Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public
– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Amsalem, ancien président de la Fédération française d’athlétisme (FFA) 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. André Giraud, président de la Fédération française d’athlétisme (FFA), et de Mme Souäd Rochdi, directrice générale 18
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Guislaine Westelynck, présidente de la Fédération française handisport (FFH), et de M. Grégory Saint-Géniès, directeur technique national 33
– Présences en réunion................................42
Jeudi
2 novembre 2023
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 38
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente
— 1 —
La séance est ouverte à dix heures.
La commission auditionne M. Bernard Amsalem, ancien président de la Fédération française d’athlétisme (FFA).
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons M. Bernard Amsalem, ancien président de la Fédération française d’athlétisme (FFA). Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.
Après avoir été vice-président, de 1997 à 2001, de la Fédération française d’athlétisme, vous avez été élu président en 2001 et avez occupé cette fonction jusqu’en 2016, soit durant quatre mandats. Vous avez également exercé plusieurs fonctions au sein du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), puisque vous avez été vice-président, chef de mission pour les Jeux olympiques de Londres, et en êtes administrateur pour le mandat 2021-2025.
Dans un bref propos liminaire, pouvez-vous nous indiquer quels sont les faits relevant du champ de cette commission d’enquête dont vous avez eu connaissance et les réponses que vous y avez apportées dans les différentes fonctions que vous avez exercées ? Quelles étaient l’organisation et les actions conduites par la Fédération sportive d’athlétisme dans les domaines qui intéressent cette commission ? Le cadre existant pour prévenir, détecter, signaler et sanctionner ces actes vous paraît-il adapté ?
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure. »
(M. Bernard Amsalem prête serment.)
M. Bernard Amsalem, ancien président de la Fédération française d’athlétisme. J’ai effectivement présidé la Fédération pendant presque quatre mandats, soit seize ans. Durant cette période, nous avons doublé le nombre de licenciés, ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de la Fédération, pour passer de 155 000 à 310 000 à la fin de l’année 2016. En 2006, nous avons été la première fédération à créer une commission d’éthique et de déontologie, qui a examiné plus de 120 dossiers à ce jour. Nous avons également été les premiers, en 2005, à inscrire la parité dans nos statuts. Cette inscription est devenue désormais obligatoire pour les prochaines élections, depuis la loi de l’année dernière. Avec mon équipe, j’ai créé l’offre Athlé Forme et Santé et nous avons incité plusieurs fédérations à faire de même. Nous avons obtenu du ministère des sports la création d’un certificat de qualification professionnelle (CQP) pour les coachs qui accompagnent les malades et nous avons travaillé avec toutes les agences régionales de santé (ARS) de France pour faire connaître notre objectif, en 2004-2005.
En 2009, nous avons créé le sport en entreprise et avons expérimenté ce dispositif avec l’entreprise Michelin à Clermont-Ferrand. Un audit réalisé au bout de deux ans à la demande du patron de l’époque, Jean-Dominique Senard, aujourd’hui président de Renault, a montré que, depuis que les salariés pratiquaient le sport pendant les heures de travail, le taux d’absentéisme s’était réduit de 25 % et la productivité s’était accrue de 10 % : tout le monde était gagnant et, aujourd’hui, d’autres entreprises s’y sont mises.
Nous avons aussi été la première fédération à mettre en place une opération dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) : Urban Athlé, visant à réaliser des opérations d’animation et à détecter des talents parmi la jeunesse de ces quartiers, pour qui le sport pouvait être un ascenseur social. Parmi les talents détectés figurait d’ailleurs Ladji Doucouré, qui est ensuite devenu champion du monde de 110 mètres haies et a également été diplômé bac + 5. Sans le sport, il n’aurait sans doute pas connu le même parcours.
Nous avons aussi été les premiers à créer le sport à l’école, dans les écoles maternelles et primaires, avec vingt-sept ateliers offrant des activités sous forme de jeux : à la différence du sport pratiqué dans les clubs, il s’agissait de jouer au sport. Les clubs qui interviennent dans ces écoles sont très structurés et très professionnalisés, et une partie de leur intervention est financée par les collectivités. Nous avons également été les premiers à introduire le sport dans les crèches, sous l’angle de la motricité, dès que les enfants commencent à marcher, avec des intervenants formés à cet effet, qui sont pour la plupart diplômés de sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), mention activité physique adaptée et santé (Apas). Des centaines d’emplois, voire des milliers, ont ainsi été créés, et certains de ces intervenants se sont installés à leur compte, trouvant des emplois dans les maisons sport-santé, de plus en plus nombreuses depuis plusieurs années.
Nous avons par ailleurs développé la marche nordique, et recruté à cet effet une Finlandaise. Cette activité a connu un grand succès et a contribué à développer l’économie des bâtons de marche, qui n’étaient précédemment pas produits en France.
En 2006, nous avons aussi établi le dispositif Prévention dopage. À l’époque, j’ai demandé à deux athlètes contrôlés positifs, Florent Lacasse, coureur de 800 mètres, et Naman Keita, coureur de 400 mètres haies, qui faisaient partie de l’équipe de France et avaient obtenu des médailles, de témoigner de ce qu’ils avaient vécu et de ce qu’ils regrettaient d’avoir fait, dans le cadre de réunions que nous organisions dans les pôles avec des jeunes, cadets ou juniors, pour lutter contre cette dérive.
Comme vous le savez, nous sommes jugés par notre ministère de tutelle sur les résultats obtenus ; or durant cette période, nous avons réalisé aux championnats d’Europe, aux championnats du monde et aux Jeux olympiques les meilleurs résultats de l’histoire en nombre de médailles depuis les Jeux de 1948, ce qui est particulièrement difficile, car l’athlétisme est le plus compétitif de tous les sports, puisqu’il est pratiqué dans plus de 200 pays – plus qu’à l’ONU ! – et que n’importe quel athlète d’un pays modeste ou pauvre peut devenir champion du monde ou champion olympique. On compte ainsi des médaillés kényans et éthiopiens, ou même issus des petites îles des Caraïbes, comme Saint-Kitts-et-Nevis, ce qui est rarement le cas dans la plupart des autres sports.
Durant ma présidence, j’ai régulièrement reçu des lettres anonymes de menaces à caractère antisémite et les plaintes systématiquement déposées n’ont pas donné de résultat. Cela aussi fait partie de cette histoire.
J’ai créé en 2003 le Pass’Sport pour le conseil départemental de Seine-Maritime, qui m’avait demandé un plan de développement du sport, alors que ce dispositif n’a été instauré par l’État qu’en 2020. Il s’agissait d’une aide de 60 euros destinée aux enfants dont les familles relèvent de l’allocation de rentrée scolaire. Elle a été, depuis lors, transposée au sport-santé, ce qui permet d’aider les malades pris en charge par les clubs. En effet, malgré toutes nos démarches, la sécurité sociale ne finance malheureusement pas leur licence. En revanche, pratiquement toutes les grandes mutuelles en prennent une partie en charge, ce qui nous permet de compter près de 32 000 licenciés Athlé Santé dans nos clubs. Des études menées avec des spécialistes voilà quelques années ont montré que lorsqu’un malade, quelle que soit sa pathologie, pratique un sport avec l’encadrement d’un spécialiste, il en résulte une économie de 2 000 à 2 200 euros de consommation de médicaments chaque année. Si tous les malades de France pratiquaient une activité physique adaptée, la sécurité sociale économiserait 7 milliards d’euros.
Peut-être les parlementaires que vous êtes pourraient-ils faire quelque chose du côté de la sécurité sociale. Le Canada, référence en la matière, emploie ce système depuis quatre-vingts ans et dégage des économies de cet ordre pour les assurances sociales.
Nous avons essayé de faire en sorte que cette fédération, qui a une délégation de service public, produise ses efforts non seulement pour le haut niveau, mais également pour une majorité de personnes, dans le cadre d’une vision sociétale du sport. C’est la raison pour laquelle nous avons développé toutes ces activités pour l’ensemble de la population. Nous avons d’ailleurs incité d’autres fédérations à le faire et les avons formées à cet effet. Ce mouvement, déjà bien développé, pourrait l’être davantage pour être utile à la société.
Enfin, le sport est le premier réseau associatif, avec près de 17 millions de licenciés dans 160 000 clubs fédérés et 360 000 associations sportives – car ces associations ne sont pas toutes fédérées –, regroupant 3,5 millions de bénévoles qui donnent de leur temps pour s’occuper des autres et apportent tant à la société – qui, sans eux, serait une jungle.
J’ajoute que je suis également vice-président du mouvement associatif qui regroupe toutes les têtes de réseau et je m’occupe à ce titre du bénévolat. Une étude que nous avons fait réaliser l’année dernière pour mesurer ce que rapportait à la société française le monde associatif a évalué cet apport à 68 % du PIB chaque année. On ne fait, par ailleurs, pas assez pour aider le bénévolat – mais c’est une autre histoire. Toujours est-il que, bénévole depuis l’âge de seize ans et continuant à l’être, je tenais à souligner l’importance de ces activités.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Loin de nous l’idée d’attaquer le sport et le monde associatif. Élue au sport et bénévole, je sais ce que c’est que d’être tous les week-ends sur les stades et sur les terrains et d’essayer de rendre le sport accessible à tous, et je souscris à vos propos concernant la vie associative qui maille nos territoires.
Dans mes propos liminaires, je vous ai présenté l’origine de notre commission d’enquête et les trois axes de son travail. Nous nous intéressons, entre autres sujets, aux violences sexuelles et sexistes (VSS) dans le sport. À ce titre, je souhaite revenir sur l’audition de Mme Emma Oudiou, sportive de la FFA, que nous avons entendue voici quelques semaines et qui a accusé la Fédération de protéger des athlètes et des entraîneurs avant les Jeux olympiques de Paris 2024. Qu’en savez-vous ? Pensez-vous que la situation a évolué ? Avez‑vous des informations à nous transmettre à ce sujet ? En tout cas, je le répète, cette commission d’enquête ne cherche pas du tout à abîmer le mouvement sportif.
M. Bernard Amsalem. S’agissant des violences sexuelles, j’ai reçu très peu d’informations durant ma présidence. À l’époque, les gens se taisaient. C’est récent…
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je me permets de vous interrompre pour vous demander d’être, dans le cadre de cette audition, très précis dans vos réponses, afin que nous n’ayons pas à revenir sur vos propos. Lorsque vous dites que vous avez reçu « très peu d’informations », nous vous demanderons si vous avez été interpellé à propos d’une affaire précise. Nous souhaiterions connaître tout ce que vous pourrez porter à la connaissance de cette commission d’enquête, qui vise, je le rappelle, à servir à tous. Le rapport que nous publierons dans la deuxième semaine de décembre devra formuler des propositions qui puissent permettre à nos sportifs de pratiquer plus sereinement le sport et à rendre ce dernier plus accessible à chacun.
M. Bernard Amsalem. J’ai pris connaissance des propos de Mme Oudiou, qui a commencé à parler en 2018, à un moment où je n’étais plus président de la Fédération, pour évoquer des faits qui avaient commencé bien avant. Si on l’avait su avant…
Durant ma présidence, j’ai eu à connaître de deux affaires, qui ne concernaient pas des athlètes de haut niveau connus, mais de jeunes athlètes de région et des entraîneurs de club, et non des cadres techniques ou des entraîneurs nationaux. À chaque fois, je suis intervenu auprès des familles, en leur demandant de porter plainte. Une des familles a effectivement déposé une plainte, et nous nous sommes portés partie civile pour l’accompagner, mais l’autre famille n’a pas souhaité le faire.
Je n’ai donc jamais eu d’informations concernant les athlètes connus de haut niveau de l’équipe de France et celles dont je dispose sont celles qui commencent à sortir, depuis quelques années, et que j’ignorais auparavant.
Vous allez auditionner également le président actuel de la FFA, qui pourra mieux vous renseigner sur cette affaire, puisqu’il était président en 2018. D’après ce que j’ai compris, il a mis en place une procédure qui, étant donné que la personne concernée était un cadre technique d’État, a été invalidée par le ministère de sports. Sur les violences sexuelles, je n’ai donc, très franchement, jamais eu d’informations. Si nous en avions eu, nous serions intervenus immédiatement, car ce sont des choses insupportables. J’ai entraîné des filles durant toute ma vie et je n’ai jamais rencontré de problèmes.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Si je comprends bien, durant vos quatre mandats, vous n’avez jamais informé, ni contacté quelque cellule que ce soit ou le ministère, ni signalé des faits au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.
M. Bernard Amsalem. Non, jamais. À l’époque, les choses n’allaient pas jusqu’au bout et les gens ne parlaient pas. Ce n’est que depuis #MeToo qu’ils commencent à s’exprimer.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est en effet en 2018 qu’Emma Oudiou a fait part ouvertement des faits qu’elle avait subis, mais lors de son audition devant notre commission d’enquête, elle déclarait : « En 2014, j’ai subi des agressions sexuelles de la part d’un entraîneur fédéral de l’équipe de France. » Elle ajoutait : « En 2014, j’avais évoqué les faits auprès de mon entraîneur de pôle, qui n’avait pas du tout été sensibilisé aux violences sexuelles et qui a très peu réagi. J’ai continué de côtoyer l’auteur des faits entre 2014 et 2018 lors des grands championnats et des stages. » Vous nous dites donc qu’elle a prévenu son entraîneur, mais que l’information n’est pas remontée plus haut. Pouvez-vous le confirmer ?
M. Bernard Amsalem. Je le confirme. Cette information n’est jamais remontée jusqu’au niveau du président. Au sein d’une fédération, il faut distinguer deux secteurs : celui des élus et celui de la direction technique nationale. Le directeur technique national (DTN) pilote l’ensemble des entraîneurs nationaux. Nous travaillons évidemment ensemble, mais certaines informations peuvent ne pas émerger. C’est en tout cas possible, mais je n’en sais rien. Les choses se passaient bien avec certains DTN, mais il n’y avait pas de contacts du tout avec certains autres, comme dans toute fédération.
Les cadres techniques d’État sont sous l’autorité du ministère ou, au niveau régional, des délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes). Sur d’autres sujets, nos interventions auprès de l’État ou de la Drajes étaient sans effet. Le président n’a aucune autorité sur les cadres techniques, qui ne sont pas des cadres fédéraux, mais des cadres d’État, qui relèvent du ministère. Il s’agit là d’un vrai problème de gouvernance, au sujet de laquelle je peux vous soumettre des propositions.
M. Stéphane Buchou (RE). Vous avez déclaré que vous aviez regardé les auditions qui ont précédé la vôtre et j’imagine que vous êtes bien informé des sujets dont traite cette commission d’enquête. Je suis donc un peu surpris par vos propos liminaires : bien qu’il soit ici question des défaillances des fédérations sportives, en particulier des VSS et des dérives financières, vous avez très peu évoqué ces sujets et votre propos portait plutôt sur le monde sportif et bénévole, que nous connaissons très bien. Il ne s’agit pas ici, je le répète, d’abîmer le monde sportif.
Ensuite, vous dites que vous n’avez pas eu connaissance de l’affaire concernant Emma Oudiou parce que la parole ne s’est libérée qu’en 2018, date à laquelle vous n’étiez plus président. Cela signifie-t-il que, pendant vos quatre mandats, aucune information n’est jamais remontée jusqu’à vous concernant des violences sexuelles et sexistes ?
M. Bernard Amsalem. Aucune remontée d’information ne m’est parvenue sur les athlètes de haut niveau. Comme je vous l’ai indiqué, cela a pu concerner des athlètes de niveau régional. À l’époque, il y avait peut-être des problèmes, mais les filles ne parlaient pas. Comment deviner ?
M. Stéphane Buchou (RE). Je ne vous accuse de rien, mais nous avons besoin de réponses précises à nos questions précises. Nous allons poursuivre pour comprendre pourquoi ces affaires ne remontent pas jusqu’au président d’une fédération nationale. Pouvez-vous fournir des explications sur le fait que vous n’ayez pas été informé de l’existence d’affaires concernant des athlètes de haut niveau, mais seulement de celles qui concernaient d’autres athlètes ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ajoute que notre commission ne s’intéresse pas uniquement au sport de haut niveau mais également au sport amateur, qui concerne beaucoup plus de gens. Comment avez-vous traité les informations qui vous sont parvenues concernant les athlètes de niveau amateur ? Vous avez indiqué n’avoir jamais opéré de signalement ni recouru à l’article 40. Quelles procédures ont été mises en place à l’époque ?
Mme la présidente Béatrice Bellamy. J’ajoute que notre commission ne porte pas uniquement sur les VSS, mais sur tous types de violences, c’est-à-dire aussi sur les violences physiques et psychologiques.
M. Bernard Amsalem. Je ne peux que redire ce que j’ai déjà dit. De mémoire, deux informations seulement m’ont été remontées. J’en oublie peut-être, d’autant plus qu’à l’époque, il pouvait s’agir de jeunes athlètes non connus et d’entraîneurs de clubs que je ne connaissais pas. Dans une fédération de 300 000 licenciés, nous ne connaissons pas tout le monde. Quand ces informations sont remontées jusqu’à nous, nous avons incité les familles à porter plainte et nous avons même proposé de nous porter partie civile pour les aider. L’une des familles a porté plainte, l’autre non, mais et j’ignore ce qui s’est passé ensuite sur le terrain. Nous avons parlé avec les présidents des comités régionaux et les structures décentralisées, mais cela n’allait pas plus loin. Je précise que je parle bien des violences sexuelles.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous indiquer de quelles affaires vous parlez ? S’agit-il d’agressions sexuelles ou de faits de violences physiques ou psychologiques ?
Vous avez conseillé aux familles de porter plainte mais, si je comprends bien, ni le club ni la Fédération ne se sont emparés de ces affaires pour prendre des sanctions disciplinaires. De quelle manière la Fédération a-t-elle agi en interne pour traiter ces affaires ?
M. Bernard Amsalem. À partir de ce moment-là, la Fédération a créé une commission d’éthique et de déontologie, afin de traiter ces cas. Les responsables locaux – présidents de club et présidents de comité départemental ou régional – faisaient remonter ces affaires auprès de la commission, qui proposait des décisions. La commission d’éthique et de déontologie est présidée par Michel Samper, ancien athlète de haut niveau et actif au Paris Université Club (PUC), à Paris, qui pourrait vous expliquer le bilan de la commission, laquelle a traité, à ma connaissance, plus de 120 affaires de tous types, pas seulement d’ordre sexuel. De notre côté, nous ne participons pas à la commission d’éthique, qui est composée de spécialistes et qui a fait un bon travail durant cette période, mais qui est extérieure à la Fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous préciser de quelles affaires il s’agissait ? Qui étaient les mis en cause ? S’il s’agissait de personnes internes à la Fédération, comme des entraîneurs, pourquoi des sanctions internes n’ont-elles pas été prises ?
M. Bernard Amsalem. Je ne me souviens pas des noms, qui n’étaient pas très connus. Peut-être figurent-ils dans les dossiers de la Fédération. Localement, les gens ne voulaient pas engager d’actions, qu’il s’agisse du responsable du club ou des parents. J’ignore la gravité de ces affaires. En seize ans, deux informations sont remontées, au début des années 2000. Par la suite, il n’y a plus rien eu. Que voulez-vous que je vous dise de plus ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je pose cette question une troisième fois : de quel type d’affaires s’agissait-il ? Quelles étaient les informations remontées ?
M. Bernard Amsalem. Ces informations ne m’ont pas été remontées directement. Une gamine n’appelle pas le président de la Fédération pour lui dire ce qu’elle a subi. Plusieurs personnes se relaient pour faire remonter l’information.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous ne sommes pas novices en la matière et nous imaginons bien que ce n’est pas la sportive qui a appelé le président de la Fédération. Il était inutile de l’ajouter. Nous voulons juste savoir ce qui s’est passé, tout simplement. Donnez‑nous le détail des informations dont vous avez eu connaissance.
M. Bernard Amsalem. L’information remonte par plusieurs personnes jusqu’aux services de la Fédération. Un directeur de service est missionné par un élu – généralement le président – pour voir localement ce qu’il est nécessaire d’engager. Sur les deux affaires en question, j’ai demandé un accompagnement des familles. Mais celles-ci n’ont pas donné suite. Il s’agissait de mineures. Que voulez-vous que nous fassions dans ces cas-là ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je pose donc une quatrième fois cette question. De quels faits parlons-nous ? S’agit-il de viols ou d’agressions sexuelles ?
M. Bernard Amsalem. Il s’agissait d’agressions sexuelles, dont je ne connais pas le détail. Quelqu’un avait-il mis une main aux fesses ? Je n’en sais rien, mais il ne s’agissait pas de viols. C’est en tout cas ce qui est remonté.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La famille a-t-elle été accompagnée et lui a-t-on expliqué pourquoi il fallait déposer plainte ? L’entraîneur auteur des gestes déplacés a-t-il été identifié ? Y a-t-il eu une traçabilité ?
M. Bernard Amsalem. Non, je n’ai jamais su son nom. Dans tous les clubs, il existe des entraîneurs bénévoles. Nous ne connaissons que les entraîneurs nationaux et les cadres techniques, pour lesquels il existe un répertoire, mais pas les entraîneurs de clubs, surtout s’il s’agit de tout petits clubs.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Certes, le mouvement est vaste, mais quand un président de fédération a connaissance de deux histoires de ce genre, on peut s’attendre à ce qu’il les suive du début jusqu’à la fin et s’inquiète de savoir qui est l’entraîneur, s’il exerce toujours et s’il est possible de l’évincer de son club, même s’il est amateur, pour protéger de futures victimes.
M. Bernard Amsalem. Bien sûr. Il a peut-être été évincé, mais je ne le sais pas. Nous intervenons, puis, à un moment donné, les informations ne nous remontent plus. Comment faire ?
M. Stéphane Buchou (RE). Je vous comprends mal. Vous indiquez n’avoir eu connaissance que de deux affaires. J’entends bien que les familles n’aient pas voulu donner suite, mais, dès lors que vous aviez connaissance de ces faits, que vous ne savez pas comment qualifier aujourd’hui, quelles mesures la Fédération a-t-elle prises pour y mettre fin ? En l’occurrence, les entraîneurs ont-ils été évincés ? Si non, pourquoi ?
M. Bernard Amsalem. Je ne sais pas ce que sont devenus les entraîneurs, car il n’y a pas eu de suivi. Nous avons décidé de créer cette commission d’éthique et de déontologie pour prévenir de tels cas et, le cas échéant, sanctionner. Cette commission était chargée de tous les problèmes d’éthique de la Fédération, si bien que, lorsque des affaires remontaient, elles remontaient à la commission, qui est chargée de ces questions.
Sur ces deux affaires, dont j’avais eu connaissance sans disposer de beaucoup d’éléments, nous n’avons rien pu faire, car nous avions l’impression que, localement, tout le monde s’en foutait. Que faire dans ces cas-là ?
M. Stéphane Buchou (RE). La question n’est pas de savoir si, localement, les gens « s’en foutent », pour reprendre vos termes. En revanche, vous nous dites qu’en tant que président de la Fédération française d’athlétisme, alors que vous aviez connaissance de deux affaires, vous n’avez rien fait et avez créé une commission d’éthique. Il y a un souci !
Je vous rappelle que vous témoignez sous serment. Trouvez-vous normal de nous répondre « Je ne savais pas », alors que vous nous avez dit voilà quelques minutes que vous aviez connaissance de ces affaires ?
M. Bernard Amsalem. Comment voulez-vous que je devine ce qui s’est passé localement, puisque rien n’est remonté ?
M. Stéphane Buchou (RE). C’est un dialogue de sourds. D’une part, vous nous dites qu’en tant que président de la FFA, vous avez eu connaissance de deux affaires et, simultanément, que vous n’avez été informé d’aucune suite. Le rôle de la Fédération consiste précisément à suivre ces affaires, à entendre les athlètes concernés et à prendre les sanctions qui s’imposent.
M. Bernard Amsalem. Les faits se sont déroulés il y a plus de vingt ans et je n’ai pas tous les éléments en tête. Peut-être des choses ont-elles été faites, je n’en sais rien. Il faudrait demander au président de la Fédération de regarder dans les archives s’il trouve des traces.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous rappelle le contexte : notre commission traite des dysfonctionnements au sein du mouvement sportif, notamment des fédérations. Vous dites avoir eu connaissance de ces affaires, mais n’avez pas cherché à en savoir plus. Aucune enquête n’a été menée.
M. Bernard Amsalem. J’ai délégué.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces affaires n’ont donné lieu à aucun suivi et vous n’avez pas vérifié si les personnes mises en cause étaient toujours en poste quelques années plus tard, alors qu’elles ont pu éventuellement agresser d’autres victimes.
De plus, la manière dont vous parlez de ces faits me pose problème. Vous nous dites que tout le monde s’en foutait, alors qu’il est question d’agressions sexuelles. En tant que président de fédération, vous avez des responsabilités envers des mineures. Nous parlons ici de deux affaires en plusieurs années : ce n’est pas comme si vous étiez inondé d’affaires, au point de ne pas pouvoir les suivre correctement.
Enfin, celles que vous désignez comme des « gamines » sont des sportives, des athlètes sous votre responsabilité. Il conviendrait de faire preuve de plus de décence et de respect envers des victimes qui ont eu le courage de s’exprimer. Encore une fois, comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas eu de suivi, d’enquête ni de sanction, et que vous vous soyez contenté de dire à la famille de porter plainte ?
M. Bernard Amsalem. Je suis désolé, mais il m’est difficile de vous apporter des réponses claires et nettes. D’une part, ma mémoire ne me permet pas de me rappeler tous les éléments. D’autre part, il existe sans doute des traces dans les archives de la Fédération, mais je ne peux pas aller les chercher. À l’époque, nous avons sans doute chargé un service, peut-être le service juridique, de traiter de ce sujet. Il existe peut-être un compte rendu, mais je ne m’en souviens plus. Vous me demandez une réponse que je ne peux vous donner, puisque je n’ai pas la mémoire de cette réponse. Que voulez-vous que je fasse ? Je ne vais pas vous dire n’importe quoi.
M. Stéphane Buchou (RE). Je vous confirme qu’il faut éviter de nous dire n’importe quoi. Les questions évoquées par Mme la rapporteure ne relèvent pas uniquement de la mémoire. Nous vous posons une question très simple : pourquoi n’y a-t-il pas eu de suivi, ni d’enquête, ni de sanction ? La question porte en réalité sur le fonctionnement de la fédération dont vous étiez le président. À défaut de retrouver la mémoire, vous pouvez au moins nous répondre sur la manière dont était organisé le circuit d’information au sein de cette fédération. Jusqu’à présent, vos propos témoignent d’une légèreté certaine quant à l’appréhension de ces affaires graves par la Fédération et par son président de l’époque.
M. Bernard Amsalem. Que voulez-vous que je réponde à cela ? Je n’ai rien à dire.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez indiqué que vous aviez créé la commission d’éthique en 2006, ce qui part d’une très bonne intention. Vous avez ajouté qu’elle a, depuis lors, traité plus de cent dossiers. Avez-vous examiné ces dossiers avec la commission d’éthique, et quels sujets concernent-ils ?
M. Bernard Amsalem. Encore une fois, je vous propose d’auditionner Michel Samper, président de cette commission depuis sa création, et qui en a suivi tous les dossiers. Dès lors que l’on crée une commission composée de personnalités indépendantes de la Fédération et à qui on confie des responsabilités, c’est à elle qu’il faut demander le contenu des dossiers. Cette commission a traité de problèmes de toute nature, et pas seulement sexuels, comme, j’imagine, des problèmes de gouvernance, de comportement, de violence ou de racisme. Je n’ai pas les dossiers sous les yeux et ne les ai pas suivis. Je fais confiance à des personnes à qui je donne des missions et je compte sur eux pour les mener comme il faut. Je pense que cette commission a fait du bon travail.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il s’agit là de votre appréciation. Il aurait sans doute été préférable que vous puissiez faire un point à date avec cette commission pour exercer un suivi des affaires en cours. La création de cette commission, qui témoigne de votre part d’une bonne intention, était sans doute alors une nécessité. Il aurait fallu en profiter pour échanger avec son président et, en tant que président de la Fédération, pour être informé des dysfonctionnements qui pouvaient exister en son sein.
M. Bernard Amsalem. Je peux demander à Michel Samper de vous adresser un dossier comportant les éléments dont il dispose depuis 2006.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Oui. Je vous remercie de nous transmettre l’information par courriel.
Je souhaite également vous interpeller sur les propos de la navigatrice Mathilde de Kerangat, qui a déposé plainte en 2022 pour dénoncer les abus et violences sexuels dont elle a été victime de la part de son ancien entraîneur d’athlétisme. Les faits remontent aux années 1998 à 2002, lorsqu’elle avait entre sept et onze ans. La première plainte a été classée sans suite. Avez-vous connaissance de cette affaire et de l’entraîneur qui a été mis en cause ?
M. Bernard Amsalem. Je ne connaissais pas cette histoire, dont je n’ai jamais eu d’écho. En 1998, j’étais vice-président, puis président en 2001. J’ignore jusqu’au nom de l’entraîneur.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. C’est la question que je vous pose.
M. Bernard Amsalem. Je découvre cette histoire, qui n’est jamais remontée jusqu’à la Fédération. Je vais me renseigner. Elle était athlète ?
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Oui.
M. Bernard Amsalem. Je ne savais pas.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La commission d’enquête a eu l’information, qui est parue dans la presse.
M. Bernard Amsalem. Je n’en ai jamais eu écho.
M. Stéphane Buchou (RE). Selon vous, quel est le rôle d’un président de fédération nationale ? Vous n’êtes pas le premier à répondre à des questions précises de notre part en nous renvoyant vers votre directeur général ou d’autres collaborateurs et en déclarant que vous aviez délégué et n’étiez pas au courant. N’avez-vous qu’un rôle de représentation et êtes-vous dans une bulle totalement étanche ? Pour le fan de sport que je suis, c’est très surprenant.
M. Bernard Amsalem. Un président de fédération est quelqu’un qui prend des responsabilités. Quand j’ai été élu, en 2001, les présidents étaient encore bénévoles. J’exerçais donc une activité professionnelle en parallèle, et il était difficile de gérer les deux et d’être aussi disponible qu’il le fallait. J’ai commencé à être rémunéré par la Fédération en 2005 ou 2006, lorsque la loi l’a permis, mais je n’ai pas été immédiatement président à plein temps, parce que le salaire de 2 500 euros par mois était insuffisant et que je ne voulais pas le porter à 7 500 euros, comme la loi le permettait. Après cette période où il était difficile d’être pleinement disponible, j’ai exercé la présidence à plein temps et j’ai été très sollicité, d’abord par le ministère de tutelle, notamment pour la préparation des conventions d’objectifs, et pour de nombreuses réunions de suivi des différents dossiers, ainsi qu’avec le DTN et les différentes collectivités territoriales, puisque la Fédération dispose de représentants au niveau départemental et régional, les présidents des comités locaux d’athlétisme.
Le sport est en effet présent sur tous les territoires et nous avions besoin, par exemple, de créer des pôles ou des lieux pour organiser des stages. Je rencontrais donc très fréquemment des élus – maires ou présidents de départements ou de régions – pour les convaincre d’aider la Fédération. Ayant moi-même été maire et conseiller régional, je connais bien les problèmes des élus locaux et j’ai fait en sorte que la Fédération puisse conclure des conventions avec vingt-quatre ou vingt-cinq collectivités territoriales, aux termes desquelles nous recevions des subventions qui nous permettaient de financer nos opérations territoriales et nationales. Toutes ces activités me prenaient beaucoup de temps, car un président est en quelque sorte un ambassadeur de sa fédération.
Par ailleurs, j’occupais des responsabilités qui me prenaient beaucoup de temps à la fédération internationale d’athlétisme, où je m’occupais, durant mon premier mandat, du développement de l’athlétisme chez les jeunes en diffusant la pratique sous forme de jeu dans tous les pays du monde, puis, à partir de mon deuxième mandat, de l’éthique dans le domaine de l’athlétisme. Je faisais confiance au directeur général, dont le rôle est de piloter au quotidien les services de la fédération. Un président de fédération doit participer à de nombreuses réunions et participer à des commissions – au nombre de vingt à trente, selon les sports –, qui réunissent des acteurs locaux, comme les arbitres ou les entraîneurs, à quoi s’ajoute la commission de validation des équipements sportifs, dont les travaux, destinés à homologuer les équipements construits par les collectivités, prennent du temps. Lorsque j’étais président, je n’étais jamais chez moi et je n’avais jamais de week-ends – puisque c’est le moment où ont lieu les compétitions. C’était ainsi toute l’année et je n’ai pas vu mes enfants grandir. C’était difficile.
Même avec 300 000 licenciés, la FFA n’est pas une très grosse fédération, et le président doit donc être plus souvent présent que dans des fédérations disposant de plus de moyens, où il a peut-être plus de temps pour ses proches et sa famille. Ces fonctions sont donc très prenantes et supposent des responsabilités importantes, qui impliquent de faire toujours attention aux décisions qu’on va prendre et de demander l’avis de juristes – ce que nous faisions régulièrement.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La commission d’éthique ne vous a-t-elle jamais remis de comptes rendus d’étape sur les dossiers en cours ? Et, si elle ne vous en fournissait pas, pourquoi ne lui en avez-vous jamais demandé ? C’est étonnant, car des affaires graves, comme des agressions sexuelles ou des faits de racisme, de discrimination ou d’homophobie, remontent nécessairement au ministère des sports, dont vous rappeliez la tutelle.
Ensuite, ne pensez-vous pas que l’une des principales responsabilités d’un président de fédération est également de garantir la sécurité de ses licenciés, et particulièrement des mineurs ? En matière d’agressions sexuelles, par exemple, il ne suffit pas de dire que vous avez délégué. Il est de votre responsabilité d’effectuer des signalements à la justice, au titre de l’article 40, ou auprès du ministère des sports.
M. Bernard Amsalem. Les rapports de la commission d’éthique étaient transmis au président, au bureau et au conseil d’administration, c’est-à-dire à toutes les instances de la Fédération, et lorsqu’il fallait prendre des sanctions, nous le faisions.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Juste après nous avoir dit que vous n’étiez pas au courant de ce que faisait la commission d’éthique, vous nous dites maintenant que, quand il le fallait, vous preniez des sanctions.
M. Bernard Amsalem. Vous mélangez tout !
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Non, je ne mélange pas tout.
M. Bernard Amsalem. Il était d’abord question de problèmes sexuels.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Notre commission d’enquête ne traite pas uniquement des violences sexuelles, mais de tous les sujets. Si vous étiez informés des autres sujets, vous deviez donc l’être aussi des affaires sexuelles.
M. Bernard Amsalem. Les sujets qui remontaient aux instances dirigeantes de la Fédération étaient ceux qui pouvaient faire l’objet de sanctions. Il existe une commission spécifique pour procéder à ces sanctions, comme le retrait d’une licence ou la suspension d’une personne. Les statuts de la Fédération prévoient des procédures à cet effet, et elles sont suivies. Le président n’a pas besoin de connaître tout ce qui se passe dans les commissions, du fait des délégations, confiées notamment à certains élus. Chaque fédération fonctionne de la sorte. Le président n’a pas la mémoire de tout ce qui se passe, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans sa fédération.
M. Stéphane Buchou (RE). La question ne concerne pas votre mémoire. Vous avez présidé la Fédération française d’athlétisme de 2001 à 2016, mais depuis le début de cette audition vous nous dites que vous n’étiez pratiquement informé de rien de ce qui se passait dans votre fédération, en raison du système de délégations qui établit comme un filtre à la porte de votre bureau.
M. Bernard Amsalem. Je n’ai pas dit cela !
M. Stéphane Buchou (RE). C’est l’image que cela donne. Je ne suis pas naïf au point de ne pas savoir ce qu’est le rôle d’un président de fédération. Cependant, permettez-moi de penser qu’il est très surprenant que vous balayiez d’un revers de la main les affaires que nous évoquons en prétextant que vous n’étiez pas informé et que nous devons interroger la personne à qui vous aviez délégué la question. Circulez, il n’y a rien à voir !
M. Bernard Amsalem. Dans une fédération, la démocratie est prioritaire. Nous nous répartissons les tâches entre personnes démocratiquement élues, au sein de commissions prévues dans les statuts de toutes les fédérations. Ces commissions et leurs présidents sont ainsi chargés de tel ou tel secteur d’activité et examinent les dossiers des problèmes juridiques, sociaux ou sportifs qui se posent dans leur domaine. Nous sommes informés, mais le président ne décide pas de tout. Ce n’est pas un dictateur.
M. Stéphane Buchou (RE). Rassurez-moi : les commissions dont vous venez de parler ne sont pas extérieures à la fédération, mais elles en font partie, n’est-ce pas ? Vous venez en effet de dire vous-même qu’elles se réunissaient, puis rendaient compte au président. La question que nous vous posons depuis tout à l’heure est très simple : comment se fait-il qu’en étant informé des éléments que font remonter les commissions dans le cadre de la gouvernance démocratique que vous venez de décrire, rien ou quasiment rien ne se soit passé ensuite ? Depuis le début de nos échanges, vos propos nous surprennent, pour le moins.
Nous pouvons tous comprendre que vous n’ayez pas une vision d’une parfaite granulométrie de tout ce qui se passe au sein de votre fédération, même pour la période où vous en étiez salarié, mais en tant que président, c’est vous qui, en dernier lieu, tenez les rênes et pouvez décider des mesures à prendre. C’est la raison pour laquelle je vous le demande à nouveau : à quoi sert un président de fédération lorsqu’il est informé de ce type d’affaires ? Ne pensez-vous pas qu’il y a eu là un gros dysfonctionnement ?
M. Bernard Amsalem. Il est faux de dire qu’il ne se passe rien. Lorsque nous sommes informés par la commission, une sanction est proposée et une décision est prise.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans le cadre de cette commission, avez-vous été informé d’affaires relatives à des violences sexuelles et sexistes ? Quel processus a été mis en place ? Quelles sanctions ont été prises ? Avez-vous fait remonter ces informations au ministère des sports ?
M. Bernard Amsalem. De mémoire, il n’y a pas eu d’affaires sexuelles. Nous ne les avons donc pas fait remonter au ministère. Celles qui remontaient étaient celles qui concernaient des cadres techniques, des agents de l’État. Lorsque ce n’était pas le cas, elles ne remontaient pas, car le problème ne dépendait que la Fédération, et le ministère nous disait d’ailleurs que, lorsqu’il s’agissait d’entraîneurs de club, cela ne le regardait pas. Lorsque nous souhaitions des sanctions, le ministère ou les Drajes ne faisaient pas grand-chose. Il n’agissait pas d’affaires sexuelles, mais par exemple de cadres nationaux qui préféraient aller travailler pour une entreprise extérieure plutôt que de faire le travail pour lequel ils avaient été nommés, et que nous ne voyions jamais sur les pôles ou à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) : nous en informions le ministère, qui ne faisait rien. Malheureusement, cela s’est produit très souvent. Il n’y a pas de gestion des ressources humaines au ministère des sports.
Par ailleurs, je souhaiterais évoquer la gouvernance, sur laquelle vous n’avez pas encore posé de questions.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelles relations la direction de la fédération entretenait-elle avec le ministère de tutelle durant votre présidence ? En 2018, à l’antenne de RTL, vous dénonciez un « désengagement de l’État vis-à-vis du sport ». Réitéreriez-vous ces propos aujourd’hui ?
M. Bernard Amsalem. Depuis plusieurs années, le ministère réduit le nombre de cadres techniques mis à disposition des fédérations. Quand je suis arrivé à la FFA, je disposais de 115 cadres techniques. Quand je suis parti, ils n’étaient plus que 80.
Ensuite, alors que nous vivons de subventions, celles qu’apportait le ministère au titre de la convention d’objectifs diminuaient d’année en année. Quand j’ai créé le dispositif sport-santé, en 2003, le ministère a refusé de financer la formation des coachs et j’ai dû déposer un dossier pour obtenir les fonds au niveau européen. Il a fallu attendre 2010-2011 pour que le ministère s’y intéresse, et c’est alors que j’ai obtenu la création d’un CQP. Aujourd’hui, l’organisation nationale du sport, avec la création d’une Agence nationale du sport et la multiplication des niveaux de décision, sans compter les conférences nationales – certes intéressantes, et dont j’ai créé la première, pour les Pays de la Loire, cinq ans avant l’instauration du dispositif par la loi, pour associer les niveaux territoriaux et régionaux – est devenue incompréhensible.
On additionne les étages, mais les moyens diminuent, le budget du sport ne représentant que 0,15 % du budget national. Nous sommes très inquiets pour le développement du sport en France à l’issue des Jeux olympiques, car on évoque beaucoup l’héritage des Jeux, mais pour qu’il y ait un héritage, il faut beaucoup investir auparavant.
Quant au sport à l’école qui nous paraît fondamental, il ne devrait pas se limiter à une demi-heure par jour : il faudrait au moins doubler cette durée, selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui désigne ce « nous » ?
M. Bernard Amsalem. La Fédération française d’athlétisme a été la première à intervenir dans les écoles, et d’autres le font. Lorsque j’étais vice-président du CNOSF, à l’époque de la réforme des rythmes scolaires, en 2014, j’ai incité toutes les fédérations à intervenir dans les écoles et j’ai accompagné le ministre de l’époque, Vincent Peillon, qui agissait en ce sens, mais son successeur a tout supprimé. Selon l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), seules 15 % des communes continuent à intervenir dans les écoles sur le plan sportif, alors que le sport est un moyen d’expression et un moyen de lutter contre l’obésité. Quarante fédérations participaient à ce mouvement, qui devait initialement toucher toutes les communes, mais elles ne sont plus très nombreuses aujourd’hui.
La question de la gouvernance, à laquelle j’ai consacré plusieurs rapports, doit également être évoquée. Celui que j’ai rédigé en 2016 sur le modèle économique du sport, destiné à la Conférence nationale du sport et agréé par le ministère, visait à faire évoluer le modèle actuel de la gouvernance du sport, qui n’est plus adapté à la société d’aujourd’hui. J’y proposais un système de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), qui a d’ailleurs été intégré dans la loi l’année dernière. Ce système permet d’établir une gouvernance partagée avec l’ensemble des acteurs du sport, privés et publics, dont les collectivités, qui sont, de loin, le premier financeur du sport en France, puisqu’elles y investissent 13 à 14 milliards d’euros par an, contre 1 milliard pour l’État. Chargé, au sein du Comité olympique, d’accompagner les fédérations et les clubs qui veulent changer de statuts, je pense que cette gouvernance, qui figure dans le code du sport depuis peu de temps, permettra d’offrir une autre image au mouvement sportif et de disposer de structures sportives plus professionnelles et plus entrepreneuriales, avec un statut particulier pour l’économie sociale et solidaire, ainsi que de mieux gérer tous les problèmes qu’examine votre commission d’enquête.
J’ai également publié, en tant que membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese), un rapport sur l’économie du sport en France, dans lequel j’ai formulé onze propositions, dont une seule a été retenue jusqu’à présent mais qui, si elles devaient toutes être retenues, permettraient au sport de se porter beaucoup mieux. Je pourrai, si vous le souhaitez, vous transmettre ces éléments.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans un arrêt du 7 novembre 2022, la Cour de discipline budgétaire et financière vous a condamné, ainsi que plusieurs autres cadres actuels ou anciens cadres de la Fédération, pour avoir inscrit en comptabilité des créances non justifiées par un engagement juridique, constitué des provisions insuffisantes ou omis d’en avoir constitué. Que pouvez-vous nous dire de cette condamnation ?
M. Bernard Amsalem. Depuis que je suis président, la Cour des comptes et l’Inspection de la jeunesse et des sports ont produit plusieurs rapports. Celui que vous avez mentionné était le premier négatif, alors que tous les autres étaient très positifs. En l’occurrence, le rapporteur désigné par la Cour des comptes n’a pas voulu m’auditionner, malgré mon insistance. Trouvez-vous cela normal ?
Ensuite, j’ai expliqué les problèmes que nous avions rencontrés. Nous avons mis en place une politique de relance de l’athlétisme dans les Antilles et en Guyane, départements qui avaient été pendant des années d’importants fournisseurs d’athlètes, mais qui accusaient en la matière une baisse générale, liée à une baisse de moyens. Alors que l’on supprimait des postes de cadres techniques en métropole, le ministère a accepté de nous aider en créant trois de ces postes : un pour chacun des trois départements de Martinique, Guadeloupe et Guyane. Le ministère de l’outre-mer et celui des sports m’avaient également donné une subvention importante pour relancer l’athlétisme, et les trois collectivités avaient également voté des subventions, mais ces dernières n’ont malheureusement été versées que trois à quatre ans plus tard – ce retard de versement, généralement d’un à trois ans, est courant de la part des collectivités. Nous avons donc été condamnés pour avoir établi des budgets qui n’étaient pas réels, compte tenu du retard dans le versement des subventions accordées – et dont nous avons la preuve.
Par ailleurs, la Fédération avait conclu un contrat de partenariat avec une grande entreprise du nucléaire, Areva, qui a récemment changé de nom et qui finançait à l’époque le meeting que nous organisions à Paris. À la suite de difficultés financières et d’un changement de management, cette entreprise n’a pas versé les fonds prévus pour les deux dernières années du contrat de quatre ans, malgré les engagements pris par la nouvelle direction. Nous avons donc dû effacer ces recettes prévues de nos documents budgétaires.
Voilà les raisons pour lesquelles on nous a reproché d’avoir établi des budgets qui n’étaient pas réels. Au terme de la procédure intentée devant le tribunal de la Cour des comptes, j’ai été condamné à une amende de 500 euros, au lieu des 8 000 demandés par l’auteur de la procédure. Aurions-nous dû laisser tomber les outre-mer, pourvoyeurs de champions dans tous les sports ? Nous avons, au contraire, considéré qu’il fallait les aider, et avons même fait créer par le centre de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps) de Guadeloupe, aux Abymes, un collège permettant aux enfants, depuis leur plus jeune âge, de faire leurs études en étant suivis sur le plan sportif. La création de trois postes de cadres techniques n’a cependant pas servi à grand-chose, puisque nous nous sommes fait allumer par la Cour des comptes.
Enfin, je vous confie que le membre de la Cour des comptes qui a produit le rapport est élu d’une collectivité de la région parisienne avec laquelle j’ai été conflit pour avoir défendu une athlète de haut niveau qui était salariée de cette collectivité et y avait été maltraitée : je me suis engueulé avec le maire, et l’adjoint s’est vengé. C’est la vérité. Je ne veux pas donner ici plus de détails, pour ne pas avoir de problèmes, mais sachez que cette personne est fort connue, de manière négative, à la Cour des comptes.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. N’hésitez pas à nous transmettre les documents qui justifient vos propos.
Par ailleurs, je sens une forme d’agressivité de votre part à notre égard. Députés de la nation, nous sommes de bonne foi et nous nous efforçons de bien conduire le travail de cette commission d’enquête en auditionnant les différents acteurs du mouvement sportif. En aucun cas, je le répète, nous ne souhaitons avoir une action négative envers ce dernier, bien au contraire.
M. Bernard Amsalem. Je ne suis pas agressif, mais passionné, ce qui donne peut-être à la discussion une tonalité différente des propos classiques. J’ai un très grand respect pour le Parlement, les députés et les sénateurs, qui sont très importants pour notre République.
M. Stéphane Buchou (RE). Je souhaite revenir sur les entraîneurs qui ne relèvent pas du ministère des sports, pour évoquer la question des contrôles d’honorabilité. Quelles procédures ont été mises en place au sein de la Fédération pour assurer la fluidité de la transmission des informations relatives aux éducateurs recrutés dans les clubs, pour ce qui concerne les faits que nous évoquons depuis le début de cette audition ?
M. Bernard Amsalem. Je précise que, dans une grande majorité des clubs, il ne s’agit pas de recrutements, car les entraîneurs de clubs sont bénévoles, et non pas salariés. En effet, seuls les gros clubs peuvent se permettre de rémunérer un entraîneur. Dès que nous disposions d’une information sur des dérives, quelles qu’elles soient, nous suspendions l’entraîneur pour quelques années ou, si les faits étaient très graves, lui retirions purement et simplement sa licence.
M. Stéphane Buchou (RE). Je ne comprends pas bien. Il y a une trentaine de minutes, vous nous avez dit que vous n’aviez pas connaissance de ce qui se passait au sein des clubs, mais vous venez de nous dire le contraire.
M. Bernard Amsalem. Je vous ai répondu précédemment au sujet des problèmes sexuels, pour lesquels je n’ai pas eu de remontées d’informations, mais il pouvait aussi s’agir de violence ou de manque de respect des athlètes de la part d’entraîneurs devenus dictateurs. Lorsque cela remontait jusqu’à nous, soit nous suspendions l’entraîneur, soit nous retirions sa licence. Nous n’avons pas eu de remontées à propos de problèmes sexuels, mais nous en avons eu pour des problèmes de violences ou des comportements anormaux et, dans ces cas, nous prenions nos décisions.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons l’impression de faire des allers-retours permanents sur ces questions. Il importe de bien qualifier les choses : nos questions ne portent pas sur les « problèmes sexuels », mais sur les violences sexuelles et sexistes dans le mouvement sportif. Nous constatons que vous vous êtes plus informé sur les faits de violences dans les clubs – en dehors de la question des VSS – que sur les deux affaires de violences sexuelles dont vous avez eu connaissance. Je suis surprise du traitement à deux poids, deux mesures de ces affaires et du choix qui a été fait de ne pas suivre de tels dossiers, pourtant très importants – et sans doute plus que les faits de violence survenus dans les clubs. Quand un entraîneur est accusé d’une agression sexuelle, il est normal de le sanctionner, au même titre qu’un entraîneur qui commet d’autres types d’agressions. Dans certains cas, vous êtes parfaitement informé, dans d’autres cas, vous ne l’êtes pas du tout. Je trouve cela étonnant.
M. Bernard Amsalem. À cette époque, on parlait peu des problèmes sexuels, dont on parle davantage – et c’est tant mieux – depuis le mouvement #MeToo. Nous ne savions pas ce qui se passait et les informations qui pouvaient nous parvenir n’étaient pas toujours fondées et pouvaient relever de calomnies en raison des jalousies entre entraîneurs. Comment prendre des décisions dans de telles situations ? Dans les deux cas que j’ai évoqués, nous avons fait ce qu’il fallait faire, mais les familles n’ont pas bougé. Que faire, dans ces cas-là ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est bien pour cette raison qu’il importe de mener des enquêtes internes. Je ne m’intéresse pas aux jalousies entre entraîneurs, mais aux victimes, dont il faut, par principe, croire la parole. Or, en l’occurrence, elles se sont confiées aux instances dirigeantes du club ou de la Fédération, mais leurs témoignages n’ont pas été pris au sérieux, puisque vous avez demandé aux familles de porter plainte, après quoi plus personne ne s’en est occupé. Je suis donc surprise de la légèreté avec laquelle ces affaires ont été traitées. Par ailleurs, nous n’avons pas évoqué que les violences sexuelles, et nous avons le sentiment qu’en fonction des questions, vos réponses diffèrent.
M. Bernard Amsalem. Je vous ferai transmettre les comptes rendus de la commission d’éthique et de déontologie. Vous pourrez constater que les traitements des dossiers n’étaient pas différents.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué des entraîneurs « dictateurs ». De quoi parliez-vous précisément ?
M. Bernard Amsalem. Dans de nombreux sports, il arrive qu’un entraîneur prenne un ascendant sur un athlète et devienne plus qu’un deuxième père ou un tuteur, essayant de lui faire accomplir des choses qui vont au-delà de l’entraînement traditionnel. C’est déjà arrivé et l’athlète peut alors se plaindre d’être manipulé. Dans ce cas, ces dossiers sont traités par la commission d’éthique, dont je vous ferai transmettre toutes les décisions. Vous disposerez ainsi de tous les éléments.
M. Stéphane Buchou (RE). Vous nous dites n’avoir eu connaissance que de deux affaires…
M. Bernard Amsalem. De nature sexuelle.
M. Stéphane Buchou (RE). J’ai bien compris. Cependant, vos derniers propos concernant des entraîneurs laissent penser que vous avez été informé d’un plus grand nombre d’affaires.
M. Bernard Amsalem. Je transmettais ces dossiers à la commission d’éthique, qui était chargée de faire enquête et de proposer ensuite des sanctions. Je vous propose de vous transmettre ces comptes rendus, afin que vous disposiez de tous les éléments. Que puis-je faire de plus ? Je n’ai pas la mémoire des 120 affaires qui ont été traitées par la commission.
M. Stéphane Buchou (RE). Ce n’est pas la question. Depuis tout à l’heure, vous nous dites n’avoir eu connaissance que de deux cas, mais finalement il apparaît que vous avez été informé d’un plus grand nombre d’affaires, puisque vous venez de nous dire que vous les aviez transmises à la commission d’éthique. Nous ne vous demandions pas le détail des affaires, mais des réponses précises.
M. Bernard Amsalem. Je ne connais pas par cœur les délibérations. J’ai employé le « je », mais j’aurais pu dire « nous ». Parfois, les dossiers remontaient au directeur général qui, sans toujours m’en parler, les transmettait directement à la commission d’éthique. Dans une fédération, comme dans n’importe quelle association, le système est hiérarchisé. Le directeur général prend les décisions en appliquant naturellement les règlements et les statuts votés. Le président n’a pas besoin d’être informé de tout.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je dois mettre un terme à cette audition, mais je tiens à vous rappeler que la Cour des comptes fonctionne de manière collégiale. Enfin, nous attendons les différents documents que vous devez nous faire parvenir.
La commission auditionne M. André Giraud, président de la Fédération française d’athlétisme (FFA), et Mme Souäd Rochdi, directrice générale.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons M. André Giraud, président de la Fédération française d’athlétisme (FFA), et Mme Souäd Rochdi, directrice générale. Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux sont organisés autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; et, enfin, les questions liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.
Monsieur Giraud, vous êtes président de la FFA depuis 2016 et vous exercez actuellement votre second mandat. Vous étiez auparavant vice-président de cette fédération, de 2001 à 2016, sous la présidence de M. Bernard Amsalem ; cela fait donc plus de vingt ans que vous occupez des fonctions exécutives au sein de la fédération.
Dans un bref propos liminaire, pouvez-vous nous indiquer quels sont les faits dont vous avez eu connaissance qui relèvent du champ de cette commission d’enquête et les réponses que vous y avez apportées dans les différentes fonctions que vous avez exercées ? Le cadre existant pour prévenir détecter, signaler et sanctionner ces actes vous paraît-il adapté ?
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure. »
(M. André Giraud et Mme Souäd Rochdi prêtent serment.)
M. André Giraud, président de la Fédération française d’athlétisme. Je vous remercie de me recevoir et de me donner l’opportunité de m’exprimer devant votre commission d’enquête. Le champ de votre commission étant large, je limiterai mon propos introductif à la lutte contre le dopage et les violences sous toutes leurs formes, avant de répondre à vos questions.
Mais au préalable, permettez-moi de présenter très rapidement la FFA et les actions qu’elle mène au quotidien – car il me paraît important d’insister sur ce que tout ce que nous faisons bien.
Je me présente devant vous en tant que représentant de cette fédération qui compte 307 000 licenciés et près de 2 400 clubs, et que j’ai l’honneur de présider depuis janvier 2017. Depuis plusieurs années, nous sommes engagés dans une politique destinée à avoir un impact sur le plan sociétal, que ce soit en termes d’inclusion – avec de grandes réussites comme le dispositif « Du stade vers l’emploi » à destination des chômeurs en difficulté –, de promotion du sport pour tous – en particulier dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), où nous avons été la première fédération à nous engager après les émeutes de juillet dernier –, du développement durable et de la promotion de l’égalité homme-femme notamment – puisque nous avons instauré la parité dans toutes nos instances.
Ces actions sont essentielles afin d’adapter la FFA au monde de demain et de donner au sport toute sa place dans notre société. La perspective des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris donne un coup d’accélérateur au sport français et le remet en lumière, ce dont nous nous félicitons. Dès lors, il serait réducteur d’analyser le fonctionnement des fédérations sportives à travers le prisme de quelques affaires médiatiques. Il me semble important de rappeler que le mouvement sportif ne doit pas être stigmatisé alors que certains problèmes touchent toutes les strates de notre société.
Certes, le sport, par les valeurs qu’il porte, a pu se croire à l’abri de certaines déviances et le mouvement sportif n’a pas toujours été exemplaire en la matière. Personne ne le conteste. Un important travail doit encore être réalisé. Néanmoins, la libération de la parole des victimes et la multiplication des affaires ont conduit à une prise de conscience salutaire au sujet de l’ampleur des comportements déviants et de la nécessité d’intensifier la lutte. Nous essayons d’y parvenir dans la mesure de nos moyens et dans un contexte général de défiance envers les institutions, lequel ne nous facilite pas la tâche.
Je souhaite donc rétablir devant vous certaines vérités, car l’honneur et la réputation de la FFA ont été entachés dernièrement par certaines personnes auditionnées. Si certaines entretiennent une rancœur envers la FFA, cela ne les autorise pas pour autant à tenir des propos fantaisistes, voire complotistes, et à discréditer l’action des personnes, souvent bénévoles, qui s’engagent quotidiennement pour lutter contre ces fléaux. Pour le dire simplement, la FFA n’a rien à cacher et elle ne protège personne.
Elle fait partie des fédérations en pointe dans la lutte contre le dopage depuis ses premières campagnes de prévention en 2008. L’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) le souligne d’ailleurs dans un rapport du 28 juillet 2023 en ces termes : « La mise en œuvre des obligations de la FFA sur le plan des contrôles et sur le plan disciplinaire est largement effective » et : « Le dispositif de formation des escortes et délégués antidopage est un vrai point fort de la FFA. » En termes de prévention, la FFA a décliné le formidable outil créé par European Athletics, I Run Clean, et 6 069 athlètes ont obtenu la certification correspondante pour participer à des compétitions internationales, faisant de la France le premier pays européen en termes de personnes formées.
Ensuite, la FFA est pleinement engagée dans la lutte et l’éducation contre toute forme de violences. Elle a été la première fédération à mettre en place une charte d’éthique et de déontologie – sous la présidence de Bernard Amsalem en 2013 – sous la forme d’un document très complet qui recense les comportements et les valeurs devant être adoptés par chaque public intervenant dans l’écosystème de l’athlétisme. Cette charte est un véritable guide d’application à l’usage de tous les acteurs de l’athlétisme pour favoriser le « bien vivre ensemble » au sein de la fédération. Elle rappelle les principes républicains et de laïcité, mais porte aussi sur le comportement pour la promotion et l’enseignement des valeurs de l’athlétisme. Elle s’attache aussi aux risques de déviances comportementales et d’atteinte à l’intégrité qui peuvent exister dans ce sport. Chaque acteur de l’athlétisme doit s’engager à respecter un contrat d’engagement personnel.
Cette charte est reconnue comme une référence par les autorités sportives françaises. Proposée dans le cadre du plan Erasmus Sport + à la Commission européenne, elle a été retenue, après adaptation, comme guide européen de recommandation pour l’éthique et l’intégrité dans le sport (GREIS). Elle a en outre été complétée par un code éthique et de déontologie, que chaque licencié s’engage à respecter dès sa prise de licence.
Pour votre parfaite information, le comité d’éthique et de déontologie a traité 118 affaires depuis 2017. Nous tenons leur liste à votre disposition.
En 2018, après la révélation des premières affaires dans le domaine de l’athlétisme, la FFA a engagé des actions afin de renforcer sa position en matière de collecte de signalements, de prévention et de répression.
S’agissant du volet prévention, j’insiste sur le fait qu’un module obligatoire préalable a été intégré à notre parcours de formation. Nous avons également conclu un partenariat avec une association spécialisée en matière de lutte contre les violences sexuelles, publié un numéro spécial d’Athlétisme Magazine sur les violences sexuelles et mis en place un réseau de référents intégrité. Le contrôle de l’honorabilité des dirigeants a été mis en œuvre dès 2021.
Concernant le volet répression, une adresse de signalement dédiée a été créée. Nous avons également renforcé notre arsenal juridique en adoptant un code éthique certes contraignant, mais qui sert de base légale à nos organes disciplinaires, en complément du règlement disciplinaire, et qui inclut notamment une obligation de signalement pour tous les licenciés. Nous avons professionnalisé nos commissions internes avec l’embauche de personnels affectés au sein de notre service juridique, uniquement sur nos fonds propres.
Depuis 2018, les organes disciplinaires de la FFA ont traité trente-cinq dossiers relatifs à des violences sexuelles – chiffre malheureusement en constante augmentation –, avec des sanctions exemplaires allant jusqu’à quarante ans de radiation. L’accompagnement des victimes est confié à l’association Colosse aux pieds d’argile. Nous considérons en effet que ces sujets nécessitent l’intervention de professionnels spécialisés.
Vous comprendrez donc que je ne peux raisonnablement laisser dire que la Fédération « n’a rien fait », même si beaucoup reste à faire.
Avant de conclure, je tiens plus spécifiquement à m’arrêter sur l’aspect disciplinaire, qui concentre un grand nombre de critiques. Les organes disciplinaires de la FFA sont paritaires ; ils comportent deux hommes et deux femmes. Ils jouent un rôle répressif et ils doivent respecter le principe de neutralité afin de ne pas fragiliser les procédures ; leur rôle n’est pas d’accompagner les victimes. Ils sont indépendants et ne peuvent recevoir d’instructions. Les organes de la FFA sont en outre composés en majorité de juristes et d’avocats bénévoles, dont je salue le travail et l’engagement sur des dossiers parfois lourds, et ils sont très attachés au respect des principes juridiques. Il n’est pas possible de douter de leur probité.
En vertu de cette indépendance à laquelle je tiens également, je me garderai d’ailleurs de tout commentaire sur les décisions prononcées, celles-ci étant très largement motivées. Je condamne donc avec la plus grande fermeté les déclarations accusant la fédération de protéger les athlètes potentiellement médaillables lors des prochains JOP de Paris en 2024. Cette accusation est grave et fausse. Je dispose d’éléments matériels pour le prouver, puisque l’organe disciplinaire de première instance s’est déjà prononcé sur chacun des dossiers évoqués.
Pour conclure, nous travaillons chaque jour afin de nous améliorer pour nous adapter aux problèmes de notre époque. Les attentes autour des fédérations sportives sont importantes et élevées sur ces sujets, que ce soit de la part des pouvoirs publics, de nos licenciés et bénévoles, et plus encore des victimes – auxquelles nous accordons toujours une attention particulière. Ces dernières attendent souvent de la fédération des réponses fortes sur le plan juridique, mais je regrette de ne pas disposer de moyens suffisants.
En effet, d’un point de vue juridique, malgré notre bonne volonté, il est parfois difficile pour les organes d’établir la matérialité des faits, par manque d’éléments précis et concordants. Ainsi, nous disposons de moyens d’enquête limités, les constitutions de parties civiles sont souvent rejetées et nous n’avons pas accès au dossier pénal. Pire, dans certaines affaires, la police demande à la victime de ne pas parler aux organes disciplinaires.
S’il est de notre devoir de protéger les victimes, il nous revient également de protéger la présomption d’innocence. Il nous semble donc que le cadre juridique dans lequel évoluent les fédérations n’est plus adapté à la complexité de ces affaires. L’idée d’une autorité indépendante, que vous avez évoquée lors de précédentes auditions, ne me séduit pas particulièrement. Selon moi, elle rendrait plus complexe la gestion des cas disciplinaires. Nous ne conserverions qu’une compétence partielle. Que ferions-nous pour des faits qui entreraient uniquement dans le champ de la compétence de la FFA et de cette autorité ?
Aujourd’hui, la question concerne les moyens et non la compétence. Il est erroné de dire que le système disciplinaire fédéral ne fonctionne pas. Il convient donc de combattre la diffusion de cette idée fausse. Jusqu’à présent, toutes nos décisions ont été confirmées par le juge administratif. A contrario, l’AFLD a repris depuis 2019 la compétence disciplinaire en matière de dopage. Elle traite très bien ces affaires, mais ses procédures durent parfois plusieurs années. À l’époque, quand nous nous en occupions, il nous arrivait de traiter les dossiers en quatre mois. Nous redoutons donc que les délais d’instruction d’une instance interfédérale soient très longs.
D’un point de vue humain et financier également, ces sujets s’ajoutent aux multiples actions engagées par la FFA, dans un contexte budgétaire pourtant compliqué. La fédération fonctionne à 75 % avec des fonds privés et des fonds propres, et la nécessaire adaptation de ses ressources internes est réalisée sur ces derniers. À titre d’exemple, la multiplication des affaires disciplinaires entraîne une charge de travail non négligeable, qui mobilise quasiment un poste de juriste à temps plein. Je soumets donc ces éléments à votre réflexion, afin que les fédérations puissent disposer de moyens pour instruire les affaires.
Enfin, soyez assurés que nous avons pris la pleine mesure de ces enjeux vitaux pour le sport et le mouvement associatif. Je vous remercie de m’avoir écouté et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans votre propos liminaire, vous avez indiqué que la commission d’enquête reposerait sur des affaires médiatiques qui stigmatiseraient le mouvement sportif. Je rappelle que cette commission n’a pas pour objet de détruire le mouvement sportif : elle a été créée à la suite de très nombreuses révélations émanant de sportives et de sportifs. Je trouve que l’expression « affaires médiatiques » a une connotation négative.
Notre commission vise à permettre aux sportives et sportifs de pratiquer leur activité dans des conditions sécurisées.
Vous avez mentionné par ailleurs des « propos fantaisistes, voire complotistes » de certaines personnes que nous avons auditionnées. À qui faites-vous allusion ? Peut-être remettez-vous en doute les compétences de cette commission…
M. André Giraud. Je laisse répondre la directrice générale, qui a été précédemment directrice de la communication de la fédération.
Mme Souäd Rochdi, directrice générale de la Fédération française d’athlétisme. Je tiens à vous indiquer tout d’abord que nous avons pris toute la mesure du travail de cette commission et des affaires évoquées. Simplement, en s’emparant de ce sujet, les médias ont permis de lui donner une plus grande résonance. Le président n’a pas mis en cause votre commission.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je m’associe aux propos de la présidente. Il est hors de propos d’estimer que le mouvement sportif est stigmatisé. Notre commission n’a pas été créée en raison de la médiatisation des affaires ; elle se concentre sur les nombreux dysfonctionnements du mouvement sportif et de certaines fédérations. Vous êtes délégataires de service public et aujourd’hui vous rendez des comptes devant la représentation nationale.
La médiatisation de certaines affaires a permis une libération de la parole qui est importante. Si beaucoup d’affaires ont été révélées par la presse, combien de victimes n’ont pas osé témoigner ?
Notre commission souhaite travailler avec le mouvement sportif pour formuler des propositions, afin que les phénomènes qui ont été mis en lumière soient traités comme ils le doivent. Vous pouvez vous référer aux nombreuses auditions que nous avons déjà effectuées, qui montrent les nombreux dysfonctionnements du mouvement sportif.
On ne peut pas dire que cette commission stigmatise le mouvement sportif. Ce n’est pas vrai.
M. André Giraud. Vous avez mal interprété mes propos. Nous reconnaissons la légitimité de cette commission. Je me suis peut-être mal exprimé et souhaite m’en excuser.
Je voulais simplement indiquer que nous avons eu à traiter de trente-cinq cas de violences sexuelles. Les personnes que vous avez auditionnées sont celles qui ont profité des médias pour donner davantage d’écho à des opérations – ce qui est leur droit.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je rappelle que vous avez malgré tout qualifié certains propos de « fantaisistes » et « complotistes ».
M. André Giraud. Oui, je vais y venir.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis extrêmement gênée par vos paroles. Vous semblez nous expliquer que les personnes qui ont effectué des signalements ont utilisé les médias pour communiquer sur leurs affaires. Je ne peux vous laisser dire cela. Des victimes se sont exprimées devant cette commission. Peut-être ont-elles fait part de leur cas à la presse, mais je rappelle que c’est grâce à la large médiatisation du livre de Sarah Abitbol que la parole s’est libérée. On ne peut pas demander aux victimes de parler tout en leur reprochant de s’exprimer dans les médias.
M. André Giraud. Je crois que nous ne nous comprenons pas bien.
Je vous parlerai uniquement des cas qui concernent notre fédération. Je qualifie en effet de « fantaisiste » le propos qui consiste à affirmer que la fédération n’a pas agi lorsqu’Emma Oudiou a révélé des faits qui remontaient à plusieurs années. Très sincèrement, nous avons réagi tout de suite : nous avons immédiatement saisi la commission de discipline et le ministère des sports, puisque la personne accusée était un cadre technique d’État. Cette personne a été suspendue immédiatement, à la fois par le ministère et par nous-mêmes, pendant douze mois. Le volet judiciaire de l’affaire a ensuite abouti à un non-lieu et le cadre d’État en question a été réhabilité par le ministère.
Que voulez-vous que la fédération fasse de plus ? C’est la raison pour laquelle j’ai employé l’adjectif « fantaisiste ».
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Emma Oudiou, que nous avons auditionnée, a fini par porter plainte en 2018 pour des faits datant de 2014. Personne n’a à juger – comme vous semblez le faire – le temps qu’il lui a fallu pour avoir le courage de témoigner. Certaines victimes agressées très jeunes ont parfois mis quinze ou vingt ans avant de pouvoir révéler ce qu’elles ont vécu.
En outre, lors de son audition, Emma Oudiou a indiqué avoir évoqué les faits en 2014 avec son entraîneur de pôle, mais qu’il ne s’était rien passé. Ensuite, en 2018, elle a de nouveau témoigné des faits dont elle a été victime.
M. André Giraud. J’entends bien, mais j’ai eu connaissance de cette affaire en 2018. Je ne connais pas l’entraîneur du pôle, ni ne sais à qui elle s’était adressée en 2014. Quand nous avons eu connaissance de cette affaire, nous l’avons signalée immédiatement et suspendu ce cadre.
Ensuite, une enquête de police s’est déroulée pendant deux ans et a finalement abouti à un non-lieu. Devions-nous continuer à sanctionner cette personne alors que la justice ne l’avait pas condamnée ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous préciser la sanction qui avait été prononcée par la fédération ?
M. André Giraud. Il s’agissait d’une suspension de douze mois, durant lesquels il a été interdit d’exercer.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous transmettre ces documents ? Nous avons eu connaissance d’une suspension de six mois avec sursis, qui a finalement été levée après l’appel formé par l’entraîneur.
M. André Giraud. Vous avez raison : la sanction était effectivement de douze mois dont six avec sursis. Puisqu’il s’agit d’un cadre d’État, c’est le ministère qui l’a suspendu.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Encore une fois : la sanction a-t-elle été levée après l’appel qu’il a formé ?
M. André Giraud. La sanction a été levée après l’appel parce qu’entre-temps, une enquête judiciaire l’avait blanchi.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour résumer, la plainte a été déposée en 2018. La fédération a prononcé une sanction de douze mois dont six avec sursis. Vous nous avez dit que l’enquête judiciaire a duré deux ans. Il me semble que la sanction disciplinaire a été prise rapidement. Vous ne pouvez donc pas dire avoir levé la sanction parce que la justice avait tranché : elle ne l’a fait que deux ans plus tard.
M. André Giraud. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, les organes disciplinaires, composés de juristes et avocats, sont totalement indépendants. Il ne m’appartient pas d’intervenir sur les sanctions qu’ils prononcent – cela serait même dangereux pour la fédération. Pendant six mois, le coach a été suspendu par son employeur, le ministère des sports. Une commission d’appel a instruit le dossier et recueilli des témoignages. À l’issue de ces témoignages, la commission d’appel a décidé de lever cette suspension. Le président de la fédération ne peut pas intervenir auprès des instances disciplinaires.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous avez dit que la sanction avait été levée après le non-lieu prononcé par la justice. Or l’enquête a duré deux ans, quand la suspension était de six mois. A-t-il été réellement suspendu ?
M. André Giraud. Il a été suspendu pendant six mois, à l’issue desquels la commission d’appel, indépendante, a levé sa suspension.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Et elle ne l’a donc pas fait à la suite d’une décision de justice…
M. André Giraud. Encore une fois, cela ne relève pas du président de la fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous pose simplement une question précise. Vous avez dit : il a été suspendu et, comme la justice a tranché, la sanction a été levée.
Je vous le demande de nouveau : vous n’avez pas attendu la décision de la justice, puisqu’une commission disciplinaire a levé la sanction avant la fin de la procédure judiciaire ?
M. André Giraud. En effet, la commission d’appel n’a pas attendu la décision judiciaire.
Quant au terme « complotiste », je l’ai employé pour qualifier les propos d’une autre personne auditionnée par votre commission, M. Fodil Dehiba. Celui-ci a dit en substance que la fédération avait incité certaines personnes à se doper. Nous ne pouvons pas admette de tels propos. C’est tout ce que j’ai voulu dire.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans le cadre de cette commission, nous avons également entendu Claire Palou. Elle a évoqué devant nous des faits de harcèlement sexuel émanant d’un autre athlète et nous a déclaré : « J’ai finalement reçu, le soir précédant la réunion, un mail [de la fédération] me prévenant que la personne mise en cause allait être auditionnée par une commission d’enquête. La chargée d’enquête m’a dit que je pouvais me rendre sur place, à Paris, le lendemain à neuf heures trente, mais je me trouvais chez mes parents, en Savoie. »
Pouvez-vous nous confirmer cette information ? Pour quelle raison avez-vous convié Mme Palou à Paris et pourquoi l’avoir prévenue si tardivement ?
M. André Giraud. En l’espèce, nous avions entendu des rumeurs et la fédération avait pris avec contact avec Mme Palou bien avant la date que vous mentionnez. Nous l’avons incitée à déposer plainte. J’ai moi-même demandé que soit organisée une commission disciplinaire. Nos juristes ont convoqué cette commission dans les délais impartis – trois semaines – et à ce moment-là, Mme Palou a indiqué à notre directeur du service juridique qu’elle n’était pas disponible. Nous pourrons d’ailleurs vous transmettre les échanges de SMS. La veille de la tenue de la commission, elle s’est finalement rendue disponible.
La juriste qui avait la charge de ce dossier a indiqué à Mme Palou qu’on ne pouvait pas déclarer que l’on serait présent du jour au lendemain et qu’elle aurait pu le dire trois semaines au préalable. C’est tout. Il n’y a pas eu d’interdiction.
Je le redis : c’est nous qui avons pris contact avec elle et qui avons déclenché l’affaire.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mme Palou nous a aussi indiqué que le mis en cause avait été interrogé en visioconférence, depuis l’endroit où il participait à une compétition, alors que la fédération lui avait bien précisé que cette audition était très sérieuse. Pouvez-vous nous confirmer cette information ? S’agit-il d’un mode de fonctionnement normal ?
M. André Giraud. Je ne peux pas vous répondre sur cet aspect, je n’étais pas au courant.
Mme Souäd Rochdi. Nous sommes entrés en contact avec Mme Claire Palou à la suite d’un podcast qu’elle a diffusé. Nous lui avons envoyé un courriel le 19 juin en lui expliquant la procédure de première instance, pour lui demander un rapport et de valider sa présence avant le 25 juin. Elle nous a contactés la veille de l’audition, en dehors des délais. Je dispose de l’ensemble des éléments et des échanges de courriels avec Claire Palou.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous indiquez qu’elle n’était plus dans les délais. Lui avez-vous écrit pour lui dire qu’elle ne pouvait pas être auditionnée le lendemain ?
Mme Souäd Rochdi. Elle était en contact avec le service juridique.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Confirmez-vous qu’on lui a dit qu’elle ne pourrait pas être auditionnée le lendemain ?
Mme Souäd Rochdi. Oui.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vais vous lire le courriel qu’elle a reçu de votre part, le 19 juillet : « […] Comme expliqué lors de mon premier courriel, la procédure disciplinaire est une procédure écrite. Néanmoins, dans le cadre de l’instruction, il est possible d’entendre toute personne. En l’espèce, [l’auteur présumé] a préféré être entendu plutôt que de fournir un écrit. Il a donc été auditionné le 23 juin dernier. Un compte rendu de l’entretien a été dressé et validé par lui pour être versé au dossier disciplinaire. Par ailleurs, il est obligatoire réglementairement de convoquer le mis en cause pour qu’il présente sa défense aux membres de la commission qui délibèrent à la suite. Cette audition a lieu par visioconférence demain à neuf heures trente. Vous pouvez également être entendue par des membres de la commission. Néanmoins, cela devra se faire en présence de l’auteur présumé demain à neuf heures trente également, au siège de la FFA ou par visioconférence. Vous ne pourrez pas être accompagnée de votre avocat ou d’un conseil. Si vous souhaitez être entendue, il faut me l’indiquer urgemment, car l’auteur doit être informé de ce fait et nous sommes à la veille de l’audience. Si vous êtes auditionnée par la commission, je vous précise qu’il ne s’agira aucunement d’une confrontation. [L’auteur] doit seulement être présent pour être informé de vos propos et y répondre s’il le souhaite, au titre du droit à la défense. »
Vous venez de me dire qu’il lui avait été signifié la veille qu’elle ne pourrait pas être auditionnée. À lecture du courrier électronique, je comprends l’inverse.
Mme Souäd Rochdi. C’est ce que j’ai compris.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est extrêmement important. Plusieurs choses méritent d’être relevées.
La première est que, visiblement, Mme Palou a été invitée par courrier électronique à être auditionnée le lendemain. Vous affirmez l’inverse, mais cela n’est pas le cas – peut-être n’étiez-vous pas au courant de ce qui avait été décidé par le service juridique. Ensuite, je suis très étonnée que d’une part, l’auteur présumé soit entendu seul, mais que d’autre part, il puisse être présent à l’audition de la victime et qu’il puisse répondre. En outre, il est signifié à Mme Palou de venir seule, sans avocat, ni conseil. S’agit-il de la procédure habituelle ?
Mme Souäd Rochdi. Je ne connais pas la procédure habituelle.
M. André Giraud. Lors de mon propos liminaire, j’ai indiqué que notre fédération constitue des commissions disciplinaires avec des professionnels et des juristes, sur nos fonds propres. Ces derniers ont appliqué les procédures légales.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous êtes respectivement président et directrice générale de la fédération, mais vous nous indiquez ne pas être au courant des procédures. Je m’interroge.
Mme Souäd Rochdi. Cette commission est indépendante et nous sommes entourées de personnes formées sur le plan juridique pour traiter de tels sujets.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mme Palou nous a informés que, lors d’une rencontre organisée à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) le 14 avril 2023, le directeur technique national (DTN) de la fédération, M. Ranvier, lui aurait indiqué que « cela serait mieux pour tout le monde si cette affaire ne sortait pas dans la presse ». Avez-vous connaissance de ces propos ? Qu’en pensez-vous ?
M. André Giraud. Je n’avais pas connaissance de ces propos.
M. Stéphane Buchou (RE). Au-delà de vos derniers propos, qui sont effectivement très surprenants, je souhaite revenir sur le cas de Mme Oudiou. Vous aviez indiqué que la sanction avait été levée par la commission disciplinaire. Ma question porte sur les moyens d’investigation de cette commission disciplinaire. Sur quelles bases cette sanction a-t-elle été levée, puisque la décision a été prise avant la conclusion de l’enquête judiciaire ?
Ensuite, j’insiste sur le fait que les propos que vous avez tenus sont totalement invraisemblables – au même titre que ceux de votre prédécesseur à la tête de la fédération. M. Amsalem nous a expliqué que pendant les quinze années passées à diriger cette dernière, il n’avait été au courant que de très peu d’affaires. Il n’a cité que deux cas de violences sexuelles, alors que vous avez pour votre part indiqué que vous nous transmettriez une liste de trente-cinq affaires.
Je vais donc vous poser la même question qu’à lui sur le rôle d’un président de fédération sportive. Vous nous dites en quelque sorte que vous n’êtes au courant de rien et que vous n’êtes pas au fait des procédures – comme M. Amsalem, qui nous a conseillé d’auditionner d’autres personnes, telles que le président du comité d’éthique et la directrice générale.
Je vous pose à tous les deux donc la même question que celle que je lui ai posée : quelles sont vos missions respectives ? Quels sont vos rôles ?
Je suis extrêmement circonspect en ce qui concerne les propos que nous entendons ce matin, avec des gens qui ont des responsabilités importantes mais qui ne sont responsables de rien. Y a-t-il un capitaine dans le bateau ?
M. André Giraud. Vos propos n’engagent que vous, monsieur le député. Je ne peux pas vous laisser dire cela. Je n’ai jamais dit que je n’étais pas au courant de rien ; au contraire, ma réponse à la présidente au sujet des propos fantaisistes et complotistes montre je suis au courant de tout. Votre interprétation de mes propos est un peu sélective.
S’agissant du cas de Mme Oudiou, j’insiste : les commissions disciplinaires des fédérations sont indépendantes. Il n’est pas possible de revenir sur leurs décisions. Un président de fédération a d’ailleurs été démis de ses fonctions récemment pour être intervenu auprès d’une commission de discipline. Dans l’affaire d’Emma Oudiou, la commission a prononcé une sanction de six mois, dont six avec sursis. L’instruction a été faite par des juristes professionnels, qui connaissent les dossiers. Au vu de cette instruction et des témoignages, la commission d’appel s’est réunie et a décidé de lever la sanction.
M. Stéphane Buchou (RE). Vous ne répondez pas à ma question, qui porte sur les moyens d’investigation de cette commission disciplinaire.
M. André Giraud. Cette commission instruit collectivement les dossiers et recueille des témoignages. Dans le cas d’Emma Oudiou, la commission a entendu les mêmes témoins que ceux qui ont été sollicités lors de l’enquête judiciaire et ils n’ont pas confirmé ses déclarations. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas pris les choses à la légère, le travail a été conduit à temps plein par des juristes pendant six mois. Nous regrettons qu’il y ait trente-cinq affaires, mais le travail est fait.
J’en viens au rôle d’un président de fédération.
Il a tout d’abord pour mission de fédérer l’ensemble des acteurs et de les faire travailler ensemble. Ce travail est complexe, compte tenu de la diversité des profils : bénévoles, salariés, techniciens, officiels, arbitres. C’est ce que nous faisons avec la directrice générale.
Ensuite, nous devons mettre en œuvre le programme sur lequel l’instance dirigeante a été élue. Je précise que la lutte contre toutes les formes de déviances – et pas seulement les violences sexuelles – dans notre sport fait partie de ce programme.
Un président doit donc fédérer, maintenir un cap et s’appuyer sur des spécialistes. Je suis au courant de tout, mais je ne suis pas juriste. Les juristes sont chargés des procédures techniques. Chaque fédération fonctionne de cette manière.
C’est tout ce que j’ai voulu dire.
Mme Souäd Rochdi. Je reviens brièvement sur l’affaire de Mme Oudiou. Je n’ai pas bien saisi la date du courriel que vous avez cité.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le 19 juillet.
Mme Souäd Rochdi. Elle avait reçu un autre courriel le 19 juin, qui comprenait d’autres éléments.
Monsieur Buchou, il n’est pas possible de réduire l’organisation d’une fédération à ses affaires juridiques. Sa raison d’être consiste à donner envie de pratiquer l’athlétisme et à accompagner les clubs, les ligues et les comités sur l’ensemble du territoire. Je ne peux pas laisser dire qu’il n’y a personne à bord.
M. Stéphane Buchou (RE). Je n’ai rien affirmé.
M. André Giraud. C’est ce que vous avez dit !
M. Stéphane Buchou (RE). J’ai simplement demandé s’il y avait un capitaine à bord du bateau.
On va tout d’abord baisser d’un ton. Je vous rappelle que vous êtes auditionnés par une commission d’enquête et que vous avez prêté serment. Nous devons nous écouter les uns les autres.
De notre côté, nous avons recueilli depuis le mois de juillet des témoignages qui laissent penser qu’un certain nombre de dysfonctionnements ont pu intervenir.
Je ne remets pas du tout en cause vos rôles, mais vous êtes également responsable de la sécurité des pratiquants de votre sport. Même si vous nous avez expliqué toutes les actions qui sont menées par le mouvement sportif, nous pouvons avoir le sentiment d’un « deux poids, deux mesures ». Les affaires caractérisées pour lesquelles nous avons recueilli des témoignages sont peu ou prou passées sous silence. Je souhaite en outre obtenir des précisions sur les trente-cinq cas dont vous avez fait état. De quel type d’affaires s’agit-il ? Concernent-elles toutes des violences sexuelles et sexistes ou portent-elles également sur d’autres sujets – par exemple des propos homophobes, des violences physiques ou psychologiques ?
Mme la présidente Béatrice Bellamy. J’ajoute que cette audition doit se dérouler calmement et que chacun doit faire preuve de bonne foi.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avant d’en arriver à ces trente-cinq affaires, je tiens à revenir sur le courrier électronique adressé à Mme Palou – puisque c’est d’elle qu’il s’agit.
Vous avez indiqué qu’un premier courrier électronique lui a été adressé le 19 juin par le service juridique. Dont acte. Pour ma part, je dispose d’un courrier électronique du 19 juillet. Vous avez sans doute écouté les auditions de Mmes Oudiou et Palou mais, visiblement, vous ne vous êtes pas renseignés sur l’ensemble du dossier avant votre audition de ce jour. Cela me surprend : je pensais que vous auriez au moins récupéré l’ensemble de ces dossiers pour nous apporter des éléments de réponse. Je suis également très surprise lorsque vous dites que vous ne connaissez pas la procédure de la FFA.
Même sans être juristes et sans parler de procédure, trouvez-vous normal qu’un auteur présumé soit entendu seul, alors qu’il est imposé à la victime d’être entendue en présence de l’auteur présumé et qu’on lui indique simultanément qu’elle n’a pas le droit de venir accompagnée d’un avocat ou d’un conseil ?
Mme Souäd Rochdi. Je ne peux pas trouver cela normal. Le courrier électronique en question doit être imprécis.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il n’est pas imprécis, je vous l’ai lu dans son intégralité, en omettant seulement les noms des personnes concernées. Je trouve donc surprenant que vous ne vous soyez pas renseignés sur l’ensemble du dossier.
Mettez-vous à la place de la victime qui reçoit ce type de courrier électronique la veille de son audition. On lui est indiqué qu’elle doit venir seule, en présence de son agresseur présumé et que ce dernier aura le droit de lui répondre.
Mme Souäd Rochdi. Je peux totalement me mettre à la place de la victime. Le sujet n’est pas là.
Des échanges téléphoniques ont eu lieu entre les échanges de courriers électroniques dont vous avez fait part. Je n’en connais pas la teneur. Nous pourrons vous donner des éléments précis.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ma question ne portait pas sur ces échanges téléphoniques.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mme Palou nous a également indiqué que « la fédération a refermé l’enquête sans qu’aucune sanction n’ait été prise, par manque de preuve ; en effet, la personne qui avait accepté de témoigner en ma faveur s’est rétractée au dernier moment. La fédération n’a pas pu utiliser son témoignage anonyme. Il n’y a donc eu aucune suite à mes trois dénonciations. »
La fédération a-t-elle eu des échanges avec les personnes qui avaient accepté de témoigner ? Comment expliquez-vous ces rétractations ?
M. André Giraud. Je vous rappelle que nous avons contacté Claire Palou de notre propre chef et que nous l’avons informée des démarches à accomplir. Nous avons donc été à l’écoute de la victime. Nous avons ensuite transmis le dossier à notre service juridique. Plus tard, le directeur de ce service nous a informés qu’elle n’avait pas répondu en temps voulu à cette première convocation. On ne va pas revenir sur le point que vous avez évoqué. Il y a peut‑être eu un manquement, j’en conviens. Cela peut arriver.
Mais ensuite, je le répète : la commission disciplinaire de la fédération est indépendante ! Nous n’avons pas le droit d’intervenir.
Mme Souäd Rochdi. C’est une question de séparation des pouvoirs.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je pense que nous ne nous comprenons pas. Notre question ne porte pas sur l’indépendance de la commission.
En revanche, nous trouvons surprenant que vous ne soyez pas au courant des procédures ni de leur fonctionnement et que vous ne suiviez pas les affaires en cours. Nous ne vous demandons pas pourquoi vous n’êtes pas intervenus.
Visiblement, il y a eu un dysfonctionnement dans cette affaire, puisque Mme Palou a reçu un courrier électronique lui demandant de se rendre disponible le lendemain pour une audition dont les conditions suscitent pour le moins des interrogations. Les auditions des autres victimes se déroulent-elles dans les mêmes circonstances ? Si tel n’est pas le cas, pourquoi le traitement de l’affaire de Claire Palou a-t-il été affecté par un tel dysfonctionnement ?
M. André Giraud. Je vous propose que notre direction juridique vous adresse un rapport détaillé sur les questions de procédure juridique que vous avez évoquées.
Mme Souäd Rochdi. Je pense que les échanges entre le service juridique et l’athlète en question ont pu faire l’objet d’un quiproquo. Habituellement, les athlètes sont reçus seuls. Vous nous dites que l’auteur présumé a pu venir accompagné, alors que cela n’a pas été autorisé pour la victime présumée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un quiproquo.
Je relis ce courrier électronique, qui précise en effet « Si vous souhaitez être entendue, il faut me l’indiquer urgemment, car l’auteur doit être informé de ce fait et nous sommes à la veille de l’audience. Si vous êtes auditionnée par la commission, je vous précise qu’il ne s’agira aucunement d’une confrontation. [M. ***] doit seulement être présent pour être informé de vos propos et y répondre s’il le souhaite, au titre du droit à la défense. »
On lui dit clairement qu’elle peut être entendue, mais en présence de l’auteur présumé. En outre, ce dernier pourra répondre et être quant à lui auditionné sans qu’elle ne soit présente.
M. André Giraud. Il y a effectivement un quiproquo. La commission de discipline a convoqué le présumé coupable, pas la victime. Je vous invite à rencontrer le directeur du service juridique, qui vous expliquera en détail les procédures suivies. Le dossier a été instruit et, je le répète, nous avons indiqué à Claire Palou la marche à suivre. Dès lors, on ne peut pas nous accuser de n’avoir pas agi. Ensuite, elle a été entendue par nos juristes dans le cadre de cette instruction. La commission de discipline a ensuite entendu le présumé coupable.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans le courrier électronique, il lui est indiqué qu’elle peut être entendue si elle le souhaite, mais en présence de l’auteur. Cela pose problème.
Par ailleurs, puisque vous avez pris connaissance des précédentes auditions, vous vous doutiez que ces dossiers seraient évoqués. Par conséquent, je m’étonne que vous n’ayez pas plus préparé l’audition de ce jour.
M. André Giraud. Nous l’avons préparée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Permettez-moi d’en douter, puisque vous ne connaissez pas la procédure, ni ne disposez de l’ensemble des courriels.
M. André Giraud. Je vous le redis : nous avons contacté Claire Palou et elle a été entendue par les juristes de la fédération. Une instruction a été menée, avant de convoquer la commission de discipline, laquelle a également convoqué le présumé coupable. On lui a également donné la possibilité de venir s’expliquer devant la commission. Cette procédure ne me semble pas anormale.
M. Stéphane Buchou (RE). Je souhaite revenir sur les propos que vous avez tenus précédemment, lorsque vous avez indiqué que nous ne comprenions pas grand-chose et qu’une commission disciplinaire d’une fédération était indépendante. Or un dysfonctionnement a été clairement été identifié en l’occurrence.
Il ne s’agit pas pour nous de vous demander de vous immiscer dans les décisions de la commission disciplinaire pour privilégier telle ou telle sanction. Simplement, en tant que président, vous êtes aussi le garant du bon fonctionnement des commissions de votre fédération.
Dès lors, je ne m’explique pas pourquoi le président et la directrice générale ne soient pas informés du mauvais fonctionnement de certaines commissions. Il n’existe donc selon moi jamais de contrôle. Vous laissez une commission fonctionner de manière totalement débridée, sans que la gouvernance de la fédération en soit informée. C’est sur ce point que nous demandons des réponses. À mon avis, cette audition n’a pas été suffisamment préparée.
Vous devez être en mesure de faire en sorte que les instances que vous avez mises en place fonctionnent correctement. Or, sur ce cas très précis, vous n’avez pas été au rendez-vous. Nous avions des questions, pour lesquelles nous souhaitions obtenir des réponses précises.
M. André Giraud. Vos propos n’engagent que vous.
Mme Souäd Rochdi. Je rappelle qu’il s’agissait d’une procédure administrative et non d’une procédure pénale.
M. Stéphane Buchou (RE). Monsieur le président, avec tout le respect que je vous dois, j’aimerais que vous cessiez de répondre que mes propos n’engagent que moi à chaque fois que je prends la parole. Je vous pose des questions et j’attends donc que vous y répondiez. Si vous ne pouvez pas le faire ce matin, vous y remédierez par courrier électronique ou par tout autre moyen.
Madame la directrice générale, vous n’avez absolument pas compris mes propos – à moins que je m’exprime mal. Je vous dis simplement que je pointe un dysfonctionnement vraisemblable de votre commission de discipline. Nous l’avons illustré par la lecture d’un courrier électronique, à laquelle Mme la rapporteure a procédé à deux reprises.
En tant que président et directrice générale, trouvez-vous normal de n’être à aucun moment informés de la manière dont fonctionne une commission que vous avez mise en place ? Cela ne signifie pas que nous vous accusions de ne pas avoir décidé vous-mêmes des sanctions. Vous nous dites que vous n’êtes pas au courant des affaires, ni de la manière dont fonctionne la commission d’enquête, et ainsi de suite. À un moment donné, cela commence à faire beaucoup.
M. André Giraud. Dans mon propos liminaire, j’ai au contraire souligné que nous étions bien au courant de ces deux affaires, ainsi que des trente-trois autres que j’ai mentionnées mais qui n’ont pas été autant médiatisées. Nous savons très bien comment fonctionnent nos différentes commissions, et vous avez reconnu que la commission de discipline était indépendante.
Comme je l’ai dit, le dossier de Claire Palou a été instruit par nos juristes et plusieurs témoignages ont été recueillis. Il appartenait ensuite à la commission de discipline – constituée d’avocats et de juristes – de statuer. La commission de discipline n’a pas organisé une confrontation.
M. Stéphane Buchou (RE). Je suis particulièrement choqué par vos propos. Vous nous indiquez que la commission est composée de juristes et d’avocats qui agissent comme ils veulent. D’une certaine manière, vous nous dites : « Circulez, il n’y a rien à voir. »
De notre côté, nous vous disons que les courriels échangés posent des questions de forme et de fond sur l’affaire en question. Vous ne pouvez pas vous réfugier derrière la mise en place de cette commission sur vos fonds propres, nous dire en quelque sorte que cette commission dispose d’un blanc-seing et que vous ne regardez pas ce qui s’y passe. Lors des conseils d’administration, n’avez-vous pas de relation directe avec les présidents de ces commissions pour établir un bilan des affaires traitées ?
M. André Giraud. Nous conduisons régulièrement, tous les trimestres, des réunions avec les présidents des commissions, qui nous font remonter tous les problèmes. La dernière a d’ailleurs eu lieu il y a quelques jours. Nous vous remettrons les décisions qui ont été prises par la commission de discipline et qui ont parfois porté sur des sanctions très fortes, qui peuvent aller jusqu’à quarante ans de suspension. Vous n’avez pas forcément eu connaissance de certains dossiers, mais nous les connaissons parfaitement. Nous savons ce qui se passe dans nos commissions – heureusement d’ailleurs !
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Connaissez-vous la cellule Signal-sports du ministère des sports ?
M. André Giraud. Oui, bien entendu.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Lorsque vous avez reçu des témoignages, avez-vous procédé à un signalement auprès de celle-ci et saisi le procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale ?
M. André Giraud. Nous travaillons en permanence avec le ministère. J’en profite pour vous dire que nous avons reçu des félicitations de la part de l’ancienne ministre Roxana Maracineanu et de l’actuelle directrice des sports pour nos relations avec le ministère sur ces problèmes de violences sexuelles. Il nous a même été dit que nous étions une fédération « exemplaire ».
Nous effectuons ces signalements à chaque fois que nous avons connaissance d’un cas. Parfois, les signalements émanent de la cellule Signal-sports, qui nous les transmet. L’instruction est conduite de manière conjointe avec le ministère.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans le cadre de l’affaire Claire Palou, aviez‑vous effectué un signalement auprès de Signal-sports ?
M. André Giraud. Oui.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Et au procureur de la République ?
M. André Giraud. Oui, bien sûr.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous préciser les dates ?
M. André Giraud. Le signalement a été effectué sans délai par le DTN. Je précise que l’affaire concerne également l’Insep, avec lequel nous avons travaillé sur ce dossier.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’auditionner le directeur général de l’Insep, M. Fabien Canu. Il nous a indiqué que, dans ces dossiers, l’interaction avec la FFA avait pris du temps.
Dans l’affaire Claire Palou, les gens ont été informés à plusieurs reprises : une première fois en février, puis elle a été reçue à l’Insep en juin. Vous avez ensuite échangé avec elle par courrier électronique. Il faudra que vous nous transmettiez les dates du signalement au ministère des sports et au procureur de la République. En effet, l’Insep indique avoir également effectué un signalement au titre de l’article 40. Est-il habituel que de tels signalements soient faits en doublon ? Il me semble que quelque chose ne va pas dans cette affaire.
M. André Giraud. Dans cette affaire, des échanges très directs ont eu lieu entre le directeur de l’Insep et notre DTN. Il est possible que le signalement au titre de l’article 40 ait été fait de manière conjointe.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous transmettrez ces documents et informations. Il est dommage que vous ne les ayez pas avec vous aujourd’hui. Lorsque nous avons auditionné M. Fabien Canu, il nous a transmis les informations relatives au déclenchement de l’article 40 par l’Insep au mois de septembre.
Je m’interroge donc sur la temporalité des différents événements et notamment de votre signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. S’il a été commun avec celui de l’Insep, cela signifie qu’il n’est intervenu qu’au mois de septembre, soit de longs mois après les débuts de l’affaire, en février 2023. Je ne comprends pas pourquoi ce délai est si long.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Compte tenu du retard pris, nous allons devoir clore cette audition bien que nous ayons encore de multiples questions à vous poser. Nous reprendrons certainement contact avec vous. De votre côté, n’hésitez pas à nous transmettre tous les documents mentionnés aujourd’hui, ainsi que toutes les informations susceptibles d’intéresser cette commission d’enquête et les propositions que vous pourriez formuler.
Nous pourrons également éventuellement vous envoyer par courrier électronique quelques questions, afin que vous y répondiez ultérieurement.
La commission auditionne Mme Guislaine Westelynck, présidente de la Fédération française Handisport (FFH), et de M. Grégory Saint-Géniès, directeur technique national.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons Mme Guislaine Westelynck, présidente de la Fédération française handisport (FFH), et M. Grégory Saint-Géniès, directeur technique national. Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.
Madame Westelynck, vous êtes une ancienne nageuse de haut niveau, médaillée aux Jeux paralympiques de Séoul en 1988, puis entraîneure de l’équipe de France féminine de natation handisport. Vous avez été trésorière générale de la FFH et présidente du comité départemental handisport des Bouches-du-Rhône. Vous avez été élue présidente de la FFH en avril 2018, après avoir assuré la présidence par intérim pendant quatre mois, à la suite de la démission pour raisons de santé de M. Frédéric Delpy. Monsieur Saint-Géniès, vous êtes directeur technique national de la fédération depuis octobre 2022. Vous avez également été directeur technique national (DTN) et directeur général de la fédération française de ski nautique et de wakeboard.
M. Élie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif français, a indiqué à notre commission que le milieu du parasport était fortement touché par les violences à caractère sexuel et sexiste (VSS). Toutes les études épidémiologiques montrent ainsi que les personnes en situation de handicap sont plus souvent victimes que le reste de la population, quel que soit le degré de gravité de l’acte. Pourtant, les signalements dans le champ du parasport demeurent ultraminoritaires. Sur l’ensemble des cas signalés auprès de la cellule Signal-sports, moins d’une dizaine concernaient le parasport, ce qui semble indiquer que la parole est loin d’être libérée. Confirmez-vous ce constat ?
Dans un bref propos liminaire, pouvez-vous nous indiquer quels sont les faits, dans le champ de cette commission d’enquête, dont vous avez connaissance et les réponses qui ont été apportées ? Quelles sont les actions conduites par la Fédération française handisport dans les domaines qui intéressent cette commission ? Le cadre existant pour prévenir, détecter, signaler et sanctionner ces actes vous paraît-il adapté ?
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Guislaine Westelynck et M. Grégory Saint-Géniès prêtent serment.)
Mme Guislaine Westelynck, présidente de la Fédération française handisport. Je souhaite en préambule vous présenter la Fédération française handisport, qui a la particularité de s’adresser à un public spécifique : les personnes en situation de handicap physique et sensoriel. Notre fédération est organisée autour de trois valeurs, auxquelles je tiens énormément. La première est celle de la singularité : nous nous adressons à un public particulier et singulier. Nous nous efforçons de connaître le handicap physique de chacune de ces personnes, dans la mesure où tous les handicaps sont différents. Nous essayons en outre de disposer de l’expertise idoine pour gérer la pratique sportive associée à la singularité de chaque personne. La deuxième est celle de l’autonomie : à travers la pratique sportive et physique, nous donnons l’opportunité aux pratiquants d’acquérir une certaine autonomie. Venir dans nos clubs permet aussi de voir que, même en situation de handicap, de nombreuses possibilités demeurent et qu’il est important de pouvoir les réaliser. La troisième est celle de l’accomplissement : en dépit des accidents ou des maladies, la pratique sportive contribue à l’estime de soi et permet de se convaincre que l’on peut être compétitif. Les clubs handisports constituent un sas de décompression, ils permettent à notre public de découvrir une pratique sportive, de s’affirmer à travers un sport et ensuite, éventuellement, de s’engager dans des compétitions.
La FFH repose sur deux piliers. Le premier concerne la performance, symbolisée par nos équipes nationales, qui sont notre vitrine. Elles nous permettent d’être médiatisés et d’attirer des partenaires. Le deuxième pilier, auquel je tiens le plus, porte sur le développement dans les territoires de la pratique physique et sportive, ouverte à toute personne souhaitant s’adonner à une activité sans pour autant participer à des compétitions. Aucune personne en situation de handicap ne doit rester au bord de la route : la pratique sportive est faite pour tous. Nous mettons en œuvre tous les moyens possibles afin que chacun puisse s’exprimer à travers l’activité sportive. Le responsable du Comité paralympique vous a sans doute parlé du dispositif des clubs inclusifs, dont l’initiative revient au Président de la République et dont nous sommes partenaires de formation et d’expertise. Cet important dispositif permettra aux personnes en situation de handicap, où qu’elles soient, de pouvoir pratiquer à proximité de chez elles. Des réglages sont encore nécessaires, mais il s’agit pour nous d’une réelle opportunité.
Notre projet fédéral, mis en place par mon prédécesseur en 2017, vise à étendre l’accès du plus grand nombre à la pratique sportive. Il a pour ambition de développer notre activité dans les territoires et de promouvoir l’excellence sportive, en offrant l’opportunité à celles et ceux qui le souhaitent de franchir des paliers jusqu’à l’équipe de France. Nous revendiquons une certaine expertise, que nous souhaitons partager avec les fédérations homologues et les organismes qui gèrent des établissements pour les personnes en situation de handicap.
M. Grégory Saint-Géniès, directeur technique national de la Fédération française handisport. Les dispositifs évoqués par Mme la présidente Westelynck constituent un moyen d’assurer une pratique de qualité, en toute sécurité, pour protéger l’intégrité de nos publics, qui sont identifiés comme des publics fragiles. En effet, 25,2 % des personnes en situation de handicap sont exposées aux phénomènes de violence, alors que ce taux est de 22,7 % pour l’ensemble de la population.
Depuis les derniers Jeux paralympiques, la Fédération a été confrontée à des cas, notamment de violences sexuelles. Ils ont été traités par notre fédération, mais également dans le cadre de procédures judiciaires. Lors de la précédente paralympiade, entre 2017 et 2020, quatre cas ont été portés à la connaissance de l’exécutif fédéral, contre trois lors de l’actuelle paralympiade, dont un qui est pendant depuis de nombreuses années. Je vous enverrai la liste de ces cas, établie par le comité d’éthique.
Mme Guislaine Westelynck. Les faits relatifs à ce dernier cas remontent à 2016, mais nous n’en avons eu connaissance qu’en 2018.
M. Grégory Saint-Géniès. Nous vous transmettrons tous les documents relatifs à ces éléments. D’autres cas sont liés à des incivilités, traduites par des propos injurieux. Le comité d’éthique, qui peut être saisi de tous les sujets concernant l’éthique et dont certains membres sont d’anciens magistrats, agit en totale indépendance, conformément aux articles des statuts et du règlement intérieur.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ces membres sont-ils nommés ?
M. Grégory Saint-Géniès. Les membres sont nommés par le comité directeur de la fédération. Ils peuvent être saisis par la présidente ou par les deux tiers du comité directeur, mais aussi interpellés par les membres de la fédération – associations affiliées ou licenciés. Ils peuvent également se saisir de tout sujet ayant trait à l’éthique, à l’intégrité ou à la probité. Il est composé d’au moins trois membres. Par principe, il est saisi de toute affaire relative à l’éthique ou à l’intégrité dont nous avons connaissance. Seize cas ont été instruits entre 2017 et 2020 et quarante-quatre entre 2021 et 2023.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Effectuez-vous régulièrement un point avec ce comité sur les affaires en cours ?
M. Grégory Saint-Géniès. Nous échangeons avec le président du comité d’éthique à différents moments de la procédure – surtout lors de la saisine et de la clôture de l’instruction –, sans nous immiscer dans son travail.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Madame la présidente, échangez-vous également avec le comité d’éthique ?
Mme Guislaine Westelynck. Je suis informée par le comité lors de la saisine et de la clôture de l’instruction. Je ne pose pas de questions, afin de respecter la confidentialité des travaux et l’indépendance du comité. Le comité nous informe de ses actions et de ses préconisations.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le comité traite-t-il des cas de VSS ?
M. Grégory Saint-Géniès. Oui, le président du comité d’éthique est d’ailleurs le référent en charge de la lutte contre les violences. La page internet du comité présente plusieurs informations sur la lutte contre les VSS, dont un numéro vert, le 119. Le site sera bientôt amélioré pour faciliter l’accessibilité de ces informations.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Connaissez-vous la cellule Signal-sports ? Est‑elle mentionnée sur votre site ?
M. Grégory Saint-Géniès. Oui, elle l’est. Un document du ministère présente tous les numéros, mais ces informations ne sont pas suffisamment accessibles et nous sommes donc en train d’améliorer leur accessibilité sur notre site. En plus de la possibilité d’interpeller le comité d’éthique, nous souhaitons que les témoins et victimes de violence disposent d’autres voies. Ces améliorations font partie de notre programme de sensibilisation, de prévention et de lutte contre les attitudes déviantes dans le sport que nous mettons en place avec une collègue, cadre d’État au sein de la direction technique nationale. Nous souhaitons ainsi étoffer l’offre, notamment en lien avec des associations de la société civile, dont Colosse aux pieds d’argile, afin de permettre aux témoins et victimes de choisir leur porte d’entrée, tout en assurant une coordination au sein de la fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne vous immiscez pas dans les enquêtes, les décisions et les sanctions éventuelles, mais connaissez-vous la procédure suivie dans le cadre de ces enquêtes ?
Mme Guislaine Westelynck. Oui. Si la saisine a été effectuée directement par le numéro vert, nous savons que le comité d’éthique se rapprochera de la personne qui l’a faite. Dans le cas de dénonciation anonyme, nous saisissons le comité. Si personne ne se manifeste, le dossier est clos. Si le comité ouvre un dossier, il rencontre les protagonistes et nous donne des préconisations.
M. Grégory Saint-Géniès. Dans tous les cas de figure, une forme d’enquête est menée par le comité d’éthique, à l’issue de laquelle il peut formuler des préconisations, voire saisir les organes disciplinaires compétents. S’il estime qu’aucune suite ne doit être donnée, l’affaire est close.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avertissez-vous le ministère des sports de chaque saisine, notamment pour des VSS ou des affaires de racisme et de discrimination ? Avez-vous déjà saisi le procureur de la République sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale ? À quel moment agissez-vous ? Il semble que les manières d’agir diffèrent selon les fédérations.
M. Grégory Saint-Géniès. Nous avertissons la cellule Signal-sports de chacune de nos saisines du comité d’éthique. En fonction de sa réponse, nous pouvons déclencher la procédure de l’article 40. Selon les recommandations du comité d’éthique, une procédure disciplinaire peut ensuite être suivie.
Nous maintenons également des relations fréquentes avec les services départementaux à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES), afin de disposer d’une veille locale, notamment sur les éventuelles interdictions.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quels sont les faits de violence dont vous avez eu connaissance ?
Mme Guislaine Westelynck. Trois cas avérés de VSS ont été portés à notre connaissance.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. En réalité, ma question porte sur tous les types de violences, y compris les discriminations raciales ou les cas d’homophobie.
Mme Guislaine Westelynck. Nous recevons des signalements, notamment de cas de discrimination raciale. Ceux-ci se manifestent souvent lors des rencontres sportives, à l’occasion desquelles des invectives peuvent fuser. Généralement, nous parvenons à régler ces problèmes. Le comité d’éthique rencontre les personnes concernées avec lesquelles il mène des actions d’information et de formation, afin de marquer que ces propos sont inacceptables. Nous avons également reçu une plainte pour homophobie, mais le problème a été résolu. La direction technique nationale a été étoffée et dispose d’une psychologue, qui rencontre nos publics.
Nous avons été confrontés à deux cas, dont un plus problématique, transmis par le comité paralympique. À la suite du dépôt de plainte, l’entraîneur concerné, salarié de la fédération, a été suspendu avant que nous ne mettions fin à ses fonctions et que nous ne révoquions sa licence.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur cette affaire ?
Mme Guislaine Westelynck. Il ne s’agissait pas de violences sexuelles, mais plutôt de violence morale visant à humilier une personne, ce qui est tout aussi répréhensible. Il est inadmissible de chercher à humilier une femme en situation de handicap. La personne incriminée se défendait d’avoir eu une telle intention, mais nous avons préféré mettre fin à son contrat. Les clubs et la commission concernés ont été prévenus.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Une traçabilité de l’entraîneur est-elle assurée, au cas où il chercherait à être recruté par un autre club ?
Mme Guislaine Westelynck. Oui, dans la mesure où il a été signalé auprès des services de l’État.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Où se trouve cet entraîneur aujourd’hui ?
Mme Guislaine Westelynck. Il a quitté la France.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Un dossier de suivi existe-t-il au sein du ministère ?
Mme Guislaine Westelynck. Je l’ignore, mais je peux me renseigner. Il a été mis fin à son contrat en 2021, avant les Jeux paralympiques de Tokyo. Nous avons également transmis toutes les informations nécessaires au ministère.
M. Grégory Saint-Géniès. À partir du moment où une interdiction d’exercice est prononcée, nous bloquons la licence pendant la période concernée. Cette information est mise à la seule disposition des associations affiliées à la fédération, sur l’intranet.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cela signifie-t-il qu’une personne qui n’est pas affiliée à la fédération n’a pas accès à ces informations ? L’entraîneur en question est-il signalé aux clubs dans le cadre de la procédure de contrôle de l’honorabilité ?
M. Grégory Saint-Géniès. Nous avons pris cette disposition en complément du contrôle d’honorabilité. À partir du moment où la personne incriminée est interdite d’exercice et que sa licence a été révoquée, il est indispensable que tous les clubs, au moins ceux affiliés à la fédération, en soient informés.
Le contrôle d’honorabilité intervient dans le cadre du dialogue entre les systèmes d’information. Nous avons justement mis en place de nouvelles procédures afin que nous soyons informés dès que la personne est identifiée par le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) et par le système d’information automatisé du contrôle d’honorabilité du ministère. Nous vérifions ensuite si elle est encore licenciée à la fédération. Je pourrai vous communiquer les détails de cette procédure.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Votre démarche est intéressante. Nous avons demandé aux fédérations auditionnées comment, dans de telles circonstances, elles pouvaient informer les différents clubs affiliés pour empêcher le recrutement de telle ou telle personne. Il nous a souvent été opposé l’impossibilité de réaliser un fichier interne pour signaler les personnes en question. Vous avez pourtant fait le choix de réaliser de tels contrôles.
M. Grégory Saint-Géniès. Notre démarche n’est peut-être pas suffisamment robuste juridiquement, mais entre deux maux, nous avons décidé de protéger l’intégrité de nos membres. Entre la loi et la morale, nous avons fait le choix de la morale, quitte à nous exposer à des recours devant le tribunal administratif – et ils ont été nombreux.
Nous avons pris cette année la décision de rendre le blocage de la licence effectif en le partageant sur l’intranet fédéral, sous un format qui reste à préciser.
Mme Guislaine Westelynck. Dans une autre affaire – dont la procédure juridictionnelle est toujours en cours – nous avions été avertis, il me semble par le SDJES, de l’existence d’une action pénale. Nous avions décidé de suspendre la licence, comme nous le faisons à chaque fois, par mesure de protection de notre public. La personne incriminée, qui revendiquait le droit de pouvoir entraîner, avait introduit un référé contre son interdiction d’exercer, d’une durée de dix ans, et le tribunal avait levé cette interdiction, qui a finalement, été confirmée par le Conseil d’État en octobre 2023. La licence est toujours suspendue, mais la personne incriminée continue d’exercer en tant que bénévole. Il nous est difficile de l’en empêcher.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cette personne continue-t-elle d’exercer au sein de votre fédération ?
Mme Guislaine Westelynck. L’homme en question n’est plus en équipe de France et ne préside plus son club en raison du contrôle d’honorabilité, mais il y est toujours présent. Nous avons prévenu les athlètes concernés et leurs familles, qui souhaitent malgré tout continuer de travailler avec lui.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De quelle discipline et de quelle ville s’agit-il ?
Mme Guislaine Westelynck. Nous vous transmettrons cette information par courrier électronique.
M. Grégory Saint-Géniès. Nous vous enverrons l’ensemble des documents, y compris les jugements rendus en octobre. De mémoire, le Conseil d’État était intervenu au mois de juin.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français, souhaite qu’une entité indépendante chargée d’accompagner le mouvement sportif sur les sujets qui concernent notre commission d’enquête soit mise en place, sans pour autant déresponsabiliser les fédérations. Ce dispositif d’accompagnement, de conseil et d’appui, voire de contrôle, constituerait selon elle un levier utile au mouvement sportif. Partagez-vous ce constat ?
Mme Guislaine Westelynck. Je souscris à cette proposition.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quel bilan quantitatif et qualitatif tirez-vous du dispositif que vous avez mis en place concernant les saisines et les signalements ? Vos affiliés peuvent-ils contacter directement la cellule Signal-sports, sans passer par vos instances ? Le ministère des sports a-t-il mis à votre disposition des éléments de communication simplifiés ?
Mme Guislaine Westelynck. Nous avons construit nous-mêmes nos propres outils de communication. La navigation sur notre site doit sans doute être améliorée, mais nous avons également utilisé notre revue Handisport Le Mag’ pour communiquer à ce sujet. Nous allons de plus faciliter l’accès direct à Signal-sports pour ceux qui ne souhaitent pas passer par notre numéro vert et notre comité d’éthique.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Souhaitez-vous nous soumettre des propositions pour améliorer les différents dispositifs, notamment en matière de prévention et de communication ?
Mme Guislaine Westelynck. J’appelle de mes vœux cette commission indépendante proposée par le Comité paralympique. Le cadre technique que nous venons de recruter m’a fait remarquer, à juste titre, que le délai de latence entre la saisine du système d’information automatisé du contrôle d’honorabilité et la transmission de cette saisine à la fédération est trop important, comme le montre cet exemple d’une personne ayant pris sa licence auprès de la fédération en juin avant d’être informée en août qu’elle ne pouvait le faire car elle était fichée. Nous ne l’avons su qu’en octobre.
M. Grégory Saint-Géniès. Nous avons obtenu des informations complémentaires de la part du ministère sur différentes plaquettes et avons développé nos propres outils de communication. Par ailleurs, nous envoyons une newsletter interne, en plus de notre revue Handisport Le Mag’.
Il me semble nécessaire d’étoffer les formations obligatoires en matière de sensibilisation et de prévention, mais aussi de mettre en place des actions, notamment des conventions avec des membres de la société civile comme les associations Colosse aux pieds d’argile ou Second souffle. Il convient également d’agir dans le domaine de la citoyenneté numérique et de la lutte contre les discriminations.
En matière de prévention, il importe de savoir comment identifier non seulement un pratiquant en difficulté, mais également des comportements inadaptés. La formation à l’écoute et l’accueil de la parole est à cet égard essentielle. Elle doit être réalisée par une instance différente de celle chargé de l’enquête. Notre responsabilité est de trouver des informations pour étoffer le dossier, ainsi que d’accompagner les victimes qui le souhaitent, notamment en mobilisant les psychologues de la commission médicale de la fédération.
Mme Guislaine Westelynck. J’ajoute qu’une partie de notre public, très lourdement handicapé, séjourne dans des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS) et n’a pas toujours l’usage de la parole. Nous devons donc travailler pour les aider à s’exprimer autrement que par la parole.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Êtes-vous accompagné par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ou le ministère des sports dans ces démarches ?
Mme Guislaine Westelynck. Nous le sommes par le CNOSF, dont nous sommes membre et dont je fais partie du conseil d’administration. Toutefois, le parasport est composé de disciplines vraiment particulières. Le ministère des sports est un interlocuteur privilégié et notre directeur technique national y travaillait encore récemment.
M. Grégory Saint-Géniès. Je salue la disponibilité de la cellule Signal-sports au sein du ministère, qui est une ressource importante pour nous.
La création d’une instance indépendante extérieure permettrait sans doute de centraliser certains moyens pour les rendre plus efficients et de bénéficier de personnels très spécialisés. Nous ne sommes pas équipés d’un service juridique mais nous avons la chance de disposer d’une secrétaire générale titulaire d’un doctorat en droit. Une structure ad hoc permettrait aux fédérations de recentrer leur activité sur la sensibilisation, la prévention et, le cas échéant, l’accompagnement des victimes. Les rôles seraient ainsi mieux répartis.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous devons mettre un terme à cette audition. Je vous remercie pour votre approche des VSS et de tous types de discriminations, ainsi que pour la sincérité de vos réponses à nos questions.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie pour la qualité de cet échange.
La séance s’achève à treize heures dix.
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, Mme Sophie Mette, Mme Sabrina Sebaihi