Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les raisons
de la perte de souveraineté alimentaire de la France
– Audition, ouverte à la presse, de M. Damien Baumont, président de l’Association des moutardes de Bourgogne (AMB) et vice-président de l’Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMB), M. Fabrice Genin, président de l’APGMB, Mme Laure Ohleyer, coordinatrice filière moutarde, et M. Marc Désarménien, directeur de la moutarderie Fallot 2
– Audition de, ouverte à la presse, de M. Rémi Lacombe, viticulteur, et Me Louis Lacamp, avocat au barreau de Paris 15
– Présences en réunion.................................30
Mercredi
17 avril 2024
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 16
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Charles Sitzenstuhl,
Président de la commission
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La séance est ouverte à neuf heures.
La commission procède à l’audition de M. Damien Baumont, président de l’Association des moutardes de Bourgogne (AMB) et vice-président de l’Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMB), M. Fabrice Genin, président de l’APGMB, Mme Laure Ohleyer, coordinatrice filière moutarde, et M. Marc Désarménien, directeur de la moutarderie Fallot.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Cette audition sera consacrée à la filière de la moutarde, dont les problèmes peuvent illustrer des tendances plus générales de l’agriculture française.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Laure Ohleyer et MM. Damien Beaumont, Marc Désarménien et Fabrice Genin prêtent serment.)
M. Marc Désarménien, directeur de la moutarderie Fallot. Au sein de la filière des producteurs et fabricants de moutarde, la moutarderie Fallot représente 4 à 5 % de parts de marché et côtoie de gros industriels comme Unilever ou des groupes allemands qui sont implantés sur notre territoire national.
La moutarde de Dijon et la moutarde de Bourgogne constituent selon moi des produits symboliques. Elles représentent notre patrimoine gastronomique à l’étranger. Nous exportons dans plus de soixante-dix-sept pays et j’ai rarement vu un produit alimentaire aussi présent sur les marchés étrangers. C’est une petite filière, certes, mais qui est symbolique et qui est le fer de lance de notre gastronomie et de notre excellence agroalimentaire.
Nous sommes partie prenante de la filière depuis le début, depuis 1992. La relance de la culture de graines de moutarde en Bourgogne a un sens car c’est un produit chargé d’histoire. La moutarde est produite en France et en Bourgogne depuis le Moyen Âge. Aujourd’hui, quatre entreprises produisent environ 90 % de la production nationale et la France est le premier producteur de moutarde en Europe.
Le programme de relance a débuté doucement et grâce à l’appui de certaines structures et de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), et au soutien du conseil régional et de l’ENESAD (Établissement national d’enseignement supérieur agronomique de Dijon). Nous avons pu mettre en place une filière. J’en suis particulièrement fier, d’autant plus que notre entreprise couvre 100 % de ses besoins avec des graines régionales.
Aujourd’hui, la filière a beaucoup d’attentes. Il y a des enjeux et des évolutions climatiques. Même si nos moyens sont limités, nous sommes parvenus à développer des variétés qui nous permettent d’obtenir des rendements viables pour les agriculteurs et une qualité de graine qui convient aux industriels.
Nous sommes dans une période charnière où nous devons encore investir beaucoup dans la recherche variétale. Les contraintes sont très fortes en matière écologique et les contraintes liées aux produits phytosanitaires auraient pu se révéler dramatiques en l’absence de dérogations. La filière a pu survivre et continuer à produire de la graine dans notre région. Nous en sommes à peu près à 10 000 hectares de graines plantés dans la région et nous recensons plus de 600 producteurs de graines.
La filière moutarde est une filière exemplaire. Peu de filières parviennent à réunir des industriels, des agriculteurs, une chambre d’agriculture et les écoles agronomiques qui nous permettent de progresser. Aujourd’hui, les nouvelles variétés constituent l’enjeu principal de la filière. Elles doivent permettre de surmonter le défi du changement climatique et la diminution engagée de l’utilisation des produits phytosanitaires.
Nous avons d’ailleurs développé une production bio, même si ce marché n’est pas très porteur. Les moutardes bio que vous trouvez sur le marché sont faites avec des graines importées, du Canada principalement. Nous nous sommes donc attachés à réintroduire une production de graines conventionnelles mais aussi une production de graines bio pour couvrir vraiment le marché.
Il faut retenir que la moutarde est un produit emblématique de notre terroir, très utilisé par les chefs et les grands chefs.
Mme Laure Ohleyer, coordinatrice filière moutarde. La filière moutarde est structurée par deux associations.
L’association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMB) est constituée de quatre collèges : un premier collège avec les producteurs de Bourgogne-Franche-Comté, en production conventionnelle et en bio ; un second collège qui regroupe les organismes stockeurs ; un troisième collège qui rassemble les membres de droit : la chambre d’agriculture et l’Institut Agro Dijon ; un quatrième collège destiné aux producteurs hors Bourgogne-Franche-Comté, en production conventionnelle ou en bio. Cette association gère la partie production.
L’association des moutardes de Bourgogne (AMB) regroupe les quatre représentants des industriels de Bourgogne dans son premier collège : Européenne de Condiments, la moutarderie Fallot, Reine de Dijon et Unilever. Ce collège a été constitué par rapport à l’indication géographique protégée (IGP) Moutarde de Bourgogne.
L’APGMB constitue le deuxième collège et Charbonneaux-Brabant le troisième collège, au titre des industriels hors Bourgogne-Franche-Comté. Le quatrième collège regroupe des producteurs, des organismes stockeurs qui ne seraient pas adhérents de l’APGMB, et une association de producteurs, l’association du Limousin.
L’APGMB et l’AMB ont été constituées en 1997. Elles comportent des groupes de travail dans lesquels se trouvent à chaque fois des représentants des différents collèges. Le conseil scientifique, où sont définis les programmes de recherche, est un de ces groupes de travail. Il existe également un groupe de travail sur la qualité puisque, comme nous sommes une IGP, il y a une traçabilité de la sélection jusqu’à la transformation. Un autre groupe de travail est consacré à la communication.
Le comité technique permet quant à lui de définir les variétés qui seront implantées lors de la campagne suivante. C’est une discussion entre industriels et producteurs sur les variétés qui ont été identifiées comme acceptables pour être transformées en pâte de moutarde ou en fonction de la problématique du rendement.
M. Damien Beaumont, président de l’Association des moutardes de Bourgogne (AMB) et vice-président de l’Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMB). L’association des moutardes de Bourgogne regroupe des industriels et des agriculteurs.
Les industriels ont la volonté de pérenniser une production locale. Aujourd’hui, les besoins annuels sont estimés entre 10 000 tonnes et 15 000 tonnes, dont 600 tonnes à 800 tonnes pour le bio. La production est irrégulière en raison du changement climatique et des contraintes techniques qu’impose la culture de la moutarde.
Les agriculteurs sont structurés sous l’égide l’APGMB, qui gère toute la production et toute la traçabilité de la culture. Nous gérons aussi le développement durable et nous rencontrons des problèmes techniques nouveaux et difficiles tels que le contrôle des insectes et la douceur du climat. Nous nous sommes également aperçus récemment que la résistance de la moutarde au phoma, une maladie très connue du colza, diminuait et nous devrons accentuer notre recherche pour trouver des variétés de moutarde résistantes à cette maladie qui commence à prendre de l’ampleur.
Concernant l’évolution des surfaces, l’année 2023 marque la volonté des industriels d’accroître leur approvisionnement dans notre région. Nous sommes ainsi passés de 200 à près de 600 producteurs. La surface en production a bondi et nous sommes passés de 100 à près de 800 tonnes. Cette production se révèle cependant particulièrement fragile aux aléas climatiques. Il faut donc que les surfaces soient suffisamment étendues pour pouvoir faire face à la demande des industriels.
La Bourgogne représentait le fief historique de la production mais celle-ci a été remontée vers le nord pour plusieurs raisons. Tout d’abord, un nouvel organisme stockeur situé dans l’Aisne nous a rejoints et nous a aidés à produire. Ensuite, la pression des insectes est beaucoup plus faible au nord qu’au sud. Par conséquent, pour assurer un certain volume de production, nous avons augmenté les surfaces de production notamment en Seine-et-Marne. La tendance pourrait encore s’accentuer en 2025. Cette délocalisation représente des coûts logistiques et demande d’être encadrée car la culture de moutarde nécessite un vrai savoir-faire. C’est la raison pour laquelle un technicien a été recruté par le biais de la chambre d’agriculture pour accompagner ces nouveaux producteurs. La production bio, elle, reste très majoritairement localisée en Côte-d’Or.
Depuis plusieurs années, la production ne parvient pas à satisfaire la commande. Nous avons cru pouvoir y parvenir en 2023 mais un accident climatique a tout bouleversé. Il a plu pendant toute la période de floraison de la moutarde, ce qui a coulé les fleurs. La commande de 30 millions d’euros n’a pu être satisfaite qu’à hauteur de 20 millions d’euros.
J’ajouterai pour conclure qu’après avoir obtenu l’IGP Moutarde de Bourgogne en 2009, nous avons aussi obtenu une IGP pour la moutarde de Bourgogne à l’ancienne.
M. Fabrice Genin, président de l’association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne. Depuis sa création, la filière s’appuie sur des programmes de recherche et de développement.
Il faut rappeler qu’à partir des années 1970, la culture de moutarde avait quasiment disparu en France. La PAC avait favorisé la production de colza, production concurrente de la moutarde, et les industriels se fournissaient au Canada.
Pour que la moutarde puisse vivre et exister, nous avons dû accompagner les agriculteurs avec des conseils spécifiques de conduite de la culture. Cependant, nous avons connu des problèmes de sélection de graines car les graines qui existaient dans le monde n’étaient pas forcément adaptées à notre environnement ni aux besoins des industriels.
Dès le début, nous avons donc mis en place un processus de sélection pour adapter au mieux la graine. Il s’agissait qu’elle offre aux producteurs une productivité qui la rende concurrentielle dans les assolements, mais aussi que sa qualité réponde aux besoins des industriels.
Lorsque nous regardons les enjeux qui sont les nôtres aujourd’hui, nous nous apercevons que le choix d’accorder une large place à la recherche s’est révélé judicieux. Outre la production et la qualité, cette recherche doit maintenant trouver des moyens de diminuer l’impact de l’utilisation de produits phytosanitaires. C’est un vrai défi compte tenu d’une pression des insectes et des ravageurs qui augment sous l’effet de la forte restriction d’utilisation des produits phytosanitaires et du changement climatique. Notre programme de sélection de variétés nous permet d’essayer d’atténuer ces changements.
Je voudrais préciser que la sélection génétique n’est pas immédiate. Elle a un temps de réponse long. Nous pouvons trouver des réponses aux problèmes mais il faut au moins cinq ans pour qu’elles soient effectives. Le temps de réponse des phytosanitaires est beaucoup plus rapide. C’est pourquoi, si nous sommes prêts à accompagner cette demande des consommateurs d’utiliser moins de produits phytosanitaires, nous devons aussi tenir compte de ces différences de temps de réponse.
Si nous ne voulons pas que la filière s’arrête, il faut une politique assez souple sur la baisse de l’utilisation des produits phytosanitaires. La génétique est un outil performant mais son temps de réponse est long et elle nécessite des investissements économiques élevés. Il faut donc que ces deux moyens, les phytosanitaires et la génétique, puissent cohabiter.
Nos problèmes sont aussi ceux d’autres petites filières comme les cerises ou les lentilles du Puy. La génétique apporte des solutions mais dans un temps très long. La suppression brutale des solutions sanitaires pourrait tuer de nombreuses filières.
Notre recherche vise à augmenter le rendement et la qualité pour produire plus et mieux et être compétitifs face au Canada. La production nationale reste largement insuffisante au vu des besoins des industriels puisque nous parvenons à peine à sécuriser 10 000 tonnes pour des besoins exprimés entre 30 000 tonnes et 40 000 tonnes.
Mais, depuis cinq ans, ce sont les ravageurs qui sont notre principal problème. Il faut savoir qu’en trois mois, l’altise peut à lui tout seul détruire la production de graines de moutarde. Vous comprendrez donc que lorsque vous produisez bio et que vous n’avez pas de moyens de lutte phytosanitaires, vous pouvez avoir une production nulle.
Cela ne signifie pas pour autant que nous ne continuerons pas nos recherches sur la génétique car notre objectif est aussi de développer une filière bio. Le bio n’est en effet pas en concurrence avec la production conventionnelle. Les industriels ont besoin de graines conventionnelles et en même temps de graines biologiques.
Cependant, compte tenu des volumes, nous ne pouvons nous permettre d’avoir une production conventionnelle nulle. La génétique doit donc être couplée au maintien de produits phytosanitaires.
Dans ce contexte, je pense qu’au lieu de renoncer à toute commande de produits phytosanitaires, il serait préférable de demander aux industriels concernés de faire des efforts pour limiter l’impact de leurs produits sur l’environnement. Il faut faire confiance à la science : ils seront capables de sortir des produits. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons pérenniser la production agricole. Il n’est pas possible de tout miser sur la génétique.
Nous travaillons beaucoup avec ces industriels et force est de constater qu’ils se détournent de l’Europe et préfèrent investir dans des pays où ils sont bienvenus.
M. Marc Désarménien. Il faut avoir bien conscience que la quasi-totalité de la production de moutarde n’est pas faite sous signe de qualité. L’IGP ne représente que quelques pourcents.
L’essentiel de la moutarde produite dans notre région est de la moutarde de Dijon, avec une recette qui peut être utilisée partout en France, en Europe et au-delà. Il n’y a plus de réglementation de recette. Or la relance de la culture de graines de moutarde dans notre région est un fixateur pour l’emploi agricole mais aussi industriel. Un grand groupe comme Unilever peut fabriquer sa moutarde de Dijon au Canada. Il est donc important que nous puissions mettre en avant nos savoir-faire et que nous ayons une production agricole qui fixe cette industrie et ce savoir-faire dans nos régions. C’est peut-être l’agriculture de demain.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Avez-vous un ordre de grandeur de la consommation nationale de moutarde par rapport à la production ? J’ai cru comprendre que la production française ne couvrait pas la consommation.
M. Marc Désarménien. La production globale de pâte de moutarde en France est d’à peu près 90 000 tonnes et en 2023, les importations ont atteint environ 8 300 tonnes de graines du Canada. La consommation nationale s’établit aux alentours de 55 000 tonnes. Nous exportons une bonne partie de notre production.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Au vu de ces chiffres, nous sommes très exportateurs.
M. Marc Désarménien. Oui. La moutarde est un des rares produits que vous pouvez trouver dans n’importe quel pays. Nous exportons dans 77 pays mais il y a 90 à 95 pays qui achètent de la moutarde française.
M. le président Charles Sitzenstuhl. C’est donc la production de graines qui ne correspond pas à la production de pâte.
M. Fabrice Genin. Pour produire 90 000 tonnes de pâte de moutarde, il faut environ 30 000 tonnes de graines. Nous en produisons environ 10 000 tonnes en France et la différence est importée.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Quels sont les principaux pays depuis lesquels nous importons des graines de moutarde ?
M. Marc Désarménien. Il s’agit principalement du Canada. Nous importions aussi un peu d’Ukraine mais l’Ukraine était surtout productrice de graines blanches. En France, nous consommons principalement de la graine brune qui sert à fabriquer nos pâtes de moutarde de type « Dijon », produit emblématique du condiment français.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Vous avez indiqué qu’historiquement, la production de graines de moutarde n’entrait pas dans la Politique agricole commune (PAC) et que c’était peut-être une des raisons de l’effondrement de la production il y a cinquante ans. Qu’en est-il actuellement de la Politique agricole commune par rapport à la production de graines de moutarde ?
M. Fabrice Genin. Il n’y a plus de problèmes puisque nous touchons des aides qui sont à l’hectare et que la moutarde fait partie des productions qui permettent de percevoir les DPU (droits à paiement unique) ou les DPB (droits à paiement de base) qui les ont remplacés.
C’est dans les années 1960, lorsqu’il y a eu des orientations sur les productions, que la graine de moutarde a été délaissée et n’a bénéficié d’aucun soutien technique ni technologique, contrairement au blé ou au colza. La graine de moutarde a alors vu sa rentabilité s’effondrer par rapport à d’autres productions et sa production a disparu.
Ce n’est pas la PAC qui est à l’origine de cette disparition mais plutôt les orientations données à cette époque en matière de la recherche et développement pour les autres cultures.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Quand la production de la graine de moutarde est-elle entrée dans le giron de la PAC ?
M. Fabrice Genin. Au tout début, nous ne pouvions obtenir d’aides de la PAC et nous avons été aidés par le conseil régional et les industriels pour entrer dans les assolements à la place du colza. Depuis toujours, la graine de moutarde est en concurrence avec le colza.
Depuis 2000, nous touchons des aides comme s’il s’agissait de blé, de colza ou de n’importe quelle autre culture.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Cette audition est très intéressante car la filière moutarde est très atypique par rapport à ce que nous observons dans les autres filières agricoles.
Dans les années 1960-1970, la PAC était tournée vers la recherche de la souveraineté alimentaire même si ce n’était pas forcément exprimé. C’est ce qui a entraîné la disparition de la production graines de moutarde en France. Il n’est donc resté qu’un outil industriel, situation atypique par rapport au reste de la filière agroalimentaire française, avec néanmoins la volonté de redémarrer une production locale.
Est-ce bien lors de la crise du covid qu’a eu lieu la prise de conscience qu’il fallait une production locale ?
M. Marc Désarménien. C’est beaucoup plus ancien. C’est en 1992 que la moutarderie Fallot et le groupe Danone, propriétaire à l’époque des marques Amora et Maille, ont décidé de se réapproprier la moutarde de Dijon avec des matières premières locales. Ensuite, d’autres industriels nous ont rejoints et nous avons reçu le soutien du conseil régional et de la chambre d’agriculture. Tout cela a contribué à ce que nous connaissons aujourd’hui mais rien n’est gagné et il y a beaucoup d’inquiétude.
M. Fabrice Genin. Un autre renversement s’est produit en 2018. Jusqu’en 2017, les commandes que nous passaient les industriels ont pu être satisfaites. Lorsque nous ne produisions pas assez, les industriels pouvaient se fournir sur le marché mondial.
En 2018, nous n’avons pu honorer la commande des industriels et des événements climatiques au Canada ont empêché les industriels de s’y approvisionner. Cela a été un choc qui nous a incités à développer la production locale.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Le principal levier de cette relocalisation s’explique-t-il par l’action volontaire de la part des industriels de payer plus cher ? Y a-t-il ce choix d’une production française pour éviter une pénurie ?
M. Marc Désarménien. Fallot et Unilever n’ont pas du tout la même politique commerciale et de marché. Nous, nous valorisons le 100 % circuit court et graines locales. Un grand groupe, même s’il se targue d’avoir de la matière première locale, veille à son compte d’exploitation. Or actuellement, la graine locale représente un surcoût de 20 à 25 % par rapport à une graine canadienne. Même si elle parcourt 10 000 à 12 000 kilomètres, la graine canadienne reste moins chère que celle qui est produite aux portes de nos usines. Il est donc important que nous progressions en termes de rendement pour réduire cet écart, même si les entreprises comme les nôtres et les grands groupes sont sensibles au sourcing locale et à la traçabilité afférente.
M. Damien Beaumont. Nous investissons entre 400 000 et 500 000 euros par an dans la recherche, dont une moitié provient des producteurs et une autre moitié des industriels. Les industriels souhaitent donc un retour sur investissement, et la traçabilité en fait partie.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Si certains industriels s’engagent dans cette démarche volontaire de soutien à une production locale plus chère que la production canadienne, quels sont les outils dont ils disposent pour la valoriser ? L’appellation moutarde de Bourgogne reste encore peu connue par rapport à la moutarde de Dijon. Ne serait-il pas possible de protéger cette appellation et de faire en sorte que la moutarde de Dijon soit produite aux alentours de Dijon et non plus dans le monde entier ?
M. Marc Désarménien. C’est comme si vous vouliez protéger l’appellation camembert. Il s’en produit partout dans le monde, y compris au Danemark avec des boîtes de conserve à ouverture facile. C’est devenu un nom générique et il faudrait les meilleurs avocats du monde pour essayer de se réapproprier cette appellation. Aux États-Unis, ils ont de la moutarde de Dijon mais ils ne savent même pas que Dijon est une ville.
Nous ne pouvons plus protéger le terme moutarde de Dijon et c’est la raison pour laquelle nous nous étions orientés vers celui de moutarde de Bourgogne, en proposant une recette avec du vin blanc de Bourgogne.
La recette de la moutarde de Bourgogne IGP est identique à celle de la moutarde de Dijon sauf que nous garantissons des graines 100 % bourguignonnes, un pourcentage de vin blanc supérieur à 16 % et une fabrication dans la région. Ce sont les trois critères de certification pour l’IGP. J’ajoute que nous fabriquons aussi notre moutarde de Dijon avec des graines de Bourgogne, ce qui n’est pas le cas de tous nos confrères.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Si je comprends bien, le cahier des charges de la moutarde de Bourgogne impose du vin blanc. Il n’est pas possible de produire de la moutarde de Bourgogne sans vin blanc.
M. Marc Désarménien. Non, cela fait partie du cahier des charges de l’IGP.
M. Fabrice Genin. Cette IGP est limitée commercialement, et cela peut se comprendre. L’IGP Bourgogne parlera plus aux Bourguignons. Cependant, nous remarquons que tous les industriels ont un réel intérêt à faire de la moutarde avec des graines produites en France. C’est un moyen pour eux de valoriser le produit. Il n’y a que par ce drapeau français que nous pouvons y arriver.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. L’appellation moutarde de Bourgogne reste donc plutôt réservée aux Bourguignons et le seul moyen de valoriser cet effort de souveraineté des industriels, c’est le drapeau français. Est-ce qu’il garantit cependant que les graines soient produites en France ?
M. Marc Désarménien. Absolument pas. Ainsi par exemple, le drapeau français est utilisé par des fabricants américains. Nous ne sommes pas assez rigoristes quant à l’utilisation de l’emblème de la France à l’étranger pour des productions étrangères. La moutarde en est un bel exemple, comme de nombreuses spécialités fromagères. Il y a beaucoup de symboles utilisés à l’étranger sur des productions étrangères pour surfer sur le made in France. C’est à souligner.
M. Fabrice Genin. Je pense qu’il faudrait une évolution de la législation car, dès lors qu’un produit est emballé en France, le drapeau peut être estampillé. Cela peut prêter à confusion pour les consommateurs et cela ne nous aide pas à fixer la valeur. Il faudrait que drapeau français puisse être réservé à une production française avec une très large maîtrise de la chaîne. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas.
M. Damien Beaumont. Il faudrait que le produit ne puisse être qualifié de français qu’à condition que les graines soient produites en France. Nous réfléchissons d’ailleurs à développer la « moutarde de France », qui imposerait que la graine soit produite sur le territoire français.
M. Fabrice Genin. Il ne faut cependant pas se précipiter car nous devons préalablement être sûrs que nous pourrons produire en France. Je rappelle que nous ne sommes pas capables de répondre à 100 % de la demande des industriels parce qu’il nous manque des produits phytosanitaires et des capacités de recherche génétique.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Quand vous dites que des entreprises américaines utilisent le drapeau français, c’est quand même avec des usines de transformation et d’emballage en France.
M. Marc Désarménien. Absolument pas. Sur de nombreux marchés étrangers, des entreprises utilisent notre emblème national pour des produits fabriqués sur leur sol. C’est monnaie courante. Aux États-Unis, ils produisent du brie dans le Wisconsin avec du lait américain et ne se privent pas d’utiliser le drapeau français. C’est très vendeur.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La difficulté de l’utilisation des symboles de la France pour des productions étrangères transformées ou emballées en France est un vieux sujet pour le Parlement. Mais il s’agit en l’espèce d’une utilisation frauduleuse. Dès lors que le produit est produit, transformé et emballé à l’étranger et qu’il utilise le drapeau français, il y a utilisation frauduleuse du symbole. Avez-vous pu en parler avec le ministère ou les services de l’État compétents pour lutter contre cette concurrence déloyale ?
M. Marc Désarménien. Vous le découvrez peut-être ici au sein de l’Assemblée nationale mais n’importe quel ambassadeur et ses attachés agricoles sont au courant. Il est courant que l’emblème national soit ainsi utilisé.
Il faudrait presque qu’il soit une marque protégée, comme l’a fait la tour Eiffel par exemple. Vous n’avez pas le droit d’utiliser de photos de la tour Eiffel sur certains produits parce que c’est une marque déposée. Ce serait un moyen de nous réapproprier notre emblème national.
Il est très vendeur pour des producteurs étrangers de mettre un drapeau bleu blanc rouge sur des produits agroalimentaires et je considère que c’est une concurrence déloyale. Vous pouvez interroger n’importe quel groupe agroalimentaire, il vous confirmera ce problème.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. J’en viens aux produits phytosanitaires. Vous avez indiqué que sans une dérogation obtenue l’année dernière, vous vous seriez retrouvés dans une impasse. Pourriez-vous donner des précisions sur le ravageur et la molécule concernés ?
M. Fabrice Genin. Il s’agit des altises et la dérogation portait sur le cyantraniliprole qui permet de contrôler ce ravageur. Nous avions fait deux types de demande : une dérogation pour utiliser cette molécule sur du traitement de semences et une autre pour une application foliaire. Nous avons obtenu cette dernière dérogation pour une utilisation deux fois dans l’année, au moment où les plantes sont les plus fragiles.
Nous n’avons cependant pas abandonné l’objectif d’obtenir une dérogation pour le traitement de semences, afin d’utiliser la bonne molécule au bon moment. Nous pensons que si nous obtenions cette dérogation, l’application foliaire pourrait être réduite, voire supprimée.
J’ajoute que nous menons parallèlement un travail sur la génétique et la sélection des graines, notamment parce que la production bio ne peut utiliser de produits phytosanitaires.
M. Damien Beaumont. Nos programmes de sélection se tournent désormais vers les variétés les plus tolérantes aux insectes, alors qu’ils privilégiaient jusqu’à récemment d’autres qualités physiologiques. Les insectes sont les pires ennemis des crucifères.
M. Fabrice Genin. Avant 2017, le rendement moyen de la filière moutarde s’établissait aux alentours de 16 ou 17 quintaux à l’hectare. Aujourd’hui, nous sommes tombés à moins de 12 quintaux à l’hectare. Alors qu’auparavant la variation était comprise entre 10 à 25 quintaux à l’hectare, elle est désormais de 0 à 25 quintaux. Par conséquent, comme nous avons perdu 30 à 40 % de notre productivité, les industriels doivent accepter de payer plus cher pour que la moutarde reste compétitive pour les agriculteurs. Or cette compensation des industriels à des limites, il faut aussi qu’ils puissent la répercuter sur leur prix de vente.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Quels sont les rendements au Canada ? Par ailleurs, les deux pulvérisations de cyantraniliprole sont-elles suffisantes ?
M. Fabrice Genin. Les Canadiens ont un rendement moyen de l’ordre de 7 à 8 quintaux par hectare. Ils parviennent quand même à être compétitifs grâce à la typologie de leurs exploitations, beaucoup plus étendues et donc avec des coûts de production beaucoup plus faibles. Nous ne serons jamais compétitifs avec eux sur le prix.
Concernant l’utilisation des molécules, deux pulvérisations sont préférables à aucune mais l’idéal serait de pouvoir utiliser plusieurs molécules pour que la résistance des insectes se développe moins rapidement. La restriction du nombre de produits utilisés favorise beaucoup l’apparition de résistances chez les insectes.
M. Benoît Bordat (RE). La filière moutarde est réapparue après avoir disparu mais elle doit faire face à des difficultés climatiques et phytosanitaires. C’est une filière emblématique de l’identité du territoire régional bourguignon qui rencontre le même type de difficultés que d’autres petites filières comme les lentilles, la cerise ou encore la chicorée.
Ne craignez-vous pas de ne pas peser assez lourd pour surmonter ces difficultés ? Avez-vous réfléchi à vous structurer au niveau national avec d’autres petites filières pour peser ensemble ?
Concernant la dérogation que vous avez obtenue, est-ce que d’autres pays permettent de produire la moutarde avec ce produit sans avoir besoin d’y être autorisés ? Êtes-vous confrontés à une sorte de concurrence déloyale ?
Pensez-vous que le travail que vous menez en lien avec les industriels a été bénéfique à la préservation de la filière ? Envisagez-vous d’autres actions avec les industriels, notamment ceux qui ne sont pas forcément sur le territoire national ?
M. Marc Désarménien. Contrairement aux autres filières que vous avez citées, la moutarde est un produit d’image qui s’exporte énormément. C’est un symbole de l’excellence gastronomique française. La chicorée et les lentilles du Puy sont moins visibles sur les marchés étrangers.
Je pense que nous sommes une filière exemplaire puisque nous regroupons l’essentiel des producteurs de moutarde en France. Les cinq producteurs réunis au sein de l’Association des moutardes de Bourgogne représentent 98 % de la production nationale : Unilever (Amora et Maille), Européenne de Condiments, Reine de Dijon, Fallot, Charbonneaux-Brabant.
Nous travaillons étroitement avec la chambre d’agriculture et avec l’association des producteurs de graines de moutarde, nous sommes soudés pour avancer. Je ne vois pas comment nous pourrions être plus efficients pour défendre et promouvoir la filière.
Par ailleurs, il y a effectivement une concurrence étrangère puisque la moutarde de Dijon n’est pas une appellation protégée. C’est une recette régie par un décret. Vous pouvez fabriquer de la moutarde de Dijon partout en France et en Europe.
En réalité, ce qui nous raccroche à notre territoire, c’est la relance de la culture de graines dans la région. Nous devons fortifier notre origine et le fait que la moutarde soit fabriquée dans la région de prédilection de la moutarde. Nous devons cependant être vigilants car la moutarde est un marché de prix. Il ne faut pas non plus que nous payions les graines trop cher pour que nos usines soient compétitives et investissent régulièrement.
M. Damien Beaumont. Les produits que nous utilisons sont importés d’Allemagne.
Concernant l’organisation de la filière, je ne connais pas d’autre petite filière développée comme la nôtre. Par contre, nous avons récemment fait entrer l’AMNA (Association des moutardes de Nouvelle Aquitaine) au sein de l’AMB. C’est un groupement de producteurs qui travaille avec nous sur le développement de la moutarde bio. Nous pourrons bénéficier de leur expérience sur le bio et, en retour, nous leur fournirons du matériel génétique. Quoi qu’il en soit, je ne connais pas de fédération nationale des petites filières.
M. Fabrice Genin. Nous pourrions rencontrer des difficultés si nous voulions nous fédérer avec d’autres petites filières ayant les mêmes problématiques que nous. Elles sont peu nombreuses à être aussi globales que nous. Nous avons la chance d’avoir les outils de production chez nous alors que souvent, dans les petites filières, les acheteurs sont ailleurs.
Mais force est de constater que nous n’avons jamais pris le temps d’essayer de rencontrer d’autres filières ayant les mêmes problématiques pour peser plus sur le débat.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Il semblerait qu’aucun organe public ne pilote la filière ni n’organise de concertation aussi bien au niveau national qu’au niveau européen. Est-ce que depuis trente ans cette filière a été laissée à une organisation autonome avec les difficultés et les résultats que vous avez exposés ?
Je voudrais revenir sur la protection de l’identité de la moutarde de Dijon. Vous ne pouvez la protéger en raison de son utilisation massive par d’autres acteurs mais cela est valable pour toute IGP, qui peut aussi être volée et utilisée par d’autres acteurs.
Finalement, pourquoi certaines appellations sont-elles des IGP et d’autres ne le sont pas ? Pourquoi défendre le comté et non le brie ou le camembert ? Pourquoi ne pourrions-nous pas défendre la moutarde comme nous essayons de le faire pour le champagne ?
M. Marc Désarménien. Il y a de nombreux produits et de noms de produits qui sont utilisés à l’étranger parce qu’ils sont devenus des noms génériques. Vous ne pouvez plus rien y faire.
La moutarde de Dijon est devenue un nom générique et c’est la raison pour laquelle nous avons utilisé le terme de moutarde de Bourgogne pour l’IGP. Il n’est pas possible d’utiliser le terme moutarde de Dijon pour une IGP ou une AOP. D’ailleurs, même des produits qui sont sous signe de qualité – je pense notamment au comté – sont utilisés dans d’autres pays.
La France est un pays d’excellence en termes de qualité des produits, dont les appellations ont été pillées. Je regrette que cela ne soit constaté qu’aujourd’hui alors qu’il suffit de se rendre à l’étranger pour s’en apercevoir. Il n’y a que la Champagne qui soit parvenue à se protéger.
Nous ne pourrons récupérer des appellations comme brie, camembert ou moutarde de Dijon mais ce qui me dérange le plus, c’est l’utilisation de l’emblème national sur certains produits fabriqués en France mais qui ont été pris par des groupes agroalimentaires étrangers et qui produisent sur place avec un drapeau français. C’est notamment le cas pour la moutarde de Dijon aux États-Unis.
Mme Laure Ohleyer, coordinatrice filière moutarde de l’APGMB. La filière a été accompagnée dès le début par FranceAgriMer et le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté pour le financement des programmes de recherche. FranceAgriMer s’est ensuite retirée et le conseil régional est devenu le seul financeur. Nous avons également bénéficié de financements européens au travers de notre participation à un PEI (partenariat européen pour l’innovation). Il y a donc un accompagnement de la filière depuis sa création.
M. Fabrice Genin. Les accompagnements sont parfois destinés à des filières qui ont des capacités d’investissement plus importantes que les nôtres. Cela nous empêche notamment de participer aux programmes de recherche européens, et ce peut être une difficulté.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Je voudrais réagir sur les appellations et les drapeaux.
Je comprends la problématique qu’il y a dans votre filière, à laquelle vous avez essayé de répondre par cette appellation moutarde de Bourgogne. Je me méfie néanmoins de ce débat et je me demande si tout ne finit pas par s’équilibrer. Il y a probablement des appellations où nous n’avons pas été assez vigilants et qui sont utilisées ailleurs, mais la France est-elle irréprochable dans ses propres pratiques ? Par exemple, que penser de la saucisse de Francfort produite en France par des industriels français avec du porc d’origine française ? L’appellation Feta a également été l’objet de controverses, la Grèce ayant regretté qu’elle puisse être utilisée par d’autres pays. Je ne suis pas persuadé que nous soyons les plus vertueux sur ce sujet.
Concernant les drapeaux, je pense qu’il faut être prudent. Si nous commençons à compter le nombre de restaurants qui font un usage extensif de drapeaux américains, italiens, grecs, voire turcs, cela risque de devenir compliqué. Souhaitons-nous vraiment que la municipalité d’Istanbul recense le nombre de restaurants qui s’appellent Istanbul en France ?
Je comprends le problème que cela pose à votre filière mais je pense qu’il faut être prudent. Nous ne sommes pas forcément les plus vertueux. En tout état de cause, la problématique est complexe.
M. Marc Désarménien. Je pense qu’il faut bien distinguer les prestations de service des produits agricoles alimentaires transformés.
Il est vrai que le problème est épineux. Il faut aussi considérer certains groupes alimentaires français qui sont implantés partout dans le monde, qui utilisent des marques françaises et ne se privent pas parfois de mettre un drapeau français sur des productions faites à l’étranger.
C’est néanmoins une question à se poser car il y a quand même une forme de tromperie du consommateur. Concernant les saucisses de Francfort, je ne suis pas sûr que beaucoup de producteurs français y apposent le drapeau allemand.
Il y a quand même des faussaires qui profitent de l’aura des produits agroalimentaires français, de l’art de vivre français. De toute évidence, certaines pratiques sont abusives et ne sont pas tolérables. Nous devons être vigilants sur l’utilisation de notre emblème national à l’étranger. En étant trop laxistes, nous ne défendons pas nos productions françaises et nos productions agricoles.
Nous avons été trop laxistes par le passé et certaines appellations nous ont échappé. J’observe que la Grèce a réussi à protéger l’appellation Feta et qu’il n’est plus possible de fabriquer de la Feta en France.
M. Fabrice Genin. Il ne faut pas se tromper de combat. Le premier combat, c’est de parvenir à conserver la production chez nous. Nous avons failli atteindre un point de rupture et la situation se complique davantage chaque année. Je pense d’ailleurs que de nombreuses petites productions locales sont dans la même situation.
Notre premier combat, c’est de conserver une capacité à produire. Il ne faut pas aller trop vite sur les restrictions à l’utilisation de produits phytosanitaires et nous devons trouver des moyens supplémentaires pour la recherche génétique. C’est la seule solution.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je constate au terme de cette audition que nous avons dans cette filière une industrie qui est vertueuse mais qui peine à valoriser cette vertu. Hormis l’appellation moutarde de Bourgogne, qui reste confidentielle, il semble compliqué de promouvoir cette démarche vertueuse auprès des consommateurs et de bénéficier d’un retour sur investissement.
Je comprends toutes les difficultés que soulève la protection des appellations et des drapeaux nationaux. Il me semble problématique de se satisfaire que la saucisse de Francfort puisse être fabriquée en France avec du porc français. Il faut un minimum d’honnêteté envers le consommateur et arrêter de mondialiser des appellations qui font référence à une culture et une production locales.
Si nous pouvions récupérer la maîtrise de l’appellation moutarde de Dijon en imposant une transformation et une production de graines locales, il serait beaucoup plus facile pour la filière moutarde de valoriser l’effort de relocalisation.
Concernant l’utilisation du drapeau français, je considère qu’elle est trompeuse lorsqu’elle concerne des productions complètement étrangères à la France et qu’elle dessert les intérêts économiques de la France. C’est une pratique à combattre, avec toutes les difficultés qu’elle comporte.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Je précise que mes propos reflétaient une position personnelle et en aucun cas celle de la majorité ou du Gouvernement. Il s’agissait d’alimenter le débat et je n’ai jamais pensé que les pratiques qui portent préjudice à la filière moutarde soient négligeables.
M. Marc Désarménien. Il y a des spécialités qui sont fabriquées sur le sol français en reprenant des recettes d’autres pays. Tant que les deux parties l’acceptent et que les bonnes pratiques sont respectées, ce n’est pas un problème. Ce qu’il faut pointer, ce sont les abus et l’utilisation d’emblèmes nationaux qui peuvent être trompeurs pour le consommateur. Je le répète, c’est un sujet très épineux.
M. Damien Beaumont. Pour recentrer le débat, je dirai qu’à notre niveau, nous voulons surtout pouvoir produire de la graine de moutarde en France avec les moyens de production que cela nécessite.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Je vous remercie pour cette audition très intéressante d’une petite filière qui pose de grandes questions sur l’agriculture et nous montre que rien n’est jamais perdu.
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La commission procède à l’audition de M. Rémi Lacombe, viticulteur, et Me Louis Lacamp, avocat au barreau de Paris.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous accueillons M. Rémi Lacombe, viticulteur, accompagné de Me Louis Lacamp, avocat au barreau de Paris. L’initiative de cette audition revient au rapporteur, qui a souhaité que notre commission se penche sur un jugement que le tribunal de commerce de Bordeaux a rendu le 22 février dernier et qui a trouvé un certain écho dans la presse nationale. Par ce jugement, le tribunal a condamné deux négociants sur le fondement de l’article L. 442-7 du code de commerce pour avoir acheté du vin à des prix abusivement bas. Les juristes évoquent un jugement sans précédent.
L’affaire se trouve désormais en appel et la loi interdit, bien entendu, à notre commission d’interférer de quelque manière que ce soit avec la procédure en cours. Par conséquent, j’invite l’ensemble des intervenants à faire preuve de précaution quant aux questions posées et aux avis portés à ce sujet. Cette audition sera consacrée exclusivement aux points de droit qui sont en jeu et à la question de la juste rémunération des agriculteurs en général.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Rémi Lacombe et Me Louis Lacamp prêtent serment.)
M. Rémi Lacombe, viticulteur. Je vous propose, en premier lieu, de vous expliquer le processus de vente et d’achat de vin. Le premier interlocuteur du viticulteur est le courtier qui transmet les demandes, par exemple 500 hectolitres pour 1 200 euros. Le vendeur n’est pas amené à apprécier la valeur de cette proposition, il l’accepte ou non. Quelle que soit la réponse, une dégustation comparative des produits est organisée. Ces demandes sont traitées dans l’urgence et les viticulteurs réunissent les bouteilles du vin vendu. Ainsi, j’ai reçu un message hier dans le train dont la teneur était la suivante : « Château les Trieux 2021 ? 500 hectos à 1 200 ? Si oui, il va me falloir des échantillons. » Trois bouteilles sont donc prélevées à cette fin et sont goûtées. Un coursier est envoyé à la dégustation. Il s’agit d’un véhicule transportant les échantillons. Les personnes présentes goûtent le produit et, en cas de sélection, le viticulteur reçoit un bordereau à signer comportant une date limite d’enlèvement. Ensuite, le courtier enregistre la commande seul au Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB). Or, une fois la commande enregistrée, le viticulteur reçoit le cahier des charges du négociant qui a acheté les vins. Il est de manière générale très fourni et comprend des conditions contraignantes que le viticulteur ne peut négocier au risque de perdre sa commande. Je me souviens par exemple d’une demande de chargement du vin rouge sous azote, ce qui est une hérésie technique totale – cela ne se justifie que pour du vin blanc.
En aparté, je souhaite vous informer que j’ai envoyé un inspecteur des fraudes, M. Minassian, à l’organisme de défense et de gestion de l’appellation Médoc (ODG) afin de l’interpeller sur le caractère extraordinaire de la chronologie de ce processus. Je ne l’ai pas envoyé sous couvert d’anonymat. Une première réponse m’a confirmé que mon contrat était sous surveillance au CIVB et que l’affaire ne serait pas annulée. Cependant, quatre jours plus tard, l’annulation de l’affaire m’était annoncée.
L’étape suivante du processus consiste à charger le camion pour procéder à la livraison du vin. Ce vin peut être un château comprenant l’appellation « mis en bouteille » au lieu souhaité par l’acheteur. Ce dernier a uniquement l’interdiction de mentionner une mise en bouteille au château. Une fois le camion parti, la traite n’est presque jamais donnée au moment de l’enlèvement, sauf rares exceptions. En règle générale, le viticulteur attend longtemps avant de la demander ; cela peut même atteindre un mois si la traite est à soixante jours. Pourtant, les frais d’escompte sont à la charge du viticulteur, le vin est parti, il est droit de goût, loyal et marchand.
Dans ce cadre, la question suivante est posée : pourquoi ne dématérialiserions-nous pas les traites ? La traite devrait être versée à la signature. Elle est donc signée mais, dans ce laps de temps, le courtier en profite en affirmant qu’il est en fort désaccord avec le négociant, ce qui n’est pas vrai. Entre-temps, le vin peut avoir été présenté à un concours sans que le viticulteur le sache. L’acheteur a ce droit et les concours comprennent des colonnes « présenté par la propriété » ou « présenté par un acheteur ». Le vin gagne donc une médaille d’or sans que le viticulteur en ait connaissance. Au demeurant, il est extraordinaire que le négociant ait la liberté de choix de mettre ce vin en bouteille trois mois après la livraison, qu’elle soit de 173,20 hectolitres ou 271,4 hectolitres. Si le vin est laissé ouvert, il se transforme en vinaigre. Comment expliquer que le négociant dispose du volume exact dans ce cas ?
Le viticulteur peut également recevoir une demande d’envoi des photographies de la propriété. Dans ce cas, il faut comprendre qu’une étiquette est en cours de fabrication et que l’acheteur confond la photographie de la propriété et le copyright de l’étiquette. Il se comporte comme s’il avait acheté la propriété et les viticulteurs n’ont rien à dire. Si le vin est un château, le bouchon est inconnu, qu’il soit mis au château ou pas. Le négociant peut ainsi venir au château, afin de capter de la valeur ajoutée, avec ses bouteilles et ses bouchons pour mettre le vin de tuyau dans ses bouteilles. Dans cette situation, le viticulteur connaît rarement la zone de chalandise et il ne pourra rien dire si elle n’est pas respectée.
Le viticulteur ne sait donc plus quoi faire de son château, car avec ces procédés d’écrasement des coûts et de taylorisation de la chaîne de mise en bouteille, certains vins sont vendus en tête d’affiche d’enseignes de grande distribution à 2,75 euros. Par conséquent, si le viticulteur le vend 6 euros hors taxes, il passe pour un voleur auprès de tous ses acheteurs et d’autant plus auprès des touristes en visite au château. Les viticulteurs peuvent également se voir apposer des notes sur le suivi aval de qualité. En effet, nous avons tous un permis à points comprenant douze points. Des vins sont prélevés dans la grande distribution et une note lui est attribuée sur cinq. Or, si jamais cette note est de deux, le viticulteur perd des points sur son autorisation de produire. De plus, si le bouchon est pourri, alors qu’il ne s’agit pas du bouchon du viticulteur, ce dernier reçoit une avalanche de courrier de ses clients.
Une solution simple permettrait d’éviter cette situation : elle consisterait à définir une mise en bouteille par le château. Je suis très favorable à ce que la distribution d’un château soit similaire à celle d’un flacon de parfum. J’ai dit dans un journal qu’il serait très désagréable pour un parfumeur de savoir que quelqu’un dispose de la possibilité de verser son parfum dans un flacon d’antimoustique.
Mes propos concernent essentiellement des vins du Médoc et non de la totalité des vins de Bordeaux, bien que 80 % de mon discours soit valable pour l’ensemble des appellations de Bordeaux. Au coin de la rue, nous avons une coopérative de 1 300 hectares qui prend en charge de très nombreux châteaux et la marque Simply. Elle a bénéficié de subventions pour déposer cette marque dont la bouteille comprend une crête de coq et un cœur avec l’inscription « Uni-Médoc. » Néanmoins, il me semble que l’avenir de cette marque est compromis dans les zones de prix à forte valeur ajoutée. Par ailleurs, malheureusement, la coopérative a été construite avec des fonds publics. Or elle n’est contrainte par aucune condition suspensive de verser des aides si une marque forte était créée dans la collaboration et dans la coexistence de stratégies des prix de volumes que pourrait avoir cette marque avec les châteaux. En effet, un château peut venir d’une coopérative de 1 300 hectares dont les outils de production sont en concurrence directe avec un viticulteur possédant uniquement 3 hectares.
L’ensemble de ces idées concerne l’achat de mes vins. En effet, l’AOC (appellation d’origine contrôlée) Médoc ne possède pas de cahier des charges de distribution. Chacun fait ce qu’il veut et l’AOC Médoc n’a pas de marque. Deux marques importantes existent à Bordeaux : Mouton Cadet et Baron de Lestac. Il s’agit d’AOC Bordeaux. Le conseil d’administration de l’ODG est composé de beaucoup de négociants qui suivent les ordres de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) demandant des cahiers des charges de plus en plus exigeants pour obtenir l’appellation Médoc. Ces normes sont contrôlées par les acteurs de la filière qui s’investissent un peu partout, y compris dans les unités de contrôle qui appliquent des normes locales. Par exemple, nous n’aimons pas les normes ISO et AFNOR. Nous n’aimons pas non plus qu’un viticulteur ait un CNUF (code national unifié fournisseur) sur sa bouteille. Dans cette perspective, nous avons inventé une arme afin de contrer le fait que le viticulteur ne puisse pas se présenter avec son identité commerciale propre. Il s’agit du flash code. Grâce à cet outil, la personne qui vendra le vin pourra flasher la bouteille et retrouver le viticulteur.
Cette situation est dérangeante surtout lorsque des efforts ont été fournis et que le viticulteur a des arguments. Par exemple, j’ai produit les premiers vins d’Europe zéro carbone mais je n’ai pas pu continuer pour des raisons financières. J’ai également été le premier viticulteur avec une traçabilité ISO 22005 en Europe.
En ce qui concerne la manière de revendre les vins, certains grands crus proposent des bouteilles à certains prix. Cette affectation de grand cru s’appelle une allocation. Or le grand cru bénéficie de cette allocation et vend des secondes mains de grand cru. Ensuite viennent les vins de château appelés vins de « petit » château. Afin de répondre aux attentes de la grande distribution, les ventes comprennent du grand cru classé et un vin du Médoc à 2,75 euros. En l’occurrence, il s’agissait du mien à plusieurs reprises. Ce vin sera en tête d’affiche. Dans cette situation, un seul viticulteur se retrouve lésé : celui dont le vin est vendu à 2,75 euros en ayant rempli le cahier des charges AOC Médoc, car il ne bénéficie d’aucune compensation grand cru et il ne peut plus vendre sa marque.
Enfin, lorsque le viticulteur souhaite mettre en place une stratégie de marque et une stratégie de niche, les acteurs du secteur ne sont pas du tout réceptifs. S’il souhaite se prévaloir des 5P, c’est-à-dire Price, Packing, Packaging, Promo, Pub, il est vite remis à sa place. La même situation se répète si le viticulteur souhaite participer à la communication sur ses produits. D’autres propositions ont été présentées, par exemple la possibilité de création par l’ODG d’un accord-cadre affirmant que les viticulteurs remplissant toutes les conditions pour produire auraient le droit de bénéficier de prix légèrement au-dessus des producteurs collés à ces nombreuses exigences. Il nous est répondu que l’ODG n’a pas pour rôle de vendre du vin. Qui plus est, les cotisations versées au CIVB sont calquées sur les volumes et pas sur les prix. Les petits vins sont donc les plus grands contributeurs. Ces conditions d’achat ne sont pas par conséquent pas correctes.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Je souhaite revenir sur un élément de la procédure. Le jugement en première instance intervient au mois de février 2024. À quel moment déposez-vous formellement plainte ?
M. Rémi Lacombe. Je ne peux me remémorer la date exacte, mais elle est facile à trouver. Avant de contacter Me Lacamp, j’ai envoyé le service des fraudes à l’ODG pour faire valoir qu’il n’était pas possible de signer un cahier des charges après avoir signé un marché. J’ai également signalé au service des fraudes qu’il n’était pas envisageable que ce marché soit annulable au bon vouloir du courtier. Cette demande a été présentée de manière nominative.
Me Louis Lacamp, avocat au barreau de Paris. Le mail de M. Rémi Lacombe au service des fraudes a été envoyé en juin ou en septembre 2022. Quant à l’assignation, elle date de décembre 2022.
Je souhaite revenir sur la genèse de cette affaire. M. Rémi Lacombe vous a déjà présenté la dimension très impersonnelle de l’achat de vin en vrac. Cette affaire commence donc au mois de septembre, lorsque M. Rémi Lacombe me demande s’il existe un recours possible contre l’achat de la production en vrac en dessous de son coût de revient. C’est la situation de beaucoup d’agriculteurs en France : aux mois de janvier et de février, la révolte des agriculteurs est provoquée par cet état de fait. Pour faire suite à cette demande, j’étudie le code de commerce et tombe sur l’article L. 442-7 qui définit la règle suivante : « Il est interdit pour un acheteur de faire pratiquer un prix de cession abusivement bas […]. » Or cet article date de la loi Egalim 1 de 2018 et aucune jurisprudence n’existait à ce sujet. Cet article n’avait jamais été plaidé devant les juridictions en cinq ans, ce qui est rare et étonnant.
Nous échangeons donc avec M. Rémi Lacombe sur les conditions d’achat, car la loi prévoit que l’acheteur doit laisser le producteur faire une première proposition de contrat. Il s’agit d’une disposition essentielle de la loi Egalim 1 afin de renverser le rapport de force entre des agriculteurs en difficulté face à des acheteurs bien plus regroupés. Le législateur a prévu cette obligation très stricte interdisant à l’acheteur de réaliser une première proposition et laissant à l’agriculteur la possibilité de la faire sauf si ce dernier demande expressément à l’acheteur de présenter une première proposition. La loi va même plus loin en prévoyant que cette première proposition doit être annexée au contrat final. Je pense qu’il s’agit du seul article en droit français qui impose d’annexer à un contrat final la première proposition de contrat. Or M. Rémi Lacombe m’indique que les agriculteurs ne font jamais de première proposition. Les courtiers s’adressent à eux avec une proposition de prix et de volume à laquelle ils doivent répondre par oui ou par non. Si ces prix sont refusés, les courtiers s’adressent à d’autres agriculteurs. Or il existe à Bordeaux un déséquilibre entre l’offre et le stock disponible qui met les agriculteurs en grande difficulté. Ils disposent d’un stock important à vendre et le nombre d’acheteurs intéressés est proportionnellement moins élevé. Ces derniers se présentent donc avec un prix fixe et, si les vignerons ne vendent pas, les cuves restent pleines.
En partant de cette base, nous considérons que la loi a été violée à plusieurs titres. La loi interdit de faire pratiquer un prix abusivement bas. Or, si ce prix abusivement bas est inférieur au coût de production, un problème est identifié. Par cette loi, le législateur souhaite rendre les ventes rémunératrices pour le vendeur. En partant de ce principe, nous avons envoyé une mise en demeure aux deux sociétés de négoce que nous avons assignées : Maison Ginestet et Cordier. Aucune réponse n’a été formulée de leur part. Nous les avons donc assignées au mois de décembre sur le fondement de la loi Egalim pour une première application.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Lorsque vous affirmez que vous découvrez cet article L. 442-7 du code de commerce et que vous êtes surpris qu’il n’ait pas été plaidé avant, entendez-vous qu’aucune plainte similaire n’a été déposée ? Ou des plaintes du même acabit ont été déposées et le juge ne les a pas retenues ? Vos confrères ont-ils plaidé cet article ? Qu’entendez-vous très précisément en affirmant que vous avez été le premier à plaider cet article ?
Me Louis Lacamp. Nous nous basons sur les jurisprudences disponibles dans les très nombreuses bases de données accessibles aux avocats, telles que Doctrine, Dalloz, LexisNexis. Or, lorsque vous tapez L. 442-7, le contenu affiché indique que jamais une juridiction ne s’est prononcée à ce sujet. Il semblerait donc que personne n’a plaidé cet article et qu’aucune plainte n’a jamais été rejetée ni acceptée. Nous n’avions aucune décision contre nous ni aucune décision pour nous, ce qui était étonnant au regard de la situation de nombreux agriculteurs et compte tenu du fait que cet article se trouve au milieu d’articles très connus du code du commerce sur les pratiques restrictives de concurrence.
Je me suis interrogé sur les causes de ce constat. Il est clair qu’il est très difficile pour un agriculteur d’agir contre son acheteur. C’est un des enjeux principaux rencontrés par les agriculteurs en France.
Ce point a d’ailleurs été observé dès le départ par l’Autorité de la concurrence dans son avis sur la loi Egalim. En effet, elle affirme à propos de cet article que les agriculteurs agissant contre leur acheteur s’exposent à des représailles. Le terme de « représailles » est employé par l’Autorité de la concurrence elle-même. Elle affirme donc douter de l’effectivité de cet article ce qui est plutôt pertinent car, en cinq ans, aucune action n’a été menée. Cet état de fait est renforcé par la méconnaissance, provoquant un effet boule de neige négatif.
Depuis notre action, d’autres agriculteurs nous ont contactés. Leur crainte est de ne pas remporter la procédure tout en prenant un risque énorme en agissant contre leurs acheteurs. En cas d’action, la peur de nombreux agriculteurs est de ne plus avoir d’acheteurs.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous aurons l’occasion de poser ces questions aux industriels et aux grandes et moyennes surfaces (GMS), qui se présenteront bientôt devant cette commission d’enquête. On peut imaginer que leurs services juridiques ont bien identifié les conséquences de votre affaire.
À titre de comparaison, existe-t-il d’autres pays dans le monde qui ont une disposition s’apparentant à l’article L. 442-7 du code de commerce ou s’agit-il d’une spécificité française ?
Me Louis Lacamp. Je n’ai pas procédé à ce travail comparatif mais j’ai pu lire des articles de médias anglais exprimant leur surprise à propos de la possibilité de condamner une société sur un prix d’achat. Ils considéraient que cette condamnation était contraire à la liberté de l’offre et de la demande. J’en déduis qu’il ne s’agit pas d’une disposition courante dans beaucoup de législations, car elle intervient directement sur le prix.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Pourriez-vous nous exposer précisément la manière dont a été plaidé le prix de cession abusivement bas ? Quels sont les critères qui ont permis de caractériser cette situation dans le cas de votre client ?
Me Louis Lacamp. En ce qui concerne les critères du prix abusivement bas, qui est l’un des deux points essentiels de cet article, le code de commerce fournit des indices aux juridictions. Il affirme que ce prix doit être caractérisé au regard des indicateurs des coûts de production pouvant être mis en place par des organismes interprofessionnels, ou tout autre indicateur du coût de production.
Le point le plus débattu dans le cadre de cette affaire a été le suivant : comment caractériser un prix de cession abusivement bas ? Nous soutenions que le prix abusivement bas devait prendre en compte les indicateurs de coûts de production, seul élément visé par le législateur. Dans cette optique, nous nous fondions sur des statistiques réalisées par l’organisme de gestion CEGARA (centre de gestion agricole et rural d’Aquitaine), car aucun indicateur de coût de production n’a été créé par l’interprofession dans l’AOC Médoc. Sur ce point, l’ensemble des parties étaient d’accord. De plus, nous demandions également au tribunal de prendre en compte les coûts de production de M. Lacombe.
En tout état de cause, nous avons pu constater dans les conclusions adverses et dans le jugement l’ambiguïté des mots « indicateurs de coûts de production », qu’il faut absolument différencier d’un « coût de production ». Nous avons d’une part le coût de production du demandeur et d’autre part les indicateurs de coûts de production qui sont les coûts de production moyens sur le marché. Les débats portaient donc sur la prise en compte des indicateurs ou des coûts de production propre. Nous nous sommes accordés avec les négociants sur le fait qu’il fallait personnaliser le préjudice et donc tenir compte du coût de production.
Nous avons également soutenu qu’il était nécessaire de mélanger indicateur de coûts de production et coût de production. Notre demande principale était que l’on se fonde sur la moyenne entre ces deux paramètres. Par exemple, avec un coût de production de 1 200 euros et un indicateur de coûts de production de 1 600 euros, le prix abusivement bas aurait été de 1 400 euros. Une telle proposition permettrait de valoriser les entreprises performantes et de baisser le prix abusivement bas si l’entreprise n’est pas performante.
À défaut, nous proposions de nous fonder sur le coût de production de M. Rémi Lacombe plus 10 % de marge. En effet, la loi a pour objectif d’assurer un agriculteur lorsqu’il vend à un prix rémunérateur. Ce prix ne peut donc être arrêté au coût de production. Quant au taux de 10 %, il a été choisi parce qu’il s’agit du pourcentage relevé pour le seuil de revente à perte.
De manière subsidiaire, si le juge n’accédait pas aux demandes principales, nous lui demandions de tenir compte du prix du marché bien que nous soyons en désaccord sur ce critère. À l’évidence, le prix du marché est aussi un des points clefs de ce dossier. Nous soutenions que le prix du marché ne pouvait pas être pris en compte dans la notion de prix abusivement bas tandis que les sociétés de négoce estimaient qu’il s’agissait du critère principal. Ce débat est très important car, de notre point de vue, le prix du marché est fixé par le prix moyen d’achat par les négociants. Or, l’objectif de la loi étant de réguler l’achat, il n’est pas possible d’opposer à la loi l’objet même de sa régulation. Dans le Médoc, selon les statistiques du CEGARA, la situation est alarmante car le prix d’achat moyen est fixé à 1 400-1 500 euros le tonneau et le prix de production moyen est de 1 900 euros le tonneau. En conséquence, la moyenne des vignerons qui vendent en vrac vendent en dessous de leur coût de revient. Dans cette situation, le prix du marché ne peut donc pas être pris en compte : une telle décision reviendrait à dire que les négociants sont légitimes à acheter à un prix très bas car les autres acheteurs le font également. La loi serait donc réduite à néant.
Finalement, le tribunal de commerce de Bordeaux a écarté les données du CEGARA en considérant qu’elles n’étaient pas pertinentes car M. Rémi Lacombe possédait une exploitation plus grande que celles visées par les études du CEGARA. Le tribunal a également écarté nos coûts de production propres en considérant que nous ne les démontrions pas suffisamment. Évidemment, nous sommes en désaccord avec cette interprétation. Il ne reste donc que le prix du marché.
Pour conclure, le tribunal a condamné les négociants en partant du principe qu’ils avaient acheté en dessous du prix du marché avec un calcul purement mathématique prenant en compte le prix du marché moyen et le prix d’achat.
L’élément notable de cette décision est un paragraphe de trois lignes qui reprend notre argumentation sur le fait qu’il est difficile de tenir compte du prix du marché lorsqu’il est inférieur au coût de production. Il ne paraît donc pas illogique d’écarter le prix du marché lorsqu’il est inférieur au coût de production. Mais, en l’espèce, comme nous ne démontrions pas le coût de production, rien ne prouvait que le prix du marché se trouvait en dessous. Le tribunal aurait pu se passer de ce paragraphe de pur raisonnement, pourtant il a mentionné ces éléments dans sa décision. Il est probable que l’instance a conscience de l’importance pour les agriculteurs du critère fixé. Si le critère de référence est le prix du marché, la loi aura beaucoup moins d’intérêt ; si le critère de référence est le coût de production, la loi aura un intérêt très fort.
Pour résumer, dans ce contexte, le tribunal de commerce de Bordeaux a tout de même précisé qu’il semblait logique d’écarter le prix du marché s’il se trouvait en dessous du coût de production. Cependant, comme le demandeur ne prouve pas ses coûts de production, le prix du marché est fixé comme un critère de référence par défaut.
Un débat concerne également la notion de « faire pratiquer ». En effet, l’article interdit de « faire pratiquer » un prix de cession abusivement bas.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Monsieur Lacombe, vous avez constaté que les dispositions de la loi Egalim n’étaient pas appliquées, ce qui explique votre plainte auprès de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), puis votre action en justice. Qu’avez-vous constaté sur les contrôles réalisés au titre des dispositifs Egalim dans votre aire géographique ? Les contrôles sont-ils inexistants ? Les contrôles sont-ils superficiels ? Les services de la DGCCRF avaient-ils déjà dans le viseur ces dispositions du code de commerce ?
M. Rémi Lacombe. Il est difficile de vous répondre. Lors de leurs contrôles, les services de l’État ne contactent pas les viticulteurs. Par conséquent, j’ai été peu informé à ce sujet. En ce qui concerne mon dossier personnel, après ma plainte et l’intervention de la DGCCRF auprès de l’ODG, la signature des contrats s’est poursuivie avec un enregistrement uniquement par le courtier et un envoi tardif du cahier des charges au viticulteur. De plus, de nombreuses personnes ont affirmé que la loi Egalim ne s’appliquait pas aux vins et que j’étais totalement dans le faux si je cherchais à la faire appliquer.
Mon intervention précédente décrit de manière exhaustive la situation actuelle. Je n’ai pas menti et mon objectif est précisément d’ouvrir le débat. Le contexte actuel provoque des peurs chez les agriculteurs, la peur des difficultés financières entre autres. Or le « faire pratiquer » évoque justement cette situation. Cette notion renvoie à un contexte qui oblige intuitivement les agriculteurs à vendre et permet aux négociants de décider des prix dans un microcosme soumis à des pressions terribles.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous vous croyons et je vous rappelle que vous êtes auditionnés sous serment.
M. Rémi Lacombe. Le combat est inexistant car les négociants font ce qu’ils veulent. Ils doivent arrêter d’affirmer qu’une réévaluation des prix bloquerait le marché. Ce n’est pas vrai.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous étiez viticulteur sur ma circonscription jusqu’à récemment. Entre-temps, vous avez vendu votre propriété. Nous comprenons depuis le début de cette audition que cette affaire concerne des intérêts plus larges que ceux des viticulteurs du Bordelais et du Médoc : elle touche à toute l’organisation et l’application de la loi Egalim.
À quel moment cette disposition de l’article 17 de la loi Egalim 1, revenant à demander au Gouvernement d’adopter une ordonnance d’élargissement de l’interdiction d’application de prix abusivement bas aux productions alimentaires, vous est-elle venue à l’esprit ? Cette disposition est-elle connue dans la profession ? Nous avons eu l’occasion d’auditionner le président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d’origine et à indication géographique (CNIV), M. Bernard Farges, qui affirmait ne pas la connaître. Le jugement du tribunal a été vécu comme un coup de tonnerre. Comment expliquez-vous que cette disposition votée dans la loi, présente dans le projet initial du Gouvernement, ne soit prise en compte par personne avant cette action en justice ?
M. Rémi Lacombe. La première personne m’ayant informé à ce sujet est M. Minassian, de la DGCCRF, lorsque je l’ai contacté au sujet de la chronologie mentionnée plus haut. Il m’a affirmé que ma situation n’était pas conforme à la loi Egalim, car le prix d’achat était abusivement bas. À l’égard de l’opinion des autres acteurs de la filière, il est certain que cette loi ne les arrange pas. Ils ne souhaitent donc pas en prendre connaissance et font valoir leur intérêt en affirmant qu’elle ne s’applique pas à ma situation. Cependant, je ne peux vous informer sur les acteurs qui en avaient réellement connaissance – ceux qui étaient de mauvaise foi et ceux qui ne la connaissaient pas.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Maître, vous avez parlé des indicateurs. Nous avons eu l’occasion d’auditionner l’UNELL, qui est l’organisation des producteurs vendant leur lait à Lactalis. La presse fait état du caractère compliqué de leurs relations. Cette audition a été l’occasion de nous expliquer la manière dont se construit le prix avec Lactalis. Les indicateurs retenus sont les coûts de production publiés par l’interprofession, sans qu’ils soient contestés, et des indicateurs de marché comme les cours mondiaux beurre-poudre, bien en dessous du coût de production du lait en France. En ce qui concerne le détail des éléments que doivent comporter les contrats, l’article 1 de la loi Egalim 1, mentionne les éléments suivants : « […] les critères et modalités […] de détermination du prix mentionné au 1° du présent III prennent en compte un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à l’évolution de ces coûts, […] un ou plusieurs indicateurs relatifs aux prix des productions agricoles et alimentaires constatés sur le ou les marchés sur lesquels opère l’acheteur et à l’évolution de ces prix ainsi qu’un ou plusieurs indicateurs relatifs aux quantités […] », etc. Cet article mentionne donc bien les indicateurs de marché, ce que vous sembliez contester. Comment l’expliquez-vous ?
Me Louis Lacamp. Vous faites référence aux indicateurs en cascade qui doivent être mentionnés dans le contrat final. Sur ce point, il existe une subtilité. En effet, l’article 442-7 ne mentionne pas d’indicateur de marché. Les indicateurs de coûts de production sont pris en compte. Il est également précisé qu’il est possible de tenir compte de la première proposition du producteur. Cependant, l’article mentionnant les indicateurs en cascade indique que la première proposition du vendeur ne comprend pas le prix de marché. Seul le contrat final pourra comporter des indicateurs de prix de marché. En tout état de cause, la question que vous posez démontre la subtilité de la rédaction de ces textes qui procèdent par renvoi à un article du code rural très long. En prenant le temps d’approfondir la lecture sur ce point, il devient très clair, mais cette lisibilité demande une démarche juridique approfondie alors que la mesure est censée concerner tous les contrats d’achat de produits agricoles.
M. Rémi Lacombe. J’ajoute que les indicateurs de prix de marché sont très dangereux. Sans stratégie construite, si une personne de l’Alliance Grande Distribution (AGD) demande une tête d’affiche à 2,75 euros, un autre acteur demandera une tête d’affiche à 2,70 euros, un autre en demandera 2,65 euros, etc. Or ces prix deviennent des indicateurs de prix de marché alors que ces remises n’ont aucun impact sur la personne qui les réalise. Les appellations du Médoc restent moins concernées par ce sujet, car pour produire du vin du Médoc il faut se trouver dans le Médoc. Mais, à titre de comparaison, les produits agricoles venant de l’étranger se voient appliquer des cahiers des charges souvent beaucoup plus laxistes que les nôtres ou beaucoup moins appliqués et contrôlés. Pour notre part, nous sommes contrôlés par GPS pour la conformité des vignes. De nombreux produits agricoles sont également utilisés à l’étranger mais interdits en France.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Le sujet de l’absence de publication d’indicateurs de coûts de production par l’interprofession a été abordé lors de la niche du groupe écologiste. La ministre, Mme Pannier-Runacher, nous a expliqué que les interprofessions qui dérogeaient légalement à l’obligation de contractualisation n’étaient pas obligées de publier ces indicateurs. Êtes-vous en accord avec cette interprétation, maître ?
Me Louis Lacamp. Concernant les interprofessions dérogeant à l’obligation de contractualisation, je ne pourrai vous répondre. Je ne sais pas si elles ont l’obligation de publier ces indicateurs ou non. Toutefois, étant donné que les interprofessions sont censées défendre les acheteurs et les vendeurs, il semblerait que leur mission première reste de produire ces indicateurs. Ceux-ci sont publiés dans l’intérêt des agriculteurs mais sont également pertinents pour assurer la sécurité juridique des acheteurs. Le dossier de M. Rémi Lacombe le démontre en provoquant des débats très diversifiés sur ces notions de coûts, car aucun indicateur officiel n’offre une référence aisée.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. En effet, dans l’ordonnance modifiant l’article L. 442-7 du code de commerce, il n’est plus fait mention des indicateurs de marché. Du reste, ce serait aberrant, la loi n’étant pas écrite pour se conformer aux coûts du marché. Il est intéressant de constater que l’interprétation de la loi reste inexacte alors que des filières entières se battent sur la place publique à propos de la définition d’un coût, alors que la loi Egalim 1 comprend de nombreux outils qui permettraient de garantir aux agriculteurs des prix qui couvrent les coûts de revient. Selon vous, quelle est la différence entre les prix planchers, souvent évoqués et dont la définition peut différer en fonction des mouvements politiques, et la loi Egalim 1 ?
Me Louis Lacamp. J’estime que la loi Egalim 1 est beaucoup plus fondée que la notion de prix plancher. En effet, un prix plancher est un prix minimum qui s’applique à tous. Dans ce cas, personne ne pourrait acheter en dessous de 1 200 euros le tonneau. A contrario, la notion de prix minimum de la loi Egalim 1 consiste à affirmer qu’il n’est pas possible d’acheter à un prix abusivement bas pour le producteur concerné. Le prix abusivement bas variera donc en fonction des producteurs, ce qui est parfaitement conforme au droit de l’Union européenne. L’Autorité de la concurrence affirme, dans son avis sur la loi Egalim, que le texte ne soulève pas de préoccupation de concurrence car il mentionne les coûts de production de la manière suivante : « […] notamment les indicateurs de coûts de production ». Si la loi avait affirmé qu’il était interdit d’acheter en dessous des indicateurs de coûts de production, l’Autorité de la concurrence aurait relevé un problème. Cette notion de prix plancher risque, quant à elle, de ne pas répondre aux exigences de l’Union européenne.
M. Rémi Lacombe. La publication des prix planchers a eu le même effet pour les revendeurs que pour les producteurs. Des importateurs chinois se référaient aux cours moyens du CIVB pour faire leurs propositions d’achat, ce qui ne leur permettait pas de réaliser de marge. Tout comme leur comportement avec nous, ce type de pratique conduit à un affaiblissement et une banalisation du produit. Si la loi Egalim 1 n’est pas appliquée à la lettre, les campagnes s’enfonceront dans la misère, elles se transformeront en désert social, ce qui nécessitera bientôt la mobilisation d’un budget de revitalisation.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Avant d’évoquer à nouveau la question des indicateurs, maître, pourriez-vous nous dire la manière dont doit être entendue dans la jurisprudence la notion de prix abusivement bas ? Doit-elle être comprise comme le fait d’acheter en dessous des coûts de revient ?
Me Louis Lacamp. Le prix abusivement bas n’a pas une définition fixe en droit, car il apparaît également dans un autre article du code de commerce sur les pratiques anticoncurrentielles. En fonction de l’article applicable, la notion de prix abusivement bas ne sera pas la même, ce qui n’est pas surprenant car dans le domaine des pratiques anticoncurrentielles, beaucoup de critères sont listés afin d’assurer l’équilibre du marché. Cependant, pour les pratiques restrictives de concurrence touchant à notre dossier, l’objectif est de protéger les opérateurs de manière individuelle.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Dans le cas de la loi Egalim, pour un agriculteur en relation avec un premier acheteur, cette interprétation du tribunal de commerce vous semble-t-elle surprenante ? En effet, le prix abusivement bas se trouve en dessous d’un indicateur qui est le coût de production.
Me Louis Lacamp. Nous soutenons cette idée. Pour être précis, le tribunal de commerce a affirmé qu’à défaut de pouvoir prouver le coût de production, le prix abusivement bas est fixé au prix du marché. Ce jugement pose donc la question de la situation d’un agriculteur qui arriverait à démontrer ses coûts de production. Dans ce cas, une autre jurisprudence pourrait être créée afin de préciser celle sur laquelle nous échangeons. Toutefois, la question se posera également en appel dans notre cas. Nous ne manquerons pas d’attirer l’attention de la cour d’appel sur l’importance de la décomposition de son raisonnement pour que cette jurisprudence soit la plus claire possible pour tout le monde. Lorsque la cour statuera, elle devra fournir une explication de la loi.
En tout état de cause, cette décision dépasse largement le cadre du vin. Elle est applicable à tous les agriculteurs français, avec une application de l’article L. 442-7 à tous les produits agricoles ou toutes les denrées alimentaires.
Vous avez évoqué le fait que cet article est très peu connu des interprofessions. Les médias font état de débats pour la protection des agriculteurs qui conduiraient éventuellement à l’encadrement des négociations. Nous en sommes surpris car cet article fondamental existe déjà et interdit d’acheter en dessous d’un certain prix. Pourtant, il n’est pas du tout mentionné dans beaucoup de débats.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Les dispositions des lois Egalim 2 et 3 répondent à une logique différente de la loi Egalim 1 et permettent de constater que celle-ci ne suffisait pas. Une disposition sur la non-négociabilité de la matière première agricole, qui est plutôt une disposition de ruissellement par le bas, a été ajoutée dans la loi Egalim 2, ainsi que la disposition du SRP+10. Nous ne comprenons donc pas les raisons pour lesquelles les acteurs de ce débat ne se reposent pas plus sur les dispositions de la loi Egalim 1 qui règle les problèmes évoqués.
En ce qui concerne l’avis de l’Autorité de la concurrence, celle-ci est alertée dès le départ de la difficulté pour un producteur d’envoyer devant un tribunal de commerce un de ses clients. L’État a-t-il la possibilité de réaliser des contrôles ? La DGCCRF pourrait-elle faire en sorte que cette disposition soit appliquée ? L’État a-t-il la possibilité d’envoyer lui-même devant le tribunal de commerce un opérateur lorsqu’il constate que des dispositions de la loi ne sont pas appliquées ? Une solution pourrait-elle exister dans le signalement de manière anonyme d’un producteur auprès du médiateur pour que des contrôles, voire des actions en justice, soient réalisés sans que le producteur soit impliqué ? Comment envisagez-vous de telles solutions ?
Me Louis Lacamp. Ces dispositions et ces possibilités existent déjà notamment dans la loi Egalim, mais elles ne sont jamais appliquées. Il existe une double possibilité de sanction et de contrôle par l’État. La première possibilité est la réalisation d’un contrôle administratif de la DGCCRF pour le non-respect de la première proposition de prix effectuée par l’agriculteur. La deuxième possibilité est la sanction par le ministre de l’économie, qui peut engager une action en sanction des acheteurs qui font pratiquer un prix abusivement bas. Vous avez évoqué précédemment les contrôles mis en œuvre. À notre avis, ils ont été inexistants dans le domaine du vin, car le non-respect de la première proposition de prix est un élément indiscutable. La loi affirme que cette première proposition doit être écrite, contenir certaines mentions, être annexée au contrat final et un article précise que toutes ces dispositions sont d’ordre public, donc que les parties ne peuvent y déroger, ce qui est rare. Ensuite, des sanctions sont applicables par la DGCCRF contre les opérateurs qui ne respectent pas cette obligation de laisser le producteur réaliser une première proposition. Si un contrôle est réalisé pour les cinq dernières années sur l’achat de vin en vrac à Bordeaux, il est probable qu’aucun contrat n’ait respecté cette obligation. En cas de contrôles, les conséquences financières seraient considérables.
M. Rémi Lacombe. Deux éléments ont été mis en œuvre. Après avoir lu les conclusions de mon avocat, les négociants ont ajouté une clause dans les contrats précisant que le contrat avait été conclu après une première proposition de prix. De plus, lorsque nous avons gagné ce procès, les courtiers se sont précipités afin de faire signer aux producteurs des clauses selon lesquelles ils ne poursuivraient pas les négociants pour un achat à prix abusivement bas, ce qui démontre que ces pratiques se poursuivront.
Me Louis Lacamp. Ce que pointe du doigt M. Rémi Lacombe est essentiel et met l’accent sur la notion de « faire pratiquer ». La décision du tribunal de commerce de Bordeaux considère en l’espèce que les négociants ont « fait pratiquer » ce prix abusivement bas. En outre, quelques mois avant cette décision, à la suite de nos conclusions, les négociants ont bien procédé à une modification des contrats types en ajoutant deux cases à cocher à la fin du contrat avec l’adjonction des mentions suivantes : « l’agriculteur reconnaît qu’il a fait une première proposition », « l’agriculteur reconnaît qu’il a renoncé à son droit de faire une première proposition ». Ainsi, en réponse aux dispositions qui devaient protéger l’agriculteur, des clauses types seront présentées à tous les agriculteurs afin d’écarter l’application de cette loi. En pratique, il s’agit d’une clause totalement abusive.
De plus, le lendemain de la décision, le courtier en cause dans cette affaire a envoyé à tous ses adhérents un mail comportant la phrase suivante : « À l’avenir, nous allons inclure ces mentions dans nos contrats. » La première réaction n’est donc pas d’accepter de laisser les producteurs effectuer une première proposition, mais de trouver des clauses à insérer dans le contrat afin de formellement respecter la loi. Ces éléments sont essentiels et nous les ferons valoir en appel, car ils permettent de se questionner sur la notion de « faire pratiquer ». « Faire pratiquer », est-ce acheter ou contraindre ? La réponse aura des conséquences importantes. Dans le premier cas, il suffira de démontrer que l’achat a été passé afin d’obtenir une condamnation si le prix est abusivement bas. Dans le deuxième cas, il faudra prouver qu’il existe une contrainte dans cet achat. Malheureusement, le tribunal de commerce de Bordeaux a sauté cette étape du raisonnement, car il a considéré qu’en l’espèce, le prix relevait du « fait pratiquer », car la première proposition par le producteur n’a pas été réalisée. Néanmoins, nous avions bien détaillé les deux éléments dans nos conclusions en affirmant à titre principal que « faire pratiquer » consiste à acheter, et, à titre subsidiaire, que si « faire pratiquer » revient à contraindre, en l’espèce la contrainte est qualifiée, car la première proposition n’a pas été réalisée.
De toute évidence, cette nouvelle manœuvre consistant à insérer de nouvelles clauses à signer aux contrats ne peut fonctionner, sous réserve qu’elles soient jugées valides, que si « faire pratiquer » est contraindre. Si « faire pratiquer » est acheter, malgré ces clauses, l’acheteur sera tout de même condamné si le prix est trop bas.
Il est relativement classique en droit de se poser des questions sur le sens d’un terme. Par exemple, un autre article du code de commerce contenait l’interdiction d’obtenir un avantage disproportionné. « Obtenir », est-ce contraindre ou est-ce le fait d’avoir cet avantage ? La Cour de cassation a tranché il y a deux ans en affirmant qu’« obtenir » est neutre. La contrainte n’est pas nécessaire. Dès lors que l’avantage est disproportionné, cet article est applicable.
Nous insisterons donc auprès de la Cour d’appel sur l’importance d’être très précise sur le terme « faire pratiquer ». Nous assistons déjà à des pratiques peu éthiques avec les clauses mentionnées plus haut.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Cette décision de justice a placé les acteurs de ce milieu, à Bordeaux, dans une certaine incertitude juridique, et l’incertitude économique semble aggraver la situation. Pour l’avoir évoquée avec les services de l’État, ils avouent ne pas savoir quoi faire. La lecture de la loi est encore trop floue pour leur permettre d’agir afin d’assurer une sécurité juridique minimale dans la filière. À votre avis, cette incertitude est-elle justifiée ? Des dispositions très claires, sans attendre la décision définitive des juridictions, existent-elles afin d’assurer une certaine sécurité juridique et l’efficacité de cette loi ?
M. Rémi Lacombe. Pour le « faire pratiquer », sur le terrain, les négociants font vendre majoritairement le vin en dessous du prix de revient. L’erreur se propage et se multiplie. Certains souhaiteraient en faire une vérité, mais la moyenne des transactions de vin en vrac dans le Médoc est très majoritairement en dessous du coût de revient, ce qui est probablement le cas pour l’achat de vin de château en vrac.
Peut-on concevoir qu’une filière prospère avec de telles pratiques ? Cette affaire ne serait-elle pas l’occasion de revaloriser l’appellation et de l’appeler la cuvée de l’honneur ? De cette manière, on donnerait à ces produits leur réelle valeur et le consommateur n’aurait aucune culpabilité à ce sujet. Il est possible d’augmenter de 50 centimes le prix d’achat des bouteilles, ce qui débloquerait 80 % de la situation. Mais le vrai objectif des négociants est de rester en infraction avec la loi.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Avant le passage devant le tribunal de commerce, le CNIV a envoyé un courrier à la DGCCRF afin d’obtenir des clefs de lecture de cette loi. Dans sa réponse, la DGCCRF concluait que la juste interprétation devait être réalisée par le tribunal de commerce. Dans la mesure où cette décision n’est pas définitive, nous nous trouvons dans l’incertitude juridique évoquée plus haut.
Me Louis Lacamp. Pour les transactions passées, il est effectivement possible de conclure à une incertitude juridique car elles ne peuvent être modifiées. D’autres négociants peuvent-ils s’inquiéter d’éventuelles condamnations pour avoir mis en œuvre les mêmes pratiques ? La réponse est positive. L’incertitude existera donc tant que l’affaire est en cours et se poursuivra pour les autres affaires, chaque dossier pouvant être différent en fonction des coûts de production propre à chacun.
L’insécurité juridique vient du fait que les opérateurs de ce marché ne semblent pas vouloir tirer les conséquences des mesures réellement mises en place par la loi Egalim 1. Il n’y aurait pas d’insécurité juridique si les acheteurs contactaient des vendeurs en leur signifiant leur recherche d’un vin en vrac d’une certaine gamme et en leur demandant une première proposition de prix. Dans ce cas, la loi est appliquée et l’insécurité juridique est inexistante. Le producteur peut ensuite proposer par exemple un prix de 1 900 euros le tonneau car les coûts de production sont à 1 800 euros. Sur ce fondement, l’acheteur peut décider de proposer un prix moins élevé que le coût de production en sachant pertinemment qu’il s’expose à une action en responsabilité pour prix d’achat abusivement bas. Il pourra également acheter à un prix supérieur au coût de production du vendeur sans s’exposer à l’insécurité juridique mentionnée. Actuellement, les acheteurs créent eux-mêmes cette insécurité juridique avec leur volonté de statu quo.
La loi Egalim est imprécise car encore jamais interprétée, mais fondamentalement l’intention du législateur est très claire. Elle consiste à interdire l’achat à un prix qui n’est pas rémunérateur. L’incertitude de la DGCCRF peut aussi s’expliquer par le fait que cette loi modifie un article qui existe depuis 2003. Afin d’éclaircir la situation, elle doit se replonger dans ce qui a été voulu par le Parlement cinq ans auparavant, mais également s’interroger sur ce que voulait entendre le législateur par « faire pratiquer ». Ce travail juridique est très complexe et pointu. Nous l’avons fait et, lorsque nous lisons ce qui a été voulu en 2003 et en 2018, le texte devient clair notamment sur la notion de « faire pratiquer ».
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La disposition concernant la première proposition par le producteur ne fait pas débat. Elle est très claire et sans possibilité de dérogation. Mais je ne connais pas un seul viticulteur n’ayant pas effectué une première proposition sur le marché du vrac, par écrit, en mentionnant tout ce qui est prévu dans la loi. Le même état de fait doit pouvoir être constaté dans les autres filières. Cette disposition devrait pouvoir être appliquée immédiatement.
Me Louis Lacamp. Nous avons découvert dans un article de presse, trois jours auparavant, que la fédération nationale des courtiers entendait faire valoir son avis sur ce jugement et même participer à l’instance. Elle considère que, dès lors qu’un courtier intervient dans la vente, il n’est pas nécessaire de réaliser une première proposition de prix. Son président se fonde sur une lettre de M. Bruno Le Maire de 2020 qui aurait indiqué au CNIV et à la fédération des courtiers qu’en cas d’intervention d’un courtier, la loi Egalim était respectée et la première proposition du producteur n’était pas nécessaire. Je n’ai pas lu le texte de cette lettre et son interprétation pourrait être différente de celle rapportée par les médias, mais il est très peu probable qu’elle soit prise en compte par un tribunal. Une telle lettre est contraire à la séparation des pouvoirs. Seul le Parlement pourrait créer une telle dérogation.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Lorsque la loi est floue, le travail d’interprétation peut être réalisé en aval avec la jurisprudence ou en amont. Vous indiquez que vous vous êtes reporté aux débats parlementaires. Lorsque vous effectuez ce travail, quels sont les éléments décisifs dans la démarche d’interprétation ? S’agit-il de l’exposé des motifs du projet de loi ? S’agit-il des paroles figurant au compte rendu, d’où l’importance de ce type de document ? S’agit-il des expressions du Gouvernement et des rapporteurs ? De quelle manière mêlez-vous ces faisceaux d’indices afin d’affiner votre lecture des dispositions qui ne seraient pas claires ?
Me Louis Lacamp. Je vais vous livrer ma méthode en tant qu’avocat. Je tiens à préciser que ce travail est rarement réalisé. En l’espèce, il est lié à l’absence de jurisprudence. Le premier élément d’interprétation reste l’exposé des motifs. Ensuite, pour un article donné, il est important de reprendre les débats qui ont entouré l’amendement adopté et les explications du député qui a proposé l’amendement. En effet, l’intention du législateur est visible au moment de la création de la loi. J’ai donc écarté les interprétations qui sont données après l’écriture de la loi, par exemple une question du député au Gouvernement qui se prononce sur l’interprétation du texte. De même, les amendements écartés ont une valeur relative dans les explications.
Ce dossier en est un bon exemple, car nous avons dû revenir à l’intention des députés en ce qui concerne le « faire pratiquer ». À l’époque, le texte proposé sanctionnait tant l’agriculteur que le négociant. L’amendement interdisait de pratiquer ou de faire pratiquer un prix de cession abusivement bas. Les députés expliquaient que cette pratique faisait courir un risque à l’ensemble du marché en éliminant les agriculteurs dont la trésorerie n’est pas suffisante pour survivre à une période durant laquelle les prix sont trop bas. Le législateur ne pensait donc pas à une contrainte lors de l’écriture de la loi, mais sanctionnait le fait de s’être mis d’accord sur un prix. Par la suite, en 2018, la loi Egalim a supprimé le terme « pratiquer », car l’éventualité de sanctionner un agriculteur sur ce point semblait extrême. Elle n’a conservé que le terme « faire pratiquer ».
La retranscription des débats est donc essentielle dans un tel dossier. Sans cette retranscription, nous aurions été en grande difficulté pour interpréter le terme « faire pratiquer ».
M. le président Charles Sitzenstuhl. Vos propos démontrent que le compte rendu en général est indissociable du bon fonctionnement de l’État de droit, lui-même indissociable du bon fonctionnement des démocraties.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Pourriez-vous revenir sur les raisons qui ont poussé les juges à ne pas reconnaître les coûts de production ? J’ai noté qu’ils avaient estimé que vous ne les aviez pas établis clairement. Or il me semble que vous êtes relativement transparent avec la comptabilité de l’exploitation. De plus, ils ont ensuite reconnu que le choix du prix de marché comme référence n’avait aucun sens.
Ma deuxième question est relative à l’interdiction de la vente à perte. Il s’agit d’un principe fondamental de notre droit mais, au-delà, il permet d’assurer l’existence d’une économie saine en général. Pourtant, il me semble receler une contradiction, car la vente à perte est interdite si les coûts de production et les coûts d’achat ont été estimés.
Me Louis Lacamp. Nous avons nous-mêmes été surpris par la décision du tribunal. La première pièce transmise pour prouver les coûts de production est une attestation comptable de l’expert-comptable de l’ASF Lacombe, société de M. Rémi Lacombe, indiquant le montant des coûts de production en 2018, 2019, etc. De plus, les coûts de production dont nous nous prévalions étaient inférieurs aux coûts de production déterminés par le CEGARA auprès d’autres productions. Les négociants ont soutenu que cette attestation n’était pas assez précise car elle n’établissait pas si elle ne concernait que les vins en vrac ou incorporait les vins en bouteille. En effet M. Lacombe, deux ans avant ce dossier, vendait aussi sa production en bouteille. Nous avons donc refait une attestation, même si l’attestation initiale ne visait que les vins en vrac. Nous avions déjà précisé cet élément, car le montant des dommages et intérêts demandés était substantiel. Dans la nouvelle attestation, le cabinet comptable précisait que l’attestation ne concernait que les vins en vrac. Pourtant, le tribunal a écarté nos coûts de production au motif que l’attestation que nous produisions n’indiquait pas si elle concernait uniquement les vins en vrac ou pas. Nous avons donc l’impression que la pièce n° 32, l’attestation en question, n’a pas été examinée par le tribunal. Elle sera bien évidemment produite à nouveau en appel et sera accompagnée d’une expertise comptable supplémentaire en cas de besoin.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Cette audition était extrêmement intéressante et ouvre, pour notre commission, plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Nous suivrons avec attention l’issue de votre affaire.
La séance s’achève à midi trente-cinq.
Présents. – M. Benoît Bordat, M. Grégoire de Fournas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. – Mme Véronique Besse, Mme Anne-Laure Blin