Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public
– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Luc Rougé, directeur du développement international de la Fédération internationale de judo et ancien président de la Fédération française de judo, jujitsu et disciplines associées (FFJDA) 2
– Présences en réunion................................23
Jeudi
19 octobre 2023
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 29
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Sabrina Sebaihi,
Rapporteure
— 1 —
La séance est ouverte à quatorze heures.
La commission auditionne M. Jean-Luc Rougé, directeur du développement international de la Fédération internationale de judo et ancien président de la Fédération française de judo, jujitsu et disciplines associées (FFJDA.)
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous accueillons M. Jean-Luc Rougé, directeur du développement international de la Fédération internationale de judo et ancien président de la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées (FFJDA).
Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet 2023. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.
Ancien judoka professionnel, vous avez exercé des fonctions à la direction technique nationale de la Fédération française de judo, tout d’abord en tant que directeur technique adjoint de 1980 à 1986, puis en tant que directeur technique national jusqu’en 1997. Vous avez été élu président de la Fédération française de judo en 2005 et réélu à ce poste à plusieurs reprises avant d’être battu aux élections fédérales de 2020.
Votre gestion de la Fédération française de judo a fait l’objet de critiques à la suite de votre départ. Depuis une vingtaine d’années, le judo français est secoué par des accusations émanant de victimes ou d’enquêtes journalistiques. Ces dénonciations ont souvent trait à des violences, qu’elles soient physiques, psychologiques et sexuelles.
Nous souhaiterions revenir sur les faits dont vous avez eu connaissance au cours de votre parcours, en lien avec le périmètre de notre commission d’enquête, et les réponses que vous y avez apportées, ou pas.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Jean-Luc Rougé prête serment.)
M. Jean-Luc Rougé, directeur du développement international de la Fédération internationale de judo. Je ne connaissais pas du tout le sujet et je crois qu’il est excessivement large.
J’exerce en effet des fonctions au sein de la Fédération depuis 1972. Nous avons bien entendu rencontré des problèmes de violence. Nous sommes un demi-million de licenciés et, parmi nos licenciés et nos dirigeants, certaines personnes ne sont pas telles que nous le souhaiterions.
Nous avons traité toutes les affaires dont nous avons eu connaissance. Dans le cadre de la dernière campagne électorale, que j’ai perdue, il y a eu un déchaînement dans les médias, qui s’est éteint ensuite, puisque je n’en ai plus entendu parler. Je n’ai pas été un très bon candidat puisque je n’ai pas vraiment fait campagne.
Sur les finances, je ne vois pas à quoi vous faites allusion. Merci de bien vouloir me le préciser. En ce qui concerne la gouvernance, je ne vois pas non plus très bien ce à quoi vous faites allusion.
Plusieurs cas de violence ont été traités au sein de la fédération internationale. J’ai créé des systèmes d’alerte et des personnes ont été formées par le Comité international olympique (CIO) pour lutter contre ces violences. J’en suis tout à fait conscient et j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, mais des erreurs ont pu être commises. Je vous demande de les citer, car votre propos est tellement large que je ne sais pas quoi répondre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous indiquez que vous ne connaissiez pas du tout le sujet. Parlez-vous du périmètre de la commission d’enquête ou des sujets que nous souhaitons aborder avec vous ?
M. Jean-Luc Rougé. Je ne sais pas exactement. J’ai lu qu’il s’agissait des organismes de gouvernance du monde sportif, d’une manière globale. Je viens avec plaisir, bien sûr.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous réalisons des travaux en lien avec cette commission d’enquête depuis plusieurs mois.
M. Jean-Luc Rougé. Je ne travaille plus du tout au niveau national, mais à l’international depuis maintenant trois ou quatre ans et je ne suis pas du tout les affaires. Au niveau de la Fédération française, je n’ai accès à aucun dossier.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Certes, mais lorsque vous étiez dirigeant de la Fédération, vous avez eu à traiter certains cas.
M. Jean-Luc Rougé. Bien sûr.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous pourriez peut-être revenir sur ces cas précisément. Ces affaires avaient fait la une des médias et vous avez même employé le terme de « déchaînement » avant l’élection. Entendez-vous par là que ces affaires n’étaient pas justifiées et qu’elles auraient été simplement médiatisées au moment de l’élection ?
M. Jean-Luc Rougé. C’est effectivement le cas puisqu’ensuite, je n’en ai plus entendu parler. Si des affaires avaient été portées devant la justice, j’en aurais eu connaissance. Il est vrai que j’ai traité des affaires. J’ai même eu des victimes au téléphone. J’ai essayé de régler des problèmes, en particulier dans le Nord.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment avez-vous réglé ces problèmes ?
M. Jean-Luc Rougé. En mettant en place une commission de discipline, si nécessaire. Pendant la semaine des élections, une dénonciation avait été portée sur mon site web de campagne. Je m’étais donc rendu à la police au mois de novembre pour dénoncer les quatre personnes qui m’avaient été signalées. L’affaire a donc été suivie, mais je n’ai aucune information depuis. J’ai été confronté à des affaires de violences sportives, en particulier avec un des entraîneurs. Le directeur technique national (DTN) de l’époque, M. Fabien Canu, actuel directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), était chargé de l’affaire. L’entraîneur a changé de mission.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous allons vous demander d’être plus précis sur les affaires dont il est question. Pourriez-vous nous préciser le nombre d’affaires et le nombre de signalements ? Ces signalements ont-ils fait l’objet d’un déclenchement de l’article 40 du code de procédure pénale lorsque cela était nécessaire ? L’entraîneur dont il est question a certes changé de poste, mais a-t-il été sanctionné ?
M. Jean-Luc Rougé. Si l’entraîneur est un cadre technique, il est fonctionnaire d’État et dépend du directeur technique national. L’entraîneur auquel je fais allusion, Yves Delvingt, a été sanctionné par le DTN qui s’est occupé du dossier et l’a changé de poste. Des signalements ont été faits dans le Nord. Ces histoires datent de presque vingt ans et je n’arriverai pas à me souvenir des noms. J’ai informé le DTN qui a lancé une commission d’enquête.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces signalements concernaient-ils des violences sexuelles ou des violences physiques ?
M. Jean-Luc Rougé. Concernant Yves Delvingt, il s’agissait de violences physiques. Je ne me souviens plus du nom des autres cadres techniques. Si vous avez des noms à me communiquer, cela m’arrangerait, car je ne savais pas du tout que j’étais auditionné sur ce point. J’étais président de la Fédération et je gérais de nombreux dossiers. Je vous conseille de rencontrer mon secrétaire général qui a suivi toutes les affaires.
S’agissant des affaires concernant des cadres techniques, M. Patrick Lacombe est monté dans le Nord suite à une dénonciation. La personne vivait dans le même foyer qu’une jeune fille mineure avec le consentement des parents. Le directeur régional en a été informé, mais il n’y a eu aucune suite.
Aujourd’hui, je n’ai plus les dossiers. Ces affaires sont très anciennes et je ne suis pas en mesure de vous répondre très précisément.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces affaires sont peut-être très anciennes, mais l’objectif de notre commission d’enquête est justement d’identifier les failles et les dysfonctionnements au sein de fédérations sportives notamment, qui conduisent à des affaires qui n’ont pas été traitées à la hauteur de ce qu’elles auraient dû être.
En l’occurrence, la Fédération a souvent été l’objet de l’attention des médias pour des affaires difficiles. Nous avons eu l’occasion ici même d’auditionner d’anciens ou actuels athlètes du judo. Plus de trente personnes ont témoigné sur ce qu’elles ont vécu au sein de la Fédération à l’époque où vous étiez président. C’est pour cette raison que nous avons souhaité vous entendre.
Je m’interroge, car cette commission d’enquête est en cours depuis maintenant plusieurs semaines.
M. Jean-Luc Rougé. Je l’ignorais. Si vous me donnez des noms, j’arriverai peut-être à les retrouver.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Par ailleurs, avec la convocation, nous vous avons envoyé l’intitulé exact de la commission d’enquête ainsi qu’un lien qui vous renvoyait sur le site de l’Assemblée nationale où vous pouviez visionner toutes les auditions réalisées.
M. Jean-Luc Rougé. Je pense avoir traité correctement les affaires.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Puisque vous nous demandez des noms, je vais vous donner des exemples précis car nous avons reçu plusieurs victimes dans le cadre de cette commission d’enquête.
Mme Marie David nous a indiqué avoir été victime de violences psychologiques et sexuelles à l’âge de dix-huit ans, alors qu’elle était judokate au sein d’un pôle espoirs. Lorsqu’elle a réussi à en parler, à l’âge de vingt ans, elle affirme en avoir été exclue. La gouvernance de la Fédération de l’époque – la vôtre, donc – lui aurait expliqué qu’il ne lui appartenait pas de traiter du cas des trois entraîneurs mis en cause, ceux-ci étant cadres d’État. Confirmez-vous ces propos ?
M. Jean-Luc Rougé. Était-ce en Bretagne ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu plusieurs affaires où une judokate aurait mis en cause trois entraîneurs ?
M. Jean-Luc Rougé. Dans mes souvenirs, il ne s’agissait pas de trois entraîneurs, mais de trois cadres techniques.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En effet, ces trois entraîneurs étaient cadres techniques.
M. Jean-Luc Rougé. Selon moi, il ne s’agissait non pas de trois, mais de deux cadres techniques. Le premier vient de décéder, Laurent Commanay. Je ne me souviens plus du nom du second.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Sans vouloir trouver leur nom, nous confirmez-vous que vous lui avez répondu que ce n’était pas à la Fédération de traiter le cas de ces entraîneurs mis en cause puisqu’ils étaient cadres d’État ?
M. Jean-Luc Rougé. Je ne m’en souviens pas du tout. Je ne me défausse pas, mais je ne traitais pas directement ce genre de dossiers. Je crois que cette affaire a été traitée par le directeur régional, responsable des cadres techniques.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne vous souvenez peut-être pas de ce qui a été répondu à Marie David, mais vous étiez visiblement informé en tant que président de la Fédération. Qu’avez-vous mis en place au moment où vous avez été informé des violences psychologiques et sexuelles à l’égard de Marie David ?
M. Jean-Luc Rougé. L’affaire de Marie David n’est pas sortie tout de suite, mais longtemps après. Ensuite, il a fallu lancer une enquête. Le directeur technique national s’est rapproché du directeur régional, car le directeur technique national est le patron technique, alors que le directeur régional est le patron administratif. Il a été informé et a dit qu’il n’y avait rien à faire. C’est l’information qui m’a été donnée à l’époque. Bien sûr, je ne peux pas vous présenter de documents, car je ne les ai pas. Pour Marie David, s’agissait-il de Laurent Commanay ? Sinon, je raconte des histoires totalement fausses.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce n’est qu’à l’issue d’un témoignage de Marie David, en novembre 2020, dans Le Parisien – qui publiait un article sur les dérives dans le judo –, que la Fédération de judo a ouvert une enquête portant sur un seul des trois entraîneurs. Cela signifie qu’aucune enquête n’avait été ouverte avant que l’affaire ne soit médiatisée.
M. Jean-Luc Rougé. Je ne peux pas vous dire. Cela m’étonne vraiment. Mme David fait partie du groupe qui était contre moi. Il était donc normal qu’elle agisse ainsi dans le cadre de cette campagne électorale. Le Parisien a été à l’origine du déchaînement. C’est le secrétaire général qui traitait ce genre d’affaires. Lorsque j’étais secrétaire général de la Fédération internationale, je traitais les affaires de violence au niveau international. Je pense que ce dossier a été suivi correctement.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dites qu’elle fait partie d’un groupe qui était contre vous au moment des élections. Considérez-vous que ces accusations sont en lien avec l’élection de 2020 ?
M. Jean-Luc Rougé. Peut-être. Le président de la Fédération ne peut pas ouvrir d’enquête.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous étiez au moins informé.
M. Jean-Luc Rougé. Oui, j’ai été informé et j’ai désigné le directeur technique national pour qu’il suive l’affaire. C’est ce que j’ai toujours fait.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Yacine Ghediri nous a raconté avoir combattu avec un entraîneur pendant quinze minutes. L’entraîneur le faisait chuter aléatoirement sur le tapis ou en dehors. À l’époque des faits, sa mère avait souhaité rencontrer le président de la Ligue, mais elle n’a jamais reçu de nouvelles. Cela signifie-t-il que la Fédération faisait peu de cas des violences physiques ? En outre, M. Ghediri a déploré que les structures n’informaient pas suffisamment les sportifs. Je le cite : « Je ne savais pas que l’on pouvait porter plainte pour des violences ou saisir un organisme fédéral afin que l’entraîneur en cause soit interpellé, écarté ou sanctionné. »
Au cours de votre mandat, avez-vous fait en sorte que les sportifs soient plus informés ?
M. Jean-Luc Rougé. Oui, tout à fait. Nous avons créé un site de désignation anonyme des violences. Une personne était chargée du dossier. Moi-même, je n’avais pas accès au dossier et n’en étais pas informé. Je me souviens tout à fait de ces violences, puisque j’ai demandé à être reçu par Mme la ministre qui était un peu partie prenante dans la campagne électorale de mon concurrent. Quand il y a eu ce déchaînement dans Le Parisien, quatre affaires ont été menées. La ministre a affirmé ensuite qu’elle m’avait convoqué, mais c’est faux. J’avais demandé à un membre de son cabinet, Éric Journaux, de pouvoir rencontrer la ministre sur ce dossier. La ministre avait pris l’article et m’interrogeait sur les dossiers, les uns à la suite des autres. Je me souviens bien du premier, car il s’agissait d’Yves Delvingt, un athlète de ma génération, qui avait effectivement été excessif. Le DTN l’avait écarté et il avait changé de mission. Il est vrai qu’à cette époque, il n’existait pas de système d’alerte. Ils ont été mis en place deux ou trois ans avant mon départ.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En tant que président de la Fédération, vous deviez avoir connaissance des affaires puisqu’il vous revenait également de faire des signalements ou de déclencher la procédure prévue par l’article 40 du code de procédure pénale lorsque cela était nécessaire. Les différents témoignages que nous avons pu recevoir révèlent que les violences étaient très visibles à cette époque au sein de la Fédération de judo et que de très nombreuses personnes étaient informées.
Je cite un autre témoignage puisque vous nous avez demandé des noms. Mme Alexandra Soriano, qui a été victime, témoin et lanceuse d’alerte, nous a dit : « À l’occasion d’un stage en 2006, j’ai eu un entretien avec le président de la Fédération », vous-même, « qui m’a reçu dans sa chambre. Lorsque j’ai voulu parler des humiliations publiques, des violences physiques, du harcèlement, du bizutage, il a rapidement coupé court. Selon lui, j’étais trop jeune pour comprendre que certains actes étaient accomplis pour forger un mental. »
Confirmez-vous ces propos ?
M. Jean-Luc Rougé. Pourquoi l’aurais-je reçue dans ma chambre ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous l’ignorons. Je vous pose donc la question. Cette personne est venue témoigner sous serment dans le cadre de cette commission d’enquête.
M. Jean-Luc Rougé. J’ignore d’où vient cette fille.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Elle a été victime et témoin. Elle a relaté des violences physiques, harcèlements et bizutages.
M. Jean-Luc Rougé. Ce n’est vraiment pas mon genre. Je ne sais pas si vous avez suivi mon parcours. J’ai lutté contre les politiques qui voulaient légaliser la pratique des Mixed Martial Arts (MMA), car je suis contre toutes les violences. C’est vraiment surprenant. Je ne me sens pas capable du tout de tenir de tels propos.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je rappelle que vous êtes sous serment, comme elle l’a été.
M. Jean-Luc Rougé. J’entends bien.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Par conséquent, je vous demande de répondre à la question.
M. Jean-Luc Rougé. Premièrement, je n’ai pas souvenir d’avoir reçu une athlète dans ma chambre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vais vous demander de préciser, car ne pas avoir souvenir et affirmer ne jamais avoir reçu une athlète dans sa chambre sont deux choses différentes.
M. Jean-Luc Rougé. Si c’est dans un Centre de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps), nous sommes sur le pas de la porte. C’est possible, effectivement.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Elle nous a indiqué que l’entretien avait duré deux heures. Ce n’était donc pas sur le pas de la porte.
M. Jean-Luc Rougé. Je suis vraiment désolé, mais je n’en ai aucun souvenir. Je sais que je suis sous serment.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Alexandre Vel a également apporté un témoignage accablant. Je le cite : « Violences physiques, sexuelles, psychologiques, la ligue, qui représente la Fédération, ne vous écoute pas ». Comment expliquez-vous que la Fédération soit restée si imperméable aux accusations de violence ? Toutes ces personnes étaient athlètes ou occupaient d’autres postes. L’audition a duré près de quatre heures. Plus de trente personnes ont témoigné des violences physiques, psychologiques et sexuelles qu’elles ont vécues au sein de la Fédération. Elles nous ont indiqué par ailleurs que de nombreuses personnes étaient informées de ces violences. Vous-même en avez été informé à plusieurs reprises. Or aucune sanction n’a été prononcée et aucune enquête n’a été ouverte.
Nous vous demandons de répondre précisément sur ce point.
M. Jean-Luc Rougé. Je n’ai pas eu recours à l’article 40, à ma connaissance, sauf pour des dossiers financiers Je suis tout de même resté à la Fédération cinquante ans et je ne vois pas de quelles générations il s’agit.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les personnes auditionnées vivent encore très difficilement la situation et sont encore marquées dans leur vie actuelle par ce qu’elles ont vécu lorsqu’elles étaient athlètes à la fédération. Il est important que vous expliquiez la manière dont vous avez traité ces affaires.
M. Jean-Luc Rougé. Le judo est un sport de combat, et le sport de haut niveau est dur. Il faut se dépasser.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il faut se dépasser, mais jusqu’à quel point ?
M. Jean-Luc Rougé. L’entraîneur doit décider jusqu’où il peut aller. Un athlète ne découvre pas la souffrance en compétition, mais à l’entraînement. Les entraînements sont difficiles.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon vous, les athlètes doivent-ils souffrir pendant l’entraînement ?
M. Jean-Luc Rougé. L’entraînement doit être dur pour que l’athlète se dépasse. Certains n’en sont pas capables. Lors des rentrées à l’Insep, je disais : « Ceux qui ne sont pas capables de se dépasser, ce n’est pas la peine qu’ils fassent du haut niveau. Ils perdent leur temps. » Je suis certain de l’avoir dit. Le sport de haut niveau, c’est difficile. Les marathoniens par exemple, à l’arrivée d’une course, ils s’écroulent. Ils se dépassent vraiment.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. N’existait-il pas d’autre possibilité pour ces athlètes que d’accepter de souffrir en entraînement ou de renoncer à leur carrière d’athlète de haut niveau ?
M. Jean-Luc Rougé. Non, certains exagèrent et n’arrivent pas à respecter la limite. Moi, je fais particulièrement attention.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand on parle d’exagération, je pense que c’est un euphémisme. Le sportif en question a eu la clavicule déboîtée.
M. Jean-Luc Rougé. C’était un accident. Les accidents peuvent arriver. Si c’est un accident volontaire, c’est excessivement grave et ce n’est pas tolérable. Je suis tout à fait d’accord. Je n’ai pas souvenir d’avoir vu un accident volontaire.
Ces trente personnes sont-elles de la même génération ou les affaires s’étalent-elles sur cinquante ans ? Je ne comprends pas.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous propose, à la fin de cette audition, d’aller sur le site de l’Assemblée nationale pour visionner cette audition.
M. Jean-Luc Rougé. J’ai essayé, mais je n’y suis pas parvenu.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais évoquer avec vous un article paru dans La Croix au sujet des violences sexuelles dans le judo en 2020, suite à la suspension d’un ancien président de la ligue du Nord-Pas-de-Calais, ex-membre du comité directeur de la Fédération entre 2012 et 2016 et âgé d’une soixantaine d’années. D’après des sources internes à la Fédération, citées par à l’Agence France-Presse, une semaine avant sa suspension, vous avez prévenu, lors d’une réunion avec d’autres dirigeants du judo français, que son nom allait sortir dans les prochains jours. C’est donc que vous saviez, mais que vous n’avez pas agi.
M. Jean-Luc Rougé. Je l’ai su deux jours avant. C’était en 2020 et la victime s’appelait Armelle. Je l’ai eue téléphone le mercredi et elle m’a indiqué qu’elle irait le dénoncer à la police le vendredi. Armelle est l’ancienne kinésithérapeute de l’équipe de France. Je ne me souviens plus de son nom de famille. J’ai effectivement effectué la dénonciation, puis j’ai fait une autre dénonciation en désignant quatre personnes à la police du 14e arrondissement.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez indiqué une semaine avant que le nom allait sortir. De votre côté, lorsque vous avez eu connaissance de cette affaire, avez-vous procédé à un signalement ?
M. Jean-Luc Rougé. Non. C’est le président du département qui m’a informé. Je lui ai demandé le numéro de téléphone d’Armelle afin que je puisse l’appeler, puis j’ai attendu. La déposition ayant été faite, l’affaire était enclenchée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi avoir attendu si, en tant que dirigeant de la fédération, vous saviez ?
M. Jean-Luc Rougé. Elle m’a confirmé au téléphone qu’elle allait porter plainte. Je l’ai laissée faire et elle a effectivement porté plainte. Après, j’ai reçu une autre plainte concernant quatre personnes que j’ai dénoncées à la police du 14e arrondissement.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vais revenir sur le risque de violences sexuelles qui n’a pas été considéré comme majeur ou prioritaire. Quel dispositif avez-vous mis en place contre les violences sexuelles ou sexistes lorsque vous étiez président de la Fédération ?
M. Jean-Luc Rougé. C’était il y a vingt ans et nous étions moins sensibles à ces sujets. Les cas étaient tus. Nous nous sommes aperçus il y a six ou dix ans que c’était un vrai problème depuis longtemps. Petit à petit, nous avons mis en place des dispositifs, comme le site d’appels ou une personne référente au sein de la Fédération. Chaque affaire était suivie par des personnes, en particulier le secrétariat général. Ils apprenaient les affaires par la presse, car ils avaient un mal fou à obtenir les informations de la part des directeurs régionaux.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au niveau de la Fédération, existait-il des modules de formation ou de sensibilisation sur les violences sexuelles ou sexistes, les discriminations, le racisme, l’homophobie ou encore les violences physiques.
M. Jean-Luc Rougé. Nous avons mis en place quelques formations sur le racisme et l’idéologie du djihad, car nous étions également touchés. Nous nous sommes séparés de quelques personnes. J’aimerais bien que vous convoquiez mon secrétaire général, car c’est lui qui était à la manœuvre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends que le secrétaire général avait un rôle pivot, mais vous étiez le président de la Fédération. Vous aviez donc des responsabilités et deviez être informé des signalements et des plaintes.
À chaque signalement, avez-vous systématiquement soit déclenché l’article 40, soit lancé une procédure au sein de la Fédération pour sanctionner les personnes ?
M. Jean-Luc Rougé. Nous avons d’abord mené une enquête.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Arrêtons-nous à l’enquête. Comment procédiez-vous ?
M. Jean-Luc Rougé. Le secrétaire général menait l’enquête. On ne peut pas entamer des procédures sur les dires d’une personne.
J’avais compris que vous alliez plutôt m’auditionner sur la manière de régler le problème de manière à ce que ces faits ne se reproduisent pas à l’avenir. Les fédérations sont incapables de gérer le problème. Vous avez l’air d’avoir des informations que je n’ai pas.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Non. Nous essayons de relier les témoignages aux informations que vous nous donnez. Estimez-vous normal que le traitement des affaires repose sur le secrétaire général ?
M. Jean-Luc Rougé. C’est sa mission, comme c’était ma mission au niveau international. J’en ai traité un très grand nombre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au moment où les enquêtes ont été ouvertes par le secrétaire général, l’avez-vous questionné sur leur état d’avancement et sur le nombre de déclenchements de l’article 40 suite à des faits de violence sexuelle ? Avez-vous réalisé un suivi de ces affaires même si vous n’étiez pas en première ligne ?
M. Jean-Luc Rougé. Oui.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Combien d’affaires avez-vous eu l’occasion de suivre ? Combien d’articles 40 avez-vous déclenchés ? Combien de plaintes ont été déposées ?
M. Jean-Luc Rougé. De mémoire, nous n’avons pas déclenché d’article 40. Certaines affaires ont été traitées par la justice. La première que j’ai traitée date de trente ou quarante ans. Il s’agissait de l’entraîneur du club de Clamart. L’affaire a été portée devant la justice et l’entraîneur a fait de la prison.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous demande si vous avez réalisé le suivi. Une des difficultés est que les personnes mises en cause dans des affaires se retrouvent parfois à des postes alors qu’elles ne devraient plus occuper. Par exemple, M. Pesqué, qui avait fait de la prison, a été recruté comme entraîneur d’un pôle espoirs. Vous le saviez. Cela ne vous posait-il pas de problème ? Je précise qu’il a ensuite été écarté en 2023 par la Fédération.
M. Jean-Luc Rougé. Je l’avais également écarté. Il a été repêché par la DTN.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous étiez présent au sein de la Fédération et vous avez tout de même signé son recrutement.
M. Jean-Luc Rougé. Non. Nous ne signons pas les recrutements des cadres techniques.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il a donc été recruté contre votre gré.
M. Jean-Luc Rougé. Non. La DTN l’a recruté en toute connaissance de cause. Il n’a pas fait de la prison pour des faits de violences sexuelles.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Peu importe. En l’occurrence, il a fait de la prison pour des faits de violences, qu’elles soient sexuelles ou autres. C’est un problème en soi qu’il a été recruté pour être au contact du public et parfois de mineurs.
La DTN a fait le choix de le recruter, visiblement en connaissance de cause. Vous êtes-vous opposé fermement à ce recrutement alors que vous connaissiez son passif ?
M. Jean-Luc Rougé. Il a fait de la prison pour des injures.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La question n’est pas là. Il a fait de la prison.
M. Jean-Luc Rougé. Vous me l’apprenez.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ignore si c’était dans le cadre du judo ou ailleurs, mais il a été mis en prison. Il a été recruté alors que la DTN, comme vous, avait connaissance de son passé. Vous êtes-vous opposé fermement à ce recrutement ?
M. Jean-Luc Rougé. La première fois, nous nous en sommes séparés. Il est parti un long moment. Tout le monde m’en avait dit le plus grand bien, notamment la DTN.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Connaissiez-vous M. Pesqué ?
M. Jean-Luc Rougé. Oui, je le connaissais très bien. Il était de Montpellier. Je sais qu’il a eu des soucis et nous nous en étions séparés.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous saviez que lorsqu’il était à Montpellier, il a eu des soucis. Pourtant, la Fédération l’a recruté.
M. Jean-Luc Rougé. À l’époque, nous nous en étions séparés. Il a purgé sa peine. Puis, la DTN a dit : « Je le gérerai. »
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous êtes-vous opposé à son recrutement ?
M. Jean-Luc Rougé. Non.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi ?
M. Jean-Luc Rougé. Parce que les gens changent. Il avait été puni. Il avait bien travaillé lorsqu’il était professeur dans un club en Corse.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Suite à son recrutement, la Fédération a-t-elle rencontré des problèmes avec M. Pesqué ? Il a été écarté en 2023, non sans raison.
M. Jean-Luc Rougé. Je n’étais plus à la Fédération depuis trois ans.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le fait est qu’il a été écarté.
M. Jean-Luc Rougé. A-t-il été écarté pour des faits de violence ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il a en effet été écarté en 2023 pour des faits de violence. Il a donc reproduit le même schéma qu’auparavant.
M. Jean-Luc Rougé. Je vous accorde que c’était un entraîneur dur, mais je ne pense pas qu’il y ait eu des débordements.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qu’entendez-vous par « entraîneur dur » ? Nous parlons tout de même d’une personne qui a purgé une peine de prison.
M. Jean-Luc Rougé. Il n’a pas frappé les athlètes. Il les a poussés, sans plus. Par exemple, il leur faisait monter des marches.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. On n’est pas écarté ou mis en prison pour avoir fait monter des marches à des athlètes.
M. Jean-Luc Rougé. J’ignorais qu’il avait été mis en prison. Nous nous en sommes séparés en raison des problèmes qu’il a rencontrés lorsqu’il était au pôle espoirs de Montpellier.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous m’avez indiqué que vous l’aviez recruté parce que, pour vous, il avait purgé sa peine. Vous étiez donc au courant.
M. Jean-Luc Rougé. Je parlais de la peine qu’il avait purgée après avoir été viré.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsqu’il a été recruté, la DTN et vous-même étiez informés qu’il avait fait de la prison pour faits de violence ?
M. Jean-Luc Rougé. Non.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je crois savoir que lors d’un entraînement, il aurait brisé les vertèbres d’un jeune athlète. Pouvez-vous confirmer ? En étiez-vous informé ? Que signifie être un « entraîneur dur » ?
M. Jean-Luc Rougé. Cela ne signifie surtout pas blesser. Un entraîneur dur pousse les athlètes, c’est tout. Le principe même du judo – que je défends – est de contrôler son adversaire pour ne pas le blesser. Même au Japon, on me demande d’intervenir sur des problèmes avec certains enseignants. Dans ce domaine, je suis intraitable. On n’a pas le droit de blesser les athlètes. Je suis reconnu internationalement pour cela.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Patrick Roux a publié un livre en 2023, dans lequel il dénonce de nombreux abus dans le judo. L’avez-vous lu ?
M. Jean-Luc Rougé. Non.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourtant, il relate plusieurs témoignages d’athlètes appartenant à la Fédération qui ont dénoncé des faits extrêmement graves. Parmi ces abus, ils témoignent de pseudo-entraînements ressemblant davantage à des passages à tabac qu’à des exercices où les participants, bien souvent des adolescents, subissaient des violences censées affermir leur corps et leur esprit. La Fédération a plusieurs fois déclaré que ces méthodes, considérées comme choquantes, avaient été éliminées.
Quel regard portez-vous sur ce type de méthodes ? En avez-vous fait l’expérience en tant qu’athlète ? Ces méthodes ont-elles réellement disparu ? Si oui, comment avez-vous réussi à y mettre fin ?
M. Jean-Luc Rougé. J’espère qu’elles ont disparu. Au départ, le judo vient des Japonais, des samouraïs. L’entraînement s’apparentait à une préparation guerrière. Ce sont des pratiques que nous avons éliminées. Je suis allé au Japon lorsque j’étais adolescent, et j’ai vécu la violence japonaise. Je ne supporte pas cette violence et ne l’ai jamais promue.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous confirmez qu’à une certaine époque, les entraînements étaient durs. En tant que président de la Fédération de judo entre 2005 et 2020, considériez-vous finalement que ces entraînements durs étaient tolérables ?
M. Jean-Luc Rougé. Non.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qu’avez-vous mis en place, en tant que président de la Fédération ? Je ne parle pas du secrétaire général, mais du président de la Fédération.
M. Jean-Luc Rougé. Les entraîneurs n’ont pas le droit de se comporter ainsi. C’est tout. Cela ne se fait pas. Il n’y a rien à mettre en place.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous été informé de toutes ces violences qui régnaient au moment des entraînements ?
M. Jean-Luc Rougé. Patrick Roux a dit qu’il fallait que je dégage au moment des élections. Il a raison. D’ailleurs, je suis très bien à la retraite. Il a dit que je l’avais viré. Il était professeur d’éducation physique alors que les autres étaient des entraîneurs de terrain. Je voulais des personnes formées en éducation physique et sportive (EPS) pour qu’elles interviennent dans la préparation et la programmation, et c’est pour cette raison que j’ai recruté Patrick Roux. Il était totalement anachronique. Il s’est également fait débarquer en Angleterre et en Russie car il posait problème dans la préparation physique. Je ne l’ai pas viré. Ce sont les entraîneurs nationaux qui ne voulaient plus travailler avec lui.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne répondez pas tout à fait à la question. Étiez-vous informé des faits de violences sur les athlètes de la part des entraîneurs ? Nous avons reçu plusieurs témoignages ici même selon lesquels vous étiez informé.
M. Jean-Luc Rougé. Certainement, mais je suis intervenu à chaque fois.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment êtes-vous intervenu ?
M. Jean-Luc Rougé. Il se passe de nombreux événements dans une fédération. J’allais souvent aux entraînements et je suis intervenu à chaque fois que l’on m’informait de dysfonctionnements. Cela fait partie du suivi. Il y a deux entraînements par jour.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais comprendre la procédure – éventuelle – que vous avez mise en place lorsque plusieurs personnes sont venues dénoncer des faits de violence de la part d’un entraîneur. Les entraîneurs ont-ils été écartés ou sanctionnés ?
M. Jean-Luc Rougé. J’ai souvenir de Paul-Thierry Pesqué et Yves Delvingt. Il existe un autre cas d’entraîneur dont j’ai été informé et que je n’ai pas dénoncé, parce que c’était la semaine des élections et qu’il appartenait à l’équipe adverse. J’ai décidé d’attendre le résultat des élections et de le traiter ensuite. Je crois qu’il est toujours dans le board de la fédération aujourd’hui.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour les deux autres entraîneurs, qu’avez-vous mis en place lorsque vous avez été informé qu’ils étaient violents avec les jeunes athlètes ?
M. Jean-Luc Rougé. Le DTN de l’époque s’est séparé rapidement d’Yves Delvingt et l’a mis sur un autre poste. Vous pouvez interroger Fabien Canu, actuel directeur de l’Insep.
Quant à Paul-Thierry Pesqué, nous nous en sommes séparés également. Il est vrai qu’il a été à nouveau recruté par Brigitte Deydier.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les rapports de l’inspection générale jugent que le risque de violences sexuelles n’était pas considéré comme majeur ou prioritaire. Considérez-vous que cette appréciation est injustifiée ? De 2005 à 2020, lorsque vous étiez président, quels sont les dispositifs mis en place et quelle priorité avez-vous donné à la question de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ou les violences physiques ?
M. Jean-Luc Rougé. Des dossiers ont été découverts petit à petit. Nous avons donc mis en place avec le secrétaire général une structure d’alerte, de contrôle et surtout d’investigation.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous n’avez pas découvert les cas dans le rapport de l’inspection puisque vous nous avez indiqué que vous en aviez informé le DTN.
M. Jean-Luc Rougé. Non, je n’ai jamais dit que j’avais découvert les cas dans le rapport de l’inspection générale, qui est un rapport très global.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans quel cadre avez-vous découvert ces cas ?
M. Jean-Luc Rougé. Nous les avons découverts au fil de l’eau.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu connaissance de ce rapport ?
M. Jean-Luc Rougé. Oui, bien sûr, mais j’en ai eu connaissance une fois que je n’étais plus président. Il ne me servait plus à rien du tout. Je ne pouvais plus agir. La Cour des comptes a également publié un rapport, suite à un audit de trois ans, lorsque je partais. C’est mon successeur qui doit travailler.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dès le début de l’audition, vous avez évoqué l’élection de 2020 qui a été visiblement complexe. Vous semblez indiquer que les témoignages de Patrick Roux et des autres athlètes sont en lien avec cette élection de 2020.
M. Jean-Luc Rougé. Il est certain qu’ils ont été exploités pour l’élection.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces cas étaient pourtant bien réels.
M. Jean-Luc Rougé. Certes.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il est important de le dire pour les victimes car pendant des années, il y a eu un déni de leur parole au sein de la Fédération. Dans le cadre de cette commission, nous avons entendu plusieurs victimes qui ont fait état de ce qu’elles ont vécu en termes de violence lorsqu’elles étaient à la Fédération. Cela a duré plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour certaines d’entre elles. Elles nous ont indiqué avoir fait des signalements, mais n’avoir été ni écoutées ni entendues.
Mettons-nous d’accord pour ne pas remettre en cause la parole de ces victimes dans le cadre de cette élection de 2020.
M. Jean-Luc Rougé. Je ne la remets pas du tout en cause. J’ai essayé de les traiter du mieux possible, afin que ces faits ne se reproduisent plus. J’ai toujours travaillé en ce sens. Nous avons essayé de savoir si c’était vrai. C’est pour cela que nous avons tenté de mettre en place une procédure.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous auditionné les victimes ? Avez-vous entendu ces personnes ?
M. Jean-Luc Rougé. Non. Pour certaines, je leur ai parlé au téléphone. L’une d’entre elles habitait l’île de La Réunion. Elle a eu un problème avec un professeur de judo qui était aussi policier. Je lui ai demandé de porter plainte, mais elle était très embêtée car le policier mis en cause savait où elle habitait. Elle m’a rappelé par la suite pour me dire qu’elle ne voulait plus en parler.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous ai justement questionné sur la manière dont vous avez procédé, même si vous en avez informé votre secrétaire général. L’entraîneur violent a-t-il été mis de côté ? Des actions disciplinaires ont-elles été engagées ?
M. Jean-Luc Rougé. Une décision a été prise à chaque fois : soit nous arrêtions la procédure en l’absence de preuves, soit nous essayions d’obtenir plus de preuves, soit nous prenions une décision ou une sanction. Nous n’avons rien laissé tomber.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Systématiquement ? D’après les rapports et les témoignages, l’action disciplinaire était souvent très tardive et pouvait faire prévaloir la présomption d’innocence sur la protection des victimes. Les affaires passaient-elles en commission disciplinaire fédérale lorsqu’elles étaient traitées par la justice ? Les autres entraîneurs étaient-ils laissés avec les victimes ?
M. Jean-Luc Rougé. Non. Si la personne était en danger, nous prenions des mesures conservatoires. À plusieurs reprises, nous avons pris de telles mesures pour écarter les personnes concernées. Dans un cas, nous avons été à l’encontre de la décision de Mme Alliot-Marie, qui était alors garde des sceaux. Un jeune judoka avait commis deux viols sur enfants de quatre et six ans dans le cadre familial. Il a été placé en maison de redressement. Le juge des peines lui a conseillé de devenir professeur de judo. Nous avons refusé de le licencier et de le recruter, contre l’avis du juge.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans les différents rapports, il est indiqué que vous faites le choix de ne pas systématiquement sanctionner les auteurs.
M. Jean-Luc Rougé. Pourquoi ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est à vous de nous le dire.
M. Jean-Luc Rougé. Certains ont été sanctionnés.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À partir de quel moment les sanctions sont-elles prononcées ? Une mesure disciplinaire est-elle mise en place en attendant que l’affaire soit jugée par la justice ? Les rapports indiquent que treize commissions de discipline ont eu lieu entre 2000 et 2020, ce qui est très peu pour une fédération de la taille de la FFJDA.
M. Jean-Luc Rougé. Si une affaire était portée devant la justice, nous laissions celle-ci faire son travail.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Et avant que les affaires n’aillent en justice ?
M. Jean-Luc Rougé. À partir du moment où le dossier était traité par la justice, nous ne sanctionnions pas. Nous préférions attendre la décision de justice, mais s’il y avait mise en danger, nous prenions des mesures conservatoires pour écarter la personne concernée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce n’est pas ce qu’indiquent les différents rapports de l’inspection. Les affaires de justice peuvent prendre plusieurs mois, voire plusieurs années, et une mesure disciplinaire ou une sanction disciplinaire à titre conservatoire permet d’éloigner l’auteur des victimes. Faute de quoi, l’auteur reste auprès des victimes.
M. Jean-Luc Rougé. Les mesures conservatoires ont été prises. J’en suis certain.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez donc systématiquement pris des mesures conservatoires.
M. Jean-Luc Rougé. Lorsque nous l’avons estimé nécessaire.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui estime que c’est nécessaire ?
M. Jean-Luc Rougé. C’est sur proposition du secrétaire général devant l’exécutif.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais entendre votre avis sur le témoignage de Cédric Hilarion : « Lors d’un déplacement pour une compétition alors que j’étais très fatigué, étant au régime, car devant perdre du poids pour le lendemain, je me suis battu pendant plus d’une heure avec cet entraîneur pour l’empêcher de m’introduire une fève de cacao dans l’anus. Au cours de cette bagarre, il m’a mordu le sexe à trois reprises. Le lendemain, il est retourné à son entraînement. Tout le monde était au courant. Il nous l’a dit dans les vestiaires. » L’entraîneur lui a indiqué que c’était pour forger son esprit, pour l’entraîner.
M. Jean-Luc Rougé. Ce sont des fous. C’est inadmissible ! Où était-ce ? Je suis désolé, mais tout le monde est au courant sauf moi. Était-ce au niveau national, régional, départemental ? Était-ce au niveau d’un club ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous laisserai visionner l’audition. Vous en apprendrez sans doute énormément sur la fédération que vous avez dirigée pendant quinze ans. Nous avons reçu de nombreux éléments et témoignages et nous continuons à en recevoir. Je trouve très étonnant que vous ayez délégué à votre secrétaire général le traitement de ces affaires et vous n'étiez pas informé alors que, visiblement, tout le monde l’était.
M. Jean-Luc Rougé. J’imagine que ce sont de nouveaux témoignages.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Non. Les faits se sont produits sous votre présidence.
M. Jean-Luc Rougé. Je ne parle pas de la date des faits, mais de la connaissance des faits. C’est la date de connaissance des faits qui est importante. Certains faits datent de dix ou quinze ans, en particulier ceux concernant Jimmy Mouzay.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant de Cédric Hilarion, les faits étaient sujets de plaisanteries dans les vestiaires dès le lendemain.
M. Jean-Luc Rougé. Je suis désolé, mais je ne suis pas dans les vestiaires.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il y avait de nombreux adultes dans ces vestiaires, dont l’entraîneur. Je vous engage vivement à visionner cette audition.
La difficulté de lutter contre les violences dans le sport tient notamment à l’omerta qui y règne et qui peut être le fait des adultes qui sont informés de ce qui se passe, des autres athlètes, des présidents ou des dirigeants de fédération. Cette omerta s’expliquerait par le souci des fédérations de préserver leur image, notamment par rapport aux autres fédérations.
Patrick Roux déplorait en juin 2023 dans L’Équipe que « l’autre souci, quand on fait remonter des signalements, c’est la comparaison avec les autres fédérations. On me répond que les autres ne vont pas le faire. On ne va pas s’autoflageller, dégrader l’image de notre sport et perdre des licences. » Est-ce vrai ?
M. Jean-Luc Rougé. Non. C’est aberrant. Il y a des faits, un point c’est tout !
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant du témoignage précédent dont vous ne vous souvenez pas, les faits se sont produits au dojo nantais.
M. Jean-Luc Rougé. Il est très difficile pour nous de savoir ce qu’il se passe dans un club. La Fédération française de judo est l’une des cinq plus grandes fédérations sportives, avec plus d’un demi-million de licenciés et 5 600 clubs.
C’est justement le sujet que je voulais aborder avec vous concernant l’avenir. Les fédérations nationales sont incapables de gérer les violences autres que les violences sportives, qui concernent la cour d’assises. Elles ne sont pas capables de monter des dossiers correctement.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce même entraîneur a été radié en 2021, après l’élection. Nous voudrions comprendre pour quelle raison des sanctions n’ont pas été prises avant. Le second a été remercié en 2023.
M. Jean-Luc Rougé. Parlez-vous de l’entraîneur de Nantes ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui.
M. Jean-Luc Rougé. Il faut être informé !
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’il a été remercié en 2021, c’est que les personnes étaient informées. Comment expliquez-vous que vous ne l’ayez pas été ?
M. Jean-Luc Rougé. S’il a été remercié par la Fédération, comment l’a-t-elle su ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce n’est pas à nous, mais à vous, de répondre à cette question.
Cette personne était entraîneur au moment où vous étiez encore président de la Fédération. Elle n’a pas été sanctionnée pour les faits que je viens de vous rapporter. Elle a été remerciée quelques mois après votre départ. Comment expliquez-vous que le nouveau président ou la nouvelle direction ait eu connaissance des faits aussi rapidement ?
M. Jean-Luc Rougé. Je ne l’explique pas du tout.
M. Stéphane Buchou (RE). Je suis député de Vendée. Malgré mon retard, j’ai pu regarder le début de l’audition sur le site internet de l’Assemblée nationale qui fonctionne très bien. Je vous invite à visionner l’audition à laquelle Mme la rapporteure fait référence.
Je ne vous cache pas que je trouve cette audition quelque peu lunaire. Tout d’abord, j’ai l’impression qu’elle n’a pas du tout été préparée. Vous avez pourtant reçu une convocation indiquant les contours de la commission d’enquête.
Je voudrais souligner la gravité des faits et des témoignages qui nous ont été communiqués durant cette audition de près de quatre heures. Vous avez été président de la Fédération française de judo pendant quinze ans et à vous entendre, vous n’êtes au courant de quasiment aucun des cas auxquels nous faisons référence. Comprenez donc notre désarroi. Lorsque nous vous posons des questions précises, vous nous répondez avec d’autres questions. Or nous ne sommes pas là pour répondre à vos questions. C’est à vous de répondre aux nôtres.
M. Jean-Luc Rougé. Je ne l’avais pas du tout compris ainsi. Je suis désolé d’avoir failli sur ce sujet. Si je l’avais su, je ne serais pas venu seul, mais accompagné de mon secrétaire général. Je regrette fortement mon incompréhension. Je suis totalement fautif. J’ai l’impression d’avoir bien fait mon travail. Je suis très surpris de la tournure de cette audition, car je crois avoir traité tous les dossiers. Il est vrai que je ne les ai pas tous en tête.
M. Stéphane Buchou (RE). Permettez-moi de réagir. De toutes les auditions que nous avons menées jusqu’ici, nous constatons – et cela nous a été rappelé à de nombreuses reprises – l’existence d’une forme d’entre soi. Le judo ne fait pas exception. Il est très compliqué d’obtenir des informations, sauf lorsque certaines personnes libèrent leur parole.
Monsieur Rougé, lorsque nous vous posons des questions, vous nous renvoyez systématiquement à votre secrétaire général. Aussi, j’ai une question simple et quelque peu provocatrice : à quoi sert un président de fédération si, à chaque fois qu’on pose une question, il vous renvoie à son secrétaire général ? Quel a été concrètement votre rôle pendant ces quinze années ? Je ne peux pas penser que durant les quinze années au cours desquelles vous avez été président de la Fédération, vous n’ayez été le témoin d’aucune des affaires qui nous ont été communiquées.
Je m’étonne que vous soyez assez précis sur les noms et prénoms de certains athlètes ou certains entraîneurs, mais beaucoup moins sur d’autres. Votre mémoire est-elle sélective ? Je vous rappelle que vous témoignez sous serment. Si vous pouviez être plus précis ou plus loquace, nous aurions tous à y gagner.
M. Jean-Luc Rougé. Certains dossiers ont pu avoir été traités par moi-même et d’autres par le secrétaire général. Je connais un peu mieux que les autres ceux dont j’ai été informé directement. Je ne connais pas les personnes du dojo nantais, mais je connais les cadres techniques de Bretagne, car ils sont de niveau national. Le nom de l’un d’eux, M. Decoster, vient de me revenir.
M. Stéphane Buchou (RE). Vous dites que vous avez bien fait votre travail. Je vous rassure, je ne suis que député : je ne suis ni juge ni procureur. Nous vous avons informé que plus de trente personnes ont témoigné de cas de violence devant cette commission. Dans ces conditions, maintenez-vous toujours que vous avez bien fait votre travail pendant quinze ans ?
M. Jean-Luc Rougé. Le principe du sport est que l’on peut toujours s’améliorer.
Il y a eu prise de conscience progressive des problèmes, notamment s’agissant des violences sexuelles. S’agissant des violences sur le tapis, nous avons toujours essayé de les traiter. Les entraînements étaient vraiment très difficiles et à présent, ils sont tout à fait corrects. La situation a évolué.
Nous sommes tombés des nues lorsque nous avons eu connaissance de ces problèmes de violences sexuelles. Nous avons essayé de faire en sorte que la parole se libère. Nous ne pensions pas que les affaires déjà traitées par la police devaient faire l’objet d’un suivi de notre part. Nous préférions attendre pour prononcer d’éventuelles sanctions, mais nous avons pris, lorsque c’était nécessaire, des mesures conservatoires.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qu’avez-vous mis en place pour que la parole se libère ?
M. Jean-Luc Rougé. Nous avons mis en place le site automatique et nous en avons fait la publicité. Nous en avons parlé à tous les cadres techniques, notamment au cours des stages.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je rejoins les propos de mon collègue. Manifestement, l’audition n’a pas été préparée, mais vos propos sont intéressants car ils mettent en lumière le fonctionnement du binôme constitué par le président et le secrétaire général dans certaines fédérations, lorsque le choix est fait de déléguer. Les rapports de l’inspection générale contiennent des éléments très précis alors que vous restez vague sur les mesures conservatoires et sur les personnes mises en cause.
Je suis très ennuyée que vous ne puissiez pas répondre formellement sur le fait d’avoir reçu une personne dans votre chambre ou pas. Vous dites ne pas vous en souvenir. Sans parler de mémoire sélective, nous avons besoin de réponses précises : avez-vous déjà reçu une personne dans votre chambre pour recueillir des témoignages ?
M. Jean-Luc Rougé. Il faut que je visionne l’audition de la fille dont il est question. Dans un Creps, on vit plus ou moins ensemble.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Est-ce à dire que vous avez reçu d’autres personnes dans votre chambre ?
M. Jean-Luc Rougé. Je n’en ai pas le souvenir. Si nous ne pouvons pas faire autrement, s’il n’y a pas de bureau, nous prenons n’importe quelle chambre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous rendez-vous compte de la difficulté pour une femme de témoigner sur des violences sexuelles lorsqu’elle est reçue dans une chambre ?
M. Jean-Luc Rougé. S’agissait-il de violences sexuelles la concernant ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui. Je suis sidérée. Vous me dites que si vous n’aviez pas de bureau, vous utilisiez une chambre. Cela signifie que cela a pu avoir lieu à d’autres moments. Il est toujours possible de trouver un bureau ou un lieu neutre pour recevoir ou auditionner une personne. Je suis choquée : comment peut-on imaginer recevoir une personne qui souhaite s’exprimer sur des faits de violence dans une chambre ?
M. Stéphane Buchou (RE). Que pourrait-il se passer si cette pratique du président de la Fédération se diffusait chez les autres membres de la Fédération ? Les présidents de fédération ont une énorme responsabilité. Nous avons l’impression, dans cette audition, que les faits sont minimisés. Or nous avons besoin de réponses précises.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les faits se sont produits en 2006, alors que vous étiez président de la Fédération.
M. Jean-Luc Rougé. J’étais président depuis six mois en 2006. Je visionnerai l’audition. Serait-il possible que je revienne avec le secrétaire général et la juriste qui a suivi les affaires ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La personne qui a témoigné se nomme Alexandra Soriano. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, même si vous ne vous souvenez pas forcément d’elle, est de savoir si recevoir une femme dans une chambre pour discuter était une pratique courante. Dans le cas qui nous intéresse, je rappelle que la discussion a duré deux heures.
M. Jean-Luc Rougé. Ce n’est pas du tout la pratique. Si nous avons fait une réunion dans une chambre, effectivement, le lieu n’était pas adapté. C’est certain.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cette personne avait été témoin et non victime. Elle était venue témoigner pour quelqu’un d’autre. Je vous invite à visionner cette audition, qui a duré quatre heures. Elle vous permettra de vous rendre compte de ce que les athlètes ont pu vivre lorsque vous étiez président.
Je ne sais pas si nous aurons le temps d’organiser une seconde audition, mais je vous invite à compléter vos propos par des écrits, notamment du secrétaire général de l’époque, puisqu’il semble avoir toutes les informations concernant les affaires qui ont été portées à votre connaissance. Nous aurons ainsi une vision complète de votre présidence.
Pour ma part, je n’ai plus de question.
M. Jean-Luc Rougé. On demande beaucoup aux fédérations, qui sont responsables de nombreux dossiers. Elles ont des missions de service public ainsi que des missions d’intérêt général, en particulier dans les quartiers difficiles. Les fédérations ne sont pas capables d’absorber des dossiers aussi complexes et aussi pointus que celui, par exemple, du dopage. Ce n’est pas du tout une volonté de cacher des informations.
La Fédération internationale a délégué le traitement administratif et juridique des affaires de dopage à une société tierce. Il faudrait créer en France un système de délocalisation. C’est pour moi très important, car je pense qu’il y aura toujours des loupés. Nous avons certainement commis des fautes, j’en suis conscient. Je ne sais pas si nous sommes taillés pour gérer ce genre de situations, qui nous mettent mal à l’aise, car nous nous connaissons tous. Nous avons du mal à croire que certaines personnes puissent commettre de tels faits. Nous devons changer le système et délocaliser complètement. J’étais venu surtout pour évoquer ce sujet.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Votre propos rejoint de nombreux témoignages sur ce monde en vase clos, où tout le monde se connaît. Nous avons entendu à plusieurs reprises la proposition de créer une entité indépendante extérieure qui puisse traiter ces faits.
Connaissez-vous la cellule Signal-sports ? Elle a été mise en place en 2019 par le ministère des sports pour recueillir les témoignages des victimes, notamment de violences sexuelles et sexistes.
M. Jean-Luc Rougé. Elle a été mise en place au moment de mon départ. La ministre de l’époque, Roxana Maracineanu, disposait de certains éléments qu’elle nous avait cachés. Il existait une forme de concurrence sur qui devait dénoncer. Je ne veux pas l’attaquer, mais nous sommes dans une situation très difficile. Les directeurs régionaux n’ont pas confiance en nous et ne nous communiquent pas les informations.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné la ministre Roxana Maracineanu juste avant vous. Elle nous a indiqué que la cellule informait systématiquement les fédérations de chaque signalement.
M. Jean-Luc Rougé. Lorsque l’article est paru dans Le Parisien, j’ai demandé à être reçu par la ministre. La ministre affirme que c’est elle qui m’avait convoqué, mais j’ai gardé le SMS. Au cours de notre réunion, nous avons comparé nos fichiers et ils ne contenaient pas les mêmes noms. Nous disposions d’un fichier énumérant toutes les affaires avec la date de dénonciation, le suivi et d’autres informations. Malheureusement, je n’ai plus ce fichier. J’espère que le secrétaire général l’a conservé. Vous pourrez ainsi voir que toutes les affaires ont été suivies.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En février 2020, une convention nationale sur les violences sexuelles et sexistes a été organisée. Étiez-vous présent ?
M. Jean-Luc Rougé. C’est une bonne question. Je n’en suis pas certain.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je peux vous confirmer que vous étiez présent.
Je propose d’en rester là. Merci de nous faire parvenir vos recommandations et préconisations par écrit à l’adresse mail indiquée sur la convocation. Je vous invite à visionner cette audition pour prendre la mesure des témoignages.
M. Jean-Luc Rougé. A-t-elle été filmée ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui, comme la vôtre aujourd’hui. Toutes les auditions sont filmées puis mise en ligne.
M. Jean-Luc Rougé. Je pourrai ainsi voir les visages des personnes auditionnées.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces personnes ont fait le choix de témoigner ouvertement. Prenez le temps de regarder leurs témoignages. Certaines victimes sont toujours en attente de réponses de la part de la Fédération.
M. Jean-Luc Rougé. Soyez certains que nous essaierons de faire le maximum pour les victimes.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie.
La séance s’achève à quinze heures quarante.
———
Présents. – M. Stéphane Buchou, M. François Piquemal, Mme Sabrina Sebaihi
Excusé. – Mme Béatrice Bellamy