Compte rendu
Commission d’enquête
sur la libéralisation
du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir
– Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Vidalies, ancien ministre..2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Richert, président par intérim de l’Autorité de régulation des transports, de Mme Sophie Auconie, vice-présidente, et de M. Jordan Cartier, secrétaire général 10
– Table ronde réunissant des représentants de grands comptes chargeurs du fret ferroviaire en France : M. Olivier Clyti, directeur stratégie, RSE et digital du groupe InVivo ; Mme Nathalie Debaisieux, responsable achats et transports du groupe Roquette ; M. Guy Sidos, président-directeur général de la société des ciments Vicat ; M. Olivier Galisson, responsable transports et logistique à France Chimie, ainsi que M. Stéphane Delpeyroux et M. Arnaud Desmonts, respectivement directeur des affaires publiques et responsable des projets stratégiques supply chain d’ArcelorMittal Europe 22
– Présences en réunion................................35
Jeudi
5 octobre 2023
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 13
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. David Valence,
Président de la commission
— 1 —
La séance est ouverte à quatorze heures trente.
La commission procède à l’audition de M. Alain Vidalies, ancien ministre.
M. le président David Valence. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Alain Vidalies, ancien ministre chargé des relations avec le Parlement et ancien secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le ministre, vous avez longtemps été député des Landes et vous connaissez très bien cette Assemblée.
Cette commission d’enquête poursuit deux objectifs. Le premier est de comprendre le déclin de la part modale du fret en France, en particulier depuis les années 2000, et notamment si la libéralisation a joué un rôle dans ce déclin. Le second vise à revenir sur la décision prise par le ministre des transports actuel de retenir une solution de discontinuité pour parer un risque contentieux créé par des plaintes lancées au moment où vous étiez secrétaire d’État aux transports en 2016. Ce risque contentieux a pris une forme nouvelle avec l’ouverture d’une enquête approfondie lancée le 18 janvier dernier par la Commission européenne.
La période de près de trois ans où vous avez été secrétaire d’État aux transports est importante pour notre commission d’enquête. En effet, quelques semaines après votre entrée en fonction, le projet d’écotaxe a été abandonné par votre ministre de tutelle. Nous connaissons mieux les circonstances de cet abandon qui ont été retracées dans un certain nombre de livres. Cet abandon a été pointé plusieurs fois par nos interlocuteurs comme étant une forme d’un retour en arrière, puisque la mise à contribution de la route aurait permis de financer des travaux sur les infrastructures, notamment ferroviaires, en France. Nous serons donc intéressés de connaître votre sentiment à ce sujet, ainsi que les réactions que vous avez pu recueillir à l’époque de la part des professionnels du fer, y compris du fret ferroviaire. Je rappelle que l’écoredevance est aujourd’hui possible, mais seulement à l’échelle régionale. Ce mécanisme est en train d’être activé, notamment par la région Grand Est.
Par ailleurs, à partir de 2016, trois concurrents de Fret SNCF ont déposé des plaintes auprès de la Commission européenne pour aides illégales en faveur de l’opérateur historique depuis dix ans, de manière continue. Ces plaintes se fondent sur le motif que le groupe public ferroviaire n’a pas agi en investisseur avisé, engageant du même coup la responsabilité de l’État. Ces plaintes ont été déposées au moment où vous étiez au ministère. Je pense donc que vous en avez été averti à ce moment-là, mais nous aurons l’occasion d’y revenir. Nous serons également intéressés de connaître la manière dont vous avez à l’époque évalué le risque contentieux.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Alain Vidalies prête serment.)
M. Alain Vidalies, ancien ministre. Je suis heureux de revenir dans cette maison que j’ai longtemps fréquentée pour évoquer un sujet passionnant. Nous aurons l’occasion de revenir un peu plus tard sur un certain nombre de sujets, notamment l’écotaxe, que je n’évoquerai pas dans mon propos liminaire.
La solution de discontinuité retenue en janvier 2023 pour échapper semble-t-il à une sanction plus grave du type Alitalia est une décision grave pour Fret SNCF, mais aussi pour le fret ferroviaire en général. Il est ainsi très préoccupant d’entendre le président de DB Cargo exposer devant votre commission la remise en cause de ses investissements prévisionnels sur le wagon isolé pour être en mesure de participer à la reprise des vingt-trois flux prélevés sur Fret SNCF.
La décision de discontinuité retenue en 2023 fait suite à une plainte déposée en 2016, période pendant laquelle j’exerçais des responsabilités ministérielles. Durant la période résiduelle jusqu’à mai 2017, je n’ai pas eu connaissance de cette plainte, pas plus que mon cabinet. J’ajoute que Mme Borne, qui m’a succédé en tant que ministre chargée des transports, n’a pas non plus détecté l’existence de cette plainte, d’après les déclarations qu’elle a faites devant votre commission.
J’ai moi-même été confronté à des procédures ouvertes par la Commission européenne pour des aides d’État, notamment sur le programme de relance autoroutier et sur la solution de discontinuité pour la reprise de la Société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM). Ces procédures sont lourdes. Elles supposent de nombreux échanges avec la Commission et mobilisent l’administration d’État, mais aussi le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et notre représentation permanente à Bruxelles. Ces débats avec la Commission justifient parfois des initiatives politiques avec le Parlement européen, mais aussi avec d’autres États membres. C’est par exemple ce que nous avions entrepris avec la création de l’Alliance du routier réunissant sept pays qui s’engageaient dans la lutte contre le dumping social et exigeaient une révision de la directive sur les travailleurs détachés.
Je suppose que votre commission dispose du compte rendu de toutes ces démarches qui ont nourri le débat avec la Commission européenne pendant six ans. J’ai bien sûr observé un changement radical de position entre M. Djebbari et M. Beaune, mais faute d’avoir connaissance exacte des échanges entre la France et la Commission, je m’abstiendrai de porter une appréciation sur la décision prise en janvier 2023.
Sur le fond, la décision de la direction générale (DG) de la concurrence n’est pas surprenante. Elle est malheureusement l’expression d’un dogmatisme qui s’exprime particulièrement contre les anciens monopoles devenus entreprises publiques. Pour la DG Concurrence, peu importe que le bateau coule, pourvu que la concurrence soit respectée. Il s’agit d’une vision dangereuse, car elle limite son approche à la seule concurrence intramodale en ignorant la concurrence intermodale, qui est pourtant la question majeure sur laquelle la Commission, parmi d’autres, porte une part de responsabilité.
Même si la préparation de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire n’a pas été performante dans notre pays, je ne crois pas que celle-ci explique à elle seule les difficultés du fret ferroviaire. En effet, la diminution de la part modale du fret ferroviaire a commencé bien avant l’ouverture à la concurrence. En outre, les résultats obtenus dans les pays voisins, à législation constante, sont très différents.
Le fret ferroviaire a certes souffert de la concurrence, mais les problèmes proviennent plutôt de la concurrence intermodale au profit de la route. Votre Commission a certainement connaissance du rapport très intéressant de la Cour des Comptes européenne de 2016, qui a examiné les difficultés du fret ferroviaires dans cinq pays, dont la France. Ce rapport met en évidence la différence de financement par l’Europe des infrastructures routières et ferroviaires. Celui-ci souligne ainsi que « dans le cadre des régimes de financement de la politique de cohésion, les projets de transport pouvaient bénéficier d’un taux de cofinancement allant jusqu’à 85 % pour le routier, tandis que les plafonds de co-financement du programme du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), principalement axés sur le rail, étaient au taux de 20 % ».
Le rapport précise en outre : « Nous avons constaté que les fonds de l’Union européenne alloués aux projets d’infrastructures ferroviaires durant la période 2007-2013 étaient utilisés essentiellement pour les besoins des passagers ferroviaires. Ils ne servaient pas à répondre aux besoins du fret ferroviaire. » Une double responsabilité peut être ici mise en exergue.
D’une part, les fonds européens qui étaient liés à l’élargissement – les fonds de cohésion – ont permis aux pays bénéficiaires de construire des routes et des autoroutes plutôt que des équipements ferroviaires. D’autre part, il faut se rappeler qu’en vingt ans, de 1990 à 2010, la France a perdu 20 000 emplois dans le transport routier pendant que la Pologne en gagnait autant. Cette politique fondée sur le dumping social et validée en permanence par la Commission européenne a heureusement été combattue par la France.
Votre commission réfléchit à l’avenir du fret ferroviaire. Pendant l’exercice de mes responsabilités, j’ai présidé chaque année la conférence ministérielle pour la relance du fret ferroviaire initiée en 2013. Dès 2014, j’ai engagé une démarche de préservation des lignes capillaires, c’est-à-dire 3 000 kilomètres de lignes – soit 10 % du réseau – empruntées par 20 % des trafics de fret. Dès 2015, nous avons pu ainsi pérenniser 350 kilomètres de voie. Nous avons publié un arrêté de simplification des normes à respecter pour ce trafic à faible vitesse sur des lignes sans voyageurs. Cette modification était issue d’un groupe de travail associant les organisations syndicales. Nous avons également engagé une action sur le wagon isolé confiée directement à l’association des utilisateurs de transport de fret (AUTF), autrement dit l’association des chargeurs.
En 2016, j’ai confié à des parlementaires des missions d’axe pour favoriser le mode ferroviaire dans la desserte de nos grands ports maritimes. Ce plan de relance comportait également des mesures pour consolider le développement du transport combiné et du réseau des autoroutes ferroviaires. Pendant cette période, le fret ferroviaire a cessé son déclin et a même entamé une légère reprise, toutefois très loin des objectifs que nous impose la lutte contre le réchauffement climatique.
Aujourd’hui, chacun le sait, un train de marchandises émet dix fois moins de dioxyde de carbone et huit fois moins de particules que les camions qu’il remplace. Le train, et d’abord le fret, constitue un atout majeur, si ce n’est un passage obligé, vers la mobilité décarbonée. Mais pour y arriver, une volonté politique est incontournable. Des montants élevés ont été annoncés pour la mise à niveau du réseau, qu’il s’agisse des aiguillages automatisés, du système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERMTS), des gares de triage ou de la rénovation des voies.
La décision finale appartient toujours aux chargeurs. Il faut les inciter au choix du train par l’effet prix et la fiabilité, mais compte tenu de l’intérêt général, voire vital, de la lutte contre le réchauffement climatique, ne faut-il pas envisager de modifier par voie réglementaire les conditions de la concurrence intermodale ? Après tout, les « miracles » suisse ou autrichien reposent certes sur des infrastructures, mais aussi sur des réglementations. Pour parvenir à ces objectifs, je souscris pleinement à l’idée d’une loi de programmation ferroviaire qui serait le prolongement naturel du travail très utile que vous avez entrepris.
M. le président David Valence. L’annonce du plan de discontinuité est intervenue quatre mois après l’ouverture de l’enquête approfondie, soit au mois de mai dernier. Cet élément marque malgré tout une différence objective entre la période qui précède et celle qui a suivi, quels que soient par ailleurs les changements de ministre : le risque s’est accru à partir du mois de janvier. La procédure engagée contre Fret SNCF diffère de celle entreprise vis-à-vis de DB Cargo en Allemagne, dans la mesure où il apparaît que la Commission européenne avait alerté sur le niveau des aides publiques pouvant poser une difficulté dès les années 2005-2006. De notre côté, nous avons reçu une liste des rencontres intervenues sur ce sujet entre l’actuel ministre des transports, y compris à l’époque où il était secrétaire d’État chargé des affaires européennes, et Mme Margrethe Vestager.
Vous avez parlé des investissements sur les infrastructures, notamment sur les capillaires fret. Vous êtes arrivé au ministère à l’époque où les contrats de plan État-région (CPER) venaient d’être signés. Or nous ne pouvons que constater que le fret y est peu présent. Était-ce lié à la volonté de l’État ou à une faible mobilisation des régions ? Les deux raisons se sont-elles cumulées ? Par contraste, les CPER en cours de négociation comportent des financements importants pour le fret, environ 2 milliards d’euros de financements cumulés.
Ma deuxième question concerne la concurrence intramodale. Pouvez-vous revenir sur l’abandon de l’écotaxe et les échanges que vous aviez pu avoir à l’époque avec les chargeurs et le secteur du fret ferroviaire ? Cet abandon a été évoqué très souvent devant notre commission, y compris par votre prédécesseur, comme un facteur défavorable à la redynamisation du fret et aux investissements de nos infrastructures.
M. Alain Vidalies. Quand je suis arrivé au ministère, la décision de suppression de l’écotaxe dans sa forme initiale avait déjà été prise à la suite du mouvement des « bonnets rouges ». J’étais ministre délégué chargé des relations avec le Parlement à cette période. Une loi de 2009 avait été votée à l’unanimité, mais personne n’avait vu les difficultés qu’elle susciterait. Comme le cardinal de Retz l’a justement énoncé, « on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment ». Or, à l’occasion de la discussion de cette loi, chaque maillon du secteur pensait que le coût de la mesure serait imputé à un autre maillon : les chargeurs avaient compris que les transporteurs paieraient, les transporteurs croyaient que les producteurs financeraient, et ainsi de suite. Dans ces conditions, tout le monde était favorable à la loi, initialement. Mais lorsque la loi a commencé à s’appliquer, chacun s’est finalement rendu compte de ses réelles implications.
Un mouvement de protestation a vu le jour, principalement en Bretagne, dans un contexte très particulier, marqué également par des manœuvres de politique politicienne. M. Le Drian a joué un rôle essentiel dans l’arrêt de l’écotaxe, à l’époque où il affrontait M. Le Fur dans le cadre des élections régionales. L’écotaxe a été suspendue et lorsque je suis arrivé au secrétariat d’État aux transports, une deuxième version essayait de tenir compte des difficultés auxquelles le gouvernement précédent avait été confronté. La mesure a changé de nom pour devenir le « péage de transit de poids lourds ». La recette destinée à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) avait alors été à peu près divisée de moitié, pour atteindre environ 350 millions d’euros escomptés sur le budget 2015. Le périmètre avait donc été très largement revu.
À mon arrivée, j’ai engagé des négociations avec les organisations de transporteurs. Au sein des transporteurs, deux organisations sont constituées : d’une part, la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), qui représente plutôt les grandes entreprises ; et d’autre part, l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), qui rassemble plutôt les petites entreprises. L’OTRE était catégoriquement opposée à toute forme de péage. La FNTR était plus modérée, mais était d’une certaine manière obligée de s’aligner sur cette opposition.
Ces négociations ont abouti à ma proposition d’expérience « à blanc » pendant trois mois. Les organisations professionnelles ont répondu en annonçant un mouvement de grève, mais j’ai indiqué à Matignon et à l’Élysée qu’il fallait assumer cette situation et continuer. J’avais cru comprendre avoir été entendu. Le mercredi matin, à la veille du mouvement social, la ministre Ségolène Royal a annoncé à la sortie du conseil des ministres qu’elle recevrait les transporteurs, ce qu’elle fit l’après-midi même. Au bout de quelques minutes de réunion, elle a alors annoncé la suspension de la taxe. J’ignore qui était informé de cette décision. Je ne sais pas si elle avait été validée par Élysée, mais je suis certain que Matignon n’était pas au courant.
Telle est la manière dont les événements se sont déroulés. Cette décision demeure très contestable. J’estime, peut-être à tort, qu’il fallait continuer et essayer de convaincre qu’il était possible d’appliquer le péage de transit de poids lourds pour revenir ultérieurement à un dispositif plus ambitieux. Immédiatement, face à cette situation, j’ai demandé de trouver une solution ne pénalisant pas l’AFITF. Cette solution a consisté à augmenter de quatre centimes la taxe sur le gazole et de deux centimes celle sur les véhicules des particuliers. Malgré tout, nous avons abandonné une proposition qui paraissait essentielle. Je le regrette.
Je n’ai pas le souvenir que les professionnels du fret se soient manifestés à cette occasion. De toute manière, à l’époque, il existait peu de sollicitations sur le fret ferroviaire. La direction de la SNCF était surtout concentrée sur l’activité voyageurs, car elle a été confrontée à la mise en place de quatre lignes TGV, à leur financement et aux négociations avec les régions. Or ces discussions étaient ubuesques. Par exemple, la SNCF souhaitait faire circuler un nombre réduit de trains sur la liaison Paris-Bordeaux pour limiter le coût des péages versés à Vinci. La SNCF proposait quatorze trains par jour, Alain Juppé et Alain Rousset en voulaient une vingtaine. Mon arbitrage a porté sur dix-sept trains et demi.
Telle était la situation à l’époque, que j’ai d’ailleurs déjà relatée dans un livre. J’ajoute que le contexte était très particulier, puisque nous subissions une vague d’attentats et de drames qui affectaient les transports : l’attentat du Thalys, l’accident de Puisseguin, le crash de l’avion de la compagnie Germanwings. Cette période était donc marquée par les préoccupations sécuritaires, y compris dans le domaine des transports.
Aujourd’hui, il nous faut trouver une solution pour rétablir l’équilibre entre la route et le rail. Si nous n’y parvenons pas, les difficultés ne cesseront de se multiplier. Il y a quelques jours, j’ai voyagé en Espagne et j’ai été témoin de ces « murs » de camions qui se dirigent vers la frontière française. Cette situation est invraisemblable. Mais il n’est pas possible d’être favorable au ferroviaire, notamment au fret ferroviaire, tout en manifestant pour s’opposer à la ligne Lyon-Turin. Il n’est pas possible de revendiquer le renversement du rapport intermodal tout en militant contre le TGV Atlantique.
Le patron de DB Cargo a évoqué devant votre commission un élément très important. Il a souligné que de Forbach à Perpignan, l’infrastructure était suffisante, mais que pour rejoindre Bayonne, la situation est tout autre et qu’elle génère de multiples problèmes. Il s’agit là d’un argument majeur si nous voulons lutter contre le mur des camions sur la façade Atlantique. En matière de fret ferroviaire, il serait opportun qu’il y ait autant de pratiquants que de croyants.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Vous avez indiqué que ni vous ni votre cabinet n’avez eu connaissance de la plainte adressée à la Commission européenne. En 2015, l’Autorité de régulation des transports a transmis une alerte à la SNCF. Or les représentants du ministère des transports siègent au conseil d’administration de l’entreprise publique ferroviaire. L’alerte de 2015 n’a-t-elle pas été détectée et portée à votre connaissance ?
Plus globalement, vous avez évoqué la séquence ayant présidé à l’abandon de l’écotaxe. Votre prédécesseur nous a indiqué qu’à l’époque, la stratégie globale du ferroviaire était fondée sur la rentabilité de cette écotaxe. Du jour au lendemain, une recette majeure a disparu. En tant que secrétaire d’État aux transports, comment avez-vous envisagé la situation à court et moyen terme ? De quelle manière avez-vous repensé cette stratégie, compte tenu de l’absence de cette manne financière ?
M. Alain Vidalies. L’alerte de l’Autorité de régulation des transports ne m’a pas été transmise, mais je n’ai pu vérifier qu’auprès des membres de mon cabinet et dans mes propres archives. J’ignore si elle a été adressée à la direction générale des infrastructures des transports et de la mer (DGITM). Le sujet n’a pas été jugé suffisamment grave au point de devoir en saisir le ministre.
Une fois que la suppression de la deuxième formule de l’écotaxe a été établie, nous avons immédiatement fait en sorte d’augmenter les recettes. Ma position était ferme, quand le ministère de l’économie et des finances ne voyait pas d’un œil favorable l’augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les poids lourds et les particuliers.
Sur le long terme, la relation, y compris financière, entre le rail et la route mérite de faire partie de vos réflexions. Les pouvoirs publics ne sont pas totalement démunis puisque les concessions autoroutières s’arrêteront bien un jour. L’État doit exercer ses responsabilités afin de reconstruire notre réseau ferroviaire, y compris en procédant à quelques arbitrages. Il nous faut aujourd’hui remettre notre réseau à niveau ; les investissements en France sont inférieurs à ceux d’un certain nombre de nos concurrents.
La question majeure porte donc bien sûr les moyens de financement qu’il nous faut trouver. Je souscris à la règle européenne sur la concurrence et l’accès au réseau égal pour tous. Mais encore faut-il disposer d’un réseau pour accueillir le fret ferroviaire. Je rappelle qu’à l’origine, avant la privatisation des autoroutes, un lien avait été établi entre les recettes que l’État tirait des autoroutes et le financement des différents modes de transport. De mémoire, lors de la privatisation, l’AFITF a d’ailleurs reçu 4 milliards d’euros, qui ont été dépensés les deux années postérieures.
Rétablir ce lien pour l’avenir me semble essentiel, au-delà des difficultés techniques. J’ajoute que la question des autoroutes ferroviaires me paraît également devoir être revue.
M. le président David Valence. Il existe toujours un lien entre le financement de l’AFITF et le trafic routier, à travers la redevance domaniale et les amendes pour excès de vitesse, mais il est moins prononcé qu’auparavant. Je précise par ailleurs que nous aurons l’occasion d’auditionner François Poupart, qui fut directeur général de la DGITM entre 2014 et 2019.
Mme Sylvie Ferrer (LFI-NUPES). Vous avez abordé la liaison ferroviaire transalpine Lyon-Turin, que j’ai déjà évoquée auprès de Mme Idrac lors de son audition. Une voie existe déjà et a d’ailleurs été réhabilitée pour un montant d’un milliard d’euros, mais il y circule aujourd’hui trois fois moins de trains qu’avant, selon l’Office fédéral de la statistique helvétique. Dès lors, le projet ferroviaire Lyon-Turin me paraît totalement inutile aujourd’hui compte tenu des enjeux climatiques, alors que nous venons de connaître les températures les plus élevées jamais enregistrées pour un mois de septembre. Il me semble important de privilégier les infrastructures existantes et de les améliorer si cela s’avère nécessaire. Je rappelle que ce projet de ligne Lyon-Turin bafoue les réglementations, notamment les lois sur l’eau.
M. Alain Vidalies. Mon analyse est en complète opposition avec la vôtre. Plus généralement, sur toutes les questions d’infrastructures, certains estiment toujours que small is beautiful, c’est-à-dire que des projets de petite envergure sont toujours préférables. Lorsque je travaillais sur la question du canal Rhin-Rhône, on estimait également qu’il fallait privilégier des petits canaux. Je n’en voyais pas l’utilité. Au sujet de la ligne à grande vitesse (LGV) au-delà de Bordeaux vers Toulouse et l’Espagne, les mêmes voulaient réhabiliter la voie actuelle. J’avais donc saisi l’École polytechnique de Lausanne, la référence en la matière, dont le rapport avait conclu qu’il était complètement absurde de vouloir réhabiliter la ligne actuelle, car cette réhabilitation ne servait à rien et coûtait en outre plus cher que la création d’une nouvelle voie.
S’agissant du Lyon-Turin, la ligne actuelle est inutilisable en raison de l’éboulement qui a eu lieu, entraînant un report modal de dizaines de milliers de camions vers la route. Cette ligne ancienne était extrêmement fragilisée et j’assume entièrement la signature de l’accord avec l’Italie sur le projet de voie ferroviaire transalpine. Pour des raisons techniques, la ligne ancienne ne peut supporter beaucoup de poids et elle est désormais obsolète. En outre, elle ne fonctionnera pas pendant au moins un an en raison de l’accident qui est survenu. Il est donc inutile d’interrompre le chantier, en dépit de la mobilisation actuelle de part et d’autre de la frontière. La performance supérieure des Autrichiens, des Italiens et des Allemands en matière de fret ferroviaire est notamment due aux tunnels qu’ils ont su construire pour offrir des solutions de qualité aux chargeurs.
Le problème porte plutôt sur le tronçon entre Lyon et l’entrée du tunnel, où le projet manque apparemment de cohérence. Il conviendra de s’y pencher très rapidement. Mais quoi qu’il en soit, il s’agit d’un grand projet européen qui permettra pour partie de rattraper le retard que nous accusons par rapport à nos concurrents en matière de développement du fret ferroviaire.
M. le président David Valence. La question du Lyon-Turin est un peu périphérique par rapport au sujet qui nous occupe, mais laissez-moi vous faire part d’une remarque. Tout d’abord, l’effondrement qui s’est produit sur la ligne classique résulte également d’un mauvais entretien de la ligne. De fait, les ouvrages en terre constituent fréquemment un aspect trop délaissé de l’état du patrimoine. Nous connaîtrons vraisemblablement de nouveaux éboulements sur d’autres lignes.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Monsieur le ministre, je me permets d’insister. En 2015, l’Autorité de régulation des transports a émis une alerte qui a précédé la plainte des années 2016-2017. À l’époque, l’enjeu était déjà structurel pour notre système ferroviaire et le modèle des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC). Vous avez indiqué que personne ne vous avait alerté, si bien que vous n’avez pu prendre langue avec la Commission européenne. Pensez-vous que le sujet a été traité par la ministre de tutelle ?
M. Alain Vidalies. Je le répète : rien n’est remonté à mon cabinet ni à celui de la ministre de tutelle. À la même période, je me rendais pratiquement toutes les semaines à Bruxelles, pour évoquer différents dossiers : la SNCM, le programme de relance autoroutier, la directive sur les travailleurs détachés. Dans cette dernière bataille, la France a tout perdu : non seulement le fret ferroviaire a été délaissé, mais en plus les emplois routiers se sont déportés vers d’autres pays dont les coûts salariaux étaient plus faibles.
Au sein de la Commission, la direction générale de la concurrence envisageait tous les sujets sous le prisme de la concurrence. Avec mon homologue allemand, nous essayions de convaincre la direction générale de la mobilité et des transports. En effet, quand la France et l’Allemagne adoptent une position commune, elles sont en mesure de faire bouger les lignes. En la matière, nous y sommes parvenus, dans le cadre de « l’alliance du routier ».
Si j’avais été saisi de la question du fret, je l’aurais naturellement traitée avec la Commission européenne, comme je l’ai fait pour la SNCM ou le dossier des autoroutes. Non seulement je n’ai pas été saisi, mais plus encore, il ne s’agissait pas d’un sujet d’actualité dans mes relations avec les dirigeants de la SNCF que je voyais très fréquemment. À cette période, je mettais en œuvre la réforme qui avait été votée juste avant mon arrivée. J’ai notamment dû gérer le complexe dossier de la négociation sur le temps de travail, qui m’a valu quelques frictions avec Guillaume Pepy.
Dans le domaine du fret, notamment au sein de la conférence sur le fret, notre travail était orienté vers les réseaux capillaires et les grands ports maritimes. Je pense toujours qu’il s’agissait là d’une bonne initiative, même si les efforts doivent se poursuivre.
J’évoquais tout à l’heure la distinction entre les « croyants » et les « pratiquants » du fret ferroviaire. J’ai porté le dossier de la ligne Serqueux-Gisors, qui concernait des infrastructures importantes. À cette occasion, j’ai eu la grande surprise de voir se dresser face à moi un mouvement de contestation mené par un ancien ministre socialiste. En résumé, nous avons progressé sur un certain nombre de dossiers, mais encore fallait-il être saisis.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. La France et l’Allemagne aurait-elle pu parler de concert il y a quelques mois sur les dossiers de Fret SNCF et DB Cargo ?
M. Alain Vidalies. Il m’est difficile de me prononcer de manière catégorique. Cependant, je me demande effectivement pourquoi ce type d’initiative n’a pas été prise. Mais peut-être l’a-t-elle été ? Quoi qu’il en soit, vous avez raison : quand nos deux grands pays formalisent une position commune auprès de la Commission européenne, il est plus facile d’agir. L’approche de la Commission en matière de concurrence pose malgré tout un problème.
Je n’irai pas jusqu’à dire, comme l’a fait M. Djebbari, que le marché n’était pas mature, mais mon constat s’en rapproche malgré tout. Quand nous constatons que les fonds européens ont essentiellement servi à construire des routes, au détriment du ferroviaire, c’est un constat d’échec collectif. L’erreur est humaine, mais réversible. À une époque, les tramways ont été chassés des villes ; on les y réimplante aujourd’hui. De la même manière, peut-être pouvons-nous recréer des voies de chemin de fer…
M. le président David Valence. Tous les interlocuteurs que nous avons reçus ont insisté sur le fait que la procédure ouverte contre Fret SNCF n’est pas au même stade que celle entamée contre DB Cargo. En quelque sorte, les Allemands sont en 2005. La situation française est plus proche de celle de la Roumanie, qui a été condamnée, son opérateur de fret devant procéder à un remboursement. DB Cargo n’en est qu’au stade des plaintes des concurrents et non de l’enquête approfondie. La différence est particulièrement notable.
M. Alain Vidalies. Vous parlez de la situation actuelle. Une initiative commune, il y a quatre ou cinq ans, aurait peut-être pu modifier le rapport de force.
M. le président David Valence. Je partage votre point de vue.
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La commission procède à l’audition de M. Philippe Richert, président par intérim de l’Autorité de régulation des transports, de Mme Sophie Auconie, vice-présidente, et de M. Jordan Cartier, secrétaire général.
M. le président David Valence. Nous avons le plaisir de recevoir M. Philippe Richert, président par intérim de l’Autorité de régulation des transports (ART), connue précédemment sous les noms d’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), puis Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), puis Autorité de régulation des transports. Il est accompagné de Mme Sophie Auconie, vice-présidente de l’ART et de M. Jordan Cartier, son secrétaire général.
Le cadre de la commission d’enquête est double. L’objectif consiste d’abord à comprendre les raisons du déclin de la part modale du fret ferroviaire en France depuis le début des années 2000, étant entendu que ce déclin était engagé bien avant cette période. Cependant, l’angle retenu par le groupe de la Gauche démocratique et républicaine, qui a sollicité la création de cette commission d’enquête, consiste à chercher à savoir si la libéralisation du fret ferroviaire depuis les années 2005-2006 a produit un effet sur la régression de la part du fer par rapport à la route en matière de transport de marchandises. Dans ce cadre, nous avons entrepris l’audition de l’ensemble des ministres des transports, mais aussi des présidents de la SNCF depuis 1995.
Le deuxième axe a trait à la procédure européenne ouverte à l’encontre de Fret SNCF le 18 janvier dernier. Cette procédure a été initiée par trois entreprises concurrentes de Fret SNCF en 2016. Elle a été poursuivie par la Commission européenne nonobstant le retrait de ces plaintes. Le gouvernement français a choisi de retenir une solution de discontinuité pour protéger Fret SNCF contre les effets potentiels d’une condamnation à rembourser 5,3 millions d’euros, au titre des aides publiques considérées comme illicites, au regard des obligations d’un investisseur avisé. Selon la Commission européenne, la suspicion est née du caractère continu et durable de ces aides publiques.
L’Autorité de régulation des transports a depuis sa création la mission de veiller à l’exercice de la concurrence dans le domaine ferroviaire, cette compétence ayant été élargie aux transports depuis la loi dite loi Macron sur les transports routiers, collectifs et réguliers. Nous sommes intéressés par les alertes que vous avez pu formuler, notamment en 2015, au regard de la séparation comptable – y compris pour des installations de service – entre SNCF Mobilités et l’activité Fret SNCF. Nous savons que la décision que l’ART avait prise le 22 avril 2015 a nourri en partie l’argumentation des entreprises concurrentes lors de la formulation de leurs plaintes. Nous souhaiterions que vous reveniez sur cette décision, mais aussi sur la manière dont vous analysez le caractère licite ou non au regard du droit européen des aides publiques perçues de 2006 à 2019 par Fret SNCF, et le regard que vous pouvez porter en tant que régulateur sur la solution de discontinuité retenue par le gouvernement. Nous souhaiterions savoir également si vous avez été consultés lors du choix de cette solution. Je précise à l’intention de mes collègues que le régulateur des transports français est unanimement jugé comme l’un des meilleurs régulateurs de l’ensemble des pays européens, par la qualité de ses travaux et l’impartialité des avis qu’il rend.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Philippe Richert, Mme Sophie Auconie et M. Jordan Cartier prêtent serment.)
M. Philippe Richert, président par intérim de l’Autorité de régulation des transports. Je tiens tout d’abord à vous remercier de nous offrir l’occasion de nous exprimer sur l’avenir du fret ferroviaire devant votre commission d’enquête. Il est important que les parlementaires puissent approfondir cette question. Nous le ferons en dépit du fait que, depuis quatorze mois, nous n’avons pas de président attitré. Ce manque devrait être bientôt comblé. Le développement du transport ferroviaire de marchandises est un enjeu essentiel pour la transition écologique de notre économie. Je me réjouis à titre personnel que l’Assemblée nationale s’empare de ce sujet alors que nous vivons un moment crucial pour le système ferroviaire.
À titre liminaire, je souhaite rappeler et illustrer le rôle joué par l’Autorité de régulation des transports dans le sujet qui vous préoccupe. L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de marchandises a été engagée au début des années 2000, sous l’impulsion des premier et deuxième paquets ferroviaires européens. En France, elle a été réalisée en 2003 pour les services internationaux et en 2006 pour les services domestiques. Comme dans les autres industries de réseau, cette ouverture à la concurrence a reposé sur un cadre juridique visant, d’une part, à créer un marché concurrentiel pour les services de fret ; d’autre part, à assurer aux entreprises ferroviaires un accès équitable, transparent et non discriminatoire aux infrastructures essentielles afin qu’elles puissent toutes offrir leurs services, sous le contrôle d’un régulateur indépendant. Cet organisme de contrôle prendra la forme d’une autorité publique indépendante, l’ARAF, ancêtre de l’ART, en 2009.
Pour contribuer à faire émerger les conditions d’un bon fonctionnement des marchés régulés, l’ART dispose de différents pouvoirs, pour l’essentiel centrés sur l’accès aux infrastructures essentielles, que l’on peut répartir en trois grandes catégories.
Dans la première catégorie, deux types de pouvoirs s’exercent ex ante, c’est-à-dire qu’ils conditionnent les actions des opérateurs dans les secteurs régulés. Il s’agit, d’une part, d’un pouvoir d’avis conforme, juridiquement contraignant, portant notamment sur la tarification de l’accès aux infrastructures essentielles ; d’autre part, d’un pouvoir normatif. Ainsi, l’ART approuve les tarifs d’accès au réseau et aux installations de service acquittés par les entreprises ferroviaires et, par une décision de portée réglementaire, a mis en place un dispositif d’incitations réciproques entre SNCF Réseau et les entreprises ferroviaires, qui a contribué à améliorer la stabilité des sillons attribués et commandés, au bénéfice notamment des services de fret.
Dans la deuxième catégorie, deux types de pouvoirs quasi juridictionnels s’exercent ex post, c’est-à-dire une fois qu’un différend entre deux acteurs a émergé ou qu’un acteur est susceptible d’avoir manqué à ses obligations. Il s’agit, d’une part, d’un pouvoir de règlement de différends ; d’autre part, d’un pouvoir de sanction. À titre d’exemple, l’ART a réglé un différend entre SNCF Réseau et plusieurs entreprises de fret à l’été 2022 en prononçant des injonctions à destination de SNCF Réseau de nature à améliorer les conditions opérationnelles d’accès à l’infrastructure ferroviaire. Par ailleurs, l’ART a infligé, le 27 juin 2023, une sanction pécuniaire de 2 millions d’euros à l’encontre de SNCF Réseau pour avoir « méconnu son obligation d’informer les candidats de manière systématique, précise et intelligible des raisons pour lesquelles un sillon-jour n’a pas pu leur être alloué ».
Enfin, la troisième catégorie comporte un pouvoir général d’information et de recommandation, dont l’objectif est d’améliorer la transparence des marchés et le fonctionnement des systèmes de transport. Outre la mission d’observation du marché qu’elle exerce depuis 2015, l’ART publie ainsi, chaque année, un avis motivé sur les conditions opérationnelles d’accès des entreprises ferroviaires au réseau et aux installations de service. Elle réalise et publie également régulièrement des études visant à éclairer le débat public, par exemple, en juillet 2023, une étude sur les scénarios de long terme pour le réseau ferroviaire français (2022-2042).
Dans un deuxième temps, je souhaiterais partager trois grands messages. Mon premier message est le suivant : l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, bien installée aujourd’hui, a plutôt eu un effet stabilisateur sur la part de ce mode pour le transport de marchandises. Durant la première phase, de l’après-guerre aux années 1970, les statistiques publiques montrent que les volumes transportés par le rail ont augmenté, mais moins vite que le transport de marchandises dans son ensemble, ce qui a entraîné une érosion régulière de la part modale, passée d’environ 70 % en 1950 à moins de 50 % en 1974.
Durant la deuxième phase, à partir des années 1970 et jusqu’à la fin des années 2000, les statistiques publiques attestent que le déclin s’est accéléré avec une baisse simultanée des volumes transportés et de la part modale, qui tombe à 30 % en 1985, puis à 9 % en 2010. Trois principales raisons sont régulièrement avancées pour expliquer le déclin du fret ferroviaire dans notre pays. La première concerne le déclin des industries lourdes et de la production de charbon, qui a modifié profondément les flux logistiques au profit de la route. La deuxième raison est liée à la singularité du réseau français construit en étoile autour de Paris, qui favorise structurellement les services voyageurs, et à la desserte insuffisante des ports français, conjuguée à leur déclin relatif par rapport à leurs concurrents européens, qui a privé le fret ferroviaire de flux importants. Enfin, le mode routier a pleinement profité de ses avantages compétitifs par rapport au mode ferroviaire.
La troisième phase, celle d’une stabilisation de la situation du fret ferroviaire, notamment grâce à l’essor du transport combiné, s’est ouverte à la fin des années 2000, concomitamment à l’ouverture à la concurrence du secteur. Durant cette période, les volumes annuels se sont établis autour de 35 milliards de tonnes-kilomètres. La part modale du fret ferroviaire s’est située entre 9 % et 12 % selon les années, et le transport combiné, qui représente désormais environ 40 % des volumes transportés par le mode ferroviaire, a compensé la poursuite du déclin du fret conventionnel. Aujourd’hui, Fret SNCF, dont la part de marché s’élevait à 50 % en tonnes-kilomètres en 2022, et, plus largement, les entreprises ferroviaires de fret du groupe SNCF, dont la part de marché s’élevait à 69 % des tonnes-kilomètres en 2022, exercent leur activité dans le cadre d’un marché concurrentiel caractérisé par la présence d’une vingtaine d’acteurs.
Dans d’autres pays européens, l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de marchandises s’est accompagnée, non pas d’une stabilisation, mais d’une augmentation de la part modale. En Allemagne, par exemple, l’ouverture à la concurrence a été suivie d’une croissance régulière de la part modale du ferroviaire pour le transport de marchandises, qui est passée de 19 % en 2000 à 24 % en 2013. Dans le même temps, l’opérateur historique DB Cargo a vu sa part de marché décroître pour atteindre environ 50 %, à l’image de Fret SNCF aujourd’hui.
Mon deuxième message porte sur l’état du réseau ferroviaire. Le vieillissement de l’infrastructure et son manque d’adaptation aux trains de fret pénalisent fortement le transport ferroviaire de marchandises, si bien que l’objectif de doublement de la part modale à l’horizon 2030, fixé dans la loi, ne pourra pas être atteint sans des investissements importants dans l’infrastructure.
Malgré l’augmentation des efforts depuis le milieu des années 2000, l’état du réseau demeure préoccupant et sa modernisation est lente, faisant courir un risque de décrochage du réseau français par rapport à nos voisins européens. Il présente des signes de vieillissement marqués, avec de grandes disparités en fonction des actifs et des lignes. En outre, malgré les gains significatifs qu’elle pourrait apporter en matière de qualité de service, de productivité et de capacité, la modernisation du réseau français avance lentement.
Ainsi, au rythme prévu par le contrat de performance 2021-2030 entre l’État et SNCF Réseau, le déploiement de la commande centralisée du réseau, qui a déjà pris beaucoup de retard en France par rapport à nos voisins européens, ne devrait pas être achevé avant 2070, alors qu’il s’agit d’un projet majeur de digitalisation pour améliorer la performance de la gestion des circulations. Il en va de même pour le système de gestion du trafic européen, l’ERTMS, qui doit apporter des gains de capacité sur le réseau et favoriser son interopérabilité. La France aura atteint en 2030, au mieux, le tiers de l’objectif de déploiement fixé par le droit européen en 2013.
Face à ce constat, l’effort supplémentaire de 1,5 milliard d’euros par an d’ici la fin du quinquennat pour le renouvellement et la modernisation du réseau, annoncé par la Première ministre dans le cadre de la « nouvelle donne ferroviaire », apparaît essentiel pour préserver le réseau existant et enclencher une dynamique vertueuse alignée avec les objectifs de transition écologique des transports. Cet effort devra toutefois être amplifié au-delà de 2027 pour assurer la pérennité et la modernisation du réseau : par rapport à la trajectoire actuelle du contrat de performance, l’effort moyen supplémentaire annuel nécessaire, sur les vingt prochaines années, pour décliner le scénario de planification écologique du Conseil d’orientation des infrastructures (COI), est de l’ordre de 2,3 milliards d’euros constants, en valeur 2021.
Au-delà de cet effort de régénération et de modernisation de l’infrastructure, le développement du fret nécessitera des investissements spécifiques afin d’assurer sa compétitivité. En particulier, l’adaptation du réseau aux segments les plus dynamiques, comme le transport combiné, est essentielle. Cela passe notamment, comme l’a régulièrement souligné l’ART dans ses avis motivés annuels sur les conditions d’accès opérationnel au réseau ferroviaire et aux installations de service, par des opérations de mise au gabarit de certains axes ; par l’adaptation de l’infrastructure pour accueillir des trains plus longs et plus lourds ; ou encore par le développement de nouveaux terminaux de marchandises. L’enveloppe de 4 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2032 annoncée par le Gouvernement en mai dernier – et qui trouve une première traduction concrète dans le projet de loi de finances pour 2024 – correspond aux recommandations du COI.
Dans ce contexte, comme l’ART l’a recommandé à plusieurs reprises, il apparaît essentiel de renforcer le dispositif de pilotage des investissements de SNCF Réseau. Il s’agit, d’une part, de mettre en place une planification détaillée et régulièrement actualisée des investissements, annexée au contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau ; d’autre part, d’instaurer des mécanismes incitatifs robustes pour veiller à la maîtrise des coûts d’investissement du gestionnaire d’infrastructure.
Mon troisième message concerne la qualité de service offerte par SNCF Réseau. Les efforts du gestionnaire d’infrastructure en la matière doivent être amplifiés afin de contribuer à améliorer la compétitivité du fret. Le fret ferroviaire souffre d’un déficit de qualité de service bien plus que du coût des péages, dont l’État prend en charge une part importante.
À ce titre, plusieurs constats peuvent être formulés concernant les trois grands processus industriels du gestionnaire d’infrastructure. D’abord, le processus d’allocation des capacités favorise les services réguliers et fréquents qui commandent très en avance leurs capacités sur le réseau, c’est-à-dire le plus souvent les services voyageurs. Environ la moitié des sillons fret sont tracés dans la capacité résiduelle, c’est-à-dire une fois que tous les autres sillons sont en place, contre moins d’un tiers pour les sillons voyageurs. En outre, seules 75 % des réponses apportées par SNCF Réseau sont conformes à la demande initiale de sillon pour le fret, contre plus de 90 % pour les services voyageurs. Cette difficulté d’accès à des sillons robustes et si besoin prioritaires est préjudiciable pour le développement des services de fret ferroviaire par rapport au mode routier. Afin de rendre plus performante, fiable et agile l’allocation des capacités pour le fret, le processus d’allocation des capacités de SNCF Réseau mériterait d’être refondu, notamment afin de préserver des capacités pour une allocation tardive aux services de fret.
S’agissant des travaux sur le réseau, les circulations fret sont particulièrement pénalisées par les opérations réalisées de nuit, qui sont appelées à se multiplier en raison de la hausse de l’effort de renouvellement et de modernisation dans le cadre de la « nouvelle donne ferroviaire ». Il convient de rappeler qu’environ un tiers des trains de fret circulent la nuit. Il est donc essentiel que le gestionnaire d’infrastructure s’engage clairement dans un programme ambitieux pour maîtriser et limiter l’impact des travaux sur ses clients. Il s’agit, d’une part, d’assurer des modalités d’information et de concertation plus adaptées aux besoins des utilisateurs du réseau ; d’autre part, de limiter à ce qui est strictement nécessaire la réservation de capacités destinées aux travaux en optimisant la réalisation des opérations. En 2022, l’ART a renforcé ses exigences en la matière vis-à-vis de SNCF Réseau dans le cadre d’une décision de règlement de différend entre SNCF Réseau et plusieurs entreprises de fret, mais aussi d’un renforcement du dispositif d’incitations réciproques portant sur la stabilité des capacités attribuées.
S’agissant de l’exploitation ferroviaire, les trains de fret souffrent d’un manque chronique de ponctualité : 35 % arrivent en retard – deux fois plus que pour les voyageurs –, dont 16 % avec plus de trente minutes de retard. SNCF Réseau est responsable d’environ 20 % des minutes perdues par les circulations de fret, contre 50 % pour les entreprises ferroviaires elles-mêmes. L’amélioration de la ponctualité des trains de fret constitue un enjeu majeur pour l’ensemble du système ferroviaire. Le programme de performance, qui associe le gestionnaire d’infrastructure et ses clients pour favoriser la ponctualité des trains de fret, notamment le départ à l’heure des convois, doit être amplifié et généralisé. Cela passe, notamment, par l’amélioration des systèmes d’information de SNCF Réseau afin de faciliter un dialogue opérationnel en temps réel avec les entreprises ferroviaires. Le déploiement de la commande centralisée du réseau, que j’évoquais précédemment, contribuerait également à rendre plus performante la gestion des circulations par SNCF Réseau.
Au-delà des évolutions nécessaires des processus industriels du gestionnaire d’infrastructure, il est essentiel d’introduire des mécanismes réellement incitatifs à la qualité de service, avec une attention toute particulière pour le transport de marchandises. Ces mécanismes pourraient être tout d’abord d’ordre réputationnel, par exemple au travers d’une publication régulièrement actualisée, sur le site internet de SNCF Réseau, d’indicateurs ayant fait l’objet d’une concertation préalable avec le secteur. La prochaine actualisation du contrat de performance, prévue en 2024, pourrait être l’occasion de mettre en place un tel dispositif.
Ces mécanismes pourraient également être d’ordre financier, en conditionnant par exemple la mise en œuvre de hausses de redevances à l’atteinte de seuils minimaux pour certains indicateurs de qualité de service bien choisis, par exemple le taux de conformité des réponses aux demandes des candidats. Sans que le cadre juridique actuel s’oppose au conditionnement des évolutions tarifaires à des améliorations de la qualité de service, un renforcement de la régulation sur ce volet pourrait utilement être conforté par des évolutions législatives.
M. Jordan Cartier, secrétaire général de l’Autorité de régulation des transports. Monsieur le président, vous avez formulé dans votre propos introductif deux questions. La première portait sur les alertes formulées par l’ARAF en 2015 sur la situation comptable du groupe ferroviaire. La seconde concernait l’appréciation du régulateur au sujet de la solution de discontinuité aujourd’hui envisagée par le gouvernement français.
S’agissant du premier point, le régulateur a pour mission de veiller au bon fonctionnement concurrentiel des marchés régulés. Il l’exerce en s’intéressant aux conditions d’accès aux infrastructures essentielles du système ferroviaire, qui permettent aux entreprises de fournir un service sur le marché aval. Il accomplit cette mission en présence d’un opérateur historique verticalement et horizontalement intégré, en s’assurant de l’existence d’un terrain de jeu équitable. Dans ce cadre, la séparation comptable joue un rôle particulier.
Dès 2009, la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires a confié au régulateur la mission d’approuver le référentiel de séparation comptable des entreprises ferroviaires concernées par la mise en place de cette séparation. À la suite de la directive 2012/34/UE, les pouvoirs du régulateur ont été renforcés par la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire : le régulateur dispose désormais de pouvoirs pour s’assurer de la vérification et de l’effectivité de la séparation comptable.
La séparation comptable joue sur plusieurs volets pour une entreprise exerçant des activités concurrentielles régulées, avec un double objectif : d’une part, s’assurer qu’en interne la partie services paie les prestations internes au tarif régulé approuvé par le régulateur ; d’autre part, s’assurer qu’aucun coût de l’activité concurrentielle n’est imputé sur l’activité régulée et améliorer la compétitivité de l’entreprise sur le marché concurrentiel – faute de quoi il s’agirait de subventions croisées créant des distorsions de concurrence.
Dans le cas qui vous intéresse, la séparation comptable concerne une époque où les services de voyageurs étaient toujours monopolistiques, mais où il existait au sein de SNCF Mobilités une activité concurrentielle, l’activité de fret. L’objectif de cette séparation visait également à s’assurer que l’activité de fret ne bénéficiait pas de subventions croisées de la part de l’activité de voyageurs.
Le 22 avril 2015, le régulateur s’est prononcé sur la base du référentiel de séparation comptable de l’établissement public de caractère industriel et commercial (EPIC), qui lui a été transmis à la fin décembre 2014 par l’EPIC, pour approbation. Dans sa décision, il relève tout d’abord un très fort déséquilibre de la structure du passif de l’activité de fret, laquelle présente des capitaux propres négatifs à hauteur de 3,3 milliards d’euros. Ensuite, il constate un endettement de 3,5 milliards d’euros porté par l’EPIC SNCF au bénéfice de Fret SNCF, avec des frais financiers paraissant déconnectés de la situation de Fret SNCF et pouvant être de ce fait constitutifs d’une aide d’État.
Dans les deux points de sa décision, l’ARAF souligne ces difficultés. Afin de mettre en œuvre les missions confiées par le législateur – notamment l’information des services de l’État compétents des irrégularités potentielles en matière d’aides d’État constatées dans l’exercice de ses attributions –, elle a adressé le lendemain de sa décision, soit le 23 avril 2015, trois courriers signés par le président Cardo. Le premier des courriers a été envoyé à la direction générale des infrastructures des transports et de la mer (DGITM) de l’époque, le deuxième à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et le troisième au secrétariat général des affaires européennes (SGAE).
Dans ces courriers, il est indiqué que l’analyse des comptes séparés de SNCF Mobilités suscite des interrogations sur l’existence d’une aide d’État qui serait irrégulière en l’absence d’une notification à la Commission européenne.
Par ailleurs, l’Autorité a émis en mai 2019 un avis relatif au projet d’ordonnance portant diverses dispositions relatives à la nouvelle SNCF. Dans celui-ci, l’ARAFER fait part de ses interrogations concernant la solution retenue par le gouvernement, c’est-à-dire l’absence de transfert de la dette de l’activité fret de SNCF Mobilités à la nouvelle société Fret SNCF. Là aussi, l’Autorité souligne que cette « absence de transfert de dette, même temporaire, peut s’apparenter à un apurement de cette dette historique par SNCF Mobilités et soulève la question des aides d’État pour cette activité en concurrence dont il appartiendra à la Commission européenne d’apprécier la compatibilité avec le droit de l’Union européenne ».
Depuis la constitution de Fret SNCF au 1er janvier 2020, l’ART a été destinataire du référentiel de séparation comptable de Fret SNCF. Après avis de l’Autorité de la concurrence, ce référentiel n’a pas appelé d’observations majeures, de même que les comptes séparés dont l’ART est destinataire.
L’ART n’a pas été consultée sur le projet de plan de discontinuité par le gouvernement. Cependant, elle peut se référer aux enseignements tirés de l’observation du marché qu’elle a réalisée. En tout état de cause, compte tenu du rôle joué aujourd’hui par Fret SNCF, sa disparition – si l’entreprise devait rembourser la totalité des aides d’État – aurait des effets majeurs de report modal inversé. Par ailleurs, la solution de discontinuité paraît à la fois réaliste et ambitieuse, dans la mesure où les vingt-trois trafics qui seront concernés correspondent à 30 % des trafics de Fret SNCF, qui représentent eux-mêmes 50 % des trafics de fret ferroviaire nationaux. Le seul opérateur en dehors du groupe SNCF dont les niveaux de trafics sont comparables est DB Cargo. Vous avez auditionné son président, qui considère que DB Cargo n’a pas forcément vocation à récupérer l’ensemble des trafics. Cela étant, les trafics visés correspondent à des activités de traction qui sont relativement simples sur le plan technique.
Bref, la disparition de Fret SNCF serait très dommageable à la fois pour le secteur et en termes de report modal. La solution de discontinuité apparaît à la fois ambitieuse et réaliste. Mais la Commission européenne en sera seule juge.
M. le président David Valence. Certains, au sein de la commission d’enquête, estiment que le changement de la forme juridique d’EPIC en plusieurs sociétés anonymes (SA) filialisées a pu accroître le risque pour Fret SNCF, dans la mesure où un EPIC ne peut pas faire faillite. L’ART serait-elle en mesure de nous donner son avis sur ce point ?
Plusieurs décisions de l’ART – notamment celle du 28 juillet 2022 – portent sur des différends entre des entreprises ferroviaires et SNCF Réseau. Un certain nombre d’entreprises du fret ferroviaire, notamment DB Cargo, observent une amélioration de l’accès au réseau et une plus grande équité à l’égard de Fret SNCF. Qu’en pense l’Autorité ?
M. Philippe Richert. Depuis le début, il nous a semblé que le choix opéré susciterait des questionnements qui allaient revenir régulièrement. Le choix de l’intégration de SNCF Réseau comportait en effet des incertitudes. Néanmoins, les efforts produits par les uns et les autres ont permis d’améliorer le fonctionnement du réseau de fret ferroviaire.
S’agissant de l’accès équitable, comme pour l’ensemble des dossiers dont nous avons eu à connaître pour Fret SNCF, l’ART a été confrontée à un certain nombre de difficultés. Il a été compliqué non seulement de faire accepter l’existence du régulateur, mais d’obtenir que les recommandations de l’Autorité soient suivies par les différents protagonistes. Aujourd’hui, le système fonctionne plutôt mieux, l’état d’esprit est meilleur. En général, lorsque nous nous rencontrons pour finaliser des positions, des convergences voient le jour, alors que ce n’était pas le cas il y a quelques années.
Je suis entré à l’ARAFER en 2018 et j’ai pu constater une réelle évolution, globalement positive, nous permettant de préparer les différentes approches dans de meilleures conditions, sans pour autant transiger sur nos exigences. Celles-ci sont en effet nationales et européennes. L’écoute dont nous bénéficions aujourd’hui nous permet d’avancer de manière plus concrète et plus solide.
Mme Sophie Auconie, vice-présidente de l’Autorité de régulation des transports. En cas de refus du plan de discontinuité par la Commission européenne, la faillite de Fret SNCF aurait des conséquences majeures en termes de report modal, compte tenu de l’impossibilité des autres secteurs de reprendre un certain nombre de trafics.
Monsieur le président, nous vous avions rencontré dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DADUE). Nous souhaitions que des amendements permettent de favoriser une planification des investissements annexée au contrat de performance. Cette planification aurait constitué un outil particulièrement pertinent, y compris pour les travaux d’infrastructure dont nous avons parlé. Un tel dispositif, qui représente un petit pas pour SNCF Réseau et le Parlement, serait un grand pas en faveur de l’investissement dans le réseau ferroviaire. Nous aurons l’occasion de nous adresser à vous une nouvelle fois lors d’un prochain texte, pour vous suggérer d’y réfléchir.
M. Jordan Cartier. S’agissant de la transformation actée au 1er janvier 2020, je ne suis pas en mesure de vous répondre avec certitude. Certes, un EPIC ne peut pas faire faillite. Cependant, au regard de la procédure en cours sur de possibles aides d’État illégales, la Commission a sans doute été en mesure d’imposer un certain nombre d’éléments se rapprochant d’une solution de discontinuité. La solution consistant à mettre en faillite Fret SNCF serait particulièrement sévère. Compte tenu des parts de marché qu’elle détient au sein du secteur, aucun acteur ne serait en mesure de reprendre tous les trafics, particulièrement dans le marché du wagon isolé, dont l’économie est difficile.
En outre, seul Fret SNCF, et dans une moindre mesure Captrain, dispose d’une couverture géographique nationale. De ce point de vue, il n’est pas certain que le statut de SA ou d’EPIC ait changé quoi que ce soit dans la procédure engagée par la Commission européenne. N’étant pas un spécialiste des aides d’État, je ne peux cependant pas vous répondre avec certitude.
Vous nous avez également interrogés sur les différends opposant les entreprises de fret et SNCF Réseau. Deux questions doivent ici être distinguées. La première porte sur l’accès transparent, équitable et non discriminatoire au réseau, et la seconde concerne l’accès efficace et performant au réseau.
S’agissant du premier sujet, un point potentiellement « irritant » est l’accès aux emprises sécurisées de SNCF Réseau dans le domaine des infrastructures et des installations de service. L’ART plaide de longue date pour que les entreprises ferroviaires tierces et celles du groupe SNCF bénéficient des mêmes dispositifs d’accès. Cependant, je ne pense pas que le sujet soulève de grandes problématiques au-delà de cet aspect précis.
Ensuite, l’accès performant au réseau comporte deux volets distincts : d’une part, l’allocation des capacités ; d’autre part la qualité de service et la régularité. Des progrès sont en cours en matière d’allocation des capacités. La refonte du processus d’allocation des capacités envisagée par SNCF Réseau à travers des plans d’exploitation de référence vise à mieux prendre en compte les besoins des différents acteurs, dans un délai de cinq ans. Sous l’impulsion du régulateur, des évolutions sont intervenues pour rendre éligibles davantage de circulations fret à la phase de préconstruction et donc à leur insertion dans le catalogue de sillons préconstruits présenté au cours de l’année n-1. En outre, le dispositif d’incitations réciproques, renforcé par l’ART, a pour objet de stabiliser les capacités attribuées au fret ferroviaire. Des progrès doivent donc être relevés.
Au-delà, la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire prévoit une démarche de concertation pour limiter les impacts des travaux sur les services de fret. La décision de règlement de différend de 2022 rendue par l’ART enjoint à SNCF Réseau de mettre en place un mécanisme incitatif afin que l’entreprise n’utilise que la capacité de travaux dont elle a réellement besoin, et limite par ce biais les impacts sur le fret. Bref, la situation n’est pas parfaite, mais elle s’améliore.
M. le président David Valence. M. le président Richert a évoqué la difficulté liée aux flux financiers entre SNCF Réseau et le groupe public ferroviaire. Je souhaite apporter un éclairage à ce sujet. Il existe en effet des flux financiers au sein du groupe public ferroviaire, qui viennent abonder les investissements de SNCF Réseau. Ils proviennent essentiellement de l’activité générée par SNCF Voyageurs. Ce flux financier pose un problème dans le cadre du droit européen, puisqu’il est susceptible de susciter une forme de préférence pour un type d’entreprise ferroviaire plutôt qu’un autre de la part du gestionnaire d’infrastructure. Juridiquement, cette situation est moins sécurisante qu’un flux financier par financement étatique ou par péage pour les travaux sur le réseau.
M. Philippe Richert. Les autres pays sont confrontés aux mêmes difficultés et ils ont essayé de trouver des solutions. Les Allemands en ont trouvé une, qui a consisté notamment à changer de nom pour distinguer le gestionnaire d’infrastructure et l’opérateur ferroviaire.
Comme je l’ai déjà signalé, le climat s’est considérablement assaini. Les responsables de SNCF comprennent les exigences qui sont à l’œuvre. La « machinerie » de ces grands outils doit se mettre en ordre de marche. Par exemple, tout le monde comprend que les travaux doivent être effectués la nuit. Mais ils doivent se dérouler dans un souci d’efficacité pour la ligne rendue au fret, afin que celle-ci soit la plus utilisable et la plus efficace possible. La libération de voies pour le fret doit être au cœur des préoccupations.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Dès 2010, la Commission européenne a indiqué que le statut d’EPIC était susceptible a priori de permettre le versement d’aides publiques pour garantir la dette. Cette question a-t-elle été traitée par votre Autorité, en auto-saisine ?
En 2009, vous avez été saisi de la question de la séparation des comptes. Dans votre décision rendue en 2015, vous notiez que, de 2006 à 2009, les comptes n’étaient pas dissociés et qu’un bilan a été attribué à chacune des activités au 1er janvier 2009, notamment une valeur de capitaux propres ainsi qu’un niveau d’endettement. Vous souligniez que les capitaux propres étaient négatifs. Sans jugement de valeur, je m’interroge sur le caractère tardif de votre alerte en 2015. Mais peut-être n’étiez-vous pas en situation de vous auto-saisir de la situation de Fret SNCF jusqu’à cette date ?
Enfin, dans votre avis du 9 mai 2019, vous indiquiez, à l’alinéa 85 : « Au cours de l’instruction, les services de l’État ont indiqué que le transfert de la dette financière à la société reprenant l’activité de transport ferroviaire de fret impliquerait une non-viabilité de l’entreprise dès sa création et que la solution prévue dans le projet d’ordonnance est provisoire pour assurer la viabilité de la nouvelle société de transport ferroviaire de fret. » Les services de l’État vous ont-ils précisé ce qu’ils entendaient par « solution provisoire » ? Pour ma part, j’y vois le statut mort-né de la SA en 2017.
M. Jordan Cartier. Vos questions portent sur une période ancienne et je ne suis pas le mieux placé pour y répondre. Le président Pierre Cardo aurait peut-être davantage d’éclairages à vous fournir sur ce sujet.
J’observe cependant que la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire s’inscrit dans la suite de l’adoption de la directive 2012/34/UE, qui a codifié des éléments déjà présents dans les trois paquets ferroviaires. Elle est allée au-delà sur un certain nombre de thématiques, notamment la séparation comptable, et elle ajoute deux alinéas à l’article L. 2133-4 du code des transports, qui concerne les missions de l’Autorité dans le cadre de la séparation comptable.
Le deuxième alinéa précise : « Aux fins de vérification et de contrôle de l’effectivité de la séparation comptable prévue aux mêmes articles L. 2122-4, L. 2123-1-1, L. 2144-1 et L. 2144-2, l’Autorité de régulation des transports peut recueillir, auprès des entreprises qui exercent des activités de gestion de l’infrastructure ferroviaire, d’exploitation d’installations de service ou d’entreprise ferroviaire, ainsi qu’auprès des entités des entreprises verticalement intégrées toutes les informations comptables qu’elle estime nécessaires […]. »
Ainsi, le législateur a cru bon de préciser que le régulateur pouvait recueillir toutes les informations comptables nécessaires pour apprécier l’effectivité de la séparation comptable, car cela n’allait pas de soi au préalable. Dans la période 2010-2014, l’ARAF n’avait peut-être pas les moyens d’obtenir la communication des comptes séparés qui permettaient de mettre en évidence l’existence de capitaux propres très nettement négatifs et d’un endettement intragroupe, avec des frais financiers décorrélés.
En 2014, le législateur a également disposé que « l’Autorité de régulation des transports informe les services de l’État compétents des irrégularités potentielles en matière d'aides d’État constatées dans l’exercice de ses attributions ». Il n’appartient pas à l’Autorité de les qualifier, mais seulement d’alerter.
Je ne peux pas vous donner une vision extensive des discussions du collège de l’ARAF entre 2010 et 2015. En tout état de cause, ce n’est sans doute qu’avec le renforcement des pouvoirs de l’ARAF que celle-ci a été en mesure d’opérer les contrôles.
S’agissant de votre autre question, nous pourrons aller vérifier dans la réponse à la mesure d’instruction ce qui était précisément indiqué. Nous pourrons obtenir ces documents et vous les communiquer.
En 2019, l’Autorité était saisie d’un projet d’ordonnance portant diverses dispositions relatives à la nouvelle SNCF. Dans cet avis consultatif, l’ART invite le Gouvernement à prendre des garanties auprès de la Commission européenne, s’il le souhaite. Elle a donc joué son rôle.
Je rappelle que l’Autorité dispose d’un pouvoir normatif : elle peut adopter une décision qui a une valeur réglementaire – après homologation par le ministère des transports – sur les principes que doivent respecter les règles de séparation comptable des opérateurs qui y sont soumis.
Ensuite, elle approuve les règles de séparation comptable qui sont adoptées par ces opérateurs et qui doivent être conformes aux principes qu’elle a posés dans ses décisions de 2019 et 2021, sur la base des référentiels qui lui ont été soumis.
Enfin, elle est destinataire chaque année des comptes séparés, et elle vérifie que ces comptes sont conformes aux règles qu’elle a approuvées. Si tel n’est pas le cas, elle peut ouvrir une procédure en manquement, laquelle peut conduire à notifier un grief à l’opérateur et à entraîner une sanction de la part de la commission des sanctions.
En revanche, l’ART n’est pas compétente pour qualifier et sanctionner une aide d’État. Cela relève du droit européen.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Vous avez indiqué que votre décision de 2015 avait été notifiée à la SNCF, à la DGCCRF et au SGAE. Avez-vous reçu des commentaires en retour de cette notification ?
M. Jordan Cartier. À ma connaissance, l’ART n’a pas reçu de commentaires. En tout état de cause, les trois courriers que j’ai mentionnés visaient essentiellement à mettre en œuvre le troisième alinéa de l’article L. 2133-4, aux termes duquel l’ART informe les services compétents de l’État des irrégularités potentielles en matière d’aides d’État. La décision du 22 avril 2015, comme toutes les décisions adoptées par l’Autorité, a été publiée et a fait l’objet d’un communiqué de presse. C’est donc au surplus que l’ART a adressé sa décision à la DGITM, à la DGCCRF et au SGAE.
M. Philippe Richert. Il arrive parfois que nous fassions des remarques sans que celles-ci ne soient suivies d’effet, à tous les niveaux.
M. le président David Valence. De la même manière, le régulateur formule parfois des avis sur des sujets dont il n’est pas explicitement saisi au titre de ses statuts.
M. Philippe Richert. Nous émettons des remarques, qui sont parfois reprises par d’autres – à notre grande satisfaction.
M. le président David Valence. Mme Auconie a évoqué les échanges que nous avons eus en début d’année. Je rappelle que le rapport du COI a souhaité de manière explicite qu’une programmation prenne une forme législative, réglementaire ou contractuelle, afin d’offrir de la visibilité dans un cadre pluriannuel – par exemple décennal – pour les investissements dans les infrastructures, notamment les infrastructures ferroviaires. Le rapport du COI a été remis à la Première ministre le 24 février dernier.
Mme Mathilde Desjonquères (Dem). La concurrence peut être stimulante. Quels événements particulièrement positifs ou négatifs l’ART relève-t-elle au sujet de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, notamment dans sa mise en place et son déploiement ?
Il est souvent question d’une concurrence déloyale de la route vis-à-vis du ferroviaire. Cependant, le fret ferroviaire s’est développé dans d’autres pays européens, notamment l’Allemagne. Comment caractérisez-vous la concurrence entre la route et le ferroviaire ? Considérez-vous qu’elle est déloyale ?
M. Philippe Richert. D’abord, tout dépend de l’état d’esprit dont l’État fait preuve à l’égard du ferroviaire. Il faut avoir conscience qu’il s’agit là d’un véritable atout pour le développement économique du territoire. Pendant longtemps, cette logique n’était pas à l’œuvre en France.
Aujourd’hui, à l’intérieur du monde du ferroviaire, le fret retrouve des lettres de noblesse alors qu’il a longtemps été dans l’ombre du trafic voyageurs. Mais chaque avancée s’effectue au prix d’un véritable combat. Dans ce contexte, il est parfois dommageable de ne pouvoir obtenir un soutien suffisant. Simultanément, je souhaiterais que le climat général favorise la transparence et l’efficacité de l’organisation du ferroviaire.
Malgré tout, la situation s’améliore. Les interlocuteurs du groupe public ferroviaire avec lesquels nous échangeons sont plus ouverts. Ils prennent en compte nos remarques, comme c’est le cas dans le domaine de l’aéroportuaire. Au bout de quatorze ans, l’état d’esprit est différent. L’approche actuelle n’est plus la même que celle qui était à l’œuvre ne serait-ce qu’il y a cinq ans. Le système fonctionne de mieux en mieux, la transparence est indispensable dans nos démocraties.
Mme Sophie Auconie. L’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire est aujourd’hui bien installée et a plutôt stabilisé le secteur. Il y a encore quelques mois, la concurrence de la route aurait pu être perçue comme déloyale compte tenu de la différence de qualité des réseaux routiers et autoroutiers par rapport au réseau ferroviaire. Aujourd’hui, le coût de l’énergie modifie les équilibres. Il est donc nécessaire de porter une attention encore plus soutenue au programme d’investissements en faveur du réseau ferroviaire, pour accélérer l’usage du fret de marchandises.
M. Philippe Richert. Soyez assurés que notre exigence vis-à-vis du secteur autoroutier est équivalente à celle que nous exerçons à l’égard du ferroviaire.
M. Jordan Cartier. Nous ne disposons pas d’étude sur la concurrence déloyale de la route par rapport au ferroviaire. La loi ne nous a pas attribué un pouvoir de régulation multimodal. L’ART propose de la faire évoluer afin de jouer un rôle lui permettant d’agir en cohérence avec la politique des transports, comme cela est le cas dans l’énergie avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
S’agissant de l’efficacité, les effectifs de Fret SNCF ont été divisés par trois entre 2005 et aujourd’hui, quand les trafics ont été divisés par deux.
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La commission procède à l’audition de représentants de grands comptes chargeurs du fret ferroviaire en France.
M. le président David Valence. Nous poursuivons nos auditions en accueillant des représentants de grands comptes chargeurs du fret ferroviaire en France : M. Olivier Clyti, directeur stratégie, RSE et digital du groupe InVivo ; Mme Nathalie Debaisieux, responsable achats et transports du groupe Roquette ; M. Guy Sidos, président-directeur général de la société des ciments Vicat ; M. Olivier Galisson, responsable transports et logistique à France Chimie, ainsi que M. Stéphane Delpeyroux et M. Arnaud Desmonts, respectivement directeur des affaires publiques et responsable des projets stratégiques supply chain d’ArcelorMittal Europe.
Permettez-moi de vous rappeler la philosophie qui a conduit le groupe de la Gauche démocrate et républicaine à demander la création de cette commission d’enquête. Il s’agit d’une part de faire la lumière sur la régression de la part modale du fret ferroviaire en France depuis le début des années 2000 et d’essayer de comprendre s’il existe un lien entre la libéralisation de ce secteur et la régression de la part modale à partir des années 2005-2006. Il s’agit d’autre part de mieux saisir la situation actuelle du fret ferroviaire, ainsi que les probables conséquences de la décision de discontinuité retenue par le gouvernement français à la suite de l’enquête ouverte à l’encontre de Fret SNCF le 18 janvier dernier.
En outre, cette commission d’enquête souhaite revenir sur les effets de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire de 2021, dont certains estiment qu’elle offre un cadre d’aide publique un peu plus stabilisé ainsi qu’une plus grande visibilité, et qu’elle est pour partie à l’origine du redressement de la part modale du fret ferroviaire en 2021 et 2022. Le secteur semble néanmoins toujours présenter des éléments de fragilité : à plusieurs reprises, des intervenants nous ont indiqué que le marché du fret ferroviaire en France n’était pas complètement mature et qu’il aurait vraisemblablement besoin pendant très longtemps d’aides publiques en compensation, comme cela existe par exemple en Autriche, en Allemagne et en Belgique.
Les objectifs de cette audition sont multiples. Nous souhaitons d’abord que vous indiquiez la place de la solution fret dans vos chaînes logistiques, ainsi que votre appréciation de l’accès au réseau ces dernières années. Est-il plus simple d’opérer du fret ferroviaire aujourd’hui qu’il y a quelques années ? Ensuite, puisque vos entreprises sont internationales, nous sommes intéressés par les éléments de comparaison que vous pouvez établir entre la situation française du fret ferroviaire et celle qui prévaut à l’étranger.
Nous aimerions de plus connaître votre point de vue sur la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire et son effet sur votre activité, ainsi que le regard que vous portez sur la solution fret au regard des objectifs de la transition écologique, en lien avec vos différents « scopes ». Enfin, quelle est votre perception du plan de discontinuité décidé par le Gouvernement et quelles sont les inquiétudes qu’il peut susciter pour vos activités, en particulier si vous êtes concernés par les vingt-trois flux de trains que Fret SNCF va devoir abandonner.
Je vous rappelle que l’article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Mme Nathalie Debaisieux et MM. Olivier Clyti, Guy Sidos, Stéphane Delpeyroux, Arnaud Desmonts et Olivier Galisson prêtent serment.)
M. Guy Sidos, président-directeur général de la société des ciments Vicat. Je suis président-directeur général du groupe Vicat, groupe cimentier français dont l’origine remonte à l’invention du ciment par Louis Vicat il y a sept générations. Toujours contrôlé par la famille fondatrice, le groupe est implanté dans douze pays. Notre chiffre d’affaires approche les 4 milliards d’euros et nous employons 10 000 collaborateurs dans ces douze pays, la France représentant un tiers de notre activité.
Lorsque les infrastructures sont à niveau, la production et la vente de ciment se prêtent à l’utilisation du ferroviaire pour transporter du vrac, à la fois les matières premières entrantes nécessaires à la fabrication du ciment et les produits finis – ciment et granulats – en sortie d’usine. Les sillons partent des usines et atteignent les terminaux de distribution ou ceux des clients finaux lorsqu’ils sont eux-mêmes équipés de terminaux.
Ainsi, tous nos clients peuvent bénéficier d’une façon indirecte du ferroviaire. Au niveau mondial, Vicat transporte environ 4 millions de tonnes de matériaux entrant ou sortant de ses usines, en Inde, en Kazakhstan, aux États-Unis, en Suisse et en France. Nous disposons d’une flotte globale de plus de 2 000 wagons. En moyenne, le transport ferroviaire coûte moins cher que le camion au-delà de 100 kilomètres. En Inde et aux États-Unis, plus de 20 % de nos ventes s’effectuent par le rail, 90 % au Kazakhstan, 53 % en Suisse, mais moins de 1 % en France, avec seulement 150 000 tonnes.
Ce pourcentage pourrait être multiplié par vingt si les infrastructures et le service étaient au niveau. Nous regrettons d’autant plus cette situation que nous cherchons à décarboner notre logistique. Le facteur d’émission carbone au kilomètre de Vicat est en France quatorze fois plus élevé pour un transport par camion que pour un transport par rail. À titre de comparaison, il est de seize en Suisse, de onze en Inde, de neuf aux États-Unis et de cinq au Kazakhstan.
En France, le décalage entre l’offre et la demande en volume et en qualité de service nous impose de mener des flux parallèles de camions, qui sont plus coûteux. Il ne s’agit pas uniquement d’un problème d’opérateur, mais aussi d’un problème de réseau. Pour notre principal flux en France, qui relie notre usine de Xeuilley, près de Nancy, et Paris, il nous est demandé d’entretenir des voies publiques, comme le sillon de 25 kilomètres entre Xeuilley et Bainville, dont nous devons financer l’entretien sous peine de fermeture. Nous ressentons à la fois un problème de financement du capillaire, un intérêt limité pour le développement de nouveaux trafics et un problème de communication opérationnelle entre les responsables du réseau et les opérateurs.
La quasi-totalité du fret ferroviaire de Vicat en France est traitée par l’activité ciment au départ des cimenteries de Xeuilley et de Créchy près de Vichy, à destination du marché parisien. La majeure partie du ciment est déchargée depuis l’année 2000 sur le site de Chelles en Seine-et-Marne. J’ai ainsi retardé le doublement de sa capacité – donc un investissement important – que je soumets alors au développement du fret ferroviaire depuis nos usines.
Depuis 2022, nous réalisons un nouveau flux depuis Xeuilley vers Gennevilliers, directement sur une centrale à béton, avec l’objectif d’atteindre une quarantaine de milliers de tonnes. Nous travaillons avec deux opérateurs, dont Europorte pour le sillon Xeuilley-Chelles depuis 2011. Nous avons changé d’opérateur, dans la mesure où le taux de service n’était que de 60 % : environ un wagon sur deux n’arrivait pas dans des délais raisonnables. Nous travaillons toujours avec Fret SNCF pour le sillon Créchy-Chelles et sur le sillon Xeuilley- Gennevilliers, où nous opérons une solution mixte fer et route. Enfin, Fret SNCF nous ouvrirait cinq nouveaux sillons pour le tunnel euralpin Lyon-Turin (TELT), en direction des gros chantiers dont nous venons d’être attributaires. Europorte est meilleur en qualité de service et en coûts, mais Fret SNCF nous permet de travailler avec des coupons de wagons et non des trains entiers, ce qui peut s’avérer parfois plus adapté d’un point de vue commercial.
À l’heure de la réindustrialisation, nous avons besoin d’un pays maillé par des plateformes industrielles connectées par le rail. Fret SNCF me semble être la mieux placée pour dialoguer avec SNCF Réseau et satisfaire les demandes de services techniques, notamment être capable de proposer des coupons de wagons isolés, mais également des services humains.
Mon opinion est que le fret ferroviaire dispose d’un potentiel très important. Pour de nouveaux chantiers très importants comme le TELT, nous avons pu négocier l’ouverture de nouveaux sillons. Vicat souhaite travailler davantage avec Fret SNCF, dont le succès est lié au succès des politiques réindustrialisation du pays et de transition écologique.
M. Arnaud Desmonts, responsable des projets stratégiques supply chain, ArcelorMittal Europe. Le groupe ArcelorMittal emploie 154 000 salariés dans une soixantaine de pays, pour une production d’environ 60 millions de tonnes d’acier chaque année. L’Europe représente environ 60 500 salariés sur quatre cents sites et la France 15 400 salariés, pour une capacité de production d’environ 11 millions de tonnes, sur quarante sites, auxquels il faut ajouter un réseau de distribution et de centres de services.
En Europe, environ 24 millions de tonnes de produits finis sont transportées par la voie ferroviaire, qui représente 23 % de nos flux de transport contre 51 % pour la route, 24 % pour le maritime et 2 % pour le fluvial. À l’échelle de la France, la répartition est la suivante : 23 % pour le fret ferroviaire, 35 % pour le transport routier et 38 % pour le maritime.
En France, notre dispositif industriel est très interconnecté. Nous disposons de deux usines à chaux principales, l’une à Dunkerque et l’autre à Fos-sur-Mer, qui irriguent un certain nombre d’autres sites industriels en France. Les transports entre nos sites industriels sont effectués par voie ferroviaire. Par conséquent, d’un point de vue global, le fret ferroviaire représente chez nous 52 % des transports, sur une base de 12 millions de tonnes transportées par an, contre 23 % pour la route et 25 % pour le maritime. De fait, le fret ferroviaire constitue pour nous le premier levier dans notre logistique, soit 4 000 trains par an. Chaque jour, dix à douze trains partent d’un de nos sites, dont certains trains de plus de 4 200 tonnes : nos trains sont les plus lourds qui circulent en France, voire en Europe. Nous utilisons chaque année plus de 25 000 wagons isolés, ce qui fait de nous le premier client de Fret SNCF. Sur ces 25 000 wagons isolés, 25 % sont transportés dans l’Hexagone et 75 % à l’export. Le bon fonctionnement du wagon isolé à une maille européenne est un impératif pour le transport de nos produits.
Nous travaillons avec l’ensemble des entreprises ferroviaires en Europe et, bien souvent, nous sommes leur premier client ou parmi leurs premiers clients. En France, notre premier tractionnaire est Fret SNCF, qui est le seul à nous offrir la solution de wagon isolé. Nous continuons de travailler avec l’ensemble des acteurs du fret ferroviaire, mais relativement peu d’entreprises sont capables de traiter nos flux, à la fois en termes de fréquence et de volumes. En outre, il est délicat de découper des flux entre plusieurs opérateurs.
Depuis 2010, nous avons engagé un transfert du modèle wagon réseau vers un modèle wagon privé, soit plus de 5 500 wagons que nous gérons au sein de notre groupe pour le transport de nos produits, à la fois des produits finis, des produits semi-finis et quelques wagons pour les approvisionnements de matières premières.
S’agissant du plan de discontinuité, un de nos flux figure dans la liste de vingt-trois flux dont Fret SNCF doit se débarrasser, soit le seul flux industriel de la liste. Il s’agit en l’espèce d’un flux de castine et de chaux. Il représente un peu plus d’un million de tonnes transportées par an et il est critique pour le fonctionnement de l’usine de Dunkerque, un des plus grands sites sidérurgiques du groupe en Europe et qui alimente six autres sites industriels en cascade. Remettre en cause le fonctionnement de l’usine de Dunkerque aurait donc potentiellement un impact sur l’ensemble de notre dispositif industriel en France.
Aujourd’hui, malgré nos efforts d’anticipation pour essayer de trouver des repreneurs à la place de Fret SNCF, nous n’avons pas ou peu trouvé de candidats robustes et en mesure de nous offrir une solution fiable avant, au mieux, 2025. Cette situation est particulièrement difficile et nous obligera à travailler en sous-traitance avec Fret SNCF. Les difficultés associées peuvent provoquer une situation opérationnelle très critique pour le fonctionnement de notre usine.
Pour nous, la criticité du transport ferroviaire ne va cesser de se renforcer. En effet, nous poursuivons deux axes de développement majeurs. Le premier concerne l’ensemble de la décarbonation d’ArcelorMittal à l’échelle mondiale, européenne et française. Notre ambition est de réduire de plus de 40 % nos émissions de dioxyde de carbone à l’horizon 2030 et nous visons la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cette opération passe par une modification fondamentale de notre process amont de fabrication, qui va nécessiter une augmentation significative de la part de ferraille. La réception de quantité de ferraille sur nos sites entraînera une augmentation significative des flux ferroviaires, en trains complets. Nous avons bon espoir de trouver des entreprises ferroviaires capables de nous accompagner dans cette démarche.
Le deuxième axe porte sur le développement du transport multimodal. Aujourd’hui, nous considérons avoir presque atteint l’utilisation maximale du transport ferroviaire avec le panel de clients qui sont aujourd’hui encore connectés au transport ferroviaire. Les vecteurs de développement portent donc sur le wagon isolé, vers des clients qui ne sont pas nécessairement connectés en transport ferroviaire. Dans ce domaine, l’enjeu consiste pour moi à tirer profit des capacités résiduelles dont je dispose dans mes usines en matière de chargement ferroviaire, pour pouvoir transporter nos produits sur de longues distances sur le rail, avant de livrer mes clients avec des camions, puisqu’ils ne sont pas connectés au réseau ferroviaire. Dans cette optique, il est essentiel de disposer de plateformes industrielles qui maillent la France. Or ce maillage est à ce jour très insuffisant.
À titre d’exemple, il existe aujourd’hui en France sept plateformes pour transborder des produits sidérurgiques : deux en région parisienne, une dans le nord, une à Lyon et trois à la frontière espagnole. Sauf erreur de ma part, il n’en existe aucune à l’ouest de la France, ni dans le centre, ni dans le sud-est.
Mme Nathalie Debaisieux, responsable achats et transports du groupe Roquette. L’entreprise Roquette est une entreprise familiale dotée de vingt-cinq usines à travers le monde, dont quatre en France. Nous sommes le premier amidonnier français et le cinquième mondial, pour un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros. Nous employons 8 000 personnes, dont 3 500 en France. Notre métier consiste à transformer le blé, le maïs, la pomme de terre et le pois en différents ingrédients et produits : nous avons environ sept cents références qui sont utilisées dans différents secteurs comme l’alimentation, la pharmacie et également l’industrie. Nous intervenons dans le domaine du B to B et nos produits sont utilisés dans de nombreux domaines, comme les sauces, le papier carton, le sirop pour la toux ou les steaks végétaux.
Nous sommes également engagés dans une démarche de réduction de nos émissions de dioxyde de carbone : -25 % en base 2021 d’ici à 2030 pour les scopes 1 et 2 et -25 % pour le scope 3. Nos usines fonctionnent 365 jours par an et sont situées dans les campagnes, au cœur de nos territoires. Notre logistique s’effectue principalement par train pour l’approvisionnement en matières premières et par mode routier pour nos produits finis. Nous consommons 3,6 millions de tonnes par an de céréales, soit 10 % de la production française de blé hors exportations et 15 % du maïs français, depuis cent cinquante silos qui sont répartis dans les campagnes françaises.
Sur ces 3,6 millions de tonnes de céréales, nous transportons 2,5 millions de tonnes par train chaque année ; 70 % de notre approvisionnement s’effectue donc par train. En revanche, seulement 1 % de nos produits finis sont expédiés par train ou par wagon isolé vers nos clients. Sur nos quatre usines françaises, deux sont embranchées : l’usine de Lestrem dans les Hauts-de-France et l’usine de Beinheim en Alsace. Nous disposons également d’une autre usine embranchée à Cassano Spinola, dans le nord de l’Italie.
Ces 2,5 millions de tonnes de céréales représentent 1 640 trains par an. Pour nous, le coût de la tonne transportée sur une distance moyenne équivalente ne varie pas sensiblement entre le camion et le train. Ainsi, sur une distance moyenne de 400 kilomètres, le camion nous coûte 23 euros la tonne, contre 22 euros la tonne pour le train.
Si le coût économique est sensiblement identique, il n’en va naturellement pas de même en matière de coût environnemental. Sur cette distance de 400 kilomètres, le train permet d’éviter 75 % d’émissions par rapport à la route. Pour nous, un train de céréales correspond à cinquante camions et 1 300 tonnes. Sur la même distance, un train émet 128 tonnes de dioxyde de carbone contre 516 tonnes pour un camion. Nos 1 640 trains par an permettent d’éviter de faire circuler 82 000 camions sur les routes chaque année, soit l’équivalent d’une file continue de camions entre Lille et Rome.
Vous comprenez donc que, pour l’approvisionnement en céréales, le train est vital et indispensable à notre logistique. Il permet d’aller chercher des céréales au cœur de nos territoires et de les ramener dans nos usines sans rupture de charge et en limitant les impacts environnementaux. Malgré l’ouverture à la concurrence de 2006, nous n’avons à ce jour jamais pu nous défaire de Fret SNCF, qui est aujourd’hui le seul opérateur capable de mailler le territoire et de mutualiser avec d’autres clients.
Nous faisons nous aussi face à des difficultés d’accès au réseau, mais surtout à des problèmes dans la qualité de service du fret : chaque mois, 15 % des trains ne sont pas réalisés, sans compter les conséquences des grèves. Sur le premier semestre 2023, 25 % de nos trains n’ont pas été réalisés. Sur les 211 trains annulés, 159 l’ont été pour cause de grève. Par ailleurs, les délais d’acheminement – ou transit time – se sont considérablement allongés ces dernières années.
En matière de fret, il ne faut pas raisonner seulement en termes d’infrastructures ou d’opérateurs ferroviaires, mais bien considérer l’ensemble de la chaîne, l’ensemble des acteurs. Je pense aux acteurs de nos industries privées, mais aussi les détenteurs de wagons.
En outre, les règles de financement ont été complètement bouleversées. Nous nous rendons compte que SNCF Réseau a abandonné ses petites lignes capillaires, moins rentables. Un grand nombre d’industriels ne peuvent maintenir les capillaires qui figurent pourtant sur le réseau ferré national, en raison des dispositions de 2019 qui ont imposé aux industriels 30 % de participation sur ces lignes, uniquement pour avoir le droit de circuler et sans retour sur investissement. La loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire et le décret n° 2019-1582 du 31 décembre 2019 ont établi des règles de financement qui ont complètement bouleversé le transport céréalier et amidonnier au profit de la route. Notre cœur de métier consiste à transformer des céréales et à créer de la richesse sur notre territoire, non à financer des infrastructures, qu’elles soient routières ou ferroviaires.
M. Olivier Clyti, directeur stratégie, RSE et digital du groupe InVivo. Le groupe InVivo est une coopérative agricole implantée dans les territoires, qui réalise environ 12,5 milliards d’euros chiffre d’affaires, avec 15 000 salariés dans le monde, dont plus de 11 000 en France. Nous intervenons dans quatre métiers. Le premier est l’agriculture : nous assurons localement une fourniture et une collecte céréalière très significative – 4 millions de tonnes en France. Notre deuxième métier se situe dans le domaine agroalimentaire et regroupe les industries de première transformation que sont la production de farine et la production de malt. Nous figurons parmi les leaders français pour la farine et les leaders mondiaux pour le malt. Le troisième métier est une activité de négoce, qui fournit les marchés export en céréales françaises. Notre responsabilité consiste ici à assurer une liquidité de marché pour un certain nombre de surplus de production qui sont d’abord orientés vers les industriels français, dont Roquette, mais qui sont ensuite également exportés. Aujourd’hui, le groupe InVivo doit représenter un peu moins de 4 millions de tonnes d’export au départ de Rouen et de La Rochelle et, au total, un flux complet d’une dizaine de millions de tonnes. Notre dernier métier est une activité de vente de détail, avec les enseignes Gamm vert et Jardiland, à travers 1 500 points de vente sur l’ensemble du territoire français.
Nos trois premiers métiers s’organisent donc autour du transport et de la logistique pondéreuse. Dans le domaine céréalier, entre 6 et 8 millions de tonnes sont transportées chaque année par voie ferroviaire. Le groupe InVivo en transporte quant à lui entre 600 000 et 800 000 tonnes par an par voie ferroviaire, soit 500 à 600 trains complets, soit également 12 % en volume de parts de marché par rapport aux autres moyens de transport. Nous opérons presque uniquement avec des trains complets, sur du trafic longue distance – au-delà de 400 kilomètres –, sur des sillons réguliers et à destination des industriels que nous servons ou des ports.
Les marchés céréaliers sont totalement mondialisés. La compétitivité de la logistique constitue donc la clé de la compétitivité de nos agricultures et de la « ferme France » et, au-delà, de nos industries agroalimentaires. Le ferroviaire est essentiel dans notre modèle logistique, puisqu’il constitue 80 % de nos flux export. Notre groupe a pour ambition d’utiliser les transports massifiés que sont le ferroviaire et le fluvial, à la fois parce qu’ils sont plus efficaces en termes logistiques, mais également moins consommateurs de carbone.
Malheureusement, entre 15 et 20 % de nos trains ne sont pas réalisés, sans mentionner les grèves, les absences ou les travaux. Les travaux se concentrent souvent lors des mois de juillet et d’août. Ce calendrier est idéal pour les voyageurs, mais catastrophique pour la moisson et nous nous retrouvons dans des situations impossibles : au lieu d’opérer quatre à six trains par semaine, nous ne pouvons en réaliser qu’un seul. Même si le dialogue avec SNCF Réseau s’est amélioré, la planification de ces travaux s’effectue sur des périodes tellement longues qu’il est extrêmement regrettable de ne pouvoir disposer de capacités d’exutoires lors des moissons.
Je rappelle que, dans certaines régions, le train constitue le seul moyen compétitif pour « sortir » les céréales car il n’existe pas d’autres moyens de transport en direction des grands ports ou des grandes industries. Si ces capacités sont bloquées, quelles qu’en soient les raisons, nous perdons significativement notre compétitivité.
Le réseau est vétuste et il nous est demandé de financer une partie des travaux. Je rappelle que, dans le négoce de céréales, il n’est pas possible de nous substituer à un certain nombre d’autres opérateurs en matière d’investissement dans les infrastructures. Pourtant, notre outil industriel est très performant et mondialement reconnu. Certes, depuis quelques années, des investissements ont eu lieu dans le fret ferroviaire et il faut en reconnaître les vertus, mais le passé – ou le passif – que nous subissons a du mal à être comblé.
En matière d’offre, les barrières à l’entrée sont très importantes et les délais très longs en matière d’investissement en traction et de capacité à capter des sillons. Force est de constater qu’aujourd’hui, un grand nombre d’opérateurs sont plutôt régionaux, Fret SNCF étant le seul à avoir un impact sur le territoire national.
J’ignore si le plan de discontinuité est définitif. De notre côté, nous avons la chance de ne pas être impactés. Fret SNCF nous a indiqué que ce plan pouvait représenter une opportunité pour eux de se concentrer sur le transport céréalier, mais seuls les faits pourront en attester.
La volonté d’accroître les flux de fret ferroviaire est louable, mais elle dépend de la compétitivité de nos infrastructures en termes de coût et de service. Ensuite, il est nécessaire de conduire une concertation très anticipée, afin que le flux puisse être continu et que nous usines puissent fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre : nous ne pouvons pas nous permettre une semaine sans flux en raison de travaux. En outre, l’offre de sillons doit être développée et les chargeurs doivent pouvoir retrouver confiance dans les opérateurs et dans la fiabilité du système.
L’objectif de croissance des transports massifiés représente un modèle de survie pour un certain nombre de régions agricoles et de sites industriels, ainsi que pour la capacité d’exportation française. Dans ce cadre, la performance ferroviaire fait partie d’un modèle indispensable à plusieurs titres : la réindustrialisation de notre pays, la performance relative de nos exportations et notre performance en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement, les infrastructures à notre disposition nous aident peu aujourd’hui.
Enfin, le capillaire ferroviaire fait partie des « lignes de vie », ou plutôt des « lignes de survie », pour nombre de nos territoires. L’agriculture française dépend significativement de notre capacité à conserver des infrastructures performantes pour le transport massifié d’une manière générale et pour le fret ferroviaire en particulier.
M. Olivier Galisson, responsable Transports et logistique à France Chimie. France Chimie est la fédération qui représente les industriels de la chimie en France. Le transport ferroviaire, et encore plus le service de wagons isolés, est un enjeu vital pour notre industrie. Au même titre qu’ArcelorMittal, nous fonctionnons dans un réseau interconnecté d’usines en France et en Europe, ces usines étant parfois fournisseurs et parfois clients. Nous travaillons essentiellement en wagons isolés, dont la chimie représente environ 30 % de l’activité en France.
Pourquoi le fret ferroviaire est-il si essentiel pour la chimie ? Tout d’abord, un certain nombre de produits que nous fabriquons sont dangereux et interdits au transport routier. Au-delà de ces produits interdits sur la route, il existe des produits que nous jugeons sensibles et, en tant qu’entreprises responsables, nous considérons qu’il est préférable de les transporter via le ferroviaire, où l’accidentologie est bien plus faible que dans le secteur routier. Par ailleurs, nos sites industriels sont assujettis à une réglementation sur les installations classées pour l’environnement et subissent parfois des contraintes qui limitent leur capacité de stockage, notamment pour la fabrication en flux continu. Un wagon isolé représente environ 65 tonnes de capacité de chargement contre 24 tonnes pour un camion.
Quand nous choisissons les flux ferroviaires, nous sommes obligés de les anticiper en dépensant de l’argent pour des infrastructures dans nos usines, pour des outils de chargement et des outils de planification de flux de transport. En d’autres termes, nous dépensons de l’argent avant d’avoir même commencé le transport. Nous devons donc démontrer à nos actionnaires que les plans de relance et de restructuration du ferroviaire en France sont pérennes afin de nous assurer de perspectives et de pouvoir engager des financements.
En outre, nous évoluons dans un marché où la concurrence internationale est intense. Il nous faut donc être agiles, innovants et fiables, afin de trouver des solutions dans un contexte où les préoccupations environnementales sont également incontournables. Nous avons besoin d’être rassurés aujourd’hui sur le service de wagon isolé. La libéralisation du marché en 2006 a obligé les équipes des opérateurs ferroviaires historiques ou des nouveaux opérateurs à nous considérer, enfin, comme des clients. Nos besoins ont donc fini par être pris en compte, et certaines entreprises du ferroviaire essayent de les satisfaire. Au passage, je salue les efforts des opérateurs, notamment Fret SNCF.
Les opérateurs répondent à nos appels d’offres, ce qui nous permet d’optimiser des solutions et d’améliorer nos coûts sur les trains entiers. La situation est nettement moins favorable pour les transports en wagon isolé, puisqu’il s’agit d’une activité de coûts fixes. Un grand nombre d’opérateurs déclinent nos sollicitations, arguant qu’ils ne possèdent pas la capacité commerciale ou de transport suffisante pour amortir ces frais fixes.
Un seul opérateur répond à nos sollicitations, Fret SNCF, qui représente un peu plus de 85 % de parts de marché sur le wagon isolé, ce qui est très regrettable. Cette domination ne l’incite pas à être plus performant au plan opérationnel. De fait, et vous l’avez entendu à plusieurs reprises, Fret SNCF présente des défauts de fiabilité, de qualité de service et en matière de délais d’acheminement.
Cependant, nous sommes favorables au fret ferroviaire et nous voulons proposer des leviers de progrès. Ceux-ci concernent la disponibilité des infrastructures ferroviaires du réseau, les gares de triage, les réseaux capillaires et les dessertes finales vers ou depuis les sites industriels. Des investissements notables ont été actés, ce qui est plutôt rassurant.
Il faut indéniablement améliorer la productivité des opérations de transport ferroviaire, qui passe notamment par la digitalisation. Par exemple, la géolocalisation des wagons nous permettra d’identifier leurs immobilisations et de déterminer des flux retours de marchandises qui pourraient permettre de réduire les coûts. Je pense également aux documents de transport électronique et à la facturation électronique.
Il faut aussi mentionner les systèmes d’attelage automatique, les DAC – Digital Automatic Couplers –, qui permettraient d’améliorer la productivité, les conditions de travail des opérateurs et la sécurité. Ces investissements sont coûteux et des financements européens seraient les bienvenus dans ce domaine. Je précise que ces systèmes sont déjà à l’œuvre en Chine et aux États-Unis.
Enfin, la gestion des aléas doit être au cœur des préoccupations. Quand nous travaillons avec le ferroviaire, nous savons que les convois arriveront, mais nous ne savons pas exactement quand. Ici encore, le numérique semble incontournable pour améliorer la situation.
M. le président David Valence. Nombre de personnes auditionnées considèrent que les réponses accordées à l’Alliance 4F étaient significativement plus nombreuses qu’auparavant. Comment avez-vous perçu cette mobilisation et l’inscription du fret ferroviaire en tant que sujet de politique publique ?
Depuis plusieurs mois, les entreprises ferroviaires supportent une hausse importante des prix d’électricité, notamment celles qui se fournissaient auprès de Fret SNCF. Vous les répercutent-elles très directement ? Cela a-t-il eu des conséquences sur vos choix modaux ?
Le représentant d’ArcelorMittal est le seul d’entre vous à être concerné directement par le report d’un des vingt-trois flux de Fret SNCF. Comment avez-vous appris cette solution de discontinuité ? Monsieur Desmonts, pouvez-vous revenir sur la manière dont cette information vous a été transmise et sur votre recherche d’entreprises ferroviaires alternatives ?
La situation sociale au sein du groupe public ferroviaire a fréquemment été évoquée devant notre commission, notamment les épisodes de grève. Ces grèves ont-elles affecté votre confiance vis-à-vis du fret ferroviaire et vous ont-elles incité un report modal vers la route ?
Mobilisez-vous les certificats d’économie d’énergie ? Contribuent-ils à rétablir une forme d’attractivité du fret ferroviaire par rapport à la route ?
À votre connaissance, les entreprises ferroviaires sont-elles en capacité de déployer les systèmes d’attelage automatique et de les mobiliser ?
M. Arnaud Desmonts. Il existe une réelle mobilisation autour du fret ferroviaire, depuis quelques années, mais les aides ont été intégralement fléchées vers les entreprises ferroviaires. L’association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) a souligné que les chargeurs, qui représentent les clients finaux, doivent eux aussi bénéficier d’une manière ou d’une autre d’un incentive. Les certificats d’économie d’énergie représentent une aide à destination des chargeurs, mais leur mise en œuvre est d’une grande complexité.
M. le président David Valence. En soi, il ne s’agit pas d’une aide, mais d’un marché, d’une valorisation de l’impact carbone qui incite à privilégier des solutions décarbonées.
Mme Nathalie Debaisieux. Nous soutenons nous aussi les annonces du Gouvernement, ainsi que les aides fléchées vers les entreprises ferroviaires et les infrastructures. Néanmoins, en tant qu’industriels, nous ne bénéficions pour le moment d’aucun accompagnement financier.
M. le président David Valence. Vous êtes des grands comptes chargeurs, mais malgré tout, dans chacun de vos groupes, le fret ferroviaire représente un sujet de passionnés. Lorsque vous vous comparez avec d’autres entreprises de la chaîne logistique, vous avez toujours conscience de présenter une particularité marquée. Vous vous retrouvez dans un paysage où vous êtes un sujet de politiques publiques et vous devez le ressentir d’une certaine manière, même si cela ne se traduit pas forcément par des aides. Les subventions sont orientées là où l’activité de fret est le plus déficitaire, c’est-à-dire chez les entreprises ferroviaires. Dans ces conditions, pouvez-vous mobiliser les certificats d’économie d’énergie sur la part qu’il vous est demandé de prendre dans l’investissement sur l’infrastructure dédiée au fret, c’est-à-dire le capillaire ?
Mme Nathalie Debaisieux. Nous ne pouvons pas du tout les mobiliser à l’heure actuelle, même si certaines fiches évolueront en faveur du report modal de la route vers le rail.
M. Guy Sidos. Les grèves se traduisent toujours par un surcoût, car nous sommes obligés de remplacer les trains par l’utilisation de camions, plus chers et plus polluants. En tant qu’ancien commandant de sous-marin, j’estime que tout est affaire de commandement. À ce titre, j’ai le sentiment qu’il existe un problème dans la relation entre le gestionnaire des réseaux et l’opérateur.
M. le président David Valence. Monsieur Desmonts, comment avez-vous été informé de la solution de discontinuité et comment s’est déroulé le dialogue avec Fret SNCF au sujet de la réorganisation du flux qui vous concerne ?
M. Arnaud Desmonts. Ce flux relie Boulogne-sur-Mer et Dunkerque. Il concerne un million de tonnes. Nous avons été officieusement informés au mois de mai et officiellement par un courrier qui nous est parvenu au mois de juillet. Fret SNCF a rapidement expliqué les tenants et aboutissants de cette discontinuité. En revanche, un flou subsistait sur la date du retrait, initialement évoqué pour janvier 2024, avec une extension potentielle jusqu’en juin 2024.
Nous avons pu lancer des appels d’offres assez rapidement. Cependant, les contours de la sous-traitance que Fret SNCF peut assurer pendant une période d’intérim n’ont été clarifiés qu’au mois de septembre.
M. le président David Valence. Avant le choix de ce scénario de discontinuité, étiez-vous conscient du risque qui pesait sur l’avenir de Fret SNCF ?
M. Arnaud Desmonts. Lorsque nous avons compris qu’un certain nombre de flux pouvaient être remis en cause, nous avons mené une analyse qui a fait apparaître que nous risquions d’être concernés, compte tenu de l’étendue de nos flux. En revanche, nous ne pensions pas nécessairement être impactés sur ce flux-là précisément.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Monsieur Sidos, si je vous ai bien compris, le fret ferroviaire dispose d’un potentiel immense en France, à condition que le réseau et les infrastructures soient à niveau.
Monsieur Desmonts, pouvez-vous nous dire si les négociations tarifaires que vous conduisez concernant la reprise du flux entre Boulogne-sur-Mer et Dunkerque vont se traduire par une diminution ou par une augmentation de vos coûts ?
Madame Debaisieux, vous avez évoqué les quatre usines du groupe Roquette en France, dont deux sont embranchées. Avez-vous pour objectif d’embrancher les deux autres ? Vous avez également mentionné les coûts respectifs des solutions routière et ferroviaire. Si la crise de l’énergie se poursuit et si les coûts de l’électricité demeurent élevés, craignez-vous un report modal important vers la route ?
Monsieur Clyti, j’ai été particulièrement intéressé par vos propos, notamment lorsque vous indiquez que le train est une question de survie pour des entreprises situées dans certains territoires enclavés.
Monsieur Galisson, je suis député de la région de Rouen, où sont implantées de nombreuses industries, notamment chimiques. Lorsque je discute avec les cheminots, ils regrettent que des entreprises comme Lubrizol ou Borealis n’aient pas construit leurs propres embranchements. Dans votre secteur, existe-t-il des incitations pour le raccordement ferré des entreprises ?
M. Guy Sidos. Vous avez mentionné l’impact du coût de l’électricité sur nos flux. À l’heure actuelle, la différence de coût entre le ferroviaire et la route n’est pas nécessairement à l’avantage de cette dernière. En revanche, pour les matériaux de construction, le risque porte sur notre compétitivité : si nos prix sont trop élevés, nos clients diminuent leurs commandes. En résumé, la question ne porte pas tant sur le coût de l’énergie que sur la capacité du client à supporter l’ensemble de l’augmentation des coûts pour satisfaire ses besoins.
À titre de comparaison, notre usine en Suisse utilise le rail pour 53 % des tonnes transportées, ce qui correspond à 49 % des tonnes-kilomètres, contre 26 % seulement pour mes deux usines connectées en France. En outre, cinq autres de mes usines françaises ne sont pas embranchées.
Pour le reste, tout est lié à la culture et à la confiance. Il est vrai que le rail a de nombreux amis, monsieur le président. Je suis assez optimiste pour le futur. Si nous voulons réussir nos politiques de réindustrialisation et réduire nos émissions de carbone, nous avons besoin du rail.
M. Olivier Galisson. Les incitations que nous pouvons développer sont essentiellement fondées sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La massification et la réduction des émissions de dioxyde de carbone constituent un enjeu sociétal important. Les entreprises citées par M. le rapporteur participent à ce mouvement et sont parfois même labellisées. En fonction de leurs propres intérêts économiques, elles choisissent ou non de s’embrancher.
La dépendance au ferroviaire est également liée à notre mode de distribution, c’est-à-dire à l’emballage. Dans la chimie, nous utilisons beaucoup le ferroviaire pour le vrac, acheminé dans des wagons-citernes. Pour les autres modes comme le grand récipient pour vrac (GRV) ou big bag, le transport routier est souvent plus intéressant que le mode ferroviaire. C’est au terme d’une étude technico-économique que chaque entreprise décide ou non de s’embrancher. Les incitations sont plutôt d’ordre RSE ou sociétal.
M. Olivier Clyti. Nous sommes avant tout dépendants des bassins de production, c’est-à-dire des lieux où poussent les céréales. La compétitivité du bassin de production est liée à la compétitivité logistique. Si celle du rail s’améliore, le flux se réorientera naturellement vers le ferroviaire.
La plupart de nos embranchements ne sont pas électrifiés. Au-delà, notre principale préoccupation porte sur notre compétitivité relative à l’export par rapport aux autres pays.
Vous avez mentionné la question des politiques publiques. Nous nous réjouissons de constater que le transport ferroviaire fait l’objet d’une attention plus marquée. Cependant, les discussions ne sont pas toujours du même ordre selon les échelons – je pense notamment à l’État et aux régions.
Les chargeurs sont sollicités pour réinvestir dans des voies capillaires dont dépend la survie de leurs outils industriels. Mais nous devons raisonner avec une grille de lecture industrielle, et donc selon une échelle de temps de vingt ou trente ans. Nous avons par conséquent besoin de visibilité. Or l’expérience peut nous faire douter de la pérennité des investissements publics en matière ferroviaire. Nous avons besoin d’avoir confiance dans le réseau.
M. le président David Valence. La prévisibilité que vous évoquez est celle qui est offerte par le gestionnaire d’infrastructure sur la durabilité des travaux qui sont réalisés grâce à ces financements. Le sujet concerne moins l’État que le gestionnaire d’infrastructure.
M. Olivier Clyti. Le sujet concerne le rapport entre l’investissement et la durée d’exploitation.
Mme Nathalie Debaisieux. Sur nos quatre usines, deux installations terminales (ITE) sont actives. Nous souhaitons les maintenir et, à ce titre, nous avons participé au financement des lignes Armentières-Lestrem et Rœschwoog-Beinheim. Notre développement futur passera par le wagon isolé. Pour réussir le report modal vers le rail, il nous faut donc investir dans nos usines. C’est la raison pour laquelle je plaide en faveur d’un soutien public pour nous permettre d’acquérir du foncier, de la même manière que nous avons pu bénéficier d’aides régionales par le passé.
Le différentiel de coût entre la route et le rail est trop faible aujourd’hui pour nous inciter à engager de lourds investissements ferroviaires. Nous avons un projet de création d’une grande boucle agrémentée d’entrepôts et d’une plateforme multimodale sur notre site de Lestrem, mais le retour sur investissement est à ce jour de vingt ans.
La question des coûts d’électricité facturés par SNCF Réseau est effectivement un sujet de tension, compte tenu d’une augmentation de l’ordre de 9 à 10 % pour le moment. Ces éléments ne favorisent pas notre développement. Mais le problème ne concerne pas uniquement la France. Entre janvier et juillet 2022, la hausse de nos coûts de traction entre la Hongrie et l’Italie a été de 49 %, la plus grande partie étant liée au prix de l’électricité.
M. le président David Valence. En matière de financement, chacun peut se renvoyer la balle indéfiniment. Par exemple, les régions n’ont aucune compétence en matière de capillaires fret. Cependant, le retard en matière d’investissement est tel que tout le monde doit s’efforcer de trouver des solutions. Au-delà de l’enjeu de décarbonation, le fret ferroviaire représente un enjeu économique, un enjeu de survie pour l’industrie française actuelle. Nous comptons également sur vous pour transmettre le message à l’échelle nationale.
La séance s’achève à dix-huit heures trente.
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Présents. – Mme Mathilde Desjonquères, Mme Sylvie Ferrer, M. David Valence, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi