Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de M. Christophe Durieux, président, et de Mme Odile Broglin, cofondateurs de People&Baby 2
Mercredi 20 mars 2024
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 23
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 15 heures.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné M. Christophe Durieux, président de Mme Odile Broglin, cofondateurs de People&Baby.
M. le président Thibault Bazin. Chers collègues, nous recevons M. Christophe Durieux et Mme Odile Broglin, qui ont fondé l’entreprise People and Baby à l’automne 2004. D’abord présente uniquement à Paris et en Île-de-France, son activité s’est peu à peu étendue en régions, avec l’ouverture d’antennes locales dans les principales villes du territoire national, puis dans les outre-mer et à l’international.
En 2022, vous revendiquiez, madame Broglin, monsieur Durieux, environ 700 établissements en France et 150 dans le reste du monde. Vous comptez également de nombreux établissements partenaires – 2 600, je crois. Nous reviendrons sûrement sur ce point après que vous nous aurez présenté, dans votre propos liminaire, l’organisation de votre entreprise et les étapes que son développement a connues depuis vingt ans.
Mme la rapporteure vous a adressé, comme à l’ensemble des personnes que nous auditionnons, un questionnaire préparatoire destiné à faciliter nos échanges.
J’indique que cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Je précise aussi que nous avons tenu à recevoir le même jour les grandes entreprises du secteur dit des crèches privées, qui ont été récemment placées sous le feu des projecteurs à l’occasion de la parution d’ouvrages et de la publication de rapports. Leurs auditions ne suivent pas un ordre prédéterminé.
Le cadre de notre commission d’enquête concerne l’ensemble du secteur des crèches. Je me dois cependant, plus précisément en ce qui vous concerne, puisque c’est dans l’un de vos établissements qu’est survenu le drame de Lyon en 2022, de préciser quelques points réglementaires.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose qu’il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par un courrier daté du 31 mai 2023, le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti a fait savoir à la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, qui l’avait interrogé au moment du dépôt de la proposition de résolution portant création de notre commission, qu’il n’avait pas connaissance de poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition. Il ne s’agit donc pas pour nous d’évoquer le fond du dossier judiciaire de cette affaire au cours de nos échanges, puisqu’elle n’a pas été jugée.
Il me reste à vous rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Christophe Durieux et Mme Odile Broglin prêtent successivement serment.)
Mme Odile Broglin. Je vous remercie de me donner l’occasion de partager avec vous l’histoire de notre entreprise et de mon engagement personnel en tant que professionnelle au service de la petite enfance. Je suis infirmière puéricultrice de formation et je travaille en crèche depuis 1998. En 2003, à la naissance de mon deuxième enfant, j’ai quitté la fonction publique pour créer mon idéal de crèche, fondé sur les avancées des neurosciences et sur mes connaissances approfondies des besoins des enfants. Ayant exercé en crèche hospitalière, je considérais le modèle de la crèche d’entreprise comme une évidence. Celui que nous connaissons actuellement commençait justement à s’appliquer à cette époque.
Répondant à des appels d’offres, nous avons gagné deux premiers clients : une grande entreprise de La Défense et la Ville de Paris. Cela nous a permis de créer en 2004 l’entreprise People and Baby, puis de dupliquer les deux modèles. Quelques années plus tard, nous développions l’accueil en micro-crèche.
Nous sommes des militants de l’accueil collectif de la petite enfance. Nous sommes fiers de participer quotidiennement au développement du service public de la petite enfance. Mon expertise, le travail mené sur les besoins de l’enfant et de sa famille, la confiance et la satisfaction de nos partenaires ont permis la croissance rapide de nos places de crèche, d’abord en France, puis à l’international.
Mon but est que nous transmettions le meilleur en nous appuyant sur des pédagogies innovantes, et de faire évoluer les crèches pour que, d’un mode de garde, elles deviennent un mode d’accueil doté d’un vrai programme éducatif pour chaque enfant – la différence entre ces deux modes est fondamentale, comme vous l’avez compris grâce aux différents témoignages que vous avez entendus. C’est toujours ma mission quotidienne. Je l’exerce avec passion et passe la moitié de mon temps sur le terrain, auprès des professionnels et des enfants.
Notre programme pédagogique a été conçu il y a plus de vingt ans. Il est exigeant et structuré, et pose un cadre, tout en laissant la part belle à l’initiative locale, à la créativité individuelle et à la personnalisation par nos équipes. Il correspond largement à la Charte nationale pour l’accueil du jeune enfant. Nos 6 000 collaborateurs y adhèrent et sont motivés pour offrir des environnements apprenants aux 11 000 enfants accueillis tous les jours dans nos crèches en France.
La qualité de l’accueil, dont je suis garante, est au cœur de notre mission. Elle passe d’abord par la qualité de nos équipes. Nos procédures de recrutement sont très exigeantes, malgré le contexte de tension que vous connaissez. Même si la loi ne nous y contraint pas, nous avons choisi de ne recruter que des professionnels qualifiés et diplômés pour exercer les métiers de la petite enfance.
C’est dans ce même objectif de qualité d’accueil, et pour que le drame qui s’est déroulé dans une de nos crèches ne se reproduise jamais, que nous avons imposé dès juillet 2022 à toutes nos crèches, micro-crèches comprises, la présence de deux professionnels à partir du premier enfant présent, à tout moment de la journée. Cet engagement fait partie des treize recommandations que nous avons soumises à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans un travail collaboratif portant sur l’évolution du secteur de la petite enfance.
J’insiste sur la qualité de nos équipes : ces femmes et ces hommes font un travail remarquable. Leur métier est indispensable, essentiel, et en pleine évolution. Nous devons nourrir la connaissance, entretenir la motivation de nos collaborateurs, et les faire monter en compétence, grâce aux formations instaurées dans le groupe. Nous attirons de plus en plus de candidatures, alors que les professionnels de la petite enfance peuvent la plupart du temps choisir leur employeur. Les équipes, qu’elles travaillent en multi-accueil, en micro-crèche ou en délégation de service public (DSP), sont bien encadrées. De vraies exigences, des objectifs clairs, des procédures s’imposent à elles. Toutes les crèches disposent des mêmes moyens partout et font bien sûr l’objet d’accompagnements, de contrôles et de vérifications multiples.
Vous avez évoqué dans vos débats les enquêtes de satisfaction menées auprès des parents. Ils sont les premiers juges de la qualité de nos crèches. Ils entrent dans nos espaces deux fois par jour et savent ce qu’ils veulent pour leurs enfants. Ils nous témoignent quotidiennement leur confiance et leur satisfaction. Nos clients institutionnels, villes ou entreprises, nous renouvellent également leur confiance, d’année en année. Ils connaissent mieux que quiconque la réalité de nos crèches.
La crèche est aussi un espace de ressources et d’échanges précieux dans la période cruciale des 1 000 premiers jours. Nous accompagnons donc aussi la parentalité, grâce à nos équipes, nos psychologues et nos référents santé et accueil inclusif.
Je ne suis pas ici pour vous dire que tout est parfait, partout et tout le temps. Nous sommes exigeants et travaillons constamment, tous les jours, à l’amélioration de nos pratiques afin d’offrir le meilleur aux enfants et à leurs parents. Je suis convaincue que c’est une chance pour un enfant de bénéficier d’un accueil en crèche, où il va manger de manière saine et équilibrée, accéder à des livres, à des jeux, à du matériel adapté, à des mises en scène lui permettant de développer toutes ses compétences et de mener à bien ses apprentissages préscolaires.
Vingt ans après la création de nos premières crèches, je constate que le modèle de cofinancement de l’accueil de la petite enfance a permis de développer des solutions au bénéfice des enfants, des parents, des entreprises et des collectivités locales, sans jamais renoncer à la qualité de l’accueil, en appliquant des innovations permanentes et en créant des emplois.
M. Christophe Durieux, président et cofondateur de People and Baby. Ma compagne et moi-même avons souhaité répondre en personne à vos questions, car nous y attachons une réelle importance.
L’entreprise People and Baby, en tant que gestionnaire de crèches, joue un rôle sociétal significatif. Nous avons contribué depuis 2004 à la création et à la gestion de 11 000 places dans l’ensemble du territoire français, dans toutes les régions et tous les types de villes. Nous sommes également présents en outre-mer.
Nos crèches sont au nombre de 583, dont la moitié sont des micro-crèches financées pour moitié par la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), et un quart sont en DSP.
M. le président Thibault Bazin. Pouvez-vous donner des chiffres plus précis ?
M. Christophe Durieux. La moitié des 583 établissements sont des micro-crèches essentiellement financées par la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) – une quinzaine le sont par la prestation de service unique (PSU). Pour l’autre moitié, nos établissements sont financés par la PSU, et 50 %, autrement dit un quart de l’ensemble de nos crèches, sont sous le régime de la DSP. Nous gérons des multi-accueils dont les réservataires sont des entreprises ou des collectivités.
Nous nous sommes inscrits dans la démarche de certification pour devenir une entreprise à mission. Notre raison d’être est d’ores et déjà inscrite dans nos statuts. People and Baby est partenaire de la parentalité et nous avons la volonté d’agir en faveur de notre modèle de crèche solidaire, écoresponsable et pensé pour tous.
Notre modèle d’accueil collectif, élaboré suivant le projet qu’Odile Broglin vous a exposé, est au cœur de notre engagement et nous permet de proposer aux parents une solution de garde leur garantissant un très haut niveau d’accueil de leurs enfants. Nous l’exportons avec fierté dans une grande partie du monde, puisque nous sommes implantés dans dix pays.
Notre groupe revendique d’avoir été fondé et d’être dirigé par une professionnelle diplômée de la petite enfance. Cela se traduit d’abord par le fait que la qualification de nos collaborateurs est au cœur de notre modèle. Nous ne recrutons, malgré la loi, que des professionnels qualifiés dans les métiers de la petite enfance. Nous avons créé un organisme de formation interne afin d’accompagner les salariés et de consolider leurs compétences. J’en profite pour remercier ces 6 000 professionnels, engagés au quotidien dans notre entreprise pour les enfants et pour leurs familles.
People and Baby est le dernier groupe familial du secteur dirigé par ses fondateurs. Notre volonté d’indépendance constitue un engagement dans la durée qu’il est complexe de tenir au quotidien, mais qui nous oblige, Odile et moi.
L’accueil collectif à la française s’appuie sur plusieurs acteurs. Tous ensemble – État, collectivités, opérateurs privés, opérateurs associatifs, à but lucratif ou non –, nous avons réussi à faire du développement de berceaux une priorité, tout en misant sur la qualité de l’accueil et du projet pédagogique. C’est grâce à tous ces opérateurs, y compris les opérateurs de crèche que nous sommes, que cet accueil collectif s’est développé, sur le fondement d’un modèle économique viable, en partenariat avec les collectivités territoriales et les entreprises, et reposant sur les financements publics – PSU, subventions des caisses d’allocations familiales (CAF), dispositifs fiscaux, pour ne citer qu’eux.
Je remercie donc nos partenaires, toutes les CAF de France avec lesquelles nous travaillons depuis vingt ans, et surtout tous les services de protection maternelle et infantile (PMI) qui accordent nos agréments, nous conseillent et nous contrôlent. Toutes ces collectivités et ces entreprises nous font confiance, pour certaines depuis plus de dix ans, de même que les parents, de plus en plus.
Le modèle économique de People and Baby est éprouvé depuis vingt ans. Il nécessite que nous investissions, avec le soutien des banques, que ce soit pour les structures publiques ou privées, associatives ou non, dans trois éléments principaux. Nous devons recruter un personnel bien formé et le fidéliser en lui offrant des conditions de travail attractives ; bâtir et maintenir des locaux en excellent état, pourvus du mobilier et du matériel pédagogique adaptés à la sécurité des enfants et de leurs familles ; faire en sorte que chaque place soit occupée, ce qui permet de satisfaire le maximum de demandes et de préparer des solutions d’accueil pour répondre aux besoins futurs.
M. le président Thibault Bazin. J’ai compris que vous étiez en couple à la ville et que vous assumiez tous deux, en tant que fondateurs, la gouvernance de l’entreprise.
Êtes-vous propriétaires des 583 crèches que vous avez mentionnées ? Si oui, est-ce le même groupe qui gère les crèches et qui en est propriétaire ? Qu’en est-il des loyers et des aides à l’investissement, notamment des CAF, dans votre modèle ?
M. Christophe Durieux. People and Baby est locataire de l’ensemble de ses locaux. Elle n’a pas vocation à en être propriétaire. Aux États-Unis, nous avons racheté des crèches qui étaient propriétaires des murs et nous les avons vendus…
M. le président Thibault Bazin. Restons en France. Est-ce à dire que vos bailleurs sont complètement étrangers à votre groupe ? Vous ne faites partie d’aucune société civile immobilière (SCI) ?
M. Christophe Durieux. Nous sommes locataires auprès de différents bailleurs, et 6 % des loyers que nous payons sont perçus par une SCI que nous avons développée au fil des vingt dernières années. Parmi ces 6 %, 2,5 %, soit un peu plus d’un tiers, se rapportent à des investissements que nous avons dû réaliser à la place de villes, par voie de concession. Nous finançons ainsi la construction de crèches que nous gérons pendant quinze ans, parfois vingt, ensuite de quoi les bâtiments reviennent à la ville. Notre SCI les finance, s’endette à cette fin auprès des banques, les loue à la société d’exploitation People and Baby, mais n’en est donc pas propriétaire à terme.
Mme Odile Broglin. Je précise que notre SCI a parfois dû acheter les bâtiments que nous utilisons pour éviter l’expulsion par des bailleurs. Il y a peu, faute d’un tel investissement, nous avons dû relocaliser des enfants accueillis rue de l’Université, car notre bailleur a souhaité reprendre possession de ses locaux.
M. le président Thibault Bazin. Qui sont les réservataires des places dans cette rue ?
Mme Odile Broglin. Nous accueillons les enfants de certains députés.
M. le président Thibault Bazin. Pour être précis, par réservataire, j’entends parler d’une entreprise ou d’une institution.
Mme Odile Broglin. Ce sont aussi les enfants de professionnels travaillant à l’Assemblée nationale, qui est le réservataire de leurs places.
M. le président Thibault Bazin. Quel est le nombre des berceaux réservés dans vos établissements par des réservataires entreprises et collectivités et pour quelle part selon les unes et les autres ?
M. Christophe Durieux. Sur nos 11 000 berceaux, 75 % sont réservés par des entreprises ou par des collectivités. Un quart de nos établissements opérant en DSP, 99 % des enfants qui y sont accueillis le sont à des places réservées par les villes. Parmi les berceaux réservés par les entreprises, deux tiers le sont par des entreprises privées et un tiers par des entités publiques : ministères, hôpitaux, conseils généraux, préfectures de police ou encore sections régionales interministérielles d’action sociale (Srias).
Les Jeux olympiques constituent l’enjeu du moment, et nous avons décidé de rester ouverts tout le mois d’août afin d’accueillir tous les enfants des sapeurs-pompiers et des policiers mobilisés. Nous sommes ainsi utiles au service public.
M. le président Thibault Bazin. Si je comprends bien, parmi vos berceaux, 50 % – 25 % en DSP additionnés d’un tiers des 75 % susmentionnés – sont réservés par des collectivités locales ou des administrations publiques.
M. Christophe Durieux. Exactement.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Mes questions tourneront autour de trois axes. Le premier est relatif à l’organisation de votre société, en particulier de votre actionnariat. Je souhaiterais que vous nous présentiez la structure de votre entreprise et l’historique du mouvement actionnarial. Vous avez racheté les participations de la Banque publique d’investissement Bpifrance et du groupe Crédit mutuel-Crédit industriel et commercial (CM‑CIC) en 2015, et je m’interroge sur les motifs de cette décision. Je suppose qu’elle procédait de difficultés dues à la présence de telles structures dans votre actionnariat.
M. Christophe Durieux. Notre entreprise s’est développée sans fonds d’investissement, sur le seul fondement des premiers marchés publics que nous avons remportés et des premières crèches que nous avons créées pour une entreprise du CAC40. Au bout de quatre ans, nous avons cherché à faire entrer un investisseur à hauteur de 20 % de notre capital, pour atteindre une surface financière offrant une trésorerie suffisamment confortable pour subir les cycles de trésorerie liés à la croissance de notre entreprise et à notre volonté d’ouvrir des structures. Un premier investisseur nous a accompagnés puis a revendu ses parts, puis le groupe CM-CIC et Bpifrance sont à leur tour entrés au capital.
À l’issue de cette deuxième période, pour jouir d’une indépendance plus forte, nous avons souhaité reprendre la totalité notre capital et, pour ce faire, avons contracté une dette. Elle garantit l’autonomie de nos décisions, relatives notamment à nos axes de développement et aux garanties de qualité de nos crèches, afin de fournir le meilleur service. Comme nous le disons à nos équipes, nous voulons être les meilleurs.
M. le président Thibault Bazin. C’est votre entreprise People and Baby, gestionnaire de crèches, qui a souscrit cette dette ?
M. Christophe Durieux. Oui. C’est ce qui nous a permis d’avoir notre indépendance et de garantir la qualité que nous souhaitons depuis maintenant dix ans.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Est-ce à dire que dans la période où Bpifrance et le groupe CM-CIC étaient vos actionnaires, vous avez ressenti des contraintes incitant à la baisse de la qualité du service offert par vos établissements ?
M. Christophe Durieux. Il s’agissait d’un actionnariat minoritaire, ce qui nous laissait une autonomie. Nous sentions cependant que nous allions devoir renoncer à la majorité et qu’il deviendrait dès lors problématique de conserver cette autonomie. Pour la garder, nous avons décidé de nous appuyer sur un fonds de dette plutôt que sur un fonds d’investissement.
M. le président Thibault Bazin. On ne comprend pas pourquoi, soudainement et sans votre accord, vos actionnaires se seraient emparés de la majorité de votre capital.
M. Christophe Durieux. Il ne s’agissait pas de cela. Pour financer notre croissance, nous aurions dû céder d’autres parts de notre capital, donc perdre l’autonomie qui assure notre qualité. Pour éviter la montée en puissance d’un fonds privé, que ce soit l’ancien ou un nouveau qui le remplacerait, nous avons préféré contracter une dette pour garder le contrôle. C’est la raison pour laquelle, vingt ans plus tard, nous sommes les seuls à détenir 100 % du capital.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. En tout état de cause, vous auriez pu garder vos actionnaires à vos côtés, tout en contractant une dette rendant possible votre développement. Je ne suis pas certaine que vos éléments de réponse me permettent de comprendre pourquoi vous avez voulu vous endetter afin de faire sortir vos actionnaires de votre capital. N’hésitez pas à me fournir des réponses complémentaires à cet égard.
J’en viens au deuxième axe, relatif à votre modèle économique. Quel est le prix moyen d’un berceau dans votre réseau, qu’il soit financé par la PSU ou par la Paje ? S’agissant des berceaux adossés à la PSU, quelles parts de leur financement reposent respectivement sur la PSU, sur les familles et sur les tiers réservataires ?
Dans vos crèches partenaires, quelle part représente le coût de commercialisation de la place dans le prix d’un berceau ? Lorsque vous placez – pardonnez-moi l’expression – un enfant dans une crèche de votre réseau partenaire, quelle part du prix du berceau conservez-vous au titre de la commercialisation et quelle part reversez-vous à la structure gestionnaire de la crèche ? Nous avons constaté au cours de nos auditions que, dans certaines crèches partenaires dans un réseau, le prix facturé pouvait correspondre au double du montant versé à la structure gestionnaire, ce qui me paraît inacceptable. Que pensez-vous d’un tel dispositif ?
En tant qu’entreprise réservataire pour votre personnel, bénéficiez-vous du Cifam (crédit d’impôt famille) ? Si oui, pour quel montant ? Comment établissez-vous, le cas échéant, le prix du berceau sur la base duquel est établi le crédit d’impôt ? S’agit-il du prix de revient du berceau ou du prix auquel vous le commercialisez auprès d’un tiers ?
J’en viens au portage immobilier. À l’initiative du président, vous nous avez fourni quelques éléments de réponse à ce sujet mais je souhaiterais que vous soyez plus précis, d’autant que je n’ai pas très bien compris le rapport entre immobilier et DSP. Il est tout à fait possible de réaliser des montages contractuels impliquant des concessions, dont la durée est généralement calculée en fonction de la durée d’amortissement des équipements concernés. Cependant, sur le plan juridique, ces biens sont considérés ab initio comme publics. Je ne vois pas de lien entre de tels biens et ceux que détient la SCI dont vous êtes actionnaires. Je souhaiterais disposer d’éléments complémentaires.
Le rapport de l’Igas relatif à la qualité de l’accueil et à la prévention de la maltraitance dans les crèches soulignait que, pour les établissements du secteur marchand dont le tiers financeur est une entreprise, on constatait une augmentation de 51,8 % du compte « autres charges », dans lequel sont notamment imputés les frais de siège des groupes. Comment expliquez-vous ces chiffres ?
Différents rapports et ouvrages ayant trait à la gestion des crèches font état de DSP pour lesquelles de grands groupes comme le vôtre proposent des prix cassés. Candidatez-vous à toutes les procédures d’attribution de DSP ? Si oui, à quel prix et comment justifiez-vous les écarts que l’on constate entre les prix pratiqués en DSP et ceux qui sont demandés à un tiers réservataire classique ?
Enfin, la maîtrise des coûts de fonctionnement est un enjeu pour tous mais elle revêt une dimension particulière quand il s’agit de l’accueil et du développement des jeunes enfants. Comment cela se traduit-il dans le fonctionnement de vos crèches ?
M. Christophe Durieux. En 2023, notre prix moyen était de 24 858 euros pour les crèches interentreprises PSU et de 22 580 euros pour les micro-crèches Paje.
M. le président Thibault Bazin. C’est surprenant parce que certains de vos confrères ont, à l’inverse, des prix plus élevés en Paje qu’en PSU. Comment l’expliquez-vous ? Selon les rapports, le prix s’établit autour de 20 000 euros. Pourquoi le vôtre est-il plus élevé ?
M. Christophe Durieux. Le prix comporte une part variable qui est liée au coût du loyer. Si on est en province, il est bien moins cher ; si on est en région parisienne, il est bien plus cher. Nous avons 300 micro-crèches, dont une bonne partie en province, dans des villes et des collectivités de toutes tailles. Les loyers sont parfois très raisonnables, ce qui fait baisser le coût des micro-crèches.
Nous estimons le coût moyen de commercialisation pour une place de crèche à 1 800 euros.
M. le président Thibault Bazin. Que comporte ce coût ?
M. Christophe Durieux. Cela comprend la performance moyenne d’un commercial. Il s’agit donc du volume de la masse salariale des commerciaux divisé par le nombre de places qu’ils vendent dans l’année.
M. le président Thibault Bazin. En fait, cela sert à rémunérer vos commerciaux.
M. Christophe Durieux. En effet : c’est le coût de commercialisation.
M. le président Thibault Bazin. Qu’est-ce qui est payé par ces 1 800 euros ? Est-ce que cela tombe dans votre poche à vous deux, si j’ose dire, ou est-ce que cela rémunère autre chose ?
M. Christophe Durieux. Cela sert à payer le coût de l’équipe commerciale divisé par le nombre de berceaux vendus.
M. le président Thibault Bazin. Combien de personnes compte votre équipe commerciale ?
M. Christophe Durieux. À peu près 120 personnes en France.
M. le président Thibault Bazin. Pour combien de berceaux commercialisés ? Ce sont les fameux deux tiers de 75 % ?
M. Christophe Durieux. L’équipe commerciale travaille par secteurs géographiques : il y a six régions, plus l’Île-de-France. Ensuite, ces équipes sont réparties entre les grands comptes, les petits comptes – ce ne sont pas les mêmes dossiers – et les marchés publics. Cela fait donc beaucoup de personnes.
M. le président Thibault Bazin. Les 1 800 euros servent donc aussi, potentiellement, à donner des primes à ceux qui gagnent des marchés publics, pour les rémunérer.
M. Christophe Durieux. Oui, pour les rémunérer, parce que répondre à un appel d’offres est de plus en plus compliqué.
M. le président Thibault Bazin. Quand vous mentionnez la performance des commerciaux, il s’agit en fait de leur rémunération.
M. Christophe Durieux. Le coût commercial d’une place de crèche vendue s’élève à 1 800 euros en moyenne.
Vous nous interrogez sur notre activité Crèches pour tous, qui représente 1,5 % du chiffre d’affaires ou, plus exactement, 3 % du chiffre d’affaires en France. Nous achetons des places de crèches à des partenaires, quels qu’ils soient – associatifs, privés. Nos équipes commerciales proposent des places de crèches qui procurent aux gestionnaires un revenu complémentaire. Les micro-crèches en particulier ont besoin de ces places d’entreprises pour assurer leur équilibre économique car, depuis plusieurs années, leurs prix n’ont pas connu de revalorisation alors que les coûts de fonctionnement ont énormément augmenté.
Nous avons développé cette activité quand nous avons vu arriver, il y a une dizaine d’années, des sociétés qui ne possédaient pas de crèches et ne faisaient que de l’achat-revente de places. Pour notre part, nous produisons, nous investissons, nous nous endettons, nous construisons et nous exploitons. Par précaution, nous avons décidé de commercialiser nous-mêmes les crèches n’ayant pas la capacité d’investir dans une force de vente. Cela nous permet de disposer d’un meilleur maillage – nous avons ajouté à nos 700 crèches en France quelque 2 600 crèches partenaires – et de proposer une offre considérable. Quand un ministère veut acheter des places sur tout le territoire, nos disponibilités nous donnent plus de chances d’obtenir un rapprochement entre l’offre et la demande. De plus, ce partenariat permet à nos partenaires d’être économiquement à l’équilibre et, dans certains cas, d’assurer leur pérennité.
M. le président Thibault Bazin. Vous n’avez pas répondu à toutes les questions.
Mme Odile Broglin. Concernant Crèches pour tous, notre réseau ne fait pas seulement de l’achat-revente de places. Nous mutualisons les moyens, avec des achats communs et des formations. S’agissant des contrôles, nous ne sommes pas la PMI mais nous réalisons des audits pour nous assurer que nos partenaires respectent les normes et offrent aux enfants et aux familles l’accueil que l’on souhaite.
M. Christophe Durieux. La question suivante portait sur le Cifam. Nous attribuons en moyenne 150 places de crèches à nos 6 000 collaborateurs, en fonction de leurs demandes. Nous utilisons à cette fin le Cifam. Le prix moyen, qui n’a pas varié depuis dix ans, s’établit, de mémoire, à 15 000 euros. Nous avons validé ce prix moyen avec notre commissaire aux comptes afin que cela soit parfaitement irréprochable.
M. le président Thibault Bazin. Comment expliquez-vous la différence entre 15 000 euros et 24 000 euros ?
M. Christophe Durieux. Il est vrai que nous aurions pu monter à 24 000 mais, techniquement, nous avons décidé que le prix serait de 15 000 parce que cela correspond au prix moyen de ce que l’on vend aux entreprises. Vous m’avez demandé s’il s’agissait du prix moyen de vente ou du prix moyen de revient : c’est à peu près le même que pour une entreprise classique. People and Baby atteint le plafond du Cifam, qui est de 500 000 euros par entreprise. Par ailleurs, différentes petites sociétés sont créées, souvent dans le cadre de délégations de service public, car il arrive que les collectivités nous demandent d’avoir des places entreprise.
M. le président Thibault Bazin. Qu’en est-il du portage immobilier ?
M. Christophe Durieux. À ce propos, j’aimerais revenir rapidement sur les concessions. Il y a dix ans, la mode était à demander au secteur privé de financer l’investissement dans le cadre des appels d’offres. Pour notre part, nous avons choisi de ne pas faire porter l’investissement par People and Baby, parce que c’était du très long terme, mais par une SCI. C’est pourquoi je vous ai indiqué que, dans les 6 % détenus par la SCI, une partie concernait les concessions des villes attribuées dans le cadre de délégations de service public, qui continuent de fonctionner.
Nous avons acheté d’autres locaux lorsque leurs propriétaires, souhaitant les mettre en vente, nous demandaient si nous voulions, en tant que locataires, user de notre droit de préemption. Lorsque le cas se présente, nous interrogeons notre banque pour obtenir un emprunt et nous essayons de préempter le local pour éviter de tomber sous la coupe d’un nouveau propriétaire.
L’objectif est de pérenniser certaines crèches. Celle de la rue de l’Université est un contre-exemple : nous avons échoué. Le propriétaire nous a inventé qu’il allait augmenter la surface de l’immeuble par le haut ; or faire une élévation donne le droit d’expulser les locataires. Pour les professionnels et pour les enfants, cela a été un drame. Nous avions six mois pour partir ; nous avons négocié, traîné un peu, puis nous avons fini par trouver une date fin juillet. Nous avons perdu une très belle crèche rue de l’Université, mais nous ne voulions pas avoir une bataille juridique avec le propriétaire. En vingt ans, nous avons pu acquérir environ 4 % des locations de crèches, avec des crédits classiques.
Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. Je ne suis pas sûre d’avoir très bien compris. Vous nous dites que le coût de commercialisation est de 1 800 euros par berceau ; d’autres acteurs nous ont indiqué pratiquer des prix très inférieurs.
Vous n’avez, me semble-t-il, pas répondu à la question concernant le prix facturé et le prix reversé à la structure gestionnaire. J’aimerais donc que vous nous apportiez des éléments d’information.
Nous avons bien identifié le fait que des structures ont émergé qui ne font que de la réservation de places. Que ce soit ce type de structures ou une activité de commercialisation, vous comprendrez qu’il nous faut être particulièrement vigilants sur ces mécanismes. Le tiers réservataire que l’on fait payer est soit un acteur public, et c’est de l’argent public, soit une entreprise qui recourt à des mécanismes de défiscalisation très importants, et donc, à la fin, c’est aussi de l’argent public. Or les crédits de la politique publique de la petite enfance ont vocation à financer l’accueil des enfants dans de bonnes conditions, pas à rémunérer largement des commerciaux. Quand on confie à des structures gestionnaires le soin de prendre en charge un enfant et d’assurer son développement, mais que l’on garde une part conséquente du prix versé par l’entreprise au titre de la commercialisation, c’est autant d’argent en moins pour s’occuper de l’enfant. Cela peut avoir des conséquences gravissimes, la première étant le manque de moyens pour la structure gestionnaire.
J’aimerais donc que vous nous indiquiez très précisément, quand vous commercialisez ce type de berceau, quelle part revient à People and Baby ou à Crèches pour tous, et quelle part revient au gestionnaire.
M. Christophe Durieux. C’est un sujet sensible et important. La part que nous nous octroyons n’est pas fixe, car elle dépend de l’offre et de la demande. Tout d’abord, le gestionnaire n’a aucune obligation de nous vendre sa place à un prix que nous lui imposerions : il a la liberté d’accepter le prix ou de le refuser. Quand nous fixons le prix, nous cherchons à garder une marge pour payer l’équipe commerciale et nos frais de siège. Toutefois, notre préoccupation n’est pas de faire de la marge mais de rendre service à un réservataire plus gros, privé ou public, qui souhaite acheter trente places. Nous lui proposons l’ensemble du réseau, y compris les partenaires, et lui nous intègre dans un appel d’offres pour nous faire un prix d’achat le plus bas possible. Ensuite, nous pouvons avoir des prix assez élevés, que nous reproposons aux partenaires ; c’est de la discussion ponctuelle, à chaque place. S’il ne reste que deux places au partenaire et qu’il considère que notre prix est trop faible, il préférera attendre une offre d’un autre gestionnaire. C’est un marché libre, qui dépend de l’offre et de la demande, et certaines associations en sont satisfaites.
M. le président Thibault Bazin. Les associations qui sont venues témoigner devant notre commission nous ont expliqué que c’était un rapport de force : elles ont absolument besoin des tiers réservataires et dépendent de vous. Il faut que vous soyez clairs dans vos réponses à la rapporteure : selon vous, les prix ne sont pas fixés par vous mais par ceux qui répondent aux marchés, qu’ils soient publics ou privés, c’est bien cela ?
M. Christophe Durieux. Oui.
M. le président Thibault Bazin. C’est tout de même vous qui les revendez ensuite.
M. Christophe Durieux. Nous essayons de les vendre au mieux. Si une petite entreprise veut une place dans un endroit précis, on va pouvoir la lui vendre plus cher.
En revanche, dans un appel d’offres portant sur 100 places, quand tout le secteur privé répond en essayant de descendre le prix pour gagner le marché, celui-ci sera 40 % moins cher. Par la suite, quand nous voulons acheter ces places, nous subissons la négociation dont nous avons été les auteurs, qui se répercute sur le prix que nous proposons au gestionnaire. C’est donc vraiment du cas par cas. Le gestionnaire n’est absolument pas obligé d’accepter : s’il estime que le prix est trop bas, parce que nous nous sommes mal débrouillés dans notre vente de places à un client tiers, il peut nous répondre que cela ne l’intéresse pas et qu’il préfère attendre un autre client plus cher. C’est un marché libre, il n’y a pas de prix fixe.
Mme Odile Broglin. Je souhaite ajouter que c’est un modèle vertueux. Les associations ont longtemps vécu sans les réseaux de crèches, avec des subventions d’équilibre. L’évolution est donc positive : une association peut désormais accueillir un enfant à la demande d’une entreprise réservataire qui paiera 5 000, 6 000 ou 7 000 euros à l’année pour un berceau auquel elle ne pouvait accéder précédemment.
Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. Vous dites que c’est un marché libre, or celui-ci est financé par de l’argent public. Qu’il s’agisse de négociation de gré à gré n’est pas une réponse acceptable, parce que l’argent public n’a pas vocation à financer de la commercialisation – même si je comprends bien qu’il en faut un peu. Ce qui est financé en principal par l’argent public, c’est l’accueil du jeune enfant. Vous comprenez donc que cette réponse ne peut pas être satisfaisante pour nous.
Je voudrais comprendre. Vous nous dites que quand vous candidatez à un marché, vous négociez un tarif avec vos entreprises et votre réseau de crèches partenaires. Dans le cadre de ce marché, une crèche de votre réseau partenaire peut refuser d’accueillir un enfant. Comment cela se passe-t-il ? Est-ce que, même dans le cadre d’un marché, le réseau partenaire ne prend pas l’engagement d’accueillir un enfant ? Cela arrive-t-il souvent ?
M. Christophe Durieux. Il n’y a pas d’engagement, car cela dépend des disponibilités du partenaire au moment où le salarié aura besoin d’une place. Des enfants arrivent tous les jours en crèche, en fonction de leur date de naissance, avec des cycles de départ tous les étés. Nous prenons l’engagement de proposer tout le réseau et de l’interroger au moment de la demande pour savoir s’il y a une place – d’où l’intérêt de disposer d’un réseau avec une offre importante. Nous proposons des choix multiples dans plusieurs villes : si nous n’avons pas de place dans la crèche qui est le premier choix du parent, on va lui proposer un deuxième choix. C’est notre maillage qui nous permet de ne pas décevoir le parent.
Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. J’insiste à nouveau : quelle est la part conservée par Crèches pour tous et quelle part revient à la structure gestionnaire ?
M. Christophe Durieux. Les parts diffèrent à chaque fois. Si vous voulez une moyenne, nous essayons, pour financer nos frais commerciaux et nos frais de siège, d’obtenir entre 2 500 et 3 000 euros. La marge entre le prix d’achat et le prix de revente représente nos frais commerciaux. C’est ce que nous visons mais nous ne l’atteignons pas souvent, parce que si on a vendu pas cher, on sait que le gestionnaire n’acceptera pas de s’aligner sur notre prix.
Depuis deux ans, nous faisons des offres plus précises à des entreprises. Nous leur proposons deux prix : si elles achètent chez People and Baby, le prix sera moins élevé que si elles choisissent – à la demande des parents – des places dans notre réseau partenaire, où le prix sera plus élevé, à 12 000 ou 13 000 euros.
Cela rejoint votre question sur la DSP, madame la rapporteure. Nous nous bagarrons pour avoir de la croissance en atteignant une taille significative nous permettant de proposer des prix mais, dans les faits, la qualité du service que l’on donne aux enfants est identique, quel que soit le type de crèches.
M. le président Thibault Bazin. Mme la rapporteure aura sûrement des questions sur la qualité mais j’en reviens à la moyenne de 2 500 à 3 000 euros. Pouvez-vous nous dire à combien elle s’élève au minimum et au maximum ? Pour être précis, vous avez parlé un peu plus tôt de 1 800 euros.
M. Christophe Durieux. Cela correspond au coût des commerciaux.
M. le président Thibault Bazin. Je comprends donc qu’il y a des frais de siège, même pour les structures que vous ne gérez pas.
M. Christophe Durieux. Il y a des frais de siège parce qu’il faut que les commerciaux aient des bureaux et des voitures.
M. le président Thibault Bazin. Le coût de commercialisation n’intègre donc que le coût des ressources humaines ?
M. Christophe Durieux. Oui, c’est le coût du salaire.
M. le président Thibault Bazin. C’est donc différent des frais de siège des structures en elles-mêmes.
M. Christophe Durieux. Oui, bien sûr.
M. le président Thibault Bazin. Cela peut aller de combien à combien ?
M. Christophe Durieux. Cela peut démarrer à 0 euro, par exemple avec un grand compte, et peut monter jusqu’à 4 000 ou 5 000 euros – mais c’est vraiment marginal.
M. le président Thibault Bazin. Vous arrive-t-il de vendre à perte, sans payer les commerciaux ?
M. Christophe Durieux. Oui, lorsqu’un grand compte achète en moyenne à 10 000 euros et que le gestionnaire ne veut pas vendre sa place à moins de 10 000 euros : cela fait donc une marge de 0 euro. Mais ce n’est pas grave, car le grand compte est globalement satisfait des trente places que nous lui proposons ; tant pis si nous ne gagnons pas d’argent avec les deux places de notre partenaire, par exemple, car nous gagnons notre part. Ce qui compte, ce n’est pas de tout rapatrier dans notre propre réseau pour optimiser la rentabilité mais de satisfaire le client dans toutes ses demandes, avec des parents satisfaits d’obtenir une place dans la crèche de leur choix.
Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. Vous n’avez pas répondu à ma question sur l’augmentation très importante des frais de siège constatée par l’Igas.
Je souhaite également revenir sur le mécanisme du Cifam. Vous indiquez que votre prix de vente moyen s’élève à 15 000 euros. Ce montant correspond, selon vous, à la moyenne de ce qui est payé par vos entreprises réservataires dans le cadre de vos marchés. S’agit-il uniquement de la partie du tiers financeur ?
M. Christophe Durieux. Oui.
Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. J’aimerais également que vous répondiez à ma question sur les frais de siège. Je ne suis pas sûre non plus que nous en ayons fini avec la question des délégations de service public.
M. Christophe Durieux. Comme toutes les entreprises, nous cherchons à avoir des frais de siège les plus bas possible. Nous sommes passés de 13 % à 12,4 % en 2023. C’est un effort colossal compte tenu de notre croissance : quand vous embauchez 200 salariés en une année, vous devez recruter une personne pour faire les feuilles de paie supplémentaires chaque mois, ce qui augmente les frais de siège en valeur absolue. Toutefois, ce qui compte, c’est le ratio des frais de siège réels. Il s’agit d’être le plus efficient possible avec nos équipes pour réduire ce ratio. Idéalement, si l’on arrive à 11 % dans deux ans, nous aurons encore progressé. Il est essentiel pour toute entreprise de réduire au maximum ses frais de siège par le biais de la productivité et de l’informatique, afin de maîtriser les coûts.
Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. Je crois que vous n’avez pas répondu sur la délégation de service public ni sur la maîtrise des coûts de fonctionnement. Afin que mes collègues puissent aussi librement s’exprimer, je vous poserai toutes mes questions relatives à la qualité d’accueil, et vous répondrez en préambule à la question sur les délégations de service public et la maîtrise des coûts de fonctionnement.
Pour commencer sur la qualité d’accueil, je voudrais citer un extrait d’un des ouvrages parus à l’automne dernier sur les conditions d’accueil des très jeunes enfants en crèche : « Non, le secteur privé n’a pas le monopole des drames et des maltraitances graves sur les enfants. Mais les centaines d’entretiens que nous avons menés nous ont en revanche confortés sur un point : ces dix dernières années, les principales alertes pour des suspicions de maltraitance, pour des accidents, pour des dysfonctionnements importants dans les crèches proviennent principalement du secteur privé lucratif. » Je vous laisserai réagir à cette citation.
La commission d’enquête n’a certes pas vocation à traiter des procédures pénales en cours, mais je ne peux pas vous avoir en face de moi sans vous interroger sur la mort dramatique d’un bébé dans une crèche de votre groupe à Lyon, en juin 2022. Il y a sans doute beaucoup de choses que vous ne pouvez pas nous révéler mais pouvez-vous néanmoins nous en dire quelques mots et surtout nous indiquer quels effets cela a eu au sein de votre groupe : y a-t-il eu un avant et un après ? Quels dispositifs avez-vous mis en œuvre pour éviter que de tels drames ne se reproduisent ? La question porte aussi sur les contrôles internes.
Pourriez-vous nous décrire votre politique de pilotage des établissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE) et de management de vos personnels de direction ? Les rapports ainsi que les ouvrages parus à l’automne dernier font état d’un glissement d’une politique centrée sur la pédagogie vers la primauté de la commercialisation des places, soumettant les directrices d’EAJE à une pression constante pour réduire les coûts et remplir les berceaux. En moyenne, combien de temps un directeur ou une directrice de crèche reste au sein de votre groupe ?
Les crèches de votre réseau font-elles l’objet de contrôles inopinés de la part de la PMI ? Votre réseau étant réparti sur tout le territoire, observez-vous des différences de pratiques entre les différents départements quant au contrôle inopiné et au contenu des contrôles réalisés ?
Enfin, certaines PMI nous ont indiqué que l’obligation faite aux établissements d’accueil des jeunes enfants de leur déclarer tout changement de personnel n’était pas respectée. Y a-t-il, dans les établissements de votre groupe, une procédure permettant de veiller au respect de cette obligation légale et êtes-vous en mesure de vérifier que chaque directrice et chaque directeur de crèche s’en acquitte ?
M. Christophe Durieux. Nous répondons depuis plus de vingt ans à un grand nombre d’appels d’offres de délégation de service public, sans les sélectionner en fonction de leur intérêt. Nous considérons que nous devons proposer notre qualité d’accueil dans toutes les collectivités, quels qu’en soient la taille et le budget. Nous nous efforçons de proposer la meilleure qualité, mais le cahier des charges des DSP est très strict pour ce qui est des diplômes et de l’encadrement, et c’est notre délégant, c’est-à-dire la ville, qui décide du niveau de qualité, par exemple du niveau d’investissement humain.
Pour ce qui concerne le cahier des charges de l’alimentation, certaines DSP exigent jusqu’à 70 % de produits bio, alors que la part fixée par la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) est de 20 %, et que notre réseau garantit depuis quinze ans 50 % de produits bio. Nous cherchons à optimiser le cahier des charges pour le mettre au niveau de notre qualité et, quel que soit le prix du marché emporté, nous délivrons le même niveau de qualité pour tous les enfants, dans un souci d’équité. Les enfants reçoivent également des cours d’anglais et de l’alimentation bio partout, quel que soit le prix. Qu’il s’agisse d’une crèche d’entreprise, d’une crèche du conseil régional, d’une crèche hospitalière, d’une micro-crèche ou d’une crèche de DSP, nous maintenons cette équité de traitement.
Quant au niveau de prix que nous parvenons à fixer dans les DSP, il dépend de ce que la commune est prête à y consacrer. Pour notre part, nous délivrons la même qualité pour tout le monde. C’est essentiel et je ne vois pas comment nous pourrions appliquer deux poids et deux mesures, car cette approche répond aux valeurs françaises de l’accueil public de la petite enfance
Mme Odile Broglin. Chaque fois que nous perdons un appel d’offres, nous demandons une analyse et, pour ce qui concerne les communes qui ont bien voulu nous répondre, nous avons perdu quarante appels d’offres en 2023 sur quarante-sept, parce que le prix que nous proposions était plus élevé que celui du gestionnaire retenu. Répondant beaucoup aux appels d’offres publics et retenus pratiquement pour tous les oraux, nous avons constaté que le critère prix n’est jamais le critère majoritaire, 60 % des critères correspondant à la qualité et 40 % au prix.
M. le président Thibault Bazin. Vous avez cependant perdu à cause du prix ?
Mme Odile Broglin. Exactement.
M. le président Thibault Bazin. Vous en déduisez que vous étiez à peu près au même niveau que les autres en termes de qualité ?
Mme Odile Broglin. Comme l’a dit Christophe Durieux, nous proposons toujours la même qualité. Notre offre correspond à nos critères.
M. le président Thibault Bazin. Ce n’était pas la question.
Mme Odile Broglin. Nous répondons toujours avec les mêmes critères de qualité, qui sont jugés plus ou moins favorablement.
M. le président Thibault Bazin. Cela signifie que vous proposez la même qualité que vos confrères.
Mme Odile Broglin. Non. Ce n’est pas ce que j’ai dit.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Comment pouvez-vous dire que le critère qualité l’emporte sur le critère prix et que vous n’êtes pas retenus en raison du prix, mais que vous n’êtes pas à égalité pour le critère qualité ?
Par ailleurs, pour ce qui concerne les délégations de service public, et au risque d’être un peu caricaturale, la qualité peut-elle être la même pour des berceaux que la collectivité est prête à payer respectivement 5 000 et 10 000 euros – à moins que les 5 000 euros d’écart ne soient du bonus, et donc pas nécessaires au fonctionnement de la structure ? On lit beaucoup de choses à propos des délégations de service public et je n’incrimine pas les gestionnaires, mais la définition du cahier des charges est centrale. Ne vous êtes-vous jamais dit que vous ne pouviez pas accepter les conditions fixées et n’avez-vous jamais refusé de candidater parce que l’équilibre économique proposé pour un contrat n’était pas tenable ?
M. Christophe Durieux. Nous ne refusons pas de candidater, mais nous le faisons avec notre prix. Comme vous l’a dit Odile, quarante délégations nous ont répondu que nous étions trop chers. Nous avons une très bonne note pour la qualité d’accueil, mais une note qui nous fait perdre pour le prix, qui est trop cher. Dans la majorité des DSP que nous perdons, l’échec tient au prix, que nous nous efforçons de maintenir pour garantir notre qualité.
M. le président Thibault Bazin. La rapporteure relevait que vous vendez tantôt à 10 000 euros et tantôt à 5 000 euros. À ce que nous comprenons, les entreprises et les employeurs publics, administration de l’État ou collectivités, n’achètent donc pas tous au même prix dans la même crèche ?
Mme Odile Broglin. C’est vrai. Dans une même crèche, des réservataires paient des prix différents.
M. le président Thibault Bazin. Cela a-t-il un impact sur la qualité ?
Mme Odile Broglin. Cela n’a pas d’impact sur la qualité. L’offre est la même. Nous n’allons pas traiter un enfant différemment dans une crèche parce que son réservataire paie plus ou moins cher.
M. le président Thibault Bazin. Et sur les autres questions de Mme la rapporteure ?
Mme Odile Broglin. Pour ce qui concerne la supposée maltraitance, le rapport de l’Igas est plus équilibré que ce que présentent les livres et les reportages qui évoquent cette question, et va bien au-delà du clivage entre le public et le privé ou l’associatif.
Je suis garante de la qualité de l’accueil et je suis sur le terrain tous les jours. S’il y a des défauts – car, comme je l’ai dit dans mon préambule, tout n’est pas rose tous les jours –, nous les identifions, les corrigeons et établissons des plans d’action. Nous avons d’ailleurs collaboré récemment avec l’Igas au nouveau référentiel qualité.
Nous appliquons des procédures très strictes, que nos professionnelles connaissent et s’engagent à appliquer. Elles sont en permanence en formation continue. Nous possédons notre propre organisme de formation, procédons à des audits et définissons des plans d’amélioration pour que les incidents et accidents soient aussi peu fréquents que possible.
Quant au meurtre que vous évoquez, l’amalgame avec les difficultés du secteur me gêne. Cet événement a été un choc, un tsunami, et j’ai tous les jours une pensée pour cette petite fille et pour sa famille. Nous n’avons pas attendu ce drame pour travailler sur la bienveillance dans le secteur de la petite enfance.
Il y a évidemment un avant et un après. Nous avons décidé, à partir de juin 2022, qu’il y aurait à tout moment deux professionnelles, y compris dans les micro-crèches, ce qui est une mesure forte. Nous avons encore renforcé nos procédures de recrutement, avec au minimum deux entretiens en physique et un questionnaire relatif aux connaissances psychosociales, avec l’appui de nos psychologues. Nous avons également décidé, dans un souci de qualité – qui a un coût –, de mutualiser une référente technique sur deux micro-crèches seulement, alors que la loi nous autorise à lui en confier un plus grand nombre. Nous avons également décidé, alors que la loi ne l’impose pas, que nos professionnels devraient avoir un diplôme – ce qui était le cas de la meurtrière.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous n’avez pas répondu à ma question qui portait sur la nature des contrôles opérés par les PMI. Faites-vous l’objet de contrôles inopinés et constatez-vous des différences selon les territoires ?
Vous n’avez pas non plus répondu à propos de l’obligation légale d’information des PMI en cas de changement de personnel et des dispositifs que vous avez déployés pour vous en assurer.
Mme Odile Broglin. Je pilote au quotidien le réseau, avec l’aide d’une équipe, et nous formons nos directions de crèche, issues de formations d’infirmière, de puéricultrice ou d’éducatrice, au management d’une équipe. À leur arrivée, elles bénéficient d’un plan d’accompagnement et de tout un processus d’intégration, puis de formations au management pour être plus à l’aise dans leur poste. Comme vous l’avez également évoqué, elles doivent aussi être gestionnaires, car la PSU impose de savoir piloter un taux de facturation ou de présence réelle, et gérer des plannings. C’est un métier difficile et nos directions de crèche sont accompagnées par des « responsables opérationnelles » locales, qui gèrent quinze structures et sont leurs managers de proximité.
M. le président Thibault Bazin. Qu’en est-il du turnover et des contrôles inopinés ?
Mme Odile Broglin. Depuis le meurtre, nous avons écrit à toutes les PMI pour leur demander de nous contrôler et de venir voir ce qui se passe dans nos crèches. Nous avons fait l’objet l’année dernière de 275 contrôles, dont la moitié étaient inopinés, sur environ 600 crèches. Nous souhaitons que toute personne qui le souhaite vienne contrôler nos crèches, car ce regard est toujours intéressant.
Nous pratiquons aussi des autocontrôles, que la direction de nos crèches est incitée à faire une fois par an au minimum, en se fondant sur la grille de contrôle de la PMI. Les directions des crèches consacrent environ 30 % de leur temps à l’administratif, mais ce n’est pas lié au privé, car il en va de même pour les crèches publiques. Nous devons les accompagner pour qu’elles puissent tout mener de front, qu’il s’agisse de la pédagogie, des relations avec les parents, du taux d’occupation ou de la gestion du bâtiment. C’est un métier difficile, je peux en témoigner.
Nous avons une procédure qui demande à nos équipes de remettre aux PMI les documents pertinents en cas de changement de personnel. Si vous posez la question, c’est qu’il a pu arriver que cela ne se soit pas fait, ou pas assez vite, mais nous avons une procédure qui oblige nos directions de crèche et nos responsables opérationnelles à mettre à jour la composition des équipes.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Quelle est la durée moyenne que passe une directrice ou un directeur de crèche au sein de votre groupe ou dans sa structure ?
Mme Odile Broglin. Nous avons beaucoup travaillé sur la fidélisation de nos professionnelles, car le métier est tendu et nous avons intérêt à les retenir. Pour la direction des crèches, le taux de fidélité et de 90 %, soit 10 % de turnover – même si nous n’aimons pas ce terme.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Cela signifie que, chaque année, 10 % des directrices de crèche quittent leurs fonctions ?
Mme Odile Broglin. Oui.
M. le président Thibault Bazin. Nous en venons aux questions des orateurs des groupes.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Madame Broglin, monsieur Durieux, je vous remercie d’être présents en tant que cofondateurs de l’entreprise. Nous avons en effet auditionné ce matin certains de vos concurrents dont les fondateurs ne s’étaient pas sentis concernés par cette audition.
Mes questions portent d’abord sur l’organisation juridique de votre activité. Vous nous avez décrit tout à l’heure quelque chose d’assez simple : outre une société, People and Baby, vous avez précisé, en réponse à la question du président relative à l’immobilier, qu’il existait une SCI, dont vous étiez également actionnaires et qui était concernée par 6 % des loyers payés par le groupe People and Baby.
Je crains cependant que les choses soient un peu plus complexes. Ainsi, je croyais que Crèches pour tous, entité juridique dont nous parlons depuis le début de cette audition, était une association fondée par People and Baby. Cette association existe-t-elle ou n’existe-t-elle plus ? Y a-t-il eu une association Crèches pour tous, dans la création de laquelle vous avez eu une responsabilité directe ou indirecte ? Pourrez-vous nous décrire les relations commerciales, les transactions financières de cette association – qu’elle exerce encore son activité ou qu’elle ne l’exerce plus – avec People and Baby, les entreprises réservataires et les parents ?
Par ailleurs, nous avons bien compris, lors des auditions précédentes, que nous n’obtenions de réponse qu’aux questions que nous posions. Je pose donc la question : au-delà de Crèches pour tous, de People and Baby et de la SCI évoquée, existe-t-il d’autres entités juridiques dont vous êtes actionnaires et qui ont un lien quelconque avec les activités de la petite enfance ? Si c’est le cas, merci de nous donner la liste de ces sociétés, associations ou autres.
M. Christophe Durieux. Nous pouvons entrer un peu plus dans le détail de l’organisation juridique, qui est cependant assez simple : au-dessus de la société historique dénommée People and Baby, on trouve le groupe qui porte nos investissements, essentiellement à l’étranger.
M. le président Thibault Bazin. Quel en est le nom ?
M. Christophe Durieux. Groupe People and Baby.
M. le président Thibault Bazin. Il a donc le même nom ?
M. Christophe Durieux. Tout à fait : Groupe People and Baby SAS.
M. le président Thibault Bazin. La structure comporte donc une société par actions simplifiée (SAS) au-dessus.
M. Christophe Durieux. C’est ça.
M. le président Thibault Bazin. Il faut clarifier.
M. Christophe Durieux. Le groupe est au-dessus de la SAS.
M. le président Thibault Bazin. Quelle est la structure juridique de chacune de ces structures ?
M. Christophe Durieux. Les deux sont des SAS. Ou peut-être y a-t-il une société anonyme (SA) et une SAS.
M. le président Thibault Bazin. Les deux sociétés ont donc le même nom ?
M. Christophe Durieux. Tout à fait.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Qui est actionnaire de qui ?
M. Christophe Durieux. Dans la société de tête, il n’y a que nous deux, et le groupe possède à 100 % toutes les sociétés qui se trouvent en dessous.
M. le président Thibault Bazin. Et quelles sont toutes ces sociétés ?
M. Christophe Durieux. Il y a, par exemple, une société qui héberge les micro-crèches, dénommée Microbaby. Quant à Crèches pour tous, ce n’est pas une société, mais une marque de distribution de places de crèche, avec une équipe commerciale propre.
M. le président Thibault Bazin. Et à qui appartient cette marque ?
M. Christophe Durieux. À People and Baby, bien sûr, à 100 %.
M. le président Thibault Bazin. À la SAS du dessus ou à celle du dessous ?
M. Christophe Durieux. Historiquement, nous avons dû créer Crèches pour tous avant la constitution du groupe au-dessus. Elle doit donc appartenir à People and Baby. Toutefois, je le répète, il s’agit d’une marque, et non pas d’une société. Il n’y a donc pas de bilan séparé.
M. le président Thibault Bazin. Pour être clair, il y a donc une SAS dénommée People and Baby puis, en dessous, une autre SAS People and Baby et, en dessous encore, plusieurs sociétés, dont Microbaby, que vous avez cité, pour les micro-crèches.
M. Christophe Durieux. C’est ça. On nous demande parfois de créer des sociétés ad hoc le temps d’une délégation de service public. Nous avons ainsi une myriade de petites sociétés correspondant chacune à une délégation, en fonction du cahier des charges, car certaines villes demandent de créer des sociétés. Tout cela figure dans un organigramme juridique. On y trouve également des sociétés que nous avons rachetées voilà trois ou quatre ans et que nous n’avons pas encore tupées. Nous cherchons en effet à simplifier l’organigramme juridique.
M. le président Thibault Bazin. Pouvez-vous traduire le terme « tupé » ? Il n’est pas certain que tout le monde ici soit spécialiste du tupage – mot tiré de la transmission universelle de patrimoine (TUP).
M. Christophe Durieux. Lorsque nous rachetons une société, nous rachetons 100 % des titres et elle devient donc une filiale à 100 % mais, pour nous, c’est encore une société séparée à gérer, ce qui impose de sortir encore un bilan supplémentaire. Dès que nous pouvons, donc, nous tupons, c’est-à-dire que nous fusionnons les deux structures pour n’avoir qu’un seul bilan à gérer. Au fur et à mesure des acquisitions que nous avons faites en France, il se peut qu’il y ait eu dans notre organigramme, voilà deux ans, une dizaine d’autres sociétés rachetées récemment et que ce nombre soit passé cette année à quinze.
M. le président Thibault Bazin. Pourriez-vous nous nous en donner la liste ?
M. Christophe Durieux. Bien sûr. C’est l’historique des rachats qui figure dans l’organigramme juridique.
Mme Odile Broglin. Pour être exhaustive, je précise que nous disposons d’un organisme de formation interne, qui a une forme associative, Enfance pour tous.
M. le président Thibault Bazin. Et qui se trouve donc sous la SA ?
Mme Odile Broglin. Non.
M. le président Thibault Bazin. C’est une association déconnectée de tout ?
Mme Odile Broglin. Oui.
M. le président Thibault Bazin. Et dont vous êtes présidente ?
Mme Odile Broglin. C’est l’entité juridique de notre organisme de formation, dont je suis présidente, certifié Qualiopi et qui héberge nos formateurs.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Enfance pour tous n’a donc pas d’autres activités que la formation professionnelle ?
Mme Odile Broglin. Dans le cadre de délégations de service public, Enfance pour tous peut être amenée à gérer des crèches et d’autres types d’établissements.
M. le président Thibault Bazin. Vous avez donc une association qui gère des crèches ?
Mme Odile Broglin. Oui. Elle gère des crèches et des relais d’assistantes maternelles – des entités juridiques.
M. le président Thibault Bazin. Pourquoi passer par cette association plutôt que par la SAS ? Vous nous dites que votre organisation est très simple, mais au fil de vos réponses, cela devient de plus en plus complexe. Est-ce pour des raisons fiscales ?
M. Christophe Durieux. Absolument pas, c’est pour des raisons politiques. Voilà déjà quinze ans, après avoir entendu, pendant sept ou huit ans, des collectivités nous dire qu’au vu de notre travail elles seraient contentes de contracter avec nous, mais qu’elles ne pouvaient pas attribuer un marché public à une société privée et qu’elles pourraient toutefois le faire si nous étions une structure associative, nous nous sommes demandé ce qui nous empêcherait de disposer d’une telle structure et nous avons donc créé notre association, qui est devenue notre organisme de formation et gère en moyenne vingt-cinq crèches.
M. le président Thibault Bazin. C’est donc une association à but non lucratif.
M. Christophe Durieux. Oui, une association à but non lucratif.
M. le président Thibault Bazin. Quels sont ses liens avec le groupe ?
M. Christophe Durieux. C’est simple : la gestion est déléguée au groupe.
M. le président Thibault Bazin. L’association gagne le marché et délègue la gestion au groupe ?
M. Christophe Durieux. Les collectivités le savent parfaitement, puisqu’elles demandent, dans le cadre de l’appel d’offres, un statut associatif.
Ce statut a aussi l’avantage de permettre de conserver la convention collective associative, à laquelle les salariés sont d’ailleurs très attachés. Depuis vingt ans, nous appliquons douze conventions collectives dans le groupe, car nous avons toujours conservé les conventions collectives historiques de tous nos salariés. Nous le faisons volontairement car nous considérons que leur historique est important et que ce n’est pas parce qu’ils changent de gestionnaire au gré des appels d’offres qu’ils devraient subir une résiliation de leur convention collective, comme nous aurions droit de le faire au bout d’un certain temps.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Le climat de nos échanges est cordial, mais je remarque que vous m’avez d’abord présenté Enfance pour tous comme un organisme de formation professionnelle et qu’il a fallu que je relance la question pour que vous m’expliquiez qu’en fait, cet organisme gère des crèches. Étant donné que j’ai encore d’autres questions à vous poser, pourrions-nous, dans la suite de la discussion, éviter ce jeu de cache-cache et pourriez-vous répondre d’une façon plus transparente aux questions ?
M. le président Thibault Bazin. Monsieur Martinet a raison : vous répondez sous serment.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je voudrais plus de détails sur Enfance pour tous. Quel est le chiffre d’affaires de cette association ? Combien de délégations de service public a-t-elle remportées ? Je ne doute pas que les collectivités concernées soient au courant, mais il serait intéressant d’avoir quelques exemples concrets de municipalités dans lesquelles ces délégations sont gérées par un groupe privé derrière cette façade associative.
Je souhaiterais également plus de détails sur le lien financier entre cette association et People and Baby. Vous nous avez dit que People and Baby assurait la gestion pour Enfance pour tous, mais je voudrais en savoir un peu plus. Quelle est la transaction ? Par qui sont employés les salariés ? Quelle est la rentabilité de cette crèche et où va-t-elle ?
M. Christophe Durieux. Nous vous communiquerons précisément ces éléments. Je ne connais pas directement le chiffre d’affaires d’Enfance pour tous.
M. le président Thibault Bazin. Avez-vous une fonction dans cette structure ?
M. Christophe Durieux. Oui. J’en suis trésorier.
M. le président Thibault Bazin. Le trésorier devrait connaître les comptes.
M. Christophe Durieux. Franchement, non. Nous ne nous occupons pas du tout d’Enfance pour tous.
M. le président Thibault Bazin. Vous en déléguez le suivi financier ?
M. Christophe Durieux. Il entre dans le traitement des 600 crèches qui sont gérées de la même façon. Les feuilles de paie, par exemple, sont établies par un service de paie qui emploie une douzaine de collaborateurs et où il doit y voir une personne qui fait les paies d’Enfance pour tous.
M. le président Thibault Bazin. En fait, toute cette organisation est très transparente.
M. Christophe Durieux. Bien sûr.
M. le président Thibault Bazin. Transparent, au sens où l’association est transparente avec la société…
M. Christophe Durieux. C’est obligatoire. Nous avons des commissaires aux comptes qui auditent tous les ans l’ensemble et qui valident les comptes de l’association.
M. le président Thibault Bazin. De combien de crèches parlons-nous ?
M. Christophe Durieux. Vingt-cinq ou vingt-huit, je ne sais plus par cœur. Il existe aussi un système de portage de salariés quand la ville concernée nous le demande. Nous sommes transparents à cet égard pour les collectivités et nous répondons à leurs demandes.
M. le président Thibault Bazin. Et tout cela est tarifé ? Entre l’association et la société, le lien est assez transparent.
M. Christophe Durieux. Obligatoirement.
M. le président Thibault Bazin. C’est une question d’interprétation ! Refacturez-vous à l’association, ou est-ce du non-dit ?
M. Christophe Durieux. La gestion des feuilles de paie fait l’objet d’une convention.
M. le président Thibault Bazin. Ce sont en quelque sorte des frais de siège refacturés à l’association gestionnaire.
M. Christophe Durieux. L’association n’a pas vocation à percevoir des frais de siège en doublon.
M. le président Thibault Bazin. La CAF a-t-elle fait des contrôles sur pièces ?
M. Christophe Durieux. Bien sûr. Ce sont des crèches comme les autres, qui sont contrôlées aussi souvent que nos autres crèches.
Mme Odile Broglin. Puisque vous avez demandé un exemple, je citerai celui de la ville de Guilers, en Bretagne, dont le maire souhaitait, politiquement, travailler avec une association. Vous pourrez l’interroger à propos de la transparence.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je n’ai pas encore tout compris. Pouvez-vous nous donner un exemple de délégation ? Imaginons que, dans la ville que vous venez de citer, l’association Enfance pour tous ait candidaté et remporté la délégation. Que se passe-t-il ensuite ? La crèche est tenue par des salariés d’Enfance pour tous, mais c’est le service des paies de People and Baby qui édite les fiches de paie ? Expliquez-nous très concrètement, comment ça marche.
Mme Odile Broglin. Les salariés sont salariés de l’association Enfance pour tous, dans le cadre notamment de la convention collective nationale des centres sociaux (Snaecso), tandis que le back-office et les fonctions support sont assurés par People and Baby et Enfance pour tous. Nos collaborateurs du siège peuvent travailler pour l’une ou l’autre entité.
M. William Martinet (LFI-NUPES). La CAF verse des subventions à l’association Enfance pour tous. Est-ce dans le cadre de prestations de People and Baby pour l’association que l’argent vous remonte ?
Mme Odile Broglin. La caisse d’allocations familiales apporte un complément PSU à la participation des familles, et c’est tout.
M. William Martinet (LFI-NUPES). J’ai bien compris, mais je m’interroge sur le lien financier entre Enfance pour tous et People and Baby. Est-il en rapport avec des prestations ? Vous avez cité les fiches de paie, mais en quoi consiste plus précisément le back-office ? Disons très franchement le soupçon qui existe : c’est que la facturation de prestations de la part de People and Baby puisse être disproportionnée par rapport à la réalité et que ce soit un moyen de vous assurer une rentabilité importante. Expliquez-nous en quoi consiste le back-office qui justifie que l’association Enfance pour tous paie People and Baby pour des prestations avec, en grande partie, de l’argent de la CAF.
Mme Odile Broglin. Le back-office comporte beaucoup de choses : la coordination – j’ai parlé tout à l’heure des responsables opérationnelles qui pilotent, managent les crèches Enfance pour tous comme les crèches People and Baby –, les formations à l’anglais que nous proposons aux équipes, d’Enfance pour tous ou de People and Baby, là aussi, des formations pédagogiques ou encore de la maintenance. Tout cela n’est possible que grâce à la force du groupe People and Baby.
M. le président Thibault Bazin. Pourrez-vous nous transmettre des comptes de structures gérées par l’association et chiffrer les « frais de siège » ?
M. Christophe Durieux. Ils sont très concurrentiels. Une association qui a quelques crèches aurait un ratio bien supérieur si elle devait payer des frais de siège propres – il faudrait une personne pour la paie, par exemple – et elle ne bénéficierait pas de la force du groupe en matière d’achats, qui nous permet d’avoir du bio, grâce à nos volumes, à un prix raisonnable. Une association ne pourrait jamais avoir, seule, des prestations de la même qualité.
M. le président Thibault Bazin. La question de la facturation est très intéressante, y compris sous l’angle des deniers publics. Le taux que vous pratiquez est, grosso modo, de 12 % pour un coût moyen de 24 000 euros : est-ce bien cela ?
M. Christophe Durieux. Il s’agit de DSP : le coût est variable. Il faudrait regarder DSP par DSP.
M. le président Thibault Bazin. Mais le taux est-il toujours de 12 % ?
M. Christophe Durieux. Oui, cela correspond à nos frais de siège, en coûts globaux.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Si j’ai bien compris, il n’y a pas plus de 12 % ou 12,5 % du budget de l’association Enfance pour tous qui est versé à People and Baby : cela ne va pas plus loin ?
M. Christophe Durieux. Oui, il y a des frais de siège, qui sont proportionnels au nombre de berceaux et dépendent de la même clef de répartition que dans les crèches People and Baby, ce qui est logique.
Pour chaque crèche – je ne sais pas si c’est vrai ailleurs –, nous demandons aux commissaires aux comptes une certification, qu’il s’agisse de petites structures associatives regroupant quelques crèches ou de nos crèches et micro-crèches. Nous en faisons un point d’honneur. Les contrôles des commissaires aux comptes coûtent entre 1 800 et 2 000 euros. Ils ont lieu chaque année, pour toutes nos crèches.
M. le président Thibault Bazin. En même temps, quand on touche plus de 25 000 euros d’argent public par structure, on est tenu de respecter un certain nombre de règles.
M. Christophe Durieux. Il n’y a pas d’obligation en la matière : nous faisons cet effort volontairement, et nous communiquons les résultats aux CAF.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je passe à un sujet différent. Il y a un peu plus de quinze ans a commencé une affaire de licenciements abusifs pour discrimination syndicale au sein de People and Baby qui, malheureusement, vient seulement de se conclure. Cette affaire concerne une crèche parisienne qui, si je ne me trompe pas, était en gestion associative avant d’être reprise par People and Baby : l’évolution des méthodes de management liée au changement de gestionnaire a provoqué un mouvement social, et le licenciement de plusieurs jeunes femmes a eu lieu dans ce cadre. Je tiens, d’une certaine façon, à leur rendre hommage, parce qu’elles ont sans doute été les premières lanceuses d’alerte, il y a quinze ans, quant à la privatisation de la petite enfance. Elles ont contesté leur licenciement devant les prud’hommes, qui leur ont donné satisfaction – ils ont reconnu la discrimination syndicale –, mais le groupe People and Baby s’est engagé dans ce que j’ai du mal à appeler autrement qu’une forme d’acharnement judiciaire, puisque toutes les voies de recours possibles ont été utilisées, jusqu’à la Cour de cassation, et que l’affaire dure depuisquinze ans.
Des jeunes femmes se sont ainsi trouvées menacées de devoir rembourser les sommes qu’elles avaient perçues à la suite du jugement des prud’hommes, ce qui les aurait mises dans une très grande difficulté financière, tout cela pour que la Cour de cassation leur donne finalement raison – la discrimination syndicale a bien été reconnue. Pourquoi un tel acharnement contre ces anciennes salariées de People and Baby ? Par ailleurs, qu’avez-vous changé dans votre management et votre organisation pour vous assurer que de tels faits, de discrimination syndicale, qui sont graves, ne se reproduisent plus ?
M. Christophe Durieux. Cette affaire, vous l’avez souligné, remonte à quinze ans. L’entreprise en avait alors cinq : nous avions une petite culture des relations avec les partenaires syndicaux et peu de salariés. Sur le fondement d’une loi de M. Sarkozy qui permettait à des syndicats minoritaires de s’autoélire, une collaboratrice membre de la CNT, la Confédération nationale du travail, s’est autoélue et est devenue un partenaire social. Nous avions la possibilité de dire non et d’organiser des élections, mais nous lui avons souhaité la bienvenue : nous n’avions pas de syndicats, et nous avons considéré que ce commencement en la matière, qui était normal pour des raisons de nombre, était formidable. Nous avons donc accueilli avec beaucoup de bienveillance cette personne de la CNT, qui s’était autoélue sur la base de la nouvelle loi.
Ensuite, les relations se sont rapidement dégradées, car nous avons pris peur en raison de la démission, en quelques mois, de trois ou quatre directrices d’affilée, qui n’arrivaient pas à piloter une professionnelle en particulier ainsi que trois autres. Nous avions de bons rapports avec elles, mais elles mettaient au vote toutes les décisions des directrices pour savoir si elles devaient les appliquer. Nous nous sommes aperçus que les conditions d’hygiène et de sécurité n’étaient pas respectées, parce que les directrices n’arrivaient pas à l’obtenir, et nous nous sommes dit que notre rôle premier était de protéger les enfants. Nous avons donc décidé de nous séparer, d’un coup, de quatre professionnelles. C’était le premier sujet social que nous avions à traiter, alors que nous avions déjà une trentaine ou une quarantaine de crèches, et nous avons découvert à marche forcée les relations syndicales et sociales. Celles-ci ont été un peu tendues : nos bureaux parisiens ont notamment été envahis pendant quarante-huit heures. Pour nous, néanmoins, l’élément principal était de préserver l’intégrité de la crèche.
L’affaire a effectivement duré très longtemps. Nous avons été condamnés en première instance, puis ce sont les professionnelles en question qui l’ont été. Comme vous l’avez dit, le jugement a été cassé et l’affaire va donc repartir en appel, vraisemblablement. Nous souhaiterions qu’elle se termine à l’amiable, car c’est une très vieille histoire et nous avons de très bons rapports avec tous les syndicats. Nous faisons un métier qui est dans l’humain et, surtout, nous sommes une entreprise familiale qui n’est absolument pas contre les syndicats. Cet épisode a été très formateur : il nous a beaucoup apporté en ce qui concerne les relations avec les partenaires sociaux, mais ce fut un moment un peu dur, un baptême du feu un peu difficile.
Mme Odile Broglin. Il s’agissait d’une halte-garderie faisant l’objet d’une délégation de service public avec la ville de Paris, laquelle a renouvelé trois fois sa confiance à People and Baby, malgré cette difficulté.
Mme Anne Bergantz (Dem). Un groupe nous a fait remonter la répartition, dans les grandes lignes, du coût de revient des berceaux dans le cadre d’une DSP. Vous nous direz si vous êtes d’accord avec les chiffres qui nous ont été donnés : 33 % au titre de la PSU, 21 % pour les familles et 46 % pour les tiers réservataires, soit, compte tenu du prix de revient que vous avez indiqué – 24 258 euros par berceau –, 11 158 euros.
Ce groupe, que nous avons auditionné ce matin, disait avoir très peu de DSP, car il n’acceptait pas des prix de revient par berceau inférieurs à un certain montant, qui est de 5 000 euros. Vous avez indiqué qu’un quart de vos berceaux faisait l’objet d’une DSP, ce qui est significatif. Suivez-vous une règle dans le cadre des marchés portant sur des DSP, c’est-à-dire avez-vous un prix minimum en dessous duquel vous ne voulez pas aller ? Quel est, dès lors, le montant, et pouvez-vous préciser s’il inclut ou non le loyer ? Les conditions des DSP peuvent, en effet, être différentes selon les cas.
Je reviens sur l’achat de places de crèches à des partenaires, notamment associatifs, pour le compte d’entreprises, ce qui est, d’après ce que je comprends, le travail de Crèches pour tous. Nous entendons des choses un peu différentes selon les auditions. Vous avez dit qu’il s’agissait d’un marché libre, ce que je peux entendre, et vous avez également évoqué une marge allant de 2 500 à 3 000 euros, voire, au maximum, 4 000 euros. On nous a dit que le chiffre pouvait varier du simple au double – il pourrait atteindre, par exemple, 6 000 euros pour une facturation de 12 000. Je ne dis pas que cela concerne vos crèches, mais que cela peut arriver. Est-ce le cas pour People and Baby ?
Vous avez décidé qu’il y aurait deux professionnelles dans vos micro-crèches quel que soit le nombre d’enfants accueillis, alors que la loi ne vous y oblige pas, ce qui est vrai. Avez-vous, cependant, diminué l’amplitude horaire pour des raisons de rentabilité ?
M. Christophe Durieux. S’agissant de Crèches pour tous, le prix moyen est d’environ 3 000 euros. La répartition qui est faite permet de couvrir l’ensemble des coûts commerciaux et des frais de siège et correspond à la plus-value économique apportée à des équipes qui n’ont pas de force de vente, de capacité de contacter des employeurs et de faire tout un travail de prospection et d’éducation autour du dispositif du crédit d’impôt.
Nous ne faisons pas d’exceptions qui se traduiraient par des prix déconnectés de la réalité ou des marges énormes. Le gestionnaire accepte ou refuse le prix : il n’a aucune obligation d’accepter ce que nous lui proposons, essentiellement en fonction du prix de vente auprès des employeurs.
Mme Anne Bergantz (Dem). Les montants que j’évoquais ne peuvent donc pas aller du simple au double ? Pouvez-vous répondre par oui ou non ?
M. Christophe Durieux. Non, ils ne peuvent pas aller du simple au double.
Mme Odile Broglin. Vous avez également posé une question sur la présence de deux professionnelles à tout moment dans nos micro-crèches. C’est un minimum, bien sûr, et nous n’avons pas réduit les horaires en théorie. Il arrive, néanmoins, dans des secteurs très tendus ou en raison de l’absentéisme, qu’une professionnelle ne vienne pas travailler. Dans ces cas-là, en raison d’un manque de personnel, il peut arriver qu’on réduise ponctuellement les horaires, mais nous mettons tout en œuvre pour que les crèches restent ouvertes onze heures par jour en moyenne.
Mme Anne Bergantz (Dem). Vous n’avez pas répondu à ma première question. Quel est le prix en dessous duquel vous ne voulez pas aller ? Par ailleurs, quel est le niveau moyen des prix par berceau que vous facturez dans le cadre des DSP, selon qu’il y a un loyer à payer ou non ?
M. Christophe Durieux. Je ne connais pas la stratégie des autres acteurs.
M. le président Thibault Bazin. Répondez pour vous.
M. Christophe Durieux. Nous ne pouvons pas dire qu’il existe un prix minimum. De toute façon, le prix n’est pas connu : c’est nous qui le fixons au niveau que nous voulons. Une ville lance un appel d’offres, reposant sur un cahier des charges qui ne comporte pas de prix minimum. Nous fixons notre prix selon le niveau de qualité que nous souhaitons. Nous avons ainsi perdu cinquante DSP l’année dernière en raison de prix trop élevés.
M. le président Thibault Bazin. Ne mélangeons pas deux sujets : celui des DSP et celui des berceaux pour les collectivités locales et les administrations publiques. Là vous avez forcément un prix minimum, en dessous duquel vous vous dites que vous n’irez pas.
M. Christophe Durieux. Non, on ne nous impose pas un prix.
M. le président Thibault Bazin. D’accord, mais qu’en est-il quand tel ministère dit qu’il veut réserver cent places ?
M. Christophe Durieux. Il ne nous donne pas de prix. C’est à nous d’en décider. Nous déterminons le prix que nous souhaitons : il n’est pas fixé dans le cahier des charges. Le but de l’appel d’offres est justement d’avoir le meilleur prix. La présentation selon laquelle un prix serait annoncé par le client est fausse : il s’agit d’appels d’offres. C’est nous qui décidons du prix et le jeu de concurrence fait ensuite que nous remportons ou non l’appel d’offres – il y a aussi la question de la qualité de l’offre qui joue.
M. le président Thibault Bazin. On nous dit qu’un acteur n’y va pas parce que le prix est trop bas.
M. Christophe Durieux. Je ne vois pas comment : qui fixerait le prix ? Ce sont des appels d’offres.
Mme Anne Bergantz (Dem). Je reprécise les choses. Il est question d’un groupe qui s’interdit de répondre en dessous d’un prix qu’il considère, quant à lui, absolument compatible avec la qualité de l’offre. Il y a bien un moment où, vu ce que vous nous avez dit, il existe un prix en dessous duquel vous ne pouvez pas aller, pour une DSP, dans le cadre de votre réponse.
M. Christophe Durieux. Nous ferons une offre comportant un prix. Ensuite, nous serons peut-être sélectionnés dans le cadre d’une short list, comportant un autre prestataire, pour un oral. Là, les acheteurs nous diront qu’il faut baisser notre prix et c’est peut-être à ce moment-là, pour répondre à votre question, que nous dirons que nous ne baisserons pas le prix ou alors que nous accepterons de le baisser un peu, mais pas en dessous de notre prix de revient, en effet.
M. le président Thibault Bazin. Vous n’allez donc pas en dessous de quel prix ? Je relaie la question d’Anne Bergantz, qu’elle vous a déjà posée plusieurs fois.
M. Christophe Durieux. Cela dépend de la redevance, du loyer et du cahier des charges. On ne peut pas dire, par exemple, que c’est 5 000 euros. Chaque délégation de service public est différente. Il y a parfois une très grosse redevance à payer, pour les loyers, pour la ville ou pour l’hôpital, alors qu’il n’y a pas de loyer dans d’autres cas. Nous pouvons décider de ne pas baisser le prix pour préserver la qualité, même si nous avons déjà fait des efforts, parce que nous nous sommes dit que nous avions déjà trois crèches dans une ville et qu’une quatrième serait dès lors plus facile à gérer qu’ailleurs, où il serait un peu plus compliqué de s’implanter pour des raisons de coordination, de ressources et de frais de livraison, lesquels seraient plus élevés. C’est aussi une question de maillage – en cas de synergies locales, nous pouvons faire des efforts, mais pas ailleurs –, de relation avec les équipes lors de la visite de la crèche et d’envie ou non de faire un prix. C’est libre, encore une fois.
M. le président Thibault Bazin. Nous avons compris que nous n’aurions pas de réponse – c’est variable.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Ma première question fait suite à des remarques qui ont déjà été faites. J’ai lu plusieurs extraits de livres et d’enquêtes journalistiques qui vous mettent vraiment en cause du fait de votre fonctionnement, de votre management et de vos pratiques en matière de prix. Selon un témoignage, en effet, « Christophe Durieux arrivait en hélico et après il négociait avec ses fournisseurs à la baisse le prix du repas, des couches. » « Je lui avais dit : ‟commercialement, ça ne se fait pas, un truc comme ça, c’est impossible ˮ, fulmine encore un collaborateur ». On note aussi qu’il y a beaucoup de conflits dans votre parcours et votre stratégie de développement, avec des représentants syndicaux, du personnel ou des fournisseurs. Vous avez eu un conflit avec une association, Saperlipopette, qui vous louait, je crois, des locaux. Je vous remémore tous ces mauvais souvenirs pour vous poser une question simple : diriez-vous que vous avez développé votre groupe sur la base d’une stratégie assez agressive, vis-à-vis du personnel comme de vos partenaires, et que cela a pu engendrer de la maltraitance au sein de vos lieux d’accueil de la petite enfance ?
J’en viens à la stratégie d’optimisation du système existant que vous semblez avoir mise en place. Nous ne sommes pas le fisc, et nous ne contrôlons donc pas vos montages financiers, mais nous nous interrogeons beaucoup sur le modèle économique que vous avez développé au fil des années, car il est totalement différent de tout ce que nous avons vu jusqu’à présent. Même les deux autres groupes que nous avons auditionnés aujourd’hui n’ont rien à voir avec votre modèle.
Je suis étonnée. Nous vous avons interrogés au sujet de votre organisation pour savoir, car cela intéresse les élus de la République que nous sommes, s’il y a un surfinancement du secteur privé lucratif, c’est-à-dire si l’argent public sert à procurer des bénéfices indus. Il est normal de faire un bénéfice dans le privé, mais le système n’est-il pas trop coûteux pour le contribuable ? C’est ce que nous essayons de comprendre. Vous nous avez dit que vous aviez un groupe d’investissement nommé groupe People and Baby. Par ailleurs, People and Baby Sasu (société par actions simplifiée unipersonnelle) fait de la crèche. Une autre société, People and Baby Développement, fait de la commercialisation de places, mais vous ne l’avez pas dit tout à l’heure.
M. le président Thibault Bazin. Cela ne va pas, monsieur Durieux. Quand nous vous posons des questions, il faut répondre jusqu’au bout. Vous vous exprimez sous serment.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Nous essayons de comprendre votre système. Les chiffres d’affaires ne sont pas négligeables – 90 millions, voire plus, en 2023 dans un cas, et 30 millions d’euros dans un autre. Ce sont d’énormes sommes d’argent, en grande partie public.
Vous nous avez expliqué que Crèches pour tous était une marque, qui sert, si j’ai bien compris, de vitrine pour la commercialisation de People and Baby Développement. Vous affichez 3 300 crèches sous cette marque, dont environ 600 en propre et 2 600 en partenariat. Tout cela doit être relié, en réseau.
Vous avez dit n’avoir qu’une seule SCI, People and Baby, mais je vois que vous en détenez d’autres à titre personnel, l’un et l’autre, qui ont souvent le même siège, avenue Foch. Vous avez, tous les deux, de très nombreuses sociétés. Je ne vous demande pas d’en faire la liste maintenant, tant il y en a, mais nous essayons de voir le lien qui existe entre elles, pour comprendre votre modèle économique. Vous avez, madame, plusieurs SCI – vous aussi, monsieur, et vous êtes d’ailleurs liés pour la plupart de vos activités. Pouvez-vous nous dire si d’autres SCI pratiquent des locations ?
Je vous pose des questions pour essayer de comprendre, et vous êtes tenus d’y répondre. Notre président vous demandera peut-être des documents complémentaires pour nous permettre de saisir jusqu’où tout cela peut aller.
J’ai également trouvé – cela correspond peut-être à des crèches que vous avez fermées, mais compte tenu du nombre de salariés de certaines structures, on se dit que ce ne sont pas de petites crèches de quarante ou cinquante enfants, ou peut-être que si, mais vous nous le direz – des sociétés nommées Zazzen et Aulexane. Vous répondrez peut-être que vous les avez fermées, mais elles réalisaient quand même beaucoup de chiffre d’affaires, en matière d’assistance maternelle et de garde à domicile. Vous allez donc au-delà des crèches : vous avez développé toutes les activités de la petite enfance, la formation, que vous vendez clés en main à des collectivités par l’intermédiaire de votre association Enfance pour tous, des projets de crèches également vendus clés en main, mais aussi la garde à domicile et l’assistance maternelle. Si vous avez fermé Zazzen et Aulexane, vous avez peut-être d’autres structures du même type.
Tout cela vient de sites internet : toute ma base est là – c’est Google qui m’aide, je n’ai pas d’autres sources. Ce que j’essaie de comprendre par mes questions, c’est jusqu’où va l’empire People and Baby et où va l’argent public. Vous avez peut-être un résultat nul, voire négatif, à la fin des fins, mais l’argent a tellement tourné… Ou peut-être pas : expliquez-nous votre modèle économique. Vous êtes les seuls à avoir monté un tel système. Dites-nous ce que vous faites de l’argent public, comment vous vous développez et comment vous fonctionnez. Faites-le très sincèrement. Notre président vous demandera des documents.
M. le président Thibault Bazin. Ce sera la rapporteure, compte tenu de ses fonctions.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Pardon, madame la rapporteure.
Nous saurons ce qu’il en est, et il vaut donc mieux le dire devant la commission d’enquête. Je suppose, de toute façon, que vous êtes dans la légalité. Nous ne vous reprochons pas d’avoir commis des choses forcément illégales – ce n’est pas notre job. Ce que nous essayons de comprendre, c’est la façon dont nous pouvons défendre l’intérêt public même si vous optimisez tous les moyens à votre disposition, ce qui peut se concevoir.
M. Christophe Durieux. Je vais essayer de vous rassurer.
M. le président Thibault Bazin. N’essayez pas de nous rassurer. Quand nous vous demandons quel est l’ensemble de vos sociétés et que vous ne les mentionnez pas toutes, je dois vous rappeler que vous nous répondez sous serment. On ne dit pas toute la vérité quand on commet des omissions. Nous ne sommes pas là pour satisfaire notre curiosité intellectuelle : c’est une commission d’enquête. La rapporteure vous a posé des questions auxquelles vous n’avez pas nécessairement apporté des réponses, mais vous avez dit que vous alliez nous transmettre des éléments. Nous nous autoriserons, en fonction de ces éléments, à mener d’autres auditions. Répondez maintenant à Mme Chikirou, sur l’ensemble des points.
M. Christophe Durieux. L’ensemble des structures juridiques est conséquent et volumineux – c’est lié à nos rachats. Zazzen et Aulexane, que vous avez mentionnés, sont ainsi des groupes que nous avons rachetés. Une fois que les fusions ont été réalisées, les coquilles ont été refermées. Nous avons réalisé tous les ans des acquisitions de sociétés dont vous retrouverez les noms dans notre organigramme juridique.
M. le président Thibault Bazin. Et qu’en est-il de la société People and Baby Développement ?
M. Christophe Durieux. C’est une société clef.
M. le président Thibault Bazin. Mais que fait-elle ?
M. Christophe Durieux. Elle porte l’ensemble de l’équipe commerciale et bénéficie du Cifam. Cela fait partie des éléments que nous avons transmis hier soir, en toute transparence. Comme vous l’avez dit, tout est public, déclaré au greffe et visible. Vous l’avez vu, vous-même, sur Google.
Nous ne faisons pas de garde à domicile. La société Zazzen avait une branche garde à domicile et une branche crèches : nous avons racheté la dernière, mais nous l’avons fait disparaître puisque nous l’avons intégrée dans le groupe.
J’ai omis, en effet, de parler de People and Baby Développement, mais aussi de peut-être trente autres petites sociétés qui ont été rachetées et ne sont pas entièrement tupées. Je ne sais pas moi-même exactement où en sont les fusions : ce sont des processus administratifs qui prennent du temps et avancent au gré des possibilités. Voilà ce que je peux vous répondre.
Je vais vous dire aussi ce que nous faisons de l’argent public, d’une façon assez claire : nous ne nous versons pas de dividendes et nous avons volontairement des salaires très raisonnables. Surtout, nous souhaitons tout réinvestir, comme nous le faisons depuis vingt ans.
Nous nous sommes, par ailleurs, endettés pour financer des travaux : même si les CAF versent des subventions, il faut apporter les deux tiers du total et donc aller chercher des crédits bancaires. Nous portons ainsi sur nos épaules le poids d’une dette qui a permis de créer 11 000 places en France, ou 8 000 si on retire les délégations de service public, et 6 000 emplois au minimum – je ne parle pas, bien sûr, des autres pays.
Voilà ce que nous avons fait pendant vingt ans. Nous avons une mission globale de service public : nous gérons des crèches pour des villes, ainsi que des professionnelles qui sont d’anciennes collaboratrices de villes ou de crèches hospitalières. Nous n’avons pas une feuille de route issue de directives financières de fonds d’investissement. C’est notre grande différence : nous avons la liberté d’y aller ou non, de faire ou de ne pas faire. Nous n’avons pas de contraintes, puisque nous n’avons pas d’obligations : que notre chiffre d’affaires augmente de 40 % ou de seulement 5 % l’année prochaine, c’est à notre main. Nous souhaitions avoir cette liberté qui nous permet de garantir l’intégrité de tout ce que nous faisons.
S’agissant des fusions, je ne pourrai pas citer l’ensemble de notre organigramme, mais je m’engage à vous le fournir dans les plus brefs délais. Vous verrez qu’il est effectivement conséquent – je vous avais parlé des deux sociétés de tête, mais il faut aussi prendre en compte les fusions.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Ce qui m’intéresserait vraiment, ce serait de voir si vous fonctionnez en circuit fermé, avec des refacturations d’une société à l’autre. J’ai vu que vous aviez aussi une société de communication : cela n’a peut-être rien à voir, mais je me demande si vous êtes comme LVMH, qui assure tous les services possibles et imaginables, y compris la communication.
Le groupe People and Baby n’est pas une Sasu, mais une société par actions simplifiée, ce qui veut dire qu’il y a plusieurs actionnaires. Êtes-vous, tous les deux, les seuls ? Il n’y a pas de fonds présents ?
N’oubliez pas les autres questions, notamment celle relative à l’existence d’une stratégie agressive. Expliquez-nous aussi les liens financiers ou commerciaux entre chacune de vos sociétés.
M. Christophe Durieux. Il ne faut pas nous voir comme un énorme groupe parce que nous avons connu du succès dans notre développement – cela peut effectivement impressionner…
M. le président Thibault Bazin. Répondez aux questions.
M. Christophe Durieux. Je ne voudrais pas qu’il y ait une diabolisation : nous développons, nous faisons de la qualité, nous ne versons pas de dividendes et nous investissons 100 % des fonds publics. Nous cherchons à les « optimiser », en effet, en accueillant le maximum d’enfants en une même place.
M. le président Thibault Bazin. Répondez aux questions portant sur vos sociétés.
M. Christophe Durieux. Vous avez évoqué une agence de communication. C’est mon ancienne société, antérieure à People and Baby, qui avait deux salariés – elle n’a désormais plus d’activité – et s’appelait People&Business. Nous sommes partis de son nom pour créer celui de People and Baby, mais cette société n’existe plus. Il n’y a pas de « circuit fermé » et nous ne sommes pas du tout LVMH.
Pour ce qui est des SCI que vous avez vues, Odile doit avoir un studio à Paris, que nous avons acheté pour nos enfants dans le cadre d’une autre SCI. J’ai, moi aussi, acheté deux studios et l’appartement de ma tante à Paris. Cela fait l’objet d’une SCI qui n’a rien à voir avec les crèches. La réponse que nous avons faite tout à l’heure les concernait, en revanche.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Ne nous racontez pas votre vie privée.
M. le président Thibault Bazin. N’avez-vous qu’une seule SCI pour porter les 4 % que vous avez évoqués ? Je ne parle pas des SCI liées à des conventions de service public prenant la forme d’une concession.
M. Christophe Durieux. Nous avons deux SCI.
M. le président Thibault Bazin. Hors DSP.
M. Christophe Durieux. C’est inclus.
Je le redis, par ailleurs, les comptes sont publics.
M. le président Thibault Bazin. La rapporteure vous demandera de transmettre tous ces éléments afin que nous puissions les vérifier.
M. Christophe Durieux. Bien sûr.
M. le président Thibault Bazin. Et s’agissant de l’agressivité de votre développement ?
M. Christophe Durieux. Je ne vois pas trop ce qu’on pourrait relever à ce sujet. Nous avons un métier qui est concurrentiel, il faut donc être actif. Qu’il puisse y avoir, compte tenu du volume des collaborateurs que nous avons eus, une minorité montrant de l’animosité et qui pourrait parler d’agressivité dans des interviews, c’est un point de vue et je le respecte, mais nous ne faisons pas un métier dans lequel on peut fonctionner en étant agressif. On ne peut pas avoir connu notre développement en ayant des méthodes agressives : ce serait un peu simple et ce n’est pas la qualité première.
Mme Odile Broglin. C’est un métier de ressources humaines et nos équipes sont derrière nous. En France, on voit toujours les trains qui n’arrivent pas à l’heure et les journalistes aiment bien, pour vendre des livres, mettre en avant de tels exemples, mais cela ne correspond pas à la réalité de notre terrain, ni à celle des professionnelles qui travaillent avec nous. Elles ont, je l’ai dit, l’embarras du choix pour ce qui est des employeurs, mais elles viennent travailler chez nous avec plaisir.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Vous avez été membres, mais vous ne l’êtes plus, de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC), dont nous avons déjà entendu parler. Quel est votre point de vue à son égard ?
Vous travaillez beaucoup avec les collectivités. Vous avez d’ailleurs souligné que vous vous étiez adaptés à leur marché, comme on le dit en langage capitaliste. Avez-vous dans votre structure, puisque vous ne bénéficiez pas des formidables services de la FFEC, un pôle ou un service de lobbying pour essayer d’exercer une influence ?
M. Christophe Durieux. J’ai participé au montage de la FFEC, il y a quinze ans, avec trois autres acteurs que, j’imagine, vous avez entendus. Nous avons décidé de quitter cette fédération parce que les rapports n’y étaient pas cordiaux et, pour nous, pas assez orientés vers des questions telles que les conventions collectives et la petite enfance. C’était, effectivement, un organisme de lobbying. Nous ne sommes pas bons dans ce domaine – nous ne savons pas faire, franchement. Nous avons donc rejoint la FESP, la Fédération du service aux particuliers, qui est un organisme beaucoup plus large, comptant beaucoup de crèches. Nous sommes très actifs dans le cadre de la FESP, qui fait un excellent travail.
M. le président Thibault Bazin. Nous l’auditionnerons également.
M. Christophe Durieux. Vous vous ferez donc votre opinion.
Nous ne sommes pas du tout doués en lobbying et nous n’avons pas de relations politiques en général. Nous vivons notre vie.
M. le président Thibault Bazin. Nous arrivons au terme de ces deux heures d’audition au cours desquelles j’ai essayé de donner à mes collègues la possibilité de rebondir au maximum sur leurs questions.
Je vous le dis avec une profonde gravité, les éléments que vous avez transmis hier soir à la rapporteure n’apportaient pas les précisions attendues en ce qui concerne l’architecture de votre groupe. Je vous invite vraiment à répondre aux questions de la rapporteure. Nous ne nous interdirons pas, en fonction des réponses que vous apporterez, de revenir sur ces aspects. Ce que vous avez fait conduit à une situation désagréable et qui pose un problème – pour ne pas dire plus.
S’il y a des éléments que vous n’avez pas portés à notre connaissance malgré nos questions, c’est-à-dire si vous avez commis des omissions, je vous intime de nous transmettre ces éléments dans les vingt-quatre heures. Si nous découvrons d’autres choses, nous donnerons des suites. Je le dis devant tout le monde, cette réunion étant retransmise en direct, quand nous posons des questions, il faut nous apporter toutes les réponses. Vous avez prêté serment de dire toute la vérité et rien que la vérité. Il faudra donc nous transmettre les éléments demandés par la rapporteure. Qu’on ne fasse pas croire à la commission que nous les avons reçus hier soir : la rapporteure n’a pas eu ce qui était attendu.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous avez indiqué à propos de People and Baby Développement que votre réponse était présente dans les éléments transmis hier soir. Or, je vous le dis, elle n’y figurait en aucun cas. Nous avons demandé, je le rappelle, à avoir très rapidement des éléments sur certains sujets, que nous avons à peu près tous évoqués lors de nos échanges, mais nous vous avons laissé davantage de temps pour nous fournir d’autres éléments dont la collecte, nous le comprenons tout à fait, est plus longue.
S’agissant des questions relatives à l’architecture de votre groupe, nous avons découvert, notamment, l’existence de People and Baby Développement au cours de cette audition, après vous avoir posé des questions à plusieurs reprises. Il a fallu que des collègues ici présents vous interrogent individuellement pour que nous apprenions l’existence de certaines de vos structures, ce qui pose quand même, vous le reconnaîtrez, un vrai problème quand on a prêté serment.
M. le président Thibault Bazin. Je vais lever la séance, notamment parce que nous devons respecter une équité entre les groupes. Je remercie mes collègues pour leurs questions, très complémentaires, qui nous permettent de mener vraiment notre travail de commission d’enquête.
La séance est levée à 17 heures 10.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 15 heures
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Sophia Chikirou, Mme Virginie Lanlo, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli