Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de M. Christian Jacob, ancien ministre délégué à la famille (2002-2004) 2
Mercredi 10 avril 2024
Séance de 17 heures 30
Compte rendu n° 49
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 17 heures 35.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné M. Christian Jacob, ancien ministre délégué à la famille (2002-2004).
M. le président Thibault Bazin (LR). Après l'audition de Mme Nadine Morano le 4 avril dernier et celle, en début d’après-midi, de Mme Marisol Touraine, nous poursuivons notre série d'auditions d'anciens ministres chargés de la famille en accueillant M. Christian Jacob, qui fut ministre délégué à la famille entre juin 2002 et mars 2004 dans le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin.
Pendant cette période, le secteur des crèches a été ouvert aux acteurs privés lucratifs et le crédit d'impôt famille (Cifam) a été institué, par la loi de finances pour 2004. Ce dernier, qui fait beaucoup parler de lui ces derniers temps, a ainsi fait l’objet récemment de recommandations dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale des finances (IGF), avant le rapport d’évaluation de la Cour des comptes qui devrait être publié à la rentrée.
Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité. Nous n’allons pas auditionner tous les ministres, ministres délégués et secrétaires d’État chargés de la famille au cours des vingt dernières années, mais il n’était pas envisageable de ne pas vous auditionner, car la période au cours de laquelle vous avez été aux responsabilités est une période charnière.
Je précise que cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et que l'enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(M. Christian Jacob prête serment.)
M. Christian Jacob, ancien ministre délégué à la famille. Quand je suis arrivé au ministère de la famille, il existait sept prestations différentes pour l'accueil des jeunes enfants, en fonction du mode de garde. L’objectif était alors de simplifier ce système en le remplaçant par une seule prestation. C’est ainsi qu’a été créée la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), qui existe encore aujourd’hui. Elle comprend un socle de base, éventuellement complété en fonction du mode de garde choisi par les parents – qu’il s’agisse d’une crèche, d’une garde chez une nourrice agréée ou d’une garde à domicile par un membre de la famille ou par un des deux parents choisissant de s’arrêter de travailler totalement ou à temps partiel pour se consacrer à l’éducation de son enfant. Nous avions alors considéré, ce qui ne faisait pas l’unanimité à l’époque, que ce choix relevait d’une décision de la famille et que la puissance publique n’avait pas à y intervenir. L’objectif était double : maintenir, voire augmenter, le taux de fécondité – qui était alors de plus de deux enfants par femme, soit un des meilleurs taux européens – et favoriser l’activité professionnelle des femmes, qui était alors beaucoup plus faible qu’en Allemagne par exemple.
Les débats sur la Paje opposaient à l’époque ceux qui étaient pour le tout-crèche afin de favoriser la sociabilisation de l’enfant et ceux qui étaient pour les modes de garde individuels, à domicile ou chez une nourrice agréée. En caricaturant – car la caricature est certes dans l'excès, mais ses fondamentaux sont souvent bons –, les premiers siégeaient à gauche de l’hémicycle et les seconds à droite. Nous étions favorables au libre choix des parents.
Parallèlement à la création de la Paje, nous avons ouvert les financements de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) aux crèches privées. Cette décision a été prise à la suite d’un vote du conseil d’administration de la Cnaf, présidé à l’époque par Nicole Prud’homme, représentante de la CFTC. En tant que ministre, je n’en étais pas membre, mais j’avais été auditionné pour présenter le projet.
Ces financements ont permis à de multiples intervenants de pouvoir créer une crèche afin de pallier les difficultés financières auxquelles faisaient face en la matière les villes moyennes – surtout celles de moins de 15 000 habitants, et encore davantage celles de moins de 10 000.
Grâce à ce système, nous avons pu créer dans ma ville de Provins, en plus de la crèche municipale, une crèche à l’hôpital ouverte de six heures à vingt-trois heures. Cela ne relevait pas de ma décision, mais je n’étais pas favorable, par respect du rythme biologique des enfants, à une ouverture vingt-quatre heures sur vingt-quatre, même si rien ne l’interdisait. Cette crèche répondait aux attentes des familles d’aides-soignants, d'infirmières et du personnel hospitalier en général. Dans ce cadre, nous pouvions contractualiser avec le service de pédiatrie et réserver, au-delà de l’hôpital, des berceaux en ville pour la fonction publique hospitalière bien sûr, mais également pour la fonction publique d’État. L’attribution des quelques berceaux que nous réservions était placée sous l’autorité du préfet, qui pouvait les accorder aux enseignants, policiers ou gendarmes en mobilité. Les entreprises avec de nombreux salariés pouvaient également réserver quatre ou cinq berceaux pour leurs salariés, notamment ceux en mutation.
M. le président Thibault Bazin (LR). Au cours de nos auditions, nous nous sommes beaucoup concentrés sur la réservation de berceaux dans le privé, mais je comprends que la notion de tiers financeur était présente dès le départ et que celui-ci pouvait être aussi bien privé que public. Ainsi, les administrations et les collectivités pouvaient réserver des berceaux auprès de gestionnaires privés tout comme les entreprises pouvaient le faire auprès de structures publiques. Cette possibilité était-elle intentionnelle ?
M. Christian Jacob. Elle l’était, car notre cible était les villes moyennes sans possibilité de garde. Il nous paraissait donc difficile de tout miser sur des crèches 100 % privées et c’est pourquoi nous avons mixé avec la fonction publique d’État, hospitalière et territoriale.
M. le président Thibault Bazin (LR). Nous avons auditionné la direction de la sécurité sociale (DSS) et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – avec lesquelles vous êtes sans doute familier en raison de votre parcours ministériel –, mais leurs représentants n’ont pas abordé la question de la réservation de berceaux par l’État, notamment à travers les sections régionales interministérielles d'action sociale (Srias). Vous aviez le pressentiment qu’il existait un besoin dans la fonction publique, auquel il fallait répondre par le recours aux acteurs privés et publics.
M. Christian Jacob. Nous visions un modèle avec des crèches de quarante à cinquante berceaux. Une seule entreprise, à moins qu’elle ne soit énorme, ne pouvait donc y répondre seule, d’autant qu’il y avait des besoins dans la fonction publique territoriale, notamment pour les fonctionnaires en mutation, pour lesquels le choix restreint ou l’absence d’établissement scolaire ou de mode de garde est un frein. Notre modèle ne reposait donc pas exclusivement sur le privé, même si celui-ci pouvait recevoir des financements de la Cnaf après agrément. D’ailleurs, il existait à l’époque quelques initiatives en ce sens – Babilou avait ainsi lancé des crèches entièrement privées.
M. le président Thibault Bazin (LR). Vous avez mentionné la difficulté pour les villes moyennes, et surtout, pour les plus petites communes, de financer la création, le développement et le fonctionnement des crèches. L’ouverture au privé et la gestion déléguée avaient-elles pour objectif de leur faciliter cette tâche ?
M. Christian Jacob. Oui. À Provins, par exemple, nous aurions été incapables de mettre en place une deuxième crèche municipale. Nous n’avons pu ouvrir davantage de berceaux que grâce à la fonction publique hospitalière, au privé et aux mobilités des fonctionnaires d’État.
M. le président Thibault Bazin (LR). J’imagine que ces difficultés étaient liées aux limites du modèle de financement de l’époque.
M. Christian Jacob. Oui, tout à fait.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Les travaux de notre commission d’enquête font suite à diverses révélations intervenues l’automne dernier, qu’il s’agisse de celles du rapport de l’Igas ou de celles publiées par des journalistes sur la qualité de l’accueil du jeune enfant dans les crèches. Nous avons tous en mémoire le décès tragique d’un bébé dans une crèche lyonnaise en juin 2022, mais ces révélations concernent surtout ce qu’on a pu appeler de douces violences, qui ne sont pas de la maltraitance en tant que telle, mais qui contribuent à créer des dommages chez les enfants à un moment de leur vie où les neurosciences nous ont appris les enjeux en termes de développement. Nous devons aussi déterminer s’il existe un rapport entre les difficultés liées à la qualité de l’accueil et l’émergence des groupes privés dans ce secteur. Il s'agit notamment de savoir si ces groupes privés ont mené une stratégie d’influence.
Lors de votre passage au ministère de la famille, de nombreuses décisions importantes ont été prises et elles n’ont pas vraiment été remises en cause depuis. L’année 2004 a ainsi été une année charnière, avec l’ouverture du secteur de la petite enfance au privé.
En janvier 2004, vous avez lancé un grand plan crèche, doté de 200 millions d’euros, en faveur, pour reprendre vos mots, des projets les plus innovants et les plus souples pour les parents, une partie de ce budget étant réservée aux projets de création de crèches par des entreprises privées. Il s’agissait, si je ne me trompe, de contribuer à l’augmentation du nombre de places d’accueil grâce à des mécanismes d’aide comme le Cifam ou la Paje.
Vous avez également expérimenté les micro‑crèches, mode d’accueil qui a ensuite été généralisé et qui a du reste connu des difficultés évoquées au cours des auditions que nous avons menées – sans pour autant que ces difficultés tiennent nécessairement aux décisions que vous auriez prises dans l’exercice de vos fonctions.
Pourquoi et comment avez-vous pris la décision d’ouvrir le secteur de la petite enfance au privé et de faire bénéficier celui-ci de financements publics ? Quel a été le rôle des acteurs privés ? Dans leur livre Babyzness, les journalistes Bérangère Lepetit et Elsa Marnette affirment que les entrepreneurs racontent avoir eu l’oreille des politiques. Sont ainsi rapportés les propos de Rodolphe Carle, cofondateur de Babilou, qui dit avoir passé 20 % à 30 % de son temps dans les ministères pour essayer de construire un business model sustainable sur le long terme, et ceux d’Édouard Carle, l’autre cofondateur de cette entreprise, qui dit avoir ouvert ce marché et avoir rédigé les textes de loi avec les politiques de l’époque. Comment réagissez-vous à ces propos ?
J’imagine que vous avez eu des contacts avec les grands groupes de crèches lors de la libéralisation du secteur, ce qui est tout à fait légitime. Comment ces contacts se sont-ils passés ? Étaient-ils orientés vers la création de places afin d’atteindre vos objectifs ? La création du Cifam répond-elle à une demande de la part des groupes privés ou s’agit-il d’une initiative publique ? D’autres outils que celui du tiers financement par l’entreprise grâce au Cifam ont-ils été envisagés pour faire participer les employeurs à l’effort de financement de la création et du fonctionnement de structures d’accueil du jeune enfant ?
M. Christian Jacob. L’ouverture au privé avait bien évidemment pour fonction de développer les possibilités en termes de modes de garde. Peut-être les entrepreneurs mentionnés dans le livre ont-ils passé 20 % à 30% de leur temps à écrire un texte de loi, mais aucune loi n’a été votée puisque le modèle de financement a été validé par un vote du conseil d’administration de la Cnaf, après mon audition et hors de ma présence.
Nous avons effectivement retenu le mécanisme du crédit d’impôt pour faire participer les entreprises privées. Je rappelle que le Cifam pouvait être utilisé pour tout ce qui permettait l’accueil des jeunes enfants jusqu’à 6 ans, et pas seulement pour les modes de garde.
De mémoire, je n’ai pas eu de contacts formels avec les entreprises privées, même si on a pu en rencontrer à quelques reprises. Nous avons notamment travaillé avec CroissancePlus – avec qui j’ai ensuite beaucoup travaillé lorsque j’étais ministre des PME – pour tester l’idée du crédit d’impôt auprès des entreprises. Nous avons alors pu comprendre que le crédit d’impôt leur permettait de renforcer leur attractivité puisque leurs salariés bénéficieraient de places en crèches grâce au crédit d’impôt. Le dispositif présentait également l’avantage pour l’entreprise de participer à la vie de la cité en contribuant à la création, dans sa commune d’implantation, d’une crèche qui n’aurait autrement pas existé.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Les employeurs publics aussi peuvent recourir au mécanisme du tiers financeur, et c’est pour eux une charge nette, à la différence des entreprises. Les récents travaux de l’Igas et de l’IGF, ainsi que des travaux plus anciens, semblent montrer que l’effet levier de l’argent public n’est pas satisfaisant au regard des moyens publics affectés. Lors de son audition par notre commission, le directeur exécutif de la Banque publique d’investissement (Bpifrance) soulignait qu’un investissement de quelques dizaines de millions de cette institution permettait d’embarquer les investisseurs privés pour plusieurs centaines de millions. Or, il semble que la réservation de berceaux pour les entreprises ne mobilise aujourd’hui que 0,44 euro d’argent privé pour 1 euro d’argent public. D’autres options avaient-elles été envisagées pour soutenir les entreprises dans leur effort et les conduire à s’engager financièrement au profit de l’accueil des jeunes enfants de leur personnel ?
M. Christian Jacob. L’objectif était, je le répète, d’augmenter le nombre de places de crèche et, sans le mécanisme des crédits d’impôt et des financements fléchés, ces places n’auraient pas pu être créées, dans les villes moyennes comme dans des villes plus importantes. Après de nombreux échanges, notamment avec le patronat, ce dispositif nous a semblé répondre le mieux à cet objectif : il était à la fois le plus facile à mettre en place et le plus attractif pour les entreprises. Il a d’ailleurs de facto permis de créer des crèches là où la puissance publique n’avait pas la possibilité de le faire.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous avez dit à très juste titre que s’il y avait un problème, c’était parce qu’un effort important était demandé aux communes à chaque fois qu’on créait une place de crèche publique, le financement étant structuré de cette manière. Par ailleurs, j’ai bien compris l’idée, et je la respecte tout à fait, qu’il appartient aux familles de choisir le mode de garde et qu’il convient donc de mener une politique permettant de développer différentes solutions. Au lieu d’ouvrir le secteur au privé et, surtout, de permettre le financement d’entreprises qui, en fin de compte, remplacent une commune qui n’est plus en mesure d’agir, a-t-on envisagé, à un moment, de faire appel à des solutions consistant à renforcer le soutien aux communes ou même à accroître le financement issu de la branche famille de la sécurité sociale pour les structures d’accueil ?
M. Christian Jacob. On ne l’a pas fait, pour une raison simple qui est que le coût financier aurait été beaucoup plus important. Si on n’avait pas attiré des financements extérieurs, le financement aurait été à 100 % à la charge du contribuable. Or on n’avait pas le budget pour augmenter les dotations : les arbitrages financiers qui sont intervenus consistaient à dire qu’il était préférable d’attirer de l’argent privé vers les crèches, étant entendu que les entreprises y trouvaient un intérêt sur le plan de l’attractivité. Les recrutements sont, en effet, très difficiles : il est toujours très compliqué de faire venir dans certains types de villes moyennes de jeunes couples, quelles que soient les catégories sociales. L’entreprise rend donc service, en quelque sorte, au contribuable, puisqu’elle apporte de l’argent privé, mais il y a aussi pour elle un intérêt en matière d’attractivité.
À Provins, mon idée était de faire appel à un groupement d’entreprises, mais seule une grosse entreprise était intéressée. Il existe néanmoins dans beaucoup de villes des associations ou groupements d’entreprises et on pouvait agir dans ce cadre.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Est-ce à dire que la façon dont on appréhendait la question à l’époque était d’avoir des crèches propres à chaque entreprise ou à un tissu entrepreneurial territorialisé, ou bien avait-on déjà envisagé ce qui est en train de se passer, à savoir que la place en crèche acquise par une entreprise peut se situer un peu partout sur le territoire national, de manière qu’il puisse exister des solutions de garde à proximité du domicile des personnels ?
Vous avez dit enfin que vous n’aviez pas retenu la solution consistant à renforcer le budget des communes parce que cela aurait coûté trop cher, ce que je peux comprendre. À l’époque, si je ne m’abuse, l’objectif de dépenses fiscales du Cifam était de 50 millions d’euros. Or on est passé, en vingt ans, à 200 millions, contre 80 millions net du côté des entreprises – au Cifam s’ajoutent, en effet, des déductions fiscales dans le cadre de l’impôt sur les sociétés. Si vous étiez aujourd’hui aux responsabilités et que vous faisiez face à de tels chiffres, auriez-vous toujours la même analyse ou diriez-vous qu’on pourrait utiliser différemment pour les crèches ces 200 millions issus du budget de l’État ?
M. Christian Jacob. Je vais vous répondre sous la forme d’une boutade : passer de 50 à 200 millions d’euros en vingt ans, c’est faire la démonstration qu’une politique marche. Nous avons permis des créations de places. L’objectif n’était pas tant de donner des places à des entreprises que d’en créer dans un territoire où, sinon, il n’y en aurait pas eu.
La question de la proximité avec le domicile des parents est très compliquée. Nous y avons répondu par les micro-crèches. L’idée était de bloquer des rez-de-chaussée dans des immeubles, en négociant avec les bailleurs sociaux, pour en faire en sorte qu’il y ait un mode de garde là où les gens habitent.
Je ne sais pas ce qui a été fait ensuite mais, à l’époque, il n’y avait pas de crèches dans les entreprises. En revanche, des berceaux étaient souvent réservés dans des crèches municipales. J’en reste à l’idée que si on peut mobiliser le secteur privé pour accompagner les parents dans le cadre d’une politique familiale et que ce secteur y trouve un intérêt, autant le faire. Il existe, bien entendu, des déductions fiscales et un fléchage des financements, mais l’entreprise met aussi de l’argent, qui n’aurait pas été là sans des politiques attractives.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Vous avez dit que ces places auraient manqué si on ne les avait pas créées. C’est certainement vrai, mais le cas inverse existe et beaucoup de crèches associatives ferment dans le nord de la Seine-et-Marne parce que des crèches privées s’implantent à côté d’elles. Je suis saisie de ce problème par des assistantes maternelles qui s’en inquiètent.
M. Christian Jacob. Il faut aussi se demander pourquoi des crèches associatives ferment alors que des crèches privées s’en sortent : comme les financements sont les mêmes, il ne devrait pas y avoir de raison que ces dernières ne réussissent pas.
Je préfère que ce soit l’utilisateur qui finance, par le biais de l’entreprise, plutôt que le contribuable. Si on peut faire intervenir des financements privés et que les entreprises y trouvent un intérêt, autant le faire, je l’ai dit.
Outre la question des crèches, notre objectif au moment de la création de la Paje était que le système devait être ouvert à tous les modes de garde, et qu’arrêter de travailler, partiellement ou complètement, faire appel à une nourrice agréée ou faire garder l’enfant à domicile par un autre membre de la famille relevait de choix personnels. Nous considérions qu’il fallait que toutes les possibilités soient ouvertes afin que les parents puissent choisir.
Chaque fois qu’on a donné des coups de rabot à la politique familiale, que ce soit par la non-universalité des allocations familiales ou la réduction des plafonds prévus dans le cadre de la Paje, on a contribué à faire baisser le taux de natalité. Une des fiertés de la France en matière de politique familiale était pourtant de réussir à avoir à la fois un des meilleurs taux de fertilité en Europe et le meilleur taux d’activité professionnelle chez les femmes. On peut dire que le système est ouvert aux couples, mais on voit bien que ce sont très majoritairement des femmes qui arrêtent de travailler, soit partiellement soit complètement. Le système de la Paje avait donc été pensé pour maintenir leur taux d’activité.
M. le président Thibault Bazin. Je sais, même si j’étais très jeune à cette époque, qu’un certain nombre de dispositifs ont été expérimentés au début des années 2000. Il me semble que les jardins d’éveil sont apparus durant le second mandat de Jacques Chirac et que les micro‑crèches étaient alors en phase d’expérimentation. On se disait, en effet, que des structures de plus de douze places n’étaient pas forcément très adaptées en milieu rural ou très rural. Vous souvenez-vous de ce qu’étaient vos intentions, compte tenu des équations territoriales, pour les micro‑crèches et les jardins d’éveil ? Je rappelle qu’il a beaucoup été question, par la suite, des micro‑crèches, puisqu’elles ont beaucoup moins concerné les milieux ruraux que ceux très urbains, et que nous avons aussi beaucoup parlé, récemment, des jardins d’éveil, dans le cadre d’efforts pour les pérenniser sous une autre forme.
M. Christian Jacob. Vous avez raison en ce qui concerne les micro‑crèches. Comme je l’ai dit tout à l’heure, les négociations ont bien souvent porté sur des pieds d’immeuble, plutôt situés dans des zones urbaines. S’agissant des zones rurales, notre idée était de développer des crèches mobiles. Il fallait pour cela un local, par exemple une salle des fêtes, où intervenait une assistante maternelle, et un équipement, parfois financé par les intercommunalités – plutôt des communautés de communes. Ce mode de garde s’est développé dans des villages de 300 ou 500 habitants. Nous en étions encore aux balbutiements, mais c’est plutôt vers ce système de crèches mobiles, ouvertes une journée ou deux par semaine, que nous nous sommes tournés, parallèlement aux micro‑crèches pensées pour les zones urbaines.
M. le président Thibault Bazin. On sent, en vous écoutant, qu’on était un peu dans une phase d’amorçage, d’expérimentation, sans normes bâtimentaires, par exemple. Il s’agissait, comme aujourd’hui avec les évolutions consécutives à la covid et au dispositif Norma, de trouver des solutions, mais il n’y avait pas forcément des cahiers des charges à l’époque où vous étiez aux responsabilités.
M. Christian Jacob. J’ai rappelé le débat entre ceux qui étaient pour le système de garde collective dans des crèches et ceux qui préféraient la garde à domicile. Notre idée était d’offrir toutes les possibilités aux parents mais, en réalité, on ne répondait pas aux besoins dans les zones rurales : les crèches se trouvaient dans des bourgs de moyenne importance ou des chefs-lieux de canton. Les communes rurales ne pouvaient pas en bénéficier et les micro‑crèches n’étaient pas adaptées, puisque le maximum, de mémoire, était de neuf enfants.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je crois qu’il est maintenant de 10 + 2.
M. le président Thibault Bazin. Le « + 2 » venant du décret Woerth.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir répondu à l’invitation de cette commission d’enquête et d’avoir accepté de décaler l’heure de votre audition.
Vous avez reçu, de la part de la rapporteure, un questionnaire écrit. Par ailleurs, si certaines des réponses que vous venez de faire vous semblaient inexactes, vous avez l’obligation, compte tenu de votre serment de dire la vérité, de nous transmettre un éventuel rectificatif dans les heures qui viennent. Je le dis à toutes les personnes auditionnées : cela ne vous vise pas en particulier et je sais que vous connaissez ce mécanisme.
La séance est levée à 18 heures 15.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 17 h 30
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Virginie Lanlo, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sarah Tanzilli