Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

 Audition de Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, et de Mme Sarah El-Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des Sceaux, ministre de la justice, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles              2

 


Mardi 30 avril 2024

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 55

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président


  1 

La séance est ouverte à 16 heures 30.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, et  Mme Sarah El-Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des Sceaux, ministre de la justice, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles.

M. le président Thibault Bazin. Notre commission accueille, pour sa 54e et dernière audition, Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, et Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles.

Le délai de 6 mois dans lequel une commission d’enquête doit rendre ses conclusions arrive à son terme le 28 mai 2024. Après les auditions, viendra le temps de la formalisation du rapport, qui devra faire l’objet d’une adoption par la commission.

Je précise que cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, mesdames les ministres, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Vautrin et Mme El Haïry prêtent successivement serment)

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités. Rien n’est plus important pour des parents que la garde de leur enfant. Sujets de préoccupation pour nos concitoyens, le modèle économique des crèches et la qualité d’accueil des jeunes enfants constituent des enjeux majeurs en matière de droits de l’enfant et de soutien à la parentalité et à l’insertion.

En 2021, notre pays comptait 1,3 million de places d’accueil du jeune enfant, dont plus de la moitié en accueil individuel, 491 000 en accueil collectif et 85 000 en scolarisation pré-élémentaire. Le taux de couverture, relativement stable, est de 59,4 places pour 100 enfants de moins de 3 ans. Des disparités territoriales subsistent toutefois, principalement entre les départements du sud et du nord-ouest de la France.

S’agissant spécifiquement des crèches, le multi-accueil représente 80,8 % des places offertes. Les micro‑crèches composent 12,2 % du parc et les crèches familiales 6,1 %. Les crèches parentales enfin représentent moins de 1 % de l’offre totale d’accueil des jeunes enfants.

Six crèches sur sept sont financées directement par la prestation du service unique (PSU) de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Les 70 000 structures restantes sont non conventionnées : elles fonctionnent essentiellement grâce à l’apport financier des familles, qui peuvent bénéficier de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje).

Je souhaiterais revenir sur quatre enjeux mis en lumière par votre commission.

Le premier concerne le nombre de places insuffisant. Il manque en effet actuellement environ 200 000 places, inégalement réparties sur le territoire.

Le deuxième réside dans une qualité d’accueil hétérogène et un système de contrôle des établissements jugé insatisfaisant.

Vos travaux ont également mis l’accent sur le mode de financement des crèches, générateur d’inéquités sociales, de disparités territoriales, voire de situations de surrémunération.

Il convient enfin de souligner la faible attractivité des métiers de la petite enfance et le manque de 10 000 professionnels qui en résulte, limitant ainsi l’offre d’accueil.

Je vais me concentrer sur les deux premiers points et laisser à Sarah El Haïry le soin de traiter les suivants.

Notre réponse à l’insuffisance du nombre de places réside dans le déploiement du service public de la petite enfance, dans lequel les communes joueront le rôle d’autorités organisatrices. Elles auront le devoir, directement ou par l’intermédiaire des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), de recenser les besoins et les modes d’accueil disponibles, mais aussi d’informer et d’accompagner les familles. Les communes de plus de 3 500 habitants devront également planifier le développement de modes d’accueil et soutenir leur qualité. Pour exercer ces missions, les communes de plus de 10 000 habitants devront établir un schéma pluriannuel de maintien et de développement des modes d’accueil et disposer d’un relais petite enfance, afin de faciliter les formalités administratives des particuliers et des assistants maternels.

Un dispositif d’accompagnement financier est prévu et donnera lieu prochainement à une action de communication à l’attention des collectivités concernées. Un bonus développement de 303 millions d’euros appuiera ainsi le financement des places au-delà d’un certain niveau et un soutien financier spécifique aidera les communes et les EPCI de plus de 3 500 habitants. Un dispositif d’appui en ingénierie est également prévu par la Cnaf.

Quelques décrets restent à produire d’ici la fin de l’année. Ils font l’objet de réflexions avancées dans le cadre d’un groupe de travail conduit avec les collectivités. Ils devront préciser le contenu du schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil de la petite enfance et détailler les compétences de l’autorité organisatrice d’accueil du jeune enfant. Il s’agira par ailleurs de définir les modalités de révision de l’inspection des crèches par les protections maternelles et infantiles (PMI), ainsi que les missions des relais petite enfance.

Les enjeux en termes d’hétérogénéité de la qualité d’accueil et de risques de maltraitances, soulignés par le rapport rendu par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en mars 2023, sont également majeurs et appellent de notre part des réponses appropriées. Le Gouvernement s’est emparé dès 2023 de plusieurs recommandations de ce rapport, qu’il a immédiatement appliquées : limitation à une durée de 15 ans de l’autorisation d’ouverture des crèches, évaluation tous les 5 ans et possibilité accordée aux présidents de département de prononcer par l’intermédiaire des PMI des sanctions progressives (injonction, astreinte, fermeture). Ces recommandations ont également conduit à une meilleure prise en compte dans les financements des temps hors enfant, notamment des formations, et au lancement d’une campagne de valorisation des métiers de la petite enfance, diffusée à deux reprises au cours de l’année 2023 et prochainement relancée.

Concernant les personnels, nous travaillons à un renforcement des normes en termes de taux d’encadrement et de qualification. La récente réforme des modes d’accueil, dite Norma, vise ainsi à garantir la présence d’un professionnel pour 5 jeunes enfants et à s’assurer que ce nombre ne soit pas inférieur à 2, sauf lorsque le nombre d’enfants est inférieur à 4, dans le cas des micro‑crèches. L’effectif des personnels doit respecter les normes d’encadrement prévues par le code de la santé publique et les fonctions de direction sont mieux encadrées. Le renforcement des modalités d’encadrement sera arrêté dans le cadre d’une trajectoire pluriannuelle, à l’issue de travaux d’élaboration d’un référentiel qualité, dont le contenu fait l’objet d’une mission d’appui de l’Igas.

Il est prévu par ailleurs de renforcer le niveau de qualification des personnels. Un travail est en cours pour redéfinir les niveaux de qualification obligatoires requis pour exercer dans les établissements d’accueil de jeunes enfants, en tenant compte du déficit d’attractivité des métiers correspondants. Le développement de l’appareil de formation interne, permettant d’amener davantage de personnes aux diplômes de niveau 1, est également une piste à privilégier.

Il convient en outre de lutter contre la maltraitance institutionnelle. Le questionnaire envoyé en 2023 aux professionnels du secteur par les inspecteurs de l’Igas a montré qu’un quart des répondants considéraient avoir déjà travaillé dans un établissement qu’ils jugeaient maltraitant à l’égard des enfants. Face à ce constat, plusieurs réponses ont été mises en œuvre. Des protocoles de lutte contre la maltraitance, visant à clarifier les conduites à tenir, sont en cours de déploiement dans l’ensemble des établissements d’accueil de jeunes enfants. La loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi a par ailleurs créé de nouveaux leviers permettant de renforcer et rénover les contrôles exercés par les PMI. Actuellement centrés sur les questions d’hygiène et de sécurité, ces contrôles vont s’élargir à la qualité de l’accueil, sur la base d’approches d’observation et d’immersion renforcées. Nous prévoyons par ailleurs d’en accroître la fréquence et l’intensité, y compris en les délégant aux caisses d’allocations familiales (Caf) et en engageant un plan de contrôle des grands groupes de crèches.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles. Les travaux engagés en novembre 2023 dans le cadre de cette commission d’enquête ont permis d’éclairer divers enjeux et défis et de dessiner un chemin pour améliorer l’accueil des enfants au sein des crèches ou chez les assistants maternels.

Cet accueil doit être d’une qualité irréprochable pour les jeunes enfants et leurs parents et offrir aux professionnels des conditions de travail satisfaisantes. L’action entreprise par le Gouvernement depuis plusieurs années a pour but de faire sortir le secteur de la petite enfance de la crise qu’il traverse et de permettre à chaque parent qui le souhaite d’accéder à une place de qualité pour son enfant, à des prix raisonnables.

La feuille de route « qualité » présentée par Jean-Christophe Combe, alors ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, est l’un des piliers de cette démarche. Elle repose sur l’idée selon laquelle assurer un accueil de qualité suppose pour les professionnels de disposer de temps, mais aussi de collègues en nombre suffisant, formés et bénéficiant de conditions de travail favorables. Elle mise également sur le développement d’une culture de l’évaluation et du contrôle de la qualité : je souhaite que le dispositif, essentiellement centré jusqu’à présent sur le volet sanitaire, évolue vers un contrôle intégrant la prise en compte du bien-être des enfants et des professionnels.

Les premiers résultats des actions entreprises sont d’ores et déjà visibles. Cela concerne tout d’abord les revalorisations salariales des professionnels de la petite enfance, que le Gouvernement s’est engagé à accompagner financièrement. Cet investissement appelle de la part des partenaires sociaux des contreparties visant à harmoniser les droits sociaux des professionnels de la petite enfance, aujourd’hui éclatés en neuf branches. Face à cette architecture morcelée, inopérante pour homogénéiser les droits et réguler la concurrence entre employeurs, l’ambition est d’inciter les branches professionnelles du secteur privé à véritablement faire filière. Il est par exemple demandé aux partenaires sociaux de définir des emplois repères communs à l’ensemble des branches. À court terme, une revalorisation des salaires d’au moins 150 euros par mois en moyenne devrait intervenir. D’ici 2027, il conviendra de définir des salaires d’entrée de grille dans ces emplois repères, alignés sur ceux de la branche professionnelle la plus favorable. La branche famille accompagnera financièrement les revalorisations salariales à hauteur de 66 %, sous réserve que des négociations d’accords de branche soient entreprises.

Une campagne de valorisation des métiers de la petite enfance est en outre nécessaire afin d’accroître l’attractivité du secteur et de susciter des vocations, notamment chez les plus jeunes.

Une meilleure prise en compte des temps hors enfants est également prévue, avec le financement dès 2024 de trois jours pédagogiques et des heures de préparation de l’accueil des enfants.

S’agissant des contrôles, la loi pour le plein emploi pose les bases de nouvelles pratiques permettant une meilleure coordination entre les acteurs et valorisant les actions d’évaluation régulières indispensables à l’inscription de chaque structure dans une démarche d’amélioration continue. Cela constitue un élément fondamental dans la restauration de la confiance des professionnels envers l’institution, mais aussi des familles à l’égard des professionnels.

Nous poursuivons par ailleurs la déclinaison de la feuille de route et la mission de l’Igas sur les référentiels qualité, dont la transposition en guide de contrôle et d’évaluation a été relancée en mars 2024. Ces référentiels nationaux constitueront un outil clé pour mieux travailler avec les PMI, harmoniser les pratiques et construire une culture commune.

Cette mission doit également servir de base à la révision des parcours de certification, en vue d’améliorer les passerelles entre les métiers. Dans ce contexte, le large ministère confié à Mme Vautrin permet une réflexion globale sur les métiers du prendre soin. Cela s’est traduit par la préfiguration d’un observatoire des professionnels de la petite enfance, avec l’appui de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Les services statistiques des administrations et de la Cnaf sont pleinement mobilisés pour faire aboutir ce projet, qui devrait voir le jour au cours de l’année 2024.

Les faits dénoncés dans le rapport de l’Igas sont inacceptables et la mission confiée à Florence Dabin sur le suivi des signalements et des faits de maltraitance a apporté des éléments essentiels à l’appréhension de ces phénomènes. Il est impératif de prévenir ces situations, en formant les professionnels et en accompagnant leurs pratiques quotidiennes, en accueil collectif et individuel. Mon ministère est celui de la protection des enfants : il mise sur la prévention, l’accompagnement et une tolérance zéro.

La feuille de route « accueil individuel » présentée par Aurore Bergé, alors ministre des solidarités et de la famille, apporte de premières réponses au principal risque auquel est confronté le système actuel, à savoir la perte de 300 000 places d’accueil en raison des départs en retraite massifs d’assistants maternels. On peut ainsi se féliciter des avancées structurantes apportées par la réforme du complément de mode de garde qui sera mise en œuvre en 2025. Participant à une meilleure solvabilité des familles, ce dispositif offrira des perspectives d’emploi et de rémunération plus importantes pour les assistants maternels. Les aides à l’installation ont en outre été majorées, passant de 450 à 1 200 euros. Le soutien aux maisons d’assistantes maternelles a été étendu à l’ensemble du territoire et ne se limite plus désormais aux zones rencontrant un déficit d’offre. Dès septembre 2024 enfin, le service Pajemploi+, auquel recourent déjà près de la moitié des assistants maternels, permettra d’assurer la prise en charge de 2 mois d’impayés au lieu d’un seul.

Il reste néanmoins beaucoup à faire en matière d’accueil individuel. L’une de nos priorités est de finaliser les décrets relatifs aux missions des relais petite enfance. Notre ambition est de simplifier la vie des assistants maternels et des parents. Nous souhaitons lancer des réflexions sur le statut des professionnels travaillant dans les crèches familiales et sur l’exercice groupé du métier. Nous entendons également ouvrir une réflexion sur la rémunération des assistants maternels, dont le salaire mensuel est inférieur au Smic alors que leur durée hebdomadaire de présence auprès des enfants est souvent supérieure à 40 heures. Améliorer les rémunérations et tenir compte des temps hors enfants font partie des mesures à instruire en priorité.

Le chantier des gardes à domicile du particulier employeur ou du salarié d’une entreprise ou d’une association doit par ailleurs être lancé. Il s’agit le plus souvent d’un mode de garde complémentaire permettant de répondre à des horaires atypiques ; mais cette possibilité constitue parfois un mode d’accueil pérenne, compte tenu du manque de places dans les structures d’accueil collectif.

Je souhaite profiter de cette audition pour évoquer les conclusions du rapport de l’Igas et de l’Inspection générale des finances (IGF) sur les micro‑crèches, rendu public le 25 mars 2024. Ce document souligne tout d’abord la diversité de ces structures : lucratives, associatives, rurales, urbaines, indépendantes ou relevant de grands groupes. Certaines donnent satisfaction, mais d’autres devront évoluer pour garantir une meilleure qualité d’accueil. Le rapport estime que le cadre dérogatoire dont bénéficient les micro‑crèches est porteur de risques et n’est pas justifié. Nous souhaitons par conséquent travailler à la convergence de ce cadre réglementaire vers celui des petites crèches.

Le rapport met également l’accent sur les limites de plusieurs outils de financement, dont le crédit d’impôt famille (Cifam). Nous avons par conséquent engagé des travaux préalables à la réforme de ce dispositif, en veillant à ce que cette évolution soit sans impact sur le nombre de places en crèche proposé.

Nous avons enfin lancé les premiers contrôles de grands groupes et mobilisé les nouveaux pouvoirs confiés aux inspections par la loi pour le plein emploi. Tous les groupes feront l’objet d’un contrôle approfondi, afin de garantir la qualité d’accueil et le bon usage des deniers publics.

Cette loi a enfin posé de nouveaux jalons en termes de gouvernance, reconnaissant le rôle essentiel des communes et des intercommunalités dans le déploiement d’une politique de proximité. La création des autorités organisatrices de la petite enfance constitue une démarche inédite en la matière et pose les bases d’un service public de la petite enfance au plus près de nos concitoyens. Ce projet, extrêmement stimulant pour l’ensemble des territoires, sera mis en œuvre à partir de janvier 2025. Cela ne s’effectuera pas par décret, mais s’appuiera sur une écoute des communes et des intercommunalités, afin de recenser leurs besoins et de répondre avec dynamisme aux problématiques propres à chaque territoire. Nous avons déjà, grâce à la convention d’objectifs et de gestion (Cog) de la Cnaf, garanti un apport financier inédit de 6 milliards d’euros cumulés sur la période 2023-2027, en appui à la réussite de ce projet. Cet engagement, à un niveau historique, permettra de financer l’investissement, mais aussi le fonctionnement des places en crèche.

Le réseau des CAF se structure par ailleurs pour apporter un appui en ingénierie à chaque élu qui en formulera le souhait. Cela peut être intéressant en particulier pour les zones rurales, pour lesquelles le fait de disposer d’une offre d’accueil pour les jeunes enfants constitue un facteur d’attractivité.

Les associations d’élus travaillent activement avec mes services et les différentes administrations concernées à l’évaluation de la charge induite par les quatre compétences obligatoires. Un questionnaire a été diffusé à cette fin, dans la perspective des discussions budgétaires de l’automne 2024.

Je souhaite organiser un partage de bonnes pratiques sur chacune des compétences obligatoires et compte sur les villes et les intercommunalités les plus avancées pour inspirer les élus les plus en difficulté. Cette méthode a présidé à la mise en œuvre du fonds d’innovation petite enfance et se poursuivra, avec l’appui de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), pour les compétences d’information et d’accompagnement des parents.

C’est dans cette même optique que j’ai lancé la semaine dernière le dispositif France Familles, dont l’objectif est de construire une société plus accueillante pour les parents et les enfants, au plus près des territoires. Je souhaite me tenir aux côtés des élus et des acteurs locaux pour incarner ces deux priorités fondamentales pour les familles que sont le service public de la petite enfance et le soutien à la parentalité.

Nous avons pleinement conscience que l’organisation du système d’accueil de la petite enfance en France ne permet pas de répondre aux besoins. L’offre n’est pas assez accessible aux familles, tant financièrement que géographiquement. Il manque 200 000 places de crèches et l’on ne compte qu’une place d’accueil pour six enfants de moins de 3 ans. L’accès aux modes d’accueil est en outre marqué par des inégalités économiques et sociales importantes : ainsi, 71 % des familles vivant sous le seuil de pauvreté avec des enfants de moins de 3 ans ne recourent pas à une solution d’accueil, contre 37 % de la population générale. Le coût pour les familles varie en outre selon le mode d’accueil : pour un couple percevant l’équivalent de deux Smic, le reste à charge est deux fois plus important s’il a recours à un assistant maternel plutôt qu’à une crèche. Le système constitue également une trappe à précarité, puisque plus de 160 000 personnes, des femmes le plus souvent, sont empêchées de reprendre le travail faute de solution d’accueil. Le rapport de l’Igas d’avril dernier montre par ailleurs une qualité d’accueil très hétérogène selon les structures. Les actions d’évaluation et de contrôle apparaissent insuffisantes pour améliorer la qualité de prise en charge et assurer une réponse aux besoins et aux risques de maltraitance. Cette situation est aggravée par une pénurie de professionnels, qui tend à s’accélérer avec le départ annoncé, d’ici 2030, de près de la moitié des assistantes maternelles actuellement en exercice. Enfin, un manque de lisibilité entre les différents acteurs intervenant dans le domaine de la petite enfance empêche le développement d’une offre d’accueil de qualité, soutenable et en nombre suffisant.

Les travaux conduits par cette commission d’enquête viennent compléter ceux engagés par le Gouvernement depuis plusieurs mois. Nous n’ignorons rien des sujets que vous soulevez et étudierons avec intérêt l’ensemble de vos recommandations.

M. le président Thibault Bazin. Notre commission a pu, au fil des auditions et des visites de terrain, mesurer l’extrême complexité et l’entremêlement des modèles économiques. Certaines collectivités locales font appel à des acteurs privés, lucratifs ou non, et plus de la moitié des berceaux sont réservés par le secteur public. Quels sont les critères retenus par les administrations de l’État et les sections régionales interministérielles d’action sociale (Srias) pour les réservations de berceaux ? Comportent-il des aspects qualitatifs ? Existe-t-il un suivi de la part des gestionnaires ? Quelles sont les conditions d’achat de ces berceaux, que ce soit auprès de crèches municipales, intercommunales, associatives ou privées ? Comment l’État s’est-il saisi de cette question ?

Il apparaît par ailleurs que le modèle majoritaire de la PSU nécessite le recours à un tiers financeur. Cela soulève par conséquent la question du reste à charge en cas de participation insuffisante des collectivités locales ou de moindre réservation de berceaux par les administrations publiques, les collectivités locales et les entreprises. Dans quelle mesure le besoin de tiers financeur vient-il fragiliser ce modèle ? Les chiffres constatés sur le terrain se situent très au-delà des taux mentionnés par la Cnaf, avec des difficultés pour accéder aux différents bonus. On observe ainsi une certaine illisibilité des dispositifs. L’annonce d’une complexité accrue n’est de nature à rassurer ni les gestionnaires de structures d’accueil, ni les personnes s’interrogeant sur l’opportunité d’en développer de nouvelles. En quoi ce modèle de tiers financeur freine-t-il le développement ou suscite-t-il le gel de certaines places ? Dans quelle mesure ce système sous-financé peut-il nuire à la qualité des prestations proposées ? La spécificité française que constitue le tiers financeur pèse énormément sur les différentes structures, en les incitant à accorder une importance centrale au calcul de la PSU allouée par les Caf. Cet élément obsède les gestionnaires, publics comme privés, au point que la recherche permanente d’équilibre financier prend parfois le pas sur la qualité d’accueil des enfants.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. La question de la responsabilité, pour ne pas dire du devoir d’exemplarité de l’État en sa qualité d’employeur, est à l’ordre du jour. Nous travaillons à l’élaboration d’un guide de l’acheteur public de la petite enfance, afin d’induire une pratique harmonisée au sein des administrations.

La complexité des financements est une réalité. Le calcul de la PSU obsède l’ensemble des acteurs, car le modèle économique lui-même dépend de ces compléments. Bien que philosophiquement satisfaisantes, les mesures prises (bonus territoire, éléments liés aux horaires atypiques, etc) n’ont pas permis de simplifier le dispositif. La multiplication des appels à projets spécifiques a ajouté un niveau de complexité supplémentaire, qui contribue à l’illisibilité du système et rend difficile toute projection, créant de l’instabilité, du risque et du doute.

L’un des leviers pour agir sur ces enjeux réside selon moi dans l’ouverture d’une réflexion sur le financement PSU, qui conduit à ce que certaines structures bénéficient, par le jeu des compléments, de financements supérieurs à d’autres entités accueillant pourtant davantage d’enfants. Rendre le modèle PSU plus attractif suppose d’en améliorer la lisibilité et l’accessibilité.

Notre ambition est de construire un service public de la petite enfance incluant l’ensemble des modèles – public, privé, associatif, lucratif, non lucratif. La seule condition est celle de la qualité d’accueil et de l’accessibilité à un prix raisonnable pour les familles. L’accompagnement de l’accueil individuel est également un élément central. Nous souhaitons en effet proposer plusieurs possibilités aux parents, respecter et accompagner leur libre choix, en soutenant les deux modèles d’accueil, collectif et individuel. J’ai annoncé et initié des travaux en ce sens lors du Printemps de la petite enfance. Nous nous donnons une année pour présenter un projet et apporter de la lisibilité aux professionnels.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Les critiques adressées au financement PSU sont justifiées. Ce système induit en effet une pression au remplissage, avec la prise en compte des heures réalisées. Pour autant, il apparaît que le taux d’occupation n’a quasiment pas progressé depuis dix ans, passant de 60,4 % en 2010 à 61,8 % en 2019. Il est évident que le financement à l’activité néglige d’une part les coûts fixes, qu’il faut avoir la lucidité de prendre en compte, d’autre part la qualité d’accueil. Il convient toutefois de souligner que la prise en considération des heures réalisées a permis d’améliorer l’accessibilité pour les parents les moins aisés, en offrant la possibilité d’un paiement au plus près de la fréquentation réelle de la crèche par leur enfant. Il faut en outre savoir qu’avant la réforme, la branche famille finançait mieux des crèches moins fréquentées. La réponse apportée n’est sans doute pas optimale, mais permettra d’améliorer la situation. Nous continuons ainsi, dans le cadre de la Cog, à accentuer la part forfaitaire des financements de la Caf, qui passera de 28,4 % à 32,4 % en 2027. Le bonus territoire, tenant compte des charges de fonctionnement afférentes à l’implantation géographique de certaines crèches, sera fortement revalorisé. Cet élément est extrêmement important, car il répond à un enjeu d’équilibre territorial absolument majeur.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. La création de notre commission fait suite au drame survenu en juin 2022 à Lyon, où un jeune enfant avait été tué dans une crèche. Elle s’inscrit dans le prolongement du rapport de l’Igas publié début 2023 et de deux ouvrages consacrés aux crèches privées, parus à l’automne 2023. Durant nos travaux, d’autres éléments sont intervenus, dont le rapport sur les micro‑crèches publié le mois dernier par l’Igas et l’IGF. Une telle multiplication des publications démontre l’intérêt suscité par le sujet et témoigne de la nécessité, partagée par l’ensemble des acteurs, de faire évoluer les conditions d’accueil du jeune enfant dans les crèches, ainsi que le modèle économique associé.

Les 18 et 22 avril derniers, le groupe People&Baby a fait l’objet d’une prise de contrôle par le fonds d’investissement Alcentra. Son président fondateur, M. Durieux, a été remplacé par M. Tapié, que nous avons auditionné hier en compagnie des représentants de ce fonds. Quelles démarches avez-vous entreprises ou envisagez-vous d’effectuer pour vous assurer que les salariés du groupe People&Baby, ainsi que les enfants dont ils ont la charge, seront protégés des multiples rebondissements intervenant à la tête du groupe et des probables prolongements judiciaires de cette affaire ?

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Nous avons saisi l’occasion offerte par la loi pour le plein emploi pour lancer des contrôles dans l’ensemble des groupes, quel que soit leur statut. Notre objectif est d’accompagner et de fidéliser les 500 000 professionnels du secteur, afin d’éviter la fermeture de berceaux en raison d’un manque d’attractivité des métiers de la petite enfance, mais aussi d’en créer de nouveaux, nécessaires pour répondre au besoin.

Le cas de People&Baby, que nous avons suivi avec attention, illustre parfaitement l’enjeu de financiarisation à l’œuvre dans le secteur. Nous faisons preuve dans ce dossier d’une particulière vigilance, dans la mesure où près de 100 millions d’euros sont versés chaque année par les Caf aux 260 structures du groupe, qui offrent plus de 7 000 places et accueillent près de 15 000 enfants. Le dossier est suivi par la direction générale du Trésor. La Cnaf, l’Urssaf et le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) ont coopéré pour éclaircir les questions relatives à l’encours de la dette et à la négociation du passif public. Le Ciri avait en effet accompagné la société, sans possibilité de redressement initiale puisque l’endettement était supérieur à 500 millions d’euros, avec une dégradation du passif public. L’on a donc pris acte du fait que le fonds d’investissement Alcentra avait pris le contrôle du groupe et procédé à la désignation d’un nouveau mandataire, en la personne de M. Tapié. L’opération de recapitalisation s’est traduite par la formulation de dix demandes d’infos mémos par de potentiels acquéreurs, dont Babilou et Les Petits Chaperons Rouges.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Depuis le début de nos travaux, plusieurs constats sont récurrents. Le premier est que l’accueil des enfants dans les crèches connaît certains dysfonctionnements. Cela concerne aussi bien des établissements publics que privés associatifs ou lucratifs. Le deuxième constat, partagé par l’ensemble des acteurs, est qu’il importe, dans un contexte de pénurie de professionnels, de pérenniser et de garantir l’existant. De nombreuses interrogations ont ainsi été formulées sur la mise en œuvre annoncée de nouvelles solutions d’accueil, dont 100 000 d’ici 2027. Est-il envisageable de maintenir cet objectif ? Comment y parvenir alors que l’existant est déjà fragilisé par le manque de personnel ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. Face aux dysfonctionnements, il est absolument indispensable d’aller plus loin dans le plan de contrôle des différents groupes. Cette démarche a été engagée, avec un premier contrôle du groupe La Maison Bleue. Il me paraît important de souligner que les problèmes de qualité et les faits de maltraitance institutionnelle concernent tous les types de crèches, indépendamment de leur statut. Il est donc essentiel que les contrôles soient les plus larges et approfondis possibles. Un décret sur le renforcement des contrôles effectués par les PMI va être publié d’ici la fin du mois de juin 2024. La loi pour le plein emploi permet par ailleurs de mobiliser à cette fin les corps d’inspection, dont l’Igas. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité que deux groupes de taille nationale soient contrôlés chaque année.

Une fois la qualité de l’existant vérifiée et améliorée, se pose la question des places supplémentaires, qu’il convient de mettre en lien d’une part avec les enjeux de formation, d’autre part avec celle de la rémunération des professionnels du secteur. L’un des intérêts de notre pôle est précisément de travailler sur les notions d’emploi et d’aider des personnes qui en sont éloignées à découvrir les métiers de la petite enfance et à bénéficier d’une formation adaptée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Le manque de places en crèche est assurément source d’inégalités. En effet, plus de 160 000 personnes, des femmes en grande majorité, se trouvent empêchées de reprendre un emploi faute de moyen de garde pour leur enfant. Face à cette réalité, nous affirmons avec force notre volonté de créer de nouvelles solutions de garde. Cette ambition se conjugue avec le souhait de fidéliser les personnels en place et d’assurer le renouvellement générationnel des assistants maternels. Ces trois défis doivent être menés de front, ce qui procède d’une dynamique extrêmement forte.

Pour renforcer l’existant, des aides majorées sont notamment destinées aux crèches cofinancées par les collectivités, avec un bonus territoire à hauteur de 300 millions d’euros. Cela intègre également le renforcement des heures de concertation et des journées pédagogiques, le fonds qualité d’accueil, le bonus attractivité et la rénovation de l’aménagement du parc de crèches. Nous considérons en effet que les conditions d’accueil des enfants dépendent largement des conditions de travail offertes aux professionnels.

Parallèlement, plus de 370 millions d’euros doivent être investis chaque année pour créer de nouvelles places. Les subventions peuvent désormais atteindre 26 000 euros par place, contre 22 500 euros jusqu’en 2023, notamment lorsque les projets font écho aux grands enjeux de notre temps, environnementaux par exemple. Plus de 75 000 nouvelles places d’accueil collectif pourront ainsi être financées. Ce chiffre montre la nécessité de s’appuyer parallèlement, pour répondre à la totalité des besoins, sur la réforme du complément de libre choix du mode de garde et sur le renouvellement démographique des assistants maternels. J’ajoute que plus d’un tiers des enfants de 2 à 3 ans ne disposent actuellement d’aucune solution d’accueil.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Comment comptez-vous articuler cette réponse avec d’autres solutions envisageables aux deux extrémités du spectre d’âge des enfants concernés ? Je pense d’une part à l’évolution du congé parental, qui serait plus court mais mieux rémunéré afin d’être davantage mobilisé durant les premiers mois de la vie de l’enfant, d’autre part à des solutions adaptées aux enfants plus âgés, avec des possibilités de préscolarisation par exemple. Travaillez-vous sur cette dernière piste avec le ministère de l’éducation nationale ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. Concernant le congé de naissance, l’idée est d’aller vers un principe d’indemnité journalière, pour un montant de 50 % du revenu brut. Ce congé, cumulable avec une reprise progressive d’activité, sera d’une durée de 3 mois pour chacun des parents, soit potentiellement 6 mois au total.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Il est très important de proposer une diversité de solutions, adaptées aux besoins spécifiques des familles. J’ai la conviction qu’il ne faut négliger aucune possibilité.

Le congé de naissance dans ses nouvelles modalités n’aura de sens que si le service public de la petite enfance est mis en œuvre afin de faciliter le retour des parents à l’emploi. Se posera également lors des concertations, à la demande des associations familiales, la question du libre choix avec la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE), qui correspond à un autre modèle et ne concerne aujourd’hui que 250 000 familles.

Le nombre d’enfants en préscolarisation, divisé par 3 au cours des 20 dernières années, s’est globalement effondré, bien que la dynamique varie d’un territoire à l’autre. Il faut accompagner le développement des classes passerelles, en tenant compte des spécificités territoriales et en lien avec les comités départementaux des services aux familles, où siègent les directions académiques des services de l’éducation nationale (Dasen). Certains élus locaux s’interrogent sur la difficulté que constitue l’entrée échelonnée. Cela procède d’une concertation locale et la réponse doit être construite territoire par territoire, avec le soutien de l’éducation nationale.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. La capacité de l’éducation nationale à dimensionner les classes de petite section pour permettre des rentrées échelonnées est une piste de travail intéressante.

L’amélioration de l’attractivité des métiers de la petite enfance, passant notamment par des revalorisations salariales, constitue un autre enjeu majeur. Le Gouvernement a annoncé récemment une hausse des rémunérations de 150 euros mensuels dans le secteur privé et 100 euros dans le public. Force est toutefois de constater que l’on peine à appliquer ces mesures. Comment appréhendez-vous le fait que les acteurs privés ne parviennent pas à faire aboutir les accords de branche, hormis pour la branche des acteurs du lien social et familial (Alisfa) ?

Il est évident par ailleurs que l’attractivité n’est pas uniquement affaire de rémunération. Comment envisagez-vous de faire évoluer les formations initiales et continues et de travailler avec les filières afin de proposer de véritables perspectives de carrière aux professionnels de la petite enfance ?

L’âge avançant, il devient parfois difficile d’exercer ces métiers au quotidien. Des réflexions sont-elles en cours pour faire évoluer le référentiel bâtimentaire afin de mieux tenir compte de la pénibilité au travail et de prévenir en particulier les troubles musculo-squelettiques ?

M. le président Thibault Bazin. Concernant les revalorisations salariales, certaines collectivités nous ont alertés sur la difficulté de financer les 33 % restant à charge.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Les métiers du service à la personne sont le deuxième secteur touché par les accidents du travail. Si le degré de gravité est évidemment moins important que dans le bâtiment, de nombreux professionnels souffrent de troubles musculo-squelettiques. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons. Une convention est en discussion sur cette question et des propositions vont être formulées dans ce cadre. Nous souhaitons notamment accentuer les actions de prévention et d’information.

Je tiens à préciser que la différence de revalorisation salariale entre public et privé constitue un rééquilibrage, puisque des accords avaient déjà acté une augmentation de 50 euros pour les salariés du secteur public. La difficulté tient au fait qu’il n’existe aucun accord de branche sur le sujet. Notre objectif est de disposer, au terme des négociations en juin 2024, d’une réponse pour l’ensemble des salariés.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Le référentiel bâtimentaire date de 2021 et est en cours d’évaluation. Certaines pistes d’évolution sont déjà à l’étude, parmi lesquelles l’obligation d’une salle de pause.

Nous nous appuyons par ailleurs sur les travaux du comité de filière pour réviser le certificat d’aptitude professionnelle (CAP) « Accompagnant éducatif petite enfance » (AEPE), afin que l’enseignement ne puisse plus être dispensé intégralement à distance et intègre l’obligation d’un stage en crèche. La révision du diplôme d’infirmier puériculteur est également envisagée.

Cela nécessite auparavant d’objectiver les besoins de chaque territoire. Nous avons pour ce faire demandé, par l’intermédiaire de la Cnaf, que soit renouvelée l’enquête sur les pénuries professionnelles, afin de disposer d’une lecture territoriale fine. Les résultats sont aujourd’hui consolidés et font état d’un manque de 10 000 professionnels, avec des disparités géographiques. Nous avons en outre souhaité que la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) effectue des projections des besoins complémentaires, au-delà de la pénurie constatée, afin d’envisager une trajectoire réaliste, territoire par territoire. Cela nous permettra d’ouvrir les discussions avec les régions en vue d’aboutir localement à une adéquation entre l’offre et les besoins.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous avez souligné, avec raison, que le contrôle était gage de confiance. Ma question concerne l’expérimentation menée en Haute-Savoie sur l’articulation entre Caf et PMI. Je souhaiterais recueillir votre point de vue sur une évolution des positionnements respectifs de ces deux entités, conduisant à ce que les Caf soient chargées d’un contrôle plein et entier, allant au-delà des seuls aspects financiers, tandis que les PMI verraient leur rôle recentré sur une mission de prévention et d’accompagnement des structures d’accueil et des parents. Les faits de maltraitance peuvent en effet se dérouler dans des lieux d’accueil de jeunes enfants, mais aussi au sein des familles, avec des enjeux en termes d’accompagnement à la parentalité. Cette évolution offrirait aux PMI l’opportunité de nouer une relation nouvelle avec les crèches et les parents et de jouer ainsi pleinement son rôle en matière de prévention.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Les Caf sont très performantes en matière de contrôle financier. Notre ambition est d’aller au-delà et d’intégrer dans les contrôles la prise en compte de la qualité d’accueil. Le but de l’expérimentation conduite en Haute-Savoie est de savoir si Caf et PMI peuvent travailler en complémentarité afin d’atteindre cet objectif d’excellence dans les deux domaines.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. L’idée qui prévaut est celle d’une montée en compétences des Caf sur la question du suivi de la qualité d’accueil, qui ne constitue pas aujourd’hui leur cœur de métier. Cette expérimentation est à mon sens une réussite. Elle montre qu’il est possible d’alléger la charge pesant actuellement sur les PMI au profit d’un recentrage sur des missions d’accompagnement. Cela pourra en outre se traduire par un transfert de tâches administratives des PMI vers d’autres agents du conseil départemental.

Mme Catherine Vautrin, ministre. La mise en œuvre de référentiels de qualité est essentielle dans ce contexte, car elle permettra, en offrant un cadre objectif, de garantir un contrôle similaire en tout point du territoire.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. La commission d’enquête doit procéder à l’analyse des stratégies de lobbying des entreprises de crèches et appréhender leur impact sur les pouvoirs publics. Quels contacts entretenez-vous avec les grands groupes de crèches ? J’imagine que la parution du rapport IGF – Igas sur les micro‑crèches et les suites que vous avez décidé d’y donner ont suscité des réactions de leur part.

Mme Catherine Vautrin, ministre. J’ai reçu jeudi dernier pour la première fois plusieurs représentants de l’association des groupes de crèches privés, qui m’ont expliqué tout le mal qu’ils pensaient de la suppression du Cifam. Je considère pour ma part qu’il est important que les entreprises contribuent au financement des crèches. Leur deuxième sujet de préoccupation concernait le volet financier, à propos duquel j’ai mentionné la situation des finances publiques de notre pays. J’ai par ailleurs réaffirmé notre volonté d’appliquer des référentiels et notre vigilance quant à la qualité de l’accueil proposé, quel que soit le mode de garde retenu par les parents. Voilà quels ont été, en toute transparence, les sujets abordés avec la déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches, qui était accompagnée de cinq représentants parmi ses adhérents.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. J’ai pour ma part fait le choix de ne pas recevoir les présidents des grands groupes en période de lancement des contrôles à leur encontre. Les branches professionnelles et les associations ont en revanche été reçues par ma direction de cabinet, dans le cadre des discussions relatives à la revalorisation salariale. Je me suis en outre entretenue avec divers groupes associatifs, dont la fédération Léo-Lagrange, au titre de mes prérogatives « jeunesse ».

Mme Catherine Vautrin, ministre. J’ai également eu un échange, sur un champ plus large, avec la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap), ainsi qu’avec l’Union nationale des associations familiales (Unaf).

M. le président Thibault Bazin. Nous en venons aux questions des orateurs de groupes.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Vous avez déclaré dans vos propos liminaires, sur le ton de l’évidence, que les problèmes de qualité d’accueil des jeunes enfants n’étaient pas liés au statut du gestionnaire. Je ne partage pas ce point de vue. Nous avons en effet recueilli au cours de nos travaux de nombreux témoignages montrant que si de tels problèmes pouvaient exister partout, la logique financière de certains groupes de crèches engendrait des difficultés accrues. Les éléments chiffrés dont nous disposons pour éclairer ce débat concernent notamment les fermetures administratives de crèches sur décision du préfet, après signalement par une PMI. Or il apparaît que ces mesures concernent uniquement des micro‑crèches relevant de gestionnaires privés lucratifs. Disposez-vous par ailleurs de données concrètes faisant état de fermetures de crèches municipales ?

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Une enquête de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) indique que 21 fermetures administratives sur 26 concernent des établissements d’accueil du jeune enfant de droit privé et que 24 des 26 structures fermées sont des micro‑crèches, dont 93 % lucratives et 7 % associatives.

L’idée selon laquelle statut ne fait pas vertu fait écho à notre volonté d’effectuer des contrôles auprès de l’ensemble des gestionnaires, sans présager des conclusions. Les manquements peuvent être systémiques, mais aussi être le fruit de dégradation des conditions de travail ou de comportements individuels. L’enjeu des contrôles est précisément d’éclairer ces éléments et de mettre en lumière les particularités éventuelles de chaque groupe. Nous engagerons si nécessaire les responsabilités pénales des gestionnaires et mobiliserons l’article 40 du code de procédure pénale chaque fois que nous aurons connaissance de faits délictueux ou de faisceaux d’éléments permettant d’établir la réalité de situations de maltraitance.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Les chiffres que vous nous communiquez signifient que 80 % des fermetures administratives concernent le secteur privé lucratif, lequel représente 25 % des places proposées. Ne pensez-vous pas que ces éléments témoignent de l’existence d’un problème particulier de qualité de l’accueil dans ce type de structures ?

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Le rapport que j’ai rendu public n’établit pas de lien entre la qualité de l’accueil et le modèle économique des crèches. Seuls les contrôles effectués dans les différents groupes permettront d’éclairer ce point. Le rapport indique simplement que le cumul des dérogations dont bénéficient les micro‑crèches, qu’elles soient associatives ou lucratives, peuvent induire un risque en termes de qualité d’accueil. Je ne souhaite en tirer aucune conclusion hâtive, en dehors de la nécessité de démultiplier les contrôles, d’accompagner les PMI dans cette démarche et de publier les décrets permettant d’appliquer des sanctions rapides et graduées en cas de manquements.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Cela renvoie à l’importance des référentiels qualité, qui s’appliqueront en tous points du territoire et quel que soit le statut des établissements. Cela se traduira par un ratio d’encadrement unique, variable selon l’âge des enfants. Les contrôles effectués sur la base de ces référentiels permettront d’assurer une qualité d’accueil homogène.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Ne faudrait-il pas tirer sans attendre des conclusions des chiffres effarants dont vous nous avez fait part ? Pourquoi les micro‑crèches relèvent-elles majoritairement d’acteurs privés lucratifs ? Cela tient essentiellement à leur statut dérogatoire, qui leur permet de bénéficier d’un coût à la place moindre et explique que le secteur privé se soit engouffré dans cette brèche. Les anciens ministres que nous avons auditionnés nous ont indiqué que le statut des micro‑crèches avait été créé à l’origine pour favoriser le développement de petites structures associatives dans les territoires ruraux. Or 15 ans plus tard, il apparaît que le statut dérogatoire de la micro‑crèche a été utilisé par des groupes privés pour ouvrir des crèches à moindres frais, avec un objectif de rentabilité. Je pense qu’il est temps de prendre la mesure des conclusions des rapports de l’Igas et des éléments issus de l’enquête de la DGCS. Il ne s’agit pas de stigmatiser quiconque, mais de considérer que si 93 % des problèmes concernent un type de gestionnaire, peut-être serait-il pertinent de s’y intéresser de plus près.

M. le président Thibault Bazin. La rapporteure de la commission d’enquête a adressé un questionnaire à l’ensemble des PMI. Les réponses nous permettront de savoir précisément quels établissements sont contrôlés et d’en extraire par exemple les taux d’occurrence en fonction des statuts des structures concernées et des secteurs géographiques.

Les visites effectuées sur le terrain nous ont en outre montré que les rapports et les demandes des PMI pouvaient varier selon le statut de l’établissement contrôlé, les relations établies entre interlocuteurs du secteur public facilitant généralement l’instauration d’un dialogue.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Ma deuxième question concerne l’engagement du Gouvernement en matière d’ouverture de places en crèche. L’enjeu est important pour les familles, notamment pour les mères qui se voient parfois contraintes, faute de place disponible, à renoncer provisoirement à leur carrière pour s’occuper de leur jeune enfant. Il importe dans ce domaine d’être particulièrement prudent et transparent. Depuis que la commission d’enquête a commencé ses travaux, l’engagement d’ouverture de 100 000 places d’ici la fin du quinquennat suscite un grand scepticisme chez l’ensemble des interlocuteurs auditionnés. En matière de crèches municipales par exemple, qui constituent une part importante du parc, il existe une programmation d’ouverture de places finançables par la Caf ; mais le système en vigueur implique de trouver un tiers financeur. Or les municipalités n’en ont pas les moyens. Si l’engagement gouvernemental vous semble crédible, pourriez-vous nous expliquer comment les collectivités vont parvenir à financer ces nouvelles places ? J’envisage pour ma part trois options : la collectivité territoriale pourra soit bénéficier d’un budget supplémentaire dans la dotation allouée par l’État, soit rogner sur d’autres postes budgétaires afin de dégager les crédits nécessaires, soit augmenter les impôts locaux. Qu’en pensez-vous ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. Le budget disponible est conséquent. Le bonus développement, destiné aux communes et visant à appuyer le financement des places de crèches, atteint 303 millions d’euros. Un accompagnement financier spécifique est en outre prévu pour aider les communes et les EPCI de plus de 3 500 habitants devant exercer les quatre compétences d’autorités organisatrices du service public de la petite enfance. Nous travaillons par ailleurs sur le projet de loi de finances 2025 pour les communes et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour les EPCI, afin de déterminer le montant nécessaire pour compenser la charge.

J’occupais jusqu’à une période récente les fonctions d’adjointe au maire de Reims : la Ville participait au financement des crèches. Cela faisait partie de la stratégie municipale. Certains élus vont même jusqu’à privilégier le financement de modèles de crèches à vocation d’insertion professionnelle (Avip). L’État doit évidemment prendre sa part et apporter des financements ; mais il revient ensuite aux élus territoriaux de déterminer les stratégies qu’ils souhaitent mettre en œuvre dans leur commune.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Conformément aux recommandations formulées dans le rapport de l’Igas, je souhaite lever d’ici 2026 les trois dérogations dont bénéficient les micro‑crèches, afin d’aligner leur cadre normatif sur celui des petites crèches. Les inspecteurs ont en effet considéré que l’application simultanée de ces dérogations ne permettait pas de garantir la qualité de l’accueil des enfants, sans toutefois établir de lien avec le statut des établissements. Seuls les contrôles que nous sommes en train d’engager dans l’ensemble des groupes permettront de savoir si les problèmes rencontrés sont uniquement le fruit de l’application cumulée des dérogations ou relèvent plus spécifiquement d’un modèle. Dans ce cas, nous prendrons nos responsabilités et dénoncerons les dérives constatées, quel que soit le statut des groupes concernés.

Nous manquons de 200 000 places de crèche. Si notre ambition est d’y remédier, l’accueil collectif ne saurait y suffire. Le mode de garde individuel est aujourd’hui le premier dans notre pays. Tout soutien apporté à l’installation d’assistants maternels, de maisons d’assistants maternels (MAM), de lieux communs, contribuera à la réponse globale apportée à cette question majeure. La réforme du complément de libre choix du mode de garde constituera également un levier permettant de mobiliser des solutions autres que le modèle collectif, que ce soit pour les familles les plus vulnérables ou les familles monoparentales.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Nous avons travaillé sur le sujet avec l’ensemble des associations d’élus. Je rappelle par ailleurs que 400 millions d’euros du Fonds national d’action sociale (Fnas) n’ont pas été consommés l’année dernière.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Il convient de ne pas se méprendre sur l’origine de ce reliquat, essentiellement dû à l’insuffisance de la subvention à la place et au fait que les collectivités n’ayant bien souvent pas les moyens d’assurer le rôle de tiers financeur, les places de crèche ne sont finalement pas ouvertes. Le problème reste donc entier.

Ma dernière question concerne l’attractivité du secteur et les revalorisations salariales. On évoque trop rarement la pénibilité physique et psychologique associée aux métiers de la petite enfance. S’occuper de jeunes enfants suppose des ports de charges lourdes, des postures inconfortables, un environnement de travail bruyant et une tension permanente. J’espère que cette commission d’enquête contribuera à mettre en lumière les difficultés d’exercice de ces professions méconnues. Au-delà de la reconnaissance symbolique, il me semble important d’évoquer le volet pécuniaire. Ces professionnels sont en effet très mal payés. Un auxiliaire de puériculture perçoit bien souvent le Smic, y compris après plusieurs années d’exercice du métier. Les éducateurs de jeunes enfants et les infirmiers de puériculture, pourtant titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, ne gagnent que quelques centaines d’euros de plus. Or la revalorisation salariale de 100 euros mensuels pour les professionnels travaillant dans les collectivités territoriales et de 150 euros pour les salariés du secteur privé, lucratif ou non, va, elle aussi, nécessiter la participation d’un tiers financeur. Si les groupes privés disposent des budgets nécessaires pour financer cette augmentation, elle risque d’être un problème majeur pour les collectivités publiques, qui n’auront pas les moyens suffisants et devront y renoncer. Que comptez-vous faire pour que la revalorisation salariale concerne l’ensemble des professionnels du secteur ? Estimez-vous par ailleurs qu’une augmentation de 100 ou 150 euros par mois soit suffisante pour accroître l’attractivité de ces métiers et rémunérer les professionnels à la hauteur de leurs qualifications, de leur engagement et de l’importance de leurs métiers ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. Les crèches sont une compétence des collectivités. L’État participe à leur financement à hauteur de 66 %, mais n’ira pas au-delà. Il revient donc aux élus locaux de faire des choix et de prendre la décision d’allouer ou non une part du budget de leur collectivité au financement des établissements d’accueil de jeunes enfants. Il en va de même pour les revalorisations salariales. Le Smic a été revalorisé à sept reprises depuis 2021. D’aucuns trouveront cela insuffisant. Il ne faut toutefois pas oublier que les salariés percevant une rémunération légèrement supérieure au Smic n’ont pas bénéficié d’une évolution comparable. La question est néanmoins, j’en conviens, très difficile.

La pénibilité des métiers de la petite enfance n’est pas à démontrer. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’étais très favorable à l’inscription dans l’accord national interprofessionnel (ANI), qui n’a finalement pas abouti, du bilan à 360 degrés en milieu de carrière. Il s’agissait de permettre aux professionnels, essentiellement des femmes, âgés d’environ 45 ans et commençant à ressentir les effets d’un parcours déjà long et difficile, d’envisager des passerelles vers d’autres emplois moins physiques, en recourant éventuellement au dispositif de validation des acquis de l’expérience. Cette difficulté concerne également les aides-soignants et les infirmiers. Aussi souhaitons-nous appréhender cette question pour l’ensemble des métiers du soin. Il est essentiel de prévoir des voies de reconversion.

Concernant la sinistralité, sachez que nous allons proposer dans le cadre du PLFSS pour 2025 un fonds annuel dédié au secteur social et médico-social au sein de la convention d’objectifs et de gestion de l’assurance maladie relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles (COG AT-MP). Nous sommes très attentifs à la question des troubles musculo-squelettiques et conscients de la nécessité d’accompagner les branches et les salariés.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Dans la Cog actuelle, 60 millions d’euros ont vocation à financer du matériel adapté, pour contribuer par exemple à l’aménagement de salles de pause ou limiter la sinistralité en améliorant les conditions de travail.

La question de l’attractivité intègre non seulement la prise en compte de cette dimension de pénibilité, mais aussi des aspects liés à la rémunération, à la formation, aux perspectives d’évolution professionnelle et au regard posé par la société sur les métiers de la petite enfance. Il est essentiel de souligner le rôle primordial joué par ces professionnels dans le développement de l’enfant. J’ajoute que les conditions de travail ont un impact direct sur la qualité de l’accueil proposé.

Mme Anne Bergantz (Dem). Quelles solutions le Gouvernement souhaite-il promouvoir pour répondre à l’évolution défavorable du nombre d’assistants maternels ? Comment faciliter leur accès à la formation ?

J’observe par ailleurs que le sujet des crèches familiales a été relativement peu évoqué au cours des auditions organisées par la commission d’enquête. Conduisez-vous des réflexions sur le sujet ?

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Les deux leviers que vous mentionnez sont absolument essentiels dans le projet de service public de la petite enfance.

Le mode d’accueil individuel joue un rôle fondamental dans le quotidien de nombreuses familles. Je compte m’appuyer, pour favoriser l’accroissement du nombre d’assistants maternels, sur le plan « accueil individuel » préparé par ma prédécesseure. Cela comprend un accès facilité à la formation et une évolution de la relation avec les PMI, qui doivent être perçues par les assistants maternels comme des structures d’accompagnement. Il importe également de répondre aux évolutions de notre société. De plus en plus d’assistants maternels occupent en effet des logements de superficie relativement faible et aspirent à un nouvel équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Nombre d’entre eux ne souhaitent plus, par exemple, accueillir des enfants à leur domicile. La Cog prévoit ainsi de consacrer des financements au développement de tiers lieux d’accueil tels que les maisons d’assistants maternels, offrant la possibilité d’un travail collectif.

Il m’apparaît en outre essentiel d’apporter à ces professionnels une garantie de rémunération. Le plus grand danger pour un assistant maternel est l’impayé et le risque de précarisation qui s’y rattache. Il convient donc de simplifier les démarches et de sécuriser la relation entre parents employeurs et assistants maternels, grâce à des dispositifs comme Pajemploi.

Des associations territoriales s’organisent par ailleurs pour permettre le recrutement de nouvelles générations d’assistants maternels. Le métier a évolué et le fait d’apporter des réponses opérationnelles, souples et de proximité en termes de logement, de possibilités de tiers lieux et de répit en cas de maladie par exemple me semble de nature à améliorer l’attractivité de ces métiers, en favorisant la mise en réseau, l’achat de matériel en commun et l’accès à des formations.

Nous serons ainsi au rendez-vous des projets collectifs, sans pour autant négliger l’accueil individuel.

Les crèches familiales ont, malheureusement, quasiment disparu. La crise que traverse le secteur de la petite enfance me semble donner l’occasion de relancer ce modèle. J’ai l’intention de travailler sur ce sujet avec les Cnaf et dans le cadre de France Familles.

Il n’existe pas de solution miracle. La réponse à cette crise passera selon moi par la diversité des possibilités offertes aux parents : préscolarisation, micro‑crèches, accueils collectifs, mode de garde individuel, Avip, etc. J’ai la certitude que la conjugaison de ces modèles nous permettra de construire un service public de la petite enfance répondant aux besoins des territoires et des familles.

Mme Catherine Vautrin, ministre. Des maisons de santé sont créées dans un certain nombre de territoires. Nicolas Grivel, directeur de la Cnaf, travaille à un potentiel appel à projets visant à inclure dans ces maisons un relais d’accueil d’assistants maternels. Une telle initiative offrirait la possibilité d’une part aux personnels de santé de disposer d’un mode de garde de proximité pour leurs jeunes enfants, d’autre part aux assistants maternels d’exercer leur activité dans des conditions favorables.

Mme Anne Bergantz (Dem). Ma deuxième question concerne le Cifam, que le rapport de l’Igas propose de supprimer à terme. Il est évident que le modèle économique de la crèche privée conduit les structures, dans les réponses qu’elles apportent aux appels d’offres, à effectuer un calcul de moyenne entre le prix du berceau de la délégation de service public et celui qu’elles peuvent obtenir avec un tiers financeur dans le cadre du Cifam. Cela fait aujourd’hui partie intégrante du modèle. Allez-vous réfléchir à une éventuelle suppression du Cifam ? Comptez-vous procéder à l’évaluation des effets potentiels d’une telle mesure ? Ne serait-il pas envisageable de faire plutôt évoluer ce dispositif ?

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. La proposition visant à supprimer le Cifam me semble trop radicale. Cela ferait indéniablement peser sur le nombre de berceaux disponibles un risque que je ne souhaite pas courir. Je vous annonce donc que nous n’allons pas suivre cette recommandation, quand bien même le maintien de ce dispositif représente un effort financier de 195 millions d’euros de dépenses fiscales.

Force est toutefois de constater que le fonctionnement du Cifam n’est pas satisfaisant. En effet, 31 % des dépenses consenties dans ce cadre sont captées par de très grandes entreprises. Notre objectif est de procéder à court terme à une régulation du prix du berceau, en fixant par exemple un plafond. De mémoire, le Cifam couvre 50 % de la dépense, à hauteur de 500 000 euros au maximum.

Maintenir la contribution des entreprises dans le mode de garde est en outre un moyen de les impliquer dans la politique familiale, donc dans l’accompagnement de leurs salariés, et contribue à leur attractivité. Cela suppose que cette possibilité soit ouverte à l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille.

Améliorer le Cifam contribuera à rendre le dispositif plus lisible pour les professionnels. Je compte faire instruire différentes hypothèses et y travailler avec le monde économique impliqué dans l’achat des berceaux, afin de donner davantage de stabilité à la trajectoire des places à créer.

M. le président Thibault Bazin. Les administrations d’État achètent des berceaux. Il serait intéressant de connaître le montant qu’elles y consacrent et les critères éventuellement qualitatifs retenus. Dans quelle mesure ces éléments chiffrés pourraient-ils servir de référence ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. Cela mérite d’être étudié. Dans cette démarche, la lisibilité est essentielle et le référentiel intéressant.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Le service public de la petite enfance qui vient d’être instauré repose notamment sur le principe d’égalité de traitement. Or le Cifam et le mécanisme de tiers financement par les entreprises créent des situations d’inégalité. Tous les parents n’ont en effet pas la chance d’avoir un employeur qui actionne ce levier. Il apparaît par ailleurs que certaines entreprises, en achetant un berceau, s’assurent un droit de priorité. Concrètement, lorsque des parents ont besoin d’une place en crèche pour leur enfant et que leur entreprise a acheté des berceaux assortis d’un droit de priorité, cela conduit le gestionnaire de crèche à mettre dehors un enfant pour le remplacer par celui-ci, plus rentable. Cela me semble totalement incompatible avec la création d’un service public de la petite enfance. Je conçois tout à fait que le secteur des crèches ait besoin de stabilité, de visibilité et de temps pour intégrer ces réflexions ; mais je pense aussi qu’il faut saisir l’opportunité qui nous est donnée au travers des rapports précédemment mentionnés et des travaux de cette commission d’enquête pour envisager une perspective d’évolution permettant de respecter le principe d’égalité de traitement inhérent au service public.

M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie, Mesdames les ministres. Si vous souhaitez compléter, préciser ou modifier certaines des réponses apportées à notre commission d’enquête, merci de transmettre les éléments additionnels ou correctifs à la rapporteure dans les meilleurs délais.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Puisqu’il s’agit de notre dernière audition, j’informe les collègues que mon projet de rapport sera mis en consultation aux alentours du 20 mai 2024.

 

La séance est levée à 18 heures 20.


Membres présents ou excusés

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements

 

Réunion du mardi 30 avril 2024 à 16 h 30

 

Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Élise Leboucher, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli