Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de Mme Florence Dabin, présidente du conseil départemental de Maine et Loire, vice-présidente de Départements de France chargée de l’enfance et présidente du GIP France Enfance Protégée, Mme Laurette Le Discot, conseillère Enfance et Famille à Départements de France, et Mme Violaine Blain, directrice générale adjointe de France Enfance Protégée 2
Mardi 26 mars 2024
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 25
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 11 heures.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné Mme Florence Dabin, présidente du conseil départemental de Maine‑et‑Loire, vice-présidente de Départements de France chargée de l’enfance et présidente du GIP France Enfance Protégée, Mme Laurette Le Discot, conseillère Enfance et Famille à Départements de France, ainsi que Mme Violaine Blain, directrice générale adjointe de France Enfance Protégée.
M. le président Thibault Bazin. Chers collègues, nous recevons ce matin les représentants de l’Assemblée des Départements de France (ADF) en la personne de Mme Florence Dabin, présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire depuis 2021 et vice-présidente de Départements de France en charge de l’enfance. Elle est accompagnée par Mme Laurette le Discot, conseillère Enfance et Famille à Département de France et par Mme Violaine Blain.
Mme Dabin préside également depuis sa constitution en janvier 2023, le groupement d’intérêt public (GIP) France Enfance protégée. Une mission lui a été confiée par le Gouvernement en juillet 2023 sur la qualité de l’accueil et la prévention de la maltraitance dans les crèches. C’est à ce titre que Mme Blain accompagne Mme Dabin.
Le lien avec notre commission d’enquête est évident, mais j’insiste sur le fait que Mme Dabin est auditionnée ce jour en tant que représentante de Départements de France pour échanger sur les missions des départements et des services qui leur sont rattachés, en premier lieu les services de protection maternelle et infantile (PMI).
Avec la rapporteure, nous avons rencontré sur le terrain des services de PMI de différents conseils départementaux. Nous avons eu des échanges très intéressants notamment sur les questions de la qualité, afin d’aborder cette audition.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mmes Florence Dabin, Laurette Le Discot et Violaine Blain prêtent serment.)
Je vous invite à répondre à nos questions sans omission et sans que nous ayons besoin de vous relancer.
Je vous cède immédiatement la parole pour un rapide propos liminaire.
Mme Florence Dabin. Merci, monsieur le président. Madame la rapporteure, mesdames et messieurs, je voulais partager le rôle majeur du département dans le domaine de l’enfance. Il intervient en effet à différentes étapes et compte un très grand nombre de professionnels compétents, engagés, passionnés et parfois assez peu reconnus dans le domaine de la protection maternelle et infantile, dans la prévention, dans le soutien à la parentalité, mais aussi dans l’aide sociale à l’enfance. Ce champ mobilise en effet de nombreux acteurs : une compétence décentralisée certes, mais qui implique des actions adaptées à chacun des territoires. Le jeune enfant est extrêmement fragile et mérite cette haute protection. Il est ce que les parents ont de plus précieux et il génère naturellement des inquiétudes. L’absence ou la rareté des modes de garde peut conduire certains couples à renoncer ou à ajourner leur projet d’enfant.
Dans ce contexte, il convient de prendre soin d’offrir différentes solutions aux parents soucieux de concilier vie privée et familiale avec vie professionnelle.
Je voudrais rappeler qu’on ne garde pas les enfants : on les accueille et on les accompagne dans leur développement et leur épanouissement. Pendant près de 20 ans, j’ai eu la chance d’être professeure des écoles, notamment en maternelle. Je porte donc une attention particulière au bien-être des enfants. Aussi, le sujet du projet pédagogique ainsi que celui des équipements et des activités doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
La mort d’un enfant tué dans des conditions atroces par un agent d’une crèche de Lyon a créé cet électrochoc. De nombreux livres et témoignages en ont découlé. Un premier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), il y a un an, a donné un éclairage sur la situation actuelle, en révélant des failles. La maltraitance en soi n’est pas généralisée, mais certains cas sont mal identifiés et le sujet doit être traité pour rétablir la confiance des parents et assurer la qualité de service.
Le Gouvernement a donc lancé plusieurs missions : une mission sur l’amélioration du circuit de signalement que j’ai l’honneur d’animer avec Violaine Blain et Alexandre Pascal ; une mission sur les micro-crèches, menée conjointement par l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Igas ; enfin, une mission sur la création d’un référentiel qualité, un guide de contrôle, un guide d’évaluation et un socle des compétences professionnelles.
Naturellement, nous partagerons en temps et en heure, dans la foulée de l’avancée des travaux, l’ensemble des informations que nous avons pu commencer à récolter. En tout cas, nous avons la certitude qu’il faut remettre les professionnels au cœur de toutes les préoccupations de cet enjeu. Il faut pouvoir les former correctement, leur donner des solutions pour évaluer leurs pratiques, les accompagner dans leur vie professionnelle, dans leur choix, afin que, d’une certaine manière, ils gardent l’envie et qu’ils n’éprouvent plus sans cesse le besoin de se questionner sur leur engagement au quotidien.
Le contrôle est nécessaire, mais il doit intervenir dans un second temps, quand le mécanisme de prévention est opérationnel. Depuis quelques mois, nous avons pu visiter une quinzaine de départements et avons reçu de nombreux retours aux questionnaires envoyés.
Tous les métiers de l’humain et des services à personne connaissent une désaffection et un manque de vocations. Les professionnels qui sont au cœur du quotidien de chaque enfant sont en tension. Le sujet est souvent abordé. Les personnes sont débordées et ne peuvent prendre le recul et la hauteur nécessaires pour analyser leurs pratiques, avec les risques de comportements non conformes aux exigences professionnelles qui négligent la formation.
Toute la chaîne peut être impactée. Nous avons ainsi, à de nombreuses reprises, constaté que des directeurs étaient insuffisamment formés et que le passage d’éducateur de jeunes enfants ou de puériculteur à celui de directeur nécessitait naturellement une formation ad hoc. Certains directeurs font également face à des pénuries au sein même de leur structure et viennent compenser ces absences de professionnels : ils se mettent à gérer des difficultés au détriment du programme pédagogique, de l’animation, du lien avec les professionnels. Et pourtant, ils ont un rôle clé. C’est au directeur que remontent les difficultés, et surtout, c’est le directeur qui décide de faire appel ou non à un accompagnement au sein du groupe, en mobilisant notamment la PMI.
Notre mission a également mis en lumière la grande diversité des offres sur le territoire, avec parfois des surconcentrations de solutions sur certains secteurs, ce qui pose la question de la répartition et de l’adéquation entre offre et demande.
Nous constatons par ailleurs une montée en puissance des micro-crèches, le recul des crèches publiques, un passage au privé par la délégation de service public (DSP) et un effondrement des crèches familiales.
De nombreux acteurs interviennent sur le contrôle, en particulier le département, via la PMI. Il est toutefois fort regrettable de n’être parfois associé qu’à ce versant du contrôle alors qu’il existe également tout un travail de prévention qui accompagne les professionnels des structures, et naturellement les parents.
Les deux missions se complètent, mais peuvent aussi dissuader certains de solliciter la PMI, qui est véritablement associée au contrôle. Certains n’osent pas libérer la parole, partager avec humilité et simplicité un questionnement, voire même une fragilité, de peur que, dans la foulée, un contrôle soit déclenché. C’est la raison pour laquelle nous travaillons à dissocier l’accompagnement et la prévention du contrôle, en estimant que ce serait une manière sans doute plus performante et bienveillante de prendre soin de nos professionnels et de susciter des vocations chez certains.
Évidemment, de nombreux efforts restent à accomplir, notamment s’agissant des recrutements. Nous avons un besoin crucial, voire vital, de professionnels dans le domaine de la PMI. Pour ma part, je dispose d’un seul équivalent temps plein (ETP) pour 200 à 250 structures. En tant que présidente de département, cette situation ne me satisfait pas et ne convient pas aux valeurs et aux projets que nous déployons.
Ce sujet est partagé par différents départements. Le contrôle peut également être dispensé par l’État via la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS), mais malheureusement, tout le monde ayant fort à faire sur différentes missions, il y a un manque de personnes, de technicité et également sans doute de connaissances liées à la pratique, d’où la nécessité d’échanges.
Il est absolument nécessaire de bien travailler ensemble : lorsque nous sommes amenés en Maine-et-Loire à devoir fermer une structure, il est important de voir à quel point le travail collaboratif du département et de la DDETS permet une réactivité face à la gravité de certains faits.
Je pourrais également rappeler le rôle de la Caisse d’allocations familiales (CAF) dans le secteur de la petite enfance. Les relations avec les PMI sont très hétérogènes en fonction des territoires, des projets, des personnes et, j’ose le dire, des envies et de l’antériorité des relations. Selon les territoires, les réalités sont bien différentes.
Je terminerai mon propos introductif en soulignant l’envie de travailler de concert pour donner davantage de moyens financiers et humains aux PMI.
M. le président Thibault Bazin. Vous avez évoqué les difficultés à pourvoir les postes de PMI. Faute de moyens humains, quels arbitrages opérez-vous et quelles priorités ciblez-vous sur la politique de contrôle dans votre département ? Ces choix ont-ils évolué depuis un an, notamment à la suite des faits qui ont été révélés au sujet des crèches ?
Vous avez mentionné un certain nombre de travaux et de réflexions en cours dans le cadre du groupe de travail que vous pilotez à l’échelle nationale. À ce stade, que préconisez-vous en termes de gouvernance ? Quelles modifications législatives ou réglementaires proposez-vous pour améliorer les modèles de qualité d’accueil de nos jeunes enfants ?
Mme Florence Dabin. Forte de mon expérience en tant que professeure des écoles et élue, j'ai vu à quel point il était important d’augmenter les moyens dans le domaine de la prévention. C’est la raison pour laquelle, depuis deux ans et demi, nous avons un budget beaucoup plus conséquent dédié à la prévention, avec des actions définies avec nos professionnels.
Avec beaucoup de simplicité, chaque année, nous évoluons de manière à être en mesure d’évaluer ce que nous avons mis en place entre le moment où nous définissons une enveloppe budgétaire très importante avec la création d’une dizaine d’ETP dans le domaine de la prévention, et la manière dont nous les affectons en raison de difficultés de recrutement. Nous avons la volonté, nous avons le budget, mais nous rencontrons une difficulté de recrutement. Nous avons également la volonté d’accélérer sur le sujet de la PMI, faisant le constat que, sur une première année de mandat, nous sommes loin de tout maîtriser. Dans le cadre de la mission nationale qui m’a été confiée, j’ai eu la chance de recueillir de nombreux témoignages, dans la Somme, la Côte d’or et les Bouches-du-Rhône, pour ne citer que ces exemples, que j’ai envie de partager.
Sur la manière de fonctionner en dehors des investissements financiers, dans un contexte que nous connaissons tous en tant qu’élus, comment avons-nous procédé ? Nous avons décidé que l’investissement dans le domaine des solidarités devait rester une priorité avec un objectif, qui est d’accentuer la prévention parce que nous savons qu’il s’agit d’une forme d’investissement, pour ne pas avoir ensuite à intervenir sur le versant de la protection. Nous préférons prévenir, même si, de facto, la société nous amène à gérer la protection. Nous voulons éviter ce choc. Dans tous les cas, le placement est une déflagration pour l’enfant et pour la famille.
Je crois beaucoup en la décentralisation, en créant un lien avec les territoires, en travaillant de concert avec les communes. Je suis en relation de proximité, car je connais par cœur les besoins de mon territoire et la sociologie des différentes communes. Il faut leur offrir la liberté et ne pas faire un copier-coller car, en fonction des territoires, la situation n’est pas la même. Il faut aussi prendre en compte les évolutions des familles, avec de plus en plus de familles monoparentales, étudier les situations de vie et les besoins financiers. Il nous faut travailler en respectant cet équilibre. La logique n’est pas que financière. Il est essentiel de recruter, car il nous faut soulager les PMI de manière à ce qu’elles puissent se consacrer vraiment à l’essence même de leur métier, à condition que nous ne passions pas notre temps à compenser ce qui ne peut pas être fait ou qui n’est pas fait comme cela devrait l’être.
Il est donc important de créer un lien de confiance avec la CAF et les services de l’État. J’évoquais précédemment la notion de « travail collectif » : il faut créer une union qui permette d’offrir aux familles différents dispositifs qui leur correspondent sans avoir de frein financier, d’avoir des professionnels qui continuent à croire en leur métier et surtout de pouvoir recruter. Ce n’est pas tout de parler d’attractivité des métiers de l’humain à tout bout de champ et depuis longtemps. Il nous faut travailler les formations très sérieusement. Il nous faut penser à ces jeunes qui veulent s’engager dans ces métiers ainsi qu’à celles et ceux qui sont en reconversion professionnelle.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Merci d’être parmi nous, car votre audition était très attendue dans la mesure où les départements compétents en matière de PMI jouent un rôle clé dans l’architecture institutionnelle en charge de la petite enfance et en particulier dans le contrôle de l’offre d’accueil du jeune enfant en crèche.
Je me permets de revenir tout d’abord sur les échanges que nous avons pu avoir avec Départements de France en amont de cette audition. J’ai été surprise d’apprendre que Départements de France n’avait pas été en mesure de faire parvenir le questionnaire que j’avais préparé, à l’attention de leurs services de PMI, et plus surprise encore de l’apprendre une dizaine de jours après que nous vous ayons courtoisement demandé de le faire. Nous avons finalement pu entre-temps adresser ce questionnaire à tous les départements de France sous format papier, mais la démarche aurait pu être grandement facilitée si vous nous aviez transmis les adresses mail de chaque département membre de votre association. Je suis certaine que tous les députés de la commission seront heureux de comprendre pourquoi cette coopération n’a pas été possible. C’est assez dommage, vous en conviendrez, et j’espère que les échanges que nous aurons ce matin seront plus constructifs.
Le rôle des départements est effectivement majeur dans le contrôle du respect de la qualité d’accueil dans les crèches, puisqu’ils sont garants des conditions d’accueil du jeune enfant au sein de ces établissements. Concernant les octrois d’agrément, comment les départements accompagnent-ils les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) tant en matière de prévention de la maltraitance que d’éradication des douces violences ?
Vous avez évoqué un budget dédié à la prévention. Pouvez-vous en dire davantage ?
Le rapport de l’Igas recommande une amélioration de la politique de contrôle des EAJE mise en œuvre par les départements. Pouvez-vous nous indiquer quels sont les travaux menés par les départements pour améliorer ces contrôles ? Certains travaux portent-ils sur l’élaboration d’un schéma commun de mise en œuvre de ces contrôles ? Quelle part des EAJE est contrôlée chaque année, approximativement ? Quelle part des contrôles est exercée de manière inopinée ? Sur quels faisceaux d’indices se basent les PMI pour cibler ces contrôles ? Auraient-elles besoin d’avoir accès à d’autres types d’informations pour affiner le ciblage des contrôles ?
Il nous a beaucoup été dit que les contrôles s’effectuaient en suivant un cahier des charges très attaché au bâtimentaire, aux questions d’hygiène et de sécurité plutôt qu’à la qualité de l’accueil. Qu’en pensez-vous ? Existe-t-il un mécanisme unifié de remontée des signalements dont sont informés tant les parents que les professionnels ? Si oui, pouvez-vous nous le détailler ?
Que pensez-vous de l’idée d’établir un guide national de suivi de ces signalements ?
Mme Florence Dabin. Je n’avais pas l’information sur le fait que vous aviez rencontré des difficultés pour diffuser votre questionnaire. Cela tient peut-être au fait que les questionnaires étaient adressés directement à chaque département, et que Départements de France n’a pas d’autorité sur eux. Sachez néanmoins que nous avons fortement incité chaque département à répondre. J’ai déjà reçu quelques retours m’indiquant que le questionnaire était relativement dense. Pour ma part, j’y vois l’envie de « faire bouger les lignes ».
M. le président Thibault Bazin. Nous tentons de mener une enquête.
Mme Florence Dabin. Exactement, et c’est la raison pour laquelle vous ne devez avoir aucun doute sur notre volonté de coopérer.
Il est vrai que les contrôles portent davantage sur l’aspect bâtimentaire, l’hygiène et la sécurité. J’avoue trouver extrêmement regrettable que l’on soit davantage « tatillon », voire plus qu’exigeant, sur ces questions. L’exigence est normale, car les parents confient leur bien le plus précieux, mais j’ose espérer que la majorité des contrôles ne porte pas sur ces sujets.
Pour autant, j’aimerais qu’il y ait également des mots positifs pour reconnaître la qualité de la grande partie des professionnels. Il est extrêmement douloureux qu’en raison de quelques drames (qui doivent être dénoncés et ne jamais se reproduire), on vienne jeter un certain discrédit sur l’ensemble des professionnels. Certains d’entre eux sont déjà en souffrance par manque de moyens, par manque de recrutement, et ne sont pas reconnus dans leur métier. Aussi, le contrôle doit être dosé.
Dans la quinzaine de départements que nous avons visités, nous avons rencontré des professionnels disponibles, qui travaillent un projet, prennent le temps de l’échange avec les parents, qui s’adaptent à l’endroit où ils sont recrutés, car certaines structures, malheureusement, n’apportent pas la même qualité.
En ce qui concerne les circuits de signalement, chaque parent qui confie son enfant reçoit une information sur ce point. Dans nos échanges avec les professionnels, nous leur avons demandé : « Que faites-vous si vous rencontrez la situation ? » Certains n’ont pas été en mesure de nous répondre, ce qui est un problème. Ce sujet devrait être l’une des priorités. Fort heureusement, la plupart ont répondu : « Je contacte la PMI ». Il serait intéressant que ce point soit inscrit dans le livret remis aux parents (si ce n’est pas le cas), pour que les parents soient bien informés.
Il faut un certain courage. Pour autant, certains professionnels n’osent pas, car ils ignorent quelle instance est concernée.
Mme Violaine Blain. Dans le cadre de notre mission, en termes de méthodologie, nous sommes allés effectivement visiter une quinzaine de départements et nous avons également envoyé un questionnaire avec un taux de réponse d’environ 40 % qui nous offre une certaine vision de la manière dont ce circuit s’opère. Il est intéressant de constater que les professionnels sont organisés dans les départements pour traiter le recueil de l’alerte et les suites qui lui sont données. Pour autant, ce circuit est très peu visibilisé, comme le soulignait le rapport de l’Igas. La question de la visibilité est importante, c’est-à-dire de l’information autour de ce circuit, de la responsabilité des uns et des autres, en particulier des professionnels, mais bien évidemment aussi des parents, d’exprimer les constats qu’ils peuvent faire en s’appuyant sur une ligne directrice la plus claire possible.
Nous allons essayer de proposer un circuit et des modes de communication relativement simples pour rappeler vers qui se tourner lorsque l’on constate des actes ou des omissions d’actes qui porteraient atteinte aux enfants. Il conviendra de mieux formaliser le processus afin que le pilotage et la visibilité de l’action concernée soient plus efficients.
À ce jour, dans nos échanges avec les conseils départementaux, ces questions ne sont pas traitées de manière très visible. Les tableaux de pilotage et de recensement des événements peuvent être renforcés et/ou améliorés. La remontée de ces événements passera par la capacité à recenser d’une manière partagée par l’ensemble des territoires ces événements afin d’en avoir une lecture beaucoup plus unifiée qu’elle ne l’est aujourd’hui, en l’absence d’observatoire ou de lieu permettant de recenser l’ensemble de ces résultats.
Mme Florence Dabin. Je souhaiterais rappeler l’importance du service public de la petite enfance. Nous croyons beaucoup aux interactions entre tous les professionnels e. Il existe un véritable besoin d’aller vers, de se livrer, de savoir où aller chercher l’information. Soit par méconnaissance, soit par manque de temps, on constate parfois une difficulté à faire passer certains messages. Certes, les départements sont amenés à donner un avis ou une autorisation en fonction du statut. Il est important que nous soyons plus nombreux pour questionner les pratiques des professionnels.
En France, les parents se satisfont parfois d’avoir trouvé une solution pour accueillir leur enfant sans se questionner sur le projet pédagogique de la structure d’accueil. Certaines de ces structures communiquent extrêmement bien, alors que pour d’autres, il existe la difficulté de l’entre soi. Certains professionnels refusent de se former, même s’ils savent que des formations sont dispensées. Ou alors, ils veulent bien se former, mais sur une tablette pendant le temps de la pause méridienne, à condition que la structure n’accueille pas trop d’enfants. Cette situation me dérange. Il est compliqué d’être dans l’entre-soi et qu’il n’y ait pas suffisamment de contrôles. Or il est important d’avoir suffisamment de recul pour questionner sa propre pratique et suivre les évolutions du cadre réglementaire.
C’est la raison pour laquelle le comité départemental, en lien avec le préfet et ses services, permet d’avancer sur le sujet du suivi de l’enfance. La formation existe, mais le cadre doit être resserré pour que les drames du passé ne se reproduisent plus, pour légitimer davantage les professionnels et pour faire en sorte que ceux qui sont plus fragiles dans leur pratique soient à la hauteur de la mission qui leur est confiée.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je voudrais que nous puissions rentrer dans le détail. Je conçois tout à fait que des parents, en recherche d’une solution d’accueil pour leur enfant, se satisfassent souvent de ce qu’ils trouvent et ne portent pas forcément l’attention qu’ils devraient sur les modalités d’accueil et sur le projet pédagogique porté par l’établissement. Dans l’architecture institutionnelle telle qu’elle a été établie, la responsabilité de valoriser ou, au contraire, d’identifier les défaillances d’un projet pédagogique porté par un établissement d’accueil, revient aux départements. La question de la prévention et donc de l’accompagnement et de la formation continue des professionnels est assurément un sujet important.
Pouvez-vous m’indiquer, en moyenne, le montant que cela peut représenter sur le plan budgétaire pour un département qui veut s’emparer pleinement de ces questions ?
Dans quelle mesure devons-nous définir un plan de contrôle avec des contrôles annoncés ou inopinés ? Comment les deux types de contrôle s’articulent-ils ? Doivent-ils porter sur des éléments différents ? Le contrôle de façon inopinée qui se déroule mal peut-il conduire à d’autres contrôles qui seront annoncés ?
Ces questions sont très importantes pour améliorer la situation dans les départements, sachant qu’il s’agit d’une compétence décentralisée et que la réponse n’est pas unique.
Mme Florence Dabin. Je suis désolée, mais je ne serai pas en mesure de vous apporter une réponse chiffrée précise sur le budget de formation. Je ne manquerai pas, dans le cadre des éléments que je dois porter à votre connaissance, de vous le dire très précisément, et je l’étofferai de témoignages recueillis sur le terrain.
En ce qui concerne la prévention, l’accompagnement et la formation, la volonté est que l’action soit permanente. La formation continue est essentielle. Ce point revient systématiquement dans toutes les missions partagées avec les professionnels, à l’exception de certains.
Sur la question des contrôles, il existe des critères qui permettent de donner l’agrément, l’autorisation d’ouvrir, d’agrandir ou de faire évoluer le projet. Des contrôles sont également mis en œuvre à la suite de dénonciations, ou après un rapport rédigé suite à des dysfonctionnements découverts. Nous avons confiance, certes, mais la confiance est limitée. Il nous faut davantage de professionnels disponibles pour échanger régulièrement, au-delà du contrôle. Il ne s’agit pas de contrôler plus scrupuleusement, mais plus régulièrement. Sur ce point, je vous donnerai également des chiffres. La fréquence des contrôles dépend aussi de la typologie des départements.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. J’aimerais un retour de votre part sur les dérives les plus graves et celles qui sont le plus fréquemment observées par les services de PMI. Ces dérives concernent-elles plus spécifiquement un secteur (privé, associatif ou public) ?
S’agissant du contrôle des casiers judiciaires des personnels de crèche, pouvez-vous nous en expliquer le fonctionnement ? Avez-vous connaissance de difficultés dans la mise en œuvre de ce contrôle ? Selon vous, l’instauration d’une carte professionnelle pour tous les personnels de crèche permettrait-elle de mieux contrôler le parcours individuel de ces personnels ?
La question de la ressource humaine est le nerf de la guerre. Pouvez-vous nous indiquer combien d’agents de PMI en moyenne par département sont affectés au contrôle des établissements ? Nous sommes également preneurs d’un nombre minimum et d’un maximum. Existe-t-il un ratio par nombre d’habitants et par département qui permette de considérer que les besoins humains de la PMI sont satisfaits ? Est-il exact que certains départements n’ont aucun agent expressément dédié au contrôle, alors que d’autres départements ont déployé une équipe spécialement dédiée à cet effet ? Dans ce cas, quels en sont les résultats ?
Quelles sont les qualifications des personnels chargés de ces contrôles ? Des personnes qualifiées dans d’autres domaines que la médecine seraient-elles, selon vous, en mesure de procéder à ces contrôles ? Si oui, cela permettrait-il de diversifier les profils et également les sources permettant de répondre aux besoins ? Selon vous, cela permettrait-il aussi de sortir d’une approche hygiéniste des contrôles ?
Mme Florence Dabin. Les dérives sont diverses et ne sont pas liées au statut privé ou public. Nous rencontrons des difficultés dans toutes les structures d’accueil. C’est la raison pour laquelle il faut faire attention à ne pas stigmatiser un établissement plutôt qu’un autre. Nous avons de moins en moins d’établissements publics en raison d’une évolution de la société vers des horaires d’ouverture atypiques. Parfois, nous avons plus d’enfants que de professionnels ad hoc. C’est une réalité.
Par ailleurs, à vouloir une rentabilité au mètre carré, la qualité d’accueil du jeune enfant pose néanmoins question. Il est complètement anormal de constater que, parfois, la cour où le pseudo-jardin est en plein soleil. Où sont le bien-être et le confort des enfants, notamment lorsqu’ils dorment ? Par ailleurs, le besoin de qualité d’air et de respiration n’est pas neutre. Un professionnel ou un parent doit se questionner : « Ai-je envie d’y travailler du matin au soir, et ce, pendant un temps certain ? » Et : « Suis-je prêt à y confier mon enfant ? »
Madame la rapporteure, je vous rejoins. Les départements sont responsables. Il faudrait davantage questionner le sens de la pratique professionnelle plutôt que de parfois frôler l’obsession bâtimentaire.
Sur les qualifications requises, je suis totalement favorable à davantage de souplesse sur la capacité à contrôler. Je ne vois pas comment véhiculer un climat serein et professionnel dans les établissements en sachant que l’on n’a qu’un ETP. Des personnes seraient extrêmement intéressées mais comme elles ne sont pas diplômées ce n’est pas possible. Pour moi, c’est une véritable solution.
De la même manière, le sujet de la formation, et notamment de la formation continue, pour travailler dans ces établissements est aussi à questionner. En effet, accompagner un enfant à grandir, ne signifie pas simplement l’accueillir du matin au soir. Il est important de ne pas minimiser l’engagement qui est le leur, car des vies leur sont confiées.
Le sujet du casier judiciaire n’est pas toujours évident, car la logique est souvent d’aller le plus vite possible, comme cela m’a été rapporté.
La carte professionnelle fait partie des vœux qui ont été prononcés lors des différents échanges avec certains professionnels.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Confirmez-vous l’existence de départements qui n’ont pas d’ETP dédié ? Avez-vous un retour d’expérience sur des équipes qui seraient spécialement dédiées au contrôle ?
Mme Florence Dabin. Je ne peux pas confirmer ce point, car il n’a pas été porté à ma connaissance. Les départements sont nombreux à ne pas avoir suffisamment de personnes dédiées, c’est une réalité.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. S’il existe un ratio de nombre de contrôleurs par nombre d’habitants, cette information nous serait utile pour apprécier si les moyens humains affectés par un département sont pertinents ou pas.
Quel retour pouvez-vous nous faire sur les modalités de coordination des différents acteurs de la petite enfance, au niveau local, mais également au niveau national ? Votre association est-elle régulièrement consultée par le ministère en charge de la politique de la famille et de la petite enfance, en lien avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ?
Certains départements ont-ils établi des mécanismes d’articulation spécifiques de ces compétences en matière de petite enfance, et notamment en matière d’aide sociale à l’enfance ? Ont-ils pu développer une stratégie d’approche transverse, par exemple en s’appuyant sur les crèches du territoire, pour sensibiliser les parents des enfants qui y sont accueillis à des enjeux en matière de protection et de développement de l’enfant, pour ce qui est par exemple du risque d’exposition aux écrans ? Avez-vous connaissance de coopérations renforcées où les départements s’appuient sur les crèches du territoire pour accueillir des enfants en difficulté à leur domicile ou pour lesquels une information préoccupante a été donnée ? S’agissant des dispositions législatives qui viennent d’être adoptées, que pensez-vous de la création du service public de la petite enfance et de l’architecture de responsabilité qui en découle, avec la commune comme autorité organisatrice et les départements pour le contrôle ?
Mme Florence Dabin. Concernant la gouvernance, il convient de réaliser un travail de confiance avec toutes les communes afin de bien identifier leurs besoins, qui diffèrent selon que l’on est une ville, avec un tissu économique et des horaires atypiques, ou une commune plus rurale. Il faut étudier la manière dont les projets communaux peuvent être intégrés aux établissements d’accueil des jeunes enfants dès le début d’un projet de vie, avec une sensibilisation particulière dès que la maman informe de sa grossesse. En cela, la synchronisation des services municipaux et départementaux est importante, même si chacun est à sa place. Les départements restent à leur place pour étudier les agréments et les autorisations des lieux d’accueil. Toutefois, la prise de conscience nous amène à questionner notre propre pratique afin de mettre en place des actions concrètes qui nous permettent à court, moyen et long termes, d’apporter des solutions qui soient efficaces tant pour les enfants, les familles que les professionnels. En effet, nous savons que nous serons de plus en plus amenés à travailler ensemble.
Les liens avec l’État et le préfet fonctionnent extrêmement bien. Les départements sont désormais renforcés dans leur capacité à fermer un établissement. Les comités départementaux de protection de l’enfance se sont installés dans un certain nombre de départements, ce qui permet de réunir tous les acteurs dans le domaine de la protection de l’enfant, dès sa conception, de manière à sensibiliser à la fois l’éducation nationale, les partenaires dans le domaine de la protection, le secteur judiciaire.
S’agissant des formations, il est important, quel que soit le milieu d’accueil, de comprendre la typologie familiale, car certains milieux sociaux demandent une plus grande vigilance. Nous encourageons les établissements à créer des soirées ou des matinées thématiques pour sensibiliser les familles ; certains le font. Il n’est sans doute pas évident, au début, de savoir comment nourrir son enfant, de connaître l’équilibre alimentaire, d’appréhender la toxicité des écrans, le besoin de partager des jeux de société avec ses enfants, de prendre le temps de la lecture, de se promener avec l’annonce du printemps. Ce sont des éléments très concrets qui permettent d’accompagner la parentalité.
Cela fait le lien également avec des actions engagées par les relais d’assistantes maternelles dans les communes, par les services de prévention dans les départements et par les établissements, qu’ils soient publics et privés. C’est la raison pour laquelle, forts de tous les témoignages récoltés, une attention sera portée pour inciter aux bonnes pratiques que nous pouvons partager afin de trouver ensemble des réponses qui ne soient pas que coûteuses, mais optimales, dans l’intérêt des enfants.
M. le président Thibault Bazin. Madame Blain, je vous propose de compléter rapidement afin que nos collègues puissent poser des questions.
Mme Violaine Blain. Sur l’organisation des départements et notamment la composition des équipes, la collectivité européenne d’Alsace, par exemple, gère le contrôle de près de 17 000 places en accueil collectif et a mis en place une équipe dédiée composée essentiellement d’éducatrices de jeunes enfants, avec des puéricultrices et des médecins. Cette organisation vient éclairer une autre approche qu’une approche purement sanitaire qui est d’aborder la question des pratiques professionnelles d’une manière sans doute plus large.
Le département de Loire-Atlantique a organisé, au sein même de son budget, un fléchage dédié notamment à l’accueil des enfants en situation de handicap, en finançant des ETP d’assistante sociale, mais aussi en organisant l’accueil d’enfants dont les parents présentent des difficultés liées à la parentalité, à des difficultés sociales et éducatives diverses, pour assurer des places réservées à l’accueil de ces enfants.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Madame Dabin, vous nous dites qu’il ne faut pas pointer du doigt, voire stigmatiser, un type de gestionnaire ni un type de structure en particulier. Vous nous dites cela au lendemain de la publication du rapport de l’Igas et de l’IGF sur le sujet des micro-crèches. Or nous savons que 75 % des micro-crèches sont gérées par des gestionnaires privés lucratifs. Ce rapport est extrêmement critique à l’encontre des micro-crèches. Le principe d’une micro-crèche est d’être dérogatoire aux règles en matière de qualification des professionnels, d’encadrement des enfants, ainsi que de personnels de direction et de leurs compétences. Il s’agit d’un outil de dérégulation mis en place il y a maintenant plus de dix ans, pour développer l’accueil en crèche en milieu rural. Or les micro-crèches se développent en milieu urbain. Par effet d’aubaine, les acteurs privés lucratifs ont trouvé un moyen de créer des places moins chères tout en maximisant leur profit.
Dans la synthèse du rapport, il est écrit : « L’application simultanée des normes minimales autorisées dans les micro-crèches ne permet pas de garantir une qualité d’accueil satisfaisante et peut être constitutive de risques », alors que vous semblez affirmer le contraire. Je rappelle qu’à travers les PMI, votre rôle est de vérifier que la qualité de l’accueil est au rendez-vous.
Je vous avoue mon inquiétude quant au travail réalisé sur le terrain et sur le fait que cette qualité de l’accueil soit bien garantie.
Je rappelle que la PMI et le président de département peuvent demander au préfet une fermeture administrative de micro-crèche lorsqu’ils estiment que les enfants sont en danger. J’ai effectué un rapide recensement dans la presse locale des récentes fermetures administratives : deux fermetures administratives le 3 novembre à Tours ; une le 9 décembre dans le Morbihan ; une le 22 décembre à Nancy ; une le 23 décembre ; une le 27 décembre dans le Val-d’Oise ; une le 19 février près de Reims, etc.
Avez-vous des chiffres consolidés qui nous permettent d’identifier si les risques sont plus importants dans les micro-crèches gérées par des gestionnaires privés que dans d’autres structures ? L’Igas semble le penser et ce recensement semble le prouver. Or vous êtes la seule à affirmer qu’il n’y a pas de problème particulier. Pourriez-vous réagir sur ce point ?
Mme Florence Dabin. Je n’ai en aucun cas affirmé qu’il n’y avait pas de problème particulier. J’ai dit qu’il y avait des difficultés dans un certain nombre de structures. C’est mon témoignage. Maintenant, j’ai une certitude : plus les établissements d’accueil de jeunes enfants ont une grande latitude à pouvoir accueillir des enfants, plus il est important de travailler la formation. En effet, lorsqu’on laisse à l’établissement une grande latitude d’application et d’ouverture, avec une formation plus légère, cela peut malheureusement conduire à des dérives.
Comme vous, j’ai lu le rapport de l’Igas. C’est ce qui fait que nous sommes là ce matin, la raison de notre travail depuis des mois : faire que tout le monde s’empare du sujet dans les territoires et qu’on ne laisse une trop grande liberté aux acteurs. Avant même d’envisager le contrôle par les professionnels du département, il faut rappeler que ces structures privées ont besoin d’une autorisation pour ouvrir. D’où l’importance de disposer d’un référentiel national pour être plus exigeant lorsque l’autorisation d’ouverture d’un établissement est donnée. Sinon, nous aurons des travers ultérieurs et par conséquent des fermetures administratives. Le modèle questionne, j’en ai moi-même fait l’expérience das mon département. Pour autant, il y a sûrement des établissements qui doivent faire leur travail correctement.
J’insiste : en aucun cas, je n’ai affirmé qu’il n’y avait pas de problèmes particuliers, bien au contraire. Il faut avoir une très grande vigilance à tous points de vue. On clame volontiers que le sujet de l’enfance est une priorité, et elle l’est assurément à bien des égards. Mais il ne suffit pas de la clamer, encore faut-il que tout le monde y aille de concert et s’empare des sujets de l’encadrement, de l’accompagnement, de la formation, de la parentalité, de la prévention au sens large, de la valorisation des métiers, de l’attractivité, de la reconnaissance, pour que puissent être proposées des structures qui correspondent aux souhaits des parents. Certains parents souhaitent un système tel qu’une micro-crèche. Charge à l’ensemble des acteurs de leur garantir que ce type de structure est à la hauteur du professionnalisme qui doit régir l’ensemble du secteur, quelle que soit la structure.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Il est clair que les professionnels souhaitent se former. Personnellement, dans tous mes déplacements de terrain et mes rencontres, j’ai rarement vu des secteurs avec autant de demandes de la part des professionnels d’avoir du temps de dégagé pour pouvoir profiter de l’évolution des connaissances scientifiques, effectuer des échanges de pratiques, etc.
Depuis des années, les pouvoirs publics ont organisé la déqualification de ce métier. Pour prendre un exemple, si un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) « petite enfance » demande 120 heures de formation qui peuvent s’effectuer en ligne, et qu’en même temps on peut ouvrir une micro-crèche avec 100 % de personnes diplômées d’un CAP « petite enfance », ce sont les pouvoir publics qui ont rendu cela possible.
À quel moment une professionnelle dans une crèche peut-elle faire de l’échange de pratiques ? C’est pendant la pause méridienne ou pendant que les enfants font la sieste. En permanence, un enfant se réveille, et il faut quitter la réunion pour s’en occuper. L’autre solution, c’est le soir à la fermeture de la crèche. Certains professionnels ont travaillé la journée et effectuent des heures supplémentaires. D’autres se connectent à distance, car ils ne souhaitent pas faire un aller-retour pour deux heures de formation. Tout le monde doit avoir conscience des conditions de formation des professionnels de la petite enfance.
Notre commission d’enquête, dans ses recommandations, devra demander que du temps soit dégagé pour la formation des professionnels. En effet, aucun autre métier n’accepterait de telles conditions pour réaliser sa formation continue.
M. le président Thibault Bazin. Madame Dabin, vous avez évoqué la création d’un référentiel national pour être plus exigeant. Très concrètement, avez-vous le curseur des exigences attendues ?
Mme Florence Dabin. Nous sommes justement en train de travailler sur le sujet, à la fois avec les acteurs et Départements de France.
Les missions en cours relatives aux modes d’accueil des jeunes enfants sont : le financement des micro-crèches, les dispositifs d’alerte, la place des parents dans les crèches et le référentiel d’accueil dans les crèches. Les sujets traités, parmi d’autres, sont : le développement de l’enfant, l’inclusion sociale, les parents, l’art, la culture et la nature, les professionnels, la santé et l’environnement.
Il est effectivement extrêmement important d’aborder le sujet de la formation et du temps nécessaire à celle-ci. Au-delà de se former en continu, il est important que les professionnels aient du temps pour analyser leurs pratiques, en plus de s’enrichir de ce qui peut exister à travers des instances telles que l’Observatoire national de la protection de l’enfance (Onpe). Ils ont aussi parfois le besoin de partager simplement entre collègues sur leur journée. La formation est continue, entre pairs, in situ, mais également entre collègues en dehors de l’établissement d’accueil.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Madame Dabin, vos réponses m’inquiètent beaucoup, en réalité. Vous vous exprimez en tant que vice-présidente de Départements de France, chargée de la petite enfance. Les départements ont pour mission très claire de contrôler la mise en œuvre de la politique « petite enfance » et également l’aide sociale à l’enfance, qui est parfaitement défaillante. Vous nous dites que dans certains départements, les contrôles n’existent pas. Dans votre propre département, c’est un médecin pour 250 établissements. Les missions confiées aux départements ne sont pas remplies.
Je suis très inquiète de cette situation, d’autant plus que certains acteurs syndicalistes de la petite enfance disent que de nombreux départements préfèrent dépenser de l’argent dans des missions qui ne relèvent pas de leur compétence, plutôt que dans la petite enfance qui a besoin de davantage de moyens.
Dans une interview à la Gazette des communes, vous dites que « les moyens sont là, mais qu’il y a trop d’enfants et de demandes d’accueil ». Si les moyens sont là, il faut les utiliser, mais comment sont-ils utilisés ? S’ils ne sont pas là, il faut les réclamer, en se retournant vers l’État, éventuellement.
Dans les départements, vous relevez des défaillances graves dans les contrôles. Pour ma part, je relève d’autres défaillances inquiétantes, qui sont liées à la disparité entre les départements. De telles disparités me font dire que la décentralisation de la politique de la petite enfance ne fonctionne pas, tout comme l’aide sociale à l’enfance.
Êtes-vous favorable à une recentralisation ? Cette piste est étudiée très sérieusement par le Gouvernement et envisagée également par nous autres députés, en raison des défaillances au niveau départemental. L’État est responsable, bien évidemment. Nous avons également entendu les défaillances au niveau régional sur la politique de la formation professionnelle notamment. Aussi, je vous demande votre point de vue.
Vous nous demandez d’arrêter de regarder ce qui ne va pas. Or si tout allait bien, cette commission d’enquête n’existerait pas. Ce qui nous intéresse, c’est justement ce qui ne va pas et qui mène parfois à des catastrophes ou à des situations complexes.
Un outil d’autodiagnostic - que vous connaissez certainement – des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance a été élaboré par Départements de France et l’Igas. Il semble que cet outil fonctionne plutôt correctement depuis 2012 et permette d’autodiagnostiquer la situation. Y êtes-vous favorable ? Avez-vous réfléchi à l’élaboration d’un tel outil auprès des 115 adhérents que vous représentez ?
Mme la rapporteure vous a posé plusieurs questions pour essayer d’obtenir des données chiffrées qui nous intéressent énormément, et je vous avoue être étonnée de l’absence totale de ces données. J’espère que vous pourrez nous les apporter dans votre contribution écrite. Il est très important pour nous de disposer d’une évaluation et que vous puissiez défendre votre point de vue, puisque vous nous dites que les problèmes ne sont pas si majeurs que cela, que les départements ont les moyens de financer la petite enfance, mais qu’ils se heurtent à une arrivée importante de demandes.
Mme Florence Dabin. Nous savons que le sujet de la recentralisation-décentralisation fait couler beaucoup d’encre depuis des mois. Une réflexion est en cours sur le sujet et j’ai été moi-même questionnée. Forte du témoignage des partenaires locaux et de mon expérience, je suis naturellement opposée à la recentralisation, car je crois beaucoup au lien direct, à l’ancrage territorial, à la parfaite connaissance du terrain. Les professionnels que j’ai rencontrés ont tous à cœur de continuer à avoir un lien direct avec les partenaires locaux, les élus locaux et les réseaux qu’ils ont tissés pour trouver des solutions.
Pour ma part, je ne suis absolument pas dans le déni. Je le suis d’autant moins que l’on ne trouvera jamais un témoignage où je dis que tout va bien, y compris dans mon propre département. Si tel était le cas, je ne mettrais pas autant de moyens, je ne questionnerais pas autant les pratiques et je ne serais pas dans une culture d’évaluation. Je me démène pour faire en sorte que les parcours des enfants soient meilleurs.
S’agissant de la décentralisation, je ne dis pas que l’on excelle, mais que l’on fait du mieux que l’on peut avec les moyens qui sont les nôtres. Soixante-dix pour cent de mon budget est dédié au social.
La situation est compliquée, car nous avons encore trop d’enfants qui restent en protection. Nous devons travailler davantage le sujet de la parentalité parce que la plupart des enfants ont à cœur de retrouver leurs parents. Ce travail demande un temps certain par les professionnels. Recruter une dizaine de professionnels dans le domaine de la petite enfance a pris du temps, car il est compliqué de susciter l’envie. L’aide sociale à l’enfance fait du mieux qu’elle peut. Elle a une marge de manœuvre, mais elle ne doit pas être chargée de compétences qui ne sont pas celles des départements. Si nous avions une plus grande latitude d’action et financière, nous ne serions pas amenés tout le temps à compenser. Parce que de nombreux sujets dysfonctionnent, les départements sont amenés à trouver des solutions et rechercher cette notion d’équilibre. Je ne nie pas les problèmes, mais j’aime que l’on parle positivement du sujet de l’enfance pour obtenir un soupçon d’équilibre. En tout cas, nous en avons l’ambition.
Vous pouvez regretter ce matin que je ne réponde pas avec des données chiffrées. En revanche, je suis peut-être en retard sur certains sujets, mais en avance sur d’autres. Dans le cadre du groupe Enfance et à travers différentes commissions, nous avons sollicité les 103 départements de France via une base de données pour qu’ils nous partagent leurs réalités du quotidien de manière factuelle afin de pouvoir la porter à la connaissance d’un certain nombre de personnalités, de manière à ce qu’on ne soit pas sur une opposition syntaxique, idéologique ou politique entre recentralisation et décentralisation.
Je suis au regret de vous dire que pour l’heure, je n’ai pas recueilli toutes les données, mais je suis convaincue qu’elles vous intéresseront. Ensuite, chacun fera ses choix et en assumera les conséquences. L’idée est de s’appuyer sur ces données pour identifier où ventiler et requestionner.
En 2023, lors des Assises nationales des départements de France à Strasbourg, l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne avait demandé à ce que, avant la fin d’année civile, une réunion soit organisée avec un certain nombre de ministres, secrétaires d’État et des présidents de départements pour évoquer les sujets de l’enfance qui lient l’État et les départements. À l’issue de cette réunion, nous avons défini à travers des commissions un certain nombre d’objectifs pour que la majeure partie des départements parviennent à une déclinaison opérationnelle de solutions concrètes.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Il est tout à fait normal que vous défendiez votre travail et je ne doute pas un seul instant de tous efforts déployés par les équipes. Nous auditionnons également, depuis plusieurs semaines, les professionnels, et notamment ceux qui représentent les travailleurs. Nous avons remarqué que, très souvent, les directeurs de crèche ou les présidents de conseil départemental, parlent au nom des professionnels. Nous travaillons depuis des années avec les syndicats représentant les travailleurs qui ont été les premiers lanceurs d’alerte dans la situation de la petite enfance en France. Ces salariés ne tiennent pas le discours de la satisfaction de la situation. Un représentant syndical de la CGT dit au contraire que la décentralisation est le premier point à remettre en question.
Pour ma part, j’ai souvent du mal avec l’idée que l’État est forcément incapable de faire de la proximité. Ce n’est pas vrai. Pourtant, c’est en effet aux départements et aux communes de mettre en œuvre cette politique. En cela, nous avons un désaccord politique.
Qu’avez-vous comme données sur les médecins PMI et sur les contrôles ?
À vous écouter, on prend l’ampleur de la situation au niveau départemental. Nous l’avons fait au niveau régional. Nous allons poursuivre nos travaux.
M. le président Thibault Bazin. Madame Dabin, vous avez beaucoup parlé durant cette audition du partage d’informations et d’échanges. Les départements sont en première ligne. Les PMI, en lien avec les préfectures, doivent prendre des décisions, identifient des abus ou des dérives. Des gestionnaires sont parfois défaillants. Des professionnels peuvent être défaillants, même si certains font bien leur travail. Existe-t-il un partage d’informations entre les conseils départementaux ou de manière systématique lorsqu’un département identifie un gestionnaire ou un professionnel défaillant qui cherche à travailler dans un secteur ? Existe-t-il une alerte systématique de l’ensemble des PMI de France pour toute demande d’agrément ou d’autorisation ? Avez-vous un blocage législatif qui vous empêche de le faire ? Si tel n’est pas le cas, que manque-t-il pour se saisir de cet échange d’information ?
Nous avons constaté des dérives dans d’autres domaines que celui de la petite enfance. Je pense par exemple aux néo-centres de santé. À un moment, il a fallu cet échange d’informations pour que celui qui dysfonctionne ne puisse pas exercer dans le département voisin, voire plus loin.
J’ai bien conscience que vous êtes sous le feu des différentes questions. Nous avons besoin d’éléments qualitatifs et quantitatifs. Vous nous expliquez que vous avez encouragé chacun des départements. Lors de nos visites de terrain, nous avons pressenti avec la rapporteure que les situations sont un peu à géométrie variable en fonction des moyens.
Quels arbitrages sont réalisés en fonction de moyens limités, y compris sur les politiques de contrôle ? C’est une question fondamentale puisque vous en avez la responsabilité.
Mme Florence Dabin. Concernant la systématisation du partage de connaissances, que ce soit une structure ou un professionnel qui serait défaillant, à ma connaissance, il n’existe pas actuellement de processus direct qui permette de le partager. Malheureusement, cette information sera partagée avec un réseau informel. C’est un constat.
M. le président Thibault Bazin. Il faut dire la vérité.
Mme Florence Dabin. Je vous dis la vérité, mais je pourrais ne pas être au courant de tout, ce qui est différent. Il va de soi que la défaillance d’un professionnel doit être portée à la connaissance de tous. Je trouverais extrêmement positif que cette défaillance soit clairement identifiée dans une base de données nationale.
Les situations sont en effet à géométrie variable. C’est la réalité et je souscris à vos propos. Même si c’est une compétence obligatoire, en fonction d’une envie, d’une réalité de territoire, d’une prise de conscience humaine, l’arbitrage politique est plus ou moins important. Certains départements sont très en avance par rapport à d’autres. Certains en font un enjeu politique et une ambition commune.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. J’imagine que vous comprenez que l’architecture actuelle et par ailleurs vos réponses qui correspondent tout à fait à la réalité de terrain que nous avons pu constater, puissent nous interroger, et ce, pour deux raisons.
Premièrement, si nous sommes membres de cette commission d’enquête, c’est que nous avons tous compris à quel point cette période, dans la construction des futurs adultes qui sont concernés, est cruciale et stratégique. C’est un enjeu central qui, à mon sens, n’est pas que social et qui va bien au-delà.
Deuxièmement, en règle générale, quand on décentralise une compétence, c’est parce que l’on considère qu’elle a vocation à faire l’objet non pas seulement d’une mise en œuvre sur le terrain, mais surtout d’une déclinaison propre sur chaque département. Il est compréhensible de s’interroger sur l’opportunité d’avoir des politiques qui se déclinent différemment sur les territoires. Dans l’état actuel des auditions et des travaux qui sont menés, nous pouvons tous convenir du besoin de standardiser un certain nombre de contrôles. Il semblerait en effet que certains établissements soient insuffisamment contrôlés ou contrôlés selon des modes de contrôle qui ne sont pas opérants. La question de la décentralisation se pose vraiment au regard de ces deux objectifs.
Autant vous avez pu apporter une réponse sur la question de l’aide sociale à l’enfance, autant sur la question particulière du contrôle des crèches, j’avoue ne pas avoir retenu beaucoup d’éléments.
Pour conclure, je voulais apporter un élément d’information aux parlementaires présents. Concernant les données que nous souhaitons obtenir des départements, nous avons adressé un questionnaire à l’attention de l’intégralité des départements, dans lequel, bien évidemment, nous posons des questions chiffrées, en particulier sur les moyens budgétaires et humains qui sont affectés au contrôle des établissements d’accueil de jeunes enfants. Dans la mesure où je ne doute pas que tous les départements répondront à notre questionnaire, nous aurons les données et nous aurons une vision non seulement moyenne, mais également maximum et minimum. Il est très important en effet de prendre toute la mesure de la disparité existante.
M. le président Thibault Bazin. Madame Dabin, merci de faire le nécessaire, au sein de votre réseau, pour que les réponses des départements puissent nous parvenir très rapidement, car la commission d’enquête a été créée pour six mois. Il nous faudrait ces éléments dans les meilleurs délais. Nous vous remercions de bien vouloir adresser un message aux vice-présidents notamment qui ont en charge ces questions.
N’hésitez pas également à nous transmettre des éléments complémentaires suite à cette audition, car nous avons vraiment besoin aujourd’hui de mieux comprendre les processes de manière à pouvoir appréhender les recommandations que nous ferons à l’issue de la commission d’enquête.
Je vous remercie et lève la séance.
La séance est levée à 12 heures 30.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mardi 26 mars 2024 à 11 heures
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Sophia Chikirou, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli
Excusé. - Mme Isabelle Santiago