Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Table ronde avec les représentants des sections « accueil de la petite enfance » des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national 2
Jeudi 28 mars 2024
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 32
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à 10 heures.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné les représentants des sections « accueil de la petite enfance » des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national : Mme Jocelyne Cabanal (CFDT), Mme Myriam Lebkiri et MM. Joël Raffard et Stéphane Fustec (CGT), M. Léo Lasnier et Mme Stéphanie Prat-Eymeric (FO), M. Jean-Yves Delannoy, Mme Mireille Hajar et M. Louis Delbos (CFE-CGC), Mme Aline Mougenot (CFTC).
M. le président Thibault Bazin. Mesdames, messieurs, il nous semblait important de vous auditionner sur le sujet de l’accueil en crèche qui nous occupe depuis deux mois, sous ses divers aspects : pénurie de professionnels ; conditions de travail ; rémunérations ; formation ; prévention et contrôle ; enjeux liés à la qualité de l’accueil. Nous ne pourrons pas aborder tous ces sujets ce matin. Un questionnaire a été par Mme la rapporteure à chaque organisation syndicale et nous lirons avec attention les réponses que vous y avez appportées.
Pour cette audition, je vous propose de vous concentrer sur le message principal que vous souhaitez nous adresser dans le cadre de nos travaux et sur les questions que nous vous poserons. Je laisserai chacun se présenter plus en détail lorsqu’il prendra la parole pour son organisation. Je serai moi-même très bref car nous ne disposons pas d’un temps illimité.
Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Jocelyne Cabanal Mme Myriam Lebkiri, M. Joël Raffard, M. Stéphane Fustec, M. Léo Lasnier, Mme Stéphanie Prat-Eymeric, M. Jean-Yves Delannoy, Mme Mireille Hajar et M. Louis Delbos prêtent successivement serment.)
Mme Jocelyne Cabanal (CFDT). La CFDT vous remercie d’accueillir la parole des représentants des professionnels d’un secteur en crise. Nous vous transmettrons des chiffres dans nos contributions. Toutefois, la base documentaire de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), les conclusions des missions de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et les travaux du comité de filière « petite enfance » offrent d’ores et déjà beaucoup de matière.
Le secteur est en crise pour plusieurs raisons : baisse de l’attractivité des métiers ; baisse de la qualité de vie au travail dans les structures de la petite enfance ; pression budgétaire qui n’a jamais faibli ; attente – légitime – des parents que le service public de la petite enfance accueille leurs jeunes enfants. Le secteur a démontré son utilité pendant la crise du covid. Nous avons affaire à des travailleurs essentiels, qui ont été indispensables à la mise en œuvre des plans de continuité d’activité (PCA).
Parmi les causes de la crise, la CFDT identifie une forme de désengagement de la puissance publique. Rappelons que la convention d’objectifs et de gestion (COG) signée en 2017 prévoyait moins d’ouvertures de places que la COG précédente, et que la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (dite loi « Asap ») ainsi que divers arrêtés ont fait évoluer à la baisse le taux d’encadrement et les attentes en matière de qualification des personnels, et ont permis une hausse des accueils d’enfants en surnombre, ce qui entraîne des diminutions ponctuelles des taux d’encadrement. Il en est résulté une intensification du travail et une pression accrue sur les structures de la petite enfance pour maîtriser un taux de remplissage très élevé, alors même que le fonctionnement de ces structures dépend aussi de la population accueillie et des contraintes des parents en terme d’horaires et d’emploi.
Il nous semble qu’un début de réponse a été trouvé dans le cadre du comité de filière, d’abord grâce à un diagnostic partagé par tous les acteurs, employeurs et professionnels, qui se sont réunis autour de la table. Il nous semble toutefois que la place des employeurs publics et leur investissement en la matière mériteraient d’être renforcés.
Si tous les professionnels n’exercent pas dans le secteur privé, il nous semble important que tous bénéficient des travaux du comité de filière, d’autant que certains d’entre eux n’ont pas été intégrés dans le périmètre des travaux. Tel est notamment le cas des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), dont le métier entrera peut-être en concurrence si l’attractivité des métiers de la petite enfance est améliorée.
Le principal intérêt du comité de filière est d’avoir suscité un engagement pour un socle social permettant de garantir, à terme, une évolution des conditions d’emploi et de travail. La CFDT est très favorable aux mesures qui en découlent, notamment au bonus attractivité. Nous avons hâte que le cafouillage de sa mise en œuvre par la Cnaf soit résorbé, car il permettra d’améliorer la rémunération des professionnels ainsi que la qualité de l’emploi et des conventions collectives.
Cette évolution est conforme à l’engagement signé par tous les employeurs et à l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur, qui vise à faire en sorte que les gens ne soient pas collés au Smic pendant toute la vie. La dynamique des parcours professionnels dans le secteur de la petite enfance est essentielle.
Pour améliorer les conditions d’emploi et de travail dans les structures, le dialogue social et le dialogue professionnel sont indispensables. Cela signifie qu’il faut prévoir des temps d’analyse de la pratique et des remplacements si nécessaire. Dans les structures aux amplitudes horaires importantes, prévoir une réunion tout en garantissant un temps de repos n’est pas toujours facile. La question du remplacement, dans le secteur de la petite enfance, nous semble se poser avec force.
Dans certaines structures telles que les micro-crèches, il n’y a pas de dialogue social ni de représentant du personnel. Rappelons aussi la baisse de la qualité du dialogue social due aux « ordonnances Macron », qui ont réduit le nombre de représentants de proximité. Il faut reparler qualité du travail et conditions de travail, ce qui suppose d’avoir des représentants du personnel et d’améliorer le dialogue.
Enfin, il faut reconnaître l’intérêt général du secteur de la petite enfance. Pour ce faire, la CFDT propose de transformer les crèches en entreprises à mission, pour équilibrer la pression budgétaire et financière par les services rendus et par la qualité de service attendue d’un service d’intérêt économique général (Sieg).
Mme Myriam Lebkiri (CGT). Nous avons beaucoup échangé sur le secteur de la petite enfance. Espérons que cette fois sera la bonne !
Le 8 mars n’est pas loin. Pour les femmes, le secteur de la petite enfance est un double enjeu. Il doit être disponible en qualité et en quantité pour leur permettre d’exercer leur emploi. Il participe donc à l’émancipation des femmes au travail. De plus, dans ce secteur, les travailleuses sont ultramajoritaires, ce qui explique peut-être que le secteur de la petite enfance soit si mal reconnu, tant du point de vue financier que de celui des conditions de travail et de la pénibilité.
Sur l’attractivité et le besoin en emploi, nous avons publié avec l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) une étude montrant l’importance du besoin en emploi pour proposer un service de qualité aux enfants, aux parents et aux personnels en poste. Elle prévoit qu’il faut embaucher 218 000 personnels pour maintenir un service de qualité.
Il faut un investissement de plus de 5 milliards pour assurer ces embauches et revaloriser les métiers de la petite enfance – je rappelle que le code du travail compare les métiers sur la base de leur « valeur égale ». Faire preuve de ténacité et de volontarisme en matière de reconnaissance des métiers à prédominance féminine exige de dégager des budgets à hauteur de 5 milliards, et même de 11 milliards pour embaucher de manière significative dans les métiers de la petite enfance.
L’attractivité de l’emploi, dans le secteur de la petite enfance comme ailleurs, dépend des conditions de travail, qui doivent être à la hauteur de l’engagement des personnels. Il faut revoir le taux d’encadrement.
La CGT dénonce l’actuel taux d’encadrement, qui est à l’origine d’importants troubles musculo-squelettiques et psychosociaux et qui amoindrit la qualité d’accueil des jeunes enfants en empêchant la réalisation de certains projets pédagogiques. Il entraîne la déqualification de tous les métiers de la petite enfance, exercés par des collègues qui ne font que garder des enfants et changer des couches, sans réel projet ni revalorisation des qualifications et des métiers.
Gagner des conditions de travail à la hauteur, cela signifie aussi de reconnaître la pénibilité des métiers et l’usure professionnelle en fin de carrière. La négociation sur l’emploi des seniors est en cours. Dans ce cadre, il faut absolument faire quelque chose pour les salariés de la petite enfance.
Il faut renforcer leur protection sociale. Nous avons plein d’idées – j’espère qu’elles seront toutes prises en note. Il faut des droits à congés supplémentaires. Les salariés du secteur de la petite enfance sont répartis dans plusieurs conventions collectives ; certaines sont convenables, d’autres sont moins-disantes. Tout cela doit être revu.
Concernant les financements, nous avons aussi plein d’idées, pour les métiers de la petite enfance comme pour les autres. Il faut revenir sur les exonérations de cotisations sociales, estimées à 156 milliards par an. Il faut assurer la conditionnalité des aides publiques et augmenter les dotations de l’État aux collectivités territoriales.
Depuis une vingtaine d’années, le secteur marchand s’est emparé du secteur de la petite enfance, comme de celui du grand âge. Les scandales sont légion. La qualité de l’accueil, des rémunérations et des conditions de travail des personnels de la petite enfance a été tirée vers le bas. Il faut changer de paradigme et arrêter de croire qu’ouvrir le secteur au marché et le mettre aux mains des actionnaires arrangera les choses.
Mme Stéphanie Prat-Eymeric (FO). Le bien-être et la sécurité des bébés et des salariés travaillant dans le secteur de la petite enfance est, pour notre confédération, un sujet très important qu’il faut saisir à bras-le-corps. Il s’inscrit dans l’une des principales missions de la branche Famille de la sécurité sociale, qui est de garantir la conciliation de la vie professionnelle et personnelle en permettant aux parents de faire accueillir leurs enfants à un coût abordable dans un environnement de qualité. La réussite de cette mission suppose la mise à disposition des familles d’un système d’accueil des jeunes enfants de qualité et accessible.
Or, notre organisation syndicale n’a eu de cesse de le rappeler, depuis près d’une décennie, les carences en matière de création de places de crèches relevant de la prestation de service unique (PSU) sont propices au développement anarchique des micro-crèches relevant de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje). Cette carence de l’État a été très profitable au secteur marchand, mais dramatique pour les familles – seules les structures relevant de la PSU garantissant une mixité sociale grâce à un reste à charge soutenable pour les parents – et pour les métiers de la petite enfance.
Comme le rappelle à raison le rapport conjoint de l’Igas et de l’Inspection générale des finances (IGF) intitulé « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », la logique de profit commande la gestion de ces établissements privés. Cette logique de profit est favorisée par un cadre réglementaire bien moins exigeant que celui applicable aux établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) relevant de la PSU. Selon une évolution comparable à celle des Ehpad, ce type de crèche vise avant tout la rentabilité, en acceptant un maximum d’enfants et en recourant à un minimum de personnel.
Cet objectif de rentabilité n’est pas en adéquation avec l’amélioration de l’attractivité du secteur. Tout est fait pour tirer les coûts vers le bas, de la masse salariale aux plans de formation en passant par l’investissement dans la rénovation des locaux.
Il n’est pas non plus en adéquation avec l’amélioration de la qualité de la prise en charge. Deux rapports de l’Igas ainsi que des ouvrages tels que Babyzness et Le prix du berceau dressent un constat accablant du secteur des crèches privées. Rationnement de la nourriture, bébés pas changés et oubliés dans les dortoirs, maltraitance, insuffisance des contrôles, salariés en situation de burn-out, la course aux profits et à la rentabilité domine dans les crèches privées.
Il est urgent d’agir pour mettre un terme au délaissement du secteur de la petite enfance et à son abandon au secteur privé. En dépit des polémiques à répétition, aucune réponse forte n’a été apportée par le Gouvernement. Pourtant, il y a matière à agir, notamment en appliquant, comme le demande FO, les trente-neuf recommandations du rapport de l’Igas intitulé « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches ».
Pire, la situation délétère du secteur en matière de conditions de travail, de pénurie de personnel et de qualité de service est avant tout due à des décisions politiques désastreuses. L’ordonnance n° 2021-611 du 19 mai 2021 relative aux services aux familles a modifié les taux d’encadrement, permettant à un adulte d’accueillir six bébés par crèche, contre un pour quatre en Allemagne et un pour trois au Danemark. Elle a aussi autorisé les EAJE à accueillir chaque jour 15 % d’enfants en surnombre dans des surfaces pourtant inchangées.
L’arrêté du 29 juillet 2022 relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d’accueil du jeune enfant permet aux EAJE de recruter, sous certaines conditions, jusqu’à 15 % de non-professionnels n’ayant ni diplôme ni expertise. La pénurie est un prétexte. La gestion d’un enfant en bas âge n’est pas à la portée du premier venu. Il s’agit d’un métier à part entière. Le manque de personnel ne peut pas tout justifier.
De telles mesures portent atteinte à la reconnaissance des métiers et tirent les qualifications et les salaires vers le bas. Pour FO, les recrutements de personnel non qualifié doivent être mis à profit pour épauler les professionnels de la petite enfance, non pour les remplacer. La dégradation des conditions d’accueil et des taux d’encadrement est catastrophique pour tout le secteur de la petite enfance. Les remontées de terrain à ce sujet sont très inquiétantes. Ainsi, on laisse pleurer des bébés dans leur lit sans changer leurs couches…
M. le président Thibault Bazin. Merci, madame Prat-Eymeric. Pour assurer l’équité des temps de parole, je dois vous interrompre. Vous aurez l’occasion de compléter vos propos.
M. Jean-Yves Delannoy (CFE-CGC). Je suis chef de file CFE-CGC et président de la Caisse d’allocations familiales (CAF) du Val-d’Oise. Je suis accompagné de Mireille Hajar, infirmière-puéricultrice, directrice de crèche relevant de la convention collective 51, et de Louis Delbos, expert à la CFE-CGC.
Sur le modèle économique des crèches, on ne peut que constater – sans l’approuver s’agissant de la CFE-CGC – l’essor des crèches du secteur marchand, dont il faut bien dire qu’il résulte du désengagement des communes, alors que l’investissement de la CAF peut atteindre 80 % du coût. J’inaugure beaucoup de crèches dans le département jeune et dynamique qu’est le Val-d’Oise : 80 %, ce n’est pas rien. Les communes n’ont jamais 80 % à verser pour les investissements tout en cumulant les subventions du conseil régional, du conseil départemental et de l’agglomération. Nous favorisons très fortement l’investissement.
La dernière COG a durci les conditions et les obligations liées à ce financement, qui est crucial dans le modèle économique des crèches. Nous formons le vœu, à la CFE-CGC, que le service public de la petite enfance bénéficie d’un regain d’attention des élus locaux pour la création de places en EAJE.
Trois points méritent de retenir l’attention : le manque d’attractivité en matière de rémunération ; la concurrence avec le milieu hospitalier depuis le Ségur de la santé ; le déséquilibre entre le modèle reposant sur la PSU et le modèle reposant sur la Paje.
S’agissant de la qualité de l’accueil du jeune enfant, la CFE-CGC souscrit aux conclusions des nombreux rapports de l’Igas, qui irriguent les travaux de votre commission d’enquête. La CFE-CGC n’a de cesse de prôner l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. Nous espérons que vos travaux contribueront à le favoriser.
M. le président Thibault Bazin. Mme Mougenot n’ayant pas pu prêter serment en même temps que les autres représentants syndicaux, je l’invite à le faire avant de prendre la parole.
(Mme Aline Mougenot prête serment.)
Mme Aline Mougenot (CFTC). Le secteur de la petite enfance garantit à chaque salarié la possibilité d’exercer son emploi. Pouvoir laisser son enfant en sécurité, c’est accéder à l’emploi.
Le secteur a de nombreux problèmes, notamment en matière d’attractivité et de rémunération. Ces problèmes se posent depuis de longues années sans qu’une évolution se dessine. Nous plaçons beaucoup d’espoir dans le comité de filière. Nous travaillons dans ce cadre. Nous assistons à ses réunions. Nous espérons que les choses bougeront.
La question des parcours de formation est pour nous tout aussi importante que celle de la rémunération. Compte tenu des ports de charge et des horaires qu’impose le métier, il n’est pas envisageable de rester au même poste de 18 à 64 ans. Il faut donc aider les salariés à se former en même temps qu’ils exercent leur emploi, pour pouvoir y évoluer.
Nous entendons le distinguo qui est fait entre le modèle privé et le modèle associatif mais, pour la CFTC, c’est l’ensemble des salariés qui doivent être accompagnés. Parallèlement, les parents doivent avoir accès à un mode de garde dans une structure de leur choix. On ne peut pas accompagner le secteur associatif au détriment du secteur privé et attendre des deux les mêmes résultats. Depuis plusieurs années, le secteur privé s’efforce de faire évoluer le métier ; la bienveillance et la bientraitance au travail sont une réalité. Nous aimerions que l’on ne s’arrête pas aux faits mis en avant dans certains rapports et ouvrages. Des dysfonctionnements, il y en a partout ; il est de notre responsabilité à tous de les faire cesser sans se focaliser sur un type de structure. Le problème n’est pas là.
Le problème, c’est le nombre de places. Celui-ci a augmenté pour répondre aux besoins, mais le nombre d’éducateurs de jeunes enfants n’a pas évolué en parallèle. Faute de recrutements, des salariés doivent faire chaque jour le travail de plusieurs personnes. Il faut donner à ce secteur les moyens des ambitions qu’il porte, afin que les salariés puissent être formés et rémunérés à hauteur de ce qu’ils méritent.
M. le président Thibault Bazin. Vous préconisez, madame Cabanal, de consacrer du temps à l’analyse de la pratique. Combien de temps faudrait-il idéalement, sachant que trois jours sont désormais financés ?
Vous évoquez, monsieur Delannoy, un financement de la CAF pouvant atteindre 80 %. Cela ne correspond pas à ce qui nous a été indiqué lors de nos visites sur le terrain dans différents départements. Ce niveau de financement, destiné le plus souvent à la création de lieux d’accueil et non à la rénovation de crèches existantes, est en fait théorique, compte tenu des plafonds. Certains élus avec lesquels nous avons échangé ont reporté, faute de financement, les mises aux normes attendues pour 2026. D’autres ont engagé les travaux, mais ceux-ci ne sont même pas financés à 50 % par la CAF. Cette différence entre la théorie et la réalité suscite une vraie inquiétude au sein des collectivités, d’autant plus que certains soutiens ne sont pas des subventions mais des prêts à taux zéro. Y a-t-il un miracle dans le Val-d’Oise, pour que les créations comme les rénovations de crèches soient financées à hauteur de 80 % ?
Mme Jocelyne Cabanal (CFDT). Les trois journées auxquelles vous faites référence, monsieur le président, sont des journées pédagogiques. Les temps d’analyse de la pratique viendraient en complément. Le rapport de l’Igas de 2022 en prévoit à l’occasion de chaque période de vacances scolaires. Il nous semble, quant à nous, que l’on pourrait envisager un temps mensuel auquel s’adjoindrait un volant d’heures supplémentaires, en fonction des problématiques rencontrées par le personnel de la crèche à un moment donné.
M. le président Thibault Bazin. Ce temps serait donc modulable en fonction des spécificités des crèches.
Mme Jocelyne Cabanal. Exactement.
M. Jean-Yves Delannoy (CFE-CGC). Nous venons de subventionner à hauteur de 80 % les travaux de rénovation – changement de mobilier et peinture – de deux crèches d’Argenteuil. Je rappelle cependant que le taux de financement ne s’établit pas de base à 80 % ; il dépend du taux de couverture, auquel s’ajoutent le bonus attractivité et le bonus développement durable.
M. le président Thibault Bazin. Pour tous et partout ?
M. Jean-Yves Delannoy. Pour tous et partout, oui. C’est un barème dans le plan d’investissement pour l’accueil du jeune enfant (Piaje).
Nous ne recevons guère de demandes de la part de collectivités publiques. Lors de la dernière commission d’action sociale, nous avons en revanche subventionné deux sociétés par actions simplifiées (SAS) créées en 2023 avec un capital de 1 000 euros chacune, qui ouvrent des crèches dans des lieux où, le taux de couverture étant très bas, la subvention atteint 80 %.
Je peux citer un troisième exemple, dont je suis assez fier : après avoir constaté qu’en dépit d’une subvention départementale, le taux de subvention d’une crèche du secteur associatif accueillant des enfants en situation de handicap n’atteignait pas 80 %, nous avons décidé de lui allouer 250 000 euros sur fonds locaux afin qu’elle soit financée dans la même mesure que les crèches privées. Les procès-verbaux de nos réunions de commission sont contrôlés par une mission nationale de contrôle ; vous pourrez y retrouver les décisions que nous avons prises pour chacun des cas que je viens de citer.
M. le président Thibault Bazin. Vous confirmez donc que ce sont des fonds locaux.
M. Jean-Yves Delannoy. Non.
M. le président Thibault Bazin. Je parle des 250 000 euros : l’allocation de sommes supplémentaires dépend de la décision de chaque CAF, dans chaque département. Quant aux bonus attractivité et développement durable, ce sont des subventions de fonctionnement…
M. Jean-Yves Delannoy. Non, ce sont uniquement des subventions d’investissement.
M. le président Thibault Bazin. Cela signifie-t-il que dans le Val-d’Oise, l’ensemble des projets de création et de rénovation perçoivent une subvention non plafonnée, à hauteur de 80 % ?
M. Jean-Yves Delannoy. Non. Le barème du Piaje se fonde sur cinq ou six critères, au premier rang desquels le taux de couverture. C’est en les conjuguant que l’on peut atteindre le taux maximal de 80 % – ce que les porteurs de projet savent faire.
M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie pour cette précision et ces nuances.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Notre commission d’enquête a vocation à apporter des solutions pour améliorer la qualité d’accueil dans les crèches, dans le but de permettre aux enfants de grandir dans les meilleures conditions et de mettre à profit cette période-clé de leur développement. Elle se devait donc de vous recevoir, car c’est d’abord sur les professionnels de la petite enfance que reposera la mise en œuvre de ces solutions. Nous le savons, ces professionnels souffrent de conditions de travail très difficiles et le manque d’attractivité explique en grande partie, je crois, la pénurie actuelle de personnel.
Madame Lebkiri, vous évaluez les besoins en personnel à 218 000 personnes supplémentaires. Comment parvenez-vous à ce résultat ? Vous savez sans doute que l’on entend plutôt parler de 10 000 personnes d’ici à 2027 – un nombre qui pourrait augmenter si, comme nous en sommes tous ici relativement convaincus, le taux d’encadrement devait évoluer.
Ma seconde série de questions s’adresse à toutes et tous. Comment qualifiez-vous le dialogue social dans le secteur de la petite enfance ? Le développement de grands groupes privés a-t-il affecté les conditions de ce dialogue ? Avez-vous eu connaissance, dans le cadre de vos activités, de cas de discrimination syndicale ? Quelles relations entretenez-vous avec l’État, en particulier avec la branche famille de la sécurité sociale par l’intermédiaire du Conseil d’administration de la Cnaf et du comité de filière ?
Mme Myriam Lebkiri (CGT). Le chiffre de 218 000 personnes est issu d’une étude conjointe de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) et de la CGT, présentée à l’automne dernier lors d’un colloque au Conseil économique, social et environnemental (Cese). Les chercheurs se sont basés sur des critères comme le taux d’encadrement et la disponibilité du personnel. Nous détaillerons ces éléments dans la contribution écrite que nous allons vous envoyer.
M. le président Thibault Bazin. Avec l’étude ?
Mme Myriam Lebkiri. Oui, bien sûr – même si je suis déçue que vous ne l’ayez pas encore lue !
S’agissant du dialogue social dans les crèches, il est désastreux. Des militantes et des militants de la CGT, travaillant notamment pour Les Petits Chaperons Rouges (LPCR), mais pas seulement, ont été licenciés. D’une façon générale, ceux qui dénoncent leurs conditions de travail et les conditions d’accueil des enfants, revendiquant des revalorisations salariales et une meilleure reconnaissance de leur qualification, sont systématiquement ostracisés et poussés vers la sortie. Leurs droits syndicaux sont bafoués. Une militante a ainsi dû démissionner parce que sa paye, systématiquement, n’était pas versée dans les temps, ou seulement partiellement. Le dialogue social n’est pas désastreux dans la petite enfance uniquement mais, puisque nous parlons de ce secteur, il faut le souligner. C’est un problème grave, et il serait bon que votre commission puisse, dans son rapport, rappeler les fondamentaux de ce dialogue.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Le nombre de 218 000 personnes a-t-il été calculé à taux d’encadrement constant ou rehaussé ? Je prendrai le temps de consulter avec attention les documents que vous nous ferez parvenir, mais il me semble nécessaire d’expliquer à nos collègues et aux personnes qui suivent notre audition la façon dont il a été calculé, tant il est supérieur à ceux qui nous ont été rapportés jusqu’à présent.
Mme Myriam Lebkiri. Ce nombre a été calculé sur la base d’un taux d’encadrement beaucoup plus important que celui en vigueur. Sachez cependant qu’en se basant sur le taux d’encadrement de la Suède, ce sont 1,5 million d’emplois supplémentaires qui seraient nécessaires. Avec 218 000 personnes de plus, on n’atteindrait donc pas encore le niveau idéal que nous souhaitons pour l’accueil des enfants.
M. le président Thibault Bazin. Nous lirons l’étude que vous nous transmettrez.
Mme Jocelyne Cabanal (CFDT). Le dialogue social dans le secteur de la petite enfance est très difficile par nature, car il s’exerce dans le cadre de petites structures. Il est absent des micro-crèches et, depuis les ordonnances Macron, nous avons du mal à avoir des représentants de proximité, y compris dans les grands groupes.
Certains salariés ne sont couverts par aucune convention collective. Les grilles de certaines conventions n’évoluent pas, provoquant un tassement des rémunérations au niveau du Smic. La CFDT souhaite que le dialogue social de branche soit redynamisé. Le bonus attractivité de la Cnaf, que nous considérons comme indispensable, pourra lui donner une impulsion.
M. Léo Lasnier (FO). Plusieurs études se sont attachées à déterminer le nombre de personnels supplémentaires dont le secteur aurait besoin. Celle de nos camarades de la CGT est très intéressante, mais il faut citer également le rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), « Accueil des enfants de moins de 3 ans : relancer la dynamique ». Ce rapport présente plusieurs scénarios selon le nombre de places de crèches que l’on souhaite créer. Si l’on s’en tient au nombre de 35 000 places fixé par la COG, il faudrait en créer environ 7 000. Mais pour mettre en place un service public de la petite enfance garantissant accessibilité pour les familles, mixité sociale et reste à charge peu élevé, comme nous le revendiquons à FO, ce sont 150 000 à 700 000 nouvelles places qu’il faudrait créer dans les crèches financées par la PSU. Dans ce cas, des effectifs beaucoup plus nombreux seraient nécessaires.
Le développement de grosses structures favorise la création de syndicats « maison » visant à court-circuiter le dialogue social. Ce constat, évoqué dans l’ouvrage Le Prix du berceau, peut également être fait dans les Ehpad. Des délits d’entrave sont commis, notamment des licenciements pour inaptitude annoncés par e-mail, sans que le comité social et économique (CSE) puisse être saisi, ou encore des licenciements abusifs de délégués syndicaux.
Le dialogue social en pâtit, non seulement au sein de ces grands groupes mais aussi au niveau national. Dans les négociations de branche, nous avons des difficultés à avancer sur les questions de revalorisation salariale et d’attractivité. Au sein du comité de filière petite enfance, la multiplication des acteurs dilue la parole des organisations syndicales et empêche la tenue de négociations entre les représentants patronaux et syndicaux.
M. Jean-Yves Delannoy (CFE-CGC). En matière de dialogue social, il me semble nécessaire de distinguer le secteur privé du secteur public et, au sein de celui-ci, les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Dans la première, des personnels de crèche peuvent être élus par leurs collègues au niveau de la commune ou du centre de gestion. Dans la seconde, les agents sont électeurs et éligibles.
La CFE-CGC est peu représentative dans le secteur privé et associatif, les cadres y étant peu nombreux. C’est dans les négociations de branche qu’elle intervient.
Je partage l’avis de Jocelyne Cabanal au sujet du bonus attractivité, que, j’espère, nous aurons le temps d’aborder.
Mme Aline Mougenot (CFTC). Le dialogue social ne peut être décorrélé des conditions de travail des salariés. Il est difficile de s’investir le soir dans un syndicat quand, la journée, on a dû travailler davantage pour compenser la pénurie de personnel. Lorsque ce problème aura été résolu, les salariés pourront de nouveau se saisir des dispositifs à leur main.
La CFTC regrette l’absence d’instances représentatives du personnel dans les micro-crèches et déplore que de nombreuses crèches n’appliquent pas de convention collective. Cette situation anormale est de la responsabilité de tout le monde : on ne peut pas continuer à financer des structures qui ne jouent pas le jeu du dialogue social.
J’entends le distinguo qui est fait entre les grands groupes et les plus petites structures. Nous n’avons pas le sentiment, à la CFTC, que les élus que nous avons dans certains grands groupes ne sont pas respectés. Nous les avons formés ; ils sont capables de défendre leurs droits et ceux de leurs collègues.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Merci pour ces éléments de réponse. J’aurais souhaité aussi un éclairage sur la façon dont se déroule le dialogue social au sein du comité de filière et du conseil d’administration de la Cnaf ; je suis preneuse des éléments complémentaires que vous souhaiteriez m’apporter par écrit à ce sujet.
Nous aurions pu longuement parler des conditions de travail qui, on le sait, ne sont pas satisfaisantes. J’aimerais, quant à moi, évoquer avec vous les questions de l’attractivité des métiers et de la formation, auxquelles il me semble crucial de répondre pour améliorer la qualité d’accueil dans les crèches et atteindre les objectifs de recrutement – dont on peut discuter de l’ampleur, mais dont nous reconnaissons la nécessité.
Quel est votre point de vue sur la formation initiale et sur les modalités de mise en œuvre de la formation continue ? Que pensez-vous notamment des organismes de formation mis en place par certains grands groupes ?
Je serai, bien sûr, à l’écoute de vos observations sur le bonus attractivité, annoncé récemment et en cours de déploiement par la Cnaf.
Enfin, je voudrais évoquer avec vous la construction de parcours professionnels. Vous l’avez dit à plusieurs reprises : compte tenu de leur pénibilité, les emplois dans les crèches ne peuvent plus être exercés à partir d’un certain âge. Selon vous, faut-il envisager des reconversions dans l’éducation nationale ou dans la formation des futurs professionnels ? Je suis à l’écoute de vos propositions à ce sujet.
Mme Jocelyne Cabanal (CFDT). Face à l’usure professionnelle, il faut d’abord promouvoir la prévention. La présence d’un petit tabouret pour aider les enfants à grimper sur la table de change, par exemple, permet de réduire le nombre de porters. Il y a là un travail important à mener, toutes les crèches n’étant pas équipées de la même façon.
Il nous semble que l’on pourrait augmenter le nombre de stages prévus au cours de la formation initiale, notamment dans le cadre du diplôme d’auxiliaire de puériculture. On pourrait aussi intégrer dans le cursus, quel que soit le diplôme préparé, des modules sur la bientraitance et la prévention des dysfonctionnements.
Je crois qu’il faudrait aussi changer le nom du CAP petite enfance, parce que ce n’est pas très glorieux. On doit pouvoir trouver mieux pour souligner la dimension d’assistance du métier.
Ce que l’on constate et ce qu’avait mis en évidence la mission de 2022, c’est la faiblesse de la formation continue : il y a peu d’offres et il est difficile d’y avoir accès. Le manque de personnel réduit, de fait, l’accès à la formation. C’est pour cela que j’ai évoqué la question des remplacements : pour des petites structures, il peut être intéressant d’envisager un groupement d’employeurs pour garantir les remplacements et l’accès à la formation.
Vous nous avez aussi demandé comment nous travaillons avec la Cnaf et les CAF. Nous avons des représentants qui sont intégrés, qui ont des rencontres mensuelles au niveau de nos confédérations pour prendre le pouls de ce qui se passe sur le terrain et qui essaient d’agir en conséquence, mais la marge de manœuvre est limitée dans les conseils d’administration.
Mme Myriam Lebkiri (CGT). Sur la question de l’usure professionnelle, je souscris à ce qui vient d’être dit : avant de réfléchir à un plan d’évacuation de celles qui ne pourront plus travailler à terme, il faut surtout garantir la santé et la sécurité des travailleurs et des travailleuses, ce qui signifie appliquer le code du travail.
Il faut d’abord du personnel en nombre. Moins il y a de personnel, plus le port de charges lourdes est important, ce qui implique davantage de troubles musculo-squelettiques et des risques psychosociaux ou de burn-out. Ce qui est primordial, c’est la prévention. Il faut aussi prévoir une fin de carrière dès 55 ans et la possibilité de partir à la retraite à 60 ans : ce ne serait pas du luxe pour les métiers pénibles, dont font partie ceux de la petite enfance.
La formation est désormais dispensée par quelques grands groupes, ce qui est un problème, car une formation équilibrée et de qualité pour toutes et tous, c’est une formation dispensée par l’école publique. La formation en ligne est inacceptable. On ne peut pas se former à un métier du soin et du lien à distance : c’est complètement antinomique. Le problème qui se pose pour les stages pratiques et les formations sur site, c’est la disponibilité des tutrices. Les salariées de la petite enfance pallient l’urgence, elles font ce qu’elles peuvent, et elles ont peu de temps à consacrer à la formation en crèche.
M. Léo Lasnier (FO). Je souscris à ce qui vient d’être dit : la prévention doit l’emporter sur la réorientation en fin de carrière. Puisqu’on manque de personnel, il faut favoriser les plans de prévention et de maintien des effectifs au sein des crèches, plutôt que d’essayer de réorienter les gens dans d’autres corps de métier, même si nous ne sommes évidemment pas contre l’évolution professionnelle.
Il faut faire prendre conscience aux employeurs de l’importance de la prévention. Les rapports de l’Igas et de l’IGF, comme les deux livres Babyzness et Le prix du berceau, montrent bien qu’aucun plan de prévention n’est prévu dans les crèches. Au contraire, on sert toujours un peu plus la ceinture des salariés, en leur demandant d’être plus productifs avec moins de personnel. Les décisions politiques prises ces dernières années pour faire face à la pénurie, notamment le relèvement des taux d’encadrement, ont également été très coûteuses pour les salariés des entreprises de crèche.
En matière de formation, je dirai simplement qu’il importe d’appliquer le code du travail. De nombreux salariés se voient refuser un plan de formation, du fait du manque de personnel. Ou alors on les décourage de le faire, en leur disant que leur absence va créer des difficultés au sein de la crèche.
Mme Mireille Hajar (CFE-CGC). Je répondrai sur l’usure professionnelle et la formation, avant de passer le relai à Jean-Yves Delannoy.
Il est vrai qu’énormément de professionnels de la petite enfance ont des troubles musculo-squelettiques et des fins de carrière très difficiles. Il importe de prendre en compte la pénibilité de ces métiers, qui n’est pas vraiment reconnue.
Il faut s’interroger sur la faible attractivité de ces métiers et se demander pourquoi personne ne veut les exercer. Il y a un problème de reconnaissance financière et une revalorisation salariale s’impose. Il faut peut-être aussi repenser Parcoursup, car beaucoup de gens commencent une formation et ne vont pas au bout. On pourrait envisager de remettre un oral, pour s’assurer que les personnes qui s’inscrivent se font une idée juste des métiers auxquels ils se destinent, qui sont très particuliers.
M. Jean-Yves Delannoy (CFE-CGC). Je rappelle que le bonus attractivité représente 80 millions dans le budget initial du fonds national d’action sociale (Fnas) cette année et 200 millions en année pleine, en application des décisions du comité de filière. La CFE-CGC est assez réservée et craint des effets pervers, notamment dans le secteur marchand, dans la mesure où une seule des neuf conventions collectives est prête, celle des Acteurs du lien social et familial (Alisfa), qui a été signée fin 2022. Si l’on prévoit un effet rétroactif, c’est uniquement pour Alisfa, qui représente 20 % du personnel des crèches. Les huit autres conventions ne seront pas prêtes avant longtemps.
Mme Aline Mougenot (CFTC). L’attractivité passe par la visibilité qu’on a du métier et, pour les salariés, par la possibilité de se projeter. C’est pourquoi il importe de construire des parcours de formation.
Vous nous demandez s’il faut envisager une réorientation vers l’éducation nationale. Ce qu’il faut, c’est laisser le choix au salarié, mais en lui donnant les moyens d’évoluer. Pour cela, il faut que les branches professionnelles identifient des blocs de compétences : de cette manière, un salarié pourra voir ce qu’il doit faire pour passer d’un métier à un autre. Cela implique de dessiner une cartographie des métiers et des aires de mobilité. C’est aux branches de faire ce travail et il faut les obliger à le faire rapidement, de manière à ce que les salariés aient une vision claire de ce qui les attend.
S’agissant du financement, la réforme de la formation professionnelle avait prévu une prise en charge de la formation pour les entreprises de moins de 50 salariés. Mais, du fait de la baisse du plan de développement des compétences (PDC) au cours des précédents exercices, certaines branches, à partir de mars ou avril, ne peuvent plus former leurs salariés. La réforme entendait cibler les plus petites entreprises, ce qui était une chance pour la petite enfance, au détriment de celles qui comptent 50 à 300 salariés – et qui représentent quand même un certain nombre de personnes – et, finalement, on coupe même les budgets pour celles qui ont moins de 50 salariés.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Mes questions s’adressent plutôt à Mme Stéphanie Prat-Eymeric, mais vous êtes évidemment tous invités à y répondre. Faut-il, selon vous, mettre fin au cadre réglementaire actuel, qui est différent pour les micro-crèches ? Pensez-vous qu’il faille supprimer la possibilité de recruter 15 % de non-professionnels ? Êtes-vous favorables à la suppression de la Paje et à l’unification des systèmes existants ? Faudrait-il selon vous nationaliser certaines choses, dans la mesure où il y a des différences de financement d’un département à l’autre ?
Madame Prat-Eymeric, pourriez-vous poursuivre votre propos, qui a été interrompu ? Vous nous parliez des bébés dont on ne change pas les couches.
Enfin, l’un ou l’autre d’entre vous dispose-t-il d’études chiffrées, en dehors de celles réalisées par l’Igas, qui montreraient qu’il y a plus de faits de maltraitance dans certains types de crèches ?
M. Léo Lasnier (FO). L’harmonisation des règles de qualité d’accueil entre les crèches qui fonctionnent avec la PSU et celles qui fonctionnent avec la Paje est une revendication historique de Force Ouvrière. Nous sommes pour une harmonisation de la qualité d’accueil par le haut, c’est-à-dire pour un alignement sur ce qui se fait dans les crèches PSU. Le dernier rapport de l’Igas et de l’IGF montre bien les différences entre les deux types de crèche et nous sommes sur la même ligne.
Vous nous demandez s’il faut abandonner la Paje et passer à un autre modèle de financement. Malgré ses défauts, nous sommes pour l’utilisation pleine et entière de la PSU : c’est aussi une revendication historique de FO, car c’est le seul mode de financement qui garantit la mixité sociale et un reste à charge soutenable pour les familles. La Paje, au contraire, crée un reste à charge très lourd. Sur ce point aussi, nous rejoignons la recommandation de l’Igas et de l’IGF.
Un arrêté récent prévoit la possibilité de recruter, dans les entreprises de crèches, 15 % de non-professionnels. Nous ne demandons pas la suppression totale de cette mesure, mais nous estimons que les non-professionnels recrutés ne doivent pas s’occuper directement des bébés : seules des personnes qualifiées doivent continuer à le faire. Mais on peut, par exemple, leur confier des tâches administratives.
Sur la maltraitance, je vous renvoie aux deux livres qui ont déjà été cités, aux rapports de l’Igas et de l’IGF, et aux différents travaux de la Cnaf.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Le 7 mars dernier, la CFDT a publié un communiqué de presse intitulé « Petite enfance. Attractivité des métiers : passer enfin à l’acte ! » Elle y rappelle les engagements pris en juillet 2023 par les organisations syndicales et patronales et les associations de la petite enfance, notamment l’inscription de revalorisations salariales dans la convention d’objectifs et de gestion, à hauteur de 600 millions.
Nous avons auditionné hier M. Cyrille Godfroy, cosecrétaire général du Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE). Il nous a dit que des promesses de revalorisation sont faites depuis longtemps mais qu’elles ne sont pas suivies d’effet, alors même que la pénurie de personnel remonte au moins à 2016. Quel est l’état d’avancement de l’application de cet accord sur la revalorisation salariale des professionnels de la petite enfance ? Quels professionnels concerne-t-il ?
J’ai une question qui s’adresse plus précisément à la CFDT. Vous évoquez, dans votre communiqué, les « branches professionnelles étant déjà engagées dans une logique d’amélioration des conditions d’emploi ». Qu’entendez-vous par là ? Cela a-t-il un rapport avec le type de structure, privée, associative ou publique, ou avec le modèle de financement – PSU ou Paje ? Si tel est le cas, préconisez-vous la suppression de certains modèles, qui seraient incompatibles avec l’intérêt supérieur de l’enfant et avec des conditions de travail décentes ?
La coprésidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (Fneje) a déploré que les revalorisations prévues soient inférieures à celles qui ont été décidées dans le cadre du Ségur de la santé – puisque la prime Ségur s’élevait à 183 euros net. Cette différence de traitement est d’autant plus injustifiée que les crèches ont été réquisitionnées, au même titre que les écoles, les Ehpad et les hôpitaux, pendant la crise sanitaire. Comment justifier que les éducateurs de jeunes enfants qui travaillent en institut médico-éducatif perçoivent cette prime, mais pas ceux qui travaillent dans une crèche ? Estimez-vous que les engagements qui ont été pris au sujet des revalorisations sont tenus ? L’année dernière, Élisabeth Borne avait fixé comme objectif la création de 200 000 nouveaux berceaux à l’horizon 2030. Or il semblerait que la convention d’objectifs et de gestion n’en ait prévu que 30 000. Comment expliquer cet écart ?
J’en viens à la gouvernance de la Cnaf. Le 19 mars, nous avons auditionné Mme Elsa Hervy, qui est déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches et membre du conseil d’administration de la Cnaf. Je rappelle que ce conseil d’administration entérine notamment les plans crèches. Nous lui avons demandé comment elle faisait pour porter la double casquette de représentante du Medef au sein du conseil d’administration de la Cnaf et de déléguée générale du lobby des entreprises de crèches. Monsieur Delannoy, vous qui siégez au conseil d’administration de la Cnaf, pensez-vous que cela peut constituer un conflit d’intérêts ? Avez-vous remarqué, au sein du conseil d’administration, des choses qui n’auraient pas dû se produire ? Pouvez-vous nous confirmer que Mme Hervy s’est bien déportée de tous les votes concernant les plans crèches, depuis au moins 2019, comme elle nous l’a dit ?
J’en viens à la marchandisation du secteur de la petite enfance. En 2003, le plan crèches du Gouvernement Raffarin a organisé l’ouverture du secteur, en accordant notamment des subventions publiques aux entreprises privées. À l’époque, la CGT et FO s’y étaient fermement opposées, au sein du conseil d’administration de la Cnaf. Depuis, 15 000 nouveaux berceaux ont été créés, dont 80 % dans le secteur privé. Vingt ans plus tard, pouvez-vous détailler les raisons pour lesquelles vos organisations restent opposées à la privatisation du secteur ? Les représentants des entreprises de crèches privées que nous avons auditionnés nous disent que, grâce à eux, des milliers de places ont été créées, sous-entendant que les secteurs public et associatif n’auraient pas été capables d’en faire autant.
Les représentants du SNPPE et de la Fneje, que nous avons auditionnés hier, ont décrit les conditions de travail difficiles des professionnels du secteur, qui sont majoritairement des femmes. Bruit, agitation, poids des enfants qu’il faut porter à longueur de journée, dans des postures souvent inconfortables : tout cela a un impact sur la santé physique. Véronique Escames, cosecrétaire générale du SNPPE, a déploré que les problèmes de santé liés aux difficultés du métier ne soient pas reconnus comme des maladies professionnelles, notamment les troubles musculo-squelettiques. Lucie Robert, qui est également cosecrétaire générale du SNPPE, a quant à elle souligné l’aspect psychologique de la pénibilité de ces métiers. La CGT a fait de nombreuses propositions en faveur d’une meilleure prise en compte de cette pénibilité. En quoi est-ce, selon vous, une condition nécessaire pour accroître l’attractivité du métier ?
Ma dernière question m’a été inspirée par un tweet que l’on m’a transmis hier, dans lequel une personne travaillant dans une crèche dit avoir reçu une demande surprenante. Elle rappelle que, durant les Jeux olympiques, des policiers, des gendarmes et d’autres agents publics vont être réquisitionnés et n’auront pas de congés. Or, dit-elle, on semble découvrir que les crèches, elles, ferment l’été. Avez-vous entendu parler de réquisitions de crèches pour cet été ? Y a-t-il un plan de mobilisation du personnel des crèches, comparable à ce qui a pu exister au moment de la crise sanitaire, pour accueillir les enfants des fonctionnaires qui vont être mobilisés pendant les Jeux olympiques ?
Mme Jocelyne Cabanal (CFDT). Pour la CFDT, la revalorisation salariale est indispensable. Il est vrai, s’agissant du bonus attractivité, que l’on aurait pu espérer davantage que 150 euros mais c’est déjà très important et nous souhaitons que cette mesure entre en vigueur le plus rapidement possible. En même temps, nous pensons que les employeurs et les branches doivent veiller à ce que ces 150 euros ne constituent pas une aide inconditionnelle aux entreprises. À cet égard, nous trouvons très intéressant que la Cnaf propose de conditionner cette augmentation au respect d’un certain nombre de règles inscrites dans les conventions collectives.
Il est vrai que certaines conventions ne sont pas prêtes, mais cela fait un moment qu’on en parle ! Il y a un vrai travail de dialogue social à faire au sein des branches. Le financement de la petite enfance est le même pour tout le monde et nous estimons que les branches doivent négocier, revaloriser leur classification et empêcher que certaines conventions collectives restent collées au Smic, voire en dessous. C’est ce que doit permettre la proposition de la Cnaf, qui sera adoptée la semaine prochaine.
À la CFDT, nous ne sommes pas opposés à ce que le secteur privé s’occupe de la petite enfance, à condition que ce soit dans un cadre très exigeant. Il y a eu des difficultés dans le public comme dans le privé ; nous syndiquons tout le monde et nous constatons qu’il y a des écarts entre les structures. C’est pour cela qu’il faut équilibrer les choses et que nous proposons de faire des crèches des sociétés à mission, pour que la question de l’intérêt général soit posée et soit une contrainte pour les entreprises.
Mme Myriam Lebkiri (CGT). En effet, les revalorisations salariales sont une promesse non tenue par le Gouvernement – comme beaucoup d’autres. Ces promesses faites durant la crise sanitaire et non tenues expliquent peut-être qu’une partie du salariat ait quitté ces métiers qui n’ont pas été revalorisés, où la qualification n’est pas reconnue et où les conditions de travail sont désastreuses.
La pénibilité est effectivement un frein à l’attractivité. J’insiste à nouveau sur l’importance de la prévention, mais aussi sur la nécessité d’adapter les postes, d’embaucher, de prévoir un accompagnement de fin de carrière et un départ à la retraite plus précoce pour tous les salariés de la petite enfance.
La présence d’Elsa Hervy au conseil d’administration de la Cnaf nous pose effectivement un problème. Nous savons qu’elle sort de la pièce quand certains dossiers sont abordés, mais cela n’a pas toujours été le cas.
Nous maintenons notre opposition au privé lucratif dans le domaine de la petite enfance, et pas seulement dans celui-là. La montée en puissance du privé lucratif s’est accompagnée de dumping social. Nous nous appuyons désormais sur des motions, émanant d’un grand nombre de CAF dans différents départements, qui dénoncent la marchandisation du secteur. Nos CAF nous remontent chaque année que les promesses de créations de berceaux ne sont pas tenues, personne ne parvenant à se mettre d’accord pour savoir qui va en assumer le coût.
M. Léo Lasnier (FO). Nous souhaitons rappeler que le bonus attractivité a pour vocation, aux termes des conventions collectives, d’accompagner les entreprises de crèches dans la revalorisation salariale et que, à ce titre, les 150 euros ne sont pas un plafond de revalorisation, mais un minimum. Nous invitons les employeurs à prendre leurs responsabilités, car leurs blocages empêchent bon nombre de conventions collectives d’avancer, faute que quoi il sera impossible de bénéficier du bonus attractivité – même si un vote va avoir lieu en avril après que du retard a été pris.
FO n’a pas changé l’opinion qui est la sienne depuis plusieurs années sur la privatisation du secteur. L’État n’a pas pris ses responsabilités dans la revalorisation de la PSU. Le coût de création d’une place de crèche PSU est dès lors trop élevé pour les collectivités, qui n’y procèdent pas. Cela crée un manque dont le secteur marchand se saisit. C’est pourquoi, lors des auditions de votre commission d’enquête, vous avez pu entendre les groupes marchands expliquer qu’ils avaient créé des places : oui, mais parce qu’ils disposaient des conditions pour le faire, contrairement aux collectivités, du fait de la non-revalorisation de la PSU.
S’agissant de l’écart entre les promesses de création de places et la COG, encore une fois, promesses non tenues. Les 30 000 places créées sont bien évidemment insuffisantes. On a promis des places de crèches pendant des années, mais, faute de revaloriser la PSU, on ne s’en est pas donné les moyens financiers.
M. Jean-Yves Delannoy (CFE-CGC). Nous sommes ici, avec Joël Raffard, deux administrateurs de la Cnaf : je peux vous confirmer qu’Elsa Hervy quitte systématiquement la pièce lors des votes concernant les plans crèches et que la présidente de la Cnaf est très vigilante aux questions de conflits d’intérêts.
Sur la question de la PSU et de la Paje : la PSU est par définition un modèle déficitaire, avec un reste à charge pour les collectivités, ce qui n’est pas transposable dans le privé. Ce sont aujourd’hui les collectivités qui font des délégations de service public.
Le bonus attractivité a reçu un avis favorable de la commission d’action sociale le 19 mars, et va passer mercredi prochain devant le conseil d’administration de la Cnaf.
La CFE-CGC regrette le choix qui a été fait de recourir, pour le secteur public, à l’indemnitaire plutôt qu’à l’indiciaire. Cela est de nature à créer de nouvelles inégalités, quand certaines collectivités sont déjà au maximum du Rifseep (régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel) et n’ont pas de ressources suffisantes pour améliorer l’indemnisation de leur personnel.
Enfin, les crèches publiques resteront ouvertes pendant les Jeux olympiques et le ministre de la fonction publique a annoncé la mise à disposition de Cesu (chèque emploi service universel).
Mme Aline Mougenot (CFTC). Il nous est difficile d’entendre toujours ces oppositions entre le public, le privé et l’associatif. Tous les salariés ont besoin d’exercer leur métier correctement et tous ont besoin de faire garder leurs enfants pour pouvoir aller travailler. Arrêtons donc de stigmatiser le privé : si les conditions de travail y étaient si insupportables, pourquoi des salariés continueraient-ils d’y travailler, alors qu’il existe dans l’associatif et le public des structures qui cherchent à embaucher ? Donnons à tout le monde les moyens de travailler, avec les contraintes nécessaires. Il ne s’agit pas de laisser faire n’importe quoi, il faut un accompagnement financier et des contrôles. Mais pendant qu’on s’occupe à stigmatiser certains acteurs, on ne parle pas des conditions de travail et des salaires.
Mme Anne Bergantz (Dem). J’ai entendu ici, et parfois dans d’autres auditions, des exposés très définitifs sur le privé. Mais il ressort aussi de nos auditions qu’une partie des problèmes de ce secteur sont systémiques et frappent donc tous les types de crèches. Si des parents, qui sont nombreux à faire garder leurs enfants dans le privé, vous entendaient évoquer des dysfonctionnements récurrents dans ce secteur, ils pourraient s’en inquiéter, alors même que leur taux de satisfaction semble important. Le rapport de l’Igas sur les micro‑crèches indique que l’analyse de questionnaires et de données sociales ne permet pas d’objectiver un différentiel significatif de qualité de l’accueil entre micro-crèches et autres EAJE. Pourriez-vous, à un moment donné, objectiver – et sans vous en tenir à des exemples pris dans des livres – la différence de qualité que vous percevez entre le privé et le public ?
Mme Jocelyne Cabanal (CFDT). Nous n’opposons pas public, privé, et privé non lucratif. Il y a des modèles plus ou moins vertueux. Certaines micro-crèches ont du sens, notamment en milieu rural ; mais il existe aussi des micro-crèches à vocation seulement lucrative, qui ne tiennent pas compte de l’intérêt de l’enfant. On annonce, par exemple, à des parents, en novembre, que la structure ne pourra pas continuer à accueillir leur enfant en décembre parce que des berceaux ont été vendus. Ces parents doivent alors se mettre à chercher un nouveau mode de garde. Il faudrait travailler sur le projet social et mettre en place des normes de qualité. Une étude très intéressante conduite par le Lise (laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique) à Aix-en-Provence a montré comment les professionnels, les usagers et les pouvoirs publics pouvaient créer des normes de qualité. L’enjeu d’un Sieg serait justement de définir de telles normes, applicables à tout le secteur, observables, évaluables, contrôlables – la question du contrôle restant très importante.
Une différence, cependant, entre privé et public, et malheureusement au désavantage de ce dernier, c’est la question des revalorisations salariales : dans le public, elles se font au gré de l’administration, selon le principe de la libre administration des collectivités publiques. Les revalorisations n’y sont donc pas certaines.
Mme Myriam Lebkiri (CGT). Je ne crois pas que les débats aient vocation à rassurer ou non qui que ce soit. Ce dont il est question c’est de la vérité des faits, et de ce que nous pensons de la situation. Certains livres dénonçant des scandales dans les crèches privées ont déjà alerté les parents, s’ils ne s’étaient pas rendu compte par eux-mêmes de la détérioration de la qualité d’accueil en y déposant leurs enfants.
Les conventions collectives du privé sont moins-disantes par rapport à celles du public. Le décès d’un enfant dans une crèche à Lyon est survenu dans le privé. D’une manière générale, l’argent public a-t-il vocation à financer les crèches privées ? La même question se pose pour les secteurs du grand âge, de la santé ou de l’éducation nationale. Les services publics doivent y être présents pour y garantir l’équité, l’égalité d’accès et la qualité.
Il y a, bien sûr, des problèmes de conditions d’emploi, de conditions de travail et de rémunération dans les crèches publiques. Les territoriaux étaient d’ailleurs en grève le 19 mars pour demander la revalorisation du point d’indice. L’État et les collectivités doivent faire un effort en matière de conditions de travail et de rémunération de leurs employés.
M. Léo Lasnier (FO). Nous ne stigmatisons évidemment pas les salariés du privé, et nous cherchons aussi à les défendre au moyen de la meilleure convention collective. La question est celle de la vision que l’on a de la politique familiale. Souhaitons-nous rendre possible une conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle, comme il ressort des travaux du Conseil national de la refondation ? Mais le reste à charge dans les micro-crèches privées et leur développement anarchique, ces dernières années, ne permet pas une telle conciliation pour les familles les plus précaires. Seules les crèches fonctionnant avec la PSU permettent la mixité sociale, avec un reste à charge moins élevé.
Il existe, bien entendu, des difficultés dans les crèches publiques – pénibilité, charge de travail excessive, etc. On y retrouve les mêmes problématiques. Il reste que des rapports et des enquêtes journalistiques nous ont en effet alertés sur les plus nombreux dysfonctionnements des crèches privées, sans que les familles en soient informées : raison pour laquelle, peut-être, elles expriment leur satisfaction – sans être au courant, par exemple, des problèmes de malnutrition.
De manière objective, la réglementation n’est pas la même dans les deux secteurs, au regard de l’obligation de présence d’un directeur d’établissement ou du ratio entre employés titulaires d’un diplôme d’État et employés non diplômés, par exemple. Pour cette raison, FO est favorable à une harmonisation de la réglementation entre les deux secteurs, sans jeter l’opprobre sur les salariés du privé.
M. Jean-Yves Delannoy (CFE-CGC). La CFE-CGC n’est pas non plus favorable à une quelconque stigmatisation : reste que le sujet de la vente des berceaux, évoqué par Mme Cabanal, devrait être abordé dans votre rapport.
Je voudrais évoquer deux derniers points. D’abord, celui de la destruction de places : pour la CAF du Val-d’Oise, le solde est négatif sur la période de la COG 2018-2022, en dépit du nombre important de places créées. C’est un point qui mériterait d’être étudié. Celui, enfin, des inspections conjointes de la PMI (protection maternelle et infantile) et de la CAF : ces deux organismes sont sur des routes séparées et devraient travailler davantage main dans la main.
Mme Aline Mougenot (CFTC). Attaquer un secteur, c’est attaquer ses salariés. On parle de malnutrition mais, derrière ce mot, il y a des salariées qui ont embrassé une profession par désir d’être dans la bientraitance. Quand elles entendent ce genre de propos, elles ont l’impression qu’on dévalorise un travail qu’elles font pourtant consciencieusement.
Je voudrais revenir sur la question du CPF (compte personnel de formation). Le reste à charge a des conséquences directes sur les salariées du secteur : pour une salariée de la petite enfance, un reste charge de 100 euros implique de ne plus pouvoir accéder à la formation.
Mme Myriam Lebkiri (CGT). De nombreux salariés vont devoir travailler pendant les Jeux olympiques – dans le commerce, la sécurité, le transport, etc. Nous n’avons pas encore entendu parler de mesures spécifiques pour l’accueil des enfants de ces salariés, alors que de nombreuses crèches privées ferment en août. Nous n’avons pas eu de retour sur des modalités de « réquisition » des salariés du secteur de la petite enfance.
M. Léo Lasnier (FO). Des enquêtes journalistiques ainsi que les travaux de l’Igas ou de l’IGF ont mis en lumière des dysfonctionnements tels que le rationnement des couches ou la malnutrition. Je le précise à nouveau, on ne jette pas l’opprobre sur des salariés, mais sur un mode de fonctionnement qui conduit à les presser comme des citrons. Ils veulent évidemment travailler de manière consciencieuse et approfondie – personne ne souhaite faire de mal à nos chérubins.
M. le président Thibault Bazin. Une des centrales voudrait-elle adresser un message complémentaire ?
Mme Jocelyne Cabanal (CFDT). Je voudrais aborder la question de l’encadrement. C’est un point fondamental dans les structures de la petite enfance, et les micro-crèches n’ont pas toutes des directions vraiment qualifiées. Ce sont des tâches difficiles, sources de stress, et où il faut faire face à des pénuries de personnel. Il faut donc absolument renforcer la maîtrise et l’encadrement.
Il serait enfin vraiment important, sur la question des rapports entre le public et le privé, que soit mise en place une convergence des conditions d’emploi, au moyen des conventions collectives et du comité de filière.
Mme Stéphanie Prat-Eymeric (FO). La phrase sur laquelle j’ai été interrompue tout à l’heure entendait souligner que le manque de personnel a des conséquences psychosociales sur les salariés, qui souhaitent être au plus près de l’enfant et lui apporter tout ce dont il a besoin.
M. Joël Raffard (CGT). Je siège avec M. Delannoy à la branche famille de la CAF. En 2024, il y a 400 millions de sous-consommation de la branche famille dans le secteur de la petite enfance. La COG prévoit le report de cette somme sur l’année prochaine, mais ce n’est apparemment pas gagné, alors que le Gouvernement a signé cette convention avec la branche famille. Il faut y être attentif, au vu de l’importance des besoins.
M. le président Thibault Bazin. Cela ne se décide-t-il pas dans le PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) ?
M. Joël Raffard (CGT). Non, c’est un budget prévisionnel propre à la COG. La sous-consommation de cette année est due à ce que la COG était en négociation, si bien que les collectivités locales ne se sont pas engagées. Cela fait, par ailleurs, plusieurs années que la branche famille est en excédent et que ces excédents ne sont pas repris par la branche famille, alors que les besoins sont considérables.
Je précise enfin que la CGT ne stigmatise les salariés d’aucun secteur.
M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie de nous avoir alertés sur ce sujet. Je faisais le lien avec le PLFSS parce que les ponctions sur la branche famille y sont régulières.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Le sujet très sensible du rationnement des repas dans certaines crèches a été évoqué. Cela fait écho aux auditions que nous avons conduites. La direction opérationnelle du groupe LPCR nous a bien confirmé l’existence, pendant quelques années, d’une prime annuelle d’un montant de 300 euros incitant les directrices d’établissement à réduire les rations. Des enquêtes journalistiques ont également montré les dérives que ces primes ont occasionnées sur le terrain.
Ma question s’adresse donc principalement aux organisations syndicales représentatives chez LPCR : comment ce sujet est-il perçu par les salariés du groupe ? Êtes-vous en accord ou non avec ce système de prime ? Est-ce qu’il vous choque ?
Mme Jocelyne Cabanal (CFDT). La CFDT considère évidemment que ce genre de pratique est complètement contraire à l’éthique et peut créer une distorsion émotionnelle très forte chez les professionnels. C’est à cela que nous faisons référence quand nous évoquons le rôle du Sieg, qui doit définir un projet social et poser un certain nombre de barrières. Les contrôles sur site doivent aussi être renforcés, par des pairs qui peuvent bien ressentir ce qui se passe dans la pratique du métier. Il nous semble également important de lutter contre l’optimisation fiscale dans les grands groupes.
M. Stéphane Fustec (CGT). L’existence de ce genre de pratique, que nous jugeons parfaitement scandaleuse, nous a bien été confirmée par nos représentants. C’est un des traits, que nous dénonçons, du secteur lucratif. Il est tout de même fort de café d’entendre dire, comme ça a été le cas lors de l’audition du groupe LPCR, que cette prime a été décidée dans le respect d’une politique RSE (responsabilité sociale des entreprises). Nous travaillons sur le terrain pour que les salariés du secteur lucratif aient les mêmes droits que les autres et puissent travailler en toute tranquillité. Pas plus tard qu’hier, j’ai reçu, d’une personne travaillant dans une crèche LPCR, un e-mail appelant au secours. Il y a un vrai sujet de respect des droits et d’amélioration de la convention collective dans le secteur privé lucratif.
Mme Aline Mougenot (CFTC). Je voudrais rappeler que la CFTC – où nous avons la chance d’avoir toute la petite enfance regroupée dans la même fédération – est présente dans le groupe LPCR. Nous avons aussi des remontées de salariés mais cela reste marginal. On ne peut pas se focaliser sur un cas pour jeter l’opprobre sur tout un secteur.
M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie, et je vous invite tous à ne pas hésiter à transmettre formellement à Mme la rapporteure les analyses dont vous disposez et les études que vous pouvez avoir réalisées en votre sein.
La séance est levée à 11 heures 40.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du jeudi 28 mars 2024 à 10 heures
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Sophia Chikirou, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sarah Tanzilli
Excusée. - Mme Isabelle Santiago