalien de contrôle ? L’inspection générale devrait prendre des décisions immédiates, notamment en ce qui concerne les crimes de violences sexuelles au sein des fédérations.
Si le système ne parvient pas à s’en sortir tout seul, une autorité indépendante de régulation peut intervenir avec un pouvoir de contrôle. Malheureusement, ce système ne peut pas se simplifier du jour au lendemain. Autrement, on aurait déjà trouvé la solution. Le ministère de l’économie et des finances n’aime pas que l’on crée des autorités supplémentaires. Néanmoins, il me semble que ce serait assez utile dans certains cas.
M. Cédric Roussel. À titre personnel, je ne peux qu’aller dans votre sens puisque c’est une des préconisations que je formule dans mon rapport d’information sur les droits audiovisuels sportifs. J’y préconise en effet la création d’un Conseil supérieur du sport, une autorité administrative indépendante inspirée par le modèle qui existe pour l’audiovisuel. Les fédérations et, de fait, les ligues disposant de prérogatives de puissance publique, la régulation du monde sportif professionnel pourrait en effet être confiée à une autorité indépendante.
En complément des différentes directions nationales du contrôle de gestion (DNCG), cette autorité aurait en charge la rationalisation du fonctionnement, du financement et de l’exposition du sport professionnel notamment. En termes d’éthique, elle pourrait se voir confier aussi un rôle sur l’honorabilité, les conflits d’intérêts, etc., non pas pour semer le doute mais bien au contraire pour l’ôter.
Pour avoir beaucoup travaillé durant mon mandat de député sur l’écosystème du sport, j’ai rencontré un grand nombre d’acteurs sains et de bonne volonté. Pour autant, cela n’exclut pas le contrôle. Ce conseil supérieur du sport permettrait non seulement de fixer un cadre, mais également de mettre du lien entre toutes les disciplines sportives, les plus exposés médiatiquement et les moins exposées.
Permettez-moi ici d’apporter des commentaires un peu différents de ceux de mon collègue Pierre-Alain Raphan concernant l’Agence nationale du sport (ANS). Je pense que sa création a été justement dans le sens d’une plus grande démocratisation de la gouvernance du sport. La loi a en effet imposé une gouvernance hybride composée de l’État, du mouvement sportif, des collectivités locales et des acteurs économiques.
Outre le niveau de participation capitalistique, il faut surtout retenir l’hybridation des compétences et des différents échelons d’intervention de chacun. Les collectivités territoriales comme les clubs sportifs sont par nature sur le terrain, alors que le ministère a une dimension beaucoup plus macro-économique. En ce qui concerne la diversité des acteurs, au-delà du Medef, un ensemble de filières d’acteurs privés de l’écosystème du sport sont également représentées, ce qui n’était pas le cas auparavant. Elles représentent toutes les entités et toutes les entreprises du sport. Tout cela contribue à plus de participation dans la prise de décisions.
Par ailleurs, il me semble qu’il y a eu plus de financements de projets en trois ans d’existence de l’ANS que lors des dix années de vie du Centre national pour le développement du sport (CNDS), l’ancienne structure qui s’occupait de financer les appels à projets sportifs de nos territoires. Il y a donc tout de même une dynamique positive au moment de sa création.
Pour autant, des points d’améliorations existent. L’ANS et ses instances déconcentrées, les conférences régionales du sport (CRS), ne sont pas suffisamment connues sur le terrain. Lors de mon mandat de député, j’ai pu le constater en interrogeant les clubs sportifs de ma circonscription. Mais, c’est le cas de beaucoup de choses dans le sport et dans d’autres politiques. C’est la raison pour laquelle la ministre des sports Amélie Oudéa‑Castéra a organisé peu après sa prise de fonction un séminaire avec toutes les composantes du sport pour déterminer qui fait quoi et clarifier le rôle de chacun.
Il faut une clarification et une simplification des mesures. Dans le cadre de la mission d’évaluation de la loi Braillard, dont j’étais co-rapporteur en 2020, nous avions préconisé le croisement des fichiers entre fédérations sportives afin de contrôler l’honorabilité des bénévoles et des encadrants sportifs. Nous souhaitions même aller au-delà. Certaines choses relèvent du bon sens, mais il s’agit à un moment donné de les mettre en œuvre sur le plan technique. On éviterait ainsi des risques. Il revient ensuite à chacun des acteurs de faire sa part.
Notre loi visant à démocratiser le sport en France a consacré la mise en avant des projets sportifs territoriaux dans les financements de l’ANS. En précisant cet échelon local, elle donne davantage de visibilité de l’ANS sur nos territoires et permet plus d’interactions entre les projets.
L’ANS a des missions affectées dont les financements sont pour partie fléchés : plan de transition numérique, fonds de soutien à la contribution audiovisuelle notamment pour ce qui concerne la médiatisation du sport féminin. En définissant précisément des objectifs qualitatifs, nous pouvons ainsi orienter davantage l’employabilité des fonds et le financement des projets.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Continuez-vous tous deux à évoluer au sein du mouvement sportif ?
M. Pierre-Alain Raphan. Je reste investi auprès d’un club de taekwondo, mais plus de la fédération.
M. Cédric Roussel. Je n’ai jamais eu de responsabilités au sein du mouvement sportif. En revanche, je suis membre du XV Parlementaire, c’est-à-dire de l’équipe de France parlementaire de rugby. Pour ce qui concerne ma fonction professionnelle actuelle, j’ai été nommé en novembre 2022 délégué ministériel à l’économie du sport auprès de Bruno Le Maire au ministère de l’économie et des finances. C’est en soi une forme de continuité de mon implication dans l’animation des sujets relatifs à l’économie du sport, en interaction avec tous les acteurs.
La commission auditionne M. Ludovic Royé, président de l’Association des directeurs et directrices techniques nationaux (AsDTN).
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent M. Ludovic Royé, président de l’Association des directeurs et directrices techniques nationaux (AsDTN). Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions, monsieur Royé.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gestion financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.
Avant d’en venir aux questions, pourriez-vous nous présenter brièvement l’association que vous présidez, sa vision et les positions qu’elle défend sur les sujets qui intéressent notre commission d’enquête ? Pourriez-vous revenir sur le rôle et les missions des directeurs techniques nationaux (DTN) dans la prévention, le signalement et la mise en œuvre d’une réponse aux dysfonctionnements, en particulier dans le champ des violences sexistes et sexuelles (VSS), des discriminations, du racisme et des atteintes à la probité ? Le cadre existant vous paraît-il adapté ou doit-il être révisé ?
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Ludovic Royé prête serment.)
M. Ludovic Royé, président de l’Association des directeurs et directrices techniques nationaux (AsDTN). Je vous remercie tout d’abord de bien vouloir auditionner l’Association des directeurs et directrices techniques nationaux. Nous n’avons pas forcément l’habitude de pouvoir nous exprimer devant la représentation nationale. L’AsDTN est une petite association professionnelle qui existe depuis une quarantaine d’années. Elle regroupait initialement l’ensemble des directeurs et directrices techniques nationaux en activité.
Nous avons fait le choix depuis peu de nous ouvrir à deux autres collèges, notamment aux anciens collègues qui ont pu exercer cette mission. Un troisième collège est l’encadrement supérieur du sport. Il s’agit d’autres personnes qui n’ont pas nécessairement exercé la fonction de DTN, mais qui peuvent contribuer à nos réflexions.
L’AsDTN s’est attribué trois missions principales. La première est une mission de soutien et d’entraide entre personnes qui exercent le difficile métier de DTN. La deuxième est une mission de partage et de collaboration sur les différents sujets de notre métier. La troisième est une mission de participation aux débats publics et à la bonne administration dans le champ du sport. Nous avons cette ambition et cette envie. C’est notre vocation que d’essayer de faire en sorte que les choses évoluent dans le bon sens, tout en restant nous-mêmes à notre place.
Les directeurs et directrices techniques nationaux sont aujourd’hui au nombre de soixante-cinq. La plupart d’entre eux sont des agents publics rattachés à l’administration centrale, qui exercent auprès des fédérations un certain nombre de missions prévues par le code du sport. Il leur est confié un rôle de représentant de l’État auprès des fédérations délégataires de prérogatives de puissance publique.
Par rapport aux trois items qui concernent votre commission d’enquête, je vous propose de commencer par les problématiques de gouvernance. Le sujet nous intéresse énormément puisqu’il permet de replacer le rôle de chaque acteur dans l’écosystème. Il est important de rappeler d’où l’on vient pour comprendre où l’on va. C’est sous l’impulsion de l’État, puis des collectivités publiques dans leur ensemble, que le sport s’est structuré à partir d’une profonde mutation depuis les années 1950.
C’est vraiment ce leadership assumé de l’État, qui a été visionnaire et militant à l’époque, qui a permis à notre écosystème sportif national de se développer, de se transformer et de devenir aujourd’hui, si j’en crois mes homologues étrangers, une référence sur la scène internationale. Néanmoins, transposées à notre écosystème actuel, les recettes appliquées dans les années 1950 pourraient très rapidement paraître complètement dépassées. Les acteurs sont plus nombreux, notre paysage institutionnel est plus complexe, les collectivités locales ont pris une place nouvelle dans notre pays et le sport est devenu un secteur économique non négligeable.
Dans une société qu’on pourrait considérer comme fragmentée, le sport est également un puissant facteur de cohésion sociale. Il a pris une place majeure au sein de notre nation. Ces dernières années, on a vu émerger la notion fondatrice de gouvernance partagée. Dans le champ sportif, on est bien évidemment favorable à l’idée que la décision doit être collective pour être meilleure. Cela dit, au niveau local, là où les gens pratiquent, les présidents de club n’ont pas attendu cette notion pour réussir à évoluer dans leur écosystème avec l’ensemble des acteurs.
Dans le cadre de cette gouvernance partagée, l’État avait vocation à se mettre en retrait afin d’être moins présent. Il devait en tout cas partager un certain nombre de ses prérogatives avec d’autres acteurs. L’olympiade de Tokyo 2020 aura marqué une profonde rupture d’équilibre pour le sport français, et la crise sanitaire a amplifié les choses. Loin de la vision de ceux qui pouvaient avoir envie que l’État soit moins présent, j’ai l’impression que ce dernier a repris sa place et son leadership dans cet écosystème.
Pour moi, le sport n’appartient pas à un acteur public ou privé, ni aux fédérations ni aux acteurs économiques du sport. Le sport est selon moi un fait social total. Étant donné qu’il appartient aussi à la nation, nous militons pour que le leadership sur le sport ne puisse pas être délégué et que l’État continue à avoir un rôle central dans cette gouvernance partagée.
Le rôle des DTN dépend de la relation que l’État souhaite avoir avec les fédérations. Le champ d’intervention d’un DTN ne dépend que de la mission qui lui est confiée par le ministère. Nous agissons dans ce cadre-là. C’est la raison pour laquelle j’insiste sur l’importance du leadership de l’État au sein de cet écosystème.
Vous vous demandez s’il faut rester sur un statu quo ou si des évolutions sont possibles. Si j’avais une mesure à proposer, ce serait de décorréler le temps politique du temps technique, car les DTN voient leurs missions d’agent technique totalement synchronisées avec le mandat politique d’un président ou d’une association.
Lorsqu’un ministre est nommé, le directeur de cabinet change immédiatement. C’est vraiment l’échelon politique. Par contre, le directeur de l’administration centrale reste généralement plusieurs mois pour gérer la transition. Il assume la continuité de l’action de l’État dans le périmètre ministériel concerné. On pourrait imaginer avoir exactement la même chose afin d’éviter un lien politique trop fort entre des agents de l’État et des présidents de fédération démocratiquement élus.
Si j’avais un vœu, ce serait de continuer à travailler sur l’autonomie forte des fédérations. Attention ! Je parle bien d’autonomie, et non d’indépendance. Chaque fédération doit être autonome mais l’État a un rôle à jouer. À partir du moment où vous êtes détenteur de prérogatives de puissance publique, vous agissez au nom de l’État, ce qui suppose que vous sachiez exactement ce qui est attendu de vous. Les contrats de délégation constituent donc une première évolution.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelle est selon vous la différence entre autonomie et indépendance ?
M. Ludovic Royé. Lorsqu’on est indépendant, on n’a pas de comptes à rendre. On agit dans le cadre qui est fixé. Lorsqu’on est autonome, on a une liberté d’action dans un cadre qui est défini, mais on rend des comptes. C’est la raison pour laquelle les contrats de délégation sont selon moi une bonne évolution. Dans le cas d’opérateurs publics classiques, on parlerait de dialogue de gestion.
Il ressort des premières revues de contrats de délégation que ce dialogue de gestion est apprécié par tout le monde. Pour autant, ce n’est pas systématiquement consensuel. Il peut y avoir des désaccords et des débats, voire des reproches. Toujours est-il que l’on dispose d’un espace de discussion et de justification de l’utilisation des prérogatives de puissance publique que l’État a confiées à un opérateur privé.
Vous avez évoqué les défaillances dans les fédérations. Il y a un certain nombre d’épiphénomènes. Il est important de rappeler que les choses fonctionnent plutôt bien dans la grande majorité des fédérations. La grande majorité des présidents sont de vrais bénévoles militants. Néanmoins, il arrive parfois qu’on puisse constater des défaillances. Sont-elles systémiques ? Chacun peut avoir son avis sur ce point. Quel peut être le rôle de l’État face à ce constat ? Je pense qu’un interventionnisme précoce est préférable au traitement a posteriori d’une crise déclarée. Le leadership affirmé de l’État est selon moi l’un des gages de bon fonctionnement de notre vie associative nationale.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous constaté vous-même des défaillances au sein de fédérations ?
M. Ludovic Royé. Je vais citer un exemple qui est presque caricatural. Une élection a été annulée au sein d’une fédération parce que les grands électeurs n’avaient pas été élus de manière régulière. Le juge a annulé l’élection. C’est une défaillance puisque cela vient complètement déstabiliser le système. Cela traduit aussi un manque de maturité qui aurait peut-être pu être anticipé. C’est le genre de point que nous avons évoqué avec notre administration.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. De quelle fédération parlez-vous ?
M. Ludovic Royé. Je parle de la fédération de taekwondo. C’est un exemple parmi d’autres. En général, les difficultés que les fédérations peuvent rencontrer sortent dans la presse. D’ailleurs, je ne suis pas sûr qu’on les découvre. Il y a des signaux avant-coureurs. Nous devons nous interroger sur notre capacité à interagir avec la fédération en question pour éviter qu’elle aille trop loin dans ses difficultés.
Le deuxième item est celui des violences sexistes et sexuelles. Il y a eu un avant et un après 2020. Même si l’on peut s’en réjouir, ça ne signifie pas pour autant qu’il n’y avait rien avant. En tout cas, à mon avis, ce n’est pas assez et ce n’est pas partout. Cette prise de conscience collective a fait l’objet d’un portage ministériel très fort. La ministre Roxana Maracineanu a selon moi fait le bon choix, dans le sens où il n’était clairement plus question de laisser ce sujet sous le tapis.
En nommant Fabienne Bourdais, je pense qu’elle a également choisi la bonne personne pour prendre ce sujet à bras-le-corps. En outre, le choix du modèle qui est intervenu à ce moment-là était le bon. L’État a réagi à cette crise en faisant preuve d’un leadership très fort et en s’appuyant sur les fédérations pour la mise en œuvre opérationnelle. Sans ce leadership de l’État, nous n’aurions pas pu passer ce cap aussi rapidement.
Cela ne signifie pas pour autant que tous les problèmes ont été réglés. On apprend en marchant, ce qui nous amène parfois à faire des erreurs. Même s’il y a des choses que nous faisons bien, ce sont plutôt les erreurs qui sont pointées. J’ai pu entendre un certain nombre de victimes, qui sont marquées. C’est tout à fait compréhensible. Néanmoins, je pense que les choses ont évolué dans le bon sens sous différents aspects.
Il y a en premier lieu la question de la libération de la parole. Aujourd’hui, on en parle beaucoup. Plus on en parle, plus cela aide à libérer la parole. Sur ce type de violence, le plus difficile est que le sujet sorte. Il peut ensuite être traité.
Le deuxième sujet est la question du recueil de la parole. Nous avons appris à le faire, même s’il y avait auparavant des associations spécialisées. Il faut préciser que les fédérations sportives ne sont pas spécialisées dans le recueil de la parole. Elles ont donc parfois pu être mises en difficulté.
Le troisième sujet, qui n’est pas anodin, est de faire vivre trois procédures en parallèle : la procédure fédérale, la procédure administrative et la procédure judiciaire. Je fais notamment allusion à l’article 40 du code de procédure pénale. Le modèle actuel est selon moi transitoire. Je pense qu’il faut évoluer. On pourrait suivre l’exemple du chemin parcouru dans la lutte contre le dopage. Il y a eu une situation de crise, puis une prise de conscience collective. Cette crise-là a été marquée par un leadership fort de l’État ainsi que de la ministre de l’époque. L’ensemble du dispositif a été mis en marche en s’appuyant beaucoup sur les fédérations. Il a ensuite été créé une autorité indépendante, dont c’est devenu le métier, l’ADN et la compétence.
En ce qui concerne le recueil de la parole, certains préconisent de continuer à travailler avec les associations spécialisées. Pourquoi ne pas envisager d’avoir demain une autorité indépendante pour traiter le recueil de la parole, qualifier les situations remontées, gérer les problématiques d’information auprès des fédérations et permettre une meilleure coordination entre procédures administratives et procédures judiciaires ?
Aujourd’hui, pour répondre à une situation d’urgence, la procédure la plus rapide en termes de délais est souvent la procédure fédérale. Un exécutif fédéral a la capacité de prendre des mesures conservatoires et de convoquer quelqu’un en commission de discipline sous deux mois. Il n’en reste pas moins que les mesures coercitives qui peuvent être prises restent dans le périmètre exclusif d’une fédération. Le problème, c’est qu’un prédateur identifié à un endroit va nécessairement se déplacer vers un autre endroit.
La deuxième procédure la plus rapide est la procédure administrative. Les services de l’État, notamment par l’intermédiaire des préfets, peuvent prendre des mesures coercitives assez rapidement.
La procédure la plus longue, sur laquelle on a le moins de collaboration – peut-être pour de bonnes raisons –, est la procédure judiciaire. Elle peut amener à des décalages de compréhension dans la manière de traiter le sujet. La procédure judiciaire mobilise des pouvoirs d’enquête et de police, tandis que la procédure fédérale se limite au recueil de la parole des uns et des autres.
En ce qui concerne les lacunes actuelles, recueillir la parole est selon moi un vrai métier. Dans l’urgence, les fédérations se sont parfois appuyées sur des bénévoles, des salariés de droit privé ou des cadres techniques. Même si ces derniers sont des agents de l’État qui ont été recrutés avec certaines compétences, ils ne sont pas spécialisés sur le recueil de la parole des victimes, qui ont souvent vécu des choses qui sont particulièrement traumatisantes.
La libération de la parole est quelque chose de positif. Néanmoins, elle entraîne aujourd’hui certaines dérives que je pourrais qualifier de « dénis de service ». On se rend compte que les cellules « stop violence » internes aux fédérations sont parfois utilisées pour gérer des conflits interpersonnels, ce qui n’a rien à voir avec les violences identifiées initialement, ou des problèmes de vie associative internes à une structure. Cet afflux de cas qui ne correspondent pas à l’objet initial de tout ce processus peut entraîner des délais de réponse plus longs et une attention moindre, voire insuffisante, à de vrais cas qui mériteraient pourtant toute leur attention.
Sur le troisième item, à savoir la lutte contre toutes les formes de discrimination, le premier des combats est engagé depuis bien longtemps. Il s’agit de la discrimination de genre. La dernière loi de gouvernance aura un impact sur le renouvellement des exécutifs fédéraux en 2024. Il reste néanmoins encore beaucoup de chemin à parcourir, notamment aux échelons régionaux et départementaux. Je pense que nous avons tout intérêt à aller plus loin. Cela requiert sans doute un certain nombre d’étapes nécessaires à la conduite de cette transformation de fond.
Pour toutes les autres formes de discrimination, il y a deux niveaux. La prévention est selon moi de la prérogative des fédérations. La dimension répressive nous renvoie à nouveau aux trois items : répression fédérale, administrative et judiciaire. Toujours est-il qu’un certain nombre de comportements ne sont plus acceptables dans le champ du sport.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il est bien que vous évoquiez la question du recueil de la parole des victimes. Une des difficultés dont nous ont fait part de nombreuses victimes, c’est l’absence de suivi, y compris après un signalement auprès de la fédération. Est‑ce par méconnaissance ou par manque de formation au recueil de la parole ? On ne prend peut-être pas l’ampleur du témoignage, qui mériterait pourtant que des procédures soient déclenchées. Dans certains cas, l’article 40 n’a pas été activé immédiatement.
Les fédérations ne sont pas forcément formées en la matière. Pourtant, il est demandé aux présidents et aux DTN de déclencher des procédures. Comment les DTN sont-ils formés ? Étant donné qu’il y a actuellement un empilement de dispositifs comme les cellules « stop violence » et Signal-Sports, nous aimerions comprendre le processus au sein d’une fédération. Comment les choses se passent-elles lorsqu’il y a un témoignage lié à un cas de VSS ou de racisme au sein d’une fédération sportive ou d’un club ?
M. Ludovic Royé. En janvier 2020, avant les grandes révélations, j’avais fait intervenir l’association Colosse aux pieds d’argile à l’occasion d’un colloque de cadres techniques. J’ai pour ma part une formation juridique, mais je constatais une méconnaissance et une absence de formation sur tous ces aspects, et en particulier sur l’article 40. Je leur disais : « Tout fonctionnaire qui a connaissance d’un délit ou d’un crime à l’obligation de le signaler, quel que soit son avis sur la véracité ou non des faits. Notre devoir est de le signaler au procureur de la République, qui se charge ensuite de l’investigation. »
Cette intervention a suscité beaucoup d’intérêt et de débats. Lorsque vous êtes cadre technique et fonctionnaire militant au sein d’une fédération, vous avez un engagement humaniste. Par conséquent, le sujet de personnes maltraitées éveille bien évidemment votre attention. À la sortie de cette présentation de deux heures, plusieurs de mes collaborateurs sont venus me voir en me disant : « Il faut que je te parle d’un sujet. » Cette problématique a résonné avec le passé, le parcours et le quotidien de nos agents.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La formation est-elle obligatoire dans votre cursus ?
M. Ludovic Royé. Non, pas du tout. Il n’y a pas de formation obligatoire sur l’article 40. Du moins, pas à ma connaissance. Cela ne fait pas partie des épreuves lors du concours. Je pense que c’est quelque chose qu’il faut vivre et incarner pour comprendre ce dont il s’agit. En revanche, depuis 2020, il y a eu un véritable saut qualitatif en termes de connaissance de l’article 40. Si vous trouvez un seul cadre technique qui ne connaît pas l’article 40, c’est qu’il est resté enfermé dans sa grotte.
Sur la question de savoir comment les choses se passent dans les fédérations, on a appris en marchant. Il y a donc eu des erreurs. Pour ma part, j’ai reçu des signalements directement. À l’époque, nous ne nous étions pas encore organisés en interne. Nous ne sommes pas forcément préparés à la lecture des témoignages des victimes. Dans certains cas, cela a effectivement pu être déstabilisant et on ne savait pas comment fonctionner. Néanmoins, je pense que les choses se sont à ce jour structurées dans la grande majorité des fédérations.
Au début, dans notre fédération, il y a eu un grand mélange des genres entre les procédures disciplinaires en interne, qui respectent le principe du contradictoire, et la procédure « stop violence », qui pouvait entraîner une décision politique temporaire avec des mesures conservatoires. Le premier niveau de maturité que nous avons pu avoir en interne a été : « Je reçois un signalement et je veux le traiter moi-même. » Un président de fédération ou un DTN ne traite pas forcément un tel cas lui-même. Le deuxième niveau de maturité a été : « Je suis président de fédération ou DTN et je reçois un signalement de ce type. J’oriente la personne vers les procédures en interne, notamment les procédures disciplinaires et la cellule d’écoute. » Pour autant, il y avait un grand mélange des genres. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un troisième niveau de maturité. Il y a une séparation entre la partie liée à l’écoute et le signalement, effectué auprès de Signal-sports ou du procureur de la République, et la procédure disciplinaire.
Nous avons clairement amélioré nos procédures internes. Nous avons véritablement appris et gagné en compétence. Cela permet d’éviter les vices de forme qu’on peut parfois rencontrer dans des procédures disciplinaires. Les avocats invoquaient souvent le fait que les droits de la défense n’avaient pas été respectés pour demander une annulation de la décision.
Entre l’hiver 2020 et l’automne 2023, nous avons progressivement bordé nos procédures internes. En revanche, il reste une faiblesse en termes de collaboration entre les procédures internes aux fédérations et les procédures administratives qui sont portées par les services préfectoraux, sur lesquelles nous n’avons pas toujours les informations, peut-être pour de bonnes raisons. Dans les enquêtes judiciaires, nous sommes auditionnés tout comme d’autres pour permettre au procureur de la République ou au juge de constituer le dossier.
Cela constitue vraiment la principale limite aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle je parlais tout à l’heure d’une autorité indépendante. On pourrait imaginer que la collaboration entre une autorité indépendante et les services de la justice se trouverait facilitée par des habitudes de travail en commun. Nous le voyons en matière de lutte contre le dopage : la grande collaboration que nous constatons aujourd’hui n’existait pas auparavant. Il pourrait être envisagé d’avoir demain le même niveau de maturité et de collaboration entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire dans la lutte contre les violences.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais évoquer la relation des DTN avec l’Agence nationale du sport (ANS). Nous avons cru comprendre qu’il y avait une difficulté de fonctionnement au sein de l’ANS. Pourriez-vous nous en dire davantage ? Quel est votre rôle et comment travaillez-vous avec cette agence ?
M. Ludovic Royé. La création de l’ANS n’a pas fait consensus. Notre association professionnelle considérait que ce n’était pas la bonne solution. Cela étant, le législateur a fait le choix de créer ce groupement d’intérêt public (GIP). En tant qu’agents de l’État, nous avons appris à travailler avec cette agence, qui revêt deux dimensions : la partie développement et la partie haute performance. Les modes opératoires ne sont pas exactement les mêmes.
Nous avons appris à fonctionner en marchant. Je ne veux pas dire que c’est un long fleuve tranquille : il y a parfois des tiraillements. Aujourd’hui, à neuf mois des Jeux olympiques et onze mois des Jeux paralympiques, nous nous devons de travailler ensemble et de nous focaliser sur l’objectif. Nous envisagerons ensuite le temps du bilan. Je pense que l’ensemble des acteurs, y compris les membres fondateurs de l’ANS, a intérêt à faire un vrai bilan de cette période. Plutôt que de revenir en arrière pour supprimer des choses, il s’agit davantage de poursuivre dans la continuité. Quoi qu’il en soit, nous serons volontaires pour dresser ce bilan à l’issue des Jeux olympiques et paralympiques.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous comprenons que tout le monde est obligé de collaborer dans la perspective des Jeux olympiques. Nous avions quelques interrogations sur la haute performance. Lors de l’audition de l’ANS, nous avions demandé quels étaient les critères de sélection pour les sportifs intégrés au cercle de haute performance. Lors des Jeux olympiques de Tokyo, une dizaine d’athlètes avaient été médaillés en dehors de ce cercle.
C’est justement votre regard de DTN sur ces critères de sélection et ce fonctionnement qui nous intéresse. Il ne doit pas y avoir de trous dans la raquette. Tous les sportifs qui méritent d’évoluer au sein du cercle de la haute performance doivent y être dès le départ.
M. Ludovic Royé. La première des choses, c’est qu’il n’avait jamais été mis autant d’argent sur la haute performance que dans le cadre de la préparation de ces Jeux olympiques et paralympiques. Les parlementaires nous ont attribué des budgets que nous n’avions jamais obtenus jusqu’alors. Ce n’est certes pas stratosphérique par rapport à d’autres politiques publiques, mais nos moyens sont clairement en croissance. Cela ne signifie pas pour autant que des moyens supplémentaires ne seraient pas nécessaires. Si vous avez la possibilité d’accompagner encore davantage le projet de performance des fédérations dans la perspective de Paris 2024, je ne peux que vous y encourager.
En revanche, l’utilisation et le ciblage de ces moyens restent perfectibles. À titre personnel, cette volonté d’un meilleur ciblage, d’une meilleure efficacité et d’une meilleure efficience de la dépense publique par rapport à la performance pour 2024 me paraît une très bonne chose. Il faut préparer demain. La richesse de l’écosystème sportif français est d’avoir un ensemble. Nous ne sommes pas UK Sport, qui ne cible que quelques sports et quelques personnes. Nous voulons faire de la France une nation sportive. Par conséquent, on ne peut pas manquer un seul pratiquant.
C’est la même chose en ce qui concerne la partie performance. On peut tout à fait avoir en même temps une approche généraliste et une approche ciblée et exigeante en termes de résultats. Je perçois le cercle de la haute performance comme une manière de mettre en avant cette volonté de reconnaître ceux qui gagnent. On parle souvent de potentiel de médaille, mais le seul qui vaille est celui qui est confirmé par un résultat.
Concernant la haute performance (HP), on est clairement sur une obligation de résultat et non une obligation de moyens. C’est vraiment un marqueur différenciant de cette politique publique. Est-ce que 100 % des athlètes du cercle HP vont gagner des médailles ? Non. Est-ce que 100 % des athlètes médaillés seront dans le cercle HP ? Non. La performance n’est pas une science exacte – sinon, il ne serait pas nécessaire que des compétitions se tiennent : on connaîtrait alors les résultats à l’avance, ce qui rendrait le sport beaucoup moins intéressant.
Le décalage entre les athlètes médaillés et ceux qui font partie du cercle HP n’est pas selon moi un élément déterminant. Il s’agit de reconnaître ceux qui réussissent et de mieux cibler les moyens là où on a la possibilité de gagner des médailles pour la France.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mme Caroline Pascal, cheffe de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, nous a dit que l’inspection avait régulièrement pointé le problème qui peut exister lorsque le directeur technique national, qui est un agent de l’État, est le directeur général des services (DGS) ou le directeur général d’une fédération. Ces deux fonctions sont parfois occupées par la même personne. Cela ne lui paraît pas souhaitable. Il est important que le DTN conserve un regard qui est celui de l’État avec une fonction interne, presque de contrôle, alors que le DGS est plus impliqué dans la politique menée par la fédération.
Par ailleurs, dans votre entretien au journal Jurisportiva, vous mentionnez le fait que le DTN de la Fédération française de canoë a toujours été un kayakiste. Vous ajoutez que vous aimeriez que le poste soit prochainement occupé par une personne venant de l’extérieur. Pour quelles raisons ?
M. Ludovic Royé. Je connais la position de l’inspection générale sur ce sujet. J’en comprends aussi les motivations, même si je ne les partage pas complètement. Étant donné que je changerai de mission après 2024, je ne le dis vraiment pas par volonté de garder ma situation. Est-ce que le DTN doit être également DG ? Doit-il être en charge de la formation ? Doit-il être directeur de la performance ? En fait, cela dépend de deux choses.
Premièrement, de la réalité de chaque fédération. D’ailleurs, l’une des difficultés pour définir le métier de DTN est qu’il y a autant de types de DTN que de fédérations. Non pas qu’il y ait une hiérarchie entre les fédérations, mais elles n’ont ni la même histoire ni la même vocation. Cela explique qu’elles n’aient pas la même organisation et que les DTN puissent avoir des rôles différents.
Deuxièmement, de la relation que l’État souhaite avoir avec telle ou telle fédération. C’est ce qui détermine le périmètre de mission de l’agent de l’État qu’est le DTN. On pourrait très bien imaginer un dialogue entre le président, qui a une vision organisationnelle en interne, et la direction des sports. D’ailleurs, c’est ce qui se fait. Cette dernière pourrait dire : « Pour votre fédération, on voit plutôt tel profil. » De la même manière, le président pourrait dire : « Pour ma fédération, je vois plutôt tel profil. » C’est de cette discussion-là que peut émerger le fait de savoir si le DTN doit être un spécialiste de la formation, de la performance, ou un administrateur du sport.
Le cumul des fonctions de DTN et de DG relève toujours d’une demande des présidents. Les présidents qui le demandent sont ceux qui souhaitent établir un lien très fort entre la fédération délégataire et l’État. Ce ne sont jamais des présidents qui considèrent que « plus l’État est loin, mieux c’est ». À titre personnel, je trouve que c’est plutôt une force que de travailler en très grande proximité avec l’État.
Par contre, l’inspection générale a raison sur le fait qu’il ne faut pas confondre les rôles. Il y a effectivement un enjeu de déontologie et d’indépendance vis-à-vis de la fédération. Il s’agit de créer les conditions pour que cette indépendance vis-à-vis du pouvoir politique fédéral soit effective. Le ministère peut poser un certain nombre de garde-fous en la matière.
Pour vous citer un exemple, on pourrait imaginer une autorisation de cumul d’activité. Dans ce cas, le DTN-DG relève d’une chaîne hiérarchique directe avec le président. Si je prends ma situation, je suis DTN-DG et je n’ai pas d’autorisation de cumul. Je n’ai pas non plus de rémunération de directeur général. En revanche, j’ai une délégation de pouvoir, comme la plupart des DTN qui sont uniquement DTN. Il s’agit de définir les pouvoirs conférés par le président. Il n’en reste pas moins que j’ai une seule autorité hiérarchique : la directrice des sports et la ministre. Je pense pouvoir dire que cette répartition des rôles est plutôt bien vécue. C’est là où je rejoins l’inspection générale. Il faut bien mettre des garde-fous pour éviter des conflits d’intérêts et des confusions de rôles.
En ce qui concerne l’interview à laquelle vous faites allusion, il est vrai que le DTN du canoë-kayak a toujours été DG. Il a toujours été issu de ce sport. Nous avons mené une transformation très forte de cette fédération lors des deux dernières olympiades. Le moment est peut-être venu de prendre quelqu’un de l’extérieur pour amener du sang neuf et une vision nouvelle. Il n’est jamais très bon d’être trop consanguin.
D’ailleurs, on pourrait très bien imaginer que l’État dise demain à une fédération : « Voilà plusieurs olympiades que vous n’avez que des gens qui sont issus de votre sport. Nous considérons aujourd’hui qu’il pourrait être bien d’avoir une personne en provenance d’un autre horizon, y compris ministériel. »
Compte tenu des fonctions de DTN, on pourrait envisager qu’un attaché d’administration puisse venir de tel ou tel ministère. Il pourrait apporter une nouvelle vision. Cela pourrait également être un attaché territorial. En fonction de la structure, du projet et de la physionomie de la fédération, un tel profil pourrait être intéressant. Ses connaissances pourraient contribuer à mener la fédération vers certaines politiques publiques. C’est dans ce cadre-là que j’ai tenu ces propos.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En ce qui concerne les rôles de chacun, j’avais cru comprendre qu’un DTN auprès d’une fédération devait attendre trois ans avant de se présenter à la présidence de cette même fédération. Est-ce le cas ?
M. Ludovic Royé. Non, cette limite n’existe pas. En revanche, un conseiller technique sportif ne peut pas faire partie d’un exécutif fédéral. À ma connaissance, les collègues qui sont passés d’une mission de DTN à la fonction élective de président de fédération se sont toujours mis en retrait de leur fonction de DTN avant de s’engager politiquement, et c’est une bonne chose.
La séance s’achève à seize heures.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, M. Stéphane Mazars, M. François Piquemal, Mme Sabrina Sebaihi