Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition de Mme Carine Camby, présidente de la première chambre de la Cour des comptes, sur l’enquête demandée en application du 2° de l’article 58 de la LOLF relative aux droits de succession              2

  Examen du projet de loi de règlement du budget d’approbation des comptes pour 2023 (n° 3) (M. Charles de Courson, rapporteur général)              20

  présences en réunion...........................47

 


Mercredi
25 septembre 2024

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 008

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel, Président

 

 


  1 

La commission entend Mme Carine Camby, présidente de la première chambre de la Cour des comptes, sur l’enquête demandée en application du 2° de l’article 58 de la LOLF relative aux droits de succession.

M. le président Éric Coquerel. Nous examinons le rapport de l’enquête sur les droits de succession que la Cour des comptes a réalisé à la demande de notre commission sur proposition du groupe Démocrate. Ce rapport nous a été remis à la fin de la précédente législature et devait, à l’origine, être examiné dans le courant du mois de juin. La période actuelle nous incite fortement à rechercher de nouvelles recettes fiscales. Ce thème nous intéresse donc tout particulièrement.

Mme Carine Camby, présidente de la première chambre de la Cour des comptes. Je me réjouis de vous présenter ce rapport, réalisé à votre demande dans le cadre de l’article 58, 2°, de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Dans le cadre de son instruction, la Cour a eu de nombreux interlocuteurs – direction générale des finances publiques (DGFIP), direction générale du Trésor, direction du budget. Je remercie les rapporteurs pour leur enquête sur place au sein de ces trois services. Ils se sont également entretenus avec le Conseil supérieur du notariat (CSN) et l’Institut des avocats conseils fiscaux ainsi qu’avec des économistes, des sociologues et l’administration fiscale belge.

Ce rapport contient quatre messages principaux. Premièrement, les droits de succession constituent un impôt dynamique. Son assiette est cependant mitée par de nombreux dispositifs dont le coût n’est pas toujours connu avec précision. Deuxièmement, les droits de succession sont le dernier grand impôt dont la gestion s’effectue encore largement sous format papier. Toutefois, avec la dématérialisation, prévue entre 2025 et 2027 et l’utilisation croissante du data mining, c’est-à-dire de l’intelligence artificielle, la gestion et le contrôle de cet impôt pourraient connaître des évolutions en profondeur dans les prochains mois. Troisièmement, les droits de succession, qui ont une forte dimension symbolique, sont un impôt mal connu et mal accepté par nos concitoyens et font l’objet de propositions contrastées dans le débat public. Quatrièmement, la Cour propose trois principes pour une réforme équilibrée : un rendement constant, un élargissement de l’assiette et une baisse des taux.

Les recettes des droits de succession ont plus que doublé depuis 2011, passant de 7 à 16,6 milliards en euros courants, soit 0,74 % du PIB, ce qui place la France en tête de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour le poids des droits de mutation à titre gratuit (DMTG). Parmi les pays voisins, seule la Belgique présente un niveau comparable. L’Allemagne, l’Espagne, le Luxembourg, le Royaume-Uni et la Suisse affichent des niveaux compris entre 0,15 % et 0,3 % du PIB et l’Italie, un taux très faible de 0,05 %. Le dynamisme observé dans les années 2010 s’explique par des évolutions législatives intervenues en 2011 et en 2012, mais surtout par la croissance de la valeur des actifs, notamment immobiliers.

Le régime fiscal des droits de succession est profondément ancré dans le droit civil. Il est structuré par une différenciation des abattements et des taux en fonction du lien de parenté avec le défunt. En ligne directe, les taux marginaux s’étagent de 5 % à 45 %, sur sept tranches. La progressivité est moindre et les taux plus élevés en ligne collatérale. Pour les parents au-delà du quatrième degré et les non-parents, l’impôt comporte une tranche unique de 60 %. Il convient de souligner que les beaux-enfants sont considérés comme des non-parents sur le plan fiscal.

L’augmentation des recettes ne doit pas masquer que l’assiette des droits de succession est fortement réduite en amont par différents dispositifs, dont le pacte Dutreil, l’assurance vie et le démembrement de propriété, que nous avons plus spécialement étudiés.

Le pacte Dutreil permet une exonération des droits de donation ou de succession pour la transmission des actifs professionnels à concurrence de 75 % de leur valeur. Le dispositif est attractif : le nombre de pactes a augmenté de près de 50 % entre 2018 et 2022, exercice au cours duquel 3 000 pactes ont été signés. Son coût pour les finances publiques, évalué de manière constante à 500 millions depuis dix ans par l’administration fiscale, n’est pas très crédible compte tenu de l’augmentation du nombre de pactes et de la croissance de la valeur des actifs. Une évaluation alternative a été produite par le Conseil d’analyse économique (CAE) en 2021 : il estime le coût total des pactes Dutreil, succession et donation, entre 2 et 3 milliards en moyenne sur la période 2018-2019. Ces chiffres sont contestés par l’administration, qui a récemment revu son chiffrage à 765 millions pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Toutefois, cette évaluation n’a pas encore été publiée et il n’est pas totalement démontré qu’elle est robuste. Le pacte Dutreil est fortement concentré sur le haut de la distribution des patrimoines. Les données manquent de fiabilité mais, en 2019, le montant moyen des successions Dutreil recensées par l’administration était de 1,2 million et celui des donations de 1,6 million.

Concernant le dispositif d’épargne longue que constitue l’assurance vie, le régime fiscal est également plus favorable que le droit commun. En particulier, les primes versées depuis le 13 octobre 1998 ne sont pas soumises aux droits de succession et font l’objet d’un prélèvement spécifique sur la part recueillie par le bénéficiaire au-delà de 152 500 euros, à hauteur de 20 % jusqu’à 700 000 euros, puis 31,25 % au-delà. Le CAE avait évalué en 2021 le coût global de ces dispositions entre 4 et 5 milliards sur la base d’hypothèses simplifiées et de données de 2017 et 2018. Leur bénéfice est plus réparti que celui des pactes Dutreil puisque la transmission par assurance vie a concerné 850 000 bénéficiaires en 2018. Le régime de l’assurance vie est plus favorable que le droit commun, mais il n’est pas classé comme une dépense fiscale. La Cour recommande de la classer comme telle – c’est un enjeu de transparence de procéder à un chiffrage annuel de son coût pour les finances publiques.

Le mécanisme du démembrement de propriété constitue le troisième grand dispositif dérogatoire. Il est également considéré comme une modalité de calcul de l’impôt et non comme une dépense fiscale, mais cela nous semble justifié puisque ce n’est pas le régime fiscal qui est en cause, mais la structure de la propriété dans le cadre des règles du code civil. Lors d’une donation avec réserve d’usufruit, les droits de mutation sont en effet calculés sur la valeur de la nue-propriété. Cette disposition est avantageuse car, lors du décès du donateur, le nu-propriétaire est exonéré des droits de succession sur l’usufruit. Le coût de cette disposition n’est pas évalué par l’administration. Le CAE l’estime entre 2 et 3 milliards, à partir de données de l’année 2006.

Le deuxième message appelant votre attention concerne la modernisation de la gestion et du contrôle des droits de succession. La télédéclaration et la dématérialisation des successions, dont l’introduction progressive est prévue entre 2025 et 2027, vont profondément modifier la gestion de cet impôt. Pour en tirer le meilleur parti, la Cour recommande de rendre la télédéclaration obligatoire. Ces évolutions devraient permettre d’accélérer les délais d’enregistrement des déclarations de succession. Elles pourraient également se traduire par des possibilités de réduction et de redéploiement d’emplois au sein des services départementaux de l’enregistrement.

La Cour appelle à la vigilance sur la nécessité de préserver des échanges de qualité entre les notaires et les services de gestion, qui permettent d’obtenir des informations plus précises sur certaines successions, et sur le maintien de la dimension locale des contrôles, pour la même raison. À cet effet, elle recommande de désigner des agents référents au sein de chaque direction départementale des finances publiques.

La télédéclaration et la dématérialisation devraient permettre également de résoudre plusieurs difficultés. La première concerne le respect des délais de dépôt des déclarations – deux tiers des déclarations sont déposées hors délai –, qui est en principe de six mois. La seconde concerne l’application de l’abattement de 30 500 euros sur les primes d’assurance vie. Cet abattement pose d’importantes difficultés de gestion puisqu’il doit être réparti entre les bénéficiaires désignés par l’assuré décédé. Or chaque bénéficiaire n’a pas forcément connaissance des autres bénéficiaires, pas plus d’ailleurs que les notaires, ce qui conduit à des dépôts de déclarations erronées et pose des problèmes de liquidation à l’administration fiscale. La Cour recommande donc d’expertiser la mise en place d’un dispositif de transmission, par les compagnies d’assurances et les établissements bancaires, des informations relatives aux bénéficiaires de chaque contrat d’assurance vie et aux primes correspondantes sur la plateforme de télédéclaration, appelée « e-enregistrement ».

Comme pour la plupart des impôts sur les particuliers, le contrôle des droits de succession repose sur une programmation mixte qui associe une analyse locale des risques et l’exploitation des listes issues du data mining. La contribution de cet outil d’intelligence artificielle reste toutefois difficile à déterminer car son introduction est récente. Les droits moyens rappelés sont relativement élevés puisqu’ils s’établissaient en moyenne à 15 400 euros par contrôle en 2022.

Troisième message, les droits de succession constituent une imposition à la fois mal acceptée et mal connue alors que ses justifications économiques sont solides. La taxation des héritages est l’une des impositions les moins bien acceptées par les Français, si l’on en croit une enquête de France Stratégie réalisée en 2017. À la question « Comment faudrait-il taxer les différentes catégories de revenus sur une échelle de 1 à 10 ? », les Français attribuent une note moyenne de 2,4 aux donations et aux héritages contre 4,3 pour les revenus des placements financiers. Selon une enquête réalisée en 2020, 21 % des personnes interrogées seulement trouvent juste ou très juste que l’héritage de parents fortunés qui ont beaucoup travaillé durant leur vie afin de constituer des économies pour leurs enfants soit imposé et 52 % considèrent que les parents riches devraient transmettre toute leur richesse à leurs enfants. L’édition 2023 du baromètre des prélèvements fiscaux et sociaux en France publié par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) donne une version plus nuancée et plus clivée : 41 % des personnes jugent cet impôt trop important, 40 % le jugent insuffisamment élevé et 1 % seulement, juste.

L’imposition des héritages est par ailleurs très mal connue et son taux effectif d’imposition est généralement surestimé.

L’impôt sur les successions est, à l’inverse, assez populaire parmi les économistes, qui soulignent sa fonction redistributrice. Toutefois, le ratio entre la richesse héritée et le patrimoine privé a augmenté. Cette tendance, amorcée au milieu des années 1970, pourrait, si elle se poursuit, porter ce ratio à un niveau proche de celui observé au début du XXe siècle. Il faut également signaler une forte concentration de ce patrimoine parmi le dernier décile.

L’OCDE relève, sur la base d’études empiriques, que l’impôt sur les successions implique peu de distorsions, contrairement à d’autres impôts sur le capital, et recommande son augmentation dans les pays où la fiscalité du patrimoine est peu élevée, ce qui n’est pas le cas en France, qui est en tête des pays de l’OCDE pour le poids de l’impôt sur les successions et les donations par rapport aux PIB. Par ailleurs, la fiscalité du patrimoine, qui représente 4 % du PIB, est la plus élevée de l’Union européenne.

La Cour a dégagé deux principes pour une réforme équilibrée.

Le premier principe est celui d’une réforme à rendement constant, ainsi que l’impose la situation des finances publiques.

Le second principe est celui d’un élargissement de l’assiette des droits de succession par un resserrement de certains dispositifs dérogatoires. Les avantages fiscaux attachés à l’assurance vie peuvent paraître élevés au regard du niveau actuel de l’épargne et du rôle de l’assurance vie dans le financement de l’économie. Le resserrement du dispositif Dutreil pourrait s’inspirer du système allemand, qui est plus exigeant. Les gains produits par l’élargissement de cette assiette pourraient être employés pour financer une baisse de taux ciblée afin d’assurer une meilleure équité de cet impôt.

M. le président Éric Coquerel. Mohamed Laqhila, initialement désigné pour assurer le suivi de ce rapport, ne siège plus parmi nous. J’en profite pour saluer son groupe, qui est à l’origine de la demande de rapport. Il constituera un élément important dans la perspective du débat budgétaire.

Le bureau a désigné M. le rapporteur général pour assurer les fonctions de M. Laqhila.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Madame la présidente, je vous remercie pour ce rapport, mais peut-être n’est-il pas allé au fond des questions fondamentales que nous nous posons depuis des années en commission des finances.

Quelle est l’incidence effective des droits de succession sur les inégalités dans la société française ? Vous avez souligné qu’une part croissante du patrimoine est héritée, alors que cette proportion avait constamment baissé jusqu’au début des années 1970. Cette tendance s’explique par des raisons très simples : l’augmentation de la part des propriétaires parmi l’ensemble de nos concitoyens et la très forte augmentation des prix de l’immobilier. On observe le même phénomène pour les détenteurs d’actifs mobiliers, notamment les actions. Estimez-vous que les droits de succession contribuent à la réduction des inégalités ou que la progressivité devient, au-delà d’un certain niveau, dégressivité, ainsi qu’on le constate pour d’autres dispositifs ?

Concernant les dispositifs dérogatoires, le système Dutreil, adopté pour favoriser la transmission familiale des entreprises – un objectif largement partagé par la plupart des groupes politiques –, pose la question de savoir jusqu’à quel niveau cette transmission doit être imposée de façon dérogatoire. Vous préconisez de sortir de l’assiette les éléments qui ne sont pas liés à l’exploitation de l’entreprise, notamment certains logements. C’est une première approche. N’y a-t-il pas un niveau au-delà duquel il faudrait réduire l’abattement de 75 % ? Pourrait-il en être de même pour l’assurance vie ? Tous les ministres des finances se sont opposés à un changement de sa fiscalité car 20 % à 25 % de la dette publique française sont financés par l’intermédiaire des contrats d’assurance vie. Dans vos recommandations, vous avez écarté une réforme du dispositif de démembrement de la propriété alors que la transmission de la nue-propriété, lorsqu’elle est réalisée assez tôt en faveur de ses enfants, permet de payer un taux très réduit, d’à peu près 1,5 %, une fois que l’usufruit aura disparu.

Vous l’avez rappelé, les droits de succession sont ancrés dans le droit civil. Leur barème est fondé sur une conception traditionnelle de la famille. Or notre société évolue et, avec elle, les formes des familles, ce qui peut poser des problèmes lors d’une succession, notamment vis-à-vis des beaux-enfants dans le cas de familles recomposées. Vous n’avez pas fait de recommandations d’adaptation des droits de succession à ces évolutions.

Je note enfin que votre rapport n’a pas abordé la question des transmissions impliquant un défunt ou un bénéficiaire résidant fiscalement à l’étranger. Or il semble que la lutte contre la fraude se heurte à de gros problèmes de détection des héritages à l’étranger ou d’étrangers qui héritent de biens situés en France. Pourriez-vous nous éclairer sur ce sujet ?

Mme Carine Camby. Le rapport montre une forte augmentation de la part de l’héritage, notamment immobilier, dans le patrimoine ces dernières années. La taxation reste progressive, toutefois l’avantage procuré par les dispositifs dérogatoires augmente plus que proportionnellement au patrimoine ce qui génère un effet régressif sur le haut des patrimoines. Cela est surtout vrai pour les patrimoines les plus élevés, notamment en raison du dispositif Dutreil. Celui-ci concerne certes une très faible partie de la population, mais 40 % des actifs exonérés dans le cadre de ce dispositif concernent des transmissions de plus de 60 millions d’euros.

Faut-il exclure les éléments qui ne sont pas liés à l’exploitation de l’entreprise ? Cette décision appartient aux parlementaires. Nous nous contentons d’éclairer le débat. Une baisse du taux d’exonération de 75 % à 50 % du patrimoine de biens professionnels ne toucherait que les cinq derniers centiles de la population, avec un impact très fort sur les cinq derniers milliles, et ne toucherait donc que les patrimoines les plus élevés.

L’assurance vie est un dispositif très attractif pour la transmission de patrimoine. Sa détention augmente très fortement avec l’âge : une grande partie des ménages dont la personne de référence a 70 ans ou plus détient un contrat d’assurance vie alors que, pour les ménages dont la personne de référence a moins de 30 ans, la proportion est très faible. Pour mesurer son rôle dans le financement de l’économie, des études supplémentaires seraient nécessaires. Une partie relativement faible de l’assurance vie est investie dans les sociétés non financières. Il n’est pas avéré que ce dispositif contribue de façon active au financement des entreprises.

Nous ne faisons pas de recommandations sur la question de savoir s’il faudrait faire profiter les beaux-enfants des mêmes abattements que les enfants en ligne directe ; c’est aussi une décision qui appartient au Parlement, lequel pourrait s’inspirer d’autres pays. Ainsi, en Allemagne, les enfants du conjoint peuvent bénéficier d’un abattement beaucoup plus important : l’abattement en ligne directe en France est de 100 000 euros alors qu’il est de 400 000 euros en Allemagne. Le Conseil supérieur du notariat a d’ailleurs proposé d’augmenter l’abattement pour les beaux-enfants.

M. Guilhem Blondy, conseiller maître, secrétaire général de la Cour des comptes. S’agissant des biens détenus à l’étranger, les actifs financiers font l’objet d’un échange automatique d’information, qui a été promu par l’OCDE, et l’administration fiscale détient beaucoup d’informations à leur sujet. En revanche, les biens immobiliers ne font l’objet que d’échanges à la demande, alors qu’ils constituent une part important des héritages. Il existe donc une difficulté pour le contrôle. En 2022, dans le cadre du G20, l’Inde a pris une initiative visant la mise en place d’un système automatique d’échange et l’OCDE a publié un rapport en 2023, mais le contrôle des propriétés immobilières à l’étranger n’a pas encore la maturité de celui des actifs financiers.

M. le président Éric Coquerel. Les droits de succession pèsent peu dans la fiscalité : avec un montant de 16,6 milliards, ils ne représentent que 1,36 % de l’ensemble des prélèvements obligatoires. Ce faible rendement s’explique notamment par des avantages fiscaux, qui permettent globalement aux plus riches d’échapper à une part substantielle de cet impôt. Celui-ci pourrait donc être un véritable outil redistributif tout en permettant d’améliorer la situation des comptes publics.

Les travaux de Thomas Piketty ont montré que la part de l’héritage dans les patrimoines est passée de 35 % dans les années 1970 à 60 % aujourd’hui. Il s’agit donc moins de se lever tôt pour s’enrichir que d’être bien né, ce qui va à l’encontre de l’idée que nous nous faisons du principe républicain. Le mouvement injuste de concentration des richesses dans les mains des ultrariches milite en faveur du renforcement de cette fiscalité. J’ai rappelé, lors du passage récent des deux ministres démissionnaires devant notre commission, que le patrimoine des 500 plus grosses fortunes françaises représente aujourd’hui 42 % du PIB alors qu’il n’en représentait que 25 % en 2017.

Pourtant, vous indiquez dans votre rapport la réticence de la population à l’égard de cette fiscalité : 84 % des Français souhaiteraient voir les taux des droits de succession diminuer. C’est paradoxal, puisque plus de 87 % d’entre eux n’auront rien à payer et que le taux effectif d’imposition sur les successions n’est en moyenne que de 5 %. Comme vous le soulignez aussi, c’est principalement la complexité de cette fiscalité qui la rend méconnue et favorise le statu quo. Les résultats des sondages doivent évidemment être pris avec beaucoup de précautions : ainsi que le montrait l’Observatoire des inégalités en 2022, les questions posées présentent souvent des biais sentimentalistes.

Au lieu d’envisager une réforme des droits de succession à rendement constant, ne conviendrait-il pas plutôt d’engager un débat public, éclairé notamment par des chiffrages précis des avantages fiscaux, afin de faciliter un consensus sur une augmentation de ce même rendement ? Une telle évolution permettrait de mettre à contribution les plus riches, qui échappent largement à cette imposition, sans que ceux qui, en réalité, ne paient rien, aient l’impression d’être lésés.

Le délai de rappel fiscal, qui est aujourd’hui de quinze ans, permet de transmettre en franchise d’impôt des sommes cumulées très significatives grâce à l’échelonnement de ses donations à la génération suivante. Selon le rapport d’Oxfam sur les super héritiers publié la semaine dernière, une personne pourrait recevoir trois fois 100 000 euros de chacun de ses parents, soit 600 000 euros, sans payer aucun impôt. Ne serait-il pas opportun de remettre en cause ce dispositif ? Le rappel fiscal, rappelons-le, n’existe que depuis 1992.

L’assurance vie bénéficie d’une exonération totale de droits de succession jusqu’à un seuil de 152 500 euros – par bénéficiaire et non par souscripteur ; au-delà s’appliquent des abattements très avantageux. Le coût de ce dispositif s’élève à 4 à 5 milliards par an. Il y a là, évidemment, matière à réforme.

Enfin, quelles améliorations préconisez-vous concernant le démembrement de propriété, autrement dit la possibilité de transférer, de son vivant, la nue-propriété de certains actifs ?

Mme Carine Camby. Il ne revient pas à la Cour des comptes de se prononcer sur l’opportunité d’augmenter les droits de succession. Nous constatons simplement que ces droits représentent un poids très élevé en France et sont supérieurs à ceux des autres pays de l’Union européenne et de l’OCDE. La part de cet impôt dans l’ensemble des prélèvements obligatoires représente 1,36 % en France contre 0,4 %, en moyenne, dans l’OCDE.

Le délai de rappel fiscal, qui est passé de dix à quinze ans au début des années 2010, permet de cumuler le bénéfice de l’abattement et de favoriser une transmission plus favorable pour les détenteurs d’un patrimoine élevé. L’âge moyen des bénéficiaires des successions en ligne directe, aujourd’hui, est de 50 ans, contre 30 ans au début du XXe siècle. L’évolution de la démographie et de l’espérance de vie accroît la possibilité de faire jouer ce dispositif.

Le démembrement fait échapper aux droits de succession la partie réservée à l’usufruitier. Il est difficile de se prononcer sur la justification économique de ce mécanisme, la littérature économique l’ayant peu analysé. Ce système, appliqué par d’autres pays sous des formes comparables, favorise la transmission à un âge assez précoce. Il pourrait être nécessaire d’engager une réflexion à ce sujet, car le recul de l’âge auquel on hérite soulève la question de l’équité intergénérationnelle. Certains pays imposent les plus-values latentes résultant de l’augmentation de la valeur du bien entre le moment où il a été acquis par la personne décédée et le moment où il est vendu par son héritier. Il pourrait être envisagé de s’en inspirer mais cela ne se ferait pas sans difficulté car cela suppose que l’administration fiscale dispose d’informations très détaillées sur une longue durée. Cela pourrait de surcroît soulever une petite difficulté constitutionnelle, car il ne s’agit pas de revenus disponibles mais de plus-values latentes, qui ne deviendront effectives qu’au moment de la vente.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Franck Allisio (RN). Les droits de succession font partie des vaches sacrées françaises et sont l’objet d’une formidable hypocrisie. Nous avons les droits de succession les plus lourds d’Europe, à l’instar des impôts frappant la pierre et, plus généralement, des prélèvements obligatoires. Le doublement des droits de succession, en 1981, s’est révélé complètement inefficace puisque cela nous a handicapés économiquement face à la concurrence internationale et surtout socialement, puisque la part des patrimoines résultant de l’héritage est passée de 30 % dans les années 1960 à 60 % aujourd’hui.

Cet impôt pèse sur les patrimoines moyens et non sur les plus gros d’entre eux. Le taux marginal de 45 % est en effet seulement facial – c’est là toute l’hypocrisie de la gauche. La fortune de Mme Bettencourt, par exemple, est loin d’avoir été taxée à ce niveau.

Nous recommandons d’alléger massivement les droits de succession sur les patrimoines de toutes les classes moyennes et de remplacer, par exemple, l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) par un impôt sur la fortune financière, qui serait beaucoup plus efficace pour faire contribuer les très gros patrimoines à l’assainissement des finances publiques.

Mme Carine Camby. Compte tenu de la situation des finances publiques, nous considérons que, si une réforme des droits de succession intervenait, elle devrait se faire à rendement constant, en tout cas pas moindre.

M. Mathieu Lefèvre (EPR). Votre rapport a le mérite de mettre en lumière un des maux français, à savoir des taux d’imposition très élevés compensés par de nombreux abattements produisant à leur tour des effets difficiles à corriger. La fiscalité appliquée à la transmission à titre gratuit est très élevée, or elle intervient à la suite de la fiscalité amont. Les droits de succession s’additionnent à l’imposition du capital et du travail, qui est plus lourde en France que dans les autres pays européens. Avez-vous des éléments de comparaison à cet égard ?

Pouvez-vous évaluer les risques que ferait peser sur la compétitivité des entreprises le retour sur certains avantages fiscaux, comme le dispositif Dutreil ou les avantages liés à l’assurance vie ?

Le retour à un délai de rappel fiscal de dix ans n’entraînerait-il pas une stimulation de l’économie, l’accroissement du nombre des donations entrainant une hausse des recettes publiques ?

La réflexion sur les nouvelles situations familiales pourrait-elle être intégrée, à terme, dans la révision des droits de succession ?

Mme Carine Camby. Nous n’avons pas expertisé le niveau de fiscalité en amont. La taxation des plus-values latentes pourrait constituer une piste de réflexion.

S’agissant du pacte Dutreil, il pourrait être limité à la transmission des actifs directement utiles à l’activité de l’entreprise.

Il faudrait mener une étude économique pour mesurer l’impact éventuel d’un raccourcissement du délai de rappel. Nous sommes gênés par l’absence de données : nous nous sommes fondés sur une enquête de 2006. L’une de nos recommandations est de mener rapidement une enquête approfondie sur les droits de succession.

Nous ne nous sommes pas penchés sur les donations, car cela n’entrait pas dans le champ de la commande. Compte tenu de l’élévation de l’âge moyen des bénéficiaires d’une succession, nous considérons que les donations pourraient constituer un outil utile de redistribution entre les générations.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Il y a de quoi se demander si on ne vit pas dans un système « héritocratique », dans lequel la majeure partie des grandes fortunes ne se méritent pas mais s’héritent, et les plus fortunés sont encouragés à transmettre leur patrimoine en n’étant pratiquement pas imposés. De fait, en 2024, sept des neuf nouveaux milliardaires sont des héritiers et, selon Challenges, la majorité des 500 plus grosses fortunes sont aux mains d’héritiers. Pour rappel, 90 % des Français touchent moins de 100 000 euros d’héritage et 50 % ne perçoivent presque rien. Le gros de l’inégalité concerne la tranche des 10 % les plus riches dont le patrimoine moyen est 200 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres – il l’est jusqu’à 600 fois pour les 1 % les plus riches. Et ces inégalités montent en flèche : le rapport Sansu-Mattei de 2023 montre qu’entre 1998 et 2018, les 10 % les plus pauvres ont vu leur patrimoine baisser de 50 %, alors que les 10 % les plus riches l’ont vu s’accroître de 119 %.

L’héritocratie profite aux plus fortunés. Le récent rapport d’Oxfam souligne que les super héritiers – les 0,1 % qui touchent en moyenne 13 millions d’euros d’héritage, soit 180 fois plus que l’héritage médian – ont un taux réel d’imposition de 10 % au lieu de 45 %. Tout cela se fait légalement grâce à des dispositifs, tels que l’assurance vie et le pacte Dutreil, qui permettent d’éviter l’impôt. Non seulement l’argent reste bloqué là-haut, mais cela constitue un manque à gagner énorme pour l’État. Selon Oxfam, si rien n’est fait, nous risquons de perdre 160 milliards d’euros dans les trente prochaines années.

Que devons-nous proposer, dans le cadre du prochain PLF, pour que l’État récupère davantage de moyens, notamment auprès de ceux qui n’ont vraisemblablement pas besoin d’autant ?

Mme Carine Camby. Le rapport montre que le pacte Dutreil favorise le plus les déciles de patrimoine supérieurs. La piste que nous proposons serait de limiter ce dispositif à la transmission des actifs directement utiles à l’activité opérationnelle. Il faudrait procéder à une nouvelle étude économique pour mesurer la réalité de l’effet favorable du dispositif sur l’efficacité économique des entreprises, notamment sur la durée de détention des titres après la succession. La tentation peut en effet exister d’utiliser ce mécanisme à des fins d’optimisation fiscale. L’évaluation du dispositif que la Cour est en train de réaliser nous apportera peut-être, d’ici à quelques mois, des informations plus précises.

Le dispositif allemand est plus exigeant, car le pourcentage d’exonération décroît avec la valeur de l’entreprise. De plus, pour bénéficier de l’avantage fiscal, la personne doit démontrer qu’elle ne peut payer l’impôt sans attenter au patrimoine de l’entreprise. Cela pourrait utilement inspirer une réforme.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Votre rapport a notamment pour mérite de chiffrer la perte annuelle que représentent pour le budget de l’État les trois principaux dispositifs dérogatoires à l’imposition sur les successions : ce sont près de 15 milliards dont profitent très peu de Français et qui permettrait de recruter 250 000 enseignants, policiers et aides-soignantes ou de financer la loi « grand âge ».

On sait que des efforts sont à consentir pour faire face à la crise sociale, environnementale, démographique et budgétaire. Sur les 100 euros qu’un chef d’entreprise verse à un salarié, ce dernier touche, après impôts et charges, 40 euros nets ; pour 100 euros hérités, la même personne perçoit en moyenne 95 euros nets. Autrement dit, la rente paie deux fois plus que le travail, et le hasard de la naissance, deux fois plus que le mérite.

Près de 20 % du revenu des ménages et 60 % de leur patrimoine proviennent désormais de l’héritage, mais les droits de succession représentent à peine 1 % du budget de l’État. Dans ces conditions, il est difficile de considérer que les successions sont lourdement taxées – d’ailleurs, 53 % d’entre elles ne sont pas taxées du tout. Comme chaque jour, 2 000 enfants vont naître aujourd’hui en France. Les inégalités sont telles que 1 000 d’entre eux n’hériteront de rien ou de presque rien, tandis que 2 chanceux à la loterie de la vie percevront au minimum 13 millions chacun. Je ne pense pas que le statu quo soit la bonne réponse.

Je partage depuis longtemps votre regret de n’avoir pas davantage de données fiscales à disposition. Comment expliquez-vous que l’administration française, qui est capable d’instituer la retenue à la source, ne puisse produire des données sur les successions, dont la grande majorité est pourtant déjà enregistrée par les notaires ? N’y a-t-il pas une volonté politique, depuis des années, de maintenir les Français dans l’ignorance, pour que rien ne change ?

Mme Carine Camby. Le système actuel permet d’assurer le recouvrement des droits de succession mais pas de disposer d’informations sur la composition des patrimoines. On devrait disposer de beaucoup plus d’éléments grâce aux réformes en cours relatives à la télédéclaration et à l’automatisation. Il faudra en tout cas veiller à ce que les nouveaux systèmes recueillent ces informations.

Mme Marie-Christine Dalloz (DR). Les rentrées fiscales en matière de droits de succession représentent 16,6 milliards – c’est colossal ! Seule la Belgique présente un niveau comparable. Contrairement à ce que certains peuvent penser, la France ne fait pas partie des pays qui taxent le moins les successions.

C’est un impôt qui est très mal accepté, car le dispositif a quelque chose d’aberrant. Il ne me semble pas légitime de faire payer des droits de succession à l’enfant unique d’un ménage ayant un patrimoine relativement modeste, voire moyen, tel qu’une résidence principale acquise au cours de sa vie professionnelle.

Vous proposez de rendre la télédéclaration obligatoire et préconisez la désignation, à cette fin, d’agents référents dans les directions départementales des finances publiques (DDFIP). Avez-vous estimé le volume des recrutements et les actions de formation que cette mesure impliquerait  cela me fait peur ?

Vous recommandez la réalisation d’une étude statistique relative aux droits de mutation à titre gratuit. Est-ce à dire que Bercy n’a aucune vision sur cette imposition ? Pourtant, les directions départementales peuvent faire remonter les données et un état statistique doit bien exister à l’échelon national.

Mme Carine Camby. Les outils statistiques dont nous disposons, je l’ai dit, sont insuffisants.

S’agissant des recrutements, les services traitent actuellement des déclarations papier, ce qui est très consommateur d’emplois. La télédéclaration et les dispositifs prévus permettraient d’en économiser près de 4 000, en tenant compte du maintien de quelques référents au sein des DDFIP et du redéploiement d’agents là où des besoins se feront sentir.

Mme Christine Arrighi (EcoS). La fiscalité des successions, dont la complexité résulte de l’accumulation de dispositifs dérogatoires, témoigne du mal français qu’est le manque de détermination de la classe politique à réformer. Si l’augmentation du rendement de cet impôt est notable, de façon frappante, 85 % des héritages ne sont pas concernés par les droits de succession, n’étant soit pas taxés, soit pas taxables. Nous devons travailler à assurer le rendement de cet impôt au fort potentiel redistributif et, surtout, à améliorer son acceptation sociale. La Cour propose des pistes de réforme à rendement constant, mais ne recommande pas de mesures de nature à favoriser une meilleure compréhension et acceptabilité sociale de cet impôt. Sans doute est-ce le rôle des politiques d’entreprendre cet important travail de pédagogie et de vulgarisation.

L’enquête souligne, confirmant ainsi les conclusions de plusieurs rapports, dont celui de MM. Nicolas Sansu et Jean-Paul Mattei, la complexité des dispositifs dérogatoires. Le pacte Dutreil et les avantages liés à l’assurance vie profitent largement aux plus fortunés, ce qui contribue à accentuer les inégalités. Il est regrettable que le coût précis des exonérations ne soit pas mieux documenté ; son estimation repose sur des hypothèses obsolètes, comme le dénoncent de multiples rapports, sans résultat.

La lenteur du traitement, liée en partie à l’absence de télédéclaration obligatoire, constitue également un point faible du processus déclaratif. L’an dernier, nos collègues Mattei et Sansu insistaient sur la nécessité d’établir la télédéclaration. Nous souscrivons à l’idée de rendre cette dernière obligatoire et de désigner des agents référents. Le montant élevé des droits moyens rappelés à l’issue des contrôles sur les droits de succession – 15 000 euros en 2022 – montre l’importance des services de contrôle de l’administration fiscale, dont il faut renforcer les moyens humains.

Mme Carine Camby. Le rapport a pris en compte les travaux conduits par MM. Mattei et Sansu l’année dernière. Nous sommes assez en ligne avec leurs propositions.

La non-taxation d’un héritage s’explique, la plupart du temps, par la faiblesse de son montant. Ce n’est pas tant le nombre d’héritages non taxés que la concentration du patrimoine qui doit retenir l’attention. Le patrimoine médian transmis s’élève à 110 000 euros, et 50 % des héritages ne sont pas taxés.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). On avait institué le pacte Dutreil avant tout pour éviter que les entreprises ne soient vendues lorsque la trésorerie manquait pour assurer leur transmission au sein de la famille. Des excès ont été constatés, notamment concernant la durée de détention des parts ou des actions. Il pourrait en effet être opportun de revoir cette dernière afin de mieux respecter l’esprit de ce pacte.

Deux sujets sont absents de votre rapport : les successions vacantes et les legs aux personnes morales et organismes d’utilité publique, qui donnent peut-être lieu à des dérives. Il serait également intéressant de travailler sur les moyens d’améliorer l’évaluation de la valeur vénale des successions.

Vous évoquez une modification de la fiscalité pour tenir compte des nouvelles structures familiales. Pensez-vous qu’il faudrait faire évoluer le code civil, qui reconnaît toujours le principe de la réserve héréditaire ?

Enfin, il est choquant qu’en cas de vente d’une entreprise ayant fait l’objet du pacte Dutreil, la valeur vénale prise en compte soit celle exprimée dans les actes et non celle résultant de l’application des abattements. Il y a là une piste d’amélioration.

Mme Carine Camby. Si l’on fixait à huit ans au lieu de quatre la durée minimale de détention des titres, en assortissant cette condition d’une exigence de maintien de l’emploi, comme en Allemagne, cela pourrait décourager ceux qui sont tentés d’utiliser le dispositif à des fins d’optimisation fiscale.

Nous ne nous sommes pas penchés, en effet, sur les deux points que vous avez évoqués. Lorsque la commission des finances nous adresse une commande, nous avons un échange avec les députés qui en sont à l’initiative ; or, ces sujets n’avaient pas été retenus dans le périmètre de l’étude.

Le droit des successions et la fiscalité découlent des principes définis dans le code civil. Si la fiscalité devait évoluer, elle pourrait éventuellement se fonder sur une réforme du code civil, mais il ne nous appartient pas de nous prononcer sur ce point.

Mme Félicie Gérard (HOR). Au-delà de l’abattement de 100 000 euros, le barème des successions en ligne directe est composé de sept tranches allant de 5 % à 45 %. Pour les successions en ligne collatérale, les taux d’imposition sont plus élevés et moins progressifs ; ils atteignent le taux unique de 60 % pour les successions entre personnes non parentes, dont font partie les enfants dits de cœur – enfants du conjoint, filleuls ou autres. Compte tenu des évolutions de la société, ces différences de taxation vous semblent-elles justifiées ?

Mme Carine Camby. Il ne m’appartient pas de le dire. Il est certain que le dispositif français favorise les successions en ligne directe. Le taux moyen d’imposition effectif s’élève à 8 % pour ces dernières et à 30 % pour les frères, sœurs, neveux et nièces. Les enfants du conjoint sont effectivement considérés comme des non-parents. En Allemagne, le système est plus ouvert, puisque les enfants du conjoint peuvent bénéficier du même traitement fiscal que les enfants en ligne directe. Des évolutions sont donc possibles en ce domaine ; c’est une question de choix.

M. Michel Castellani (LIOT). Les droits de succession revêtent une importance particulière en Corse, où l’arrêté Miot du 21 prairial an IX – ou 10 juin 1801 – a instauré un régime fiscal dérogatoire caractérisé par l’exemption totale des droits de succession et l’absence de sanction en cas de défaut de déclaration. De là résulte la multiplication de biens sans titre de propriété ou en indivision successorale.

Depuis les années 1980 plusieurs mesures ont été engagées, la loi du 22 janvier 2002 a notamment institué une exonération de 50 % des droits de succession et fixé à vingt-quatre mois le délai de déclaration. Au vu des difficultés d’application de ces dispositions, liées au désordre foncier, la loi du 6 mars 2017 a prolongé la dérogation jusqu’au 31 décembre 2027. Une proposition de loi du sénateur Panunzi visant à prolonger encore de dix ans supplémentaires la durée de la dérogation a été adoptée au Sénat et votée à l’unanimité par l’Assemblée de Corse. Même si cette prolongation était approuvée par l’Assemblée nationale, le problème de fond ne serait en rien réglé.

Pour notre part, nous proposons que l’architecture des droits de succession en Corse s’inscrive dans un statut fiscal plus large qui mette à plat l’ensemble des dispositifs fiscaux actuellement applicables dans l’île et qui participe tant à son développement qu’à la justice sociale. Une telle réforme vous semble-t-elle possible à droit constant, sans évolution statutaire de la Corse ?

Mme Carine Camby. Nous n’avons pas étudié ce dispositif. Les exonérations, qui représentent une dépense fiscale d’environ 20 millions d’euros, sont liées au chantier de reconstitution des titres immobiliers en Corse, piloté depuis 2006 par un groupement d’intérêt public constitué entre l’État et les collectivités. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus.

M. Nicolas Sansu (GDR). Ce rapport soulève la question du type de société que nous voulons : une société d’héritiers et de rentiers ou une société où le travail paie et où chacun à sa chance, même s’il n’est pas bien né ?

Il faut briser ce mythe que les droits de succession sont monstrueux et concernent tout le monde ; une immense majorité des successions en sont exonérées. Quand bien même cet impôt est dynamique, il faut, comme nous l’avons fait avec Jean-Paul Mattei dans notre rapport, mettre les 18 milliards qu’il rapporte en regard avec le volume total de 300 milliards de successions et donations, soit un taux d’imposition de quelque 6 % – ce n’est pas confiscatoire.

En outre, tous les quinze ans, un enfant peut recevoir jusqu’à 518 000 euros de donation exonérée d’impôt, ce qui est énorme eu égard aux capacités financières moyennes des Français.

Votre rapport met en évidence trois grands trous dans la raquette. S’agissant du premier, le pacte Dutreil, nous devrions instaurer un plafonnement – cela fera l’objet de débats avec le Gouvernement. S’agissant du deuxième, le démembrement d’actifs financiers, hormis l’optimisation agressive, je n’en vois pas l’utilité économique. S’agissant du troisième, l’assurance vie, chacun sait que c’est une niche fiscale. Puisqu’une modification du dispositif ne serait pas applicable aux contrats en cours, comment pourrions-nous taxer le stock, dont le montant est considérable ?

Comment éviter que la juxtaposition des dispositifs ne favorise l’optimisation – par exemple, dans le cas d’une cession d’actifs vers une holding familiale au Luxembourg, réalisée dans le cadre du dispositif Dutreil ?

Mme Carine Camby. La littérature économique ne montre pas d’utilité du démembrement ; il s’agit d’un avantage accordé dans le cadre de la transmission du patrimoine immobilier. Imposer le stock d’assurance vie paraît difficile ; il faudrait pour cela que la rétroactivité soit possible.

M. Gérault Verny (UDR). Encore une fois, la France se distingue par ses records : elle est championne toutes catégories de l’impôt sur le patrimoine. Pouvons-nous vraiment être fiers de ce titre ?

L’explosion des recettes des droits de succession – l’impôt sur la mort – qui sont passées de 7 milliards en 2011 à 16,6 milliards en 2023, témoigne du dynamisme de cet impôt. Vous proposez une réforme qui, à rendement constant, combinerait la baisse des taux et l’élargissement de l’assiette en ciblant les dispositifs dérogatoires. Or les classes moyennes, qui n’ont pas accès à ces fameuses exonérations, s’en trouveraient encore plus écrasées. Elles seraient les premières sacrifiées sur l’autel d’une telle réforme.

Je comprends la nécessité d’une plus grande équité dans l’effort fiscal, mais elle doit consister à alléger les impôts de qui en a besoin, pas à alourdir ceux de qui en paie déjà beaucoup trop. La France est le pays d’Europe où la fiscalité sur le patrimoine atteint le record absolu de 4,1 % du PIB. Alors que grandit le sentiment de saturation fiscale, les droits de succession sont devenus le symbole de l’exaspération. Cet impôt envoie un message clair : la réussite se paie, la transmission sacrifiée en est le prix. Jusqu’à quand continuerons-nous à spolier ceux qui bâtissent ? Jusqu’où ira l’État, qui prélève sur le dernier souffle de ses citoyens, pour remplir ses caisses ?

Avez-vous évalué les recettes supplémentaires que le vieillissement de la population pourrait engendrer ? Comment éviter, dans un cadre budgétaire rigoureux, qu’une réforme ne pénalise les entrepreneurs et les familles qui ne cherchent, après tout, qu’à préserver leur patrimoine dans un contexte de crise économique ?

Mme Carine Camby. Le droit des successions est stable depuis 2012. La dynamique de cet impôt s’explique par la valorisation des biens immobiliers.

La moitié des successions ne sont pas taxées, ce qui révèle la concentration du patrimoine entre les mains d’un certain nombre de ménages.

Quant au vieillissement de la population, il représente globalement un coût important pour les finances publiques ; c’est un élément à prendre en compte.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Eddy Casterman (RN). Chambres d’agriculture France nous alerte : 100 000 agriculteurs ont disparu au cours des dix dernières années, et dans dix ans, la moitié des chefs d’exploitation sera à la retraite. La transmission en vue du renouvellement des générations demeure un enjeu malgré l’exonération importante de droits de succession rendue possible par le pacte Dutreil, étendu en 2003 aux donations dans le cadre de la transmission de parts ou d’actions de sociétés agricoles.

Le rapport de la Cour des comptes souligne que ce dispositif, « considéré comme une dépense fiscale », a un coût dont l’évaluation est « fondée sur des hypothèses obsolètes ». Une évaluation alternative, réalisée par le Conseil d’analyse économique, a largement revu son coût à la hausse. Celle-ci « est contestée par l’administration, qui a engagé de nouveaux travaux d’estimation susceptibles de déboucher sur un chiffrage en hausse du coût de cette dépense fiscale ».

Faut-il comprendre, en lisant entre les lignes, que ce dispositif, bouée de sauvetage d’un monde agricole en crise, est en danger ? Ces évaluations visent-elles à préparer les esprits à sa disparition ?

Mme Carine Camby. Nous ne disposons pas de données en la matière, mais il est probable que le pacte Dutreil s’applique aux transmissions réalisées dans le secteur agricole. L’administration fiscale doit être en mesure de fournir des données précises pour mesurer son application et son impact.

M. David Amiel (EPR). Votre rapport montre clairement l’inadaptation du droit des successions au regard de l’augmentation des inégalités et du phénomène de recomposition familiale. Il serait pertinent d’alléger les droits de succession pour les classes moyennes et les parents en ligne indirecte, lourdement pénalisés, et, en contrepartie, de renforcer la lutte contre l’optimisation fiscale des foyers les plus aisés pour éviter de dégrader les finances publiques. Mais comment le faire de manière juste et efficace ?

Vous expliquez que la révision de ces dispositifs aurait un effet redistributif puisque le pacte Dutreil, le démembrement – du moins, en partie –, et surtout l’assurance vie bénéficient aux plus fortunés. À partir de quel niveau de patrimoine le contribuable deviendrait-il contributeur net ?

L’Irlande a complètement refondu son système en instaurant une progressivité du taux de taxation en fonction du patrimoine hérité tout au long de la vie. France Stratégie a également travaillé sur cette question. Une telle évolution structurelle de l’architecture de la fiscalité des successions vous paraît-elle envisageable ?

M. Guilhem Blondy. Nous nous sommes contentés de présenter le principe d’une réforme sans en indiquer les modalités, car nous ne disposions pas de données suffisantes. Deux pistes ont nos faveurs pour réformer le dispositif Dutreil : l’augmentation de la durée de détention des titres et l’amélioration de la définition des actifs éligibles, afin de préserver les actifs professionnels et, par conséquent, l’activité économique.

D’après les données fournies par le CAE, qui sont plutôt anciennes, l’assurance vie est un dispositif plutôt répandu, auquel souscrivent les classes moyennes supérieures et les plus riches, alors que seul le dernier centième de la population bénéficie du dispositif Dutreil.

Nous avons analysé le modèle irlandais, qui consiste à plafonner l’impôt sur les successions en tenant compte de l’ensemble du patrimoine reçu durant toute la vie. Le CAE y est favorable. Nous considérons que ce dispositif, outre qu’il est très complexe à gérer, relève d’une philosophie complètement différente de celle du système français, qui est fondé sur le droit civil et le cycle de vie du contribuable, et non sur la famille élargie. En outre, il suppose que l’administration ait connaissance de la structure familiale alors qu’elle ne dispose pas de ces informations.

Mme Véronique Louwagie (DR). S’agissant du pacte Dutreil, il paraît difficile d’évaluer tous les cas de figure qui sont très différents. Lorsque j’étais expert-comptable, j’ai conseillé son application dans certaines situations. Cette transmission organisée de l’entreprise s’accompagne de son développement, car les héritiers n’ont pas à distribuer des dividendes pour payer les droits de succession et peuvent continuer à investir dans l’entreprise.

Certains dirigeants choisissent de ne pas recourir au pacte Dutreil pour transmettre leur entreprise, qui est donc frappée de droits de succession. Sur les 16,6 milliards d’euros représentant le montant total des recettes des droits de succession, à combien s’élève la part engendrée par les entreprises en activité, dans les secteurs industriel, commercial et agricole ?

Mme Carine Camby. Nous ne disposons pas de ces chiffres. Nous ne préconisons pas la remise en question du pacte Dutreil. Simplement, nous constatons que ce dispositif profite proportionnellement plus aux patrimoines les plus élevés, ce qui soulève une question d’équité. La littérature économique ne montre pas que cette transmission familiale est plus efficace qu’une autre ; elle la facilite. C’est la raison pour laquelle ce dispositif a été créé.

Le graphique n° 19, qui figure à la page 68 du rapport, présente la composition du patrimoine des personnes décédées par décile de patrimoine. Il pourrait vous apporter des éléments de réponse.

M. Emmanuel Fouquart (RN). En 2007, les droits de succession ont été allégés et le rendement n’a pas baissé, au contraire.

Le système actuel de taxation des droits de succession favorise les plus aisés, tout en mettant en difficulté les TPE et les PME qui peinent à faire face à ces frais. Quel effet économique pourrait avoir une exonération de cet impôt pendant dix ans pour les héritiers directs repreneurs ? Le manque à gagner fiscal pourrait-il être compensé par le maintien et le développement d’activités créatrices d’emplois et de croissance économique ?

Mme Carine Camby. Nous n’avons pas de réponse précise à votre question. Le dispositif Dutreil représente 5 % des actifs transmis sur l’ensemble des successions.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Vous ne remettez pas en cause le dispositif Dutreil, qui est très important pour la continuité de l’activité économique ; vous en proposez quelques pistes de toilettage : le recentrage sur l’activité professionnelle et la trésorerie. Pourquoi est-il si difficile d’obtenir des données sur ce dispositif, qui représente 3 000 dossiers par an ?

M. Guilhem Blondy. Dans le cadre du dispositif Dutreil, l’administration examine des dossiers papier. Les seules informations dont nous disposons sont celles retranscrites par les agents de l’administration fiscale dans l’application de gestion Fidji-enregistrement, à savoir les droits dus. Nous ne connaissons pas la composition des actifs ; nous ne pouvons donc pas vous indiquer la part des exploitations agricoles ou des PME parmi les sociétés qui ont bénéficié du pacte Dutreil.

Nous souhaitons nous pencher sur cette question. Nous examinerons un échantillon de dossiers réels parmi les 3 000 déposés. C’est la seule manière de procéder compte tenu de l’état du système d’information, qui s’améliorera à l’horizon 2027 – en 2025, seules les petites successions seront concernées.

M. Nicolas Ray (DR). Les agriculteurs doivent fortement s’endetter dans le cadre de la transmission d’exploitation. Que proposez-vous pour encourager les transmissions ?

Tout au long de sa vie, chaque individu peut recevoir plusieurs transmissions patrimoniales, chacune faisant l’objet d’un abattement et étant assujettie à une taxe. Ne faudrait-il pas envisager un taux d’imposition variable prenant en compte le patrimoine reçu tout au long de la vie ?

Le délai de dépôt des déclarations, fixé à six mois, est-il adapté, notamment dans le cadre de successions complexes nécessitant des recherches et des liquidations d’actifs ?

Mme Carine Camby. J’ai déjà répondu à la question relative aux agriculteurs : nous ne disposons pas de données.

S’agissant de l’instauration d’un taux d’imposition qui tiendrait compte de l’ensemble des héritages reçus au cours de la vie, les difficultés soulevées par le modèle irlandais ont été rappelées. Il peut néanmoins être une source d’inspiration.

Dans certains pays, le délai de dépôt des déclarations est inférieur à six mois. Cette durée ne me semble pas poser de problème dans la mesure où l’administration fiscale tolère les déclarations tardives dans certains cas. Du reste, 90 % des déclarations sont effectuées par les notaires, ce qui garantit l’exactitude des éléments transmis à l’administration fiscale.

M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Vous avez indiqué que dans le cadre du dispositif Dutreil, 40 % des transmissions concerneraient des actifs de plus de 60 millions d’euros. Quel est le montant du produit fiscal non perçu correspondant à ces transmissions ?

Mme Carine Camby. Si nous avons ce chiffre, nous vous le communiquerons.

M. Guilhem Blondy. De manière approximative, le montant du produit fiscal non perçu correspond aux trois quarts de la valeur de l’actif transmis.

M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Étant donné qu’il n’y a pas de plafond, ce montant est difficile à déterminer.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Les observations figurant en page 9 de votre rapport me paraissent contradictoires. Il est indiqué que la télédéclaration, qui est un outil de modernisation réduisant les délais de déclaration et les disparités entre les départements, entraînera de fait une diminution du nombre de fonctionnaires nécessaires au traitement des dossiers. Plus bas, est mentionnée la nécessité de conserver « un lien avec le tissu local ». Où placez-vous le curseur entre la diminution du personnel et le maintien du personnel nécessaire ?

Mme Carine Camby. J’ai déjà répondu à cette question. Les chiffres ne sont pas comparables. Le nombre d’emplois supprimés en raison de l’instauration de la télédéclaration et du développement de la plateforme e-enregistrement serait bien plus important que le nombre d’emplois nécessaires pour conserver un lien avec les notaires, afin d’assurer une bonne appréhension des patrimoines déclarés.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). La semaine dernière, Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, est venu nous présenter le rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques ; il a fait état du chaos budgétaire dans lequel nous a plongés la Macronie. Nous avons été plusieurs à convenir de la nécessité de trouver des recettes supplémentaires. Selon le rapport, pour que l’effort correspondant « ne soit pas contreproductif et ne porte pas préjudice à la croissance et à la cohésion sociale, il doit être crédible, efficace et partagé ».

Il est précisément question ici de discuter des modalités du partage. Notre société souffre d’une sécession des plus riches : 500 personnes possèdent 1 228 milliards d’euros – trois fois plus que le budget de l’État – pendant que 9 millions d’autres sont pauvres. Votre rapport montre que l’ultraconcentration des richesses est en grande partie due à notre système d’héritage – sept des neuf Français devenus milliardaires cette année sont des héritiers. Le rapport d’Oxfam, « Super-héritages, le jackpot des ultrariches », évalue à 160 milliards d’euros la perte fiscale pour l’État dans les prochaines années. L’instauration d’un héritage maximum ne permettrait-il pas de lutter efficacement tant contre les inégalités que contre le déficit ?

Mme Carine Camby. S’agissant du constat, le rapport est clair et nous en avons abondamment parlé. La fiscalité du capital en France reste la plus élevée d’Europe ; il faut en tenir compte. Les ajustements pouvant être apportés au dispositif fiscal résultent de choix qui doivent être faits par la représentation nationale.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Dès lors que l’agriculture serait reconnue comme une activité d’intérêt général à la suite de l’adoption de la loi d’orientation agricole, l’instauration d’un dispositif fiscal dérogatoire au droit commun des successions serait-elle conforme à la Constitution ? Le monde agricole nourrit cet espoir.

Mme Carine Camby. Pour répondre à votre question, il conviendrait de connaître les modalités d’un tel dispositif.

M. Jean-Didier Berger (DR). Sous quel délai pourrait-on économiser 4 000 emplois grâce à la généralisation la télédéclaration. ?

Jusqu’à quel seuil les taux pourraient être abaissés par l’élargissement de l’assiette et la réduction des abattements préconisés dans le rapport ?

Selon le rapport, cet impôt est mal accepté, son effet redistributif est réduit et sa progressivité factice. Un impôt proportionnel serait-il plus efficace ?

Mme Carine Camby. Dans les services fiscaux, 4 000 emplois sont consacrés au traitement des déclarations papier. Une grande partie de ces emplois pourraient être réaffectés à d’autres tâches si, d’ici à 2027, l’utilisation de la plateforme e-enregistrement devenait obligatoire. Néanmoins, un certain nombre d’emplois devront être maintenus, afin de conserver un lien avec le tissu fiscal local dans le cadre du traitement des déclarations et du contrôle.

Nous n’avons pas évalué le niveau de baisse des taux, qui dépend des choix faits en matière de dispositifs dérogatoires et d’assiette. Pour rendre le système plus équitable, les taux doivent baisser de manière ciblée. Cette mesure pourra être financée à rendement constant des droits de succession par une révision des abattements.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). L’administration fiscale a perdu 40 000 emplois en vingt ans. Il est difficile pour nos concitoyens, qui ont une fausse idée des droits de succession, et pour les élus, qui souhaitent conduire des réformes efficaces, d’avoir des informations fiables. Cette hémorragie est-elle compatible avec la réalisation de statistiques de qualité ?

Mme Carine Camby. Un lien direct entre le nombre d’emplois et l’élaboration de statistiques ne saurait être établi. Le défi est d’automatiser certaines tâches et de disposer de systèmes d’information où sont collectées des données qui permettraient de réaliser des études ; l’administration fiscale peut le relever sans consommer davantage d’emplois.

M. Éric Woerth (EPR). Cet impôt d’une vie, lourd de symboles, suscite des réactions aussi politiques que techniques. Pourquoi l’abattement applicable aux enfants, de 100 000 euros, est-il différent de celui applicable aux petits-enfants, qui s’élève à 1 600 euros, alors que le barème d’imposition est identique ? Compte tenu de l’âge auquel on hérite, c’est curieux.

Il est très difficile de réformer réellement les droits de succession sans avoir une vision très précise du profil fiscal avant la succession. Les droits de succession sont une des composantes de la fiscalité du patrimoine. S’il y a eu une faiblesse d’imposition avant, ils seront élevés ; si elle a été forte, on en paiera très peu. Il est aussi important de détecter l’optimisation fiscale abusive que de connaître le profil fiscal général.

Mme Carine Camby. L’abattement applicable aux petits-enfants s’inscrit dans la logique du droit civil. Le système est tout de même très favorable aux petits-enfants, même s’il peut être amélioré.

M. Philippe Juvin (DR). Ce débat est aussi technique que politique. Les droits de succession sont le reflet de la société que nous voulons. Si nous croyons à une société de transmission, les droits de succession s’appliquant aux enfants et aux petits-enfants sont des impôts qui confisquent des souvenirs, une maison de famille, le fruit d’un travail au sein d’une entreprise qu’on a créée. Je regrette que la question de la transmission des grands-parents aux petits-enfants ne soit pas davantage mise en avant ; c’est un sujet majeur.

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, l’abattement applicable aux enfants s’élevait à 150 000 euros et le délai entre deux donations était de dix ans contre quinze ans aujourd’hui. Quel serait le coût pour l’État du retour à dix ans du délai du rappel fiscal des donations ?

Mme Carine Camby. Nous ne l’avons pas évalué.

M. Hugo Prevost (LFI-NFP). Nous n’avons malheureusement plus accès aux statistiques. Recommandez-vous la réalisation ponctuelle ou annuelle – que nous appelons de nos vœux –, d’une analyse statistique des droits de mutation à titre gratuit par l’administration fiscale ?

En vue d’éclairer la puissance publique, vous préconisez « d’expertiser la mise en place de dispositifs de transmission par les assurances et les établissements bancaires des informations relatives aux contrats d’assurance vie à la plateforme e-enregistrement ». Quels sont les objectifs de cette recommandation ? La réalisation de cette expertise pourrait-elle se heurter à des obstacles auxquels le législateur devrait être attentif ?

Mme Carine Camby. Cette enquête était conduite tous les quatre ans par l’administration fiscale. Nous ne préconisons pas de la faire tous les ans, mais plutôt, à nouveau, tous les quatre ans.

Pour que les compagnies d’assurance et les banques communiquent à l’administration fiscale sur la plateforme e-enregistrement les informations relatives aux bénéficiaires des contrats, encore faut-il qu’elles les connaissent – les clauses peuvent être très vagues, évoquant par exemple « les enfants nés ou à naître », ce qui complique la tâche des intéressés.

La commission autorise, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, la publication de l’enquête demandée à la Cour des comptes.

*

*     *

Puis la commission examine le projet de loi de règlement du budget d’approbation des comptes pour 2023 (n° 3) (M. Charles de Courson, rapporteur général).

M. le président Éric Coquerel. Le projet de loi de règlement du budget pour 2023 a été déposé sur le bureau de notre assemblée en tout début de législature. Nous n’avions pas eu l’occasion d’examiner en séance le projet de loi équivalent qui avait été déposé sur le bureau de l’Assemblée en avril dernier, dans le cadre de la précédente législature. Or l’examen en première lecture de ce texte est une condition posée par la LOLF pour procéder à l’examen en première lecture du projet de loi de finances pour l’année à venir.

M. Mathieu Lefèvre (EPR). Une question pour M. le rapporteur général, dont je voudrais être sûr de bien comprendre la position institutionnelle. Soutient-il, oui ou non, la coalition gouvernementale ? Si oui, cela justifierait qu’il demeure notre rapporteur général. À l’été, il avait successivement voulu être président de la commission et rapporteur général, entretenant le flou quant à son positionnement. Comment envisage-t-il son rôle ? Sera-t-il le premier rapporteur général du budget de l’histoire de la Ve République à s’opposer à un texte budgétaire ?

M. le président Éric Coquerel. Ce point n’est pas à l’ordre du jour. J’ai bien pris connaissance de votre lettre ; je propose que nous l’examinions dans le cadre du bureau de la commission.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Aux termes de l’article 41 de la LOLF, l’examen du projet de loi de finances pour l’année à venir ne peut débuter qu’après le vote du projet de loi portant sur les résultats de gestion et l’approbation des comptes de l’année n  1. Le Conseil constitutionnel précise qu’un vote en première lecture suffit pour engager la discussion du projet de loi de finances : il n’est pas nécessaire que le texte soit adopté. L’examen du projet de loi portant sur les résultats de la gestion de l’année 2023 est obligatoire, mais le Parlement peut décider de rejeter le texte sans compromettre la procédure budgétaire ni retarder l’examen du projet de loi de finances pour 2025. Des solutions comptables ont d’ailleurs été trouvées après le rejet des lois de règlement de 2021 et 2022, suivant la célèbre décision prise par nos prédécesseurs en 1833.

Le projet de loi, déposé à l’Assemblée nationale le 19 juillet 2024, succède à un projet de loi identique présenté par le Gouvernement en avril 2024 et rejeté par notre commission, mais devenu caduc du fait de la dissolution.

Le présent projet de loi rend compte d’un exercice pour le moins décevant, à plus d’un titre. Je souhaite vous alerter, mes chers collègues, sur la dégradation continue des finances publiques, marquée par des déficits croissants et une gestion inadaptée. La situation budgétaire, déjà fragilisée, s’aggrave d’année en année. En 2023, le déficit de l’ensemble des administrations publiques a atteint 154 milliards, soit 5,5 % du PIB, contre 8,9 % en 2020, 6,6 % en 2021 et 4,8 en 2022. Entre 2022 et 2023, le déficit public est ainsi passé de 126 à 150 milliards d’euros, soit un dérapage de 28 milliards. Pendant ce temps, nos partenaires européens poursuivaient leurs efforts d’assainissement de leurs finances publiques après le covid-19 et la crise énergétique.

Quelle est l’origine de cette situation ? Essentiellement les recettes : les recettes de prélèvements obligatoires ont été inférieures aux prévisions d’environ 21 milliards d’euros, principalement du fait de l’impôt sur les sociétés (IS) et de la TVA – phénomène que l’on retrouve d’ailleurs en 2024. En sus du montant initial, un surgel de 1 % a permis de porter la réserve de précaution à 9,9 milliards ; le Gouvernement a ensuite annulé 5 milliards de crédits par un décret du 18 septembre 2023. Enfin, la loi de finances de fin de gestion 2023 a réduit le montant des crédits sur le périmètre des dépenses de l’État. Au total, ces mesures de pilotage ont limité l’exécution à 489,1 milliards sur le périmètre des dépenses de l’État, contre 96,1 milliards en loi de finances initiale.

Ces limitations de dépenses publiques ont été rendues possibles par des mesures de gel budgétaire décidées par le Gouvernement sans l’aval du Parlement. En 2022 la Première ministre de l’époque, Mme Élisabeth Borne, avait usé de l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi de finances pour 2023. Nous examinons donc un budget sur lequel le Parlement a eu peu d’influence.

Le constat est sans appel : les gouvernements successifs ne maîtrisent plus les déficits publics, tandis que l’absence de croissance ne permet pas de dégager des recettes suffisantes pour absorber ces derniers.

Dans la continuité des votes de notre commission contre les projets de loi portant sur les résultats de gestion et l’approbation des comptes pour les deux exercices précédents, et face à l’absence d’amélioration, et même à la poursuite de la détérioration, je vous appelle à rejeter le présent projet de loi. Cela permettra de souligner le caractère déficient de cette gestion et d’alerter sur l’urgence d’une reprise en main des finances publiques.

J’appellerai à voter contre l’adoption des articles du projet de loi et demanderai le retrait de tous les amendements, sauf ceux tendant à supprimer un article : pour gagner du temps, évitons de soutenir des amendements de demande de rapport qui pourront être redéposés soit en séance publique, soit dans le cadre du PLF pour 2025, où ils trouveraient mieux leur place. Il serait incohérent de faire adopter ces amendements dans l’hypothèse où le texte serait rejeté ce matin.

 

Article liminaire

Amendements de suppression CF7 de M. Jérôme Legavre, CF40 de M. Mickaël Bouloux et CF65 de Mme Danielle Simonnet

M. Jérôme Legavre (LFI-NFP). Il faut supprimer l’article liminaire, car il correspond à l’approbation comptable de la politique gouvernementale. Or deux chiffres résument celle-ci : d’une part, les dividendes versés aux actionnaires des grands groupes ont battu des records cette année, atteignant 97 milliards ; d’autre part, la France compte 11,5 millions de pauvres – elle est le pays de l’Union européenne où le taux de pauvreté a le plus augmenté.

Nous ne contestons pas les chiffres bruts, mais le bilan et son utilisation : il permet de dissimuler le cœur du problème, à savoir le fait que les recettes fiscales ont baissé de 7,5 milliards tandis que le PIB augmentait en valeur de 6,5 points. Ce sont ainsi 21 milliards de recettes fiscales qui manquent en 2023. De fait, l’État n’a eu de cesse de baisser les prélèvements obligatoires. Il faudrait aussi ajouter toutes les dépenses fiscales sous forme de crédits d’impôts ou de cadeaux fiscaux toujours au bénéfice exclusif des mêmes.

Le Gouvernement a beau jeu de dire que l’on ne peut pas continuer ainsi et qu’il faut sabrer dans les dépenses. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, où la mortalité infantile est de 30 % supérieure à la moyenne nationale, on continue de fermer des maternités et les hôpitaux sont exsangues. Cela ne peut pas durer.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Tout ce que je m’apprête à dire ne s’adresse pas à vous, monsieur le rapporteur général, cher Charles de Courson.

Après plus de deux mois sans Gouvernement, la représentation nationale dispose enfin d’interlocuteurs au sein de l’exécutif et peut commencer à examiner les textes budgétaires. Normalement, au 25 septembre, on présente le projet de loi de finances, pas le projet de loi de règlement ! Hélas, les choses ne risquent guère de changer avec le retour à Bercy de macronistes pur jus, notamment M. Saint-Martin, pourtant battu dans les urnes en 2022 – les Françaises et les Français apprécieront.

On ne peut pas accepter cet article liminaire si on dénonce les fautes graves et les dissimulations dont s’est rendu coupable le précédent gouvernement. Valider cet article, ce serait valider la politique économique de ce dernier.

Mme Danielle Simonnet (EcoS). Nous discutons d’un texte qui a été rejeté par notre commission en mai, avant que son examen en séance soit empêché par la dissolution. Les textes équivalents pour 2021 et 2022 ont également été rejetés. Nous nous retrouvons face à un texte déposé le 19 juillet par des ministres – Bruno Le Maire et Thomas Cazenave – alors démissionnaires et qui ne font désormais plus partie du Gouvernement.

Ce projet de loi montre que les cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises sont responsables de la situation catastrophique de nos finances publiques. Le déficit de l’État s’élève à 173 milliards, dépassant largement le montant de 2022 et atteignant près du double de celui de 2019. Depuis 2017, 52 milliards de baisses d’impôts ont été consentis. En 2023, les recettes fiscales ont diminué de 7,4 milliards.

Vous profitez de cette situation catastrophique pour aggraver l’austérité en 2024, par une course aux économies sur des services publics déjà à l’os – rappelons les 10 milliards d’annulations en février ou les 16 à 17 milliards gelés en juillet, pour financer toujours les mêmes cadeaux détaxés aux riches. C’est totalement irresponsable.

Le Nouveau Front populaire n’est pas le seul à le dire : le gouverneur de la Banque de France affirmait il y a quelques jours que « la France n’a[vait] plus les moyens de ces baisses d’impôts non financées » décidées par Emmanuel Macron et exécutées par Bruno Le Maire avec l’approbation des Républicains. C’est une politique inverse qu’il faut mener, en repensant le budget en fonction de la satisfaction des besoins sociaux et environnementaux : il faut partir de ces derniers pour calculer le niveau de recettes fiscales permettant d’y répondre et de redistribuer les richesses.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Avis favorable à ces trois amendements, pour les raisons que j’ai exposées.

M. David Amiel (EPR). C’est quand même la première fois qu’un rapporteur général du budget plaide pour le rejet d’un projet de loi de règlement ! D’où l’importance de clarifier son positionnement politique, non au sein du bureau de la commission, mais publiquement, pour la clarté de nos débats et l’information de tous les citoyens qui les suivent. Monsieur le rapporteur général, êtes-vous dans la majorité ou l’opposition ? Le cas échéant, quel est votre point de vue sur cette rupture par rapport à la tradition ?

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Au-delà de l’avis que l’on peut avoir sur les priorités politiques du budget, une loi de règlement est un constat, une photographie, un document dont nos administrations fiscales ont besoin, au niveau de l’État comme des collectivités territoriales. Tirer ainsi des buts contre l’administration française, lui compliquer la vie de la sorte n’est pas digne de commissaires aux finances. Pour cette raison, nous sommes contre la suppression des articles du texte.

La commission adopte les amendements CF7, CF40 et CF65.

En conséquence, l’article liminaire est supprimé.

 

Après l’article liminaire

Amendement CF36 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Charles de Courson, rapporteur général. Défavorable, non par désintérêt vis-à-vis des demandes de rapport, mais pour les raisons que j’ai expliquées : ce type d’amendement devrait être défendu en séance publique ou dans le cadre du projet de loi de finances initiale.

M. Mathieu Lefèvre (EPR). Je précise à Mme Simonnet que la présentation d’un projet de loi de règlement est requise avant la présentation du projet de loi de finances initiale. Voilà pourquoi le texte a été redéposé, et non par machiavélisme de la part du gouvernement démissionnaire.

M. le président Éric Coquerel. Je confirme.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette successivement les amendements CF56 de M. Mickaël Bouloux et CF78 et CF79 de M. Matthias Renault.

 

Article 1er : Résultats du budget de l’année 2023

Amendement de suppression CF66 de Mme Danielle Simonnet

M. Charles de Courson, rapporteur général. Favorable. La commission des finances, qui avait rejeté le texte, ne va pas se déjuger, d’autant que l’évolution de sa composition renforce le poids de ceux qui, avant la dissolution, avaient voté contre.

Mme Véronique Louwagie (DR). Lors de la première lecture, avant la dissolution, nous avions voté contre les amendements de suppression, bien que nous soyons défavorables au texte, car il faut que celui-ci fasse état des résultats du budget de l’année écoulée – c’est le présent article 1er – et des tableaux de financement prévus aux articles suivants. Nous voterons donc contre les articles, mais nous ne saurions demander leur suppression.

La commission adopte l’amendement CF66.

En conséquence, l’article 1er est supprimé.

 

Article 2 : Tableau de financement de l’année 2023

Amendement de suppression CF67 de Mme Danielle Simonnet

Mme Danielle Simonnet (EcoS). L’exécution du budget 2023 a aggravé la situation. Côté recettes, on a vidé les caisses de l’État en faisant des cadeaux aux plus riches ; à cela s’ajoute une politique d’austérité totalement contraire aux besoins.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Le tableau de financement de l’année 2023, que l’article 2 retrace conformément au II de l’article 37 de la LOLF, témoigne des difficultés de l’exécution de la loi de finances de 2023, constatant un déficit à financer de 8 milliards supérieur à celui prévu en loi de finances initiale, ainsi qu’un endettement de court terme augmentant de plus de 17 milliards par rapport à l’estimation en loi de finances initiale.

Cet article vient donc entériner une gestion 2023 qui a favorisé la dégradation du déficit public jusqu’à 5,5 % du PIB, plaçant la France à contre-courant par rapport à la tendance qu’ont suivie ses voisins de la zone euro. Pour cette raison, et en cohérence avec ma volonté que le texte soit rejeté, avis favorable à l’amendement.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Nous nous opposerons à l’amendement. Je sais que « politique d’austérité » fait partie des mots magiques qu’il faut prononcer quand on siège à gauche de l’hémicycle, mais je ne sais pas ce que ces mots veulent dire quand la dépense publique et la dépense sociale ne cessent d’augmenter, et de façon excessive, mettant en difficulté les équilibres de nos comptes.

M. Philippe Lottiaux (RN). Nous voterons également contre. Nous rejoignons les conclusions de M. le rapporteur général, nous voterions contre les articles s’ils étaient maintenus – la LOLF impose qu’ils figurent dans le projet de loi.

La commission adopte l’amendement CF67.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

 

Après l’article 2

Amendement CF9 de M. Jérôme Legavre

M. Jérôme Legavre (LFI-NFP). L’amendement demande un rapport détaillant la stratégie du Gouvernement pour utiliser la hausse de l’inflation en 2022 et 2023 afin de réduire la dette publique.

Le Gouvernement prône le désendettement, mais les chiffres sont têtus. Normalement, l’inflation permet d’augmenter les recettes et de réduire la dette. Or si la dette publique a baissé de 4 points de PIB entre 2022 et 2024, cela représente trois fois moins que l’inflation cumulée sur cette période. De fait, ces dernières années, l’État a généreusement subventionné les entreprises privées, notamment dans le secteur de l’énergie ; simultanément, comme par hasard, les superprofits de quelques grands groupes ont explosé – de même que la pauvreté. Ces choix doivent être rendus publics et évalués.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Entre 2021 et 2023, le ratio de dette publique a reflué en moyenne d’environ 1,4 point de PIB par an pour s’établir à 110,6 % fin 2023. Ce reflux est dû aux trois quarts à la croissance nominale du PIB. En effet, le taux de croissance réelle de 0,9 % en 2023 a été compensé par une inflation s’élevant à 4,9 % et permettant une baisse du ratio de dette sur PIB malgré un déficit public en hausse.

Cependant, selon le programme de stabilité, en 2024 et 2025, le ratio de dette publique évoluerait de nouveau à la hausse, à un rythme moyen de 1,25 point de PIB par an, pour atteindre 113,1 % du PIB fin 2025. Ce chiffre devrait encore augmenter compte tenu des risques de dégradation du déficit public en 2024.

À partir de cette année, le reflux de l’inflation ne devrait plus permettre d’en faire un levier de désendettement à court terme. Dès lors, le rapport demandé aurait une portée limitée pour nous éclairer sur les pistes de désendettement public.

Par ailleurs, la stratégie de désendettement du Gouvernement est présentée à l’occasion de la publication du programme de stabilité. En outre, le Gouvernement publie un rapport annuel sur la dette des administrations publiques qui donne lieu à un débat en séance publique à l’automne.

Je vous propose donc de retirer l’amendement et de le redéposer lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, où il sera plus susceptible d’avoir un effet réel et de susciter une réponse du Gouvernement, ou, tout simplement, d’intervenir lors de ce débat sur la dette.

M. Mathieu Lefèvre (EPR). Un élément manque dans votre réflexion, monsieur Legavre : les efforts de l’État et du contribuable pour protéger les Français de l’inflation. Vous ne mentionnez pas les boucliers tarifaires – plusieurs dizaines de milliards d’euros – ni le coût de l’indexation sur l’inflation de l’ensemble des prestations et des pensions de retraite, qui a représenté près d’un point de PIB l’an passé. L’inflation n’est pas un bien pour les finances publiques si on veut protéger les Français, ce qu’a fait le précédent gouvernement. Vous ne pouvez pas dire que vous ne comprenez pas l’équation budgétaire parce que les recettes auraient dû mécaniquement augmenter à la hauteur de l’inflation, sans prendre en compte ces efforts – qui ont fonctionné : aujourd’hui, la cible inflationniste revient sous les 2 %, ce qui correspond à la cible traditionnelle de la Banque centrale européenne (BCE).

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CF8 de M. David Guiraud

M. David Guiraud (LFI-NFP). Depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, l’encours de la dette indexée sur l’inflation est passé de 207 à 262 milliards d’euros. Émettre des titres de dette indexés sur l’inflation relève d’un choix politique. Décider de les indexer sur l’inflation européenne est encore plus difficile à comprendre quand on sait qu’en avril 2023, l’inflation atteignait 5,9 % en France et 7 % dans la zone euro. Sur les 11,5 % de dette indexés sur l’inflation, 31 % le sont sur l’inflation française et 69 % sur l’inflation européenne. Tout cela coûte très cher. La charge de l’intérêt de la dette était de 5 milliards en 2021, de 15 milliards en 2022, de 5 milliards en 2023.

Nous demandons donc la publication d’un rapport sur l’évolution de la dette française compte tenu de ce type d’emprunts.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Avis défavorable pour des raisons de forme et de fond.

Sur la forme, les encours de dette publique française sont déjà publiés sur le site de l’Agence France Trésor et sur celui de la Banque de France. S’y ajoute le rapport annuel sur la dette des administrations publiques prévu par l’article 48 de la LOLF et qui donne lieu depuis 2023 à un débat au Parlement, occasion idéale de mettre en question l’opportunité du maintien de la politique actuelle d’émission d’obligations assimilables du Trésor indexées (OATI).

Sur le fond, les chiffres, nous les avons. L’encours d’OATI s’élevait à 11 % du total de la dette publique fin 2021, à 11,5 % fin 2022 et à 12 % fin 2023, soit 277 milliards. La hausse de cet encours en 2022 et 2023 est effectivement due à la poussée inflationniste. Le niveau le plus élevé d’encours d’OATI – 15 % de la dette publique – avait été atteint en 2008.

Les effets d’une variation de l’inflation sur l’encours des OATI et la charge de la dette sont connus : une variation durable de 0,1 point d’inflation à la hausse ou à la baisse entraîne une variation de la provision pour charge d’indexation de l’ordre de 260 millions.

Je vous propose donc de retirer votre amendement et de demander au nouveau gouvernement ses orientations en matière d’émission d’OATI. Vous pourriez le redéposer lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025 ou intervenir lors du débat sur la dette.

M. Matthias Renault (RN). Nous voterons pour cet amendement. Nous avons ouvert dès l’été 2022 le débat relatif au poids des OATI ; nous sommes heureux que d’autres groupes y participent. L’Allemagne a interdit d’y recourir depuis le 1er janvier. Pendant les auditions menées en préparation du rapport d’information de M. Kévin Mauvieux sur la détention de la dette de l’État par des résidents étrangers, nous avons eu le plus grand mal à comprendre pourquoi le Gouvernement recourait encore à cet outil, en période de forte inflation.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Il est ridicule de demander toujours plus de rapports dans le projet de loi de règlement. La plupart des informations sont publiques, ce qui prouve que ceux qui demandent ces rapports ne lisent pas les documents à leur disposition. En outre, il y a un paradoxe à vouloir censurer le texte qui est justement, depuis la réforme de la LOLF, le réceptacle des informations réclamées.

Sur le fond, l’inflation en France est significativement inférieure à l’inflation moyenne en Europe, avec pour conséquence une réduction des recettes fiscales, en particulier celles de la TVA. Vous ne pouvez pas nous reprocher cette baisse alors que nous avons lutté contre l’inflation et ainsi protégé les Français.

M. le président Éric Coquerel. L’argument selon lequel le texte ne serait qu’une photographie, donc une information objective, n’est pas nouveau. Le vote signifie aussi qu’on est ou non d’accord avec ce qui a été fait. Je sais, monsieur Cazeneuve, que vous n’êtes pas d’accord avec cette appréciation, mais beaucoup de nos collègues la partagent.

La commission adopte l’amendement CF8.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CF58 de M. Philippe Brun.

Amendement CF41 de M. Mickaël Bouloux

M. Mickaël Bouloux (SOC). Cet amendement vise à obtenir un rapport détaillant la nationalité des détenteurs d’OATI en euros. Un amendement similaire, déposé par Valérie Rabault, avait été adopté en mai. En hommage à tout le travail qu’elle a accompli, je vous propose de continuer sur cette bonne lancée.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Avis défavorable. Les éléments sont publics. À la fin de 2023, la dette négociable de l’État, soit 2 478 milliards d’euros, était détenue à 53,2 % par des non-résidents – à 29 % par des non-résidents implantés en dehors de la zone euro. Ce pourcentage est en hausse depuis que la Banque centrale européenne, il y a deux ans, a mis fin à la politique d’achat d’obligations souveraines. Les détenteurs sont des banques centrales, des banques, des gestionnaires de fonds de pension et de fonds souverains.

L’article L. 228-2 du code de commerce interdit aux personnes morales de droit public de connaître l’identité des détenteurs de leurs titres de dette. Le modifier pour rendre l’identité transparente permettrait d’anticiper une trop grande concentration, donc limiterait le risque d’opérations malveillantes. Néanmoins, affaiblir le secret des affaires et limiter l’accès des investisseurs étrangers à la dette publique française pourrait en réduire l’attrait, donc la renchérir.

S’agissant plus précisément des OATI, françaises ou européennes, l’Agence France Trésor fait valoir qu’elles visent notamment à rémunérer l’épargne réglementée.

Je vous suggère donc de retirer votre amendement et d’interpeller le ministre en séance publique pour connaître la position du nouveau gouvernement. Vous pouvez également en déposer un similaire pour l’examen du PLF pour 2025 – il aura plus de chances d’aboutir.

M. Éric Woerth (EPR). La récente réforme de la LOLF a imposé un débat sur la dette, en séance publique. Il est donc inutile de rajouter des rapports dans tous les sens.

M. le président Éric Coquerel. J’espère que le calendrier permettra que ce débat ait lieu.

La commission adopte l’amendement CF41.

Amendements CF10 de M. Jérôme Legavre et CF81 de M. Matthias Renault (discussion commune)

M. Matthias Renault (RN). Mon amendement tend à demander un rapport établissant les catégories d’investisseurs qui détiennent la dette française. Il peut s’agir de fonds d’investissement ou de pension, de banques, d’assurances, de banques centrales.

S’agissant de l’identité, les informations disponibles établissent une répartition toutes nationalités confondues. Le rapporteur spécial Kévin Mauvieux a mené des contrôles sur place et sur pièces à l’Agence France Trésor, à la Banque de France et chez un spécialiste en valeurs du Trésor (SVT) pour obtenir une liste par nationalité des détenteurs de la dette française. Nous n’avons pas cette information, que le Gouvernement ne veut pas donner, bien qu’elle intéresse le Parlement.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Tout cela est déjà prévu : ce rapport, comme ceux que les amendements suivants tendent à demander, serait inutile. De plus, demander l’identité des détenteurs enfreindrait la loi. Demande de retrait.

M. Mathieu Lefèvre (EPR). Quel est l’intérêt de débattre de demandes de rapport qui ne verront pas le jour puisqu’une majorité de commissaires souhaitent rejeter le texte ?

M. le président Éric Coquerel. Le droit d’amendement est constitutionnel ; vous ne pouvez pas présager le vote sur l’ensemble. Le rapporteur et moi-même avons demandé des défenses aussi brèves que possible – nous ne pouvons pas aller plus loin.

La commission adopte l’amendement CF10.

En conséquence, l’amendement CF81 tombe.

Amendement CF11 de Mme Marianne Maximi

M. Charles de Courson, rapporteur général. Encore une fois, il ne faut pas adopter cet amendement ; il faut le reporter dans un autre cadre.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Les groupes se sont clairement exprimés : ceux de la majorité ne voteront pas le projet de loi. Je demande aux députés de retirer les amendements de rapport. Le spectacle que nous donnons nous ridiculise : se battre pour inscrire des rapports dans une loi qui ne sera pas adoptée, c’est perdre notre temps et faire perdre son temps à l’administration.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 3 : Résultat de l’exercice 2023 – Affectation au bilan et approbation du bilan et de l’annexe

Amendement de suppression CF68 de Mme Danielle Simonnet

Mme Danielle Simonnet (EcoS). J’invite les collègues macronistes à lire l’excellent rapport sur l’état des services publics. Ils affirment que les dépenses publiques étant en constante augmentation, on ne peut parler de politique d’austérité. Dans un contexte où les besoins augmentent et où les financements sont très insuffisants pour les satisfaire, les services publics se dégradent. Examinez la situation dans votre circonscription ; écoutez vos électrices et vos électeurs ; demandez-leur si la situation de l’hôpital et de l’école publique, de tous les services publics, s’améliore ; demandez-leur s’ils estiment que la redistribution des richesses s’accroît, quand la précarité explose – votre politique ayant abouti à enrichir les plus riches. Je ne parle même pas de l’écologie : les dépenses défavorables à l’environnement augmentent quand celles qui seraient nécessaires pour financer la transition diminuent. Il faut supprimer cet article, qui va à l’encontre de la satisfaction des besoins.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Par cohérence, j’appelle à voter pour la suppression de l’article – pour de tout autres raisons. L’article 3 prévoit d’affecter le résultat au bilan ; seule une ligne concerne un résultat non affecté dans les comptes de l’État. Cela s’est produit pour la première fois en 1833 et n’a pas de portée particulière.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Nos collègues Insoumis sont fâchés avec les chiffres – sauf peut-être Mme Chikirou.

M. le président Éric Coquerel. Il s’agit d’un amendement du groupe Écologiste et social.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). En quatre ans, de 2019 à 2023, la dépense publique de l’État a augmenté de 100 milliards, soit environ 30 %. Parler d’austérité et de baisse de la dépense publique, c’est affirmer des contre-vérités.

La commission adopte l’amendement CF68.

En conséquence, l’article 3 est supprimé.

 

Article 4 : Budget général – Dispositions relatives aux autorisations d’engagement et aux crédits de paiement

Amendement de suppression CF69 de Mme Danielle Simonnet

Mme Danielle Simonnet (EcoS). Il faut vraiment que vous compreniez le sens du mot « austérité » ! Les injonctions de l’Union européenne de baisser la dépense publique pour ramener le déficit sous les 3 % du PIB participent à une logique de réduction des dépenses quand les besoins continuent d’augmenter. Cela aboutit à la casse des services publics, pour le plus grand bonheur des intérêts privés. Le rapport montre bien que l’offre privée se développe, encouragée par la politique d’austérité, qui vise précisément à privatiser tous nos biens et services. Votre politique a consisté à baisser les impôts, surtout des plus riches, et les contributions des plus grosses entreprises ; on en constate les effets sur les caisses de l’État. Vous êtes obligés de reconnaître que la situation est catastrophique, mais hélas, vous n’en tirez pas les bonnes conclusions.

M. Charles de Courson, rapporteur général. L’article 4 arrête, par mission et par programme, les montants définitifs des autorisations d’engagement (AE) et des crédits de paiement (CP) consommés sur le budget général. Le 2° du IV de l’article 37 de la LOLF prévoit que le présent article « [ouvre], pour chaque programme ou dotation concerné, les crédits nécessaires pour régulariser les dépassements constatés résultant de circonstances de force majeure dûment justifiées et procède à l’annulation des crédits n’ayant été ni consommés ni reportés ».

Le montant des crédits non consommés et non reportés est élevé : 11,9 milliards d’euros en AE et 6,7 milliards en CP, soit 1 % des CP du budget général, alors que, de 2017 à 2021, les lois de règlement établissaient des taux d’annulation allant de 0,2 % à 0,4 %. Ce niveau s’explique par une sous-consommation des crédits dans de nombreuses missions : le taux d’exécution dans le budget général se monte à 96,7 %, loin des niveaux constatés avant la crise sanitaire – 99,2 % en 2019, par exemple.

Nous en avons discuté, ni l’adoption du texte ni l’article 4 ne sont nécessaires. Avis favorable.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Je m’étonne d’entendre, pour la première fois, une membre du groupe Écologiste employer un vocabulaire europhobe – « injonctions de l’Union européenne ».

Les chiffres, qu’ils viennent de l’Insee, du Gouvernement ou de la Banque de France, sont implacables : dans notre pays, la dépense publique croît constamment. Ce n’est pas en prétendant le contraire et en répétant « austérité, austérité, austérité » qu’on fera croire que la France suit des politiques d’austérité – depuis des décennies, elle fait l’inverse.

La commission adopte l’amendement CF69.

En conséquence, l’article 4 est supprimé.

M. le président Éric Coquerel. Il reste cinquante et un amendements portant article additionnel. Si nous consacrons à chacun deux à trois minutes, le débat durera encore entre deux heures et demie et trois heures. Je propose aux collègues qui acceptent de dire seulement « défendu » de les retirer – ça ne change pas grand-chose, le débat aura lieu en séance.

 

Après l’article 4

Contre l’avis du rapporteur général, la commission adopte successivement les amendements CF37, CF38 et CF39 de M. Karim Ben Cheikh.

Amendement CF14 de M. Jérôme Legavre

M. Aurélien Le Coq. Le présent amendement vise à demander un rapport à même de démasquer les auteurs des budgets et de les mettre face à leurs responsabilités. De l’austérité, il y en a, ne vous en déplaise. Que vous présentiez des budgets insincères pour la dissimuler, avant d’annuler des crédits, ne prouve pas le contraire. Pour 2023, vous avez de nouveau choisi d’annuler 7,6 milliards d’euros avec le présent texte, et 5,1 milliards avec le projet de loi de finances de fin de gestion – soit 12,7 milliards. Vous êtes coutumiers du fait : en 2021, vous annuliez purement et simplement 2,3 milliards ; 9,8 milliards en 2022, soit quatre fois plus. Nous sommes très inquiets : en 2024, en plus de l’annulation par décret de 10 milliards de crédits, le montant des annulations pourrait atteindre en fin d’exercice 16,5 milliards, soit 26,5 milliards de coupes budgétaires. Oui, nous voulons des rapports pour vérifier ce que vous faites, sur quoi précisément portent les annulations, afin que vous rendiez des comptes, parce que, derrière, cela affecte les services publics et la vie des Français.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous n’avez pas besoin de ce rapport : lisez le mien, il répond à toutes les questions que vous soulevez – notamment sur les annulations et le montant considérable des reports, à savoir 23,5 milliards entre 2023 et 2024. Je vous propose de retirer votre amendement et d’interpeller le Gouvernement en séance publique.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CF43, CF49, CF44 et CF45 de M. Mickaël Bouloux

M. Mickaël Bouloux (SOC). Ils visent tous à demander des explications relatives aux annulations de crédits : je poserai la question au ministre en séance.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CF1 de Mme Eva Sas et CF60 de M. Mickaël Bouloux

Mme Eva Sas (EcoS). Il s’agit de demander un rapport sur la sous-consommation des crédits alloués à MaPrimeRénov’. Les raisons de la sous-consommation ont déjà été établies, en particulier par M. Guillaume Gontard dans son rapport sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique. Pour MaPrimeRénov, elles tiennent au reste à charge trop élevé et aux lourdeurs administratives ; il ne faut pas réduire les crédits mais renouveler l’offre en définissant de nouvelles conditions. Nous aurions donc intérêt à disposer d’un rapport sur l’échec du dispositif en 2023. Toutefois, pour permettre au débat d’avancer, je le retire.

Les amendements sont retirés.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette successivement les amendements CF46, CF50, CF47, CF51 et CF52 de M. Mickaël Bouloux.

Amendement CF15 de M. Jérôme Legavre

M. Charles de Courson, rapporteur général. Il y a certes un problème avec les crédits de la mission Remboursements et dégrèvements, qui ont beaucoup augmenté, mais la question doit être posée en séance.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette successivement les amendements CF42 et CF48 de M. Mickaël Bouloux.

Amendement CF12 de Mme Mathilde Feld

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). La lutte contre l’évasion fiscale est une affaire de volonté politique. Or le Parlement est incapable de contrôler cette volonté, car les moyens sont éparpillés entre différents programmes. L’absence de document transversal complet empêche d’avoir un débat éclairé. Les documents existants mélangent les crédits et les effectifs alloués au contrôle fiscal et à d’autres politiques publiques, comme le recouvrement ordinaire de l’impôt.

Par ailleurs, la direction générale des finances publiques (DGFIP) a reçu de nouvelles missions en 2023, en particulier celles transférées de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), sans attribution de moyens supplémentaires. De nombreux agents contestent l’efficacité de ces transferts, mais il est impossible de l’évaluer à cause de l’opacité des moyens consacrés à la lutte contre la fraude et l’évasion.

Enfin, le document de politique transversale (DPT) est uniquement consacré à la lutte contre la fraude, mais l’évasion fiscale ne se limite pas à la fraude. Pour la faire cesser, il faut non seulement des moyens de contrôle, mais aussi une expertise solide pour identifier et combler les failles juridiques.

Le présent amendement vise à demander un document budgétaire permettant d’évaluer précisément les moyens consacrés à la lutte contre l’évasion fiscale.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous êtes rapporteure spéciale sur la lutte contre l’évasion fiscale, avec M. Nicolas Sansu. Vos travaux d’évaluation, qui viendront compléter le DPT, seront plus utiles à la commission qu’un nouveau rapport du Gouvernement, pour les raisons que vous-même avez évoquées. Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement CF12.

Amendement CF64 de Mme Danielle Simonnet

Mme Danielle Simonnet (EcoS). Nous demandons un rapport sur l’état des moyens humains et financiers des services chargés du contrôle fiscal et sur celui des services policiers douaniers et judiciaires chargés de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Les agents de la DGFIP s’inquiètent de la réduction des moyens, qui se traduisent notamment par des pertes d’effectifs et le sentiment d’une perte de sens. Il faut y remédier : selon le rapport d’activité 2023 de la DGFIP, paru en juin 2024, en 2022 comme en 2023, le montant encaissé était identique à celui de 2021 – 10,7 milliards. Il est nécessaire d’établir d’urgence un rapport pour délibérer des moyens de faire cesser les manquements de l’État en matière de collecte de l’impôt.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Avis défavorable. Soulevez le problème lors du débat en séance publique ou pendant l’examen du projet de loi de finances : ce sera beaucoup plus efficace.

La commission adopte l’amendement CF64.

Amendements CF13 et CF17 de M. Hugo Prevost

M. Hugo Prevost (LFI-NFP). L’amendement CF17 vise à obtenir un rapport permettant d’évaluer l’incidence sur les petites et moyennes entreprises des différents plans d’investissement gouvernementaux déployés depuis 2017. Pour les justifier, le mot « souveraineté » revient souvent – quelle belle volonté ! Notre Nation a de nombreux défis à relever : protéger l’emploi, assurer la transition écologique, garantir la souveraineté économique notamment. Les financements associés vont directement soutenir les grands groupes et les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) innovantes, sans aucun suivi des résultats. Combien d’emplois ont été délocalisés malgré les aides publiques ? Combien de TPE et PME innovantes ont été rachetées par des groupes étrangers ? Combien de brevets déposés grâce à des financements publics ne sont plus détenus dans notre pays ? Il est essentiel de dresser un bilan approfondi de ces plans ; si de grandes entreprises se sont enrichies grâce à des subventions sans contrepartie, qu’en est-il des TPE et PME ? La dépendance énergétique des entreprises a-t-elle diminué ? La moindre des choses est de permettre aux Français de savoir pour quel résultat des milliards ont été alloués. Le comité d’évaluation a clos ses travaux sans parvenir à une conclusion ; la représentation nationale doit disposer d’éléments factuels pour établir la sienne.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous avez été nommé rapporteur spécial sur le plan de relance et sur le plan France 2030 : vous aurez un rôle dans la conduite de l’évaluation des mesures que vous attendez. Mieux vaut qu’un parlementaire rapporteur spécial porte un regard critique sur l’efficacité des plans gouvernementaux plutôt que demander au Gouvernement d’autoévaluer ses propres mesures. De plus, je le répète, il est probable que nous ne voterons pas le texte, donc que tous les amendements de rapport adoptés tombent. Avis défavorable.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). La volonté de toujours demander des rapports au Gouvernement m’étonne. Les parlementaires peuvent publier des rapports : cela fait partie de leur rôle, et c’est beaucoup plus efficace. Nous devons être actifs, non passifs. D’ailleurs, on est beaucoup plus performant après avoir rédigé un rapport qu’après avoir lu un rapport du Gouvernement – quand on l’obtient.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Article 5 : Budgets annexes – Dispositions relatives aux autorisations d’engagement et aux crédits de paiement

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement CF70 de Mme Danielle Simonnet.

En conséquence, l’article 5 est supprimé.

 

Article 6 : Comptes spéciaux – Dispositions relatives aux autorisations d’engagement, aux crédits de paiement et aux découverts autorisés. Affectation des soldes

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement CF71 de Mme Danielle Simonnet.

En conséquence, l’article 6 est supprimé.

 

Après l’article 6

Amendement CF18 de M. Jérôme Legavre

M. Charles de Courson, rapporteur général. Par son travail de rapporteur spécial sur ces questions, notre collègue Jean-Paul Mattei a été bien plus efficace que ne le serait un énième rapport expliquant que le maximum est fait. Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF82 de M. Matthias Renault

M. Charles de Courson, rapporteur général. Nous avons un vieux problème avec les participations financières de l’État. Dans les projets de loi de finances initiaux, on ne nous dit pas ce qui est envisagé ; nous le découvrons dans le projet de loi de règlement. Un rapport n’améliorera pas la situation. Il faudrait plutôt que le rapporteur spécial obtienne des réponses à ses demandes concernant les crédits ; sinon, on supprime les crédits.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 7 : Affectation du résultat patrimonial de l’exercice 2021 au report des exercices antérieurs du bilan de l’État

Amendements de suppression CF19 de M. Jérôme Legavre, CF53 de M. Mickaël Bouloux et CF72 de Mme Danielle Simonnet

M. Jérôme Legavre (LFI-NFP). L’article 7 a pour objet d’éviter à tout prix de déposer de nouveau un projet de loi d’approbation du budget de l’année 2021, alors même que l’Assemblée nationale l’avait rejeté en 2022 puis en 2023, traduisant le rejet de la politique du Gouvernement et de ses choix économiques et budgétaires, qui nous mènent dans le mur. « On continue ! » dit pourtant le Gouvernement. C’est d’ailleurs une constante de sa part, puisque les deux précédents projets de loi de finances ont été passés en force, sans vote du Parlement, et la décision de supprimer 20 milliards de dépenses n’a fait l’objet d’aucun débat. Ce qui sort par la porte a fortement tendance à revenir par la fenêtre !

Le bilan de la politique des gouvernements successifs sous la présidence d’Emmanuel Macron doit être débattu. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 7 et le dépôt d’un projet de loi d’approbation des comptes de l’année 2021.

M. Mickaël Bouloux (SOC). L’adoption de cet article reviendrait à voter a posteriori le projet de loi de règlement de l’exercice 2021, qui a pourtant été rejeté à deux reprises par le Parlement. C’est pourquoi il convient de le supprimer.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Avis favorable. Le rejet du projet de loi de règlement de l’exercice 2021 ayant empêché la réalisation de cette opération au cours de l’exercice 2022, une procédure spécifique d’imputation du résultat de 2021 dans les comptes 2022 a été définie. Cette procédure consiste à intégrer au plan comptable de l’État un nouveau compte 88 Solde d’exercices antérieurs en attente d’affectation, sur lequel le résultat de l’exercice 2021 a été imputé dans l’attente de son affectation définitive.

La commission adopte les amendements CF19, CF53 et CF72.

En conséquence, l’article 7 est supprimé.

 

Article 8 : Affectation du résultat patrimonial de l’exercice 2022 au report des exercices antérieurs du bilan de l’État

Amendements de suppression CF20 de M. Jérôme Legavre, CF54 de M. Mickaël Bouloux et CF73 de Mme Danielle Simonnet

M. Mickaël Bouloux (SOC). Même argumentation que pour l’amendement précédent, concernant cette fois le projet de loi de règlement pour 2022.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les amendements CF20, CF54 et CF73.

En conséquence, l’article 8 est supprimé.

 

Article 9 : Règlement du compte spécial « Participation de la France au désendettement de la Grèce »

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement de suppression CF74 de Mme Danielle Simonnet.

En conséquence, l’article 9 est supprimé et l’amendement CF55 de M. Mickaël Bouloux tombe.

 

Après l’article 9

Amendements CF2 de Mme Eva Sas, CF30 de M. Jérôme Legavre et CF3 de Mme Eva Sas (discussion commune)

Mme Eva Sas (EcoS). L’amendement CF2 vise à demander un rapport sur le budget vert et sa méthodologie, qu’il est plus que temps de revoir. Tout le monde en convient, y compris le Haut Conseil pour le climat (HCC), le budget vert est très insuffisant. En outre, 90 % des dépenses sont toujours catégorisées comme neutres. Le rapport demandé permettrait d’évaluer et de revoir la méthodologie du budget vert.

Le rapport demandé par l’amendement CF3 concerne, quant à lui, l’exécution du budget vert. Les dépenses favorables à l’environnement font l’objet de belles annonces, mais leur exécution n’est jamais examinée. Or ces dépenses sont toujours inférieures aux prévisions.

M. Gabriel Amard (LFI-NFP). L’amendement CF30 tend à demander la production d’un rapport recensant de façon exhaustive les dépenses néfastes à l’environnement et proposant un plan d’action détaillé de réduction et de sortie des dépenses aux conséquences négatives pour le climat et la biodiversité.

Grâce au travail des militants associatifs écologistes des associations comme Notre affaire à tous ou Oxfam France, l’État a été condamné en 2021 pour inaction climatique par le Conseil d’État. Deux ans plus tard, le 10 mai 2023, le Conseil d’État a constaté que les ministères chargés de la transition écologique n’ont toujours pas pris les mesures nécessaires et, le 29 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État à diminuer l’usage de certains pesticides agricoles avant le 30 juin 2024. Rien n’étant fait, il est temps de rédiger un rapport sur ces dépenses néfastes.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Je rejoins Eva Sas quant aux limites actuelles de la pratique du budget vert, mais si l’on en vient à demander des rapports sur des rapports, on n’en sort plus ! Mieux vaudrait que le Gouvernement prenne directement en considération les observations du HCC dans son prochain rapport sur le budget vert. Avis défavorable sur l’amendement CF2.

On peut s’interroger sur la méthodologie utilisée pour élaborer le budget vert présenté dans l’exposé général des motifs de ce projet de loi. Les dépenses non cotées pour 2023 s’élèvent tout de même à 91,3 milliards, soit près de 19 % du périmètre des dépenses de l’État. En outre, il faudra attendre le PLF pour 2025 pour avoir une cotation des dépenses fiscales, qui comportent pourtant de nombreuses dépenses défavorables à l’environnement. Il est contestable d’attendre le PLF de l’année n + 1 pour avoir le détail du budget vert de l’exécution de l’année n  1, ce qui montre bien les limites actuelles de cet exercice.

Ces trois amendements sont intéressants, mais ils ne trouvent pas leur place dans ce texte. De plus, si nous rejetons le texte, ils ne seront pas pris en considération. Il serait préférable de les retirer et de les réserver pour les discussions en séance publique.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CF4 de Mme Eva Sas et CF59 de M. Mickaël Bouloux

Mme Eva Sas (EcoS). Il s’agit de demander un rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse. La loi de 2015, qui prévoit la publication d’un tel rapport en même temps que le projet de loi de finance, n’est toujours pas appliquée, alors que l’on sait que le PIB est un indicateur très insuffisant.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Ce sont des amendements d’appel, qui permettent de rappeler le Gouvernement à son obligation d’adresser ce rapport avant le premier mardi d’octobre. Le Gouvernement venant d’être nommé, il serait préférable de retirer ces amendements, quitte à les déposer de nouveau en séance pour interpeller le ministre, si le rapport n’a pas été déposé dans les temps.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Je comprends que nous devions nous montrer plus efficaces pour atteindre nos objectifs en matière de transition écologique. C’est bien le rôle de notre commission de faire des propositions mais, en l’occurrence, celles-ci méritent d’être travaillées et d’apporter davantage de méthode. C’est une bonne chose de saisir l’opportunité de ce texte, mais là, on passe à côté de l’objectif. De ce point de vue, je souscris aux propos de Jean-Paul Mattei.

La commission rejette les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CF25 de Mme Mathilde Feld.

Amendements CF22 de Mme Marianne Maximi et CF23 de M. Damien Maudet (discussion commune)

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Hier, sur France Inter, le nouveau ministre de l’économie a balayé toutes les propositions tendant à revenir sur les baisses d’impôt concédées depuis 2017. On a l’impression que les centaines de milliards de déficit ne pourront être comblées que par la réduction des dépenses pour l’école, l’hôpital ou la justice. Pourtant, les niches fiscales seraient sources d’immenses mannes financières pour le pays : 90 milliards d’euros, dont la Cour des comptes relève d’ailleurs l’absence de pilotage. On pourrait, par exemple, trouver 3 milliards dans la niche Dutreil, les exonérations d’assurance vie ou l’abattement pour les entreprises de transport.

Le rapport ici demandé évaluerait l’efficacité économique des dépenses fiscales dont le manque à gagner pour l’État s’élève à plus de 1 milliard. Les Français verraient ainsi qu’il est possible de faire des économies ailleurs que dans le financement des services publics essentiels au quotidien.

M. Charles de Courson, rapporteur général. On ne peut que partager les idées qui sous-tendent ces amendements. Toutefois, le tome II de l’annexe du PLF consacré à l’évaluation des voies et moyens comporte, depuis le PLF 2023, une liste des dépenses fiscales qui feront l’objet d’une évaluation dans l’année. Les dépenses fiscales sont rattachées à des politiques publiques et à des missions du budget de l’État. Nombre d’entre elles sont assorties d’indicateurs figurant dans chaque rapport annuel de performances (RAP) et dans l’évaluation des voies et moyens. Par ailleurs, l’article 7 de la loi de programmation des finances publiques prévoit que toute nouvelle dépense fiscale est créée pour trois ans au plus et qu’elle ne peut être prorogée qu’après évaluation.

Appliquons déjà les lois que nous avons votées ! La plupart des dépenses fiscales sont rattachées à des programmes et à des missions. Les rapporteurs spéciaux devraient approfondir leur examen des crédits budgétaires, mais aussi des dépenses fiscales, et demander fermement des explications sur celles-ci. Ce serait plus efficace pour déterminer lesquelles il conviendrait de réduire, d’améliorer, de supprimer ou de maintenir.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CF24 de M. Jérôme Legavre

M. Charles de Courson, rapporteur général. Le poids des dépenses fiscales et des baisses des prélèvements obligatoires est déjà documenté : je vous renvoie notamment à l’annexe Voies et moyens de chaque PLF, aux rapports et projets annuels de performances ainsi qu’aux productions de la Cour des comptes. C’est de mesures fortes de nature à rétablir nos finances publiques que nous avons besoin, pas de rapports supplémentaires. Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CF31 de M. David Guiraud.

Amendement CF28 de M. Jérôme Legavre

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Le rapport ici demandé mesurerait l’efficacité des aides publiques aux entreprises privées passées dans la norme fiscale. Ainsi en est-il du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) qui, désormais entré dans la norme fiscale, entraîne des baisses pérennes de cotisations.

Il s’agit de documenter les cadeaux faits aux grandes entreprises, qui en usent et en abusent. Les aides aux entreprises privées ont été multipliées par vingt en quarante ans et par deux en dix ans. Elles ont augmenté de 80 milliards par an sous la présidence d’Emmanuel Macron, en même temps qu’on nous expliquait la nécessité d’appliquer toujours plus d’austérité, de couper dans les services publics, que les caisses sont vides et qu’il n’y a pas d’argent. De fait, la Macronie s’est attachée à vider les caisses  Gérald Darmanin a lui-même évoqué le chiffre de 140 milliards par an et ces montants ne cessent d’augmenter. Un capitalisme d’un genre nouveau émerge : un capitalisme subventionné, sous perfusion des aides publiques, garantissant une profitabilité élevée.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Encore une fois, il appartient aux rapporteurs spéciaux d’examiner l’efficacité des mesures d’aide publique aux entreprises privées, voire d’en proposer la suppression.

Les suppressions ne sont pas si nombreuses : depuis trente et un ans que je suis député et maintenant en tant que rapporteur général du budget, j’attends avec intérêt les collègues qui auront le courage de défendre des amendements visant à supprimer ou à fortement réduire des dépenses fiscales ! Je compte sur vous tous pour produire des efforts dans le sens de l’efficacité des moyens publics.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CF29 de Mme Marianne Maximi.

Amendement CF76 de Mme Danielle Simonnet

Mme Danielle Simonnet (EcoS). Nous demandons ici un rapport présentant les conséquences sur l’endettement public des mesures d’aide aux entreprises prises depuis 2017. Ces mesures se sont multipliées au point de représenter le premier poste de dépenses dans le budget de l’État, avec 160 milliards par an en 2019. Qu’il s’agisse du CICE, de la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ou des différentes niches, il faut tout remettre à plat, d’autant que ces aides, dont les effets sont plus que contestables, ne sont généralement assorties d’aucune conditionnalité sociale ou écologique. Un tel rapport est donc nécessaire et urgent.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Voilà des années que cette demande est formulée ! Mais plutôt que de la faire dans le cadre de ce projet de loi, mieux vaut demander aux rapporteurs spéciaux d’être pugnaces et de s’attacher à donner leur évaluation de ces dispositifs pour que nous en discutions. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF27 de M. Jérôme Legavre

M. Charles de Courson, rapporteur général. Là encore, ce sont les rapporteurs spéciaux chargés de l’impôt sur les sociétés qui devraient s’intéresser à ce sujet, notamment aux taux effectifs. Des travaux ont d’ailleurs été menés par la direction du Trésor. Cela me semble plus efficace que de demander un rapport dans lequel on nous expliquera, comme d’habitude, que tout va bien. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF75 de Mme Danielle Simonnet

Mme Danielle Simonnet (EcoS). Cet amendement vise à demander un rapport évaluant les conséquences sur l’endettement public des baisses d’impôts décidées depuis 2017 –  celles-ci s’élèveraient à 52 milliards d’euros. L’Inspection générale des finances (IGF) souligne la faiblesse des recettes ; une analyse en profondeur permettrait de mieux comprendre la forte hausse de la dette française. L’accroissement du déficit public au cours des dernières années résulte, non pas de l’augmentation des dépenses publiques, mais bien de la baisse des recettes : par rapport au PIB, les premières ont reculé de 1,5 % quand les secondes ont diminué de 2 %. Ce rapport nous semble urgent.

M. Charles de Courson, rapporteur général. De nombreux travaux ont été menés sur cette question. Deux notes du Conseil d’analyse économique (CAE) portent sur l’opportunité des allégements de cotisations sociales et des impôts de production, s’élevant respectivement à 76 milliards et à plus de 12 milliards – des sommes considérables. Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), qui dépend de la Cour des comptes, a publié en 2021 une analyse intéressante des effets de la baisse de l’impôt sur les sociétés. L’Institut des politiques publiques (IPP) a évalué les conséquences de la suppression de la taxe d’habitation. Exploitons les travaux existants au lieu de demander un nouveau rapport au Gouvernement, qui a tendance à expliquer que ce qui a été fait est très bien.

Mme Véronique Louwagie (DR). La Cour des comptes indique que la situation budgétaire, qui s’est fortement détériorée en 2023, résulte d’une faible croissance des prélèvements obligatoires, de la poursuite des baisses d’impôts, surtout de l’absence d’économies structurelles et d’une progression des dépenses, hors charge de la dette et hors mesures exceptionnelles, à un rythme nettement supérieur à l’inflation. La situation budgétaire est donc surtout due aux dépenses et à l’absence d’économies.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF26 de M. Jérôme Legavre

M. Charles de Courson, rapporteur général. Mêmes arguments : nous disposons d’énormément de documents, notamment de la Cour des comptes, qui sont cités dans les exposés sommaires des amendements et dans les travaux des rapporteurs spéciaux. Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CF5 de Mme Eva Sas et CF80 de M. Matthias Renault (discussion commune)

Mme Eva Sas (EcoS). Nous demandons au Gouvernement de s’expliquer sur la faiblesse du rendement des taxes sur les énergéticiens : l’amendement CF5 vise la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (CRIM), et l’amendement CF6, à venir, la contribution temporaire de solidarité (CTS) applicable aux producteurs d’énergie fossile.

Le rendement de ces deux taxes a été ridicule – c’est bien que les énergéticiens sont très faiblement taxés en France. La CTS a été supprimée en 2024 ; les énergéticiens fossiles échappent donc à toute forme de contribution supplémentaire – il est primordial d’en rétablir une. Les Écologistes feront des propositions en ce sens dans le PLF pour 2025.

M. Matthias Renault (RN). Ce sujet reviendra dans les débats sur le PLF : va-t-on remplacer la CRIM par une taxe EDF ? Notre position est assez semblable à celle qui vient d’être défendue, pour des raisons sans doute différentes : nous souhaitons une taxation des surprofits pour l’intégralité des énergéticiens.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Nos deux collègues ont raison sur le fond : comment est-on passé de 12,5 milliards d’euros à 600 ou 700 millions ? Mon rapport fournit quelques explications. Premièrement, le chiffre de 12,5 milliards a été calculé sur le prix spot le plus élevé, qui depuis s’est effondré – il a été divisé par cinq. Deuxièmement, les problèmes du parc nucléaire ont entraîné une indisponibilité considérable. Comme EDF paie l’essentiel de la taxe, l’assiette s’est effondrée. Il faudrait néanmoins reprendre ce sujet puisque le Gouvernement a annoncé que le projet de budget prévoit de nouveau une taxation des rentes énergétique. Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission adopte l’amendement CF5.

En conséquence, l’amendement CF80 tombe.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement CF6 de Mme Eva Sas.

Amendement CF21 de M. David Guiraud

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Nous souhaitons appeler l’attention sur le sujet des transferts de TVA, qui est l’un des plus scandaleux de la gestion budgétaire de la Macronie.

Les transferts de TVA ne cessent d’augmenter parce qu’on remplace les prélèvements sociaux, sous forme de cotisations sociales ou d’impôt, par de la TVA. En d’autres termes, ce que l’on faisait payer aux plus riches ou aux employeurs, on le fait désormais payer à la consommation populaire.

En 2018, on ne comptait que 9 milliards de transferts de TVA dans le budget de la sécurité sociale ; en 2019, ils sont passés à 46 milliards et à 57 milliards en 2022. En 2023, les transferts de TVA vers d’autres comptes s’élèvent à 110 milliards. L’État ne perçoit plus que 46 % de la TVA, c’est-à-dire une minorité des recettes, ce qui diminue son budget de 6 milliards et augmente les transferts de 8 milliards.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous soulevez un grave problème : une part majoritaire des recettes de la TVA – 3,8 milliards – est transférée vers le budget de la sécurité sociale, les collectivités territoriales et le budget de l’audiovisuel public. Cependant, tout est détaillé dans mon rapport et il n’est pas forcément utile d’en demander un autre. La source du problème se trouve en amont ; ces évolutions ont été décidées pour compenser les exonérations de charges sociales des entreprises ainsi que des suppressions d’impôts qui bénéficiaient aux collectivités territoriales.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF35 de M. Hugo Prevost

M. Hugo Prevost (LFI-NFP). Il vise à demander un rapport évaluant les conséquences sur les budgets des collectivités territoriales de la non-prise en compte de l’inflation dans la revalorisation de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Injustement accusées par Bruno Le Maire de porter la responsabilité des déficits, les collectivités territoriales ne peuvent être tenues pour responsables d’une situation causée par une politique de saccage des recettes fiscales menées par le Gouvernement. Au nom du déficit, elles ont vu leurs ressources fiscales se réduire fortement. Entre 2022 et 2023, 1,3 milliard d’euros manquent à la revalorisation de la DGF pour compenser l’inflation ; entre 2023 et 2024, alors que l’inflation était de 4,9 %, la DGF était revalorisée de seulement 0,8 %. Par un jeu de sous-revalorisation et d’inflation, le budget des collectivités a ainsi été amputé de 15 % de la DGF. Nous demandons au gouvernement Barnier un rapport sur les dépenses des collectivités territoriales afin de savoir s’il partage la vision de Bruno Le Maire et du gouvernement Attal à leur sujet.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Voilà encore un sujet sur lequel nous avons tous les chiffres : en 2023 et en 2024, la DGF a crû de 320 millions, pour s’établir à 27,2 milliards en 2024, soit à peine 1 % d’augmentation. Pour 2025, le Gouvernement voudrait maintenir inchangé le niveau de la DGF ; vous pourrez vérifier auprès du ministre cet après-midi. Ce n’est pas le présent texte qu’il faut amender ainsi ; c’est plutôt le projet de loi de finances initial pour 2025. Demande de retrait.

La commission adopte l’amendement CF35.

Amendement CF32 de M. David Guiraud

M. Charles de Courson, rapporteur général. Ce n’est pas dans une loi de règlement que l’on discute de finances locales. Je vous propose de retirer votre amendement et d’interpeller le ministre en séance publique afin de connaître la position du nouveau gouvernement. Votre amendement aurait plus de chance d’avoir un effet s’il était déposé sur le PLF pour 2025, qui comprend – c’est une nouveauté – un débat sur les finances publiques locales.

La commission adopte l’amendement CF32.

Amendement CF33 de M. David Guiraud

M. Charles de Courson, rapporteur général. Dans le bloc des collectivités territoriales, les départements sont les plus gravement touchés. Là encore, je vous invite à interroger tout à l’heure le ministre plutôt que de demander un énième rapport.

La commission adopte l’amendement CF33.

Amendement CF34 de M. David Guiraud

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Depuis des mois, les élus des territoires dénoncent la situation intenable dans laquelle sont placés les départements : leurs besoins sociaux ne cessent de croître alors que leurs moyens financiers ont diminué, soumis aux fluctuations de la DGF, qui dépend du bon vouloir du Gouvernement, et des droits de mutation à titre onéreux issus du marché immobilier.

Depuis des mois, alertons sur les difficultés de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et sur la situation des Ehpad publics. Pour pallier les manques des politiques publiques de l’État en matière de santé ou de logement, les départements n’ont d’autre choix que d’augmenter les dépenses sociales pour venir en aide aux populations, se mettant en situation critique. Ainsi, afin de faire face à la situation financière de sa collectivité, le président des Côtes-d’Armor a annoncé la semaine dernière la suppression de soixante postes pour la période 2025-2027. Il n’est naturellement pas acceptable que les agents des collectivités, dont nous avons besoin, deviennent la variable d’ajustement des comptes.

Par cet amendement, nous demandons que soit dressé urgemment le bilan de la suppression des impôts locaux. Quelles auraient été les recettes de la taxe d’habitation et de la CVAE en 2023 ? Ce travail mettra en lumière les gagnantes parmi les collectivités, mais surtout celles qui auront été laissées pour compte par M. Macron.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous n’avez pas défendu l’amendement CF34, qui porte sur les régions. Quoi qu’il en soit, je vous renvoie aux discussions sur les amendements précédents. Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement CF34.

Amendement CF57 de M. Mickaël Bouloux

M. Mickaël Bouloux (SOC). Le PLR a fait l’objet de nombreux rejets ; ce sera peut-être encore le cas cette année. Nous voterons évidemment contre, mais cela n’aura pas de conséquences concrètes. Habituellement, le rejet des comptes entraîne des répercussions pour les gestionnaires, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Cet amendement vise à lancer une réflexion pour que les rejets successifs de PLR aient des conséquences concrètes. Il s’agit d’envisager des changements et d’aligner la gestion de l’État sur les pratiques courantes en matière de responsabilité financière.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Un tel rapport est-il utile puisqu’en l’état actuel du droit constitutionnel et de la LOLF, le ministre des comptes publics ne peut pas reporter le solde dans le solde général ? Cela reste une sanction limitée, certes, mais peut-on envisager une sanction autre que politique ? De plus, dans la situation présente, c’est un nouveau gouvernement qui présente les résultats dont un autre gouvernement est responsable.

Plutôt que de demander un rapport au Gouvernement, dont on ne sait ce qu’il pourrait bien vous répondre, je vous invite à retirer cet amendement et à publier une tribune dans la presse sur la portée des lois de règlement.

M. Matthias Renault (RN). Je serais curieux d’entendre les propositions des uns et des autres à ce sujet. L’idée est-elle de copier le modèle des collectivités locales, dans lequel le rejet d’un compte administratif a pour conséquences la saisine de la chambre régionale des comptes et la mise sous tutelle budgétaire ? Cela pourrait être une piste, mais je ne suis pas sûr que c’est ce que vous souhaitez.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF77 de Mme Danielle Simonnet

Mme Danielle Simonnet (EcoS). Par cet amendement, je propose qu’un rapport mette en évidence le coût énorme que représente depuis 2017 le recours par les services de l’État et les ministères à des cabinets de conseil ainsi que les économies considérables qui seraient réalisées en y mettant fin – un pognon de dingue !

L’enveloppe allouée aux cabinets de conseil a augmenté de 329 % en six ans. Et je ne parle pas de l’émission « Cash investigation », qui a montré combien les collusions entre les pouvoirs publics et le cabinet McKinsey, ainsi que les étroites relations que celui-ci entretient avec Emmanuel Macron depuis sa campagne de 2017, posent un véritable problème de démocratie. Mme Louwagie soutiendra sûrement cette demande puisqu’elle permettra à l’État de faire des économies.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Une commission d’enquête au Sénat a montré que le recours à ces cabinets s’élevait à 1 milliard d’euros et se concentrait sur certains grands cabinets. Des soupçons ont été avancés quant à l’existence de contreparties, mais ça n’a jamais été prouvé. Dans le PLF 2024, ce recours a été réduit de moitié : il serait revenu à 500 millions – c’est déjà pas mal. Nous avons des hauts fonctionnaires pas trop mal formés et des inspections générales parfois sous-employées dans certains ministères, auxquels les ministres pourraient commander des études précises sur différents sujets.

Encore une fois, le rapport n’est pas l’outil le plus pertinent. Si nous ne sommes pas contents, nous avons la possibilité de rabattre des crédits lors des débats budgétaires. Ce serait plus efficace qu’un énième rapport qui ne fera que citer la commission d’enquête sénatoriale, le rapport de l’IGF ou ceux de la Cour des comptes de juillet 2023.

Mme Véronique Louwagie (DR). Nous ne voterons pas cet amendement car des rapports sur ce sujet existent déjà. Celui de la Cour des comptes présente un tableau très bien fait de l’évolution des dépenses de conseil des ministères civils au titre des différents marchés : de 30 millions en 2014, elles ont atteint quasiment 1 milliard aujourd’hui. Je suis d’autant plus favorable à leur réduction que la diminution des dépenses était l’objet d’une mission d’information que j’avais conduite, en qualité de rapporteure, avec Robin Reda. Parmi nos propositions, la baisse du recours aux cabinets de conseil était fixée à 15 milliards d’euros à l’échéance de 2027. Vous voyez, madame Simonnet, que nous pouvons trouver des points d’accord, même si ce n’est pas courant.

M. Matthias Renault (RN). Un jaune budgétaire liste déjà ces prestations ; le rapport demandé existe donc.

Sur le fond, il faut évidemment diminuer le recours aux cabinets de conseil, à l’exception tout de même des prestations en conseil informatique, tant cette compétence a été perdue dans les services de l’État. La Cour des comptes elle-même a relevé cette limite.

La commission adopte l’amendement CF77.

Amendement CF16 de Mme Marianne Maximi

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Il est parfois plus facile de voir la paille dans l’œil de son voisin que la poutre dans le sien. C’est peut-être ce qui arrive à Emmanuel Macron, qui répète depuis des mois, comme ses porte-parole, que la France dépense trop. Mais si quelqu’un vit au-dessus de ses moyens – et des nôtres –, c’est bien lui ! L’an dernier, le budget de l’Élysée a augmenté deux fois plus vite que l’inflation ; malgré deux rallonges, la présidence termine l’année avec un déficit de 8 millions. C’est une étrange façon de prêcher la rigueur budgétaire, surtout quand on sermonne les collectivités locales.

L’Élysée bénéficie toutefois d’un avantage : les intérêts de son compte au Trésor ont presque triplé en un an. Ce n’est pas le cas des communes, qui voient leurs recettes diminuer en raison de la suppression de nombreux impôts locaux. La progression spectaculaire de ces intérêts reste inexpliquée. Cet amendement, proposé par ma collègue Marianne Maximi qui est rapporteure spéciale pour la mission Pouvoirs publics, vise à demander au Gouvernement de nous éclairer à ce sujet par un rapport.

M. Charles de Courson, rapporteur général. La ministre chargée des relations avec le Parlement Marie Lebec avait indiqué que le compte bancaire rémunéré de la présidence au Trésor, qui n’est pas un placement financier, est aligné sur le niveau de rémunération de référence défini par un arrêté du 15 septembre 2014 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. L’Élysée n’a aucun moyen d’action sur ce taux d’intérêt.

En outre, un arrêté du 2 octobre 2023 a modifié rétroactivement, à compter du 3 janvier 2022, le calcul de la base de rémunération de ce compte, passé de Eonia  0,15 % à €ster  0,065 %. L’€ster est le taux d’intérêt interbancaire calculé par la Banque centrale européenne (BCE). Il a remplacé définitivement l’Eonia le 3 janvier 2022. Le dernier taux connu est de 3,414 % au 23 septembre 2024.

Là encore, je ne pense pas qu’un rapport soit utile ; en revanche, le rapporteur spécial pour la mission Pouvoirs publics peut y mettre son nez.

La commission adopte l’amendement CF16.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux explications de vote.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Le groupe Rassemblement national s’était déjà opposé au projet de loi de règlement pour l’exercice 2022. La dérive budgétaire étant pire en 2023, nous voterons évidemment contre le présent texte, qui présente une situation de la France catastrophique : un déficit public égal à 5,5 % du PIB, soit 173 milliards, dont un déficit structurel de 4,6 %. Les finances publiques ne se redressent pas ; bien au contraire, elles plongent de plus en plus dans le rouge. Le déficit public est si élevé que, non seulement il augmente la dette publique en valeur, mais il obère toutes les chances de la France de connaître un équilibre budgétaire avant 2027.

L’exécution du budget de 2023 est bien pire que la prévision ; les informations données au Parlement étaient erronées. Alors que la loi de finances de 2023 prévoyait un déficit public égal à 5 % du PIB, son exécution atteint 5,5 %. Loin de tirer des leçons de cet échec, le gouvernement sortant laisse la France dans une situation budgétaire bien pire en 2024, comme l’a expliqué le président de la Cour des comptes la semaine dernière.

En 2023, le besoin de financement de l’État a atteint un record – 314,6 milliards –, entraînant une augmentation de la dette. Depuis 2022, le Rassemblement national donne l’alerte sur cette dangereuse dérive budgétaire ; chaque année, la situation empire.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). L’année 2023 a été marquée par de nombreux événements imprévisibles, en particulier l’attaque terroriste du 7 octobre. La prévision de croissance – de l’ordre de 1 % – a pourtant été tenue. Je rappelle que, en septembre 2023, le Haut Conseil des finances publiques jugeait la prévision de déficit à 4,9 points crédible, à partir des informations dont il disposait après sept mois d’exécution. J’ajoute que les baisses de recettes – impôt sur le revenu (IR), IS, TVA et taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) –, significatives par rapport à la loi de fin de gestion, étaient très proches des projections de la loi de finances initiale, voire supérieures.

Il n’y a donc eu, en aucune manière, volonté de tromper. On peut d’ailleurs saluer le Gouvernement qui, devant le constat de la baisse des recettes en fin d’année, a adapté et supprimé certaines dépenses.

Je le dis une fois pour toutes, ce texte est une photographie, un constat, un document administratif. Son vote ne signifie pas l’approbation de la politique qui a été menée : il s’agit simplement d’approuver des comptes administratifs. L’absence de vote du projet de loi de règlement n’en a pas moins des conséquences concrètes, comme l’impossibilité d’affecter le solde des opérations de l’exercice au report à nouveau de l’année précédente. En comptabilité budgétaire, on ne peut pas procéder au non-report du solde comptable de certains comptes publics. Il faut voter ce projet de loi, mais nous voterons contre le texte de la commission, qui a vidé le projet initial de toute sa substance.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Nous voterons contre.

Mme Véronique Louwagie (DR). Ce projet de loi est identique à celui que nous avions examiné en commission des finances en mai dernier, dont la dissolution a interrompu le parcours. Son vote est un préalable indispensable à l’examen du projet de loi de finances. La nouvelle législature impose donc qu’il soit à nouveau déposé pour être examiné par le Parlement.

Comme lors de son premier examen il y a quelques mois, la Droite républicaine votera contre ce texte. Le soutien de notre groupe au gouvernement de Michel Barnier ne nous rend aucunement responsables ni comptables du bilan des gouvernements précédents.

Je ne suis pas d’accord avec notre collègue Jean-René Cazeneuve ; le rejet du texte est sans conséquence sur l’examen du PLF. Nous l’avons d’ailleurs constaté lors de l’examen du PLF 2023, puisque le projet de loi de règlement pour 2022 avait été rejeté.

Nous faisons face à une dégradation historique des finances publiques, avec un déficit qui atteint 5,5 % du PIB, un niveau très supérieur au déficit prévu par la loi de finances et en dégradation par rapport à 2022. Ce sont plus de 7,7 milliards de recettes qui manquent – TVA, IS, IR – alors que les dépenses continuent à flamber. La France se démarque de ses voisins européens, qui ont réussi à limiter leurs dépenses. Le résultat est un endettement très important : la France est le troisième pays européen le plus endetté. Notre taux de dépenses publiques est supérieur de 8 points à celui de la moyenne des pays de l’Union européenne. J’espère que le projet de loi de finances pour 2025 sera un projet de rigueur budgétaire afin de diminuer ce déficit très important.

Nous voterons contre le présent projet de loi.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Nous vivons une situation inédite : ce texte fait l’unanimité contre lui, que ce soient l’ancien gouvernement, le nouveau ou les oppositions.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Je m’associe aux propos de Jean-René Cazeneuve : ce texte est un compte administratif, une photographie, mais les amendements adoptés l’ont complètement dénaturé.

Je propose que nous réfléchissions sur un rapport sur l’efficacité des rapports produits par le Gouvernement et l’Assemblée nationale.

M. Michel Castellani (LIOT). Nous ne cessons de le dire : il faut réaliser des économies budgétaires intelligentes et trouver l’argent là où il est, sans sacrifier, entre autres, l’emploi et la solidarité nationale. J’espère que nous en reparlerons à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances.

M. le président Éric Coquerel. Comme Jean-René Cazeneuve, j’ai mes convictions et je le répète, ce texte est un quitus et son vote est un vote politique. Je remarque que les arguments de M. Cazeneuve ne sont utilisés que depuis que la majorité n’a plus de majorité.

La commission rejette l’ensemble du projet de loi modifié.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 25 septembre 2024 à 9 heures 30

 

Présents. - M. Franck Allisio, M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Michel Castellani, M. Eddy Casterman, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, Mme Félicie Gérard, M. Philippe Juvin, M. Tristan Lahais, M. Abdelkader Lahmar, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Corentin Le Fur, M. Jérôme Legavre, Mme Murielle Lepvraud, Mme Christine Loir, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Denis Masséglia, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Yaël Ménaché, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sandrine Nosbé, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Hugo Prevost, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, Mme Danielle Simonnet, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Emmanuel Tjibaou, M. Vincent Trébuchet, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, M. François Jolivet

Assistait également à la réunion. - M. Gabriel Amard