Compte rendu
Commission d’enquête
sur la libéralisation
du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir
– Audition, en visioconférence, de M. François Poupard, ancien directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) 2
– Présences en réunion.................................9
Lundi
16 octobre 2023
Séance de 18 heures 30
Compte rendu n° 16
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. David Valence,
Président de la commission
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La séance est ouverte à dix-huit heures trente.
La commission procède à l’audition, en visioconférence, de M. François Poupard, ancien directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)
M. le président David Valence. Monsieur le directeur général, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Vous êtes actuellement directeur général des services de la région Nouvelle-Aquitaine. Vous avez été le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) de 2014 à 2019.
Durant cette période, vous avez vécu deux grandes réformes du groupe public ferroviaire. Nous avons abordé à plusieurs reprises celle de 2014, qui est parfois oubliée et obombrée par celle de 2018, dite « nouveau pacte ferroviaire » (NPF).
Quelle place tenait le fret dans vos réflexions au moment de la réorganisation du groupe public ferroviaire ? En particulier, les déficits chroniques et la dette de Fret SNCF étaient-ils au centre de vos préoccupations ?
Nous avons également évoqué à plusieurs reprises les inquiétudes qui existaient déjà quant au regard que la Commission européenne portait sur la situation de Fret SNCF. Des réflexions pouvaient exister – davantage au niveau administratif qu’au niveau politique, du reste – sur des solutions permettant de parer au risque d’une enquête approfondie.
Nous serons heureux de recueillir des éléments sur les échanges que vous pouviez avoir avec le secrétariat général aux affaires européennes et sur la mesure du risque que faisaient peser sur Fret SNCF les aides du groupe public ferroviaire. Mme Sylvie Charles, qui était directrice de Fret SNCF à l’époque, nous a indiqué qu’une étude sur une solution de discontinuité avait été commandée auprès d’un cabinet de conseil en 2019. Quel est votre regard sur cette initiative ?
Cette époque était aussi celle de la loi d’orientation des mobilités (LOM). Il a notamment été question du pacte ferroviaire. Dans la LOM, l’idée de lancer une stratégie nationale de développement du fret ferroviaire était déjà initiée. La stratégie a été publiée en 2021, après que vous avez quitté vos responsabilités à Paris. Pour autant, avec le recul et l’expérience régionale qui est la vôtre depuis quatre ans, quel regard portez-vous sur cette stratégie nationale de développement du fret ferroviaire et sur l’envie croissante de train des chargeurs ?
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. François Poupard prête serment.)
M. François Poupard, ancien directeur général des infrastructures, des transports et de la mer. Je vous remercie de m’avoir invité à m’expliquer sur le fret ferroviaire. J’ai été en poste à la DGITM d’octobre 2014 à mars 2019. Je suis arrivé pour mettre fin à l’écotaxe et j’ai quitté mes fonctions au moment de cette fameuse étude de McKinsey, que vous évoquiez à l’instant.
L’effondrement des volumes et des parts modales du fret ferroviaire en France. Cette diminution a commencé à la fin des années 1990. Il tient à différents facteurs, dont la désindustrialisation de notre pays. Beaucoup de grandes industries sont parties produire ailleurs que sur notre territoire. Cela a entraîné une baisse des volumes demandés au fret ferroviaire. Cette situation s’est aggravée lors de différentes crises, dont celle de 2008 qui a provoqué une baisse générale du fret et en particulier du fret ferroviaire.
Tous les gouvernements qui se sont succédé ont tenté de s’attaquer à cette question, en prenant bien évidemment en compte sa dimension européenne. Celle-ci ne se résume pas à la question de la discontinuité : elle a commencé dès les années 2000-2010, avec la libéralisation des transports ferroviaires et routiers sur le continent. Les paquets ferroviaires successifs prévoient d’ouvrir les différents segments à la concurrence : le segment international, le TGV et le TER. Le fret ferroviaire a quant à lui été libéralisé en 2006.
Le fret routier a également fait l’objet d’une libéralisation avec l’ouverture du cabotage des transports internationaux à tous les pavillons étrangers en 2011. Un deuxième paquet routier est intervenu en 2019. J’avais commencé à y travailler, mais il a dû être publié après mon départ, en 2020 ou 2021. Ce dernier paquet routier visait à assurer davantage de sécurité et de qualité pour les emplois et les entreprises du secteur, étant entendu que l’ouverture à la concurrence était déjà suffisante dans le fret routier.
Cette problématique est bien connue. Le fret routier en France est dominé par des transporteurs internationaux étrangers. Entre 2010 et 2020, la part du pavillon polonais dans les trafics internationaux et le « petit cabotage » en France a quintuplé. Des pavillons internationaux français se sont fait grignoter par d’autres pavillons, en particulier de l’Europe de l’Est. Le petit cabotage, quant à lui, a été grignoté à la suite de l’autorisation de faire trois cabotages sur un trafic international.
La concurrence est donc extrêmement vive au sein même du trafic routier de marchandises. Cela se traduit par des prix à la tonne transportée très bas et constitue une très forte concurrence pour le fret ferroviaire. Lors de mon passage à la DGITM, j’ai vu le fameux point d’équilibre, c’est-à-dire la distance à partir de laquelle il devient rentable de faire du fret ferroviaire, passer de 500 à 700 ou 800 kilomètres.
À partir de 2006, les entreprises de fret ferroviaire autres que la SNCF se sont placées sur des segments de marché parfois très particuliers : le transport combiné, l’autoroute ferroviaire, les petits trafics, etc. De petits opérateurs se développent sur des trafics régionaux – les « opérateurs ferroviaires de proximité ». Ils reprennent un créneau que Fret SNCF avait d’ores et déjà déserté, celui de petits trains sur de petites distances. Il ne s’agit pas forcément de trains complets.
En Nouvelle-Aquitaine, ces opérateurs acheminent la production d’agriculteurs céréaliers vers le port de La Rochelle ou assurent du trafic de concentration de produits industriels vers le port de Bayonne. Cela concerne des distances de 200 ou 300 kilomètres. Cette activité de short line s’avère assez rentable, en particulier dans les endroits où Fret SNCF n’assure plus ces petits trafics. Fret SNCF s’est en effet concentré sur les longues distances, le wagon isolé et quelques trafics de trains complets en fonction des différents bassins industriels.
Dans le même temps, les volumes restent faibles, aux alentours de 35 milliards de tonnes-kilomètres, et la concurrence de la route se fait extrêmement rude. Malgré l’engagement national pour le fret ferroviaire, les mesures proposées dans le cadre du Grenelle de l’environnement n’ont pas toutes été mises en place par les gouvernements successifs, du fait de leur coût et de la crise qu’ont dû affronter les pouvoirs publics. La part de marché de Fret SNCF a également tendance à baisser au profit des opérateurs alternatifs.
Comme le fret ferroviaire est une activité à frais fixes, Fret SNCF accumule les déficits : bien que son chiffre d’affaires baisse, ses charges restent à peu près les mêmes, en particulier les charges d’amortissement du matériel, qui sont très lourdes. Lorsque j’étais à la DGITM, les déficits annuels variaient entre 100 et 200 millions d’euros. Ils s’accumulaient et se consolidaient au sein du groupe SNCF, et non pas dans la seule branche du fret. C’est d’ailleurs une des batailles remportées à l’époque de la loi de 2018.
C’est dans ce paysage que des plaintes contre SNCF ont été déposées par différents opérateurs auprès de la Commission européenne. Je me rappelle une première plainte pour aides d’État illégales intervenue fin 2018, puis une deuxième par Europorte à la fin de l’année 2019. Fret SNCF fabriquait du déficit qui était ensuite consolidé dans les comptes du groupe. Les plaignants l’interprétaient comme une recapitalisation annuelle puisque le déficit ne restait pas en dette au sein de Fret SNCF, mais remontait au niveau du groupe, ce dernier exerçant de facto une garantie.
Nous avons eu des discussions avec la Commission européenne dès 2017. Le scénario de discontinuité a été évoqué fin 2017 ou début 2018. Nous avons fourni beaucoup de notes des autorités françaises (NAF) afin d’expliquer à la Commission que ce scénario pouvait être évité, notamment en filialisant les activités de fret. La loi de 2018 était alors en préparation. Le cas échéant, nous filialiserions et rendrions obligatoire le fait d’afficher les déficits dans la dette de Fret SNCF, et non plus au niveau du groupe. Cet argument a convaincu l’Union européenne et la loi pour un nouveau pacte ferroviaire a filialisé des activités de fret.
J’ai quitté mes fonctions à la DGITM au début du mois de mars 2019. Je n’ai pas vu la suite de l’opération mais, pour avoir suivi l’actualité, je sais qu’une nouvelle plainte a été déposée fin 2019. La DGITM a alors commandé à McKinsey une étude sur la discontinuité. Il s’agissait de savoir dans quelles conditions la direction générale de la concurrence laisserait au groupe SNCF le droit d’exercer du fret ferroviaire. Bon nombre de scénarios ont été évoqués à l’époque, mais rien de conclusif n’en est ressorti. En raison de mon départ, je n’ai pas été associé à la suite des discussions. Ces dernières ont dû se tarir jusqu’à la décision récente de la Commission européenne d’exercer la discontinuité.
M. le président David Valence. Vous avez évoqué les effets de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire en 2018. Vous laissez entendre que vous aviez reçu une forme d’assurance sur le fait que le choix de la réorganisation du groupe public ferroviaire ne créerait pas de difficultés supplémentaires. Cette réorganisation devait être validée par la Commission européenne. Compte tenu des contentieux ouverts, elle pouvait même être jugée d’un œil bienveillant. Pourriez-vous développer ce point, qui diffère un peu de ce qui a pu nous être dit ? On nous a plutôt affirmé que la Commission européenne ne s’était pas prononcée sur les plaintes déposées contre Fret SNCF et qu’elle avait même déclaré qu’elle y reviendrait à un moment donné. Quoi qu’il en soit, cela ne changeait pas, de façon substantielle la nature de ce contentieux potentiel.
M. François Poupard. Il y avait effectivement une forme d’assurance, qui était faible, et une bienveillance. L’association ferroviaire qui avait déposé une plainte contre Fret SNCF l’a retirée fin 2018. Nous constations alors une bienveillance de la Commission européenne puisque cette dernière a validé les dispositions de la loi lors des échanges que nous avons eus à la fois sur le projet de loi et ses évolutions dans le débat parlementaire. Il n’y avait pas de blocage de la part de la Commission européenne ou d’éléments tendant à dire que cela ne suffisait pas.
D’expérience, je sais qu’il n’y a jamais d’assurance définitive quant à l’appréciation de la direction générale de la concurrence sur les aides d’État. La plainte intervenue fin 2019 l’a peut-être amenée à durcir sa position. Étant donné que je n’étais pas aux affaires à ce moment-là, j’aurais du mal à vous en expliquer la cause. Vu de ma fenêtre, cela constitue un peu un changement de pied de la part de la Commission européenne. Il y avait eu beaucoup d’échanges lors de la préparation de la loi NPF. Pour ma part, j’ai eu l’impression que la loi telle qu’elle avait été rédigée convenait à la Commission – du moins à ce stade.
M. le président David Valence. M. le rapporteur s’est souvent demandé si la réorganisation du groupe public ferroviaire n’avait pas créé un risque accru de contentieux pour Fret SNCF. Une société anonyme peut faire faillite, ce qui n’est pas le cas d’un établissement public à caractère industriel ou commercial (EPIC). Comment évaluiez-vous ce risque ?
M. François Poupard. L’objectif de la Commission est d’amener Fret SNCF à être faillible, comme toutes les entreprises de fret. La direction générale de la concurrence considère que toutes les entreprises de fret doivent être à égalité, qu’elles soient françaises ou étrangères. La Commission européenne ne fait qu’appliquer le traité de Rome en visant une ouverture complète dans des conditions équitables. Si un opérateur est garanti par son groupe ou par l’État, il est clair qu’il n’exerce pas dans les mêmes conditions que d’autres opérateurs qui sont faillibles.
Pour ma part, je suis persuadé qu’il n’y aurait pas eu de validation de la loi de 2018 sans la filialisation des activités de fret. C’était vraiment une condition sine qua non à l’époque. La Commission considérait qu’on ne pouvait pas continuer avec une garantie d’État sur des activités de fret. L’entreprise en question avait une perte annuelle qui était de l’ordre de son chiffre d’affaires, alors que les autres entreprises de fret étaient à l’équilibre. Si ces dernières avaient connu de telles pertes, elles auraient été en cessation de paiements dès la première année !
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Il semble que les responsables politiques n’étaient pas vraiment saisis de l’urgence de la situation du fret vis-à-vis de l’appréciation de la Commission européenne, notamment lors de la période où vous étiez en responsabilité. M. Gilles Savary, rapporteur de la commission du développement durable lors de l’examen de la loi de 2014, indique clairement que les conditions de financement de Fret SNCF sont vraiment sur le bord par rapport à la position de la Commission européenne. Il l’a notamment déclaré auprès de ses collègues de la commission des finances.
Lors de son audition, le ministre de l’époque, M. Frédéric Cuvillier a affirmé n’avoir jamais reçu la moindre alerte de la part de son cabinet ni de quiconque quant aux menaces qui s’amoncelaient au sujet des aides jugées illicites par la Commission européenne. Cette dichotomie entre l’information des techniciens et celle des élus était-elle réelle ? Les parlementaires, voire les ministres, avaient-ils clairement conscience de l’urgence de la question du financement de Fret SNCF ?
Le pacte ferroviaire a été adopté à la mi-2018, mais l’activation de la filiale Fret SNCF SA s’échelonne de 2017 au 1er janvier 2020, date à laquelle la capitalisation est effectuée pour que cette filiale soit effectivement opérationnelle. Entre-temps, de mars à octobre 2019, vous êtes saisis d’une demande d’examen du scénario de discontinuité.
Comment recevez-vous cette injonction contradictoire ? Celle-ci procède d’une mécanique un peu surprenante. De 2017 à 2020, on porte Fret SNCF SA sur les fonts baptismaux à la faveur du pacte ferroviaire de 2018. Pendant ce temps, on se met à évoquer le scénario de discontinuité. Ce calendrier complètement décalé jette le flou sur la réalité des décisions politiques alors que l’on s’oriente vers le scénario actuel.
M. François Poupard. À l’époque de la première loi, c’est-à-dire en 2014, j’étais directeur du cabinet de M. Cuvillier. La problématique était moins de savoir si les aides d’État étaient conformes au droit européen que de savoir comment on allait sauver l’ensemble des opérateurs de fret, et en particulier de fret ferroviaire, dans un contexte d’effondrement des volumes entre 2012 et 2014. Le transport ferroviaire de marchandises, très corrélé à l’activité économique du continent, a dû passer de 40 à 30 milliards de tonnes-kilomètres.
Il y avait effectivement des contacts avec Bruxelles, mais leur préoccupation n’était pas de dénoncer d’éventuelles aides d’État illégales, c’était le marasme ferroviaire, y compris en termes de fret, et, dans le secteur routier, la concurrence acharnée d’entreprises à bas coûts provenant principalement de l’est de l’Europe. C’est peut-être parce que ce sujet n’était pas la préoccupation principale que les ministres n’ont pas souvenance d’en avoir entendu parler. La question cruciale était plutôt de savoir si les entreprises du fret ferroviaire allaient survivre à l’effondrement des volumes, qui était lié à des causes exogènes et macro-économiques.
Le sujet de la discontinuité a dû apparaître mi-2018. À l’époque, la loi NPF était déjà adoptée, voire promulguée. La mécanique européenne a sa propre vie. Même si l’on peut apporter des garanties à un moment donné, l’instruction des dossiers continue au sein de la direction générale de la concurrence. Tout cela arrive un jour par une saisine des autorités françaises. Je me souviens en particulier d’un acte de validation par l’ARAFER, qui est devenue l’autorité de régulation des transports (ART).
Cette dernière a validé la loi, puis des décrets d’application, bien souvent dans le cadre d’avis conformes. L’ARAFER s’est penchée sur l’opportunité de recapitaliser le fret ferroviaire dans le cadre de la recapitalisation complète du groupe par l’État, prévue par la loi NPF, à raison de deux vagues intervenant fin 2020 et fin 2021.
La recapitalisation du fret ferroviaire intervenait en même temps que celle de l’ensemble du groupe. Tout cela a fait l’objet de décisions prises par décret. J’attribue les décalages auxquels vous faites référence à l’inertie de ces processus. Je ne retrouve pas forcément la date exacte, mais j’ai bien en tête que les premières plaintes ont été retirées par les plaignants fin 2018. Une plainte a ensuite été déposée par Europorte fin 2019.
M. le président David Valence. Des procédures sont engagées cotre des pratiques que l’on peut retrouver à l’étranger, mais dont on ne se préoccupe pas forcément. Même si tout le monde en a connaissance, cela ne constitue pas pour autant un risque avéré.
M. François Poupard. C’est tout à fait juste. La Deutsche Bahn a dû s’associer à la première volée de plaintes. En même temps, il y avait une alliance objective entre l’Allemagne et la France contre la Commission européenne. Les deux pays ont plaidé la possibilité de bâtir des groupes intégrés alors même que la commission envisageait de revenir à un scénario avec d’un côté une entreprise publique chargée de la gestion du réseau et de l’autre des entreprises de droit privé chargées de l’exploitation des sillons. La Commission était vraiment sur un scénario d’unbundling tandis que la France et l’Allemagne étaient sur des scénarios intégrés.
La Commission poursuit un objectif de pureté dans l’ouverture du marché et dans l’équité de l’accès au réseau ferroviaire. Pour autant, ce que dit la Commission doit être voté par le Conseil, où la France et l’Allemagne pèsent lourd. C’est la raison pour laquelle la Commission a accepté le scénario à la Deutsche Bahn, puis celui du nouveau pacte ferroviaire.
M. Hubert Wulfranc, rapporteur. En 2015, l’Autorité de régulation a lancé une alerte sur le risque de financement illégal de Fret SNCF. Son président actuel nous a indiqué que le président de l’époque, M. Pierre Cardo, a adressé officiellement cette alerte aux autorités politiques françaises. Vous avez dit que la question des aides n’était pas un sujet de préoccupation majeure. Considérez-vous que cette alerte de 2015, qui provient tout de même d’une autorité de régulation confortée par la loi de 2014 et dont le ministre nous dit ne pas avoir été avisé, n’était pas une préoccupation d’actualité au niveau politique ?
J’entends bien qu’il est difficile de cerner précisément le calendrier de la demande d’un plan de discontinuité. Pourriez-vous néanmoins essayer de déterminer quand l’exigence d’un tel plan a été notifiée à la DGITM, à l’Agence des participations de l’État et au secrétariat général des affaires européennes ?
M. François Poupard. Je me souviens d’un avis de l’ARAFER en 2015, portant principalement sur l’opacité des comptes de Fret SNCF. L’Autorité constatait des déficits successifs au fil des ans et se demandait comment Fret SNCF s’en sortait. Elle réclamait une transparence des comptes, qui n’étaient pas séparés à l’époque.
À partir de là, la ministre des transports, Mme Élisabeth Borne, a demandé aux services de travailler avec le groupe SNCF. Il me semble cela s’est traduit par un décret sur la séparation des comptes de SNCF au sein de l’EPIC. Cette décision, quelle qu’en fût la forme, est intervenue au sein du groupe ferroviaire en 2016 ou en 2017. Il s’agissait de la publication de comptes séparés pour Fret SNCF.
En l’espèce, l’ARAFER ne fait qu’appliquer les textes qui la fondent. Elle a selon moi une vie distincte de celle de la direction générale de la concurrence. Si cette dernière continue à instruire dans son coin, elle ne le fait pas forcément en coordination avec la première. À l’époque, nous posions des questions à l’administration et au groupe SNCF par différents canaux. J’ai ressenti la dureté de la position de la Commission européenne.
Pour répondre à votre deuxième question, c’était plutôt en 2018, à partir du moment où des plaintes ont été déposées.
J’ai pris mes fonctions en 2014. Je n’ai pas particulièrement senti de tensions fortes au cours de l’année 2015. Il y avait bien des réunions à Bruxelles, mais les choses ne se sont durcies avec la Commission qu’avec les premiers dépôts de plainte, fin 2017 ou début 2018. Les réunions sont devenues plus fréquentes en 2018. C’est à ce moment que le scénario de discontinuité a été évoqué pour la première fois. Je me souviens notamment d’une réunion à Bruxelles au cours de l’été 2018. Cela avait peut-être été évoqué plus tôt dans des cercles plus techniques, mais c’est remonté au DGITM en 2018.
M. le président David Valence. Des demandes ont été effectuées auprès de Fret SNCF par différentes instances de contrôle. L’ART ne regarde les choses qu’au regard du droit français. Elle n’a aucune compétence pour procéder différemment. Il est important de le préciser et de le garder en tête lorsqu’on évoque les différentes procédures et alertes qui ont pu être lancées.
La séance s’achève à dix-neuf heures quinze.
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Présents. - M. David Valence, M. Hubert Wulfranc