Compte rendu

Mission d’information
de la conférence des présidents
sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable

 Audition de MM. Bruno Arcadipane, président, Philippe Lengrand, viceprésident et Édouard Quinchon, directeur Territoires et Affaires publiques et Mme Akila Mat, responsable des relations institutionnelles du groupe Action Logement              2


Jeudi
19 octobre 2023

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 11

2023-2024

 

Présidence de
M. Stéphane Peu,
Président
 


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La mission d’information de la conférence des présidents sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable a auditionné MM. Bruno Arcadipane, président, Philippe Lengrand, vice-président et Édouard Quinchon, directeur Territoires et Affaires publiques et Mme Akila Mat, responsable des relations institutionnelles du groupe Action Logement.

M. le président Stéphane Peu. La présente mission d’information parlementaire est large du point de vue des thèmes qu’elle aborde et s’inscrit dans le calendrier du gouvernement : un projet de loi sur l’habitat insalubre et les copropriétés dégradées d’ici la fin de l’année, une proposition de loi sur les meublés touristiques au premier trimestre 2024 et une loi-cadre sur le logement, avec un volet relatif à la décentralisation à la fin du premier semestre 2024.

Nous inscrivons notre travail dans la perspective de cette loi-cadre, notre but étant de publier au premier trimestre 2024 un rapport qui puisse entrer en résonance avec le projet de loi présenté par le Gouvernement.

M. Mickaël Cosson, rapporteur de la mission d’information. Notre mission vise à pouvoir débloquer des situations que nous pouvons rencontrer aujourd’hui, du fait de nombreux problèmes bien connus. Au-delà du diagnostic, il s’agit d’administrer un traitement qui permette aux parcours résidentiels de se fluidifier, de faire en sorte qu’à chaque étape de sa vie – que l’on soit étudiant, actif ou senior – on puisse disposer d’un logement en fonction de ses besoins, et d’apporter des solutions pour que la construction puisse redémarrer, sachant que l’aspect fiscal permet d’inciter à cette reconstruction.

M. Bruno Arcadipane, président du groupe Action logement. Action Logement est au service du lien emploi-logement depuis soixante-dix ans et s’appuie sur deux piliers. Le premier est Action Logement Services, un établissement financier qui nous sert, depuis 2017, à collecter la participation des employeurs à l’effort de construction (Peec), qui représente 0,45 % de la masse salariale des entreprises de plus de cinquante salariés, et à la restituer sur les territoires. Le second pilier est Action Logement Immobilier, la holding de tête et d’animation de nos cinquante opérateurs répartis sur les territoires hexagonal et ultramarin, qui nous permettent de gérer le 1,1 million de logements abordables que le groupe détient, mais également de construire et d’acheter en l’état futur d’achèvement (Vefa). Vous venez d’auditionner la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), qui vous a sans doute entretenu du lien que nous avons avec eux – notamment en ce moment, avec cet appel à manifestation d’intérêt pour trente mille logements que nous devrions acheter dans les semaines et mois à venir.

Il faut également mentionner, au sein de l’écosystème Action Logement Groupe, l’Association pour l’accès aux garanties locatives (Apagl), qui distribue la garantie Visale, l’Opérateur national de vente (ONV), qui achète en bloc des immeubles pour les réhabiliter et les revendre à la découpe, et l’Association Foncière Logement, qui intervient exclusivement dans les quartiers de la politique de la ville (QPV) et gère la mixité sociale dans ces quartiers prioritaires…

Nous avons créé différents outils au fil de notre histoire, qui nous permettent d’intervenir de façon « chirurgicale » sur des sujets extrêmement précis. L’une de nos dernières créations est une foncière de transformation de bureaux en logements qui, depuis que nous l’avons lancée avec le ministre Julien Denormandie à la fin de 2018, a démontré son efficience – elle nous permet d’acheter un immeuble de bureaux vides pour les transformer en logements, souvent à fonction (logements étudiants, logements destinés aux saisonniers, etc.).

Notre mission est claire et unique : faciliter le logement pour favoriser l’emploi. Le Président Emmanuel Macron souhaite aller vers le plein-emploi : nous ne pouvons qu’y être favorables, mais, pour aller vers le plein-emploi, il faudra loger les futurs salariés là où ils travailleront. Hier encore au Conseil économique, social et environnemental (Cese), où nous étions auditionnés, j’entendais cette histoire « abracadabrantesque » de 840 000 logements vides en France, qui n’attendraient que d’être loués ou vendus… Il faut arrêter de colporter des idées fausses : ces logements existent peut-être, mais je voudrais que l’on regarde dans le détail où ils sont localisés et dans quel état ils sont.

On veut maîtriser le coût du foncier, maîtriser le prix des loyers, maîtriser les achats, etc. : tout cela ne sera pas possible si l’on n’a pas une offre en neuf et en réhabilitation, sujets dont nous sommes les spécialistes. Nous avons doublé notre production de logements neufs en cinq ans, nous avons signé une convention quinquennale avec des engagements forts : nous allons construire quarante mille logements par an pendant les cinq ans qui viennent. En même temps, nous allons réhabiliter quarante mille logements. Nous sommes volontaristes sur la construction et sur la réhabilitation, parce que notre pays a besoin des deux.

Si je prends l’exemple des Hauts-de-France, avec le canal Seine-Nord et l’arrivée des gigafactories, je veux bien que l’on aille chercher des logements qui ne sont pas habités… mais il n’y en a pas ! Par conséquent, si l’on ne construit pas, on n’arrivera pas à loger les travailleurs qui vont arriver. Quand on crée des gigafactories, quand la réindustrialisation commence à démarrer un peu partout en France, il faut, avant de loger les futurs salariés, loger les ouvriers qui viennent réaliser ces chantiers. La temporalité de nos offres doit donc en tenir compte.

Nous sommes allés voir le chantier du canal Seine-Nord, qui avance à toute vitesse. Les ouvriers sont partout le long du canal : il faut les loger en urgence, puisque le chantier est en cours et, qu’en plus, il se déplace. Nous avons donc mis au point, avec l’une de nos filiales, des logements déplaçables et de très bonne facture. Une fois que le canal sera réalisé, des entreprises voudront s’implanter à proximité et des demandes arrivent déjà. Les salariés n’iront pas habiter à Dunkerque, à Lille ou à Paris : il faudra construire là où sont les besoins.

Nous sommes également très attachés à la réhabilitation et à la reconstruction de la ville sur la ville. Nous venons ainsi d’investir 1,5 milliard d’euros (Md€) dans « Action cœur de ville » (ACV), pour une offre nouvelle de réhabilitation – et de traitement de « dents creuses » – de plus de vingt-cinq mille logements au cœur des villes moyennes. Ces vingt-cinq mille logements ont permis le retour de certains commerces en centre-ville, mais aussi le retour d’investisseurs privés – d’abord à travers « Action cœur de ville », ensuite à travers des opérations qui leur sont propres. Ces logements réhabilités représentent un double gain : un gain pour la ville et pour son attractivité, mais aussi un gain pour la planète.

Opposer aujourd’hui la construction et la réhabilitation est une ineptie. Nous sommes partants pour une nouvelle campagne (ACV2) et allons réinvestir un milliard d’euros dans ces villes moyennes qui en ont tant besoin ; cela fait près de trente ans que l’on n’avait rien fait pour ces villes. J’étais autour de la table quand, avec Jacques Mézard, Éric Lombard et d’autres, nous avons imaginé « Action cœur de ville » ; l’Agence nationale de la cohésion des territoires n’existait même pas à l’époque. Nous l’avons fait entre nous, chacun dans sa spécialité et chacun sur ses fonds propres. « Action cœur de ville » est né de la volonté d’un ministre et de quelques acteurs complémentaires et compétents sur les problématiques en cause.

Action Logement est l’un des rares opérateurs à travailler sur le logement des saisonniers. Il est vrai que le sujet est complexe. Quand on fait du logement à la montagne, il faut savoir à qui on loue par cycles de quatre saisons successives, ce qui impose de trouver des produits flexibles qui viendront apporter des ressources au porteur du dossier : nous avons ainsi racheté, à Bandol, une résidence de vacances qui était inoccupée depuis des années et que nous avons transformée en résidence pour les saisonniers ; évidemment, cette résidence est utilisée toute l’année pour pouvoir l’amortir.

Il est aussi possible d’imaginer des produits mixtes. À Gap, par exemple, nous avons racheté un couvent immense et nous l’avons transformé en 87 logements de quarante types différents, tout en respectant la trame architecturale. Une telle opération coûte cher, mais c’est là que le groupe Action Logement peut démontrer son utilité sociale, c’est là que notre professionnalisme et notre puissance d’ingénierie font la différence.

Tous vos interlocuteurs vous parlent d’argent. Nous, nous avons axé nos efforts depuis des années sur l’ingénierie. Il n’existe pas d’équivalent aujourd’hui, en Europe, d’un groupe avec une telle puissance d’innovation et de concrétisation des projets. Nous sommes capables de soutenir et d’accompagner des start-upers qui créent des produits nouveaux comme des maisons en bois déplaçables ou des constructions en préfabriqué bas carbone. Nous n’y prenons pas d’intérêt financier ; nous leur assurons des carnets de commandes et nous leur apportons notre ingénierie pour améliorer les produits et faire en sorte qu’ils correspondent aux besoins de nos concitoyens… les besoins actuels, pas ceux de 1970 ou de 1980.

Je ne suis pas opposé, par principe, à la décentralisation, mais je ne suis pas non plus favorable à transférer les responsabilités vers des structures qui n’ont peut-être pas les moyens financiers ou les moyens en ingénierie. Je pense que la politique du logement doit être une politique nationale, avec une ambition nationale ; ensuite, elle doit être délocalisée pour connaître les besoins de chaque territoire. Notre groupe est constitué sur ce modèle, avec une colonne vertébrale nationale, politique et stratégique et des acteurs territoriaux qui ont une pleine autonomie dans leur secteur.

Nos appels à manifestation d’intérêts sont structurés de cette manière. Le national centralise tous les dossiers, pour aller très vite, et donne le tempo : nous avons quinze jours pour analyser les offres et ensuite trente jours pour répondre, c’est-à-dire qu’en 45 jours, le promoteur qui a déposé un projet sur notre plateforme obtient sa réponse et connaît son opérateur local. Ensuite, c’est l’opérateur local qui traite avec le promoteur local. Je pense que cette méthode est la meilleure pour affronter les grandes difficultés que l’on connaît dans le monde du logement, en général, et dans celui du logement abordable, en particulier.

M. Philippe Lengrand, vice-président du groupe Action Logement. Nous vivons une crise du logement extrêmement forte. Quand je rencontre des adhérents syndicaux et des salariés et alors qu’ils ne me parlaient que d’emploi il y a quelques mois, ils me parlent désormais de la question du logement, quel que soit le territoire : aujourd’hui, le problème du logement n’est plus circonscrit à l’Île-de-France, nombre de territoires sont touchés.

Cette question touche tous les professionnels, y compris Action Logement, mais aussi, plus généralement, tous les acteurs républicains : c’est presque une question de démocratie, puisque ce qui est en jeu est le parcours résidentiel des salariés (logement social, logement intermédiaire, accès à la propriété, etc.) ; ce parcours est aujourd’hui rompu pour bon nombre de citoyens et de travailleurs. Comment va-t-on loger ces travailleurs, permanents ou saisonniers, à Dunkerque, Saint-Brieuc ou ailleurs ?

Un groupe comme Action Logement est un opérateur considérable des points de vue financier, du nombre de salariés qui y travaillent ou des politiques qu’il mène, mais nous essayons de rester les plus agiles possible.

Notre action se déploie selon trois axes. Le premier est celui de la construction : nous faisons 18 % du parc et, ces dernières années, c’est un tiers de la production qui a été réalisé par Action Logement, principalement dans le domaine du logement et un peu dans le domaine du logement intermédiaire.

La rénovation est le deuxième axe. Elle est incontournable aujourd’hui pour répondre aux questions de la fin de monde et de la fin du mois, c’est-à-dire pour répondre aux enjeux climatiques aussi bien qu’aux enjeux des travailleurs qui ont des difficultés à payer leurs loyers, leurs charges, etc.

Le troisième volet est l’accompagnement des salariés. La garantie Visale est un dispositif très important, c’est le réseau de ceux qui n’en ont pas… Un jeune qui ne peut pas obtenir de garantie de ses parents peut avoir la garantie Visale et accéder ainsi au parc privé. Nous avons signé le millionième contrat au mois de juin et notre objectif, dans la convention quinquennale, est de passer à deux millions de contrats.

Nous avons également mis en place un fonds « Énergie » pour faire face à la crise de l’énergie, des aides aux impayés de loyer pour faire face à la crise sanitaire, etc.

Les enjeux sont d’abord quantitatifs. Mais il faut aussi que le logement réponde aux besoins en termes d’usages et de localisations. Les travailleurs souhaitent être près de leur travail, des services publics, des commerces, avec des espaces verts, etc. : la « ville du quart d’heure » répond à ces attentes.

Contrairement aux politiques conduites dans les années soixante, soixante-dix ou quatre-vingt, je pense qu’il faut aujourd’hui faire de la dentelle. Nous avons des étudiants qui ont besoin d’un certain type de logement, mais ils ne le trouvent pas. Ceux que l’on appelait pendant la covid-19 les « travailleurs de première et deuxième lignes » ont beaucoup de difficultés à trouver un logement près de leur lieu de travail et l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris a du mal à recruter pour cette raison. Les travailleurs souhaitent des balcons, compte tenu des chaleurs estivales dans certaines régions. La question du télétravail a aussi modifié les demandes en termes de taille et d’organisation des logements.

Action Logement est un groupe paritaire qui fonctionne bien et sait trouver les compromis qui permettent d’avancer.

Il faut construire plus, notamment du logement social. Les chiffres ont été rappelés : 2,4 millions de dossiers sur le système national d’enregistrement (SNE)… du jamais vu ! Certains jeunes travailleurs qui seraient tout à fait fondés à demander un logement social ne font même pas la demande. Il faut aussi construire du logement intermédiaire, les deux ne s’opposent pas. Il faut relancer l’accession sociale à la propriété. Où et comment ? Telle est la question. Car nous voyons que les zones pavillonnaires, cet idéal des Trente glorieuses, sont aujourd’hui interrogées pour des raisons climatiques, de transport, d’éloignement, etc.

Je pense enfin qu’il est essentiel de repenser le parcours résidentiel, parce qu’il s’agit de l’un des fondements de notre République. Le logement doit être une ambition nationale et faire l’objet d’une politique nationale. La décentralisation telle qu’on l’a connue dans les années quatre-vingt doit être requestionnée. Comme le groupe Action Logement dans son ensemble, je crois qu’il faut une politique générale qui serve de fil conducteur et qu’ensuite on tienne compte des spécificités territoriales : on ne peut pas faire en Île-de-France comme on fait en Bretagne et en Bretagne comme on fait en Outre-mer.

M. le président Stéphane Peu. Un Conseil national de la refondation consacré au logement s’est tenu et il a réussi à dégager des propositions consensuelles, de la Fondation Abbé Pierre aux promoteurs immobiliers. Au sein de l’Assemblée nationale, nous devrions également être capables de formuler des propositions consensuelles. Nous sommes face à une crise immobilière, qui porte en germe une crise sociale : cette crise demande des mesures très fortes.

Vous avez exprimé d’emblée votre désaccord avec l’idée, présente jusques et y compris au sein de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), selon laquelle construire n’est pas aussi nécessaire qu’on veut bien le dire et qu’il vaut mieux refaire la ville sur la ville. J’ai même entendu prétendre que, si l’on savait traiter sur le plan urbain le pavillonnaire de l’Île-de-France, on réglerait la crise du logement en Île-de-France sans construire !

Il faut se poser la question sans détours : comment ce pays peut-il renouer avec un effort de production ? Il faut certes réhabiliter – développer « Action cœur de ville », soutenir l’Agence nationale de l’habitat, etc. – mais j’apprends que le « Denormandie », un dispositif qui avait quelques vertus même s’il avait du mal à démarrer, va disparaître à la fin de l’année : n’est-ce pas assez paradoxal, quand on ne jure que par la remise sur le marché de logements inoccupés ?

Les chiffres de la production ne cessent de baisser dans tous les secteurs du logement (privés, publics, sociaux, intermédiaires…) et il n’est pas prévu d’inversion de cette tendance dans les années qui viennent.

Par ailleurs, Action Logement va déstocker des promoteurs à travers l’appel à projets sur trente mille logements, mais il s’agit d’un palliatif : cela permettra peut-être de sauver quelques entreprises et projets, mais ce n’est pas une politique durable.

Je suis très attaché à Action Logement et à la Peec depuis longtemps, très attaché également à ce qu’Action Logement reste un organisme paritaire. Les tentatives de fiscaliser la Peec sont récurrentes et, profitant d’une période où les budgets sont appelés à être adoptés sans vote grâce au 49.3, le ministère des Finances pourrait être tenté de pousser cette idée – ce qu’il ne s’autoriserait pas si la mesure faisait l’objet d’un débat parlementaire. Pensez-vous que le risque de fiscaliser la Peec a été écarté par la signature de la convention quinquennale 2023-2027 ou que ce risque subsiste ?

Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu’il faudrait revenir sur la réduction de l’assiette de la Peec aux entreprises de plus de cinquante salariés et, ainsi, renforcer les moyens d’Action Logement ?

M. Bruno Arcadipane. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une menace très claire qui pèse sur le groupe : notre établissement financier, Action Logement Services, a fait l’objet d’un reclassement par l’Insee – que nous contestons devant les tribunaux – transformant Action Logement Services en administration publique (APU). Ceci aurait pour conséquence d’en faire un organisme divers d’administration centrale (Odac) et donc de nous enlever toute capacité d’endettement, puisqu’une APU se doit d’être calquée sur le cadre temporel du projet de loi de finances – donc, un endettement à douze mois avec un contrôle renforcé du ministère des finances.

Les ressources du groupe sont, quasiment à 100 %, liées au 0,45 % pris sur la masse salariale des entreprises – et donc, quelque part, sur les salariés ; c’est pour cela que nous sommes paritaires et, comme nous sommes d’utilité sociale, les partenaires sociaux ont décidé de continuer à servir l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille et même si seules celles de plus de cinquante salariés contribuent.

Quand le seuil est passé de dix à vingt salariés, nous avons perdu 180 millions d’euros par an, qui devaient nous être compensés ; M. Manuel Valls, qui était Premier ministre à l’époque, en a décidé autrement. Quand le seuil est passé de vingt à cinquante salariés par décision de M. Bruno Le Maire dans le cadre de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « Pacte », nous avons perdu trois cents millions d’euros par an. Au total, nous perdons donc 480 millions d’euros de collecte par an, qui ne peuvent pas être investis pour les logements social et intermédiaire. Pour mémoire, ces 480 millions d’euros par an n’ont été compensés qu’une seule fois, à hauteur de trois cents millions d’euros.

À force de vouloir « jouer » avec cette Peec pour payer ceci ou cela – je rappelle que la Peec n’est pas un impôt, mais une contribution volontaire obligatoire –, le conseil d’administration du Medef pourrait décider de revoir cette contribution ; la discussion avec le ministre des Finances pourrait être catastrophique pour les mondes du logement et de la construction, de manière générale.

La Peec a vocation à financer la construction de logements. Plaine Commune, dans le 93, est une France en miniature. Sur les 236 000 logements sociaux existants, Action Logement en détient 48 000 (20 %). Combien y a-t-il de demandeurs de tels logements ? Cent mille demandeurs dans le 93, dont trente-cinq mille à Plaine Commune ; ce sont en grande partie des salariés. Combien y a-t-il eu d’agréments ? 3 698…

Dans les Côtes-d’Armor, la situation est pire encore : seules 14 % des demandes de logements sociaux sont satisfaites, je pense qu’il s’agit de l’un des records en France. Il y a 23 791 logements sociaux dans les Côtes-d’Armor, on n’en a que 1 344 : on voit le peu d’impact que l’on peut avoir sur ce territoire. Pourtant, 70 % de la population est éligible au logement social…

M. Mickaël Cosson, rapporteur. 85 % dans les Côtes-d’Armor…

M. Bruno Arcadipane. Combien y a-t-il eu d’agréments délivrés en 2022 ? 190.

On est en train d’étouffer la machine, alors que, quand cette machine s’arrête, elle est très longue à redémarrer. Aujourd’hui, le secteur n’a que deux poumons : la Caisse des dépôts et consignations et Action Logement ; si l’on arrête l’un des deux, que va-t-il se passer, au moment où la hausse du taux du livret A, le seul taux sur lequel nous sommes tous indexés, affaiblit de façon importante l’ensemble du secteur ?

Je voudrais néanmoins terminer par quelques exemples encourageants. Quand une entreprise nous appelle, nous pouvons, du fait de notre paritarisme, prendre des décisions rapides et objectives. Le zoo de Beauval nous a contactés parce qu’il avait du mal à recruter, à cause du manque de logements à proximité. Nous avons construit au pied du zoo, ce qui est très compliqué.

Quand Yves Rocher a des difficultés pour recruter, nous créons une résidence sur mesure, qui s’appelle La Bergerie, pour qu’il puisse loger ses salariés.

Quand un groupe de la taille de Disney nous sollicite pour les mêmes raisons, nous trouvons encore des solutions sur mesure.

Nous venons de signer un accord avec les dirigeants du Puy-du-Fou qui, jusque-là, ne logeaient pas du tout leurs salariés. Ils ont du foncier, mais ils souhaitent peut-être demain continuer à développer leur parc. Là aussi, nous trouvons des solutions en posant sur leur propre terrain des maisons innovantes, qui peuvent être déplacées en fonction de l’évolution du parc.

Nous avons construit récemment à Maxéville (54), pour la fédération de la métallurgie, des logements étudiants sur son propre parking. Pourquoi ? Parce que son école était éloignée de Nancy, qui compte beaucoup de logements étudiants. Comme elle reçoit des mineurs, les trajets tard le soir pouvaient poser problème : nous avons donc construit une offre spécifique pour elle.

La crise est multifactorielle et terrible. Nous nous devons d’y répondre ensemble avec de l’innovation, de l’ingénierie et aussi un peu d’argent. Il faut consolider et sécuriser les ressources d’un secteur qui a perdu plus de dix milliards d’euros en une petite dizaine d’années.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Merci pour votre analyse, que je partage largement. Pendant des décennies, on a déroulé un tissu urbain et, maintenant qu’on va le découper, il va falloir faire de la dentelle pour coller le plus possible aux besoins des territoires. Dans le passé, on a beaucoup parlé en termes de quantités et d’objectifs, mais jamais en termes de logements répondant aux besoins présents et futurs du territoire, en fonction de l’évolution de sa population.

Vous évoquiez la définition, au niveau national, d’une caisse à outils dont les territoires pourraient s’emparer pour répondre à leurs besoins : je crois que cette approche est la bonne. Nous avons des blocages à tous les niveaux, aujourd’hui, et ces blocages sont renforcés par un contexte tempétueux. Il faudra être innovants et accepter que les règles d’urbanisme puissent être plus flexibles : lorsque vous parlez de logements qui puissent évoluer en fonction des besoins, cela signifie avoir des autorisations d’urbanisme qui soient différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui.

Notre territoire s’est beaucoup artificialisé, au moment même où l’on mettait en place des documents de planification pour, prétendument, maîtriser la construction. En définitive, l’artificialisation s’est accélérée parce que l’on n’a su que juxtaposer des zones en créant des zones dédiées à l’artisanat, au commerce, au logement, à l’industrie, etc., la voiture étant le seul moyen de les relier.

Qu’est-ce qui, selon vous, nous manquerait encore du point de vue des outils de pilotage et de planification pour résoudre ces problèmes de logement ? Les logements pour les saisonniers sont en nombre insuffisant, ce qui a pour conséquence que des emplois saisonniers ne sont pas pourvus et que des restaurants ferment en pleine saison, une journée par semaine, pour tenir compte de la difficulté de recruter : quand vous êtes étudiant, travailleur saisonnier, et que vous gagnez 1 400 euros par mois, vous ne pensez pas dépenser 700 euros pour vous loger. Comment faire pour utiliser les zones artisanales, qui sont vides le soir, pour loger des saisonniers ? Nous nous heurtons encore une fois à une réglementation qui interdit de construire du logement dans les zones artisanales.

La question de la solvabilité se pose pour ceux qui veulent accéder à la propriété : le coût du crédit augmentant, beaucoup renoncent à acquérir un logement, ce qui a pour effet de mettre en difficultés ceux qui construisent des logements et conduit à supprimer des emplois.

Disposez-vous aujourd’hui d’outils précis qui vous permettent d’identifier les besoins de logements pour les entreprises, les étudiants et les seniors ? Apparemment, les instruments n’existent pas, qui permettraient de fixer des orientations et des règles pour les territoires.

Aujourd’hui, des entreprises sont obligées de renoncer à des marchés, faute de logements pour pouvoir loger leurs salariés. Nous avons des idées, nous avons besoin d’ingénierie pour faire de l’innovation. Les collectivités, quant à elles, n’ont pas les moyens d’innover : elles ne font que subir, subir les logements qui se construisent sur leur territoire et ne répondent pas à leurs besoins, subir que personne ne vienne construire chez elles alors qu’elles ont des besoins. Alors que l’ingénierie est essentielle, c’est l’inverse qui a été réalisé depuis trente ans pour réaliser des économies qui, aujourd’hui, nous coûtent très cher.

M. Dominique Da Silva (Renaissance). Pour moi, la problématique, c’est de loger où l’on en a besoin, là où les employeurs sont à la peine pour loger leurs salariés, plutôt que produire du logement là où c’est possible. Quand on a si peu d’attributions par rapport aux besoins, on ne répond pas à la crise du logement. Ce n’est pas de votre faute : vous faites avec les moyens que vous avez. Je pense que vous avez tout intérêt à être en soutien de tous ces employeurs qui sont prêts à « mettre la main à la poche » pour produire du logement afin de loger leurs salariés.

Le droit réel que doivent avoir les entreprises de loger leurs salariés est le vrai sujet et je tiens à ce lien réel entre emploi et logement. Si l’on veut que les entreprises investissent ou que vous soyez leur partenaire, il faut interroger le lien entre le contrat de travail et le contrat de location. Si une entreprise investit dans un logement, que son salarié démissionne et qu’il reste dans le logement, que faire ? Ces situations doivent être envisagées, puisque 3 % des salariés sont licenciés chaque année dans notre pays. Ne peut-on pas imaginer du relogement dans ces cas difficiles ? Dans le Val-d’Oise, un gros transporteur emploie trois mille salariés et verse cinq cent mille euros de Peec : il n’a eu que vingt attributions ! Ce n’est pas possible !

Il faut sortir de cette idéologie du « tout institutionnel » et de ces commissions d’attribution des logements qui, en réalité, ne servent pas les salariés de notre pays. Dans le parc social, le nombre de jeunes logés a été divisé par deux et le nombre de seniors a doublé en trente ou quarante ans : c’est un échec de mixité. Encore une fois, le logement aidé, c’est très bien ; mais si on veut aller vers le plein-emploi, il faut loger avant tout les salariés.

Que pouvez-vous nous proposer pour aller beaucoup plus loin et beaucoup plus fort ? Nous en avons besoin maintenant.

M. Bruno Arcadipane. Malheureusement, nous ne faisons pas la loi ! Imaginer demain « coller » un bail d’habitation à un emploi nécessiterait une modification législative. À titre personnel, je n’y crois pas beaucoup.

Je suis preneur des exemples où les employeurs ne s’y retrouvent pas, parce que, normalement, ils nous le disent. Nous tenons des fiches sur chaque entreprise, avec les services rendus (attributions, aides aux salariés, etc.) ; pour vous donner un ordre d’idées, Action Logement a distribué 850 000 aides aux salariés l’année dernière, ce qui est considérable.

Si l’on suit votre idée d’un lien entre le bail et le contrat de travail, quid de la personne qui arrive en retraite ou qui est en longue maladie ? Nous pourrions en débattre longuement.

Vouloir donner toute la responsabilité aux maires, notamment la signature des permis de construire, m’inquiète beaucoup. Si le maire est le seul décideur du peuplement de sa commune, la pression sur lui sera considérable. Il faut aller voir comment cela se passe dans un village de trois cents habitants, dans une ville de dix mille habitants et dans une métropole pour prendre la mesure des tensions qui s’exercent aujourd’hui, lorsqu’on touche à la problématique du logement. Le poids que l’on va mettre sur les épaules des élus sera, à mon avis, insupportable pour beaucoup d’entre eux.

M. Philippe Lengrand. S’agissant de la Peec, les risques sont toujours présents : nous avons mis presque un an pour négocier une convention quinquennale, mais l’épée de Damoclès est toujours présente. Le risque vient d’en haut, mais aussi d’en bas : il arrive que les travailleurs que nous représentons viennent nous voir et nous reprochent, alors que leur entreprise verse à Action Logement 0,45 % de sa masse salariale, de ne pas avoir de réponse quand ils demandent un logement ou de devoir se contenter d’un logement non rénové.

Nous pouvons être fiers, aujourd’hui, de nos résultats en termes de construction, de rénovation et d’accompagnement, grâce à l’ingénierie qui a été développée.

La culture des résultats, tout le monde doit l’avoir. Nous nous devons d’avoir des résultats pour les travailleurs, pour les entreprises, pour ceux que nous représentons.

Il faut également être innovant. Nous faisons de l’habitat modulaire pour les saisonniers au Pays basque, dans les Hautes-Alpes, etc. Nous expérimentons le corpoworking, près de Toulouse. Nous essayons de répondre aux spécificités territoriales : les idées ne viennent pas d’en haut, mais émanent des comités régionaux ou territoriaux d’Action Logement ; comme nous avons l’ingénierie qui nous permet d’examiner les demandes, nous pouvons essayer d’y répondre.

S’agissant du lien entre le contrat de travail et le bail, j’évoquerai deux points. D’une part, je pense qu’il ne faut pas aller trop vite, pour éviter les fausses bonnes idées. Le système tel qu’il existe est interprofessionnel et solidaire ; c’est d’ailleurs pour cela qu’il est géré par les partenaires sociaux. Je suis donc circonspect quand je vois certaines entreprises qui, de façon isolée, commencent à répondre à ces questions de logement : cela revient à détricoter nos systèmes de justice interprofessionnelle, intergénérationnelle et solidaire.

D’autre part, le contrat de travail est un lien de subordination ; c’est bien pour cela que les syndicats existent : si un travailleur a un problème avec son employeur, il peut se retourner vers un syndicat qui peut éventuellement lui apporter une réponse. Le travailleur a déjà, de par son contrat de travail, les pieds et poings liés. Si, en plus, le contrat de travail est lié au logement, les risques pour le salarié deviennent très grands.

M. Dominique Da Silva (Renaissance). Le lien emploi-logement n’a pas vocation à régir tous les Français. Le logement de fonction existe : quand les personnes arrêtent une profession, elles quittent leurs logements. Si une entreprise vous propose un logement, rien ne vous oblige dans le contrat de travail à prendre ce logement ; mais si vous le prenez, c’est donnant-donnant. Sinon, quel serait l’intérêt de l’entreprise à investir ?

L’idée n’est pas de fragiliser et de mettre les salariés en difficulté, mais de réfléchir à la manière de sortir de ce carcan pour que les salariés puissent être logés. Cette mobilité professionnelle, on en a besoin et, aujourd’hui, on n’y répond pas de façon satisfaisante.

M. le président Stéphane Peu. La perte de mobilité dans le parc social – elle a été divisée par deux ces dernières années – n’est pas due au fait que trop de personnes se satisferaient d’une rente de situation ; elle est très liée au fait que la mécanique est bloquée et que le parcours résidentiel ne fonctionne plus, c’est d’ailleurs l’un des objets de la présente mission d’information. J’ai présidé un organisme de vingt mille logements : nous faisions 12 % de mobilité par an jusqu’à il y a une petite dizaine d’années ; aujourd’hui, ce taux est tombé à 4 % ; sur vingt mille logements, au lieu d’en attribuer 2 400, vous en attribuez 800 désormais.

Action Logement est largement mise à contribution, en dehors de ses missions fondamentales, afin de soutenir financièrement des opérateurs ou actions de l’État – l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), le programme « Action cœur de ville », etc. Il serait intéressant d’avoir un document sur les recettes d’Action Logement (la Peec, les retours de prêts, etc.) et sur ses grands postes de dépenses, en distinguant le cœur des missions d’Action Logement (loger, construire, rénover) et les missions de l’État. Je bondis quand, dans l’hémicycle, j’entends des ministres dire : « Nous finançons l’Anru à hauteur de cinq milliards d’euros par an. » ; non, ce n’est pas l’État, ce n’est pas le contribuable, qui finance l’Anru, c’est Action Logement à hauteur de 90 %.

Action Logement est, comme le régime Agirc-Arcco, un organisme paritaire bien géré, qui arrive à fabriquer des consensus sur des sujets d’intérêt général comme le logement et qui se voit ponctionner par des responsables qui ont du mal à gérer convenablement le budget de l’État.

Je m’inquiète beaucoup des difficultés que nous rencontrons en matière de logement des fonctionnaires. Le ministère de l’intérieur peine à recruter des gardiens de la paix en région parisienne ; les difficultés sont les mêmes pour les enseignants, la fonction publique hospitalière, le greffe du tribunal de Bobigny… Il n’existe pas de Peec pour la fonction publique. À une époque, 5 % du contingent préfectoral étaient censés être réservés au logement des fonctionnaires ; cela n’existe plus, car les nombreuses filières de relogement prioritaire prennent le pas sur le reste. Ne pourrait-on pas proposer une Peec fonctionnaire ?

M. Bruno Arcadipane. Il existe déjà une Peec, que les entreprises publiques ou privées peuvent alimenter au-delà de la participation volontaire. Beaucoup d’entreprises le font, comme La Poste et la RATP. Quelques structures publiques nous demandent de gérer, pour leur compte, ce lien emploi-logement au bénéfice des fonctionnaires. Aujourd’hui, la Peec est fléchée vers le secteur privé, mais nous pourrions l’élargir demain au secteur public.

La SNCF, La Poste ou la RATP détiennent – ou détenaient – un opérateur dédié au logement de ses salariés. Comme nous, les opérateurs sont assujettis aux quotas, au droit au logement opposable (Dalo), au quota préfectoral, à tous ces publics prioritaires. À force d’avoir des publics prioritaires, ultra-prioritaires et prioritaires sur les ultra-prioritaires, on finit par perdre de vue que, pendant la covid, on applaudissait les soignants et les caissières à vingt heures : les applaudir, c’est bien… mais les loger, c’est mieux !

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.

 


Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 19 octobre 2023 à 11 h 00

Présents. – M. Mickaël Cosson, M. Dominique Da Silva, M. Stéphane Peu.