Compte rendu

Commission d’enquête
sur la libéralisation
du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir

– Table ronde réunissant des associations professionnelles.........2

– Présences en réunion................................18

 

 


Mardi
17 octobre 2023

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 17

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. David Valence,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à quinze heures.

La commission organise une table ronde réunissant des associations professionnelles : M. Ivan Stempezynski, président du Groupement national des transports combinés (GNTC) ; M. Philippe François, président d’Objectif OFP (opérateurs français de proximité) ; M. Igor Bilimoff, délégué général de la Fédération des industries ferroviaires (FIF) ; M. Denis Choumert, président de l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) ; M. Raphaël Doutrebente, président de Fret ferroviaire français du futur (4F).

M. le président David Valence. Nos travaux de cet après-midi consisteront en une table ronde qui réunit plusieurs associations professionnelles directement impliquées dans l’activité du fret ferroviaire.

Nous avons le plaisir d’accueillir M. Ivan Stempezynski, président du Groupement national des transports combinés (GNTC), M. Philippe François, président d’Objectif OFP – opérateurs français de proximité –, M. Igor Bilimoff, délégué général de la Fédération des industries ferroviaires (FIF), M. Denis Choumert, président de l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) et M. Raphaël Doutrebente, président de Fret ferroviaire français du futur (4F).

Le premier objectif de cette commission d’enquête est la compréhension des raisons du déclin de la part modale du fret ferroviaire en France depuis la fin des années 1990. Cette interrogation soulève implicitement la question de l’impact de la libéralisation du secteur, qu’il eût un effet d’accélération, de modération ou au contraire de retournement de la tendance évoquée, à partir des années 2005-2006. Nous avons échangé à ce sujet avec l’ensemble des ministres des transports depuis 1995 et l’ensemble des dirigeants du groupe public ferroviaire depuis 1996.

La commission cherche également à cerner les enjeux actuels, caractérisés par une évolution de la demande du marché du transport de marchandises et par un renforcement de la politique publique d’accompagnement avec un accroissement des volumes de soutien, passés de 130 à 330 millions d’euros, à la faveur de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire et de la prolongation des mesures annoncées par le Gouvernement depuis 2021.

La présente commission a enfin pour objet d’aborder la question centrale de la solution de discontinuité retenue par le Gouvernement pour protéger Fret SNCF d’une possible sanction au regard de l’ampleur des aides publiques dont elle a pu bénéficier entre 2006 et 2019. Cette situation fait l’objet d’une enquête approfondie lancée le 18 janvier dernier par la Commission européenne.

Nous serons donc heureux de vous entendre sur l’évolution du fret ferroviaire dans les années 2000 et au-delà. La question est celle des effets de l’ouverture à la concurrence, mais aussi celle des dynamiques récentes telles que le redressement de la part modale, le redressement des comptes de Fret SNCF, ou celle des craintes que suscite la solution de discontinuité, en tenant compte de la tendance actuelle du recours à l’option ferroviaire, le plus souvent combinée à d’autres moyens de transport.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(MM. Ivan Stempezynski, Philippe François, Igor Bilimoff, Denis Choumert et Raphaël Doutrebente prêtent serment.)

M. Doutrebente, président de Fret ferroviaire français du futur (4F). Sans m’étendre sur les raisons que nous connaissons de la naissance de 4F, je souhaite commencer par un rappel historique. Sous l’effet de la loi d'orientation des mobilités (LOM), la stratégie de fret ferroviaire que nous avons portée a permis de réelles avancées, en cristallisant par exemple dans la loi Climat et résilience de 2021 l’objectif du doublement de la part modale du fret ferroviaire ou en obtenant du ministre Clément Beaune des engagements financiers, notamment lors de son annonce du 23 mai dernier.

Nous remarquons une sensibilité accrue pour le sujet de la part du ministre et de son prédécesseur, que nous saluons, en espérant que cette tendance s’inscrive dans le temps.

L’Alliance 4F représente l’ensemble des acteurs du fret ferroviaire, en intégrant les chargeurs, représentés par l’Association des utilisateurs de transport de fret que préside M. Denis Choumert, mais également l’opérateur historique. J’insiste sur le terme d’alliance car notre structure n’est pas, pour le moment, une association.

En dépit des opinions exprimées par d’autres personnes auditionnées par cette commission, la libéralisation du fret ferroviaire, avec l’arrivée sur le marché d’acteurs privés, a permis de stabiliser la part modale. Elle a également favorisé le développement d’une réelle complémentarité dans les modes de transport.

Avec une grande partie des membres de l’Alliance 4F, nous estimons qu’il n’est pas opportun d’opposer ainsi les modes alors qu’un objectif commun pourrait nous réunir autour de la recherche d’une logistique verte. Nous en avons été capables lors de la crise du covid, durant laquelle la paralysie du pays a été évitée grâce à la poursuite du fret ferroviaire. Cela a été possible grâce à l’ensemble des acteurs dont les associations sont parties intégrantes, telles que l’AFRA – Association française du rail. M. Wulfranc est d’ailleurs venu récemment débattre à l’AFRA et nous avons pu trouver des points de convergence là où nous craignions une opposition de vision entre un entrepreneur et un député. Je vous en remercie M. le rapporteur, car nous avons défendu un mode économique, mais aussi des emplois.

La question de la discontinuité exigée par la Commission européenne, objet principal de cette commission d’enquête, ne peut être abordée sans prendre en compte la demande des clients. Au-delà des querelles et des différences de points de vue, il faut garder à l’esprit que de nombreux clients, chargeurs et transporteurs, demandent de pouvoir recourir au fret ferroviaire, à cause de ou grâce à la décarbonation.

J’ai été personnellement un peu choqué par les déclarations faites devant vous par certains anciens responsables, consistant à effacer le passé. L’enquête de la Commission européenne est fondée sur des raisons et des plaintes déposées devant elle. Il s’agit maintenant de trouver des solutions pour les clients, à des prix de marché qui ne sont peut-être pas ceux pratiqués auparavant. Pour cela, l’État doit y participer en apportant une contribution forte aux investissements et aux infrastructures. Les entreprises de fret ferroviaire, telle que la filiale du groupe Getlink, Europorte, que je préside comme vous le savez, n’attendent pas de l’État qu’il subventionne le secteur, mais qu’il tienne ses engagements en matière d’infrastructures et de développement du ferroviaire, sans opposer les modes mais en favorisant au contraire une réelle complémentarité entre les acteurs.

M. Denis Choumert, président de l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF). Je souhaite revenir sur le moment de l’ouverture du marché, que j’ai vécue à la fois à titre personnel et en tant que représentant des chargeurs. En 2006, l’entreprise Fret SNCF n’était pas prête. Nous avions en face de nous un système entièrement intégré, réunissant à la fois les réseaux et les entreprises ferroviaires de fret et de transport de voyageurs. Il n’existait pas de comptabilité analytique et, pour prendre l’exemple de la branche dans laquelle j’ai longtemps opéré, le prix de la tonne-kilomètre variait en fonction de la capacité contributive des clients : plus le client était riche, comme dans le secteur de la chimie ou celui du ciment dans lequel j’œuvrais, plus le prix était élevé.

Nous avons assisté de 2006 à 2010 à la « défaisance » d’un système industriel de production basé sur la comptabilité intégrée. Cela s’est accompagné d’un délitement lorsque les « nouveaux entrants » ont commencé à prendre possession de lignes ou de périmètres géographiques en France et, dans une moindre mesure, à l’étranger. Lorsque l’on retire d’un système certaines pièces, il fonctionne nécessairement moins bien.

Fret SNCF est malgré tout restée pendant dix ou quinze ans la seule entreprise à assurer un maillage du territoire français. C’est d’ailleurs encore le cas dans un contexte, comme vous le savez, d’abandon de gares et liaisons ces dix dernières années, notamment dans le Sud-Ouest, qui peut être qualifié de désert en termes de fret ferroviaire.

Un long travail de rationalisation des coûts et de la production s’est donc imposé au sein de Fret SNCF, entraînant les problèmes sociaux que l’on a connus. Différentes crises se sont également succédé, notamment celle de 2010, au moment de l’abandon du coûteux modèle du wagon au bénéfice de l’offre multi-lots multi-clients (MLMC). Si ce système, dans lequel les coûts fixes étaient supportés par d’importants chargeurs sur les corridors de wagons isolés, a fonctionné un temps, il s’est avéré non rentable à la fin des années 2010 face à la concurrence directe du fret routier.

Par la suite, les entreprises ferroviaires dites alternatives ont formulé des propositions pertinentes au niveau régional, mais elles n’ont jamais pu relever les défis concernant les approches systémiques nationales.

Il existe donc une dichotomie entre, d’un côté, un opérateur historique en difficulté hier et encore aujourd’hui avec l’ouverture par la Commission européenne de l’enquête approfondie, et, de l’autre, des opérateurs qui ne sont en mesure de couvrir qu’une partie des besoins des clients, lesquels souhaiteraient avoir recours à un seul opérateur. ArcelorMittal, le plus important opérateur à s’être exprimé devant cette commission est en relation de quasi-exclusivité en France avec Fret SNCF.

L’absence d’offre alternative, au regard du maillage assuré par Fret SNCF est un handicap évident pour le client que nous sommes.

Sans revenir sur la notion de qualité de service et sur le manque de moyens investis sur le réseau dans le passé, trois éléments nous semblent importants du point de vue des chargeurs pour développer le fret ferroviaire.

Le premier d’entre eux concerne la nature du transport de marchandises, dont l’étalon en termes de temps est la route. Cela confère un avantage certain dans la mesure où l’étalonnage peut se faire à la journée ou au mois, avec des contrats annuels ou pluriannuels et des préavis de l’ordre de quelques heures à quelques jours. Une grande adaptation est possible à la fois du côté de l’offre et du côté de la demande face à des flux pouvant se présenter ou être supprimés au dernier moment. Cela n’est pas le cas du fret ferroviaire, qui demande une visibilité à moyen terme et de la régularité.

Sans pouvoir rivaliser totalement avec la capacité d’adaptation du fret routier, une flexibilité plus grande est attendue dans l’offre ferroviaire, car elle est capable d’absorber davantage d’offres en termes de kilomètres, de tonnes-kilomètres ou de fréquence d’envoi.

Le second point est la transparence sur les coûts, de manière à pouvoir afficher des évolutions préservées de la fluctuation des problématiques extérieures, comme cela a pu être le cas avec le prix de l’électricité ou l’effet des grèves. Leur impact est encore une fois plus important pour le fret ferroviaire qui possède de très hauts coûts fixes.

L’amortissement de ces coûts fixes est possible si l’on apporte plus de visibilité dans les contrats conclus avec les différents clients. À l’inverse, nous sommes aujourd’hui axés sur des relations bilatérales. La collaboration entre entreprises ferroviaires commence à peine, alors que le fret routier a commencé à organiser la sous-traitance des activités depuis la création des bourses.

Le dernier sujet concerne le transport combiné, gisement principal qui permettra de donner une plus grande ampleur au fret ferroviaire en France. À l’heure où l’on parle de réindustrialiser la France et de création d’industries vertes, il s’agira d’aller plus loin, au-delà des solutions classiques que sont les conteneurs ou les caisses mobiles, en proposant aux clients industriels des solutions de chantiers, des terminaux de transport combiné qui diminueront le risque de rupture de charge ou de coûts supplémentaires sur l’empotage et le dépotage de caisses.

Si l’on y parvient, cette demande viendra en complément de celle relative aux produits de grande consommation – marchandises sur palettes – et nous pourrons trouver des synergies de flux et atteindre une mutualisation des moyens face aux différentes clientèles et demandes.

M. Ivan Stempezynski, président du Groupement national des transports combinés (GNTC). Je souhaite dire quelques mots du GNTC créé en 1945, une jeune dame de soixante-dix-huit ans qui s’inscrit dans les enjeux écologiques, économiques et énergétiques les plus actuels. Le GNTC représente l’ensemble de la filière du transport combiné rail-route et fleuve-route en France. Il regroupe plus de soixante-six adhérents, parmi lesquels des transporteurs routiers, des opérateurs de transport combiné, des plateformes multimodales dans des ports. Son objet est le développement et la promotion de cette activité économique stratégique. Membre fondateur de 4F, le GNTC participe activement aux travaux qui sont menés en son sein sur la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire.

Comme cela a été rappelé par M. Denis Choumert, le transport combiné a l’avantage de bénéficier de la massification des modes ferroviaires tout en conservant la souplesse du transport routier avec la desserte porte-à-porte pour les pré- et post-acheminements. Notre technique renvoie aux besoins majeurs de notre société en termes de bilan environnemental et de bilan social – bilans quelque peu pointés du doigt s’agissant du transport de marchandises. Grâce au mode ferroviaire, le transport combiné permet de diviser le volume d’émissions de gaz à effet de serre (GES) par neuf, ce qui en fait un contributeur essentiel à notre confort environnemental. Il divise également la consommation d’énergie par six comparativement à un même trajet effectué sur la route. Enfin, il réduit fortement les externalités négatives que sont la congestion, les nuisances sonores ou la consommation d’espaces d’infrastructures propres au réseau routier.

Pourtant, nous pouvons difficilement nous passer de ce dernier qui, allié au transport ferroviaire, permet une technique probante qui correspond surtout aux besoins du marché. Les soixante-dix années d’exercice démontrent toute sa pertinence et la confiance que les transporteurs, les chargeurs, des industriels et des logisticiens lui ont accordée dès le départ. Cela est confirmé par la croissance caractéristique de ces deux dernières années, à la sortie de la crise du covid-19 durant laquelle, comme M. Raphaël Doutrebente le rappelait, le fret a fait preuve de sa capacité à servir la nation en termes de logistique alimentaire.

En 2021, près de 1,3 million d’unités de transport intermodal (UTI) sont passées par le rail, avec une croissance de près de 15,3 % par rapport à l’année 2020. En 2022, la croissance s’est poursuivie et un total de près de 1,4 million d’UTI transportées via notre technique.

Aujourd’hui, je souhaite qu’au-delà des difficultés que nous pouvons éprouver dans l’actualité et dont votre commission d’enquête rend compte, le transport combiné ne soit pas davantage fragilisé.

Nous venons de vivre une épreuve violente en 2023 avec la grève qui a touché SNCF Réseau en lien avec le mouvement social des retraites. Le transport ferroviaire et le transport combiné en particulier ont été laissés sur le bord du chemin, mécontentant le marché et les chargeurs et fragilisant la confiance dans la capacité de cette technique à servir les destinataires, les industries et la logistique. Ce manque a été cruel et traumatisant pour la profession, avec une baisse de 22 % en 2023 par rapport à 2022 sur le premier semestre.

Néanmoins, les chargeurs sont restés présents. Si notre profession progresse, c’est en raison de la capacité de notre technique à prouver la diversification de ses moyens avec le gabarit P400 ou les autoroutes ferroviaires. Nous nous adaptons aux besoins des utilisateurs, qu’ils soient industriels, logisticiens ou transporteurs, et du marché, dont nous avons la confiance sur le plan de la décarbonation, des démarches énergétiques ou sociétales, car nous sommes en mesure de suppléer à l’insuffisance de la main-d’œuvre qui existe parfois dans les transports routiers.

Alors que la solution de discontinuité d’activité de Fret SNCF a été annoncée, nous pouvons craindre un report modal inversé. Sur les vingt-trois flux que Fret SNCF est en train d’abandonner, vingt et un concernent des trains complets du transport combiné, soumis à des discussions avec de potentiels repreneurs. Inquiets, les chargeurs se demandent si leurs contrats pourront être honorés dans les mêmes conditions et avec les mêmes objectifs de décarbonation et de décongestion des lignes.

Le contexte économique est également assez peu favorable, avec une possible période de récession durant laquelle l’offre de transport deviendrait plus importante que la demande. Le transport ferroviaire et fluvial représente 85 % des flux, dont 50 % sont assurés par les transports nationaux et 35 % par les transports étrangers. Le modèle économique du transport combiné que nous défendons requiert de grandes distances, avec au minimum 500 ou 600 kilomètres à parcourir. Nous sommes en concurrence avec des transporteurs étrangers qui effectuent des parcours de frontière à frontière et connaissent eux aussi des difficultés à trouver les chargements pour compléter leurs circulations.

Notre crainte actuelle résulte du cumul de la difficulté de ce vent économique contraire et des décisions évoquées, que nous ne contestons par ailleurs en aucun cas. Ce cumul pourrait avoir pour effet de freiner la croissance que j’ai décrite, laquelle satisfait à la fois le marché et les citoyens. Un recul de quatre ou cinq ans en arrière est imaginable, alors que nos entreprises, grâce aux aides accordées par le gouvernement actuel et les gouvernements précédents, s’étaient projetées sur deux ou trois ans en investissant dans du matériel, mais aussi dans les ressources humaines, qui exigent compétences, expérience et respect des process.

Enfin, nous craignons que ce contexte puisse remettre en question la réflexion actuelle du gestionnaire d’infrastructure en termes de productivité et de stratégie capacitaire. Alors que le triplement de l’activité du combiné nous impose de doubler celle du fret ferroviaire, nous espérons que la recherche d’équilibre entre les différents utilisateurs du réseau, avec le développement des TER nocturnes pour le transport des voyageurs et les travaux engagés sur le réseau, permettra de maintenir les conditions favorables à notre croissance.

M. Philippe François, président d’Objectif OFP. J’ai succédé récemment à Jacques Chauvineau qui avait, aux côtés d’André Thinières, accompagné la création de l’association Objectif OFP en 2010. Les adhérents fondateurs tels que la CPME, les associations des ports maritimes et fluviaux, les logisticiens de l’Union des entreprises transport et logistique de France (TLF), des exploitants de carrières au sein de l’Union nationale des producteurs de granulats (UNPG), SNCF Réseau, la Fédération des industries ferroviaires (FIF), ont été ensuite rejoints par des entreprises ferroviaires.

Objectif OFP regroupe des PME du secteur ferroviaire, des opérateurs de proximité dont le rôle est d’optimiser les dessertes locales et régionales pour les besoins du fret ferroviaire, mais également sur les ports maritimes et fluviaux.

Les adhérents pratiquent des activités diverses : ils réalisent des trains complets sur des destinations pertinentes, des services de manœuvres sur les plateformes multimodales, la maintenance des infrastructures ferroviaires locales sur les lignes capillaires et sur les voies portuaires.

Après treize ans d’existence, les opérateurs ferroviaires de proximité (OFP) traitent près de 12 % du tonnage de fret ferroviaire en France et assurent la maintenance sous-traitée de l’ensemble des voies portuaires et de 70 % des capillaires de fret, sachant que 40 % du fret ferroviaire provient ou est à destination d’une ligne capillaire, dite ligne de desserte fine du territoire (LDFT). Il est donc important pour ces opérateurs que ces lignes soient en bon état et entretenues dans la durée.

Le réseau ferroviaire en France a été construit essentiellement à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, où il desservait le tissu industriel de l’époque. Beaucoup des industries d’alors ont fermé ou se sont déplacées, et les installations terminales embranchées qui existent toujours n’ont pas toutes été adaptées aux sites qu’elles desservent. Par ailleurs, celles qui ont été adaptées reposent sur un réseau de lignes capillaires dont la pérennité n’est pas assurée au-delà de cinq ans. Les industriels manquent de visibilité par rapport au transport de fret ferroviaire. Nous souhaiterions que soient données aux industriels des perspectives à moyen et long terme, afin qu’ils soient en mesure de poursuivre leurs activités et qu’ils restent mobilisés.

Je me suis rendu en septembre dernier à Saint-Malo pour assister au congrès des régions de France. Devant rejoindre Lyon par la suite, et la liaison entre et Lyon en train n’étant pas évidente, je m’y suis rendu en voiture. En empruntant l’autoroute, j’ai pu apercevoir, notamment aux alentours d’Orléans, la construction de plateformes logistiques qui n’étaient pas reliées au ferroviaire. J’ai effectué des recherches pour savoir si nous avions des statistiques sur ce type d’entrepôt. La France possède 4 286 entrepôts et plateformes logistiques (EPL) de plus de 5 000 m², ce qui ne comprend pas les entrepôts dits du dernier kilomètre. Parmi eux, seulement 41 sont embranchés, soit 1 % des plateformes logistiques raccordées au ferroviaire.

Comment il est possible au XXIe siècle de continuer à créer des plateformes sur le modèle du tout-routier ? Comment peut-on envisager la réindustrialisation de la France en renforçant une logistique polluante ? Nous considérons que, si chaque mode de transport massifié doit pouvoir trouver sa place dans la logistique, nous devons être en mesure de donner aux industriels le choix de la voie la plus pertinente pour eux. Cela renforce la nécessité du caractère multimodal des plateformes, qui doit pouvoir proposer le mode routier, fluvial, maritime et, dans tous les cas, la voie ferroviaire.

Un autre point est important pour les opérateurs ferroviaires de proximité : les voies doivent être en capacité de faire circuler les trains. Malheureusement, les modèles de maintenance sont basés sur des critères hérités du passé, liés à l’histoire de la SNCF et qui mériteraient d’être actualisés. Sur les lignes à faible trafic, il est possible d’instaurer des systèmes de maintenance frugaux, tels que le remplacement de certaines traverses plutôt que le renouvellement complet de voie et ballast (RVB). Cela n’est pas pratiqué aujourd’hui parce que les décideurs et financeurs de ces opérations considèrent qu’une telle maintenance n’assurerait pas des objectifs de sécurité et de fonctionnalité suffisants. Nous pensons à l’inverse qu’il serait opportun de déployer de nouveaux référentiels, permettant d’adapter la maintenance des petites lignes en fonction de leurs utilisateurs. Les règles de maintenance doivent différer selon qu’il s’agit d’un train transportant des ordures ménagères et circulant à 30 kilomètres heure ou d’un TGV. Il faut faire évoluer les schémas habituels de maintenance et d’entretien des lignes de façon à fonctionner sur des modèles économiques plus simples et moins coûteux.

M. Igor Bilimoff, délégué général de la Fédération des industries ferroviaires (FIF). Merci, monsieur le président et monsieur le rapporteur, d’avoir permis à la FIF et aux industriels de venir s’exprimer sur ce sujet.

La FIF est l’association la plus ancienne de celles que vous avez réunies aujourd’hui puisqu’elle remonte à la fin du XIXe siècle. Elle a accompagné le développement du ferroviaire depuis sa création et sous sa forme moderne depuis 1963.

Recouvrant l’intégralité des métiers du ferroviaire, elle réunit les assembleurs, les constructeurs de matériel roulant, les industriels de l’infrastructure et ceux en charge de la signalisation. Elle est composée de 90 membres actifs et au total, avec les entreprises intégrées dans les clusters, de 400 membres. Elle compte de très grandes entreprises, avec des leaders mondiaux tels qu’Alstom, en concurrence avec les entreprises chinoises, mais également de très petites entreprises et des start-up qui participent à l’animation et à la rénovation de cette industrie.

Le chiffre d’affaires global se situe autour de 4 milliards d’euros. Il se base sur des activités dont une grande partie – entre 35 % et 40 % – est exportée, ce qui a pour effet de peser positivement sur la balance du commerce extérieur.

Derrière ces chiffres, nous constatons malheureusement que le développement du fret ferroviaire a connu le mouvement inverse. En effet, le chiffre d’affaires de l’industrie a diminué en même temps que le nombre d’intervenants sur la production, ce qui témoigne d’une situation générale de décroissance du fret.

Nous avons la conviction, partagée avec 4F dont nous sommes membres fondateurs, que nous pouvons retrouver une part modale ferroviaire très importante dans le transport de marchandises. Si l’on souhaite, selon les objectifs fixés, faire passer cette part de 9 % à 18 % en trouvant des solutions à la problématique du déclin du fret ferroviaire, la piste de l’industrie et des technologies disponibles et à venir est une voie à suivre. Si l’objectif de 18 % peut paraître ambitieux, il convient de noter que certaines alliances au niveau européen prônent quant à elles un passage de 18 % à 30 %.

Sans développer ici l’impact de la libéralisation et de l’apparition de multiples acteurs sur le marché du fret, nous avons pu effectivement constater que la diminution des prix et à la diversification des produits normalement induites lorsque l’industrie évolue dans un environnement concurrentiel n’étaient pas ce qui avait été observé ces dernières années sur la production de fret.

Nous souhaitons vous présenter deux perspectives. La première concerne la modernisation du réseau. Des investissements importants doivent être réalisés. On parle beaucoup de la régénération des voies, mais la modernisation est tout aussi importante. Dans les infrastructures, on pense aux voies, aux terminaux et aux réseaux de distribution, pour augmenter la capacité, réduire les temps d’attente et améliorer la fluidité des opérations de fret. Mais c’est surtout une conception différente de l’infrastructure qui permettra une augmentation du trafic. Il faut mentionner en premier lieu le système européen de signalisation ferroviaire (ERTMS), a fortiori dans ses versions les plus évoluées qui, après leur homogénéisation en Europe, présentent un intérêt majeur en termes de fiabilité, de communication et de localisation du fret. Cette technique permettrait un doublement du fret ferroviaire. Le potentiel de l’ERTMS doit s’accompagner bien évidemment d’un travail sur d’autres points noirs qui alourdissent le système, tel que le désengorgement des nœuds ferroviaires, abordé dans cette commission à plusieurs reprises et sur lequel je ne vais pas m’étendre.

Vous connaissez la plupart des technologies disponibles que l’on peut trouver de manière opérationnelle dans d’autres pays. Pour prendre le cas de la planification du fret, il existe un outil avancé de suivi et de gestion, des capteurs intelligents pour suivre la marchandise en temps réel, la gestion automatisée des frets, l’optimisation des itinéraires pour réduire les temps de transit, rendant compte d’une gestion de trafic multiple dense effectuée sous contrôle aérien. Avec ces outils, il est possible d’agir autant sur le trafic de fret que sur le trafic de voyageurs, ce qui peut être intéressant dans la mesure où les deux se trouvent parfois être dans une situation de compétition. De la même manière, la digitalisation des processus logistiques permet d’obtenir une meilleure coordination et plus d’efficacité dans la complémentarité des différents modes de transport. Les centres de commandement des réseaux et les postes d’aiguillages sont au nombre de 3 000. Ils pourraient être réduits à une dizaine avec une meilleure optimisation, en y intégrant plus de sécurité et de gestion intelligente.

Tous ces éléments jouent sur l’attractivité et la compétitivité. Chaque fois que l’on produit un investissement de régénération, il serait utile de le comparer dans le temps en tenant compte des efforts évités et des gains obtenus. Nous devrions être en mesure de planifier ainsi l’ensemble, avec les externalités positives, pour structurer nos modèles économiques.

La seconde perspective concerne la modernisation des matériels. Comme nous en avons tous entendu parler, le digital automatic coupling, l'attelage automatique, permet d’accroître les performances en même temps que le niveau de sécurité, rompant avec des pratiques séculaires devenues quelque peu archaïques. Nous avons désormais des moyens d’attelage et de découplage automatiques des trains, ouvrant la voie à d’autres technologies telles que les wagons isolés intelligents, géolocalisés, avec une autonomie de déplacement leur permettant de rejoindre et de former les trains. Nous sommes réellement à l’aube d’une rupture technologique fantastique, également capable de changer les mentalités et les attitudes.

De la même manière, même si les anciennes locomotives fonctionnant au diesel doivent être remplacées rapidement, les locomotives s’adaptent aux exigences de la décarbonation et de l’adaptation au changement climatique. Je crois savoir que des plans de verdissement des locomotives sont en cours. Nous pouvons en effet déjà faire l’usage de modèles à hydrogène, sur batterie, hybrides, fonctionnant avec des biocarburants. Ces moyens disponibles pourront s’adapter aux scénarios qui vont se cristalliser dans les prochaines années voire les prochains mois.

Tout nous ramène à la notion d’innovation. De ce point de vue, le programme national d’investissement d’avenir (PIA 4) a assez largement promu les solutions d’innovation dans le fret. À cet égard, dans le cadre du contrat de filière, la FIF a participé à l’émergence d’une nouvelle instance, le CORIFER – conseil d’orientation de la recherche et de l’innovation de la filière ferroviaire.

Autour de cette vision du renouveau du fret, nous sommes en mesure, aux côtés des autres membres de 4F, d’atteindre l’objectif du doublement de la part modale. Cela passera par une meilleure planification, une anticipation du déploiement du fret et un perfectionnement de l’ensemble des vecteurs qui agissent dessus. Il s’agira également pour les industriels que nous sommes d’assurer une visibilité suffisante dans le temps pour adapter les processus de production selon les besoins de modernisation et de décarbonation. La main-d’œuvre, centrale dans les années à venir, devra posséder les compétences nécessaires et s’orienter vers les métiers du futur.

M. le président David Valence. Sur n’importe quel marché, la disparition d’un acteur qui représente 48 % de ses parts provoque une déstabilisation importante. Vous évoquiez, monsieur Stempezynski, le risque d’un report modal inversé. À l’image des représentants d’ArcelorMittal ayant fait savoir qu’ils recherchaient des alternatives, nous imaginons bien que les chargeurs qui ont recours à Fret SNCF souhaitent conserver le choix du mode ferroviaire. Quelles conséquences imaginez-vous sur le secteur en général, notamment concernant l’attractivité du train, si des opérateurs alternatifs prenaient le relais sans toutefois se structurer pour aller rechercher des marchés nouveaux ?

Par ailleurs, quelle est votre perception du niveau des aides mobilisées dans le cadre de la stratégie nationale ? Celle-ci est-elle aujourd’hui, après deux modifications, établie sur une maille pertinente, au regard des pratiques étrangères ?

Enfin, quelle visibilité avez-vous aujourd’hui dans la déclinaison du plan de relance à 100 milliards d’euros ? L’état d’esprit de la filière est-il à la confiance, ou existe-t-il des craintes en raison de l’engagement d’investissements lourds ?

M. Raphaël Doutrebente. Au risque de vous surprendre, je ne crois pas que les conséquences de la solution de discontinuité de Fret SNCF constituent une problématique immédiate, dans la mesure où la sous-traitance à Fret SNCF est possible pendant encore trois ans. En tant qu’entreprise ferroviaire, nous recevons les demandes des opérateurs qui devront trouver une alternative. Je n’envisage éventuellement qu’un problème de temporalité pour ceux qui n’auront pas pu anticiper les démarches auprès d’autres opérateurs d’ici le 1er janvier 2024. Les opérateurs, tel ArcelorMittal, sont en cours de discussion pour trouver une solution. Il y aura des solutions, même si la situation, pérenne depuis tant d’années, peut sembler perturbante. Je considère qu’il n’y a pas de risque immédiat de report modal. Nous avons dans notre pays une capacité à produire des trains, même si, à l’inverse des 400 entreprises ferroviaires que comptabilise l’Allemagne, nous comptons les nôtres sur les doigts de deux mains.

Certes, il peut y avoir une crainte sur le prix. Sans tronquer les propos exprimés par Denis Choumert, je comprends qu’au sein de Fret SNCF, les prix étaient fixés en fonction des différents marchés et opérateurs. Cette situation va évoluer de façon évidente.

M. Ivan Stempezynski. Je pense moi aussi que les mesures mises en place, à travers la sous-traitance des vingt et une lignes concernées par les moyens humains et matériels de Fret SNCF, sont les meilleures pour accompagner cette mutation. Cela suppose, de la part des entreprises du ferroviaire – qui se comptent, je le crains, sur les doigts d’une seule main – de trouver un intérêt à les reprendre et à les structurer pour les gérer. On ne gère pas quatre lignes de combiné comme on en gère dix, quinze ou vingt. Notre crainte se trouve donc plutôt à ce niveau, et même s’il existait le risque d’un report modal inversé, il ne serait pas le seul des défis à relever.

Pour donner envie aux entreprises de reprendre ce marché, il faut les convaincre des bonnes conditions qui l’entourent. Or de nombreux incidents sur le réseau, sans même parler des grèves, viennent perturber depuis plusieurs mois les circulations et affectent lourdement la qualité que nous avons vendue à nos chargeurs. Cette qualité, maillon essentiel de leur chaîne industrielle et logistique, est pourtant fondamentale pour donner envie aux repreneurs de gérer ces vingt et une lignes sur le long terme.

Aussi, parallèlement aux investissements mentionnés, SNCF Réseau doit être au rendez-vous pour délivrer la qualité attendue par les chargeurs et plus largement par les acteurs du combiné et de la filière ferroviaire.

Les éléments de réflexion partagés préalablement sur la stratégie capacitaire ne sont d’ailleurs pas suffisants pour répondre aux besoins du marché, qui a été, comme chacun des opérateurs, bouleversé par l’actualité.

Il est important que les entreprises se positionnent sur le marché grâce aux conditions favorables qui ont été apportées, à savoir la sous-traitance en personnel et matériel pendant trente-six mois. Il est tout aussi important qu’avec les efforts de fluidification au quotidien des relations du ferroviaire et du combiné sur les longues distances, SNCF Réseau se remette rapidement en question afin de consolider notre offre autour de la reprise d’une partie du secteur, aux côtés d’entreprises qui, je l’espère, seront présentes pour relever le challenge.

M. Philippe François. Concernant les aides publiques, nous avons certes des annonces, mais nous sommes attentifs aux perspectives et aux engagements à venir. Je crois que nous sommes tous favorables, au sein de l’Alliance 4F, à l’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle pour donner de la perspective. Les montants de 100 milliards et 4 milliards d’euros annoncés sont encourageants, mais c’est surtout avec de la visibilité sur une décennie tout au moins que nous pourrons nous projeter sur le long terme et que les industriels pourront engager leurs investissements. Le discours sur la transition écologique nous met en difficulté, car nous peinons à comprendre véritablement la place du fret ferroviaire dans cet objectif.

Nous sommes une filière logistique à faible émission de carbone, consommant peu d’énergie. Nous avons par conséquent de nombreux atouts, avec des externalités positives en termes d’encombrement des routes et d’accidents. Nous regrettons que le ferroviaire soit souvent réduit dans la parole politique au transport de passagers. De plus, nous nous trouvons face à une problématique liée à l’essor de nouveaux RER métropolitains alors que nous savons que les capacités du réseau ferroviaire présentent déjà des nœuds qui seront difficiles à traiter. Que vont par exemple devenir les sillons réservés au fret ? Nous avons également besoin d’une visibilité sur cette question et que l’État stratège définisse une ligne directrice. Notre volonté à tous d’atteindre l’objectif du doublement de la part modale du fret ferroviaire sera conditionnée à la confirmation qu’il s’agit pour l’État d’une priorité, au même titre que le déploiement de la pompe à chaleur. Nous avons entendu parler du RER métropolitain, mais nous n’avons pas entendu parler du fret ferroviaire.

J’ai discuté récemment avec une importante société de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui souhaite transporter des produits de carrière par la voie ferroviaire. Les échanges avec SNCF Réseau concernant la réouverture de certaines gares ont abouti à des engagements sur deux ou trois ans, un terme beaucoup trop court pour motiver un tel investissement. Il s’agit de donner des outils qui permettent aux industriels de se projeter dans l’avenir avec une visibilité sur dix ans. Nous attendons donc cette clarification par l’État à moyen et long terme.

M. le président David Valence. Je précise que les mandats envoyés aux préfets de régions contenaient la mention des 930 millions d’euros, ce qui n’était pas le cas dans la plupart des contrats de plan État-région précédents.

M. Hubert Wulfranc, rapporteur. Je souhaite revenir sur les besoins mentionnés par M. François quant à la visibilité et sur la notion d’État stratège, en gardant à l’esprit l’objectif fixé à 18 % de part modale et à 4 milliards d’euros d’ici à 2030. Nous recevions hier le directeur général des infrastructures, des transports et des modalités, qui a évoqué l’existence d’un travail en commun avec l’ensemble des partenaires que vous représentez sur la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire. Il a indiqué qu’un certain nombre des soixante-douze mesures établies faisaient l’objet d’une réévaluation, suite à un manque d’efficience observé. Quelles sont selon vous les propositions nouvelles qui pourraient enrichir ce travail ?

M. Doutrebente a, quant à lui, indiqué que la prestation risquait de coûter plus cher. Pouvez-vous évaluer le volume de fret susceptible de passer de la voie ferroviaire à la voie routière du fait de cette hausse ? Nous ressentons en effet la force de frappe et le poids de la concurrence du fret routier, déjà évoqués par le président de l’AFRA.

L’abandon du wagon isolé mentionné par M. Choumert, avec une évolution de l’offre vers le multiservices, n’a pas eu semble-t-il pour conséquence d’attirer l’investissement des opérateurs alternatifs sur ce marché. En repensant aux éléments évoqués ici concernant par exemple la société DB Cargo, comment évaluez-vous leur capacité à investir dans ce réseau ?

Pour en revenir à la très faible proportion – environ 1 % – de plateformes embranchées, pensez-vous, Monsieur François, qu’il serait opportun de passer par une réglementation posant des obligations réalistes ?

Je souhaite également interroger la FIF sur les difficultés rencontrées par les PME dans l’approvisionnement de matériels roulants, dans un contexte où ces outils permettraient de capter de nouveaux marchés. Compte tenu de l’impact des procédés innovants, estimez-vous que les pouvoirs publics donnent à la filière une visibilité suffisante pour lui permettre de s’engager dans ces investissements ?

M. Raphaël Doutrebente. Concernant l’augmentation des tarifs, il faut tenir compte du fait que l’électricité représente 30 % du prix et que les locomotives en représentent 20 %. La situation est liée aux aides relatives à l’augmentation du prix de l’électricité. Nous en avons été fortement pénalisés en 2023 et l’absence d’action de l’État a eu pour effet le désengagement de certains opérateurs des contrats, avec pénalité. Cette situation a été destructrice de valeur. Dans ce contexte, les offres ne peuvent demeurer identiques.

Concernant les locomotives, l’opérateur historique en possède certes un nombre important. Certains les louent, d’autres, comme nous, les achètent, mais de telles acquisitions sont extrêmement compliquées car les prix atteignent 6 millions d’euros. L’inflation n’est peut-être pas seule en cause. Nous avons besoin d’une loi pluriannuelle intégrant des aides à l’achat de locomotives, à l’instar de l’Espagne et de l’Allemagne. Les propositions d’amendement que nous avions portées en ce sens devant le Sénat et l’Assemblée nationale ont été rejetées.

M. le président David Valence. Les certificats d’économie d’énergie (C2E) ne peuvent-ils être mobilisés sur ce point ?

M. Raphaël Doutrebente. Non, en raison de la complexité de leur utilisation. À l’inverse, le système espagnol fonctionne largement et profite également aux opérateurs intervenant à la fois en Espagne et en France. Malgré sa réticence au départ, nous avons par exemple sensibilisé la société Akiem, important opérateur, à nous aider à défendre cette proposition d’amendement au projet de loi de finances, qui bénéficiera à tous les acteurs. Il s’agit vraiment de s’extraire des divisions habituelles dans notre pays pour se concentrer sur notre objectif de logistique verte. Le financement demandé à hauteur de 20 % est d’autant plus mesuré que nous avons établi le besoin à une quinzaine de locomotives pour 2024 et une trentaine les années suivantes. Ces subventions qui restent raisonnables nous permettront de rester véritablement compétitifs.

Concernant les nouvelles locomotives propres – les anciennes pouvant assez facilement fonctionner avec des carburants alternatifs et produits en France tels que le HVO ou l’Oléo100 –, nous avons besoin de financement pour renouveler le parc. Pouvons-nous avoir le soutien de votre commission ?

M. Denis Choumert. Le client du commissionnaire ou du transporteur paie entre 30 et 40 % du prix total, le reste comprenant les 80 kilomètres de pré- et post-acheminement, la manutention sur le terminal ou les wagons. Si le futur opérateur doit investir dans un matériel coûteux, il y aura une augmentation significative de ces 30 % ou 40 %. Il existe néanmoins pour la compenser des marges d’amélioration de la productivité sur les terminaux : 40 % du prix du train relève de la manœuvre du dernier kilomètre, d’éclatement et de reconstitution du train. En dépit de l’abandon relatif du combiné rail-route en lien avec les grèves du premier semestre et la baisse de la consommation, nous considérons que le risque est mesuré.

Concernant le wagon isolé, il est vrai qu’un opérateur, DB Cargo, pourrait intervenir davantage en France. La raison pour laquelle il ne l’a pas encore fait est liée à l’existence d’accords historiques sur 50 % ou 60 % des flux de wagons isolés – chimie, automobiles – transfrontaliers.

L’objectif est de trouver les opérateurs qui parviendront à constituer des trains entiers, peut-être sans passer par les gares de triage, inefficientes et coûteuses. Nous espérons que dans le prochain schéma directeur, le transport combiné, rail-route en particulier, permettra des chargements sur des terminaux plus flexibles. Le secteur de la chimie, grand importateur avec la sidérurgie, travaille sous la forme d’échanges entre industriels et entre sites et réfléchit à une mutualisation. Cela requiert des évolutions pour permettre à des trains de circuler sur des sites industriels chimiques, compte tenu des matières dangereuses transportées. Cette gymnastique doit être accompagnée au début, à l’instar des certificats d’économie d’énergie. L’enjeu demande davantage de moyens pour amorcer ces révolutions.

Nous sommes assez inquiets de deux principaux obstacles que rencontrent les chargeurs. Les 54 milliards d’euros du tarif du transit sur la route, indépendamment du prix de l’énergie, sont à mettre en perspective avec les 4 milliards d’euros sur le réseau. Il est nécessaire d’aider les entreprises à investir, car l’innovation et la digitalisation sont extrêmement coûteuses, avec par exemple pour l’ERTMS un coût de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Quelles subventions viendront soutenir les investissements et quelle part sera prise en charge par le client des transporteurs ? En tenant compte des marges des industriels, en compétition avec leurs homologues européens et mondiaux, la situation se répercutera nécessairement sur le consommateur final. Ces questions renvoient au risque de rupture sociale que pourrait provoquer l’inflation, dans la dynamique de la transition énergétique.

M. Jean-Marc Zulesi (RE). Je rappelle que la majorité a acté l’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire dans le cadre de la loi Climat et résilience de 2021. Je me suis personnellement engagé pour défendre une stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire dans la loi d’orientation des mobilités (LOM), avec la pérennisation jusqu’en 2024 des 170 millions d’euros engagés. Dans la mesure où il a été demandé davantage d’investissements, comment envisagez-vous la cohabitation avec les services express régionaux métropolitains ? Avez-vous été associés à l’étude en cours du Gouvernement concernant l’avenir des péages ferroviaires ? Enfin, puisque cela était central dans les débats de cette commission d’enquête, avez-vous pleinement bénéficié de la libéralisation du fret ferroviaire et a-t-elle pu à votre sens maintenir à flot le fret ferroviaire au niveau national ?

M. Raphaël Doutrebente. La libéralisation a effectivement permis de stabiliser le secteur. Il n’y a certainement pas eu de catastrophe comme j’ai pu l’entendre. L’opérateur historique n’était certes pas préparé, mais pour répondre aux demandes des clients en termes de fret ferroviaire et compte tenu des objectifs de décarbonation, nous devons être en mesure d’offrir des services. Cela nécessite une adaptation de SNCF Réseau qui passe par un changement de culture, une révolution qui permettra d’accompagner le développement du fret ferroviaire.

M. Denis Choumert. De leur côté, les chargeurs qui avaient défendu le projet à Bruxelles dans les années 1990 ont été très satisfaits de l’ouverture du marché. Le prix du vrac conventionnel a baissé d’environ 20 % entre 2006 et 2010. En revanche, en 2010, les clients du wagon isolé ont effectivement connu une augmentation de prix entre 40 % et 60 %. Le secteur de l’automobile est quant à lui passé, en l’espace de trois ou quatre ans, de 600 000 wagons par an à une fourchette comprise entre 150 000 et 200 000.

M. Ivan Stempezynski. Une de nos préoccupations actuelles est la stratégie capacitaire. Il est nécessaire d’assurer au fret ferroviaire et au combiné, qui circulent la nuit, un corridor que le transport de voyageurs et les travaux engagés, bénéficiaires par ailleurs de crédits importants, ne viendront pas diminuer. Cela est d’autant plus sensible dans le contexte où un objectif de doublement du fret ferroviaire et de triplement du combiné a été fixé pour la prochaine décennie. Nous posons donc la question de la stratégie capacitaire de SNCF Réseau. Parmi les soixante-douze mesures évoquées par M. le rapporteur, celle relative à la stratégie capacitaire est prépondérante.

Par ailleurs, SNCF Réseau étant organisée en régions, une forme de disproportion existe avec les échelles du fret, qui traverse souvent plus de quatre régions. L’harmonisation des dossiers est un enjeu réel face à une situation où les décideurs régionaux ont une grande capacité d’action et ont davantage de correspondance de niveau avec le transport de voyageurs qui, lui, répond effectivement à des logiques régionales.

À cette question de la stratégie capacitaire de SNCF Réseau, aucune réponse ne nous a été formulée jusqu’à présent. Nous attendons également de l’État qu’il tienne un rôle de pilote, établissant les priorités du gestionnaire d’infrastructure placé sous la tutelle du ministère du transport.

En ce qui concerne l’avenir des péages ferroviaires, nous n’avons pas été véritablement associés à l’étude bien que le sujet nous concerne particulièrement.

M. Philippe François. Concernant le pourcentage marginal des 4 286 plateformes reliées au ferroviaire, une amélioration est nécessaire. L’Alliance 4F avait soutenu un amendement au projet de loi relative à l’industrie verte. Pour atteindre l’objectif de réindustrialisation du pays, il est nécessaire de le relier à une logistique verte. Nous avions donc demandé que les nouvelles plateformes soient tenues de faire une étude de raccordement au ferroviaire. Malheureusement, cette proposition n’a pas été retenue. C’est pourtant un sujet important, qu’il faudra mettre en perspective avec l’objectif zéro artificialisation nette des sols (ZAN). Les plateformes gagneront à être pensées aux endroits permettant l’option multimodale.

M. le président David Valence. Il y a ici une forme de responsabilité croisée. Ces décisions relèvent en grande partie des collectivités territoriales. Dans les pays voisins, lorsque la taille de la plateforme est importante, il existe une obligation de disposer d’un raccordement à la voie d’eau ou au fer, au minimum.

M. Igor Bilimoff. L’état d’esprit des industriels est confiant, mais également impatient de voir se matérialiser les détails des annonces. Au-delà de la planification, nous avons besoin d’un effet choc. Les 100 milliards d’euros dont nous n’avons pas encore d’image distincte correspondent à une planification sur de longues années. Outre-Rhin et au-delà des Alpes, une planification beaucoup plus complète et détaillée est à l’œuvre. Cela leur permet d’anticiper les commandes.

À cet égard, nous avons mis en place avec SNCF Réseau et d’autres syndicats quatre groupes de travail afin d’être en mesure d’anticiper la trajectoire, d’évaluer le besoin en compétences, l’attractivité et également la perspective en termes de décarbonation. Les 100 milliards d’euros, souvent évoqués comme un coût, sont en réalité un investissement, pas uniquement pour le ferroviaire mais aussi pour la France. Il faudra en effet rendre compte des scénarios qui permettront au pays de répondre aux objectifs fixés pour 2030 ou 2050. Le ferroviaire doit être considéré pour son acquis plutôt que pour sa trajectoire de développement de décarbonation, à l’instar de certaines filières qui, même avec le triplement de leurs capacités, ne parvenaient pas à fournir les efforts de décarbonation nécessaires.

Nous serons intéressés également de connaître le détail du financement de ce plan d’investissement. Quelles seront notamment la part portée par l’État, celle des régions, celle de l’opérateur historique ?

Les industriels sont pragmatiques, leur gestion du matériel est établie sur la base d’un volume de commandes et de leurs capacités technologiques. Or le matériel de fret n’a fait que décroître et nous sommes en négatif sur l’ensemble des lignes. Le signal choc que j’évoquais restaurerait la confiance et fournirait une visibilité. Nous n’avons qu’un seul producteur de locomotives, la société Alstom basée à Belfort, et deux producteurs de wagons depuis le rachat de Titagarh. Nous sommes à un plancher quant à la production.

Nous plaçons beaucoup d’espoirs dans l’innovation. Les matériels roulants vont vers les pays dans lesquels ils peuvent fonctionner, d’où l’importance des investissements nécessaires sur le réseau.

Il faut saluer la création du CORIFER et les objectifs d’innovation. Nous avons augmenté le TRL – technology readiness level – de 4 à 9, ce qui prouve que nous pouvons proposer une innovation prête à rencontrer le marché. Cela permettra de créer des prototypes, des démonstrateurs, et de tester en pratique dans le fret des technologies dont la capacité et l’adaptabilité seront démontrées. Grâce à cela, les industriels pourront plus facilement dimensionner la capacité de production.

Si l’on n’y prend pas garde, la troisième position mondiale de la France en matière d’industrie ferroviaire pourrait être fragilisée. Nous avons vu ce qu’il s’est passé en Allemagne lorsque CRRC a acheté la partie locomotives de Vossloh.

L’innovation et la technologie sont donc centrales, sans commune mesure avec le verdissement et le reconditionnement des locomotives qu’il faudra également mener. Parmi les dix technologies en cours d’élaboration, il est difficile de savoir quelle est celle qui viendra révolutionner le secteur. Le financement et la visibilité qui pourront être proposés sont donc extrêmement importants.

La séance s’achève à seize heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

 

 

Présents. – M. David Valence, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi