Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les raisons
de la perte de souveraineté alimentaire de la France
– Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), M. Luc Smessaert, vice-président, M. Antoine Suau, directeur du département Économie et environnement, et M. Xavier Jamet, responsable des affaires publiques 2
– Présences en réunion.................................32
Mardi
30 avril 2024
Séance de 17 heures 30
Compte rendu n° 18
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Charles Sitzenstuhl,
Président de la commission
— 1 —
La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
La commission procède à l’audition de M. Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), M. Luc Smessaert, vice-président, M. Antoine Suau, directeur du département Économie et environnement, et M. Xavier Jamet, responsable des affaires publiques
M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous recevons cet après-midi les représentants de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui est l’organisation syndicale principale et majoritaire du secteur. Cette audition est la dernière de la séquence consacrée aux syndicats agricoles, puisque notre commission d’enquête a déjà entendu le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF), la Coordination rurale, la Confédération paysanne et les Jeunes Agriculteurs.
La FNSEA est représentée par M. Arnaud Rousseau, président, M. Luc Smessaert, vice-président, M. Antoine Suau, directeur du département Économie et environnement, et M. Xavier Jamet, responsable des affaires publiques.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Arnaud Rousseau, M. Luc Smessaert, M. Antoine Suau et M. Xavier Jamet prêtent serment.)
M. Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Je vous remercie pour votre invitation à nous exprimer dans le cadre de cette commission d’enquête sur la perte de souveraineté alimentaire.
Je voudrais commencer par vous exposer notre définition de la notion de souveraineté alimentaire. Elle renvoie à l’indépendance et la puissance d’un pays, mais je tiens à préciser qu’il est ici question de souveraineté strictement alimentaire, sans connotation politique.
Notre syndicat s’intéresse de près à la question de la production agricole, puisque l’ensemble de nos mandants sont des producteurs français et ultramarins. Il me paraît important de souligner ce point, car il existe aujourd’hui une définition de la souveraineté alimentaire portée par des organisations internationales telles que l’ONU. Pour notre part, nous nous inscrivons dans une approche plus large de cette notion.
Je voudrais d’abord insister sur l’importance de la production. L’article 1er de la loi d’orientation agricole définit la souveraineté alimentaire mais omet de citer la production. Or notre préoccupation est bien de préserver les capacités de production animale, végétale et spécialisée de la France tout en garantissant notre souveraineté. Il s’agit de nourrir nos compatriotes, mais dans un milieu ouvert impliquant une création de valeur.
Pour être à même de nourrir les Français, nous avons besoin de filières, car les produits doivent aussi être transformés. C’est bien cette création de valeur qui permet, in fine, de continuer à exercer ce métier.
Les questions alimentaires et agricoles doivent souvent être appréhendées à l’échelle européenne pour ce qui est des politiques publiques. À la FNSEA, nous ne défendons pas une vision autarcique de la souveraineté alimentaire mais une perspective plus large. La dimension nationale est certes essentielle, mais elle n’exclut pas les échanges. Il faut savoir qu’entre douze et quinze pays seulement, au niveau mondial, sont capables de produire des ressources alimentaires profitant à un cercle plus large que leur propre population.
À côté de son aspect défensif, la souveraineté alimentaire présente aussi un intérêt offensif : elle doit impérativement prendre en compte la réalité du monde qui l’entoure. Je pense en particulier aux nombreux pays méditerranéens importateurs de denrées alimentaires. Nous voyons bien qu’avec le contexte géopolitique, la question alimentaire est réapparue sur le devant de la scène. Depuis 2014, la Russie s’attache à renforcer sa souveraineté pour réduire ses importations tout en développant une capacité offensive. J’en veux pour preuve ses récents envois de bateaux de blé à titre « gracieux » : ils relèvent d’une stratégie de soft power contribuant à étendre l’influence du pays en dehors de ses frontières.
Préserver notre souveraineté alimentaire implique de conserver de solides moyens de production en formant les productrices et les producteurs et en renforçant le dynamisme des territoires et le goût d’entreprendre. Il faut aussi réfléchir à la gestion de l’eau, du foncier et des intrants – car notre pays n’est pas autosuffisant pour les produits phytosanitaires et les engrais. Nous devons aussi continuer à porter l’ambition des règles et des normes, car notre compétitivité pâtit des surtranspositions.
La réciprocité des échanges constitue un enjeu central. Les exploitants agricoles de France, qui sont soumis aux standards de production les plus élevés de la planète, ne peuvent se trouver en compétition avec des pays qui ne respectent aucun de ces standards. Il faut continuer à commercer et échanger, en tirant parti des atouts de la France pour l’export de certains produits – vins et spiritueux, céréales, produits laitiers transformés et viande bovine – ; pour autant, la FNSEA n’approuve pas les accords qui sortent du cadre européen et, plus particulièrement, du cadre français.
Si nous souhaitons un niveau d’exigence renforcé, nous ne sommes pas favorables au protectionnisme. Certains pays ont besoin de nos produits. Je pense notamment au Maroc, à l’Algérie, à l’Éthiopie ou à la Libye, qui sont dans l’obligation d’importer du blé. Si nous décidions de renoncer à l’exportation de ce produit, d’autres pays s’en chargeraient, ce qui exacerberait les tensions commerciales.
Je voudrais aussi mettre en avant l’importance des questions de rémunération et de compétitivité. Ce sont des sujets cruciaux, dans une période où le pays renouvelle une fraction importante des générations d’exploitants agricoles : près de la moitié d’entre eux partiront à la retraite dans les cinq à sept prochaines années. Pour attirer des talents, nous devons leur offrir des revenus dignes. Le fait est que ces métiers exigent d’importants capitaux immobilisés, pour une faible rentabilité, des revenus limités et des amplitudes de travail élevées. Il est donc essentiel de parvenir à garantir un niveau de rémunération convenable aux exploitants agricoles.
Au regard des trente dernières années, le secteur agricole peut être considéré comme un secteur d’ajustement. Pourtant, le nombre d’exploitations et de producteurs, la valeur ajoutée et la richesse générée montrent l’importance de cette activité pour notre pays.
Aujourd’hui, entre 25 et 30 % de notre alimentation est importée, y compris sur des productions territoriales, et près d’un tiers des produits de l’agriculture biologique consommés en France sont importés. Il convient donc de s’interroger sur les modèles agricoles.
Le sujet de la rémunération appelle une réflexion sur la réciprocité, la concurrence et le marché. Il soulève aussi des questionnements sur la production, les volumes, la maîtrise des charges, les politiques publiques européennes – à commencer par la Politique agricole commune (PAC) – et nationales – en particulier France 2030.
Plus largement, la souveraineté alimentaire participe, de l’ambition nationale pour l’agriculture. Lors de son premier mandat, le Président de la République avait misé sur la montée en gamme. Aujourd’hui, force est de constater que cette politique a trouvé ses limites et qu’il faut s’intéresser à la production, sur tous les créneaux de marché. En France, les produits d’entrée de gamme ne sont pas des produits bas de gamme. Ce sont des produits de qualité.
Nous sommes confrontés à de multiples injonctions paradoxales. Le consommateur français attend une production de proximité et de qualité, mais l’acte d’achat ne traduit pas toujours cette volonté. Dans le même temps, nous devons répondre aux demandes européennes, qui impliquent des contraintes de production environnementales, sociétales ou économiques parmi les plus élevées de la planète, alors que les échanges ne traduisent pas de réciprocité. J’en veux pour preuve divers accords commerciaux récents ainsi que le Mercosur, qui défraie la chronique. Au-delà du Mercosur, près de 300 000 tonnes de viande bovine d’Argentine et du Brésil arrivent aujourd’hui sur notre continent, avec des conditions de réciprocité de production très inégales. Je vous invite à visiter les feedlots du Brésil ou d’Argentine pour le comprendre.
Si nous voulons conserver une production nationale et une dynamique dans les territoires tout en proposant des perspectives d’avenir pour ce métier, il faudra impérativement clarifier l’ambition de notre pays pour l’agriculture.
La souveraineté alimentaire est une dimension essentielle pour la FNSEA. Elle est indissociable des autres grands défis : le renouvellement des générations, le changement climatique, la décarbonation des activités. Tous les producteurs agricoles dans le végétal, dans l’animal ou dans les productions spécialisées ont constaté des évolutions importantes de la saisonnalité. La moisson, les vendanges ou les fenaisons se font avec trois semaines d’avance par rapport aux dernières années. Personne n’ignore les réalités climatiques.
La décarbonation est un enjeu majeur pour les années à venir, même si l’agriculture française pèse pour moins de 20 % dans les émissions de notre pays, qui représentent elles-mêmes 0,8 ou 0,9 % des émissions mondiales.
Nous considérons que la souveraineté alimentaire, qui continuera à faire vivre les producteurs, s’appuiera évidemment sur la production alimentaire mais aussi sur d’autres aspects vertueux comme la production d’énergie ou les services environnementaux rendus à la nation, entre autres.
La souveraineté alimentaire n’a de sens que si elle permet à ceux qui la portent de vivre de leur métier. Pour cela, il est nécessaire de s’inscrire dans un marché ouvert. Il nous faut définir des prix permettant aux producteurs de vivre, en particulier dans l’élevage, tout en préservant la compétitivité. Toutes ces actions doivent permettre de restaurer la confiance dans la place qui sera accordée aux agricultrices et agriculteurs de notre pays au cours des vingt à trente prochaines années.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Dans votre vision de la souveraineté alimentaire, la production joue un rôle clé. En vous écoutant, il m’a semblé que d’après vous, la production est absente de la définition internationale de cette notion. J’ignore si vous vous référez à l’organisation La Via Campesina, qui a fait émerger ce concept dans les années 1990. Votre analyse ne force-t-elle pas le trait ?
Lors du forum de Nyéléni qui s’est tenu au Mali en 2007, les représentants de La Via Campesina définissaient la souveraineté alimentaire comme « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes saines et durables ». Cette souveraineté alimentaire, poursuivaient-ils, « place les aspirations et les besoins de celles et ceux qui produisent, distribuent et consomment des aliments au cœur des systèmes et des politiques alimentaires ». Ailleurs, ils déclaraient : « La souveraineté alimentaire donne la priorité aux économies et aux marchés locaux et nationaux, et donne du pouvoir à l’agriculture, à la pêche artisanale, aux pâturages dirigés par les paysans et paysannes et à leurs familles, ainsi qu’à la production, la distribution, la consommation d’aliments de base […]. »
Estimez-vous que la question de la production est étrangère à la vision de La Via Campesina et des milieux altermondialistes, qui ont contribué à l’émergence de la notion de souveraineté alimentaire ? Pourriez-vous expliciter votre position ?
M. Arnaud Rousseau. Mes propos ne se référaient pas à La Via Campesina, mais bien à l’article 1er de la loi en discussion, qui traite de souveraineté alimentaire à l’échelle européenne sans parler de production, notamment sur le territoire national.
Notre approche se démarque de celle de La Via Campesina par son périmètre. J’ai récemment participé à un colloque avec des ministres de l’agriculture de pays africains, à l’occasion du Salon international de l’agriculture du Maroc. Tous ces ministres ont déclaré que la forte pression du climat sur la production était une source de préoccupation majeure dans bien des États africains. De ce fait, les échanges et les interfaces sont jugés déterminants. À titre d’exemple, l’Égypte importe de grands volumes de blés. Le reconnaître n’est pas faire offense aux Égyptiens. Nous ne pouvons nous satisfaire d’une analyse laissant entendre que si certains pays ne sont pas en capacité de produire, c’est à cause d’importations excessives.
Il faut aussi tenir compte de l’environnement géopolitique actuel : le continent européen est soumis à de fortes tensions, résultant notamment du conflit russo-ukrainien. Dans ce contexte, la question du périmètre se pose de facto : pour soutenir l’Ukraine, l’Europe a d’abord fait le choix d’importer des volumes massifs de denrées en provenance de ce pays. Elle a ensuite constaté que les impacts sur la dérégulation des marchés et sur les producteurs étaient tels qu’il devenait indispensable d’engager des mesures. Cet exemple montre bien l’importance des effets de périmètre. La définition de la souveraineté alimentaire portée par l’ONU et reprise par La Via Campesina ne résiste pas à la réalité des faits.
Le sujet de la régulation des échanges est central et certains éléments doivent être appréhendés à des échelles plus larges que le seul périmètre national ou local. Pour autant, je ne défends évidemment pas une position néocolonialiste visant une massification extrême de la production. Mais le fait est que certains pays font face à des aléas climatiques très lourds. Sans parler du continent africain, il suffit d’examiner le cas de l’Espagne. Depuis près de deux ans, la production d’huile d’olive y a été divisée par près de deux, pour des raisons d’ordre essentiellement climatique. En France, le département Pyrénées-Orientales connaît depuis deux ans une très faible pluviométrie, trois ou quatre fois inférieure aux quantités habituelles. Pour appréhender cette réalité, il convient de privilégier une vision plus large de la production. La difficulté consiste à trouver la bonne échelle.
En France, nous avons la chance d’avoir des producteurs bien formés, des technologies sophistiquées, une ouverture sur quatre océans, un bassin de consommateurs possédant un certain pouvoir d’achat, une administration fonctionnelle et un faible niveau de corruption. En outre, nous bénéficions de conditions climatiques favorables, qui constituent un avantage compétitif. Il va de soi que nous devons tirer profit de cet avantage, sans pour autant renoncer aux défis environnementaux et climatiques. Soyons conscients que la France est attendue sur ces sujets.
Il est évident que certains pays sont engagés dans une stratégie expansionniste, à commencer par la Russie. Nous devons également composer avec la concurrence des pays sud-américains. Par ailleurs, nous savons que la population du continent africain atteindra bientôt deux milliards et demi d’habitants, ce qui posera des difficultés alimentaires. Comment trouver le bon équilibre dans cette configuration ? La question mérite d’être posée.
Je n’entrerai pas dans le débat de la souveraineté alimentaire française ou européenne. Aujourd’hui, la plupart des politiques publiques agricoles sont européennes. Mais il ne fait aucun doute que le Pacte vert, notamment dans son volet agricole, participait d’une vision décroissante. Quelques mois ont suffi pour que la Commission européenne revienne sur l’ensemble des mesures envisagées.
En tout état de cause, le sujet est posé et devra être traité par la nouvelle Commission, issue des élections de juin. Celle-ci devra prendre position et afficher ses ambitions en matière de souveraineté alimentaire sans renoncer aux enjeux de la décarbonation. Il faudra d’ailleurs répondre à cette question brûlante : qui va payer la décarbonation ? L’industrie agroalimentaire et la grande distribution auront besoin de solutions de décarbonation, mais cela nécessitera des moyens importants que le consommateur ne sera sans doute pas prêt à payer. Cet aspect doit impérativement être pris en compte dans une réflexion sur la souveraineté alimentaire.
Une autre difficulté réside dans la durabilité des modèles. Comment parviendrons-nous à relever les grands défis environnementaux – biodiversité, impacts sur les milieux, préservation de la qualité de l’eau – et sociétaux ?
Nous appartenons tous à des générations qui ont toujours mangé à leur faim. Sans être un prophète de malheur, je constate que notre monde est en proie à de fortes tensions et que le nombre de populations souffrant de la faim est en croissance. Nous ne voulons pas que notre agriculture connaisse d’ici une trentaine d’années la même fin que notre industrie. Si je souligne ce point, c’est parce que l’article 1er de la loi sur la souveraineté alimentaire laisse imaginer la possibilité de déléguer à certains pays européens la production de notre alimentation. Cela reviendrait à abandonner notre outil de production. Or, quand les vaches quittent l’exploitation, quand les vignes sont arrachées ou quand les terres ne sont plus cultivées, nous perdons la capacité de production. C’est ce que nous ne voulons pas.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Le rapport de FranceAgriMer de 2023 sur la souveraineté alimentaire, qui fait autorité, comprend des données qui invitent à nuancer certains discours sur l’état de l’agriculture française. En page 14, un tableau expose les taux d’auto‑approvisionnement sur les principales productions agricoles. Il en ressort que l’agriculture française reste extrêmement performante sur les productions alimentaires fondamentales. Les céréales, les produits laitiers – à l’exception du beurre – et le sucre affichent des taux d’auto-approvisionnement supérieurs à 100 %. En production bovine, le taux avoisine les 100 %. Il s’élève à 81 % pour le poulet. Pour les fruits tempérés et les légumes frais, les taux d’auto-approvisionnement dépassent les 80 %. Je cite volontiers ces données, assez peu partagées dans le débat public, car elles tendent à relativiser certains constats.
J’aimerais connaître votre appréciation des travaux de FranceAgriMer et comprendre pourquoi le débat public omet souvent de rappeler les points forts de notre pays en matière de production agricole. Lorsque nous avons auditionné M. Abis, il a été rappelé que la France a atteint la souveraineté alimentaire dans le blé il y a cinquante ans seulement. Nous avons continué à importer du blé jusque dans les années 1970.
M. Luc Smessaert, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Si nous considérons les chiffres sur un horizon de dix ans, nous observons une accélération de la dégradation au cours des trois dernières années. Or l’agriculture est une machine à moyen et long terme.
La courbe devient donc exponentielle et il faut agir de toute urgence. Vous avez parlé de la volaille et le fait est que nous importons désormais une part significative de cette denrée, notamment sous forme de produits transformés, pour lesquels le consommateur a moins de visibilité.
Comme l’a expliqué Arnaud Rousseau, c’est l’outil de production lui-même qui se trouve en difficulté. En volaille, les bâtiments ont en moyenne entre vingt et vingt-cinq ans d’âge, ce qui induit une perte de compétitivité. Des efforts considérables sont à déployer pour remettre ces installations aux normes, à la fois pour la production d’énergie et pour les impacts environnementaux.
En lait, la France est encore autosuffisante, mais avec la décapitalisation amorcée dans les grands bassins laitiers, en Normandie ou en Bretagne notamment, elle pourrait devenir importatrice dès 2027. Or il est évident que la tendance ne peut se redresser du jour au lendemain. La performance de l’élevage dépend aussi des travaux de la génétique.
Nous pourrions faire le même constat pour les productions végétales. Le plan protéines ne saurait être mené à bien sans développer la recherche et l’innovation.
J’ajoute que notre excellence dans certaines productions et notre capacité à exporter profitent à la production locale et contribuent à préserver la richesse et la diversité de nos filières. Mais lorsque des moyens de production leur sont retirés, les agriculteurs sont contraints d’opérer des choix de simplification.
À l’instar d’Arnaud Rousseau, j’insiste sur le lien entre la souveraineté alimentaire et la capacité à dégager des revenus. Si le nombre d’installations en polyculture-élevage a diminué, c’est bien parce que le métier est difficilement viable et vivable. Les services environnants nécessaires à ces activités sont eux-mêmes en perte de vitesse – je pense par exemple aux vétérinaires. Cette évolution se répercute sur la souveraineté alimentaire, qui est en péril à moyen terme.
Il s’agit donc de replacer les notions de production et de filière au centre du débat tout en engageant un travail sur le renouvellement des générations. Il y va de la durabilité de notre souveraineté.
M. Arnaud Rousseau. Vous avez mentionné les travaux de FranceAgriMer, mais il me paraît important, dans toute analyse sectorielle, d’étudier les tendances plutôt que la photographie à l’instant t. Vous avez raison d’affirmer que la photographie n’est pas aussi sombre que certaines descriptions de la réalité, mais je maintiens que l’attention doit se porter sur les tendances.
Je suis entièrement d’accord avec vous pour considérer que l’agriculture française possède encore de grands atouts. Si nous nous exprimons aujourd’hui devant cette commission et si nous poursuivons nos engagements d’agriculteurs au niveau national, c’est bien parce que nous avons la conviction qu’il est encore possible d’agir et que l’avenir n’est pas désespéré.
Si nous considérons les grandes tendances en jeu, nous ne pouvons ignorer que les forces vives s’amenuisent. Or le fait qu’un secteur attire moins de talents pose problème. Un exemple concret pour illustrer ce point : il reste aujourd’hui moins de 50 000 éleveurs laitiers en France. L’attractivité du secteur laitier dans le renouvellement des générations est un enjeu sociétal majeur. Un jeune peut difficilement se projeter dans ce métier en sachant qu’il lui faudra travailler tous les jours et engager des investissements lourds pour une rentabilité hypothétique. L’équation est pour le moins complexe.
Un autre aspect à prendre en compte est le niveau d’investissement requis dans le secteur agricole. À cet égard, l’âge moyen des bâtiments d’élevage, en dehors des politiques publiques facilitatrices, est éloquent. Dans la filière porcine, qui se porte pourtant bien pour l’instant en termes de prix, le renouvellement des bâtiments et des maternités collectives suscite beaucoup d’interrogations.
Se pose aussi la question des volumes. En viande bovine, près de 10 % des vaches ont disparu. Nous pourrions considérer que la situation reste relativement satisfaisante, mais ce serait une conception erronée. La France consomme environ 1,4 million de tonnes de viande bovine et ce chiffre est stable, contrairement à ce que nous pouvons entendre. En revanche, les importations ont fortement augmenté. La diminution du cheptel de 10 % implique en effet d’importer entre 400 000 et 450 000 tonnes supplémentaires de viande bovine.
Intéressons-nous à la balance commerciale agricole, qui est un indicateur de création de richesse important pour la nation. Je vous invite à examiner la tendance en la matière, qui est très préoccupante. Là encore, nous ne pouvons nous contenter de viser l’autosuffisance, qui peut rapidement basculer dans le déficit.
Je me réjouis que la France reste un pays exportateur en vins et spiritueux, même si la trajectoire s’infléchit. Je pense notamment au cognac, qui est en difficulté. Je rappellerai aussi qu’au cours des quatre dernières années, la France a connu deux plans de distillation des vins.
En matière de recherche et d’investissement dans l’agriculture, la tendance n’est pas non plus favorable.
Sans être pessimiste, je relève plusieurs signaux d’alerte qui nécessitent de prendre le sujet à bras-le-corps. Je l’affirme d’autant plus vigoureusement que notre pays bénéficie d’une chance exceptionnelle, enviée par nombre de ses voisins européens et par bien des pays au monde. Je le répète : le climat tempéré, le niveau de formation des agriculteurs, l’accès à quatre océans, le pouvoir d’achat des consommateurs et le bon fonctionnement de l’administration sont autant d’atouts qui mériteraient d’être mieux exploités.
J’ajoute que, dans un scénario de décarbonation, la capacité à produire est décisive, puisqu’elle influe directement sur le bilan carbone.
Je comprends vos questionnements sur le tableau de FranceAgriMer, mais je vous invite à l’appréhender en considérant les grandes tendances. Si ces données étaient extrapolées à l’année 2024, nous constaterions sans doute une diminution du nombre de vaches laitières et de volume de viande bovine.
Nous importons près de 60 % de notre production en ovins, près de 60 % aussi en fruits et près de 40 % en légumes. En porc, la France est à peu près autosuffisante. En lait, le seuil d’autosuffisance est encore dépassé.
Fort heureusement, nous conservons un certain nombre d’avantages compétitifs.
La FNSEA se préoccupe aussi des filières et de l’activité agroalimentaire. J’ai compris que votre commission allait bientôt recevoir des représentants de la volaille, à savoir LDC, mais aussi le groupe sucrier Tereos. Tous deux vous expliqueront qu’ils font face à des contraintes d’importation élevées.
Si nous prenons le cas de la betterave, les moyens de production alloués aux producteurs imposent une baisse mécanique de la production. Je fais référence à la jaunisse de la betterave, qui a conduit à une restructuration du paysage industriel. Un tel niveau d’incertitude est absolument dramatique pour la confiance à produire. Il est particulièrement élevé cette année. Lorsque les outils industriels sont coopératifs – ce qui signifie qu’ils appartiennent aux producteurs – l’inquiétude est d’autant plus forte. Si la France devait connaître une épidémie de jaunisse majeure cette année, tout porte à croire qu’un grand nombre de producteurs renonceraient à une partie de la production. Ces choix impacteraient la création de richesse et entraîneraient des problèmes dans les territoires. Or il est évident que personne n’est prêt à rouvrir de sucrerie en France.
M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous n’ouvrirons pas de débat sur les chiffres et je ne répondrai pas point par point à vos remarques sur les différentes productions. Je voudrais tout de même apporter quelques nuances à vos propos, à la lumière du rapport de FranceAgriMer.
Cette étude montre clairement qu’entre 2009-2011 et 2019-2021, la production de viande bovine en France a baissé de 6 %. Dans le même temps, la consommation a diminué de 7 %. Je vous accorde que cette comparaison ne tient pas compte des trois dernières années. La consommation a visiblement connu une légère reprise en 2021, mais la tendance est bien orientée à la baisse depuis une dizaine d’années.
Quant à la baisse de la production de viande ovine, elle remonte aux années 1990. Les représentants de cette filière nous ont expliqué le travail entrepris pour relancer la production. Nous observons certes une légère baisse de la production de viande ovine depuis une dizaine d’années, mais elle s’explique par un effondrement de la consommation. D’ailleurs, je ne retrouve pas les 60 % d’importations en viande ovine que vous avez cités. La part des importations est en baisse, puisqu’elle est passée de 60 % en 2009-2011 à 53 % aujourd’hui. Notre dépendance aux importations reste très forte, mais elle connaît une baisse tendancielle.
Par ailleurs, la photographie met en évidence une hausse de la production de sucre en France. Sur d’autres productions comme l’orge, les résultats sont stables.
Avant de céder la parole au rapporteur, je voudrais aborder la question de la grande distribution, qui n’a pas encore été soulevée. Dans mes échanges fréquents avec les agriculteurs, qui sont plutôt affiliés à votre syndicat majoritaire, ce sujet émerge rapidement. La grande distribution est souvent pointée du doigt, tant pour les difficultés à négocier avec elle que pour ses pratiques commerciales extrêmement agressives. Partagez-vous le ressenti des agriculteurs français sur ce point ? Estimez-vous que la grande distribution participe du malaise agricole ? Je précise que nous auditionnerons prochainement les patrons de la grande distribution.
M. Arnaud Rousseau. Je n’ai pas abordé ce sujet parce que je considère que, dans le débat de la souveraineté alimentaire, la distribution contribue à la création de valeur, au même titre que l’industrie agroalimentaire. La grande distribution représente 45 % de l’alimentation des Français. En tout état de cause, la restructuration des acteurs de la grande distribution au cours des derniers mois ne change rien au problème de la souveraineté.
C’est bien la création de valeur et de richesse qui change la donne. À cet égard, la FNSEA a toujours eu une position claire. Nous avons défendu les lois Egalim, qui concernent essentiellement les productions d’élevage. Les productions végétales ne sont pas couvertes par ces lois, même si la filière sucrière a évolué dans sa position et si la filière vinicole réfléchit à intégrer ce cadre.
Notre attention se concentre sur les coûts de production et sur la préservation de la valeur. Depuis notre élection, nous avons évité de céder au réflexe consistant à rejeter la responsabilité sur la grande distribution ou l’industrie agroalimentaire. Cette attitude ne nous paraît pas constructive. De notre point de vue, l’essentiel consiste à continuer à produire en France, en s’assurant que les produits soient vendus au juste prix dans les grandes surfaces françaises, à des coûts abordables pour le consommateur.
D’un autre côté, il nous est difficile d’accepter que les enseignes de grande distribution commercialisent des produits alimentaires moins chers, produits hors du territoire national, peu respectueux de nos coûts de production et très peu vérifiés – 3 % seulement des denrées agroalimentaires sont contrôlées en Europe. Nous demandons que les coûts de production interprofessionnels soient respectés et corrélés au marché, avec une majoration pour la marge.
Avant l’instauration des lois Egalim, nous observions des phénomènes de déflation dans l’agriculture, ce qui n’est pas supportable. Personne n’imaginerait diriger une entreprise en réduisant ses prix d’année en année alors que les charges et les salaires augmentent.
Nous avons demandé de pouvoir contrôler la bonne application de la loi. En tant que parlementaires, il vous appartient de contrôler que la loi votée par vous-mêmes ou par vos prédécesseurs est effectivement appliquée. À notre sens, cet aspect est essentiel. Jusqu’à présent, il y avait très peu de contrôles, sinon aucun.
Le mouvement agricole a eu la vertu d’obtenir qu’un certain nombre de contrôles soient diligentés et que les contrevenants soient identifiés. Le ministre de l’économie Bruno Le Maire a évoqué des amendes potentielles de plusieurs dizaines de millions d’euros, qui restent à confirmer.
S’agissant de la déportation des négociations commerciales au niveau européen, notre position est claire. Pour commencer, nous insistons sur la valeur de nos produits. Il faut cesser de considérer que l’alimentation doit se vendre à bas prix. Nous considérons que tous les acteurs, dont l’agroalimentaire et la grande distribution, doivent nous aider à valoriser notre savoir-faire et la qualité française, l’une des plus exigeantes de la planète. Cette qualité a un coût.
Il s’agit aussi de construire le prix « en marche avant », pour protéger le coût de revient tout en garantissant une marge. Il peut ensuite y avoir des négociations dans un cadre de concurrence.
Entre 80 et 90 % des Français font leurs courses dans les enseignes de la grande distribution. Ils se démarquent ainsi de leurs voisins italiens, qui sont plus attachés au commerce de proximité. De ce fait, les acteurs de la grande distribution sont les interlocuteurs naturels des agriculteurs. La question consiste à trouver un accord équilibré sur les prix et il n’est évidemment pas acceptable que l’agriculteur soit forcé de se contenter de tarifs dérisoires imposés par la grande distribution et l’industrie agroalimentaire.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Depuis le début de nos travaux, nous avons un débat avec M. le président sur le tableau de FranceAgriMer. Son interprétation de ce document reviendrait à remettre en question l’intérêt et l’opportunité de cette commission d’enquête consacrée aux raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la France.
Je voudrais réaffirmer ce que j’ai été amené à expliquer à plusieurs reprises et je ne me lasserai pas de cet effort de pédagogie. La première colonne du tableau de FranceAgriMer, qui porte sur le rapport entre la production et la consommation, omet certains détails importants.
En premier lieu, il faut savoir qu’en pomme de terre ou en blé dur, notre capacité de transformation n’est pas suffisante par rapport à nos besoins. De ce fait, une partie de notre production est exportée pour être réimportée après transformation. Or le tableau ne permet pas de distinguer les volumes adaptés à la consommation française des volumes restants. À titre d’exemple, certains morceaux de volaille ne sont pas consommés par les Français, mais exportés dans d’autres pays. Cette production n’est donc pas parfaitement adaptée à la consommation française.
Pour ce qui est de la viande porcine, elle présente en effet un taux d’auto‑approvisionnement de 103 %, d’après le rapport de FranceAgriMer. Mais si nous importons 26 % de la production de porc, c’est bien parce que nous avons besoin de couvrir les besoins des Français sur les parties consommées majoritairement, à savoir le jambon. À l’inverse, les 23 % exportés correspondent aux parties peu consommées par les Français. D’après le président d’Inaporc, il faudrait viser un taux d’auto-approvisionnement de 125 % pour atteindre une certaine forme de souveraineté sur cette production.
Comme vous nous l’avez rappelé, un grand nombre de filières agricoles souffrent de capacités de production insuffisantes pour satisfaire la consommation nationale.
Je voudrais revenir sur la définition de la notion de souveraineté alimentaire, qui est débattue actuellement à la commission des affaires économiques. Je retiens de vos propos que la définition du monde agricole est finalement moins productiviste que celle de La Via Campesina, ce qui est surprenant.
En 1996, cette association présentait la souveraineté alimentaire comme « le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité de produire son alimentation de base, en respectant la diversité culturelle agricole ». Vous avez insisté sur la nécessité pour chaque pays de produire soi-même, si possible, son alimentation. C’est peut-être l’élément manquant dans la définition de La Via Campesina.
Aujourd’hui, nous sommes forcés de constater les limites de la marchandisation de l’agriculture : ce modèle ne se retourne-t-il pas contre nous ?
M. Arnaud Rousseau. Les États sont souverains et n’ont pas besoin de demander à l’État ou à l’Assemblée nationale française ce qu’ils doivent produire sur leur territoire. Il existe des réalités de terrain, des réalités climatiques et des réalités d’organisation qui influent sur les capacités de production. Sur le continent africain, l’absence de filières nuit aux capacités de transformation et de stockage.
Je voudrais réaffirmer que la France fait partie d’une douzaine de pays qui sont en capacité d’intervenir au-delà de leur propre production. Il me semble regrettable que nous ne réfléchissions pas davantage à la situation dans notre périmètre immédiat. Cela me paraît d’autant plus essentiel que les migrations sont fortement liées aux problématiques alimentaires. D’ailleurs, les premières victimes de ces problèmes sont, bien souvent, des travailleurs agricoles.
De mon point de vue, cette commission a vocation à porter un questionnement politique d’envergure plutôt qu’à se focaliser sur un tableau d’analyse ou sur telle définition de la souveraineté alimentaire. Ce qui nous intéresse, c’est la vision sur la capacité à produire, le périmètre pris en compte et les filières. La filière est une chaîne allant du producteur au consommateur final.
J’ajoute qu’un nouveau paramètre vient compliquer la donne, le changement climatique, qui engendrera de nouvelles tensions sur l’alimentation. Les pays en capacité de produire seront de plus en plus sollicités pour venir en aide à ceux qui ne possèdent pas cette capacité, pour de multiples raisons – climatiques, politiques, etc. Pourtant, de nombreux pays sont demandeurs d’investissements de grandes entreprises européennes, de recherche et de développement. Dans ce domaine, la France détient des atouts de poids et peut s’appuyer sur des acteurs de pointe comme le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) ou encore l’Agence française de développement (AFD).
J’ignore si cette vision mondialiste des échanges agricoles est un défaut, mais il va de soi que les personnes touchées par la faim chercheront à se nourrir et que les cartes vont se redistribuer. Un certain nombre de pays ont fait le choix politique d’investir massivement pour développer leur production agricole. Je rappelle qu’en 2014, avant d’envahir la Crimée, la Russie importait du blé. Son choix stratégique lui a permis non seulement de couvrir ses besoins de consommation, mais aussi de développer des capacités d’exportation massive lui permettant d’exercer son influence sur le continent africain, en profitant d’un accès à la mer Noire. Force est de constater que l’enjeu dépasse la seule question de l’alimentation.
Je ne m’aventurerai pas sur la question du périmètre, mais j’observe que nombre de pays demandent au monde agricole français de leur venir en aide sur le partage de connaissances. Le Maroc a développé un programme baptisé « Génération Green ». Dans ce cadre, il sollicite l’expertise de la France et d’autres pays pour renforcer ses productions déficitaires, notamment les oléagineux, afin de réduire ses importations. Tous les pays réfléchissent aux actions à mener et sont soucieux de pouvoir nourrir leur population. La Tunisie, par exemple, n’a pas pu acheter un bateau de blé sans le soutien du FMI. Souvenons-nous que les émeutes de la faim de 2010 ont renversé des régimes politiques très solides dans ce pays.
Nous devons prendre en compte les enjeux géopolitiques entourant la question alimentaire, qui dépasse le strict cadre national.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Quel regard portez-vous sur le tournant de la PAC de 1992, sur les dérégulations successives, sur la suppression de certains quotas de production et sur le découplage des aides au début des années 2000 ? Nous avons compris votre position sur le verdissement et il me paraît inutile d’y revenir.
M. Arnaud Rousseau. Les agriculteurs européens ont besoin de politiques publiques accompagnant la production, comme c’est le cas dans tous les blocs mondiaux. Les Américains, les Russes, les Chinois et les Indiens soutiennent leur système agricole. Renoncer à ces politiques publiques reviendrait à nous mettre en danger à très court terme.
Nous avons toujours eu à cœur de défendre la vision la plus commune des politiques publiques. Mais force est de constater que la PAC est de moins en moins commune et la comparaison entre les choix politiques des différents États membres est très complexe.
Lors de la conclusion de la dernière PAC, le ministre de l’agriculture, M. Denormandie, avait affirmé l’engagement de la Commission européenne et des chefs d’État et de gouvernement de maintenir un contrôle garantissant une certaine cohérence politique. Or ce contrôle n’a jamais eu lieu. Les plans stratégiques nationaux (PSN) ont été livrés au fil de l’eau, avec des retards dus à des échéances électorales.
Il existe aujourd’hui autant de politiques que de pays membres de l’Union et la situation est de moins en moins compréhensible pour le consommateur européen. Notre préoccupation est de maintenir un système à même de servir la production. Le volet environnemental n’évoluera pas – soyons lucides sur ce point –, mais il doit faire sens et ne pas porter atteinte à la production. Il faut aussi éviter des distorsions de concurrence entre les États membres.
Un dialogue stratégique avec les États membres a été ouvert par la présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, en vue de préparer l’étape suivante. Au terme de ce mandat, nous sommes forcés de faire un constat d’échec. La plupart des pays européens, et les agriculteurs en particulier, estiment que l’organisation mise en place n’est ni lisible ni viable. La Commission a donc dû manœuvrer dans des délais très courts pour remettre le sujet à plat. Cette intervention a créé beaucoup de frustrations, quelles que soient les obédiences politiques.
J’ajoute que le commissaire européen à l’agriculture avait très peu de poids et que ses interactions avec le collège des commissaires étaient restreintes. Comment expliquer un tel délitement sur la question agricole, lorsqu’on sait que le budget alloué à l’agriculture représente 28 % environ du budget total de l’Union européenne ? La présidente de la Commission européenne a prononcé trois discours sur l’état de l’Union sans parler une seule fois d’agriculture, ce qui est tout simplement incompréhensible.
Pourtant, la PAC est une des dernières colonnes vertébrales de l’Union européenne. Comment porter une vision commune et partagée malgré les écarts considérables entre les agriculteurs des différents États membres ? Si les faits générateurs des revendications varient d’un pays à l’autre, il y a bien une incompréhension commune sur la trajectoire, et surtout sur la vision décroissante. C’est dire si nous suivrons avec la plus grande attention les élections de juin. Nous voulons réaffirmer l’importance de l’agriculture et la nécessité d’une action collective pour ne pas céder les clés de notre souveraineté alimentaire à des pays tiers. Les difficultés que nous avons connues sur l’énergie devraient être perçues comme un signal d’alarme à prendre au sérieux.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Permettez-moi d’insister : je tiens à connaître votre analyse du tournant de 1992 et des dérégulations successives de la PAC.
J’ai bien noté votre attachement à la dimension européenne. Mais nous observons que, dans la balance agricole, les pays tiers nous posent peu de difficultés : la concurrence se joue surtout à l’intérieur du marché unique. Nous nous trouvons au milieu du gué et nous devons opérer des choix. Si nous conservons le modèle du marché unique, nous devrons du même coup accepter l’élargissement à des pays dont les normes sociales sont très éloignées des autres.
Mme Christiane Lambert, que notre commission d’enquête a auditionnée il y a une quinzaine de jours, prônait un relèvement du niveau social des pays européens. Ce chantier semble difficile.
M. Arnaud Rousseau. Je constate que l’harmonisation entre pays européens n’existe pas encore. Ainsi, en production porcine, les écarts de normes et de contraintes environnementales entre un élevage espagnol et un élevage breton sont considérables. Il est évident qu’un certain nombre d’États membres ont tiré profit de ces écarts compétitifs dans différents domaines.
Si nous prenons l’exemple du vin, les mesures déployées par la France depuis cinq ans pour soutenir sa production viticole suscitent des interrogations chez nos voisins espagnols ou italiens. Ces derniers considèrent que notre production nationale a été avantagée.
En réalité, nous faisons partie d’un marché unique sans harmonisation fiscale, sociale ou environnementale. Vous avez raison de rappeler que la compétition se déroule essentiellement au niveau intracommunautaire, d’où la nécessité de redonner à la PAC une dimension commune. Il faut d’ailleurs reconnaître que le manque de règles communes est parfois la conséquence d’une demande du monde agricole, qui réclamait des ajustements adaptés à ses spécificités.
En tout état de cause, pour que ce cadre soit durable et compris, y compris des consommateurs, nous devons redéfinir une ligne politique claire. Dans cette perspective, la dimension commune me paraît indispensable.
Pour autant, nous ne pouvons pas nous opposer au choix d’un État membre qui déciderait d’affranchir une production de toute contrainte environnementale. Dans la prochaine PAC, nous entendons réaffirmer l’importance de la production et demander des critères raisonnables sur l’environnement, pour ne pas nous exposer de manière inconsidérée. Nous plaiderons aussi pour l’instauration d’objectifs communs.
En matière de décarbonation, la France et l’Allemagne ont une approche radicalement différente. Il nous semble important, avant même d’assigner des objectifs au secteur agricole français, de trouver un accord entre pays européens. Nous souhaiterions que ces sujets soient abordés dans la PAC. Par exemple, les Français ont créé un label bas carbone qui est encore peu reconnu à Bruxelles.
Les objectifs stratégiques, les conditions d’application et l’instauration de dispositions aussi communes que possible sont pour nous essentiels. Il appartiendra au Parlement, à la Commission et au Conseil européens de se prononcer sur ce point. Nous souhaitons que le nouveau commissaire européen à l’agriculture ait un statut de vice-président et puisse peser davantage dans le collège des commissaires. Il faut aussi que les chefs d’État et de gouvernement réaffirment leur volonté de déployer des actions communes, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. J’ai lu votre récent communiqué, suite aux annonces du Gouvernement sur l’agriculture. Si j’ai bien compris votre propos, vous prenez acte du fait que les réponses sont à la hauteur des attentes de la mobilisation agricole de janvier et février et vous avez entrepris un travail pour mettre ces annonces en application.
En ce qui concerne la concurrence étrangère déloyale, nous constatons que le Gouvernement a voté deux traités de libre-échange avec le Kenya et le Chili, en période de mobilisation agricole. En outre, il a refusé de revenir sur de nombreuses surtranspositions qui nuisent pourtant à la compétitivité de la France par rapport au marché unique et alourdissent les coûts de l’alimentation. Je pense notamment à l’interdiction de l’acétamipride, mais aussi au plan Écophyto, qui maintient l’objectif de réduction de 50 % des produits phytosanitaires d’ici à 2030. Ces surtranspositions ont des effets notables.
Par ailleurs, j’observe que le projet de loi d’orientation agricole peine à donner une définition claire de la souveraineté alimentaire, ce qui pose problème.
Enfin, en ce qui concerne la rémunération, nous avons du mal à comprendre la conception des prix planchers dans l’esprit du Gouvernement.
Dès l’instant où tous ces sujets sont restés sans réponse – le Gouvernement est même allé jusqu’à instaurer des barrières infranchissables, notamment sur les néonicotinoïdes –, comment justifier auprès des agriculteurs qui se sont mobilisés ce renoncement à une part importante de leurs revendications ?
M. Arnaud Rousseau. Dans notre communiqué de samedi, nous n’avons pas déclaré que nous étions satisfaits. Nous avons indiqué que nous n’avions pas obtenu tout ce que nous souhaitions. Il n’en reste pas moins que toute négociation a un début et une fin. Nous aurions aimé que cette fin survienne plus tôt, au moment du Salon de l’agriculture, mais cela n’a pas été possible pour les raisons que vous connaissez.
Après une phase sur le terrain et une phase de travail, le temps est venu d’ouvrir une troisième étape. Je considère que le rôle d’un corps intermédiaire comme la FNSEA est d’assurer l’interface entre les pouvoirs publics et le monde agricole.
Sur le plan législatif, il revient aux parlementaires d’agir pour faire évoluer ou non les dispositions existantes. Sur le plan réglementaire, nous attendons un certain nombre de décisions rapides.
Les agriculteurs se méfient de la parole politique, considérant qu’ils ont été bercés de fausses promesses pendant de nombreuses années. Par conséquent, les annonces du Premier ministre et du Président de la République devront se concrétiser.
Nous avons déclaré qu'il était mis fin à cette deuxième phase, bien que toutes nos demandes ne soient pas prises en compte. Il nous est apparu impensable de négocier avec le Gouvernement pendant que les parlementaires préparaient la loi.
Certaines actions comme l’exonération supplémentaire de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) vont dans le bon sens. Nous assumons sans détour avoir négocié ces mesures. Il reste à savoir si elles vont être mises en œuvre de manière concrète.
J’en viens à la loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole. J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer que certains aspects nous semblent incomplets. Toutes les mesures relatives à l’installation et la transmission sont importantes. Comme je l’ai précisé, la notion de souveraineté alimentaire doit être redéfinie et élargie. Nous déplorons également que rien ne soit prévu pour améliorer la compétitivité et les moyens de production. Il nous a été annoncé que ce sujet serait traité ultérieurement et que les questions de compétitivité et de fiscalité seraient prises en compte dans le projet de loi de finances.
Je ne maîtrise pas le calendrier parlementaire mais j’affirme que si les annonces du Président de la République, complétées par le Premier ministre, ne devaient pas se traduire par des faits concrets sur le terrain, les agriculteurs en tireraient les conclusions qui s’imposent. Une fois de plus, ils se sentiraient bernés. Il me paraît prématuré d’anticiper ce dénouement avant la fin de l’épisode. Je me contente d’assumer mon rôle d’interface, qui est celui d’un corps intermédiaire. Le moment venu, nous analyserons la situation.
Nous avons demandé à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale de disposer de l’intégralité des textes pour bénéficier d’une vision d’ensemble. Les parlementaires s’attelleront ensuite à leurs travaux.
Nous avons déposé plusieurs propositions d’amendement et nous avons ce matin la désagréable surprise d’apprendre que plus de la moitié d’entre eux n’ont pas été retenus. Si cette loi devait être la montagne qui accouche d’une souris, nous le dirions sans ambages. Pour l’instant, nous laissons les parlementaires puis les sénateurs faire leur travail.
Ni défiants ni complaisants, nous sommes des agriculteurs engagés et responsables. Nous savons quel est l’état de la nation et de ses finances. Dans le contexte actuel, certains acteurs font de la surenchère. J’ignore ce que les autres syndicats ont négocié avec le Gouvernement mais je sais quelles ont été nos actions, et je les assume.
Soyez convaincus qu’au terme de ce travail, nous n’hésiterons pas à prendre la parole si nous jugeons les résultats insuffisants. Je tiens à faire prévaloir l’esprit de responsabilité quel que soit le gouvernement en place. Nous avons pris la responsabilité de poursuivre le mouvement sur le terrain malgré les annonces du Premier ministre en Haute-Garonne. Nous avons aussi pris la responsabilité de suspendre le mouvement pour ne pas bloquer indéfiniment le pays. Je rappelle qu’aucun gendarme ou policier n’a été blessé et que nous avons pu compter sur le soutien de l’opinion publique.
Toutes nos exigences n’ont pas été satisfaites, mais il en est ainsi de toute négociation. Si besoin, nous ferons à nouveau entendre notre voix. Il s’agit désormais de concrétiser les mesures annoncées. Je vous renverrai donc votre question, monsieur le rapporteur : quelles dispositions seront entérinées par les deux assemblées pour permettre au monde agricole de se projeter dans l’avenir ? Le fait est que, pour l’instant, le monde agricole est en proie au doute.
M. Jean-René Cazeneuve (RE). Il existe de nombreux produits pour lesquels la France est à la fois importatrice et exportatrice. Je pense en particulier au cas du soja. Au passage, je m’interroge sur les modalités de calcul du taux d’auto-approvisionnement.
D’après vous, est-il normal que certaines productions soient localisées en dehors de nos frontières, ou bien considérez-vous qu’il s’agit d’un dysfonctionnement ? Dans ce cas, comment espérer réduire l’écart entre les exportations et les importations pour accroître la part des volumes produits sur notre territoire et alimentant le marché français ?
M. Arnaud Rousseau. Notre continent est très déficitaire en production de protéines consommables, au sens large. Nous importons donc une large partie de ces protéines. Les plans de filière réalisés en 2017 et 2018 se fixaient pour objectif de réduire de près de 10 % la dépendance de la France aux importations de protéines. Notre situation est légèrement meilleure que celle de nos collègues européens.
La réalité est la suivante : en dépit des efforts consentis et des plans protéines successifs, nous restons très largement importateurs de protéines – alors même que notre cheptel a tendance à se réduire. Nous serions dans l’incapacité de nous passer de soja, à moins de réduire drastiquement notre production. Il convient donc de réfléchir à des solutions permettant de réduire notre dépendance, par exemple en utilisant des plantes qui ne nécessitent pas d’engrais minéraux et présentent des intérêts agronomiques avérés. Cependant, en pois protéagineux comme en féverole ou en lupin, nous nous heurtons à des impasses techniques et à l’absence d’équilibre économique dans ces productions. C’est bien ce défi qu’il faut relever, en s’appuyant sur la recherche et l’innovation.
Nous sommes bien conscients que des améliorations sont possibles dans chaque filière. Ces plans de filière sont disponibles. Ils ont été élaborés par les filières dans le cadre de la première loi Egalim. Nous continuons à y travailler. L’État consent des investissements importants pour accompagner les filières et parvenir à trouver des solutions. Une enveloppe de près de 5 millions d’euros va être mobilisée pour créer de nouvelles semences à même de répondre aux ambitions du plan protéines. Puisqu’il est question de recherche et développement, je rappelle que les nouvelles techniques de sélection génomique pourraient nous aider à atteindre plus rapidement cet objectif.
M. Jean-René Cazeneuve (RE). Le système agricole est historiquement basé sur la spécialisation des territoires, en fonction de leurs caractéristiques climatiques et pédologiques. Cette approche est cohérente et permet de vendre une multitude de productions à des prix accessibles. Pour renforcer notre souveraineté alimentaire et notre taux d’auto‑approvisionnement, il faudrait détourner une partie des surfaces utilisées pour l’exportation et les consacrer à notre propre consommation. Pensez-vous qu’il soit possible de déplacer encore le curseur en réinternalisant une partie des productions pour notre propre marché, au détriment de nos exportations ? Ou bien estimez-vous que nous avons atteint un point d’équilibre pertinent ?
M. Arnaud Rousseau. La spécialisation a ses limites, notamment pour les terres à faible potentiel qui étaient historiquement dédiées à l’élevage mais avaient fait le choix, il y a une dizaine d’années, de s’orienter vers les grandes cultures. Nous constatons que les effets du réchauffement climatique dans ces terres à faible potentiel sont bien supérieurs au modèle économique. Encore une fois, notre intérêt consiste à trouver les moyens de créer de la valeur et de développer des filières.
Le changement climatique va amener un certain nombre de territoires à s’interroger sur la nature de leurs productions. Nous avons par exemple été à l’initiative d’un grand plan pour l’agriculture méditerranéenne. Alors que les impacts climatiques sont catastrophiques pour les productions viticoles de certains territoires, il pourrait être intéressant de développer des plantations d’oliviers sur notre sol, car la France est très déficitaire en huile d’olive : elle en produit près de 6 000 tonnes par an, tandis que l’Espagne en produit 1,5 million de tonnes. La production d’huile d’olive pourrait être un relais de croissance, mais cela nécessiterait la mise en place de filières avec des modèles économiques robustes et des capacités de transformation. D’autres producteurs envisagent de cultiver l’amande, mais cette espèce est plus consommatrice en eau que l’olivier.
Nous observons aussi des évolutions dans les zones d’implantation de certaines productions. Ainsi, le tournesol est désormais bien présent au nord de la Loire, ce qui n’était pas le cas il y a une dizaine d’années. Cette espèce présente en effet de multiples avantages : elle s’implante à une période de l’année plutôt propice, consomme peu d’eau et répond aux marchés de production d’huile ou de tourteaux.
Il est certain que nous allons connaître des changements de modèle et la spécialisation n’est pas une fin en soi. Néanmoins, il existe des écosystèmes. Dans le Sud-Ouest, l’élévation des températures impacte la production de lait. Depuis une quinzaine d’années, l’élevage laitier est en repli dans cette région.
M. Luc Smessaert. À mon sens, il faut surtout réfléchir aux actions à mener pour soutenir les productions en perte. Nous continuons certes à manger des cerises, mais nous ne sommes plus capables de les produire en raison des interdictions nationales. La même préoccupation se pose aujourd’hui pour l’endive.
Lorsque l’élevage aura disparu de certaines zones difficiles, nous mesurerons tous les bénéfices qu’il a apportés. Nous avons donc tout intérêt à soutenir les filières qui fonctionnent et à enrayer la décroissance amorcée dans de nombreuses filières. Pour parvenir à rester compétitifs, nous devons aussi préserver nos compétences. Les consommateurs ont bien compris que la production agricole est le fruit du travail d’hommes et de femmes et qu’elle reflète un profond respect pour l’environnement. Il faut cultiver cet aspect.
M. Jean-René Cazeneuve (RE). Dans votre définition de la souveraineté, monsieur le président, vous avez mis sur le même plan la production et l’échange. Je suis entièrement d’accord avec cette vision. Vous avez pris l’exemple du Brésil, un pays avec lequel nous n’avons pas d’accord mais dont nous dépendons largement pour certaines importations. D’après vous, est-il préférable de conclure un accord avec d’autres pays pour réguler les échanges plutôt que de se passer d’accord ?
M. Arnaud Rousseau. Nous avons très clairement exprimé notre point de vue sur ce sujet : à nos yeux, l’essentiel est la réciprocité. Le CETA était plutôt favorable à l’exportation agricole mais entrait en contradiction avec la doctrine de la Commission. Il n’est pas acceptable d’être assaillis de règles et de contraintes par la commission agriculture ou la commission environnement du Parlement européen, tandis que la commission commerce est prête à négocier avec un pays autorisant l’utilisation de farines animales pour l’élevage. La France a besoin de maintenir des relations avec de nombreux grands pays, dont le Canada. Je précise que notre intervention ne visait d’ailleurs absolument pas le Canada, mais l’aspect contradictoire des politiques portées par la Commission européenne.
Pour vous répondre, je suis d’avis que l’absence d’accord vaut mieux qu’un mauvais accord. Il faut une cohérence politique. D’ailleurs, nous avons bien prévu d’aborder la question de la réciprocité dans le cadre des élections européennes. Chacun peut comprendre cette exigence, mais elle n’est pas respectée dans les faits et c’est ce que nous dénonçons.
M. Nicolas Forissier (LR). Vous avez souligné qu’il faut raisonner en examinant les tendances plutôt que l’état de la situation à un instant donné. Vous avez mis en avant les incertitudes liées au changement climatique et vous avez insisté sur la nécessité d’élargir le périmètre. Le commerce a toujours existé et il est nécessaire. Le commerce des biens et des services en matière agricole représente un atout pour la France.
À l’aune de ces considérations, la souveraineté alimentaire ne pourrait-elle pas être définie comme l’excédent commercial agricole en biens transformés ou en biens bruts ?
M. Arnaud Rousseau. C’est un élément de la réponse, mais j’ignore s’il faut le compléter par d’autres critères. La FNSEA est régulièrement taxée d’être un syndicat productiviste, ce qui n’est pas le cas au regard de la réalité de la production en France. L’excédent commercial est un indicateur important pour l’agriculture, et plus largement pour la nation. Nous disposons d’un atout dans notre manche et toute la question est de savoir comment l’utiliser.
Je constate que bon nombre de questions portent sur l’autoconsommation et l’autoproduction. Mais je répète que nous avons une responsabilité à l’échelle de la planète envers les nombreux pays qui ne savent pas produire leur alimentation. Je ne privilégie évidemment pas une vision néocolonialiste ou impérialiste de la question alimentaire, mais ne soyons pas naïfs. Nos compétiteurs, la Russie en tête, étendent leur influence en Afrique en usant de l’arme alimentaire. Personne n’est dupe quant aux contreparties exigées en échange des bateaux de vivres gratuits.
De mon point de vue, l’Europe se montre particulièrement naïve. Certes, la durabilité économique, environnementale et sociétale est nécessaire. Dans le même temps, nous devons être conscients que l’alimentation est une arme et un atout. Ce fait a été largement oublié : dans les grands pays industrialisés, l’alimentation est perçue comme une commodité. Mais comme je l’ai indiqué, la donne change. La malnutrition s’accentue et le réchauffement climatique entraîne des à-coups sur les marchés. Il y a trois ans, l’huile d’olive valait 2 500 euros la tonne. Son prix a flambé, atteignant aujourd’hui 9 000 euros la tonne. Ce renchérissement crée des tensions sur les marchés. Quant au blé, son prix a bondi au début du conflit en Ukraine à 400 euros la tonne. Aucun trader en Europe n’aurait imaginé une telle explosion.
Nous sommes les témoins de phénomènes qu’aucune génération avant nous n’a vécus. Nous pouvons les considérer comme de simples à-coups, ou bien nous préparer à un contexte plus incertain et nous donner les conditions de la réussite. Il sera toujours plus facile de lever le pied que de courir pour rattraper la perte de compétitivité.
M. Nicolas Forissier (LR). Je partage votre perception. Si j’affirme que le solde positif de la balance des biens agricoles bruts et transformés n’est pas la meilleure mesure de la souveraineté alimentaire, c’est bien parce que nous avons besoin d’échanger et d’exporter ce que nous ne consommons pas.
Je suis frappé de constater que tous les débats sur la souveraineté alimentaire ne tiennent pas compte d’une perspective inéluctable, annoncée par tous les démographes : d’ici aux années 2050, la planète devra nourrir deux milliards d’individus supplémentaires. De surcroît, l’évolution n’est pas seulement quantitative, elle est aussi qualitative. Les consommateurs des pays émergents, dont les habitudes de consommation se rapprochent des nôtres, auront besoin de biens transformés, contrôlés et respectant des normes sanitaires. Pour couvrir ce besoin, il faudra produire bien plus que deux milliards de rations journalières.
Il me semble que la croissance exponentielle de la demande alimentaire n’est pas assez présente dans le débat, comme nous l’avons dit lors du Salon de l’agriculture. Notre souveraineté alimentaire repose sur notre capacité à ériger le secteur agricole et agroalimentaire français en priorité absolue et en axe stratégique. Nous possédons le savoir-faire, la technicité et les compétences de recherche nécessaires pour y parvenir. Notre capacité à nourrir les deux milliards d’habitants supplémentaires prévaut sur la réponse au défi climatique. Envisagez-vous de faire évoluer votre discours pour intégrer cet aspect ? N’y a-t-il pas là une opportunité pour écrire un vrai projet en faveur du monde agricole ?
M. Arnaud Rousseau. Je n’ai pas l’impression que cette question ait été éludée de notre discours. Nous avons toujours affirmé que le marché intérieur était une priorité, ce qui n’exclut pas la coprésence de modèles très différents : certaines fermes peuvent être centrées sur la proximité, le local et l’agriculture biologique – laquelle connaît de graves difficultés en ce moment –, tandis que d’autres sont plutôt tournées vers des marchés nationaux ou internationaux.
En porc, les Français ne consomment pas de museau ou d’oreille. Il faut donc trouver des marchés pour parvenir à exporter ces produits. La France exporte bien évidemment des vins et spiritueux, du blé, ou encore des produits laitiers transformés. En viande bovine même, une partie de nos broutards partent en Italie. Les pays africains sont demandeurs d’expertise génétique en élevage. Nous aurons dans tous les cas besoin de continuer à commercer.
M. Cazeneuve a évoqué le cas des pommes de terre produites en France et transformées en Belgique avant de revenir sur notre territoire.
Nous nous efforçons de tenir un discours cohérent en tenant compte du caractère pluriel de l’agriculture, sans chercher à la réduire à un modèle unique.
En volaille, la grippe aviaire nous a fait perdre des marchés, y compris en France. Or il est très difficile de reconquérir un marché perdu. Nous devons donc veiller à conserver nos positions, en nous gardant de toute naïveté car certains combats sont très rudes. Je prendrai l’exemple d’une usine implantée à Amiens qui est la dernière entreprise française et européenne à fabriquer des acides aminés pour l’élevage. Elle fait face à la concurrence d’entreprises chinoises. Si nous perdons cette capacité de production sur notre sol, nous deviendrons entièrement dépendants des entreprises chinoises, qui pourront ainsi nous imposer leurs prix.
La même question se pose pour les engrais et pour nombre d’autres productions. À l’avenir, il nous faudra utiliser des engrais décarbonés. Voulons-nous les produire en France ou dépendre des importations ? Ces sujets nécessitent des réflexions stratégiques pour développer nos points forts tout en réduisant nos faiblesses.
Nous continuons à porter ce récit, qui correspond à la réalité des marchés. Nous devons veiller à rester des acteurs prépondérants sur les marchés, sous peine d’être devancés par nos concurrents et de subir leurs décisions. Un tel scénario serait regrettable, car je suis convaincu que nous possédons les atouts pour réussir.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NUPES). J’ai entendu de nombreuses réponses, mais aussi beaucoup de non-dits qui ont été compris par tous les membres de cette commission.
Je suis député de Paris. Les anciens ont gardé le souvenir de la ceinture maraîchère parisienne, qui permettait de couvrir une partie des besoins. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Des champs cultivés en zone urbaine vont disparaître au profit de politiques gouvernementales destinées à renforcer l’urbanisation. L’impératif du logement entre en conflit avec les besoins de production alimentaire. Quelle vision la FNSEA a-t-elle du processus d’artificialisation des terres, qui met en concurrence les besoins des Françaises et des Français ? Je pense aussi à l’implantation d’une usine de production de batteries électriques dans la zone de Dunkerque, qui implique la récupération de terres utilisées jusqu’alors pour la production alimentaire. Comment voyez-vous cette mise en concurrence entre les différents usages des terres, sachant que les surfaces agricoles sont indispensables pour continuer à produire de manière qualitative et répondre à nos besoins ? Il nous faut aussi continuer les échanges avec les pays avec lesquels nous sommes en parfaite entente commerciale et alimentaire.
Quel regard portez-vous sur le recul des normes environnementales ? S’agit-il d’un atout ou bien d’un obstacle à plus long terme pour la souveraineté alimentaire de notre pays ? À mon sens, la question de la souveraineté ne se limite pas à l’alimentation des Françaises et des Français, et encore moins des Européens. Elle englobe la lutte contre l’appauvrissement des sols, qui est une réalité européenne, et la dépendance aux intrants – notamment les fertilisants ‑, dont les matières premières ne sont pas disponibles dans l’Hexagone.
Pensez-vous qu’une agriculture intensive en main-d’œuvre serait plus intéressante pour l’avenir, au vu du renchérissement de l’énergie, et singulièrement du pétrole ? D’ici à 2050, le recours au pétrole nécessitera des arbitrages entre les transports et les besoins de production.
Enfin, j’aimerais connaître votre avis sur le fait qu’à l’échelle européenne, les aides de la PAC se concentrent sur de grandes exploitations, aux dépens des petites et moyennes structures. Ces dernières doivent redoubler d’inventivité pour optimiser leur production sur de petites surfaces. Sans faire partie de ceux qui croient au déclin, je ne vous cache pas mon inquiétude à ce sujet. Nous avons eu l’occasion de visiter une entreprise aux Pays-Bas qui parvenait à dégager de meilleurs rendements sur des cultures hors-sol de concombres, salades ou tomates. Que pensez-vous de la rentabilité attendue de la recherche scientifique, qui ne sera pas directement liée au travail des agriculteurs ? Ne craignez-vous pas que ces industries soient très éloignées du monde que vous représentez, et que nous respectons et soutenons nous aussi ?
M. Luc Smessaert. La terre agricole est un bien précieux, et nous en avons utilisé une partie pour l’urbanisation. Je rappelle que la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers a été portée par la FNSEA.
Nous n’avons jamais été opposés au développement économique. Je me réjouis d’apprendre qu’il est prévu de développer une activité de production de batteries à Dunkerque. C’est une bonne chose, pour autant que cela ne porte pas préjudice à la production agricole. Nous demandons que les compensations environnementales rétribuent davantage les prestations pour services environnementaux, notamment l’aménagement de haies ou de prairies. Il faut également cesser d’accaparer des terres agricoles pour percevoir des compensations environnementales à l’occasion de grands travaux. Cette pratique n’est pas acceptable.
Des initiatives comme le canal Seine-Nord Europe, qui permettra de réduire les émissions de carbone et facilitera le transport, sont intéressantes dès lors qu’elles ne nuisent pas à la valeur de notre production.
Pour ce qui est du recul environnemental, vous aurez compris que les agriculteurs sont férus d’agronomie. Lorsqu’ils sont accompagnés et soutenus, ils sont prêts à mettre en œuvre des solutions innovantes telles que les « pièges à nitrate », ces cultures permettant d’enrichir le sol, d’améliorer la matière organique et de capter le carbone.
La loi d’orientation agricole (LOA) mentionne aussi la production de biomasse. Demain, nous maîtriserons cette technique. Lorsqu’il est question de développement, d’innovation et de recherche, les agriculteurs prêtent toujours une oreille attentive. Il convient aussi d’accompagner le volet technico-économique. En tout état de cause, ces perspectives sont plutôt rassurantes. Je suis convaincu que ces progrès peuvent être accomplis sans nuire au monde agricole. Les agriculteurs sont prêts à investir, à condition d’avoir une visibilité.
M. Arnaud Rousseau. Nous partageons vos remarques sur l’intérêt d’étudier la qualité des sols et leurs capacités productives. C’est une vraie question de souveraineté. Grâce aux avancées de l’agronomie, différentes techniques de conservation des sols ou de semis directs sous couvert permettent d’accroître le potentiel et la fertilité des sols. Ce sujet est suivi avec la plus grande attention par les agriculteurs. Depuis quelques années, les labours ont diminué.
S’agissant de la dépendance aux intrants, il est exact que la France dépend d’autres pays pour certains engrais de bas, notamment l’acide phosphorique et la potasse. C’est la raison pour laquelle des réflexions sont menées sur la production d’engrais en France, car notre pays en produit certaines catégories comme les ammonitrates. Nous avons des efforts conséquents à déployer pour décarboner ces productions. Il faut savoir qu’une unité d’azote carboné coûte aujourd’hui près de 2 euros, contre 80 centimes sous forme de solution liquide classique. Il faudra donc s’interroger sur l’accessibilité des prix de ces produits.
Toutes les matières organiques issues de l’élevage nous aident à réduire notre dépendance aux intrants. Je pense aussi aux digestats de la méthanisation. Dans l’immédiat, nous restons dépendants des importations et nous devons nous attacher à entretenir la qualité des sols.
Pour ce qui est des produits phytosanitaires, notre discours est très clair : nous ne voulons pas d’interdiction sans solution. Les solutions à venir – biocontrôle, biostimulants, etc. – peuvent nous aider à réduire notre dépendance à ces produits. Je rappelle que les phytosanitaires sont une charge pour tout exploitant agricole. Tout poste susceptible de réduire les charges est examiné de près, pour autant que cela n’obère pas la capacité de production.
La situation actuelle de l’agriculture biologique est très préoccupante : elle traverse une crise difficile, plus ou moins aiguë en fonction des secteurs de production. Les grandes cultures, le lait et les productions animales en agriculture biologique sont touchés de plein fouet. Les productions maraîchères sont un peu moins exposées. Mais le fait est que le consommateur n’est pas toujours prêt à payer le prix exigé. Sur le marché actuel, l’offre n’est plus vraiment alignée sur la demande.
Les entreprises agricoles françaises sont essentiellement patrimoniales, même si la part des exploitants non issus du milieu agricole est appelée à progresser. La volonté de transmettre un outil et de l’améliorer est au cœur du monde agricole. Je pense comme vous à la ceinture verte, étant agriculteur francilien. Il en subsiste encore quelques traces, à Montesson ou encore à Perthes-en-Gâtinais, mais il est évident que ces surfaces s’amenuisent. Je sais que la mairie de Paris s’est intéressée à l’agriculture urbaine, mais cette production reste pour l’instant limitée. Peut-être verrons-nous émerger des alternatives comme la production en conteneur. Pour l’instant, ces initiatives n’ont pas de modèle économique mais le sujet mérite d’être étudié.
L’essentiel consiste à trouver le bon équilibre entre la réalité du terrain – qualité des sols, intrants – et la réalité économique. C’est le nerf de la guerre.
Pour répondre à votre question sur la répartition des aides agricoles, je tiens à préciser que le principe du 80/20 est valable à l’échelle européenne mais pas au niveau français. En France, la répartition est plus favorable grâce à l’emploi. Or il s’avère que les emplois dans l’agriculture sont désormais principalement localisés dans les pays de l’Est – Bulgarie, Roumanie et Pologne –, alors que nous manquons de main-d’œuvre.
Je rappelle qu’il existe près de 70 000 emplois non pourvus dans l’agriculture. Dans ces conditions, il me semble difficilement envisageable de donner du travail à 1 million d’agriculteurs supplémentaires, pour reprendre la proposition de certains syndicats concurrents. Dans l’immédiat, nous recherchons 70 000 collaborateurs dans nos fermes, dont une partie pourrait devenir des chefs d’entreprise. Notre secteur pâtit d’un manque d’attractivité : après quelques jours passés dans une exploitation agricole, les nouveaux venus découvrent qu’ils ne sont pas prêts à accepter les conditions de travail, les revenus et la pénibilité du métier.
Nous assistons, me semble-t-il, à un mouvement contraire : la mécanisation et l’automatisation des tâches se renforcent afin de pallier le manque de main-d’œuvre. Nous avons beaucoup travaillé pour réduire la pénibilité et améliorer l’attractivité du métier, mais force est de constater que nous sommes encore loin de l’épure souhaitée.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NUPES). Si j’avais voulu évoquer les propos d’un autre syndicat, je les aurais cités ouvertement, comme nous le faisons en tant que parlementaires.
Les rapports et études que nous avons pu consulter indiquent clairement que le renouvellement générationnel serait compromis à un horizon de vingt ou trente ans, et peut-être même avant cette échéance. Notre proposition n’est pas d’envoyer 100 000 travailleurs de plus dans les champs pour ramasser les fraises, comme c’est le cas en Espagne où la main-d’œuvre vient de pays extracommunautaires. Ma question est la suivante : comment ce métier peut-il rester humain, en évitant justement une automatisation excessive ? En effet, si ce scénario venait à se concrétiser, nous ne serions plus nourris par les paysans, les éleveurs ou les pêcheurs. Comment faire pour que le travail agricole reste la prérogative de ceux qui ont les mains dans la terre ?
En tant que membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je m’interroge aussi sur les écoles de formation et sur la préparation d’un retour à la terre des urbains : quelles actions faut-il engager pour les inciter à s’orienter vers un métier très noble qui a pour vocation de nourrir la population ?
M. Arnaud Rousseau. Je vous remercie pour cette question qui soulève une préoccupation que nous partageons complètement.
Je voudrais d’abord mettre en avant une bonne nouvelle : nos lycées professionnels et nos écoles d’ingénieur se portent bien mieux qu’il y a cinq ou dix ans, à la faveur d’un regain d’intérêt pour le métier.
L’accès au métier met en jeu des aspects connexes tels que l’accès au foncier, les reprises d’exploitation, le choix individuel, la réalité économique, l’accompagnement financier, etc. Il faut aussi faciliter le départ des cédants, car de nombreux agriculteurs font le choix de continuer à travailler très tard, leur retraite étant insuffisante. À cette fin, il convient de prévoir des incitations fiscales tout en accompagnant les jeunes. Il va de soi que nous sommes très favorables à ce type de mesures.
En tout état de cause, nous sommes convaincus que la machine ne pourra pas supplanter complètement l’homme. L’intelligence artificielle elle-même trouve ses limites dans la gestion des conditions climatiques. Nous aurons donc toujours besoin de professionnels expérimentés, y compris dans les productions animales. Cela n’empêche pas de s’appuyer sur des technologies, mais le savoir-faire et l’expérience restent importants en agriculture.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Vous avez fait référence à d’anciennes stratégies de filière, notamment au premier plan protéines de 1974. Vous avez ajouté qu’il était impensable de remplacer les protéines importées en l’espace de quelques semaines, mais le premier plan date de cinquante ans. Comment expliquer que ces plans successifs n’aient pas atteint les objectifs annoncés aux Français ?
Entre la Libération et la fin des années 1970, la PAC est parvenue à satisfaire les besoins du marché européen tout en préservant une bonne qualité d’alimentation et en remplissant les objectifs de modernisation de l’agriculture. Je ne parle même pas du niveau de vie des agriculteurs, qui étaient très démunis.
Depuis cette époque, nous avons le sentiment que les stratégies de filière se succèdent sans jamais atteindre leur cible. J’aimerais connaître votre avis sur ce sujet. Ce problème est-il imputable au manque de suivi et de pilotage ou à la fixation d’objectifs contradictoires et trop nombreux ? Quelles seraient, d’après vous, les conditions du succès pour mener à bien ces plans ?
M. Arnaud Rousseau. Je m’en tiendrai au cas du plan protéines, qui est assez simple. Entre l’embargo de 1970 et la fin des années 1990, l’Europe avait abandonné au continent américain la production de la protéine. Les plans étaient alors assez peu dotés et peu efficaces, mais la production perdurait.
Depuis le début des années 2000, nous avons subi des difficultés agronomiques : une incapacité à produire, avec des résultats économiques inférieurs aux attentes. Des mesures d’aide aux protéines ont ensuite été lancées, à travers la PAC et les plans nationaux.
Aujourd’hui, la problématique tient à la capacité à trouver des semences résistantes aux attaques de champignons ou d’insectes. Le marché existe, mais nous ne sommes pas en mesure d’y répondre car la production n’est pas suffisante. Tant que nous ne disposons pas d’une solution génétique nous permettant de développer une production de pois protéagineux, féveroles et lupins, nous ne pourrons tenir les objectifs.
Quant au soja, il commence à être cultivé en Europe, mais avec des variétés peu adaptées. Nous pourrions renforcer cette production, mais pour gagner en efficacité cette culture nécessite beaucoup d’eau.
En résumé, nous savons que nous pouvons produire beaucoup mieux et nous connaissons les leviers pour améliorer la situation. Nous pensons pouvoir atteindre les objectifs dans un délai raisonnable, mais il faut compter au moins cinq à sept ans pour que les recherches en génétique donnent des résultats.
D’autres filières font face à des problématiques différentes, qui tiennent au marché ou à la chaîne de valeur.
Je ne considère pas que tous les plans se soient soldés par des échecs. En production ovine, nous sommes parvenus à ralentir le déclin grâce à des politiques publiques visant la prolificité et l’accompagnement de la production. Mais la filière est confrontée à d’autres problèmes, à commencer par la prédation du loup.
D’autres plans ont permis de mettre aux normes les abattoirs ou de développer les infrastructures – nous avons parlé du canal Seine-Nord Europe – ou la capacité des camions, qui a été portée de 40 à 44 tonnes.
Il faut aussi tenir compte des accords internationaux, qui peuvent placer nos filières dans des conditions difficiles face à nos compétiteurs.
Pour ce qui est de l’acétamipride, nous ne comprenons pas qu’un produit homologué en Europe ne soit pas autorisé en France : s’il présente un risque pour la santé publique, il doit être interdit dans tous les États de l’Union. En l’occurrence, l’interdiction de l’acétamipride est très problématique pour la pomme, la noisette ou encore la betterave. Un plan national de recherche et d’innovation (PNRI) a été mis en place pour rechercher des alternatives mais, pour l’instant, aucune solution n’est disponible. Il est donc incompréhensible, pour un agriculteur français, de constater que ses voisins ont droit à des traitements qui lui sont refusés. Sur le plan de la compétitivité, cela n’est pas tenable.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je me souviens qu’il y a dix ans, en pleine campagne électorale européenne, le même argument était invoqué pour expliquer l’échec du plan protéines. Les mêmes promesses qu’aujourd’hui étaient alors affichées.
Pourtant, la production de protéines végétales destinées à l’alimentation du bétail est un marché colossal.
Je répète qu’il y a dix ans déjà, des progrès en génétique étaient annoncés dans les cinq à sept ans à venir. Dès lors, comment ne pas s’interroger sur ces nouvelles promesses, d’autant que l’enjeu pour nos agriculteurs est considérable ? Dans les faits, j’ai le sentiment qu’aucun progrès n’est accompli.
M. Arnaud Rousseau. Avant d’être nommé président de la FNSEA, j’ai présidé la filière des huiles et des protéines. Je connais donc bien ce sujet. Il faut savoir que la situation a évolué depuis dix ans. Aujourd’hui, la difficulté consiste à mettre en réseau les opérateurs. De fait, les établissements de recherche sont frileux à l’idée de mobiliser des investissements significatifs pour un modèle économique peu rentable. Nous avons donc rencontré l’ensemble des protagonistes pour leur demander de cesser de se concurrencer et de mutualiser leurs compétences. Nous avons aussi demandé à l’État d’arrêter de subventionner les hectares plantés, car cette aide ne suffira pas à relancer la production.
Sachez qu’un programme « Pea forever » a été élaboré. Il vise à créer une synergie entre les industriels spécialistes de la semence, l’INRAE et les financements d’État. Il est évident que sans semence adaptée, le modèle économique ne tient pas la route. Il faut donc commencer par trouver un équilibre économique, à la fois dans la production et dans la recherche et l’innovation, à travers des royalties.
Nous savons que nous avons la capacité d’obtenir des rendements importants en pois protéagineux, puisque nous sommes parvenus à produire entre 60 et 75 quintaux il y a une trentaine d’années. Pour des raisons climatiques et du fait de certaines maladies, nous ne savons plus le faire et tout porte à croire que nous n’aurons pas de solution avant cinq à sept ans.
Pour l’alimentation du bétail, en revanche, les oléagineux (tourteaux de colza et de tournesol) donnent de bons résultats. Les surfaces de tournesol ont d’ailleurs augmenté en France, y compris au nord de Paris, ce qui nous permet de produire beaucoup plus de tourteaux, à même de remplacer une partie des importations.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Vous avez signalé que certains pays subsahariens ont des capacités de production agricole mais sont pénalisés par l’absence de filières. Cette remarque m’a inquiété, car j’ai le sentiment que plusieurs filières disparaissent de notre pays. Vous avez parlé de la filière ovine, mais nous pourrions aussi prendre le cas de la laine. Dans ma circonscription, plusieurs éleveurs ne peuvent plus vendre la laine car ils ne trouvent pas d’acheteurs. Il n’existe plus d’acteurs à même de laver ou de transformer ce produit, non seulement en France, mais aussi dans d’autres pays. Je viens d’apprendre cette information, qui est un véritable scandale national. Nous entendons parler d’écologie continuellement, mais cette laine va devoir être brûlée.
Nous pourrions dresser le même constat pour le lin. La France produit 50 à 70 % du lin mondial, mais cette production est exportée en Chine pour être transformée sur des machines inventées par nos aïeux – puisque la Chine n’a pas de tradition linière – avant de revenir en France. En dehors de quelques initiatives marginales dans les Hauts-de-France, rien n’a été fait pour recréer une filière digne de ce nom.
La betterave, qui s’effondre dans l’indifférence générale, présente de nombreux atouts pour la transition écologique. Des raffineries ont été fermées et nous savons pertinemment que la filière s’écroule. Nous nous plaignons de manquer de bioéthanol, mais nous nous résignons à cette chute. La situation est surréaliste !
J’en reviens à ma question initiale : comment expliquer que la tendance à moyen terme soit aussi négative alors que nous possédons les compétences pour renforcer les filières ?
M. Luc Smessaert. Vous avez mentionné la situation de la filière laine. Ces difficultés s’expliquent par des normes ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement) extrêmement contraignantes pour les producteurs de laine. C’est pourquoi nous avons porté l’article 16 de la LOA. Nous demandons de remplacer les normes françaises par les normes européennes.
En ce qui concerne le lin, une première filature est opérationnelle dans les Hauts-de-France et d’autres sont en création en Bretagne et en Normandie. Cette démarche a été soutenue par notre syndicat. À côté de la première transformation du lin et de la filature, nous avons besoin de recherches sur la semence.
Nous pourrions faire la même observation pour l’avenir de la lentille en Haute-Loire et pour nombre d’autres filières.
Votre intervention montre bien que la souveraineté alimentaire et la production nécessitent une organisation de filière cohérente. C’est une chance de pouvoir nourrir aujourd’hui nos vaches avec des tourteaux de colza français ou européens, alors qu’il y a vingt ans leur alimentation était exclusivement constituée de tourteaux de soja provenant d’Amérique du Sud.
Il faut donc appréhender le système dans sa globalité et soutenir l’ensemble des filières et territoires.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Pourriez-vous expliciter votre réponse sur les prix planchers ? Je n’ai pas compris les différentes options envisagées.
D’autre part, j’aimerais entendre votre avis sur le concept d’« exception agriculturelle ».
M. Arnaud Rousseau. Nous considérons que, dans un environnement de marché ouvert, les prix planchers ne sont pas crédibles s’ils sont fixés par une commission dédiée chaque trimestre. En effet, dès que les prix seraient supérieurs à ceux du marché, les acheteurs s’empresseraient d’acquérir les produits ailleurs. À l’inverse, des prix trop faibles entraîneraient un effet d’appel d’air : les consommateurs se procureraient le produit à bas prix, de sorte que la hausse consécutive ne serait pas bénéfique. Nous sommes donc réservés sur cette proposition.
Dans notre conception, il est impensable de vendre un produit agricole à perte. Le prix plancher doit être construit à partir du coût de production interprofessionnel, corrélé au marché. Ce prix ne doit pas être imposé à l’agriculteur par les industriels et la grande distribution.
Nous proposons donc une construction du prix « en marche avant », en nous appuyant sur les indicateurs de production du marché. De notre point de vue, les prix doivent être négociés entre les organisations de producteurs et les industriels avant d’être négociés entre les industriels et la grande distribution. Cette méthode garantira des marges raisonnables pour le producteur.
En réalité, le prix plancher existe déjà aujourd’hui. Par exemple, il s’élève à 1,50 euro le kilo en viande bovine et à 150 euros la tonne en blé. Vous concevrez aisément qu’un producteur ne peut pas durablement faire vivre son entreprise si les prix sont inférieurs aux coûts de revient. C’est la raison pour laquelle nous demandons de négocier les prix à partir des coûts de revient, tout en tenant compte du marché.
Cette approche concerne un nombre restreint de productions, essentiellement en élevage. Sur les marchés des céréales ou du sucre, en revanche, les prix mondiaux s’imposent.
Quant au concept d’exception agriculturelle, employé par un syndicat concurrent, j’ignore ce qu’il désigne précisément. Ce qui est certain, c’est que le libéralisme plein et entier ne fonctionne pas en agriculture. Nous avons besoin de régulation.
Le système agricole s’inscrit dans un monde ouvert qui nécessite de la réciprocité. Nous ne pouvons mettre nos agriculteurs en concurrence avec des pays qui ne respectent aucun de nos standards de production. Si l’exception agriculturelle consiste à retirer l’agriculture du marché et à l’administrer, nous ne partageons pas ce point de vue.
Nous constatons que la production agricole est souvent annualisée et exige une vision de long terme. Nous savons que le libéralisme exclusif ne permet pas d’absorber les à-coups climatiques ou de marché. Il est donc indispensable d’instaurer un cadre. Pour autant, nous ne sommes pas favorables à une organisation administrée.
Je note que la question du bon niveau d’intervention réapparaît dans le débat public, notamment sous l’influence du contexte géopolitique actuel. Le fait est que les tensions et les à-coups sont très difficiles à gérer pour les agriculteurs et conduisent à des réflexions sur la constitution de stocks. Il nous paraît important de disposer d’une visibilité sur le long terme au lieu de subir simplement les aléas du quotidien.
M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Au sujet des prix planchers, vous avez déclaré qu’il ne fallait pas instaurer de prix plafonds. J’avoue ne pas comprendre cet argument. Les représentants de la filière porcine nous ont indiqué que les cours du marché étaient supérieurs aux indicateurs fixés par l’interprofession, ce qui leur permettait de bénéficier de prix plus favorables. Je ne vois donc pas le risque qu’il y aurait à transformer les prix planchers en prix plafonds.
En ce qui concerne la prise en compte des indicateurs de marché, cette approche revient à accepter que les agriculteurs produisent à des prix inférieurs aux coûts de production sous prétexte que le marché à l’export serait moins valorisé que le marché intérieur. N’y a-t-il pas des limites à prendre les indicateurs de marché pour référence ?
Par ailleurs, vous avez déclaré « nous ne voulons pas d’interdiction sans solution ». Il faut savoir que la diminution du glyphosate se traduit par une hausse des coûts de production puisque l’exploitant doit mobiliser plus de moyens mécaniques et de main-d’œuvre. Ce phénomène n’entraîne-t-il pas une perte de compétitivité ? En l’occurrence, il y a bien des alternatives, mais elles sont plus coûteuses.
Vous avez aussi affirmé que, lors de son premier mandat, le Président de la République avait déployé une stratégie de montée en gamme. Quelle est votre analyse sur ce point ? D’après vous, cette politique a-t-elle été infléchie depuis lors ?
M. Arnaud Rousseau. Le risque induit par la fixation de prix planchers administrés s’explique par un mécanisme économique simple : lorsque le prix augmente, le producteur peut choisir de maintenir ses prix, auquel cas il ne profite pas de la hausse, ou bien relever ses prix au-dessus du marché réel, au risque de faire fuir les consommateurs. L’administration des prix est donc sujette à caution. Il serait illusoire de croire que les prix planchers permettent aux producteurs de bénéficier des hausses sans subir les baisses. Nous sommes pour le moins dubitatifs sur ce point. J’ajoute qu’à l’intérieur d’un même produit, il peut y avoir des catégories de prix très différentes.
S’agissant des indicateurs de marché, j’ai bien précisé qu’il s’agit de prendre en compte les coûts de production interprofessionnels tout en intégrant les réalités de marché. Pour le lait, par exemple, les variations de prix peuvent être importantes en fonction du mix produit de l’entreprise acheteuse. Je sais que notre approche fait débat, mais je rappelle que la durabilité de notre modèle est en péril. Aujourd’hui, nous avons moins de 50 000 laitiers en France et le nombre de vaches laitières diminue. Si nous ne parvenons pas à redonner des perspectives à cette filière, la production risque d’être sérieusement impactée. Pour autant, nous ne prétendons pas qu’il soit pertinent de s’affranchir du marché. Notre volonté est bien de s’appuyer sur des indicateurs de coûts de production en complément des indicateurs de marché, sous peine de mettre à mal la production.
Pour ce qui est de la compétitivité et de l’exemple du glyphosate, nous estimons qu’aucune interdiction n’est possible s’il n’existe pas de solution adaptée à l’échelle et financièrement abordable. J’ai cité le cas de l’ammonitrate décarboné, dont le coût est deux fois plus élevé que celui de l’ammonitrate standard. Le produit est disponible mais personne n’est prêt à payer deux fois plus cher pour l’utiliser.
La FNSEA s’est battue pour le renouvellement de l’homologation du glyphosate, qui s’est opérée dans un cadre européen. Si une alternative aussi efficace, moins impactante et à un coût abordable était identifiée, nous y serions bien évidemment favorables. Mais une solution, aussi miraculeuse soit-elle, n’a pas de sens si son prix est rédhibitoire. C’est pourquoi des investissements sont déployés pour la recherche.
En tout état de cause, il est faux d’imaginer qu’il serait possible d’administrer toutes les productions. À cet égard, l’exemple de l’agriculture biologique est édifiant : les incitations à la conversion sont excessives par rapport à l’état du marché. Il est impensable de continuer durablement à acheter du lait en agriculture biologique au prix de l’agriculture conventionnelle. La même problématique se présente avec les stocks de blé bio produits dans le Gers : ils sont vendus entre 280 et 300 euros la tonne, prix qui ne suffit pas à rémunérer la production. Cette réalité de marché s’impose à nous.
Chaque fois que les surfaces en agriculture biologique sont réduites de 1 %, près de 280 millions d’euros d’argent public sont perdus. Une conversion à l’agriculture biologique nécessite cinq ans de travail. Lorsqu’un producteur décide de faire marche arrière, les subventions publiques dont il a bénéficié pendant cinq ans sont purement et simplement perdues.
Je répète que le prix doit être corrélé à la réalité du marché. À l’inverse, privilégier une dérégulation totale et un modèle basé sur les prix mondiaux ne nous paraît pas responsable. Le fait est que tous les grands blocs mondiaux soutiennent leur système agricole. D’ailleurs, l’Organisation mondiale du commerce ne fonctionne plus.
Quant à la stratégie de la montée en gamme, elle participait d’un pari politique reposant sur l’idée que la France ne pourrait pas être assez compétitive sur les produits d’entrée de gamme et qu’il fallait donc se concentrer sur la montée en gamme. Cette expérience a été tentée, mais nous sommes arrivés au bout de l’exercice. Le fait est que les consommateurs français ne sont pas prêts à financer les produits haut de gamme. J’en profite pour réaffirmer que les produits d’entrée de gamme français respectent des standards qualitatifs qui sont parmi les plus élevés d’Europe. Nous savons nourrir les Français à des coûts abordables. Il n’en est pas moins important de continuer à proposer, comme dans tout magasin, des produits de toutes les gammes. Bref, il ne s’agit pas de renoncer à la montée en gamme, mais de préserver aussi l’entrée de gamme. Ce n’est pas une remise en cause, mais un ajustement.
Nous rencontrons le Président de la République jeudi matin, à son invitation, et nous attendons qu’il redéfinisse sa vision. Nous espérons que la souveraineté alimentaire y occupera une place centrale et que la pluralité des segments de gamme y sera représentée.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je souhaiterais réagir à votre réponse au sujet de l’agriculture biologique. Je ne comprends pas ce modèle. Si les produits bio présentent des vertus pour la santé des consommateurs, toute la population doit y avoir accès. Or vous venez d’affirmer le contraire. Les Français ont compris qu’il est inutile d’acheter des produits bio. Il n’est pas surprenant que ce modèle ne soit pas rémunérateur dès lors qu’il ne possède pas de valeur ajoutée sanitaire. Je déplore la désinformation permanente autour de l’agriculture conventionnelle et de l’agriculture biologique. D’aucuns évoquent aussi les cultures en conteneur, comme si cela pouvait permettre de nourrir neuf milliards d’êtres humains. Je ne comprends pas ces injonctions contradictoires, que je retrouve dans vos propos mais sans grande conviction. Pour le législateur et pour le débat public, la situation manque de clarté. Si certains choix sont guidés par des informations inexactes, il est impératif de le dire.
M. Arnaud Rousseau. Monsieur le député, vous ne lisez manifestement pas suffisamment les travaux de la FNSEA. Nous n’avons pas de parti pris de cette nature. Je vais tâcher de vous éclairer de manière précise.
Pour commencer, nous n’avons jamais affirmé que l’agriculture biologique présente des gains pour la santé, puisque ce fait n’a pas été démontré scientifiquement. En revanche, nous sommes d’accord avec le fait que l’agriculture biologique comporte des aménités positives, notamment au regard des impacts environnementaux. Je pense par exemple aux problèmes d’alimentation de captage, aux questions spécifiques de production ou d’environnement ou aux riverains.
À la FNSEA, nous n’opposons pas les différents types d’agriculture, et ce pour deux raisons. D’une part, nous sommes très attachés à la liberté d’entreprendre et il nous paraît tout à fait normal qu’un agriculteur souhaite s’installer en agriculture biologique – près d’un tiers des nouveaux exploitants agricoles de notre pays font d’ailleurs ce choix. D’autre part, nous sommes tout aussi attachés à la liberté de consommer de nos concitoyens. Si certains veulent acheter des produits bio, libre à eux.
Il n’en reste pas moins que ce type d’agriculture se heurte à des difficultés de marché. Aujourd’hui, l’agriculture biologique est très attaquée par la concurrence. En outre, près d’un tiers de notre alimentation en agriculture biologique est importé.
Mais, je le répète, nous n’avons aucun parti pris idéologique. Notre approche est essentiellement scientifique. La qualité de l’eau sur certaines aires de captage est une réelle problématique, que nous ne contestons pas. Nous retrouvons dans l’eau des traces de produits qui ne sont plus utilisés depuis des décennies. Nous sommes pleinement conscients de cet état de fait et il est de notre responsabilité d’améliorer la situation en tirant parti des aménités de l’agriculture biologique.
Encore une fois, nous n’opposons pas les différentes méthodes de production agricole, et nous sommes attachés aux projets individuels. Nous déclarons simplement que les politiques publiques doivent être corrélées à la réalité des marchés. Or les incitations à la conversion en agriculture biologique dans des secteurs déjà saturés aboutissent à des cas de déconversion et à du gaspillage d’argent public. Mais, comme je l’ai précisé, il appartient à chaque agriculteur de conduire son projet individuel et à chaque consommateur de faire son choix.
M. le président Charles Sitzenstuhl. C’est un sujet que nous pourrons également aborder lorsque nous auditionnerons l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).
La séance s’achève à vingt heures vingt.
Présents. – M. Jean-René Cazeneuve, M. Nicolas Forissier, M. Grégoire de Fournas, M. Serge Muller, M. Rémy Rebeyrotte, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, Mme Juliette Vilgrain
Excusé. – Mme Anne-Laure Blin