Compte rendu

Commission d’enquête
sur les manquements
des politiques de protection
de l’enfance
 

– Audition de M. Arnaud de Saint-Rémy, responsable du groupe de travail « Droits des enfants » du Conseil national des barreaux (CNB), Mme Nawel Oumer, présidente de la commission « Egalité » et membre du groupe de travail « Droit des enfants », Mme Valentine Guirato, membre de la commission « Libertés et droits de l’homme », et Mme Mona Laaroussi, chargée de mission « Affaires publiques »              2

– Présences en réunion................................17

 


Jeudi
30 mai 2024

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 17

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
Mme Laure Miller,
Présidente

 


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La séance est ouverte à douze heures cinq.

Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance s’est réunie en vue de procéder à l’audition de M. Arnaud de Saint-Rémy, responsable du groupe de travail « Droits des enfants » du Conseil national des barreaux (CNB), Mme Nawel Oumer, présidente de la commission « Egalité » et membre du groupe de travail « Droit des enfants », Mme Valentine Guirato, membre de la commission « Libertés et droits de l’homme », et Mme Mona Laaroussi, chargée de mission « Affaires publiques »

Mme la présidente Laure Miller. Nous reprenons les travaux de notre commission d’enquête avec l’audition du Conseil national des barreaux (CNB), représenté par M. Arnaud de Saint-Rémy, responsable du groupe de travail « Droits des enfants » du CNB, Mme Nawel Oumer, présidente de la commission « Égalité » et membre du groupe de travail « Droits des enfants », Mme Valentine Guirato, membre de la commission « Liberté et droits de l’homme », et Mme Mona Laaroussi, chargée de mission « Affaires publiques ».

Merci d’avoir répondu favorablement à notre invitation. Nous avons de nombreuses questions à vous poser, notamment sur le rôle de l’avocat en matière de protection de l’enfance et sur le droit des enfants à disposer d’un avocat. Vous pourrez également nous éclairer sur l’échec de la déjudiciarisation des mesures de protection de l’enfance et sur la place de l’enfant dans la procédure.

Avant de vous laisser la parole, je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que l’enregistrement vidéo sera disponible à la demande. Par ailleurs, en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Arnaud de Saint-Rémy, Mmes Nawel Oumer, Valentine Guirato et Mona Laaroussi prêtent successivement serment.)

M. Arnaud de Saint-Rémy, responsable du groupe de travail « Droits des enfants » du CNB.  Je vous remercie de nous permettre d’exprimer la voix des avocats sur ce sujet dont votre commission s’est emparée, en complément des travaux de la délégation aux droits des enfants présidée par Mme Perrine Goulet, que nous avons déjà rencontrée, et du Conseil économique, social et environnemental (CESE), que nous espérons rencontrer prochainement, puisque nous avons invité son Président à notre assemblée générale le 17 mai et qu’il manifestait un vif intérêt pour ce sujet.

Vous avez raison de vous saisir de cette question, car l’avenir de notre jeunesse est en jeu. S’agissant d’un véritable enjeu de société, il est toujours gratifiant de participer aux travaux parlementaires, en amont, et d’évaluer la mise en œuvre des politiques publiques en matière d’assistance éducative, en aval. Je tiens à vous remercier, au nom du CNB et de mes consœurs présentes ici, pour votre invitation.

Avec 76 274 avocats en janvier 2024, soit une progression de 2,6 % par an en moyenne sur dix ans, notre profession, jeune et féminine (avec un âge moyen de 40 ans et 58 % de femmes), s’est toujours montrée particulièrement attachée à la cause des populations les plus vulnérables, notamment les enfants.

Lors de notre serment, nous nous engageons non seulement à exercer nos fonctions avec dignité et conscience, mais aussi avec indépendance, probité et humanité, ce qui est fondamental en matière d’assistance des enfants. Il est donc naturel que nous intervenions régulièrement aux côtés des enfants nécessitant protection ou mise à l’abri, ou encore impliqués dans des actes de délinquance. Ces situations trouvent leurs causes dans la brutalité de notre société, une perte de repères et peut-être aussi certaines défaillances éducatives. La délinquance juvénile est intimement liée aux questions d’assistance éducative.

Enfin, 73 % des Français considèrent que les avocats sont les principaux acteurs de confiance dans la défense et la promotion de leurs droits. En France, 86 % des citoyens estiment que les avocats jouent un rôle essentiel dans la garantie d’une justice équitable pour tous. Vous trouverez ces chiffres dans le plaidoyer que nous avons rédigé en marge des élections européennes, espérant que les candidats tiendront compte des options que nous leur proposons.

Malheureusement, le législateur néglige parfois de réserver aux avocats la place essentielle qu’ils occupent dans l’assistance et la représentation de tous les justiciables, en particulier des enfants qui, dans certaines circonstances, n’ont toujours pas un droit systématique à être assistés de leur propre avocat.

Mme le Bâtonnier Valentine Guirato développera le rôle fondamental de l’avocat dans ces domaines. Ma consœur parisienne, Nawel Oumer, élue au CNB, vous exposera les difficultés liées à l’inexécution de certaines mesures prononcées par le juge des enfants en raison des manques de moyens observés, ce qui pose un problème de crédibilité de la justice des enfants. Pour ma part, je souhaite rappeler le rôle du CNB, acteur important dans l’élaboration des politiques de protection de l’enfance.

Le CNB contribue à la construction de ces politiques. Tout d’abord, le CNB siège au sein du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), admirablement présidé par Mme Anne Devreese, que vous avez rencontrée le 22 mai dernier, et dont je partage l’intégralité des observations.

Nous constatons ensemble la crise sans précédent post-covid qui affecte la protection de l’enfance, malgré les avancées législatives de 2007, 2016 et 2022. Cette crise trouve ses origines dans quatre causes principales :

La première concerne l’augmentation considérable de l’activité de la protection de l’enfance, comme le montrent les dernières statistiques de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), avec un nombre croissant d’informations préoccupantes et de placements. En outre, sans doute en lien avec la situation des familles, j’ai été très surpris de constater à quel point les jeunes, en particulier les plus jeunes, sont en souffrance. Il y a une augmentation très importante des gestes suicidaires, phénomène qui n’est pas propre à la France. En effet, selon la vice-présidente de la Commission européenne, le suicide est la deuxième cause de décès chez les 15-19 ans.

Un autre problème majeur a trait au financement. Les inégalités territoriales sont déconcertantes et parfois décorrélées des besoins réels au niveau local. Ces problèmes de financement entraînent des retards dans l’exécution des mesures de protection, une insuffisance des moyens consacrés aux enfants placés, ou tout simplement un manque de places dans les structures, y compris spécialisées, malgré les soins médicaux nécessaires. Je pense notamment au handicap. On relève aussi des recours occasionnels à l’intérim proposé par le secteur privé, qui peut être mal articulé au principe de désintéressement induit par la protection de l’enfant.

La troisième cause de la crise que nous traversons est sans doute liée à l’épuisement des juges des enfants et des greffiers, ainsi que le manque d’attractivité des métiers. L’insuffisance dans l’accompagnement professionnel, par capillarité, se ressent chez les enfants eux-mêmes. Lorsque des éducateurs et des juges des enfants sont épuisés, cela pose un certain nombre de difficultés. D’où la nécessité que l’avocat de l’enfant puisse lancer l’alerte en cas de difficulté dans la prise en charge par une équipe éducative. Le manque d’attractivité dans ces métiers ne se ressent pas chez les avocats, comme en témoigne le nombre croissant de confrères sollicitant la mention de spécialisation reconnue en octobre 2021 par le garde des Sceaux. Nous lui en sommes tout à fait reconnaissants. Le dynamisme des barreaux pour animer les groupes de défense dédiés aux enfants est également notable.

La quatrième cause concerne l’incapacité persistante à prendre en compte les besoins de l’enfant. Nous avons constaté chez les tout-petits des situations très angoissantes. Il y a une surpopulation carcérale et nous découvrons une surpopulation dans les pouponnières et les foyers, où des matelas sont disposés dans les couloirs pour accueillir ces enfants.

En contrepoint de ce que les bâtonniers peuvent entreprendre à l’égard des centres éducatifs fermés, des problèmes subsistent. Je crois savoir que vous allez visiter plusieurs lieux d’accueil des mineurs placés. La situation est encore plus dramatique dans les outre-mer, en particulier à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, qui a fait l’actualité récemment, et à La Réunion.

Nous sommes aujourd’hui moins insensibles et plus intolérants face aux souffrances et aux violences faites aux enfants, grâce à un personnel mieux formé et à des politiques pénales, notamment celles du parquet, plus systématiques.

Nous constatons néanmoins un engorgement des procédures, des rotations excessives des acteurs de la chaîne en assistance éducative, ce qui constitue une source de préjudice à long terme, étant précisé que l’avocat suit l’enfant tout au long de sa vie de justiciable, et un certain manque de transparence dans l’exécution des mesures en assistance éducative, outre des retards endémiques qui s’expliquent essentiellement par un manque de moyens consacrés à la protection de l’enfance et à la justice des mineurs.

Le CNB dispose d’un groupe de travail « Droit des enfants », créé en 2008, et que j’ai l’honneur de présider depuis maintenant quatre ans. Ce groupe réunit pratiquement tous les avocats référents en matière de droits des mineurs dans chacun des 164 barreaux français, qu’il s’agisse du bâtonnier lui-même ou de son délégataire, œuvrant main dans la main avec la conférence des bâtonniers et le barreau de Paris. Ce groupe de travail a pris un certain nombre de motions et donné divers avis, soit en assemblée générale, soit dans le cadre du collectif de la justice pénale des mineurs.

Je souhaite attirer votre attention sur la dernière motion que nous avons déposée le 17 mai 2024 concernant le rapatriement des enfants français détenus dans les zones de conflit, principalement en Syrie. Cette situation reste intolérable. Il y a encore 150 enfants français pour lesquels aucune solution n’a été trouvée. Dans le cadre de votre mission, il est essentiel de se pencher sur les questions d’assistance éducative. Les magistrats vous ont également parlé de ces enfants de retour de zones.

 J’ai présenté un rapport à l’assemblée générale du 15 mars 2024 concernant la protection de l’enfance, en lien avec les récentes annonces gouvernementales. Un point central de ce rapport concerne l’expérimentation de l’intervention systématique de l’avocat en assistance éducative. Parfois, faute de temps, les magistrats reconnaissent ne pas entendre les enfants seuls. Malgré la loi Taquet du 7 février 2022, ils peinent à désigner d’emblée des avocats aux côtés des enfants. Par manque de temps, ils négligent certaines situations. Nous vous fournirons ce rapport détaillé. Nous avons identifié plusieurs difficultés liées au décret du 2 octobre 2023, notamment en ce qui concerne la notification de la décision des juges des enfants aux mineurs concernés, sans intermédiaire.

Nous avons également proposé un partenariat avec l’éducation nationale pour rapprocher l’institution judiciaire de l’enseignement. Le CNB suggère ainsi la création de permanences dans les écoles pour informer et sensibiliser les enfants de tous âges aux problèmes d’éthique, tels que la violence domestique et le harcèlement scolaire. La journée de sensibilisation dans les collèges, en place depuis 2018, est un succès.

Enfin, nous regrettons que le CNB ne soit pas invité aux assemblées générales du groupement d’intérêt public France Enfance protégée.

Mme Valentine Guirato, membre de la commission « Libertés et droits de l’homme » du CNB.  Parce qu’il n’est pas un justiciable comme les autres, tout mineur, surtout lorsqu’il est considéré en danger, doit pouvoir bénéficier de l’assistance et de la représentation d’un avocat, afin que son droit à exprimer ses souhaits et sa propre volonté soit assuré avec une réelle effectivité.

Lorsqu’un mineur est poursuivi au pénal, la présence de l’avocat est obligatoire à tous les stades de la procédure, et fort heureusement. Cependant, en matière d’assistance éducative, ce n’est pas le cas. Or le mineur est le sujet principal de cette procédure et des mesures qui seront prises le cas échéant. On parle de protection de l’enfant, de l’enfant en danger. Celui-ci est évidemment le sujet de la procédure et son intérêt, son bien-être, sa protection, son devenir sont au cœur même de ces procédures d’assistance éducative. Parce qu’il est le sujet, et parce qu’il est particulièrement vulnérable du fait de sa minorité et de sa situation, il doit pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat. Ce dernier, par son rôle, sa formation, sa déontologie et son indépendance, garantit la représentation de la parole de l’enfant, le conseille et lui fait connaître ses droits. Plus généralement, l’avocat accompagne l’enfant tout au long de ce parcours judiciaire souvent douloureux.

Le recours à l’assistance de l’avocat est un droit constitutionnellement garanti. Les textes internationaux, comme la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants, évoquent le droit des enfants à exprimer leur opinion. Cette convention promeut le droit des enfants en leur accordant des droits procéduraux, notamment en matière d’assistance éducative. La meilleure garantie de l’effectivité de ce droit à s’exprimer est la présence systématique de l’avocat aux côtés du mineur, sujet de la procédure, avec un financement adapté.

Actuellement, l’exercice et la garantie des droits procéduraux en assistance éducative sont conditionnés par la capacité de discernement de l’enfant et la bonne connaissance de ses droits – comment imaginer qu’un enfant, sujet d’une procédure d’assistance éducative, ait une bonne connaissance de ses droits ? À notre sens, ce n’est pas satisfaisant. En effet, comme l’ont souligné plusieurs universitaires, notamment Mme Adeline Gouttenoire, peu d’éléments permettent au juge d’apprécier le discernement de l’enfant, surtout avant même l’audition de ce dernier.

Il en résulte une rupture d’égalité entre les enfants jugés discernants, selon des critères flous par ailleurs, et ceux jugés non-discernants. De plus, il existe une inégalité entre les enfants faisant l’objet d’une procédure d’assistance éducative et ceux poursuivis pénalement.

Cela signifie-t-il que l’enfant non discernant dispose de moins de droits procéduraux que l’enfant discernant ? Cela signifie-t-il que l’enfant jugé en danger a moins de droits procéduraux que l’enfant poursuivi pénalement ?

Le CNB s’est fermement opposé à la notion de discernement, affirmant que l’enfant doit être écouté et assisté, quel que soit son âge, afin que ses droits procéduraux soient garantis et respectés et que sa parole soit entendue.

En 2008, une Charte nationale de la défense des mineurs a été adoptée par les bâtonniers. Les barreaux y ont adhéré, en mettant en place des groupes de défense des mineurs ou des référents des mineurs. Depuis cette date, le CNB plaide auprès des pouvoirs publics, aux côtés d’autres professionnels, pour garantir les droits procéduraux des mineurs.

Ainsi, le CNB propose depuis longtemps la présence systématique de l’avocat, pratique expérimentée dans une dizaine de barreaux. Cette expérimentation s’est révélée particulièrement positive et a démontré son efficacité. De nombreux professionnels réclament aujourd’hui cette systématisation.

Lors des auditions précédentes, j’ai notamment entendu que M. Lyes Louffok, ancien enfant placé, préconisait la présence de l’avocat, partout et tout le temps, auprès du mineur faisant l’objet d’une procédure d’assistance éducative. À ce titre, depuis 2021, les avocats peuvent obtenir une mention de spécialisation en droit des enfants, ce qui les forme dans tous les domaines et permet d’assurer aux enfants un accompagnement, une assistance et un conseil dans toutes les procédures.

Ainsi, cette présence systématique d’un avocat permettrait de garantir l’exercice effectif des droits procéduraux, de favoriser un traitement égal de chaque enfant devant la justice, d’assurer l’assistance et la représentation des enfants devant un juge, ainsi que le respect de leur parole. Elle consoliderait également un accompagnement pérenne de l’enfant par son avocat. En effet, ces enfants ont besoin, plus que d’autres, de stabilité dans les relations avec les professionnels qui les accompagnent. À ce titre, instaurer une relation de confiance avec l’avocat spécialement désigné pour eux ne peut être que bénéfique.

Il convient par ailleurs d’apprécier les aspects pratiques de cette systématisation. En pratique, cela aurait une incidence positive sur la gestion des dossiers, car les délais sont souvent très contraints. Le code de procédure civile prévoit un délai d’au moins huit jours entre l’envoi de la convocation et l’audience. À titre de comparaison, en référé civil, pour demander une expertise judiciaire, le justiciable doit pouvoir bénéficier d’au moins quinze jours pour consulter un avocat.

Ces délais sont évidemment trop courts et insatisfaisants. Outre notre souhait de voir ces délais allongés, si l’avocat est systématiquement désigné, concomitamment à la délivrance de la convocation, le greffe pourrait saisir le bâtonnier d’une demande de désignation de l’avocat, qui serait ainsi saisi plus tôt. Cela permettrait à l’avocat de prendre connaissance du dossier et de rencontrer l’enfant dans de meilleures conditions. On optimiserait ainsi la préparation du dossier, gagnant en temps et en qualité de travail pour préparer la défense et rencontrer le mineur, ce qui est parfois très compliqué en l’espace de quelques jours.

Enfin, un dernier aspect pratique concerne l’accès au dossier. Nous préconisons, comme en matière pénale, une numérisation du dossier en temps réel. L’avocat pourrait ainsi solliciter la copie numérique via une plateforme dédiée, comme cela se fait en matière pénale avec la plateforme d’échange externe (Plex), par exemple. Cela permettrait d’éviter des difficultés et de gagner un temps précieux dans la défense du mineur.

Mme Nawel Oumer, présidente de la commission « Égalité » et membre du groupe de travail « Droit des enfants » du CNB. Nous partageons pleinement le constat des difficultés rencontrées par la protection de l’enfance, notamment en ce qui concerne son relais judiciaire de l’assistance éducative.

De nombreux magistrats ont été entendus avant nous. Nous nous inscrivons pleinement dans les constats qui vous ont été exposés préalablement. Nous manquons de juges, de greffiers, de moyens, de mesures, et nous faisons face à une grande disparité des pratiques.

En ce qui concerne la phase purement juridictionnelle, les délais ne sont pas respectés, des décisions sont prises sans audience, sans entendre systématiquement ou individuellement l’enfant, ainsi que le prévoient pourtant un certain nombre de prescriptions légales. 

Les professionnels sont obligés de s’adapter aux moyens disponibles, alors que l’inverse devrait être la norme. L’avocat se place souvent sur un strapontin, quand il n’est pas laissé dans le couloir de la salle d’urgence ou du tribunal, ce qui est préjudiciable pour toutes les raisons qui vous ont été exposées précédemment.

Il est essentiel de considérer également que, dans le domaine de la protection de l’enfance et de l’assistance éducative, ce sont les mêmes opérateurs qui interviennent pour l’exécution des mesures, qu’elles soient administratives ou judiciaires.

S’agissant de la déjudiciarisation envisagée, il est vrai que le moment judiciaire est celui de la prise de décision. Cependant, la problématique réside dans l’exécution. En effet, les difficultés rencontrées en matière administrative se retrouvent également en matière judiciaire, car ce sont les mêmes opérateurs qui exécutent les décisions. Ainsi, toute la chaîne est affectée, indépendamment des difficultés inhérentes à la justice, telles que les délais d’audiencement, le manque de moyens ou de jugements. Le manque de moyens affecte directement l’application des mesures.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure.  Je vous remercie pour votre intervention. Nous avons entendu de nombreux magistrats lors des auditions, ce qui nous a permis d’obtenir un état des lieux. Cependant, en commission d’enquête, il est essentiel d’apporter des éclaircissements supplémentaires.

De nombreuses décisions sont prises sans respecter les droits des enfants, puisque l’assistance éducative est effectuée sans greffier, et souvent sans la présence d’un avocat. Êtes‑vous saisis de ces sujets ? Avez-vous la possibilité d’intervenir sur des décisions qui pourraient être annulées car prises dans des conditions inappropriées ?

Par ailleurs, nous avons été nombreux à porter des amendements dans le cadre du projet de loi porté par M. Adrien Taquet pour défendre la présence des avocats. Malheureusement, ils n’ont pas été retenus par la majorité de l’époque. Un amendement concernant la personne ad hoc avait été adopté, mais ces personnes sont souvent peu formées. Avez-vous une visibilité sur ces personnes qui, in fine, n’accompagnent pas non plus les enfants ?

La loi du 14 mars 2016, sous l’impulsion de la ministre Laurence Rossignol, recentrait les priorités sur les besoins fondamentaux des enfants, contrairement à la loi du 5 mars 2007, plus axée sur la famille. En 2022, les évolutions se poursuivent, avec des questions importantes autour du tiers digne de confiance et de la présence d’avocats. Cependant, nous constatons que ces objectifs ne sont toujours pas atteints. J’aimerais connaître votre avis sur ces points et savoir si vous intervenez sur de nombreux dossiers, qui pourraient être accompagnés, dans la mesure où les décisions ne respectent pas les droits des enfants, ni même ceux de la famille, qui n’a parfois pas accès à la procédure. 

M. Arnaud de Saint-Rémy. Une décision admise est une décision comprise. Un enfant ne peut admettre une décision de placement s’il ne l’a pas comprise. L’avocat prendra le temps, avant, pendant et surtout après l’audience, de lui expliquer le sens de cette décision. De surcroît, si cette décision ne le satisfait pas, il existe des recours.

La difficulté réside dans la manière dont l’enfant va décider lui-même d’être accompagné d’un avocat. Cela reste complexe. La loi Taquet prévoit une obligation d’information donnée à l’enfant lors du premier entretien sur son droit d’être assisté d’un avocat. Toutefois, il faut se mettre à la place de l’enfant et considérer sa capacité de compréhension. Il est face à un adulte, de surcroît un juge, dans une situation de fébrilité, voire de vulnérabilité. Il reçoit l’information sans véritablement la comprendre.

Hier, j’ai reçu un jeune garçon de 8 ans avec un discernement remarquable pour son âge, probablement en raison d’une histoire particulière. Ce sont ses grands-parents, tiers dignes de confiance, qui ont demandé au juge que l’enfant soit accompagné par un avocat, compte tenu des difficultés réelles avec la mère. Parfois, il faut qu’un tiers intervienne pour juger cette assistance nécessaire. En réalité, la solution pour les législateurs serait de proposer cette possibilité dès le départ, indépendamment de la question du discernement.

Concernant les administrateurs ad hoc, il existe une inégalité territoriale considérable. Certains administrateurs ad hoc sont formés, compétents, nombreux et suffisamment intéressés pour mener à bien cette mission. Il est impératif que le législateur se penche sur ce statut. Je sais que cela fait partie de vos préoccupations. Nous formulerons plusieurs propositions sur ce sujet.

Mme Nawel Oumer.  En ce qui concerne les moyens de combattre le non-respect des droits, il est essentiel de souligner que l’absence de l’avocat dans une procédure l’empêche d’accompagner l’enfant ou ses parents. En ce sens, l’étape préalable précédemment explicitée est fondamentale. Il doit être précisé à l’enfant qu’il peut bénéficier d’un conseil.

Ce sujet est à mettre en perspective avec celui des convocations. En effet, il subsiste une disparité dans la manière dont l’information est transmise au stade de la convocation, puis envoyée par les juridictions lorsque l’affaire est audiencée. Si l’information est donnée au moment de l’audience, lors du premier contact avec le magistrat, la conséquence technique procédurale est d’envisager un renvoi de l’affaire, ce qui arrive rarement.

Si l’enfant souhaite bénéficier d’un avocat, encore faut-il qu’il en soit désigné un. Rappelons qu’il dispose du droit fondamental, comme tout justiciable, de pouvoir choisir son avocat. S’il n’en connaît pas, un avocat peut être désigné d’office.

La loi du 7 février 2022 a complété une sorte « d’angle mort ». En effet, en l’absence de demande de conseil, lorsque le magistrat ou le président du conseil départemental estime que la présence d’un avocat est requise, il peut en faire la demande d’office, sans demande préalable de l’enfant. C’est dans cet ordre que nous lisons les textes.

S’agissant de faire réexaminer les dossiers pour que les droits soient respectés, encore faut-il que nous soyons présents et que le mineur ait la capacité et la volonté de s’engager dans cette procédure, ce qui n’est pas toujours le cas. 

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Êtes-vous en lien avec les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance (ASE) dans les territoires ? Je sais que cela existe dans certains départements, mais je souhaiterais savoir si c’est le cas à l’échelle nationale. Pouvez-vous partager des exemples de bonnes pratiques ? Avez-vous connaissance de départements qui n’ont jamais contacté les services des CNB ?

M. Arnaud de Saint-Rémy. Nous entretenons des liens étroits avec les départements. En premier lieu, un certain nombre d’avocats sont les avocats des départements et des services de l’ASE. D’autres collaborent avec les services éducatifs départementaux pour l’exécution des mesures, ce qui est fondamental.

Néanmoins, cette logique dépend de la synergie locale. Je me réjouis de constater l’existence des conseils départementaux de la protection de l’enfance (CDPE) et des observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE). Au niveau des chefs de cour, une synergie croissante se met en place. Les barreaux sont impliqués, que ce soit avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les services d’enquête sur la sphère pénale et l’enfance maltraitée, ainsi que les départements. Ces interactions permettent de créer des liens, de mettre des noms sur des visages et d’assurer une meilleure coordination. L’intérêt de l’enfant est notre priorité commune. Lorsque l’avocat de l’enfant intervient lors des audiences d’assistance éducative, il ne doit pas s’agir de la première rencontre avec les parties concernées, que nous connaissons à travers les rapports.

Nous constatons une autre difficulté. À l’audience d’assistance éducative, l’auteur du rapport n’est pas toujours présent. Cela pose problème, car lorsqu’un enfant conteste la description de sa situation par rapport à ce qui est écrit dans le rapport du service d’accompagnement, des questions supplémentaires se posent et nous n’obtenons pas toujours de réponses.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Je suis heureuse de constater que vous soutenez l’intervention systématique de l’avocat en matière d’assistance éducative. J’irai même plus loin en affirmant qu’il est impératif qu’un avocat soit présent dès que l’enfant est confronté à la justice, y compris dans les affaires civiles. J’ai en tête l’exemple concret d’une mère assignée devant un tribunal correctionnel pour ne pas avoir traité ses enfants de manière appropriée. Les faits étaient absolument épouvantables. Lors de cette comparution, les enfants, bien que victimes, n’avaient pas d’avocat pour les représenter. En assistance éducative, un enfant peut avoir un avocat. En revanche, ce n’est pas le cas d’un enfant victime, surtout en l’absence d’administrateur ad hoc, étant précisé que ce dernier n’est désigné que lorsqu’un conflit d’intérêts entre le parent et l’enfant est suspecté, ce qui prend du temps.

Dans cet exemple, l’enfant martyrisé – et il n’était pas le seul – n’avait pas d’avocat. Heureusement, le juge, conscient de la gravité des faits, a renvoyé l’affaire en cour d’assises, soulignant ainsi l’importance des violences subies. Je souhaite que ce type de situation ne se reproduise plus. Cet exemple n’est pas isolé. Il est crucial que même dans les affaires de divorce, un avocat soit systématiquement désigné pour représenter les enfants, et ce dès le premier signalement.

En outre, votre proposition d’un tiers de confiance, comme une grand-mère, est très intéressante. En tant qu’avocate, j’ai pris en charge des dossiers où des grands-mères, alertées par des maltraitances, ont joué un rôle essentiel. En effet, souvent, les mères sont elles-mêmes victimes de violences et ne réagissent pas toujours pour protéger leurs enfants. Il est donc pertinent de considérer cette idée de tiers de confiance. Cependant, il faudra allouer les moyens nécessaires, car actuellement, les avocats intervenant dans ces cas sont souvent surchargés et mal rémunérés.

Au sein du barreau de Meaux – auquel j’étais rattachée –, on veille à la présence d’un référent unique et on garantit un suivi de l’enfant par le même avocat tout au long de la procédure.

Les unités de valeur (UV) qui rémunèrent l’avocat ne sont vraiment pas à la hauteur. Par ailleurs, il est judicieux d’avoir une copie numérisée des dossiers. En assistance éducative, lorsque l’avocat doit rapidement consulter les documents et prendre des notes à la hâte, cela ne permet pas de défendre efficacement son client.

Vous avez mentionné que le conseil départemental pouvait désigner un avocat d’office. En réalité, cela reste théorique. Concrètement, au vu du nombre d’enfants concernés et du nombre d’audiences, le président du conseil départemental ne peut matériellement pas être informé de chaque cas. Bien que cela soit inscrit dans la loi, cette disposition n’est donc ni efficace, ni efficiente. Il est nécessaire de trouver un autre système.

Mme Nawel Oumer. En matière de procédure familiale, dès lors qu’un enfant est impliqué, même s’il n’est pas partie, il a la possibilité d’être assisté par un avocat ou le tiers de son choix lorsqu’il souhaite être entendu par le magistrat. Les enfants victimes peuvent bénéficier d’un avocat. Nous effectuons d’ailleurs très régulièrement des permanences régulières pour les enfants victimes, souvent par l’entremise des administrateurs ad hoc. Le code de procédure pénale permet ainsi, sur demande du procureur, la désignation d’un administrateur ad hoc, qui désigne à son tour un avocat, lorsque le parent est l’auteur de l’infraction dont l’enfant est victime. En ce sens, il existe plusieurs procédures où la présence d’un avocat est déjà prévue.

L’indemnisation des avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle est un sujet récurrent, notamment lors des débats budgétaires annuels. Actuellement, nous rencontrons une difficulté en assistance éducative. En effet, certaines juridictions ne nous délivrent une attestation de fin de mission que lorsqu’un jugement est rendu. Ainsi, même si le travail et l’audience ont été réalisés, si le magistrat rend une décision par la voie d’une ordonnance, nous ne recevons pas d’indemnisation. Nous discutons régulièrement de ce sujet avec la chancellerie. Une rémunération proportionnelle au travail et à l’investissement fournis faciliterait grandement les choses.

M. Arnaud de Saint-Rémy. Je souhaite compléter votre question pertinente concernant la désignation de l’avocat aux côtés de l’enfant victime. C’est prévu par l’article 706-50 du code de procédure pénale, mais le réflexe d’y recourir n’est pas systématique. Ce réflexe devrait être présent dès le début de l’enquête. Or les services d’enquête ne prennent pas toujours en compte la nécessité de se poser la question des intérêts supérieurs de l’enfant. Ils ne se demandent pas si le parent va défendre les intérêts de l’enfant. Parfois, ils interrogent les parents : « Déposez-vous plainte dans l’intérêt de votre enfant ? » Si la réponse est négative, les services d’enquête doivent immédiatement se tourner vers le parquet pour désigner un administrateur ad hoc et un avocat pour l’enfant.

Cette procédure n’est pas systématiquement mise en place. J’ai eu un dossier d’instruction où toute la procédure s’est déroulée sans la présence d’un avocat. Ce n’est qu’à la veille de l’audience que le procureur de la République a remarqué l’absence d’un avocat pour le mineur et a décidé de le désigner. Ce dossier, volumineux, a finalement été renvoyé. Le fait est que cette situation aurait pu être anticipée.

La rémunération des avocats a connu une légère amélioration grâce aux conventions locales relatives à l’aide juridictionnelle (Claj). Cependant, les questions d’UV précédemment évoquées méritent d’être réexaminées régulièrement.

En ce qui concerne le dossier numérisé, il arrive fréquemment que nous recevions le dernier rapport dématérialisé, mais pas tout l’historique du dossier. Or ce dernier est particulièrement intéressant. Aussi, si l’on numérisait régulièrement un dossier d’assistance éducative, à l’instar de ce qui se pratique dans le domaine pénal, nous pourrions bénéficier d’un rapport ou d’une expertise de grande valeur. Actuellement, ce n’est pas toujours le cas. Il est impératif de disposer des moyens nécessaires pour permettre aux greffes et aux juridictions de procéder à cette numérisation.

Mme Valentine Guirato.  C’est aussi la raison pour laquelle nous préconisons la présence de l’avocat dès le dépôt de plainte.

M. Léo Walter (LFI-NUPES). Tout d’abord, s’agissant de la présence de l’avocat dès le début de la procédure, disposez-vous d’éléments sur le coût de cette mesure ? Souvent, lorsqu’on interroge le ministre de la justice à ce sujet, il répond que ce serait souhaitable, mais financièrement inabordable.

Ma deuxième question porte sur les récentes annonces du Premier ministre Gabriel Attal en matière rétablissement de la procédure de comparution immédiate, supprimée en 2021.

En outre, il serait intéressant de vous entendre sur les courts séjours en foyer, tant en termes de faisabilité que de places disponibles. 

Par ailleurs, quel regard portez-vous, en tant qu’avocats, sur la remise en cause de l’excuse de minorité ?

Enfin, j’aimerais aborder la situation des mineurs non accompagnés. Nous constatons dans nos permanences que la présomption de minorité se transforme souvent en présomption de majorité. Quelle est votre vision en la matière ? Quelles sont les conséquences potentielles des articles 39 et 44 de la loi « immigration » du 26 janvier 2024 ? Concernant l’ASE, j’ai été interpellé à plusieurs reprises par des situations absurdes où, en raison du refus de reconnaissance de minorité, le conseil départemental se déclare incompétent, tandis que l’État refuse de prendre en charge la personne faute de preuve de majorité. Cela crée une situation particulièrement complexe et délétère pour celle-ci.

M. Arnaud de Saint-Rémy.  Le coût de la mesure est souvent présenté comme un obstacle insurmontable. On nous oppose régulièrement que cela coûterait trop cher. Néanmoins, peut-on sacrifier les droits d’une personne pour des raisons financières ? Il paraît absurde de refuser à quelqu’un le droit à un avocat sous prétexte que cela coûte trop cher. Pour la justice pénale des mineurs, il a été décidé que l’avocat était obligatoire. Cela ne fait pas débat, depuis l’ordonnance de 1945 modifiée. En assistance éducative, ce n’est pas le cas, car cela coûterait trop cher. Je ne comprends pas ce syllogisme.

L’expérimentation que nous avons appelée de nos vœux vise précisément à modéliser le coût. Nombre de chiffres fantaisistes ont été avancés, notamment lors de la discussion sur les amendements au projet de loi de finances, où l’on affirmait que cela coûterait des sommes absolument considérables. Or l’expérimentation menée dans les Hauts-de-Seine en 2021 a montré que ce n’était pas le cas.  Ensuite, il est possible d’effectuer un travail de modélisation en rapport avec le nombre de situations d’enfants pris en charge chaque année, soit 112 000. De mon point de vue, cette démarche n’entraînerait pas un coût exorbitant. De surcroît, il est ici question d’un droit fondamental.

Les pouvoirs publics décident de ne pas recruter suffisamment de magistrats et de greffiers, alors même qu’il serait nécessaire de disposer d’une centaine de juges des enfants supplémentaires, ne serait-ce que pour traiter la question de l’assistance éducative.

Vous m’avez posé deux questions qui dépassent peut-être la mission de la commission d’enquête, mais je vais y répondre car elles restent d’actualité, à savoir la comparution immédiate et l’excuse de minorité.

La comparution immédiate serait une horreur intégrale, car nous n’aurions absolument pas le temps d’assurer la défense des intérêts du mineur. Nous rencontrons déjà des difficultés avec le code de justice pénale des mineurs, où les délais peuvent être très courts. En huit jours, une audience unique peut avoir lieu. Or les dossiers uniques de personnalité et les recueils de renseignements socio-éducatifs (RRSE) sont souvent incomplets. Comment peut-on assurer la défense des mineurs dans ces conditions, sous prétexte d’une délinquance juvénile importante ? Nous sommes très défavorables à la comparution immédiate.

L’excuse de minorité est également remise en cause. Le système de justice pénale des mineurs serait totalement révisé. Actuellement, le juge peut lever l’excuse de minorité dans certaines circonstances exceptionnelles. Cependant, il semble que l’excuse de minorité serait supprimée dès 13 ans ; les mineurs seraient jugés comme des majeurs, avec les peines correspondantes. Le problème réside dans le choix de la peine. Cette réponse semble satisfaire une certaine opinion publique, mais nous y sommes extrêmement défavorables.

Concernant l’article 44 de la loi « immigration », relatif aux mineurs non accompagnés, il est terrifiant d’imaginer que, sous prétexte d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), on remette en cause la protection des mineurs non accompagnés. Le Conseil d’État a validé cette disposition dans une décision de mars 2024, ce qui est extrêmement inquiétant. La question de l’accueil des jeunes majeurs pose déjà de nombreuses difficultés. Désormais, ces personnes, considérées comme mineures non accompagnées, n’auraient plus droit au même dispositif. Je ne sais pas dans quel monde nous vivons, mais ce n’est pas celui que j’espère pour les années à venir.

Mme Valentine Guirato. S’agissant des courts séjours, nous estimons qu’il s’agit d’effets d’annonce au vu du nombre de places dont disposent les foyers. En termes d’exécution, l’état des foyers n’est pas compatible avec un accueil de ces mineurs.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je souhaite savoir si les conventions de partenariat entre les tribunaux judiciaires et les barreaux, préconisées par le garde des Sceaux, ont bien été conclues.

Lorsqu’une désignation est effectuée, est-elle réalisée d’office par le juge ou à la demande du président du département ?

Nous avons parlé du rôle de l’administrateur ad hoc. Je souhaiterais toutefois obtenir des exemples à l’échelle territoriale. Quel est l’état de la situation sur le terrain ? On constate que le système est à bout de souffle et que les droits des enfants sont souvent négligés.

Le discernement des enfants fait l’objet d’une appréciation incertaine par les juridictions. Par exemple, certains enfants de 8 ans sont jugés capables de discernement, mais ne bénéficient pas d’une assistance pour autant.

Mme Nawel Oumer. Je confirme l’existence d’une inégalité territoriale réelle concernant l’appréciation de la notion de discernement. Le décret du 2 octobre 2023, pris en application de la loi du 7 février 2022, a réintroduit cette notion dans le cadre des notifications des jugements. La difficulté réside dans le fait que le discernement est laissé à l’appréciation du magistrat, de même que le bénéfice éventuel d’un administrateur ad hoc et d’un avocat, ainsi que la notification du jugement.

Les pratiques varient considérablement selon les juridictions. Certaines juridictions fixent un âge de manière quelque peu arbitraire, même si ce terme paraît fort, car il est important de souligner que tous les juges des enfants sont profondément engagés dans leurs fonctions. Cependant, les décisions peuvent sembler manquer de fondement clair et reposent souvent sur une approche pragmatique visant à trouver une solution.

Par exemple, certaines juridictions ont décidé que les notifications se feraient à partir de l’âge de 13 ans pour les jugements. La notion de discernement pose problème car elle est appréciée par le magistrat à un moment qui peut parfois arriver trop tard. Cela est particulièrement problématique lorsqu’il s’agit de reconnaître le droit de bénéficier d’un avocat ou d’être considéré comme un acteur à part entière de la procédure, notamment pour la consultation du dossier.

La difficulté réside dans le moment où l’appréciation sera faite, mais elle concerne aussi les critères retenus et la manière dont elle sera débattue et communiquée à l’enfant. Par exemple, lorsque nous n’avons pas le temps de recevoir l’enfant en entretien individuel, ou lorsque nous manquons de temps pour expliquer une décision, sommes-nous en capacité d’apprécier son discernement ? Désormais, le décret prévoit que l’intégralité de la décision, donc toute la motivation du jugement, soit notifiée à l’enfant. Auparavant, seul le dispositif de la décision était notifié. Cela modifie l’office du juge.

La notion de discernement est nodale car elle conditionne les droits procéduraux et la manière de mener les débats. Elle influence l’approche retenue et doit être prise en compte dans l’évolution du dossier. De ce point de vue, cette notion, qui n’est pas définie par le législateur, constitue un aléa juridique et judiciaire. Le législateur a tenté de la définir en matière pénale dans le code de justice pénale des mineurs, mais pas en matière civile.

M. Arnaud de Saint-Rémy.  Les chefs de juridiction, les barreaux et les bâtonniers tiennent particulièrement à organiser les interventions des avocats d’enfants dans le cadre de leurs missions. De plus en plus de conventions sont signées, notamment au travers des Claj. Ce dispositif a prouvé son efficacité en termes de formation, de permanence, de nombre d’avocats, de suivi et de respect.

Les juridictions respectent scrupuleusement le droit de suite pour les avocats, afin que celui qui intervient dans un dossier d’assistance éducative soit le même que lors de l’intervention précédente. Les juges sont particulièrement sensibles à cet aspect qui garantit un suivi continu.

Nous observons l’émergence de conventions s’inspirant de celle que nous avons proposée. Le CNB a en effet proposé un modèle de convention que les barreaux peuvent adopter pour l’intervention systématique de l’avocat en assistance éducative. Ces conventions sont adaptées localement en fonction des spécificités et des jours des audiences, et même des notions de discernement. Par exemple, une convention, rédigée très rapidement par le barreau et la juridiction de Bourges, constitue un véritable exemple d’efficacité dans ce domaine. Ces conventions fonctionnent, mais elles pourraient encore être améliorées en termes d’anticipation, dans le cadre de la politique menée par les juridictions en matière d’assistance éducative.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je souhaite aborder la question de la protection de l’enfance et de la formation, notamment dans le cadre de l’assistance éducative. Dans les études des avocats, ce sujet est peu traité au fil des années, y compris dans les écoles du barreau. Il me semble, sauf erreur de ma part, que cette question des besoins fondamentaux des enfants est récente.

Dans cette commission d’enquête, nous constatons également que la question de la formation initiale et continue évolue. Ce que nous pensions il y a trente ans sur le développement de l’enfant, influencé par les neurosciences et les notions de besoin de sécurité et de développement, a changé. Les positions évoluent avec les connaissances, et les métiers, ainsi que la compréhension des enfants, doivent s’adapter. En protection de l’enfance, cela revêt une importance particulière, surtout pour ceux qui vont accompagner les enfants, comme les avocats. À ce titre, je souhaite savoir ce qu’il existe en matière de formation sur la compréhension des besoins fondamentaux des enfants, afin de les défendre et de comprendre les enjeux qui peuvent se nouer avec leur famille.

La protection de l’enfance a un accès très particulier à ce qui peut se jouer dans les relations entre l’enfant et sa famille. Cette dernière peut être maltraitante, mais, parfois, la situation est plus nuancée, avec des dynamiques toxiques. Quoi qu’il en soit, la connaissance de ces mécanismes est primordiale pour l’intérêt de l’enfant.

M. Arnaud de Saint-Rémy. Tout d’abord, il n’existe pas – et nous ne le souhaitons pas – d’école nationale du barreau. Il existe une École nationale de la magistrature (ENM), mais les spécificités locales justifient l’existence d’une quinzaine d’écoles d’avocats réparties sur tout le territoire français, en plus de l’École de formation professionnelle des barreaux (EFB) située à Paris.

Premièrement, concernant la formation initiale des avocats, il est important de noter que ce sujet n’est pas toujours au centre des préoccupations. Pour devenir avocat, il est nécessaire d’obtenir un master, ce qui implique une formation universitaire préalable qui enseigne les bases essentielles. Ensuite, l’école d’avocats intervient pour compléter cette formation. Cependant, il ne s’agit pas d’une école de spécialisation.

Des modules optionnels sont de plus en plus proposés dans le cadre de cette formation initiale. Dans le cadre du projet pédagogique individuel (PPI), les avocats peuvent choisir de se former à la prise en charge des enfants, par exemple en effectuant un stage dans une association, un service éducatif ou auprès d’une juridiction des mineurs, ce qui leur permet d’accumuler des « points de formation ».

Deuxièmement, je tiens à préciser qu’en tant qu’anciens bâtonniers, Mme Valentine Guirato à Bergerac et moi-même à Rouen, nous n’avons jamais rencontré de bâtonnier qui ne vérifie pas la formation initiale des avocats avant de créer un groupe de défense dédié aux droits des enfants. Cette formation initiale peut être contrôlée soit par le bâtonnier, soit par son délégataire.

La formation continue joue également un rôle crucial. En l’occurrence, les écoles d’avocats offrent une formation continue très variée. Les formations dispensées par l’ENM sont souvent enrichissantes, tout comme celles proposées par les instituts d’études judiciaires (IEJ).

Dans les Claj, il existe une obligation morale de former les avocats intervenant dans les dossiers d’assistance éducative. Lorsqu’un bâtonnier constate qu’un confrère ne possède pas le niveau requis, ce qui arrive très rarement, il lui demande de suivre une formation complémentaire.

De plus, il est impératif que la moitié de la formation annuelle soit dédiée à la mention de spécialisation. Ainsi, un avocat spécialisé en droit des enfants doit justifier que la moitié de son quota de 20 heures de formation annuelle est consacrée à cette spécialisation.

En définitive, nous sommes particulièrement friands de ces formations. Nous organisons également des colloques et le CNB propose des webinaires très suivis. Ces initiatives couvrent divers domaines, notamment les neurosciences ou le recueil de la parole de l’enfant. Chaque année, nous tenons les états généraux de la famille, incluant un atelier spécifique sur ce sujet. J’ai eu l’occasion d’animer cet atelier, mais mes obligations actuelles ne me le permettent plus. Quoi qu’il en soit, cet atelier attire toujours un grand nombre de confrères, très intéressés par ces thématiques.

Mme Nawel Oumer. Les universités forment des juristes, tandis que les écoles d’avocats forment des avocats.  Le droit des mineurs et des enfants n’est pas encore surinvesti au niveau universitaire et de la recherche, même s’il gagnerait à l’être. En conséquence, le nombre de diplômes universitaires ou d’État consacrés à cette matière reste limité, ce qui montre qu’il y a encore une grande marge de progression.

La formation dans ce domaine intervient essentiellement dans le cadre de la formation continue. Pour être maintenus sur les listes des groupements d’avocats d’enfants, la plupart des barreaux exigent un certain nombre d’heures de formation continue obligatoire, soit 20 heures par an, dont une partie doit être dédiée à cette spécialité.

Il est important de noter que cette matière est particulière. Les magistrats, que vous avez auditionnés, revendiquent un office spécifique, différent de celui du magistrat classique qui tranche des revendications de parties. En effet, ce magistrat a la capacité exceptionnelle de statuer au-delà des demandes habituelles, ordonnant des mesures qu’il ne pourrait normalement pas prendre.

Ce débat judiciaire ne se limite pas à une recherche d’adhésion : il vise à construire quelque chose de plus vaste, impliquant un travail collectif. Nous gagnerions tous, et les enfants en premier lieu, à ce que cette recherche de construction, de collaboration et de regards croisés soit intégrée dès le stade de la formation. Lors d’une formation destinée aux magistrats, à laquelle j’ai participé l’année dernière, j’ai constaté une méconnaissance significative de nos métiers respectifs. Cette formation réunissait des juges des enfants, des juges aux affaires familiales, ainsi que des procureurs spécialisés dans les affaires de mineurs. Certains participants ne comprenaient pas bien notre rôle en tant qu’avocats d’enfants, que ce soit dans les affaires familiales pour les auditions d’enfants ou dans l’assistance éducative.

Il est évident que nous gagnerions à améliorer cette compréhension mutuelle. Malheureusement, ce domaine reste marqué par des pratiques anciennes et un cloisonnement persistant, ce qui affecte les procédures. Par exemple, le respect du contradictoire en matière d’assistance éducative est souvent négligé. Les avocats et les parties ne reçoivent pas systématiquement les rapports établis par les services, qu’il s’agisse des rapports d’évaluation à l’ouverture de la mesure ou des rapports d’étape et de bilan. Cette situation est unique, car dans les autres procédures, qu’elles soient civiles, commerciales ou autres, les rapports d’experts sont toujours communiqués à l’ensemble des parties.

Je pense qu’une attention particulière à la formation, au partage et à l’analyse des pratiques serait bénéfique. Une réflexion partagée sur nos pratiques respectives est essentielle, car nous concourons tous, à nos places respectives, à nourrir la réflexion de la juridiction. Nous ne sommes ni des éducateurs, ni des travailleurs sociaux, ni des magistrats, mais chacun de nous contribue à trouver des solutions pour mettre fin aux causes du danger, premier objectif de la saisine d’un juge des enfants.

Ce travail sera d’autant plus bénéfique que nous constatons que le contentieux familial déborde de plus en plus sur le travail d’assistance éducative. Lorsque les parties n’obtiennent pas satisfaction devant le juge aux affaires familiales, elles se tournent vers le juge des enfants, même si ce dernier n’est pas compétent pour traiter les mêmes aspects que le juge aux affaires familiales.

Ce phénomène illustre une tendance générale où les espaces de régulation intermédiaires dans notre société, qu’il s’agisse de la santé ou de l’éducation nationale, sont sollicités. Un proverbe dit : « il faut un village pour élever un enfant ». Ce principe, appliqué à notre société, montre que tous les acteurs de l’intermédiation et de la régulation sont mobilisés.

La justice se retrouve en bout de chaîne. En interne, le juge des enfants se voit confier des dossiers qui auraient pu être régulés plus en amont. Il est donc essentiel de trouver des espaces et des moyens de formation permettant des regards croisés et la création d’une culture commune. Cela serait bénéfique pour tous les acteurs impliqués.

Mme la présidente Laure Miller.  Je vous remercie pour vos réponses.

La séance s’achève à treize heures vingt.

 

 


Membres présents ou excusés

Présents.  Mme Alma Dufour, Mme Christine Le Nabour, Mme Marianne Maximi, Mme Laure Miller, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago, M. Hervé Saulignac, M. Léo Walter

Excusée.  Mme Béatrice Descamps