Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition du Dr Jean-Philippe Bertocchio, néphrologue, dirigeant de Skezi 2
– Présences en réunion...............................9
Mardi 9 avril 2024
Séance de 10 heures 30
Compte rendu n° 42
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 10 heures 45.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné le Dr Jean-Philippe Bertocchio, néphrologue, dirigeant de Skezi.
M. le président Thibault Bazin. Nous sommes heureux d’accueillir le docteur Jean‑Philippe Bertocchio, néphrologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Le docteur Bertocchio dirige Skezi, une start-up cofondée par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l’Université Paris-Cité pour développer des outils numériques d’évaluation de la qualité des soins, notamment par le partage de données en ligne et par la constitution de e‑cohortes, qui font l’objet d’un suivi.
M. Bertocchio présentera sûrement mieux que je ne saurais le faire certaines applications pratiques de cet outil numérique qui semble avoir fait ses preuves dans le domaine médical. Nous nous interrogeons sur une possible adaptation d’un tel outil afin de mesurer l’accueil dans les crèches, en tenant compte des caractéristiques qui leur sont propres.
Comme nous avons pu le constater lors des derniers mois, la mesure de la qualité de l’accueil dans les crèches n’est pas chose aisée. Les signaux d’une éventuelle dégradation sont plus ou moins perceptibles et peuvent dépendre de facteurs très variables.
Le fait que cette évaluation doive relever, in fine, d’une appréciation humaine doit-il pour autant nous priver du recours à de tels outils numériques ? Le cas échéant, à quelles conditions l’exploitation de ces outils est-elle envisageable ? Nous comptons sur vous, monsieur Bertocchio, pour nous éclairer sur ces perspectives.
Je précise que l’audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Il me reste à vous rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Jean-Philippe Bertocchio prête serment.)
M. Jean-Philippe Bertocchio. Au préalable, je tiens à rappeler que je ne suis pas un spécialiste de la petite enfance. Mon expertise concerne la donnée rapportée par les acteurs et les usagers. Je réfléchis aux moyens par lesquels ce modèle pourrait être adapté au domaine de la petite enfance. Je suis néphrologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, mais aussi spécialisé dans les maladies rares, qui ont pour particularité de toucher des familles entières, des personnes à tous les âges de la vie. Ces personnes sont, par définition, peu nombreuses, mais on peut disposer de nombreuses données pour chacune d’elles. En les suivant au cours du temps, on est en mesure de mieux appréhender les situations sanitaires individuelles, qui, pour ces pathologies, ne sont pas liées uniquement à des facteurs médicaux, mais aussi à des données environnementales et sociales. On s’intéresse de plus en plus à l’interaction existant entre la dimension purement médicale et la société en elle-même. L’environnement socio-économique a un impact non seulement sur la progression des maladies chroniques mais aussi sur de nombreuses autres pathologies.
Deux chercheurs à l’AP-HP, les professeurs Philippe Ravaud et Viet-Thi Tran, ont voulu donner un coup d’accélérateur à la recherche sur ces déterminants. Face au coût élevé de la recherche clinique et à la complexité de sa mise en œuvre, due à des raisons réglementaires et organisationnelles, l’idée a été développée de s’adresser aux principaux concernés, à savoir les patients désireux de se prêter à la recherche, sans passer par les soignants ni par les établissements. Cela permet de recueillir un plus grand nombre d’informations précises, notamment sur le vécu de ces personnes. Les patient-reported outcomes, autrement dit les données rapportées par les patients, concernent tant l’état de santé perçu – mesuré par la qualité de vie, la douleur, les symptômes, etc. – que l’expérience des soins et la qualité et l’adaptation de l’accueil à ces derniers.
J’ai cru comprendre qu’il existait une forme d’inadéquation entre les attentes des familles, de la société et l’accueil assuré par certaines crèches. C’est une situation que l’on connaît dans les hôpitaux, les cliniques et l’ensemble du secteur sanitaire. Les crèches peuvent, dans une certaine mesure, être rapprochées de ce dernier. Au début des années 2000, un courant d’idées, théorisé notamment par Michael Porter, s’est penché sur les moyens de changer le modèle du système de santé en prenant davantage en compte les attentes des acteurs, des patients et de leurs familles. M. Porter a proposé que les acteurs se réunissent pour s’accorder sur un certain nombre d’indicateurs reposant à la fois sur des critères durs, comme la mortalité, la morbidité, le nombre d’infections, et des critères que l’on pourrait qualifier de mous, issus des sciences humaines. Ainsi, après une intervention de la cataracte, on examinera non seulement si le patient recouvre pleinement la vue, mais aussi s’il se remet à lire, s’il se trouve à nouveau engagé dans des interactions sociales et, le cas échéant, s’il reprend une activité professionnelle. Nous disposons d’outils scientifiques permettant de mesurer ces éléments.
Ma proposition consiste à transposer ce modèle aux crèches. Notre PME, qui connaît une croissance forte, a été créée par l’AP-HP et l’université Paris-Cité à la suite de l’invention, par nos fondateurs, les professeurs Philippe Ravaud et Viet-Thi Tran, d’un logiciel permettant de collecter ce type de données et de créer des e-cohortes, autrement dit de suivre les individus dans le temps par des moyens numériques. Cela nous permet de mesurer les effets des interventions réalisées sur des indicateurs tels que la qualité de vie, la qualité d’accueil perçue, la satisfaction, les symptômes, etc.
Le service public n’a pas pour rôle de développer des technologies, de les commercialiser ou de les adapter à un marché. C'est pour mener à bien ces tâches que Skezi a été créé. Nous répondons tant aux besoins du service public qu’à ceux du secteur privé. D’autres structures ont développé des technologies relativement similaires permettant de collecter ces données et de les suivre dans le temps. Notre spécificité tient au fait que nous sommes une jeune entreprise de rupture, autrement dit une deep tech, qui emploie des technologies permettant de suivre plusieurs individus, rapprochés les uns des autres, en réseau.
Un enfant doit être considéré par exemple dans son environnement, avec ses parents, ses grands-parents, les aidants et des personnels de la petite enfance, pas seulement au sein des crèches. Les outils existants permettent à ces différents acteurs de rapporter des données relatives à un individu.
Notre entreprise a pour objet de faciliter la collecte, l’utilisation et la valorisation des données, à une double fin. D’une part, ces données sont susceptibles de fournir à la recherche de nouvelles connaissances lui permettant de mieux comprendre l’évolution de telle ou telle pathologie ou situation sociale. D’autre part, dans le cadre du soin courant, un hôpital, une clinique, un service de santé a besoin d’évaluer les mesures qu’il applique et peut se servir, pour ce faire, de données émanant de notre société – concernant, par exemple, les infections nosocomiales – ou d’indicateurs provenant directement des principaux concernés, professionnels et patients.
M. le président Thibault Bazin. Les connaissances évoluent beaucoup, en particulier sur les troubles du neurodéveloppement, ce qui met en lumière les enjeux du dépistage. Au-delà des maladies chroniques, l’interface numérique pourrait-elle permettre d’améliorer les dépistages ? Quelles conditions éthiques faudrait-il remplir pour autoriser un tel déploiement ? Cette initiative devrait-elle être à la main de la protection maternelle et infantile (PMI) ou des gestionnaires ? Nécessite-t-elle le consentement des familles ? Ce dispositif pourrait-il avoir un rôle dans la prévention des infections ? Des indicateurs pourraient-ils être créés, en relation avec les activités ludiques, pour mettre en lumière des difficultés dans l’appréhension de l’espace, dans le domaine de la mémoire ou concernant certains sens ? L’interface que vous proposez devrait-elle être systématisée à l’échelle nationale – ce qui permettrait de recueillir des données en grand nombre et de répondre à l’exigence de qualité – ou laissée au bon vouloir des structures ? Ces données pourraient-elles être rapportées par les professionnels et les familles ?
M. Jean-Philippe Bertocchio. Il s’agit, en quelque sorte, d’un outil de démocratie participative et collaborative. L’objectif est qu’un maximum d’acteurs puissent participer, de manière active, à la collecte de données. Ils ne doivent pas le concevoir comme une contrainte, ce qui suppose qu’ils perçoivent le bénéfice qu’ils pourront en retirer. Les professionnels de la petite enfance comme les professionnels de santé dans les établissements doivent comprendre que ce n’est pas une sorte de flicage, une énième couche de contraintes administratives destinée à leur dire ce qu’ils font bien et ce qu’ils font mal. Ces mesures doivent leur permettre de quantifier ce qui va bien dans leur institution et ce qu’ils pourraient améliorer. Dans le cas du traitement de la cataracte, par exemple, le fait de mesurer le bénéfice que l’on apporte au patient permet au chirurgien ophtalmologiste de ne proposer l’intervention qu’aux patients qui en retireront un réel bienfait. Je pense que personne, parmi le personnel de la petite enfance, n’a envie de maltraiter un enfant, de la même façon qu’aucun soignant ne souhaite maltraiter un patient. Toutefois, si l’on n’est pas capable de discerner les effets de ses actions, on ne pourra pas améliorer les choses. Il faut voir ce dispositif comme un outil d’amélioration collective. Les parents pourront, par exemple, quantifier la progression de leur enfant.
M. le président Thibault Bazin. Avez-vous déjà identifié des freins législatifs ou réglementaires à ce projet ? On parle en effet de données de santé relatives à des enfants.
M. Jean-Philippe Bertocchio. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a bien anticipé bon nombre de situations. Les titulaires de l’autorité parentale seront à même de communiquer des informations et de choisir qui, parmi les aidants au sein de la famille, pourront agir de même. Ce faisant, ils détermineront le périmètre de la collecte des données, ce qui peut apparaître comme une limite de l’exercice. Toutefois, cela devrait évoluer à mesure que les acteurs apprendront à travailler ensemble : plus ils auront confiance dans le système, plus ils élargiront le champ des informations rapportées. Les parents souhaitent, me semble-t-il, avoir un plus grand nombre d’informations au sujet de leur enfant. Le modèle proposé leur permettrait d’obtenir une évaluation des professionnels de la petite enfance, des pairs aidants, qui les accompagnent. À partir d’indicateurs consensuels, scientifiquement validés par l’ensemble des acteurs et acceptables par tous, ils obtiendraient des informations sur l’éveil de leur enfant, sa structuration sociale. Ses courbes de progression leur apporteraient des enseignements.
Je reviens sur votre question concernant les maladies neurodégénératives. La question ne doit pas se poser au moment où la maladie est installée. Les outils que nous employons s’inscrivent dans la durée et doivent permettre de détecter les états intermédiaires, dits de pré-maladie ou de pré-souffrance.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous avez développé un outil qui permet de mesurer la qualité de vie liée à la santé. Dans le secteur des crèches, le bien-être de l’enfant, l’application d’une pédagogie lui permettant de bien grandir à un moment crucial pour son développement constituent des enjeux essentiels. Mais comment mesurer objectivement la qualité de l’accueil du jeune enfant, lequel est particulièrement vulnérable et ne dispose pas de moyens de communication standard ? L’accueil comporte une dimension sanitaire : à cet égard, votre outil pourrait contribuer à détecter les handicaps plus précocement que ce n’est le cas aujourd’hui. Il comporte également un volet éducatif. Or la qualité de la prise en charge, sur ce plan, est particulièrement difficile à évaluer.
Les différents rapports sur le sujet montrent qu’il existe des décalages assez importants entre ce qui se passe dans les crèches et ce qui en ressort, qu’il s’agisse de stratégies de protection des personnels au sein de la crèche ou d’une perception parfois inexacte des parents. Pour toutes ces raisons, il est très difficile de mesurer la qualité de l’accueil du jeune enfant. C’est pourquoi nous avons souhaité vous entendre afin d’essayer d’apporter des solutions.
En quoi votre outil pourrait-il être utile au secteur de l’accueil du jeune enfant, en tenant compte des dimensions sanitaire et éducative ? Pensez-vous qu’un outil fondé sur le recueil du ressenti des patients pourrait améliorer la qualité d’accueil des jeunes enfants, alors que ceux-ci ne disposent pas de moyens classiques de communication et que le décalage peut être important entre la manière dont les parents perçoivent un établissement et sa réalité ? Enfin, pensez-vous que votre outil numérique pourrait être utile aux PMI, aux gestionnaires de crèche et aux parents, en permettant de mesurer la qualité d’accueil des jeunes enfants et, le cas échéant, servir de référentiel aux PMI pour leurs contrôles ? En quoi cet outil et son référentiel seraient-ils plus efficaces que les dispositifs existants ?
M. Jean-Philippe Bertocchio. Notre outil s’applique déjà à de jeunes enfants. Pour une étude, baptisée Coropreg, une équipe de recherche de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) suit une cohorte de femmes qui avaient contracté la covid-19 pendant leur grossesse, afin d’observer l’évolution de leurs enfants. On fait du suivi à moins de 36 mois, soit à un âge très proche de celui de la population des crèches. Évidemment, ce ne sont pas les enfants qui répondent mais les mamans. Il est aussi possible d’interroger le médecin généraliste et le pédiatre, grâce à des outils permettant de mesurer l’évolution psychique et psychomotrice de l’enfant. On se sert d’outils de détection qui existent à la PMI, ainsi qu’en médecine générale ou pédiatrique.
Il y aura probablement des experts plus précis que moi sur ces sujets, mais vous soulignez, à juste titre, la dissociation entre la perception des parents et celle des personnels de la petite enfance. L’une des forces de l’outil est de pouvoir faire de cette différence de perception non pas un objet de discorde mais un sujet de discussion, afin de se retrouver sur les points d’accord et d’identifier ceux à améliorer.
Quant à savoir quels acteurs doivent être impliqués, je vous dirai tous. Michael Porter a très bien résumé la situation dans sa science des organisations : pour résoudre un problème d’organisation sociale, dit-il, il faut mettre tous les acteurs autour de la table, ce que vous faites dans cette commission d’enquête. L’État, les représentants de l’État, les collectivités territoriales, les financeurs, les parents et les professionnels de l’accueil s’accorderont sur la définition des indicateurs du développement de l’enfant, pour chaque catégorie d’âge. Une fois ces indicateurs fixés, il s’agira de préciser ceux dont les données doivent être rapportées par les parents, la famille, l’entourage, et ceux dont les données concernent les professionnels.
Il conviendra également de déterminer ensemble les différents seuils d’alerte, à destination des professionnels, des parents, de l’administration ou des financeurs, par exemple en ce qui concerne la dégradation de la qualité de vie au travail des professionnels, qui est un déterminant important, dans la mesure où elle est liée à la qualité de l’accueil et à celle du travail. Cela permettrait d’agir en amont afin de mettre en œuvre des actions très précises au lieu de tirer au bazooka – excusez-moi l’expression – sur toutes les crèches, en imposant de doubler tous les effectifs et de rénover tous les bâtiments, ce qui peut être important dans certains cas, bien sûr. Mais il est plus utile de mener une action ciblée, de faire ce que l’on appelle en médecine de la médecine de précision, pour prodiguer le bon soin à la bonne personne.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Les premiers retours des départements font apparaître une disparité très importante dans les modalités d’exercice des contrôles effectués par la protection maternelle et infantile. Un outil qui leur permettrait de cibler les contrôles sur place au vu d’un certain nombre d’éléments issus des remontées du terrain, d’indicateurs et de niveaux d’alerte leur faciliterait grandement le travail. Avez-vous déjà été contacté par des départements, des PMI ou des acteurs de la petite enfance ? Est-ce que, pour ce qui concerne les jeunes patients, votre logiciel intègre déjà parmi ses critères les conditions d’accueil de l’enfant avant 3 ans ?
M. Jean-Philippe Bertocchio. Non, je n’ai pas encore été contacté par des personnels des établissements de la petite enfance. Nous n’avons pas non plus développé d’indicateurs spécifiques. Tout d’abord, je ne suis pas sûr que les acteurs de la petite enfance sachent qu’il est possible d’utiliser ce type d’outil. Par ailleurs, nous n’avons pas d’équipe commerciale qui va démarcher les crèches, étant donné qu’elles ne représentent pas un business pour nous. Le logiciel a été développé dans le cadre de notre entreprise à mission. À entendre tous les débats, je me dis qu’il y a une solution : mettre tout le monde autour de la table et discuter.
Il me semble essentiel que l’indicateur soit coconstruit par les professionnels, les parents et des pédopsychiatres ou des pédiatres, afin d’être consensuel. Dans le cas de différences trop fortes entre ce qui est rapporté par les parents et ce qui l’est par les professionnels, l’idée serait aussi de rapprocher les deux parties et d’apporter plus de consensus dans les établissements.
M. le président Thibault Bazin. L’AP-HP gère me semble-t-il quarante-six crèches dont certaines ont des agréments pour plus de quatre-vingt-dix places. N’y aurait-il pas là un terrain d’expérimentation tout trouvé ?
M. Jean-Philippe Bertocchio. Je vais revoir l’AP-HP bientôt, je leur transmettrai votre suggestion.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Les personnels voient beaucoup de choses, mais peuvent être soumis à une pression importante, qui empêche la remontée des informations, par peur des représailles. Il se serait donc très intéressant d’anonymiser ces remontées, afin de recueillir des données plus fiables. Qu’en pensez-vous ?
M. Jean-Philippe Bertocchio. L’anonymisation des données, au sens de la Cnil, rend impossible toute remontée vers l’individu, contrairement aux données directement identifiantes et aux données dites pseudonymisées, dont on retire les éléments directement identifiants mais dont la source peut être réidentifiée après beaucoup de travail. Dans notre solution, on collecte des données directement identifiantes – on peut même récolter le numéro de sécurité sociale, parce que nous sommes spécialisés dans les données de santé, par définition très sensibles –, que l’on met dans une structure logicielle, qui est une sorte de double coffre-fort, où l’on dissocie les données directement identifiantes des données de santé elles-mêmes.
Anonymiser des données individuelles nécessite d’utiliser des algorithmes un peu plus poussés. Nous travaillons notamment avec une start-up nantaise, Octopize, pour une partie des données mises en open data chez Etalab, par exemple. Anonymiser les verbatim transmis par des professionnels est assez compliqué, parce que l’on ne peut pas anticiper le type d’informations délivrées. Cela nécessite que des gens les relisent afin d’enlever les données permettant toute réidentification.
Un tiers pourrait agir comme tiers de confiance, qui ne serait ni l’employeur, ni les parents, ni Skezi sans doute, mais un groupe, dont le niveau local, départemental ou régional serait à déterminer, qui pourrait analyser ces verbatim pour orienter l’action, en fonction de la nature des messages reçus – alertes urgentes ou remarques de fond.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je vous remercie des éléments que vous nous avez apportés, qui ouvrent une porte pour développer une solution prioritairement à destination des PMI et, le cas échéant, des CAF (caisses d’allocations familiales). C’est un véritable outil au service du contrôle de la qualité. J’appellerai l’attention sur son existence et son potentiel d’évolution pour l’adapter à la mesure de la qualité de l’accueil du jeune enfant.
M. Jean-Philippe Bertocchio. Ce qui est central, c’est la coconstruction : placer les acteurs autour de la table pour qu’ils se mettent d’accord entre eux. Je tiens beaucoup aussi à la question de la transparence, afin que tout le monde voie que ces données ne sont pas recueillies dans le but de fliquer mais bien d’améliorer tous ensemble l’accueil des jeunes enfants et, plus généralement, le service apporté aux populations.
M. le président Thibault Bazin. Dans l’hypothèse où la rapporteure retiendrait votre suggestion, savez-vous s’il existe des freins réglementaires ou législatifs à l’adoption de votre outil ? La simple volonté suffirait-elle à le mobiliser ou faudrait-il créer des dispositifs ? Je pense notamment au dossier médical partagé (DMP) qui s’apparente, en réalité, à une grande pièce dans laquelle on jette des dossiers, sans que rien n’y soit organisé… On peut mettre beaucoup de données dans un logiciel, elles peuvent être connectées, mais se pose aussi la question de la responsabilité.
Les sujets de la maltraitance, des douces violences ont été abordés ; ils soulèvent un certain nombre de questions. Il faut aussi prendre en compte les niveaux individuels, pour chaque enfant, et collectif. Comment articuler la protection des données et votre désir de transparence, sans oublier qu’un consentement initial est nécessaire ? Le système actuel, entre les règles relatives aux données de santé et celles concernant la protection des données relatives aux mineurs, permettrait-il d’expérimenter votre outil sur les quarante-six crèches de l’AP-HP pour détecter des problèmes de qualité voire susciter une montée en qualité ?
M. Jean-Philippe Bertocchio. Si tout le monde est volontaire et donne son accord pour partager ses données, en réalité, un travail avec la Cnil permettra de voir qu’il n’y a pas de freins. Le frein apparaît si les parents, les titulaires de l’autorité parentale, parce qu’il y a peut-être un parent trop protecteur, refusent de donner leur autorisation. Dans ce cas, vous ne pourrez probablement pas collecter de données personnelles concernant l’enfant, mais vous pourrez en récolter sur les professionnels de l’accueil. Le fait que des parents ne participent pas à ces évaluations pourrait d’ailleurs, parfois, constituer une alerte. Il faut néanmoins aussi tenir compte des 10 % de la population en situation d’illectronisme, qu’il faudra accompagner. Pour les parents qui ne parleraient pas le français, le numérique ne sera pas une limitation, puisqu’il permet de s’adapter à toutes les langues. Quant aux parents en situation de handicap, malvoyants ou non-voyants, des outils numériques existent aussi. Le numérique permet de résoudre beaucoup de problèmes. La plus grande difficulté sera, à mon sens, la résistance au changement. Il faudra que les gens comprennent que l’outil est dans leur intérêt et dans celui de l’enfant.
M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie, docteur, d’être venu à notre rencontre.
La séance est levée à 11 heures 25.
Présents. – M. Thibault Bazin, Mme Sarah Tanzilli