Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition, à huis clos, de M. Philippe Tapié, nouveau président du groupe People&Baby, et de MM. Nicolas Besson et Amos Ouattara, dirigeants de la société Alcentra Limited 2
Lundi 29 avril 2024
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 50
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 15 heures 30.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné, à huis clos, M. Philippe Tapié, nouveau président du groupe People&Baby, et de MM. Nicolas Besson, et Amos Ouattara, dirigeants de la société Alcentra Limited.
M. le président Thibault Bazin. Nous recevons en ce début d’après-midi M. Philippe Tapié, nouveau président de People&Baby, qui est accompagné de deux représentants du fonds Alcentra, M. Nicolas Besson et M. Amos Ouattara.
La gouvernance du groupe People&Baby a connu, en effet, un changement important au cours de l’assemblée générale de lundi dernier, avec l’arrivée à sa tête de M. Philippe Tapié, qui succède ainsi à M. Christophe Durieux que nous avions auditionné le 20 mars. D’après mes informations, ce dernier demeure l’actionnaire de référence du groupe et le président de son comité stratégique, que M. Tapié avait rejoint il y a tout juste deux mois.
Cette audition se déroule à huis clos et je tiens à en préciser les raisons, étant entendu qu’il n’y a aucun traitement de faveur ou aucune volonté de ménager qui que ce soit, et que ce n’est pas une demande de votre part, monsieur Tapié, mais un choix que nous avons fait avec Mme la rapporteure.
Votre arrivée à la tête de People&Baby, monsieur le président, ne se déroule pas dans une atmosphère paisible. Dans un message aux salariés, tel que le relate une dépêche de l’AFP, votre prédécesseur dénoncerait « une tentative de déstabilisation sans précédent », en indiquant que le fonds d’investissement Alcentra, auquel il avait fait appel en 2018 pour développer le groupe et racheté en 2022 par le fonds américain Franklin Templeton, a « organisé un putsch, une prise de contrôle du groupe (…) dont ils veulent organiser le démantèlement (…) pour optimiser le profit ». Du côté d’Alcentra, on explique qu’il s’agit de la sanction du non-paiement des intérêts depuis dix-huit mois. Cette situation nous interpelle.
Lors de l’audition de M. Durieux, le moins que l’on puisse dire est que nous avons été collectivement surpris et même décontenancés par le caractère évasif, imprécis, voire fallacieux de certaines réponses. L’intéressé s’en est même excusé dans un courrier adressé à la commission. S’en sont suivis des échanges, afin que Christophe Durieux nous transmette des informations exactes et complètes concernant l’architecture du groupe. Au terme de ces échanges, nous avons découvert que le fonds Alcentra détenait une action de préférence lui permettant, le cas échéant, de prendre le contrôle du groupe en cas de non-paiement de la dette à son égard.
Dès le début avril, nous avions pris contact avec Alcentra en vue d’une audition, qui n’a pas pu se tenir. Depuis, les cartes ont été redistribuées et il nous semble important de vous interroger sur les origines de la solution retenue, qui ne peut pas nous laisser indifférents compte tenu de ses possibles impacts sur le secteur des crèches, sans compter les leçons à tirer quant au modèle de développement spécifique qui a été celui de People&Baby. C’est la raison de votre présence devant nous.
Pour autant, il ne s’agit pas pour la commission d’enquête de sortir du champ de sa mission et de s’intéresser à un « cas particulier ».
Si nous avons accepté que cette réunion se tienne à huis clos, c’est d’abord parce que le temps de la commission d’enquête est compté, celle-ci devant rendre ses travaux au plus tard le 27 mai. Alors que nous allons terminer notre cycle d’auditions demain, mardi 30 avril, il ne nous semblait pas pertinent de « remettre une pièce dans la machine » avec une audition qui en appellerait d’autres. Nous n’avons pas cette possibilité. J’ajoute que Mme la rapporteure a été en contact avec des responsables du ministère de l’économie et des finances, qui suivent l’évolution de ce dossier.
Cela étant posé, beaucoup sont manifestement dans l’expectative et nous sommes sensibles à leur inquiétude – je pense notamment aux salariés. Nous tenons simplement à demeurer dans notre rôle.
Le compte rendu de cette audition fera l’objet d’une publication « à froid », en même temps que l’ensemble des autres auditions, après avoir été relu par vos soins.
Nous n’avons rien à cacher, nous tenons simplement à ne pas ajouter du trouble à une situation déjà troublée, en espérant que vous pourrez nous aider à y voir plus clair. Nous voulons y voir plus clair s’agissant du modèle économique des crèches, du modèle de People&Baby, de la qualité et de vos intentions.
Il me reste à vous rappeler, messieurs, que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Besson, M. Ouattara et M. Tapié prêtent successivement serment.)
M. Philippe Tapié, président du groupe People&Baby. Nous vous remercions de nous avoir convoqués dans le cadre de cette commission d’enquête. M. Besson et M. Ouattara feront un exposé complet de la situation, qui a beaucoup évolué ces derniers jours.
J’ai un parcours de plus de huit ans comme dirigeant d’une entreprise spécialisée dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées. J’ai éprouvé énormément de plaisir à occuper cette fonction, qui présente de nombreuses similarités avec le métier de People&Baby. C’est ce qui a conduit, en janvier, Alcentra et M. Durieux à me proposer de rejoindre le comité stratégique de ce groupe comme administrateur indépendant.
Un premier comité stratégique a eu lieu en février. En mars, j’ai pu m’entretenir de longues heures avec M. Durieux et il y a quelques jours, compte tenu de la situation et de la dégradation des relations, la société Alcentra m’a proposé de prendre le poste de président de People&Baby, ce que j’ai accepté.
M. Nicolas Besson, représentant du fonds Alcentra. Nous vous remercions de nous avoir convoqués dans le cadre de cette commission d’enquête. Je compléterai les propos liminaires de Philippe, avant de vous apporter quelques éléments au sujet des événements des jours passés.
Créée en 2002, Alcentra est une société de gestion d’investissement anglaise. Elle est détenue par la société américaine Franklin Templeton. Alcentra est un acteur de place en France, marché essentiel à nos yeux, avec des professionnels français comme Amos et moi-même, qui gérons conjointement notre investissement dans People&Baby.
Alcentra se spécialise dans la gestion de dettes en Europe de l’Ouest. Nos investissements sont, pour l’immense majorité d’entre eux, des lignes de crédit aux entreprises afin de les aider dans leur projet de développement, leur croissance ou, si la situation le commande, leur plan de stabilisation ou de retournement. Nous sommes souvent capables de faire preuve de plus de flexibilité que les banques, de prêter plus et plus rapidement. Les termes de nos contrats de financement offrent souvent plus de flexibilité à nos emprunteurs. Nous gérons environ 76 milliards d’euros d’actifs, selon une répartition pour moitié en Europe de l’Ouest, sous la marque et au travers de la société Alcentra, et pour l’autre moitié en Amérique du Nord au travers de notre société sœur Benefit Street Partners.
Parmi nos stratégies d’investissement, figure la stratégie de dette privée, qui est celle qui a prêté au groupe People&Baby depuis 2018. Dans le cadre de cette stratégie, nous collectons l’épargne d’investisseurs institutionnels et nous la regroupons dans des fonds que nous fléchons ensuite directement vers le financement des entreprises. Souvent, nous entrons dans les transactions dans le cadre d’opérations de rachat avec effet de levier (LBO, pour leverage buy-out), puis nous finançons le plan de croissance de l’entreprise. Nous prêtons, la plupart du temps, à des entreprises détenues par des fonds dits de private equity, ou capital-investissement, qui investissent en fonds propres et non en dette. Ces fonds sont similaires à ceux dont votre commission a interrogé les représentants. Nous le faisons, car ce sont des actionnaires solides qui professionnalisent les entreprises dont ils sont au capital. Ils mettent en place une gouvernance équilibrée, aident au financement et représentent un filet de sécurité pour les entreprises en cas de coup dur.
Dans quelques cas cependant, et c’est le cas du groupe People&Baby avec M. Durieux et Mme Broglin, nous finançons des groupes détenus par leurs fondateurs. Ces transactions peuvent représenter un profil de risque plus important, car la gouvernance est souvent plus concentrée et ces actionnaires ont une surface financière plus limitée. Nous suivons une stratégie d’investissement de long terme. La maturité typique de nos lignes de crédit est de sept ans. La dette n’est pas amortissable. Elle est remboursable à maturité et son remboursement intervient généralement dans le cadre d’un refinancement, corollaire ou non d’un processus de cession.
Nous avons investi dans People&Baby car le groupe avait besoin d’argent pour refinancer sa dette de l’époque et accompagner son développement. La croissance a été à la fois organique, avec la création de places de crèche en France, et externe avec des acquisitions principalement effectuées à l’étranger.
Les opérations à l’étranger sont complètement autonomes, les difficultés auxquelles le groupe fait face aujourd’hui concernent cependant le marché français.
Depuis juin 2022, le groupe est en défaut sur sa dette obligataire, et même en défaut de paiement depuis décembre 2022 – non pas à cause des conditions de la dette, en ligne avec le marché, mais parce que depuis le drame de Lyon, il souffre d’une baisse de son taux d’occupation et d’une érosion progressive de son taux de réservation par des tiers, qu’il s’agisse d’entreprises ou de réservataires publics. Cela a eu un impact sur la profitabilité du groupe, et plus encore sur sa trésorerie, surtout dans un contexte de marché rendu plus difficile par l’inflation, la montée des taux et des erreurs manifestes de gestion de M. Durieux – notamment, un manque de rigueur dans le suivi de l’évolution du passif du groupe vis-à-vis de l’État, des bailleurs et des fournisseurs.
Depuis fin 2022, nous discutons avec M. Durieux des aménagements nécessaires à effectuer sur notre créance pour préserver la pérennité du groupe.
Les négociations avec M. Durieux ont été difficiles. Les accords ont dû être réaménagés plusieurs fois. Début décembre 2023, en échange d’une injection de fonds par Alcentra, les obligataires ont obtenu la mise en place d’une action de préférence. En cas de dégradation de la santé financière du groupe, cette action donne droit aux obligataires de l’activer afin de bénéficier du contrôle de deux tiers des droits de vote du capital. Malgré de nombreuses sollicitations, M. Durieux et Mme Broglin n’ont jamais réinjecté de fonds dans le groupe. Ils n’ont pas non plus offert de répit à la trésorerie, puisque les paiements de loyers à l’égard de leurs SCI sont à jour.
Pendant ce temps, Alcentra a consenti à capitaliser ses intérêts, c’est-à-dire à renoncer à leur paiement en numéraire depuis décembre 2022 et, outre l'injection de fonds de décembre 2023, a consenti à procéder à une injection de fonds complémentaire en janvier 2024.
Jeudi 18 avril, vu les circonstances, les obligataires se sont résolus à activer leur droit lié à l’action de préférence. Le contrôle des droits de vote du groupe People&Baby a ainsi changé de main. Lundi 22 avril, dans le cadre de l’assemblée des actionnaires, M. Durieux a été remplacé par M. Tapié à la présidence opérationnelle du groupe. M. Durieux et Mme Broglin restent les actionnaires du groupe au sens économique du terme. Ils siègent au comité stratégique aux côtés de M. Tapié et continuent donc d’être associés aux décisions importantes.
Depuis le changement de gouvernance, les obligataires ont pris leurs responsabilités. Les salaires seront ainsi payés comme prévu en ce début de semaine, ce qui est un énorme soulagement. Certaines créances urgentes vis-à-vis de l’État sont également couvertes par cette injection de fonds. C’est un premier pas vers la stabilisation du groupe.
Ensemble, Philippe et les équipes dirigeantes, qui par ailleurs ne changent pas, ont pu rassurer les salariés et parler aux représentants du personnel. Philippe a été nommé avec un mandat clair : le redressement du groupe passe par une qualité d’accueil irréprochable. Quant à Alcentra, notre mission consiste dorénavant à mettre la direction et les salariés dans les meilleures conditions possibles, pour qu’ils agissent pleinement au service de la petite enfance.
Il n’y avait pas d’alternative possible à ce changement de gouvernance.
M. le président Thibault Bazin. Monsieur Tapié, il me semble que c’est la société Ridge Consulting – à laquelle vous n’êtes, certes, pas étranger – qui a été nommée. Pouvez-vous clarifier ce point, et nous expliquer pourquoi vous n’avez pas été nommé à titre personnel ?
M. Philippe Tapié. Une fois que j’ai quitté le groupe Maisons de Famille, il m’a été proposé de donner des cours à Sciences Po, dont la politique est très simple : soit vous êtes Professeur à temps complet et vous avez un contrat de travail, soit vous dispensez des unités de valeur (UV) et vous devez avoir une structure au travers de laquelle vous êtes payé. Ridge Consulting a été créé à cet effet.
Par la suite, lorsque j’ai été appelé pour être administrateur indépendant, ce qui ne constituait pas un emploi à temps plein, j’ai continué à utiliser cette structure. Plus récemment, la rapidité des décisions et la facilité ont guidé le choix de passer par Ridge Consulting, qui est une société par actions simplifiée (SAS) dans laquelle je suis seul.
M. le président Thibault Bazin. Vous avez évoqué les notions d’investissement, puis de dette et de lignes de crédit. Vous avez réinjecté de nouveaux fonds. S’agit-il de subventions, d’une nouvelle dette avec de nouvelles conditions ? L’échéance des sept ans s’applique-t-elle toujours ? Pouvez-vous préciser le format de ces apports ? Sont-ils en fonds propres ?
M. Nicolas Besson. Non, c’est de la dette. Nous sommes un créancier, donc nous investissons en dette. Nous avons un accord avec M. Durieux, en vertu duquel il reste, d’un point de vue économique, actionnaire du groupe. Le réinvestissement se fait donc en dette, et la maturité n’est pas de sept ans pour ces nouvelles lignes : elle est à peu près alignée sur la maturité de l’investissement initial.
M. le président Thibault Bazin. Cette maturité est très rapide, puisque vous investissez depuis 2018.
M. Nicolas Besson. Cela représente une maturité d’un an, environ.
M. le président Thibault Bazin. Vous devez partir dans un an, normalement.
M. Nicolas Besson. La maturité de la dette qui a été contractée en 2018 et des tranches supplémentaires qui sont venues après est en juin 2025.
M. le président Thibault Bazin. Vous avez donné pour mission à M. Tapié de redresser le groupe grâce à une qualité de l’accueil irréprochable, mais des problèmes de trésorerie et de viabilité économique du modèle de People&Baby se posent. Votre analyse est-elle que si la qualité est au rendez-vous et si les taux d’occupation sont bons, il n’y aura plus de problème de modèle économique ? Où en êtes-vous de votre réflexion s’agissant de la France ? Comment vous y prendrez-vous, en un an pour faire repartir à la hausse les taux d’occupation ?
M. Nicolas Besson. Ce n’est pas parce que la dette obligataire a une maturité en juin 2025 que c’est nécessairement la ligne d’arrivée. Une prolongation peut être envisagée. L’avantage de People&Baby, en dépit de sa situation, est que s’il y a d’autres créanciers – pour d’autres types de lignes de crédit –, le créancier obligataire est Alcentra. Cela signifie que le groupe discute assez directement avec lui au sujet d’un réaménagement de ses créances.
Tant que M. Durieux était en contrôle de la gouvernance opérationnelle, nous n’avions pas nécessairement envie de rester investis très longtemps. Maintenant que le changement de gouvernance a été effectué, nous prenons nos responsabilités comme nous l’avons expliqué et nous réinjectons des fonds.
Faudra-t-il réaménager les créances ? Probablement. S’agissant de la soutenabilité du bilan, si nous nous inscrivions dans un laps de temps qui irait au-delà de la maturité obligataire, nous étudierions la façon dont ce bilan est structuré.
M. Philippe Tapié. La société People&Baby fait du résultat. Elle a un problème de trésorerie et un problème de dette, mais elle produit du résultat. La société ne fonctionne pas trop mal. Il faudra améliorer la situation et apporter des solutions – vous en avez suggéré une en observant qu’il faudrait retrouver des taux d’occupation qui ont été mis à mal par le covid et le drame qui s’est produit il y a deux ans, et qui nous a beaucoup touchés. Mais nous avons toutes les cartes en main pour faire quelque chose de correct, de bien, dans la qualité.
Si j’ai rejoint People&Baby, c’est que cette boîte cherche toujours à améliorer son service, avec des crèches bilingues ou des crèches proposant une ouverture à la musique. Nous savons tous que la prise en charge durant les trois premières années de l’enfant est essentielle. Notre premier travail consistera à récupérer la confiance des jeunes couples et, surtout, à augmenter nos taux d’occupation.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Merci pour vos propos introductifs et pour ces premiers échanges. Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aborderai quelques éléments de contexte compte tenu des caractéristiques particulières de cette audition.
J’ai souhaité, avec le président, organiser votre audition bien avant les événements intervenus la semaine dernière, par lesquels vous avez pris le contrôle de People&Baby et débarqué son président. Nous avons pris cette décision eu égard au manque de transparence, voire – je pense pouvoir le dire – des affirmations mensongères de M. Durieux au cours de son audition. En effet, il avait affirmé n’être lié à aucun fonds, puis a rétropédalé par écrit sans mentionner l’existence du droit de préférence que vous avez actionné le 18 avril.
Dans les échanges que vous avez eus avec l’équipe d’administrateurs de la commission il y a quelques semaines, vous contestiez votre convocation au motif que vous n’étiez que prêteur du groupe et n’aviez donc rien à voir avec sa gestion au quotidien. À l’inverse de M. Durieux, vous nous avez cependant indiqué que vous disposiez d’une action de préférence vous permettant de prendre le contrôle du groupe. Nous y sommes : vous avez repris la direction du groupe People&Baby. M. Durieux, dirigeant historique, a fait savoir qu’il contesterait en justice les décisions prises les 18 et 22 avril. Nous laissons la justice trancher. Cette commission n’a pas vocation à s’y substituer ou à être un lieu de débat entre ancien et nouveau gestionnaire.
Par ailleurs, si j’entends les interrogations légitimes des parents d’enfants accueillis dans vos crèches et celles, tout aussi légitimes, des personnels de People&Baby, j’insiste sur le fait que vous aurez à leur répondre dans un autre cadre. Ce qui me préoccupe ici c’est de comprendre comment le modèle économique des crèches permet la qualité d’accueil, ou au contraire constitue un obstacle.
Je propose que nous reprenions le fil de votre relation avec la société People&Baby. Je vous prie de nous apporter les réponses les plus simples et les plus basiques possibles. Je ne suis pas une experte du monde de la finance, et nous ne le sommes pas nécessairement tous autour de la table. Nous avons besoin de clarté et d’explications, parce qu’à l’aune de vos premiers propos, on peut nourrir certaines interrogations.
Ma première question est très simple. Pourquoi avez-vous choisi de devenir créancier du groupe People&Baby ? Quelles étaient vos attentes ? Avez-vous considéré que c’était un investissement à risque ?
M. Nicolas Besson. M. Tapié n’a rien à voir avec la décision d’investissement d’Alcentra qui, je vous le rappelle, remonte à 2018. C’est donc à nous de répondre.
Amos et moi-même n’étions pas impliqués dans cette décision initiale. Nous sommes entrés dans le dossier plus récemment. Je m’occupe des investissements en portefeuille, pas seulement en France – pays dans lequel Amos est davantage spécialisé, également pour des sociétés en portefeuille.
Nous sommes entrés dans le secteur de la petite enfance, car il y avait un besoin de financement et des opérateurs en croissance – les opérateurs privés que vous avez auditionnés. Il fallait créer plus de places en crèche, puisqu’une pénurie était identifiée. Les acteurs privés ont progressivement pris plus de place et contribué, aux côtés des acteurs publics, au financement de l’ouverture de places de crèche. Cela répondait à une pénurie, mais aussi à des enjeux sociétaux. Dans notre thèse de financement, nous avons étudié les tendances à externaliser et à organiser des délégations de service public, de la part des municipalités par exemple, ce qui promettait aux gestionnaires privés un potentiel de croissance et de gains de parts de marché. Pour les crèches, l’enjeu était celui d’un mode de garde plébiscité, permettant une participation plus simple des parents à la vie active en conciliant leur vie personnelle et leur vie professionnelle.
Partant de ce constat et de l’existence d’un régime institutionnel et réglementaire clair en France, avec les Coventions d’objectifs et de gestion (Cog) tous les cinq ans, nous avons décidé d’investir début 2018. Il y avait aussi – c’était le plan de Christophe Durieux – la perspective de faire des acquisitions à l’étranger, or nos fonds sont spécialisés dans ce type de financement. Contrairement à des banques qui veulent s’en tenir à un territoire précis, nous sommes capables d’accompagner les entreprises dans leur développement international. Nos solutions de dette offrent la flexibilité nécessaire à ces opérations de croissance externe.
Un premier investissement a eu lieu en 2018, avant d’autres tours de levée de fonds par la société People&Baby, pour financer ses acquisitions externes aux Émirats arabes unis, à Singapour, au Canada, aux États-Unis, en Chine et, dans une moindre mesure, en France. Ces pays vont bien. Le problème est circonscrit à la France, même si la Chine rencontre aussi quelques difficultés.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. La décision de prêter de l’argent à People&Baby a-t-elle été prise à votre initiative, ou M. Durieux est-il venu vous chercher ?
M. Nicolas Besson. M. Durieux cherchait des solutions de financement. Initialement, il voulait un partenaire dans ses fonds propres. Je ne sais pas quelle a été sa réflexion personnelle, mais il a fait appel à un intermédiaire financier, dont le nom m’échappe, mais que je pourrai retrouver.
En l’occurrence, plutôt que d’ouvrir son capital, M. Durieux a considéré que la solution la plus adaptée à ses besoins était de lever de la dette, en acceptant d’y subordonner ses titres puisque la dette a priorité sur les fonds propres dans la structure de capital. Il s’est donc endetté. Il a pris cette décision en son âme et conscience, en faisant appel à un intermédiaire professionnel pour chercher de la dette aux meilleures conditions possibles afin de financer son plan de croissance.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. C’est donc M. Durieux qui vous a sollicité, via un intermédiaire financier dont vous nous donnerez le nom a posteriori.
Pourriez-vous revenir sur la chronologie de la relation que vous avez nouée avec People&Baby, en des termes plus simples que dans votre propos introductif ? Deux éléments m’interrogent. D’abord, vous êtes un fonds de dette, et non pas d’investissement. C’est une spécificité du fonctionnement de People&Baby, par rapport aux trois autres grands groupes du secteur. Ensuite, au fur et à mesure de la relation, vous avez réinjecté des fonds et demandé des engagements supplémentaires. Pourquoi ? Pouvez-vous revenir sur le parcours qui vous a conduits à prendre une décision relativement brutale en avril ?
M. Nicolas Besson. Je ne peux pas répondre à la place des autres groupes, mais leur modèle n’est pas si différent. Certains des opérateurs que vous avez interrogés ont des fonds de dette dans leur tour de table. C’est très clair. Leurs représentants vous ont indiqué qu’ils avaient de la dette : parmi ces prêteurs, il y a des fonds de dette.
M. le président Thibault Bazin. Ils sont au capital.
M. Nicolas Besson. Non. Nous n’étions pas non plus au capital de la société avant, et nous n’y sommes pas. Nous avons maintenant le contrôle des droits de vote, mais nous ne sommes pas au capital. Le modèle et le financement de People&Baby ne font pas de nous une exception. La seule différence est que les fondateurs n’ont pas de fonds actionnaire. La structure de dette des quatre grands groupes est totalement similaire.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Pouvez-vous répondre à la question sur l’historique de vos relations avec People&Baby ?
M. Nicolas Besson. Nous sommes prêteurs depuis 2018. Le groupe a ensuite fait d’autres levées de fonds, pour faire des acquisitions à l’étranger. Il y en a eu environ une par an jusqu’en 2022. La dernière date de la première moitié de 2022 et visait à financer l’acquisition à Singapour.
Puis, le drame de Lyon est survenu. Il a coïncidé avec le début d’une performance moins bonne, ce qui a exacerbé les difficultés avec une baisse du taux d’occupation et une baisse du taux de réservation par des tiers – entreprises ou réservataires publics. Cela a exacerbé les tensions sur la performance opérationnelle du groupe.
Quand nous prêtons, des ratios d’endettement et de trésorerie, ou « covenants financiers », doivent être respectés. Ce serait pareil avec du financement bancaire. Ces ratios sont testés trimestriellement et s’il apparaît qu’ils ne sont pas respectés, cela représente un cas de défaut. En l’occurrence, la société People&Baby est en cas de défaut depuis juin 2022, et cela a été notifié en septembre 2022. La notification intervient toujours a posteriori. Le laps de temps normal est d’environ soixante jours. Dans le cas présent, c’était un peu plus long. De mémoire, le cas de défaut a été notifié le 25 septembre 2022.
Trois mois plus tard, le 26 décembre 2022, la société n’a pas payé ses intérêts – et n’en a plus payé depuis lors. Elle est donc en défaut de paiement. Ce n’est plus simplement un cas de défaut. Voilà la genèse des difficultés.
M. le président Thibault Bazin. Le remboursement du capital se fait à la fin, mais il y a quand même des intérêts chaque année, qui évoluent au fur et à mesure des levées de fond. Comme celles-ci sont intervenues plusieurs années de suite, les intérêts ont crû au fur et à mesure.
M. Nicolas Besson. Certes, mais le corollaire est que le groupe croît aussi et que sa capacité de remboursement est censée suivre. Il y a toujours un équilibre entre la capacité de remboursement et la dette qui est levée. Malheureusement, cet équilibre s’est rompu dans la deuxième partie de 2022. Le groupe nous a annoncé qu’il n’allait pas payer les intérêts quelques jours avant le 26 décembre 2022, et nous avons constaté qu’il ne les avait pas payés. Nous nous sommes immédiatement rapprochés de lui. C’est le moment où je suis arrivé sur ce dossier, puisque je m’occupe des investissements en portefeuille et que j’interviens dans ces situations plus difficiles. Nous nous sommes rapprochés de M. Durieux, en lui indiquant que nous devions discuter et pour trouver une solution et potentiellement aménager la créance.
Nous sommes prêts à faire des concessions, mais nous demandons à l’actionnaire d’en faire aussi. Oubliez la casquette de président de Christophe Durieux, et pensez à lui en tant qu’actionnaire : la première personne que l’on rencontre est l’actionnaire, auquel nous demandons de recapitaliser son groupe et de payer ses intérêts. Malheureusement, M. Durieux ne l’a pas fait et nous a dit qu’il n’était pas capable de le faire.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Les éléments sortis dans la presse laissent penser que vous avez refusé de verser 13 millions d’euros prévus contractuellement fin 2022, au prétexte d’un bris de ratio de 0,1 % sur un mois. Avez-vous refusé de verser les fonds qui étaient contractuellement prévus ? Cette décision a-t-elle pu conduire à la situation actuelle de People&Baby ? Vous faites état de problèmes liés au défaut d’image dont a pu pâtir le groupe à la suite du décès d’un bébé en juin 2022. Mais les difficultés rencontrées par le groupe relèvent-elles uniquement de cela ? Depuis l’automne dernier, en effet, des ouvrages mettent en cause la qualité de l’accueil du jeune enfant dans les crèches dans l’ensemble du secteur privé. Comment la situation a-t-elle pu perdurer durant près de deux ans chez People&Baby, sans impacter de la même manière les concurrents du secteur ?
Ma question, en somme, est pourquoi en est-on là ?
M. Nicolas Besson. Concernant le non-versement des 12,9 millions d’euros, je viens de vous expliquer que la société est en cas de défaut depuis juin 2022, et qu’elle nous a notifiés en septembre. Elle a sollicité, de mémoire en novembre 2022, le tirage des 12,9 millions d’euros. Certes, un engagement prévoyait cette ligne, mais aussi des conditions de tirage. En l’occurrence, il ne fallait pas que la société soit dans un cas de défaut. Or elle l’était – et elle l’était davantage que ce que M. Durieux évoque dans la presse car le ratio est différent de celui qu’il a donné. Et ce n’était pas le seul cas de défaut. Je n’ai pas les détails, mais la société ne remplissait pas les conditions de tirage.
Plus important : M. Durieux souhaitait tirer ces 12,9 millions d’euros pour payer son échéance d’intérêts de décembre, qui s’élevait à un peu plus de 6 millions d’euros. Généralement, les lignes de crédit ont un objet : financer de la formation brute de capital fixe, une acquisition ou du besoin en fonds de roulement. Elles ne peuvent pas être utilisées à tort et à travers. En responsabilité, en entrant dans le dossier, j’ai donc fait savoir à M. Durieux que la ligne sur laquelle il souhaitait tirer 12,9 millions d’euros n’était pas disponible, et que tirer de la dette pour payer des intérêts, c’était du surendettement. Je lui ai proposé de s’asseoir autour de la table, pour réfléchir ensemble à des solutions pour le bien du groupe, par un réaménagement de la créance. Nous sommes toujours prêts à discuter. Malheureusement, M. Durieux a refusé de s’asseoir autour de la table avec nous.
Par ailleurs, vous me demandez si les difficultés de People&Baby relèvent simplement du drame de Lyon. Je ne le pense pas. La gestion par M. Durieux est erratique dans bien des domaines, et pas seulement l’accueil des enfants. Je rappelle que nous ne sommes que créanciers. Nous ne recevons de la société qu’un état financier mensuel, en l’occurrence un compte de résultat, un tableau de trésorerie, quelques commentaires sur la performance, un détail par géographie et un détail en consolidé. Voilà ce que nous recevons. C’est cela, notre interaction avec le groupe. Nous sommes créanciers et non pas gestionnaires du groupe. L’information que nous recevons est documentée dans un contrat de financement, et s’arrête là.
Ce que je peux dire, c’est que M. Durieux était incapable de faire des consolidations bilancielles autres qu’annuellement, dans le cadre de son rapport aux commissaires aux comptes. Pour un groupe de cette taille, ce n’est pas suffisant.
M. Durieux est sorti de la période covid avec de nombreux passifs en retard, qu’il n’a pas honorés à l’heure, y compris vis-à-vis de l’État. Il est incapable de faire ce suivi.
M. le président Thibault Bazin. Vous parlez de dettes sociales et fiscales ?
M. Nicolas Besson. Notamment.
M. le président Thibault Bazin. Soyez précis.
M. Nicolas Besson. Je parle bien de dettes sociales et fiscales, comme des cotisations Urssaf et de la TVA.
M. le président Thibault Bazin. Le résultat excédentaire de People&Baby est donc un peu biaisé ?
M. Nicolas Besson. Effectivement. Mais sans bilan, on ne peut pas le constater et faire cette analyse. Nous essayons d’inciter le groupe à mettre en œuvre des processus robustes, parce qu’il est important de pouvoir piloter son activité. Il y a donc d’autres problèmes que le drame survenu à Lyon.
Par ailleurs, les structures à l’étranger fonctionnent bien et rapatrient de la trésorerie vers la France. Depuis dix-huit mois, la France reste à flots parce que Singapour, les Émirats, les États-Unis et le Canada rapatrient régulièrement de la trésorerie mais aussi parce qu’Alcentra a fourni de nouvelles lignes de crédit.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Merci pour cette explication.
En décembre 2022, People&Baby ne paie plus ses intérêts. Vous arrivez pour essayer de redresser la situation. Que se passe-t-il entre janvier 2023 et avril 2024, en particulier entre février 2024 et avril 2024, pour que vous soyez amenés à actionner votre droit de préférence et à nommer un président à la place de M. Durieux ? Avez-vous fait des propositions qui n’ont pas été reprises ? Quelles étaient-elles ? Est-ce le comportement de M. Durieux qui a été problématique ? Après avoir nommé M. Tapié, envisagez-vous d’appliquer pour la suite ces propositions qui n’ont manifestement pas été suivies d’effet ?
M. Nicolas Besson. Comme je l’ai dit, nous ne nous immisçons pas dans la gestion opérationnelle. Nous n’avons donc pas émis de recommandations concernant la gestion. Ce n’est pas notre rôle de créanciers.
Concernant la chronologie, nous avons proposé un sursis après le non-paiement des intérêts en 2022. Nous avons approché le groupe pour l’informer que nous n’allions pas prononcer la déchéance du terme et que nous allions lui donner un sursis, de telle sorte que nous suspendions le cas de défaut le temps de s’asseoir autour d’une table et de renégocier la dette. Mais nous avons eu une fin de non-recevoir.
En mars 2023, la société n’a de nouveau pas payé ses intérêts, dont les échéances sont trimestrielles, et aucune discussion ne s’est davantage engagée. Malheureusement, M. Durieux ayant tendance à réagir sous la contrainte, nous avons assigné la société devant le tribunal de commerce de Paris, en paiement des intérêts qui n’avaient pas été réglés. La visée n’était pas de faire condamner la société, mais de forcer M. Durieux à s’asseoir autour d’une table. Le problème est que M. Durieux, en étant président et actionnaire, a une double casquette. Or il a privilégié ses intérêts d’actionnaire alors qu’en tant que président, il aurait dû travailler pour l’intérêt social de la société – ce qu’il a négligé.
Nous avons longuement négocié. Malheureusement, entre-temps, la performance du groupe s’est détériorée. Nous voulions, autant que possible, rester dans notre rôle de créancier. Mais la performance se dégradant, nous étions parfois obligés de réaménager l’accord auquel nous étions parvenus. Les discussions ont été pénibles. Fin novembre, nous avons dû réinjecter en urgence des fonds dans la société. Il y a une perte de confiance en M. Durieux, à ce moment-là. On lui a dit qu’on voulait bien lui redonner une chance en établissant ensemble un plan mais qu’on ne pourrait pas le soutenir au-delà d’un certain montant dans les mois suivants, qu’on ne pouvait pas lui signer un chèque en blanc et lui laisser la présidence du groupe si celui-ci n’était pas géré correctement.
Nous avons donc défini des seuils ensemble. Un accord a été trouvé et, en échange du déblocage de cette première tranche, une action de préférence a été instaurée. Quelques mois après, malheureusement, le seuil de déclenchement est passé.
Des accords sont en place. Nous ne comprenons pas pourquoi M. Durieux ne souhaite pas les respecter et les dénonce. Nous ne le comprenons pas.
M. Amos Ouattara, représentant du fonds Alcentra. Sur le calendrier, je veux insister après Nicolas sur le fait que la situation s’est sérieusement détériorée. En outre, nous pensons que le plan de relance de l’activité en France, sur lequel Philippe et les équipes passent énormément de temps, demandera encore plus d’argent. Il y avait une vraie urgence d’autant que les relations avec les fournisseurs et les partenaires du groupe se compliquaient. Nous avons trouvé plus d’une centaine de litiges. Il fallait apporter un peu de sérénité et de stabilité au groupe.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Merci pour ces explications. La question se pose aussi de savoir ce qu’il adviendra de People&Baby. C’est une préoccupation pour nous, parce que ce groupe gère de nombreuses places de crèche en France. Les personnels sont particulièrement inquiets, et je ne vous cache pas que certains nous ont sollicités. Il me semble indispensable d’ouvrir un dialogue avec les représentants des personnels au sein de People&Baby, dont je comprends la stupeur et les interrogations compte tenu du caractère brutal de la décision qui a été prise.
Comment envisagez-vous l’activité du groupe en France ? Avez-vous l’intention d’en vendre tout ou partie pour rembourser la dette, qui a été contractée auprès de vous mais aussi plus largement ?
Avez-vous l’intention de procéder à des licenciements pour réduire les coûts ?
Avez-vous l’intention de garder le contrôle de cette entreprise pour une longue période, ou avez-vous l’intention de vous faire rembourser et de confier rapidement la gestion à quelqu’un d’autre ?
Ces interrogations sont d’autant plus vives qu’Alcentra était actionnaire du groupe Pierre & Vacances, qui a été vendu à la découpe après une prise de contrôle par des fonds. La situation suscite de l’inquiétude, car derrière cette activité, il y a des familles qui comptent sur des conditions d’accueil performantes pour permettre aux enfants d’évoluer au mieux et aux parents de continuer leur vie professionnelle. Nous avons besoin de savoir comment un fonds de dette ayant injecté autant dans une société qui, manifestement, ne parvient pas à redresser sa situation envisage la suite.
M. Amos Ouattara. Nous sommes toujours le plus gros actionnaire de Pierre & Vacances, dont nous détenons un peu plus de 25 %. Je suis au conseil d’administration. Nous n’avons jamais vendu une seule action et, à ma connaissance, aucune marque du groupe.
Nous sommes arrivés dans ce groupe comme créanciers. En 2021, le groupe perdait 187 millions d’euros, sa dette s’élevait à 1 milliard en raison du covid, ce qui est colossal, et personne ne voulait l’aider. Avec d’autres créanciers, nous avons mis en place une ligne de liquidité de 300 millions pour garder le business à flot, avant de négocier une recapitalisation pour retrouver une situation de net cash : aujourd’hui, la société compte 450 millions de cash pour 390 millions de dette. Elle perdait 187 millions d’euros à l’époque et en 2023, elle a affiché un Ebitda de 137 millions. Pour financer ce plan de retournement, Alcentra et deux autres fonds ont garanti 200 millions, qui ont été investis en equity dans le groupe, dont nous sommes toujours le principal actionnaire.
M. Nicolas Besson. Vous demandez aussi si l’on pourrait imaginer se rembourser au plus vite par des ventes d’actifs. J’ai vu dans votre audition de M. Durieux que vous peiniez à comprendre un point – j’ignore s’il a été clarifié depuis. En France, deux sociétés principales détiennent d’autres participations dans des sociétés du groupe : People&Baby SAS, dont la mère s’appelle Groupe People&Baby SAS. La confusion collective vient sans doute du fait que ces deux sociétés portent quasiment le même nom.
Nous sommes avant tout prêteurs pour la société du haut, Groupe People&Baby SAS. Avant que l’argent ne remonte à ce niveau, il faudra désintéresser le passif d’autres créanciers, notamment le passif public que nous évoquions et qui porte sur les sociétés opérationnelles, donc plus bas dans la structure – particulièrement au niveau de People&Baby SAS. C’est une assurance certaine, pour tous les acteurs, qu’avant que nous puissions nous rembourser notre dette, il faudra forcément que le reste du passif soit apuré. Cela signifie aussi que le groupe doit rester viable, pour être capable de remonter l’argent à la société de tête, en paiement de la dette.
Il n’y a pas de plan de licenciement en préparation, aujourd’hui. Je rappelle aussi que le secteur est en tension, s’agissant des recrutements. Un plan de licenciement n’est donc pas la solution.
M. Philippe Tapié. Vous avez parlé de communication vis-à-vis des salariés. Sachez que le lendemain de mon arrivée, nous avons organisé une réunion par vidéo qui a mobilisé plus de 600 postes. Dans la mesure où nous comptons environ 600 crèches, cela signifie qu’elles étaient toutes connectées pour connaître et comprendre la situation. J’ignore combien de personnes cela représentait derrière les écrans, mais la majorité du personnel a ainsi été mise au courant de ce qui s’est passé et de la façon dont on allait agir.
Vous avez également évoqué les syndicats. J’ai passé l’après-midi avec eux hier et je les ai informés dans la plus grande transparence, car eux-mêmes ne savaient pas tout. Je vais être franc : les articles de journaux dans lesquels M. Durieux se répand font beaucoup de mal au personnel. Sachez aussi qu’il appelle le personnel chez lui. C’est ainsi, je subis. Mais ce n’est bon ni pour l’entreprise ni pour les employés, et cela déstabilise tout le monde.
Comme l’a dit Nicolas, il n’y a pas de plan de licenciement. Nous essayons de faire du développement. Nous répondons à des appels d’offres pour des délégations de service public (DSP) et à des appels d’offres lancés par des entreprises. Le travail continue et nous avons besoin du personnel.
Par ailleurs, compte tenu du drame d’il y a deux ans, nous avons tenu ce matin une réunion dédiée à la sécurité, qui est très importante pour moi. Je suis mandataire social, donc en responsabilité. J’essaie de savoir comment la sécurité est assurée. Nous ne laissons plus de crèche, ne serait-ce que cinq minutes, avec une seule personne sur place. Le manque de personnel déclenche des alertes. Si nous ne sommes pas certains d’avoir suffisamment de personnel, nous pouvons réduire l’amplitude de la journée.
Il n’y aura certainement pas de licenciement dans les crèches, d’autant que nous souhaitons nous développer et que nous faisons tout pour y parvenir. Le développement nous permettra de disposer de ressources. Sans chiffre d’affaires, aucune entreprise n’a de résultat, donc nous nous développerons.
M. le président Thibault Bazin. Vous ne voulez donc pas vendre d’actifs, et vous ne voulez pas licencier.
M. Philippe Tapié. Je parle de la France.
M. le président Thibault Bazin. Pouvez-vous préciser vos intentions quant au modèle People&Baby ?
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Comment fait-on pour se développer quand on a 40 millions d’euros de dette ? Comment fait-on pour répondre à des appels d’offres, en particulier des délégations de service public, quand on a des dettes sociales et fiscales ? J’entends votre réponse, mais elle ne me convainc pas.
M. Philippe Tapié. J’ai la chance d’avoir un partenaire qui nous aide et qui continuera à le faire – j’en suis sûr, puisque cela faisait partie de nos discussions – le temps que People&Baby soit de nouveau dans les rails.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Il serait intéressant d’entendre la réponse d’Alcentra.
M. Nicolas Besson. En tant que principal créancier, si nous faisons le constat que le bilan est insoutenable, nous pouvons l’aménager – et ce, avec toutes les parties prenantes. Nous pouvons renégocier avec l’ensemble des créanciers, et négocier des moratoires et des plans de paiement clairs. Nous le ferons pour le compte du passif public, mais il faudra négocier avec d’autres créanciers, parmi lesquels M. Durieux qui est créancier au travers de ses SCI. Nous renégocierons donc avec lui.
M. Amos Ouattara. Pour être exhaustif, je préciserai que dans le cadre des discussions, M. Durieux avait envisagé la cession de certaines filiales internationales. Nous pourrons en parler, si vous le souhaitez. Il existe très peu de synergies entre les activités à l’international et les activités en France. Il n’y en a même aucune.
M. Durieux a donc souhaité céder certaines activités pour faire baisser le levier d’endettement de son groupe de façon globale. Nous pourrons parler de la structurer et voir en quoi cela peut être intéressant pour le groupe, au bon prix.
À cette fin, M. Durieux a mandaté une banque d’affaires. Ce mandat est en cours. Nous pourrons vous donner le nom de la banque, et les détails.
M. Nicolas Besson. Je ne veux pas que les gens aient en tête la perspective d’un démantèlement. Je sais que cela fera partie de la rhétorique de M. Durieux dans la presse ou dans ses autres messages.
M. le président Thibault Bazin. C’est déjà le cas.
M. Nicolas Besson. Le président du démantèlement, c’est M. Durieux. Si nous n’étions pas intervenus, je vous le dis, les salariés n’auraient pas été payés.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Pour ce que soit clair, vous dites qu’à l’heure où nous parlons, il n’est pas envisagé de céder une partie des crèches du territoire national, mais qu’il y aurait potentiellement une cession d’actifs à l’étranger.
M. Amos Ouattara. Oui.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Vous dites que le modèle économique de People&Baby n’est pas exceptionnel, comparé aux autres acteurs du secteur. J’ai compris qu’il reposait sur des objectifs élevés de croissance, avec un endettement qui pourrait aussi être considéré comme élevé, et s’appuyait sur des fonds de dette. Le fait que ce modèle ne soit pas exceptionnel doit-il nous rassurer, compte tenu des difficultés que rencontre People&Baby ? Le facteur ayant conduit à sa déstabilisation serait le drame de Lyon, avec ses conséquences réputationnelles. Est-ce à dire que d’autres grands groupes de crèches ont cette fragilité et risquent d’être confrontés aux mêmes difficultés s’ils étaient concernés par ce type d’événement ?
Quel était le niveau d’endettement du groupe ? Les autres groupes que nous avons auditionnés ont cité un niveau d’endettement de 1 pour 1, que ce soit dans le cadre d’opérations de LBO ou dans celui d’achat direct d’actions par un fonds d’investissement. Connaître le niveau d’endettement de People&Baby nous permettra de savoir s’il est supérieur à celui des autres groupes.
M. Philippe Tapié. Outre la problématique de réputation, qui a accru les difficultés de People&Baby, n’oublions pas qu’il y a eu deux ans de covid durant lesquels les enfants n’étaient pas là, mais où il a fallu continuer de payer les loyers et les salaires – il en a été de même dans les maisons de retraite. Il faut aussi mentionner l’inflation. Le problème réputationnel n’est pas le seul facteur explicatif, même s’il a ajouté aux difficultés du groupe.
M. Nicolas Besson. Comparativement aux autres groupes que vous avez interrogés, aucun autre fonds n’a investi en fonds propres. J’ignore ce que M. Durieux a historiquement lui-même mis à disposition du groupe. En tout cas, depuis 2018, il n’a pas injecté de fonds propres. Si vous valorisez la société à un moment donné, vous attribuez une valeur aux titres. Aujourd’hui, la question est ouverte : le groupe vaut-il plus que sa dette ? Si la réponse est négative, la valeur des titres est de zéro. Dans d’autres auditions, des fonds d’investissement vous ont indiqué avoir investi tant à tel moment, et avoir une dette au bilan d’à peu près le même montant.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Nous ne sommes pas des spécialistes de la finance, mais nous avons écouté attentivement vos réponses et nous finissons par comprendre certaines choses. Ne faut-il pas poser la question de l’endettement au regard de l’Ebitda ? Le niveau d’endettement du groupe People&Baby par rapport à son Ebitda est-il plus ou moins important que celui des autres principaux acteurs du secteur ?
M. Nicolas Besson. Il est plus important aujourd’hui, parce que la performance s’est détériorée. Mais il ne l’était pas au moment où nous avons investi. Il ne l’était pas non plus quand nous avons continué à investir. Il est devenu plus important en raison des difficultés opérationnelles.
M. William Martinet (LFI-NUPES). J’ai bien compris le contexte global et l’incidence de l’accumulation du covid, de l’inflation et de l’aspect réputationnel sur le taux d’occupation. Pouvez-vous donner des chiffres plus précis concernant la baisse du taux d’occupation ? Cela permettra de voir à quel point la pente sera forte pour redresser le groupe. Nous n’avons pas abordé ce point dans l’audition de M. Durieux.
M. Philippe Tapié. Je propose de vous répondre par écrit, car je ne voudrais pas citer des chiffres inexacts. Les taux d’occupation varient suivant les types de crèches. Je m’engage à vous répondre par écrit.
M. Amos Ouattara. Nous vous communiquerons les taux de commercialisation et les taux d’occupation pour le périmètre France.
M. Nicolas Besson. À l’étranger, l’Ebitda continue à bien se comporter. Il représente un montant plus important que ce qui est généré en France.
Mme Anne Bergantz (Dem). Merci pour les explications que vous essayez de rendre le plus clair possible pour la néophyte que je suis.
Monsieur Tapié, vous avez dit que la société ne fonctionnait pas trop mal en dépit de ses difficultés financières. Qu’est-ce que cela signifie ?
Vous avez également distillé l’idée selon laquelle il y avait probablement un manque de rigueur, et indiqué que M. Durieux s’était plus attaché à sa casquette d’actionnaire qu’à celle de gestionnaire, en précisant qu’il avait continué à payer ses loyers à la SCI. Qu’est-ce que tout cela sous-entend, concernant sa gestion ?
Enfin, vous envisagez des actions pour redresser le groupe. J’imagine donc que vous considérez que c’est possible. Nous avons compris que vous ne pensiez pas au démantèlement ou à la vente d’actifs. Comment ferez-vous pour remonter la pente en France ?
M. Philippe Tapié. Les résultats de People&Baby en France sont largement inférieurs à sa dette. Il y aura donc certainement une redistribution et une renégociation pour étaler la dette et pour trouver des fonds.
Nous avons parlé de litiges. Cent litiges, pour une entreprise comme celle-là, c’est énorme. Il y a des litiges de 20, 25 ou 10 millions par ci, 10 millions par là. M. Durieux est un homme de caractère, qui n’aime pas qu’on lui tienne tête. Mais les litiges, c’est de l’argent perdu, c’est du temps perdu et ce sont des équipes qui ne sont pas concentrées sur le développement de l’entreprise, de la marque et du bien-être, ou la recherche de nouvelles idées pour aider les jeunes couples. La façon de faire était peut-être moins tournée vers l’entreprise, les enfants et le business que vers l’activité patrimoniale.
Aujourd’hui, la tâche est rude. Après huit ans dans des maisons de retraite, j’ai un âge où j’aurais pu passer mon temps à la plage... Mais j’ai été déçu – ce n’est pas exactement le bon terme – de constater qu’une si belle entreprise, employant 6 000 personnes, se trouvait dans une telle difficulté en raison de décisions que je qualifierais d’un peu idiotes. J’ai rencontré M. Durieux, qui m’a expliqué qu’il serait bon d’investir quelques millions en Arabie Saoudite pour faire des maisons de retraite. Quand vous voyez la dette et les problèmes que nous avions, c’était impossible !
Vous allez peut-être trouver cela risible, mais je considère qu’on ne fait pas ce métier sans vocation. Notre société évolue, comme la prise en charge des personnes âgées et celle de la petite-enfance. Les femmes veulent leur indépendance et travailler, et c’est normal. Il faut donc apporter des solutions. Les gens veulent aussi du qualitatif quand ils nous confient ce qu’ils ont de plus cher à leurs yeux. Ils veulent de l’éveil musical ou de l’éveil au jardinage, par exemple. Nous devons y réfléchir, pour garantir aux jeunes parents que lorsqu’ils sont au bureau, leurs enfants sont pris en charge, sont en sécurité, mangent bien – nous faisons au minimum 50 % de bio, dans nos crèches. C’est cela qui m’anime.
Nicolas et Amos m’ont dit : « tu viens et on va essayer de retourner la boîte ». Eh bien, on va essayer de retourner la boîte ! On va essayer, avec les équipes et en étant présent sur le terrain, d’avoir une cohésion, d’avoir tous le sourire, de bien accueillir le personnel et les familles. On remontera notre taux d’occupation et notre chiffre d’affaires. En discutant avec nos partenaires financiers, j’espère que nous arriverons à avoir des échéanciers plus corrects, qui nous permettront non pas de gagner de l’argent, ce n’est pas le but, mais de sauver la boîte.
Mme Anne Bergantz (Dem). Estimez-vous que les loyers que vous payez à la SCI de M. Durieux sont surévalués ?
M. Nicolas Besson. Nous n’avons pas pu faire cette analyse et nous n’avons pas d’élément nous permettant de nous prononcer sur ce point. Je précise toutefois, car cela nous semble fondamental, que nous avons activé l’action de préférence le jeudi 18 avril, que le changement de présidence a eu lieu le lundi 22 avril, et que M. Durieux a autorisé un paiement vers ses SCI le vendredi 19 avril, pour se mettre à jour – un paiement d’une somme conséquente.
M. le président Thibault Bazin. La question de notre collègue n’est pas anodine. Nous l’avons posée à tous les grands groupes et à tous les fonds, qui ont indiqué que des audits extérieurs étaient conduits pour savoir si les loyers versés n’étaient pas survalorisés.
M. Philippe Tapié. Nous avons un siège avenue Hoche, qui appartient à M. Durieux. Je ne suis pas sûre que tout mon personnel habite le 8e ou le 16e arrondissement... En revanche, il serait normal de payer un loyer équivalent à l’avenue Hoche. En tant que garant et gérant de la société, je regarderai le contrat de bail pour voir si nous pouvons trouver quelque chose d’autre pour améliorer les conditions de travail, qui sont souvent difficiles dans les appartements haussmanniens biscornus, et apporter un peu de souffle à la société. On arrive à trouver assez facilement des mètres carrés en proche banlieue parisienne, qui coûteront certainement beaucoup moins cher.
M. le président Thibault Bazin. D’autres l’ont fait.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Nous avons beaucoup appris sur la façon dont les choses se passent entre les actionnaires et les fonds d’investissement. Le gros mange le plus petit, et ainsi de suite ! C’est un peu votre histoire, et j’ai l’impression que nous revivons avec le groupe People&Baby ce qui s’est passé avec Orpea. Les similitudes sont nombreuses. Pour comprendre l’avenir de People&Baby, nous pouvons lire les articles de presse qui montrent ce qu’est devenu Orpea, qui a changé de nom pour s’appeler Emeis. Peut-être pourra-t-on changer de nom, pour essayer de faire oublier la mauvaise réputation… Ce qui m’intéresse surtout, dans la trajectoire d’Orpea devenu Emeis, c’est la recapitalisation. Je suppose, en effet, que c’est un peu vers cela que vous irez. Certes, vous ne l’avez pas dit, mais il existe de nombreuses façons de restructurer un groupe – j’en vois des dizaines. Il n’y a pas seulement les licenciements, auxquels, vous avez raison, vous n’avez aucun intérêt puisque vous avez déjà du mal à recruter.
Nous avons regardé la façon dont ce groupe était organisé. Vous avez raison de pointer le rôle et les intérêts patrimoniaux de M. Durieux. En audition, nous avons eu du mal à lui faire reconnaître cette omniprésence – la sienne et celle de son épouse : détention de plusieurs SCI, centrale d’achat, association de formation et que sais-je encore. Ce groupe fonctionne en circuit fermé, comme la plupart de ceux qui ont le même historique.
Le groupe a donc 600 crèches en propre, et plus de 3 000 places de berceau. Comment compte-t-il se développer, puisque tout est fondé sur la croissance ? Quelle activité allez-vous davantage développer : la crèche en propre ou les places de berceau ?
C’est à vous que je pose la question, monsieur Nicolas Besson, car j’ai lu dans la presse que vous aviez une certaine expertise et qu’on faisait souvent appel à vous dans ce genre de cas.
Je l’ai vu avec le groupe BVA, récemment. Il faut absolument sauver ce groupe, qui est surendetté. Tout va mal. C’est là que M. Besson intervient : on réinvestit, on recapitalise, on licencie les cinq salariés actionnaires – peut-être avez-vous un souci avec les actionnaires, je ne sais pas. Vous prenez des engagements, « croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer », on ne licenciera pas les gens avant au moins deux ans – sauf ces cinq-là ! Je lis l’histoire de BVA, on voit l’histoire d’Orpea. Vous avez une spécialité, une façon d’intervenir. Comme vous l’avez rappelé à plusieurs reprises, on vous a fait venir exprès dans ce dossier, en tant que financier et spécialiste de crise, et certainement pas en tant que spécialiste de la petite enfance. La caution « petite enfance », c’est plutôt M. Tapié.
C’est la même chose concernant M. Ouattara, qui a aussi sa réputation dans la presse. On vous regarde tous les deux. On vous écoute depuis le début. Certes, nous sommes des députés très naïfs. Aucun d’entre nous n’est spécialiste de la finance. Mais on a quand même un petit peu d’expérience. Je me suis ainsi récemment battue contre un texte qui a été voté il y a moins d’un mois à l’Assemblée nationale, qui permet d’avoir des actions de préférence. Vous avez fait valoir la vôtre. Résultat des courses, pouf ! Fini ! Pourtant, la majorité nous vendait il y a un mois que l’action de préférence ne mettait pas en danger les fondateurs. J’ai la preuve que si. Comme le texte va revenir dans quelques semaines devant l’Assemblée, je serai heureuse de pouvoir citer cet exemple en séance.
Dites-nous quelles sont vos véritables intentions. Mme la rapporteure vous a questionnés. M. le président vous a questionnés. Mes collègues vous ont questionnés. Vous allez recapitaliser : comment ? Entrerez-vous au capital ? Vous l’avez fait pour BVA, il me semble. Ferez-vous autrement ? Dans le cas d’Orpea, ils ont noyé les actionnaires d’origine en ouvrant largement. Vous avez maintenant les moyens de le faire. Vous avez le pouvoir sur ce groupe. Comment allez-vous procéder ? Dans quel délai ? Comment allez-vous restructurer le groupe ? L’association de formation, la centrale d’achat : quelles activités sortent, quelles activités restent ?
C’est tout ce modèle économique qui nous intéresse. S’il n’est pas viable, nous aurons intérêt à dire dans notre rapport qu’il est instable, qu’il ne tient pas la route et qu’il ne faut pas lui faire confiance. S’il est viable et intéressant – je n’y crois pas –, nous verrons dans quelle mesure.
M. Amos Ouattara. Cela vaut le coup de passer un peu de temps sur le modèle économique, car j’ai compris que c’est ce qui vous intéressait avant tout. Il faut vraiment se demander comment les décisions ont été prises dans ce groupe, et ce qu’il va falloir faire.
Comme vous l’a dit Philippe, il y a beaucoup de travail. Nous pensons qu’il faut repositionner la marque et investir dans le service. Il faudra aussi regarder le réseau, car les Capex par an ne sont pas suffisants. Il faudra regarder plus précisément, mais nous ne serions pas étonnés de devoir investir davantage pour redorer et repositionner la marque, et aller chercher une amélioration du taux d’occupation et du taux de commercialisation.
Le groupe génère 24 millions d’euros, dont 17 millions à l’étranger – 2 millions de frais de gestion (management fees) sont payés à la France. Cela signifie que la France génère 7 millions, soit bien moins que la charge des intérêts. Cela ne fonctionne pas. Il y a donc un vrai danger, et un sujet de capitalisation de l’entreprise pour en assurer la pérennité.
Nous sommes prêts à prendre nos responsabilités, mais nous voulons que toutes les parties prenantes le fassent, aussi pour trouver ensemble une solution qui permette à l’entreprise de redorer son blason. Il faut pouvoir compter sur les efforts conjugués de toutes les parties autour de la table. Nous sommes prêts à faire ce que nous avons fait ces derniers mois. Nous souhaitons continuer à jouer notre partition et à aider le groupe à sortir de ce gouffre.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Soit vous continuez à investir en créant de la dette, donc en prenant le risque du surendettement, soit vous faites autrement. Continuerez-vous comme vous le faites en ce moment, ou changerez-vous de stratégie ?
M. Nicolas Besson. J’ai l’impression que vous pensez que « recapitalisation » est un terme négatif.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Répondez à la question sans porter de jugement.
M. Nicolas Besson. Nous ne sommes pas dans le dossier Orpea, et si nous recapitalisons le groupe, cela veut dire qu’il changera de structure financière – parce qu’il aura moins de dettes. Sa structure de capital sera assainie. Je ne sais pas si c’est l’option qui sera choisie.
Je n’ai aucun problème à vous dire que le rôle joué par Alcentra ces jours-ci est positif. Quand la direction financière d’un groupe envoie un mail pour vous remercier de permettre aux salariés d’être payés, je dors mieux et Amos aussi. C’est mieux pour tout le monde.
M. Amos Ouattara. Je vais essayer de faire le plus simple possible, au sujet de la capitalisation. Le niveau de dette est assez important, qu’il s’agisse de la dette vis-à-vis d’Alcentra ou de tiers. Il y a deux façons de traiter le sujet : soit un nouvel actionnaire arrive et injecte des fonds propres, soit le créancier décide de convertir la dette en actions (equity). Dans les deux cas, cela permet d’assainir le bilan et à la société de respirer. Comme nous vous l’avons dit, nous prendrons nos responsabilités. Nous souhaitons que l’activité continue à fonctionner. Nous ne pensons pas que ce soit une mauvaise chose pour le groupe, peut-être à tort.
M. le président Thibault Bazin. Cessons de tourner autour du pot : vous étudiez potentiellement l’idée de convertir une partie de la dette en actions si c’est pertinent.
M. Amos Ouattara. On ne tourne pas autour du pot. Il est important de connaître les chiffres. Fin 2023, au regard de ce que cette entreprise générait avec ses filiales internationales et de la charge de ses intérêts, cela ne peut pas durer.
M. le président Thibault Bazin. En effet !
M. Amos Ouattara. Nous sommes prêts à étudier la conversion d’une part substantielle de nos créances, au besoin. Comme je l’ai dit, M. Durieux a demandé à une banque d’affaires de travailler au refinancement.
M. le président Thibault Bazin. Alors que nous sommes en train d’étudier les modèles économiques, vous pouvez comprendre notre inquiétude. Nous nous demandons comment vous allez vous en sortir et nous pensons aux salariés et aux familles qui pourraient se trouver dans l’embarras.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). C’est ce que je voulais vous faire dire clairement, messieurs. Finalement, vous allez convertir la dette en actions et devenir actionnaires – certainement pas seuls – du groupe People&Baby. Avez-vous un calendrier ? Avez-vous déjà réfléchi au moment où vous procéderez à cette conversion ? Cela nous intéresse de le savoir.
Ce qui se passe avec People&Baby se produira avec tous les autres groupes, j’en suis convaincue, car ce n’est pas exceptionnel. Beaucoup de groupes ont de la dette, jusqu’au jour où leurs créanciers estiment que c’est trop. Je vous le dis franchement, monsieur Ouattara : c’est très grave, la dette, mais on s’en remet ! Il suffit de la négocier. Là, vous dites « stop, on arrête », au motif du surendettement et des risques, et on vous remercie d’avoir payé les salaires. Je défends les ouvriers et les salariés. J’ai toujours payé mes ouvriers et mes salariés le 24 ou le 25 du mois, les onze ans durant lesquels j’avais une entreprise. C’est essentiel et cela passe avant tout. Il est anormal que certains pensent que cela puisse passer après.
Je suis heureuse que les choses soient dites clairement. Quels sont les délais ?
M. Amos Ouattara. Non, je n’ai pas dit qu’on allait convertir la dette en actions. J’ai tenu à préciser que M. Durieux avait mandaté une banque d’affaires pour aider à refinancer la dette, et que le mandat de cette banque d’affaires prévoyait la recherche potentielle d’investisseurs. Il n’est donc pas exclu qu’un investisseur ait envie d’investir dans le groupe et de permettre une recapitalisation, ce qui ne requiert pas nécessairement une conversion des créances d’aujourd’hui en equity. Rien n’est définitif.
M. Nicolas Besson. Je ferai à mon tour la précision suivante : le passif est encore en cours d’évaluation. Nous avons besoin d’un examen objectif des faits. Nous mandaterons un cabinet de référence pour effectuer ce travail. Nous nous interrogerons en fonction du montant et de la nature du passif. Le calendrier n’est donc pas défini.
Par ailleurs, il y a de la dette au bilan, probablement trop, mais elle ne pèse pas sur la trésorerie du groupe. Il n’y a pas d’intérêts payés. Ils sont tous capitalisés. Nous prenons le temps d’établir un diagnostic, et d’étudier les options dans le processus qu’Amos vient de mentionner.
L’assainissement du bilan passera peut-être par une conversion de la dette en capital. C’est positif.
M. le président Thibault Bazin. Il n’y a donc pas de décision, pas de stratégie et pas de calendrier.
M. Nicolas Besson. Vous caricaturez un peu la situation. Je pense que sous six mois, nous saurons où nous en sommes.
M. le président Thibault Bazin. Merci, messieurs. Vous avez promis des précisions, que je vous invite à transmettre rapidement à Mme la rapporteure. Nous ne pouvons que vous souhaiter bon courage pour les jours qui viennent, car nous avons une pensée pour les salariés et les familles accueillies dans les crèches de votre groupe.
La séance est levée à 17 heures 05.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du lundi 29 avril 2024 à 15 h 30
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Sophia Chikirou, Mme Julie Delpech, Mme Virginie Lanlo, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli