Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition de M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, et de M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.              2

  présences en réunion...........................33

 


Mercredi
25 septembre 2024

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 009

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel, Président

 

 


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La commission entend M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.

M. le président Éric Coquerel. Au nom des membres de la commission des finances, je souhaite la bienvenue à M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, et à M. Laurent-Saint Martin, ministre, placé auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, qui connaît bien cette commission pour en avoir été le rapporteur général.

Messieurs les ministres, vous allez être nos interlocuteurs réguliers et je vous remercie de vous être rendus disponibles très peu de temps après votre nomination. En accord avec le bureau de la commission et le rapporteur général, j’ai souhaité que cette audition puisse se tenir dans les plus brefs délais car il s’agit, dans un contexte très particulier où le calendrier budgétaire classique est malmené, de permettre aux commissaires aux finances de préparer le moins mal possible ces discussions budgétaires à venir. Nous avions entendu précédemment les ministres démissionnaires sur l’exécution du budget 2024.

En somme, ce sont à la fois le calendrier et les lignes directrices du nouveau gouvernement en matière de finances publiques qui nous intéressent aujourd’hui, et la manière dont ce calendrier et ces lignes directrices vont guider votre action au cours des semaines et, peut-être, des mois à venir.

M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics. J’ai en effet tenu à venir aujourd’hui devant votre commission avec le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, d’abord pour vous tenir un discours de vérité et de méthode. Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que le bureau de la commission des finances, d’avoir entrepris cette démarche que je crois nécessaire, même si, comme vous l’avez dit, nous sommes en plein travail sur le projet de loi de finances pour 2025. J’accepte et j’encourage le dialogue, le plus tôt possible, entre le Gouvernement et le Parlement à propos de nos missions.

Comme vous le savez et comme l’a rappelé le Premier ministre, la situation de nos finances publiques est grave. Je n’irai pas par quatre chemins : la première vérité, c’est qu’en 2024, selon les dernières estimations dont nous disposons, le déficit public risque de dépasser 6 % du produit intérieur brut.

Cela tient à plusieurs raisons, dont deux principales sur lesquelles je ne reviendrai pas en détail, puisque Bruno Le Maire et Thomas Cazenave vous les ont déjà présentées, ici même, le 19 septembre. D’abord, les recettes fiscales sont moins importantes qu’attendu. J’ai, à cet égard, pleinement conscience de l’enjeu que représente le pilotage des recettes, à propos duquel je m’engage à être très vigilant et très transparent envers vous. L’écart s’explique d’abord par la composition de la croissance, tirée par les exportations plus que par la consommation, ce qui se traduit par de moindres recettes de TVA. Il s’explique également par l’attentisme dont font preuve les acteurs économiques depuis quelques mois : qui dit « moins d’activité » dit « moins de recettes ».

Par ailleurs, comme l’a indiqué Thomas Cazenave, les dépenses des collectivités territoriales ont été plus élevées que la trajectoire ne le prévoyait – de l’ordre de 16 milliards d’euros pour 2024. Dont acte. Je ne suis pas ici pour distribuer des bons et des mauvais points, mais pour regarder l’avenir. Je rappelle que, d’un projet de loi de finances rectificative (PLFR) à l’autre, l’État a été présent aux côtés des collectivités, notamment pendant la crise pandémique, où j’étais rapporteur général de votre commission. Il fallait le faire et cela a été fait. Nous avons besoin des collectivités et je recevrai dans les tout prochains jours les élus locaux pour discuter de la trajectoire financière de celles-ci à partir de 2025.

Il faudra donc que, pour l’ensemble des finances publiques, les ministères, les opérateurs, les collectivités locales et les administrations de sécurité sociale fassent preuve ensemble d’une vraie démarche de responsabilité afin de tenir les objectifs de maîtrise des dépenses publiques pour 2024.

Les plafonds adressés aux ministères pour cette année et qui vous ont été transmis seront maintenus. Nous n’avons pas de marge de manœuvre en 2024 si nous voulons renouer avec une trajectoire soutenable à partir de 2025. Redresser les finances publiques, c’est souvent facile à dire, mais souvent très difficile à faire, comme beaucoup ici le savent pour l’avoir expérimenté. Cela demande du courage, une méthode, un discours de vérité et des décisions à assumer.

J’aurai prochainement un dialogue avec l’ensemble des ministres, comme il est d’usage chaque année pour le ministre chargé du budget et des comptes publics, en vue de proposer au Premier ministre un schéma de fin de gestion pour l’année 2024. Ce schéma vous sera présenté dans un texte financier de fin d’année qui prend désormais la dénomination de loi de finances de fin de gestion.

Quant à la méthode, vous vous souvenez, monsieur le président, que lorsque j’étais rapporteur général de cette commission, je me suis toujours engagé pour consolider les compétences budgétaires du Parlement. J’ai porté avec Éric Woerth – ainsi, du reste, qu’avec le rapporteur général, Charles de Courson, qui était membre de cette mission de révision de la Lolf, ou loi organique relative aux lois de finances –, une proposition de loi organique qui a renforcé ces compétences. Je tiens à vous assurer que je resterai très soucieux, dans mes nouvelles fonctions, des prérogatives financières des deux assemblées.

Cette méthode, je veux vous proposer de la construire ensemble. C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à venir vous rencontrer au plus vite, avec le ministre de l’économie, et à réserver à cette commission ma première prise de parole. Je vous remercie donc d’avoir organisé cette audition dans les plus brefs délais.

Depuis samedi, sous l’autorité du Premier ministre, je suis au travail pour être en mesure de vous présenter le projet de loi de finances pour 2025 pour la semaine du 9 octobre. Qui dit « nouveau gouvernement » dit « nouveau texte ». Aussi comprendrez-vous que le contenu ne vous en soit pas dévoilé ici aujourd’hui, car tel n’est pas le calendrier. Nous sommes encore au travail, écrivant ce texte pendant que nous vous parlons. Je concentrerai donc mon propos sur l’exécution de la fin de l’année 2024. Dans le souci d’éviter les redites et de rester concis, je ne répéterai pas le détail des chiffres que Bruno Le Maire et Thomas Cazenave ont présentés devant votre commission, mais je répondrai avec plaisir à vos questions à ce propos.

Comme je l’ai dit lors de ma prise de fonctions dimanche dernier, la situation actuelle est d’abord la conséquence de choix forts faits collectivement par notre pays. À l’époque, nous avons choisi de protéger les travailleurs face à la crise covid avec un dispositif d’activité partielle qui était parmi les plus généreux et les plus efficaces d’Europe. Nous avons choisi de protéger nos entreprises au moyen de prêts garantis par l’État, de reports et annulations de charges, d’un rééchelonnement des crédits bancaires et d’un fonds de solidarité. Nous avons choisi de relancer massivement l’économie avec France Relance et d’investir massivement dans les usines, les entreprises et les technologies de demain avec France 2030. Nous avons choisi de protéger le pouvoir d’achat des Français face à l’envolée des prix de l’énergie et à inflation.

Je ne fais de ces choix ni un bilan dont nous tirerions fierté ni un passif, me contentant d’expliquer qu’ils nous conduisent à une situation qui nous oblige à réagir par un redressement des finances publiques. Ces choix, il fallait les faire, et nous étions nombreux ici à le penser voilà quelques années. Il se trouve en effet qu’au moment où le déficit était au plus haut, cette commission a examiné plusieurs projets de loi de finances rectificative – quatre pour la seule année 2020, je le rappelle –, qui donnaient lieu à des milliers d’amendements, visant souvent à dépenser plus, ce qui n’est, du reste, pas un reproche, car nous avions besoin de ce « quoi qu’il en coûte ». Il fallait relancer l’économie et investir, juste après avoir protégé notre tissu économique et social. C’était donc un choix collectif et, pour ainsi dire, pleinement transpartisan, un choix dont tous s’accordaient à reconnaître la nécessité, que de dépenser davantage pour protéger. Nous avons eu raison, mais le fait d’avoir fait porter l’effort sur nos finances publiques en préservant les forces de notre pays et en consolidant les fondamentaux de notre économie nous donne aujourd’hui une responsabilité.

Je souhaite et je vous propose que nous fassions ensemble le choix du redressement. De fait, je vous ai exposé clairement la situation des finances publiques et il nous faut maintenant nous remettre sur les rails de leur redressement. Notre pays a déjà démontré qu’il savait emprunter ce chemin. Je rappelle en effet qu’avant la crise covid, le déficit public avait été ramené sous la barre des 3 % du PIB et que nous étions sortis de la procédure de déficit excessif en 2018. C’est donc possible et cela a été fait il n’y a pas si longtemps. En outre, il ne s’agit pas là du bilan d’un camp ou d’un autre – il suffit pour s’en convaincre de regarder les années où cela s’est fait, qui correspondent aussi bien à des gouvernements socialistes qu’à ceux de la présidence d’Emmanuel Macron. Cela s’est fait d’une manière transpartisane et c’est le fruit d’efforts continus que différentes majorités ont eu le courage de faire depuis 2012 et de poursuivre à partir de 2017.

Je vous proposerai donc dans les prochains jours, avec le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, des choix forts pour redresser nos finances publiques. Je sais que vous aurez vous aussi des idées et des propositions, et nous travaillerons ensemble, dans une logique qui se rapproche de la coconstruction, pour trouver le chemin de ce redressement.

Avant de revenir dans deux semaines vous présenter ce nouveau texte, je tiens à vous présenter aujourd’hui la vision que nous devons adopter pour retrouver une trajectoire soutenable et responsable et vous dire quels seront mes engagements, en tant que ministre du budget et des comptes publics, sous l’autorité directe du Premier ministre. L’ordre des leviers que je vais citer est important.

Le premier levier est celui de la réduction de la dépense publique. Puisque la situation actuelle est due à une hausse de celle-ci, ce sont les dépenses publiques qu’il faut d’abord réduire, tout en veillant à leur efficience. J’insiste sur ce dernier terme, car il ne s’agit pas de réduire la dépense publique bêtement, au moyen du seul rabot, mais de rester capables de réfléchir ensemble pour savoir comment transformer la dépense et l’action publiques pour que la dépense soit plus efficiente. Ce sera là une boussole permanente. Du reste, l’État a déjà commencé à maîtriser fortement ses dépenses. Ainsi, en 2023, sur le périmètre des dépenses de l’État, la sous-exécution a été de 7 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale. On voit donc que c’est possible.

Pour lever d’emblée tout doute sur ce point, qui peut susciter de nombreuses interrogations, je tiens à dire que nous ne redresserons pas nos finances publiques en recourant en même temps à la baisse de la dépense publique et au levier fiscal. Cela ne marchera pas. C’est en réduisant d’abord et prioritairement nos dépenses que nous redresserons les comptes. La France est déjà l’un des pays d’Europe qui taxent le plus et il serait irresponsable et injuste d’en demander davantage. Cependant, nous engagerons bien un travail sur la justice fiscale, chantier essentiel sur lequel je reviendrai dans un instant.

Deuxièmement, il nous faut financer les priorités du Gouvernement, qui sont les priorités du pays. Le Premier ministre viendra présenter devant le Parlement, le 1er octobre, sa déclaration de politique générale à ce sujet, et vous comprendrez donc que je ne m’exprime pas devant vous aujourd’hui sur les priorités du Gouvernement.

Troisièmement, sous l’autorité du Premier ministre, qui en a fait une priorité forte de son action, comme il l’a répété à plusieurs reprises, je m’engage à assumer avec le ministre de l’économie, et à animer un débat au Parlement sur la justice fiscale. Notre pays a besoin de ce débat. J’ai parlé de la modernisation de la loi organique relative aux lois de finances que nous avons menée avec Éric Woerth et lors de laquelle nous avons introduit le débat sur la dette. De la même façon, un débat sur la justice fiscale, sans qu’il donne lieu à une reconnaissance de nature organique, est absolument nécessaire, particulièrement en ce moment. Sans justice fiscale, il n’y a pas de consentement à l’impôt. Des contributions ciblées pour un effort de solidarité nationale, qu’elles concernent les entreprises ou les particuliers, pourront être étudiées avec vous. Le Gouvernement est prêt à avoir cette discussion avec les parlementaires. En revanche, le Premier ministre a très clairement affirmé, et je le fais à nouveau devant vous, qu’en aucun cas nous ne taxerons davantage les gens modestes et les classes moyennes, non plus que le travail. Nous ne reprendrons pas d’une main à tous ces Français le pouvoir d’achat que nous leur avons rendu de l’autre ces dernières années.

Enfin, il nous faut protéger ce qui fonctionne dans ce pays. J’ai la conviction intime que la politique de l’offre a démontré son efficacité. Concrètement, ce sont des usines qui rouvrent partout en France et des entreprises en meilleure santé qui investissent dans les territoires, qui recrutent et qui exportent aux quatre coins du monde. C’est une compétitivité retrouvée qui permet à la France d’être depuis cinq ans le pays le plus attractif d’Europe.

Il ne sera donc pas question de casser cette politique de l’offre, pas plus qu’il ne sera question de transiger avec le pouvoir d’achat des Français ou la compétitivité des entreprises. Pour redistribuer, il faut commencer par produire des richesses. Pour redresser les finances publiques, il faut qu’il y ait de l’activité. Nous y travaillerons avec le ministre de l’économie qui, je le sais, partage ces convictions.

Mesdames et messieurs les députés, je crois aux vertus du dialogue, comme je crois l’avoir démontré à vos côtés ces dernières années. Je vous le redis : je suis à votre disposition, ma porte vous est ouverte et je vous propose ce travail de construction commune sur la base du texte qui vous sera présenté dans la semaine du 9 octobre.

Pour conclure, notre pays a un problème collectif de dépense publique, auquel nous devrons apporter une réponse collective pour réduire les dépenses. Je réunirai l’ensemble des parties prenantes à cet effort collectif afin d’engager le dialogue – vous-mêmes, parlementaires, bien sûr, ainsi que les partenaires sociaux et les élus locaux. Comme vous le savez, ce gouvernement a été nommé à un moment critique pour notre pays, avec pour mission et pour responsabilité de faire des choix courageux. Je souhaite très sincèrement que nous débattions de ces choix, que nous les construisions et que nous les assumions ensemble.

M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je suis heureux de vous retrouver, quelques jours après ma nomination, afin d’échanger sur la situation économique et financière de notre pays et sur le cadre macroéconomique dans lequel nous nous trouvons.

Dans le contexte européen, tout d’abord, je rappelle que la croissance agrégée de la zone euro est peu dynamique – inférieure à 1 % en 2024 – et qu’elle devrait le rester. Cette situation doit nous conduire, comme l’ont déjà souligné les rapports Draghi et Letta, à prendre de nouvelles initiatives pour renforcer notre croissance et améliorer notre productivité. C’est un sujet sur lequel je souhaite travailler dès maintenant avec nos partenaires européens et avec la nouvelle Commission européenne.

Dans ce contexte européen, sur le plan économique, la France résiste. La croissance française, qui a atteint 1,1 % en 2023, était donc proche de son niveau potentiel et le pouvoir d’achat, qui a progressé de 0,8 % en 2023, devrait croître de 1,4 % en 2024. L’inflation, quant à elle, est passée sous la barre des 2 % au mois d’août dernier. Notre croissance demeure donc robuste, portée par des fondamentaux solides. En témoignent le taux de chômage le plus bas depuis quarante ans dans notre pays et le fait que la France demeure le premier pays européen en termes d’investissements étrangers, ainsi que le fait que l’activité a crû de 3,3 % en cumul depuis 2019, chiffre à comparer à celui de 0,3 % affiché par l’Allemagne sur la même période.

Pour l’année 2024, je vous confirme que la croissance devrait se stabiliser à 1,1 %, légèrement au-dessus, donc, de la prévision présentée par le précédent gouvernement au printemps dernier. Soyons lucides : cette croissance demeure insuffisante pour nous offrir des marges de manœuvre budgétaires et, comme vient de le rappeler M. Saint-Martin, le déficit public devrait être très élevé en 2024 – l’un des plus élevés hors périodes de crise exceptionnelles.

Notre dette était, en 2023, de 3 100 milliards d’euros, soit 111 % de notre produit intérieur brut. C’est d’abord, évidemment, le résultat de l’accumulation de nos déficits publics depuis plusieurs décennies – je rappelle que, pour la cinquantième année d’affilée, nous n’équilibrons pas notre budget annuel. C’est aussi le résultat du soutien apporté à la fois à la population et à notre économie pendant la crise du covid et la crise énergétique, pour protéger les Françaises et les Français.

Contenir et réduire le niveau de la dette est un enjeu de souveraineté nationale, mais aussi un enjeu en termes de marges de manœuvre. Alors que les intérêts de la dette atteignaient 48 milliards d’euros en 2023, cette charge devrait dépasser 50 milliards d’euros en 2024. Pour le dire autrement et simplement, un euro sur huit du budget de l’État ne peut être utilisé pour financer nos services publics.

Dans ce contexte contraint, le ministre du budget et des comptes publics et moi-même vous proposerons un budget de vérité et d’efforts, qui nécessitera des mesures de redressement conséquentes et un effort partagé.

L’effort doit porter, d’abord et avant tout, sur les dépenses publiques, qui ont considérablement augmenté : depuis 2019, la hausse a été de 100 milliards d’euros pour les dépenses de l’État, de 50 milliards pour les dépenses d’assurance-maladie et de 50 milliards pour celles des collectivités locales. Chacun devra en prendre sa part. Ce n’est qu’en faisant d’abord un effort sur les dépenses publiques que nous pourrons ensuite ouvrir le débat sur l’augmentation nécessaire et conditionnée des recettes.

Ce budget veillera à préserver la croissance et l’emploi, qui seront les piliers de ma stratégie économique, indispensables à la fois pour mener la transition écologique et pour financer le modèle social auquel nous sommes tous attachés. Nous préserverons aussi les avancées en matière d’attractivité, d’emploi et de soutien à notre tissu économique réalisées par la précédente majorité.

Ce budget sera aussi un budget juste. Nous ne serons pas le gouvernement des impôts injustifiés et je ne serai pas le ministre de la confiscation fiscale. Je m’assurerai de ne pas augmenter la charge qui pèse sur les classes moyennes et sur les Français et Françaises qui travaillent, mais il ne faut pas s’interdire de réfléchir à des prélèvements ciblés, exceptionnels, sur les entreprises et les Français qui ont une capacité contributive.

Ce budget engage la crédibilité de la France, au premier chef auprès de nos partenaires européens. Je rappelle en effet que la Commission européenne a ouvert une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la France en juillet 2024. Ma mission est donc de conserver un lien de confiance avec nos partenaires et de leur présenter une trajectoire économique et financière qui soit à la fois soutenable, cohérente et crédible. Pour ce faire, depuis ma prise de fonctions, j’échange avec mes homologues européens. Toutefois, par respect du débat parlementaire, pour travailler dans les meilleures conditions possibles, j’ai demandé et obtenu un délai supplémentaire jusqu’au 31 octobre pour transmettre à la Commission européenne le plan budgétaire et structurel à moyen terme. Le budget, comme vient de le rappeler M. Saint-Martin, vous sera soumis pour la semaine du 9 octobre.

En conclusion, et comme vous l’avez compris, nous devons, face à la situation inédite que nous traversons, poursuivre le renforcement économique de notre pays et de nos entreprises, soutenir nos concitoyens et assurer la maîtrise de nos comptes. Il s’agit d’une question de souveraineté nationale. Pour ce faire, je m’engage à faire preuve de responsabilité, de transparence et de dialogue avec chacun d’entre vous. Avec le ministre chargé du budget et des comptes publics, je serai, avant, pendant et après le débat budgétaire, pleinement à votre écoute.

M. le président Éric Coquerel. J’ai toujours veillé à ce que les interventions au sein de cette commission, même si elles peuvent parfois être rudes, ne soient pas polémiques sur le fond. Je veillerai cependant aussi à ce que les ministres répondent aux nombreuses questions qui leur sont posées. J’ai compris, messieurs les ministres, que vous n’étiez pas en mesure de répondre aujourd’hui à toutes ces questions, mais je compte sur la transparence de vos réponses, y compris à propos des pistes sur lesquelles vous travaillez.

Vous savez déjà que je ne souscris pas à l’idée que la politique de l’offre et de la compétitivité soit une réussite. Face à l’explosion des inégalités, qui n’ont jamais été aussi importantes en France, je ne crois pas qu’une politique de compétitivité se traduise par une croissance de l’activité et des revenus. En d’autres termes, je ne crois pas que nous ayons eu la moindre preuve de l’efficacité de la politique de ruissellement.

Nous avons, en revanche, un vrai problème d’investissement, en particulier dans le domaine écologique, et de persistance du chômage de masse. En la matière, les chiffres et les faits sont têtus. Qui plus est, les objectifs de réduction des déficits que s’était fixés cette politique ne sont pas non plus au rendez-vous. Nous n’avons donc ni l’un ni l’autre, ce qui plaide en faveur d’une politique axée sur le partage des richesses, sur une relance de l’activité par la demande et sur la bifurcation écologique, avec le maintien de notre protection sociale.

J’en viens à mes questions. La première porte sur le retard inédit que nous observons dans le calendrier budgétaire. Normalement, en effet, la transmission du projet de loi de finances pour 2025 au Haut Conseil des finances publiques était prévue pour le 13 septembre et son examen en Conseil des ministres pour le 25 septembre, c’est-à-dire aujourd’hui. La date du 9 octobre pour le passage de la loi de finances en Conseil des ministres et sa transmission à l’Assemblée en vue d’un débat qui commencerait la semaine suivante est-elle toujours celle que vous avez retenue ?

En tout état de cause, le retard pris dans l’élaboration du texte ne doit pas précipiter le travail parlementaire et nous devons avoir assez de temps pour l’examiner en toute sérénité, tant en commission qu’en séance publique. Je souhaiterais donc, comme j’ai essayé de l’obtenir lors de la conférence des présidents sans avoir encore de réponse, que la transmission du texte au Sénat n’intervienne pas avant le 25 novembre, ce qui nous laisserait les six semaines habituelles pour nos travaux – délai qui, au vu de l’expérience des autres années, est loin d’être trop.

Ma deuxième question porte sur l’exercice 2024. Après une annulation de crédits de 10 milliards d’euros en février, la loi organique relative aux lois de finances obligeait à présenter un projet de loi de finances rectificative pour annuler des crédits supplémentaires. Vos prédécesseurs ont préféré éviter de se présenter devant le Parlement et il y a donc eu un surgel pour porter le montant des crédits mis en réserve à 16,5 milliards d’euros, soit autant de moyens pour les politiques publiques que Bruno Le Maire, lors d’une audition ici même, estimait nécessaire de transformer en annulation pure et simple, sinon en totalité, du moins en grande partie. Une telle décision conduirait par exemple à amputer le budget du sport de 19 % par rapport aux crédits ouverts en 2024 et d’opérer des baisses de 18 % pour l’asile et l’immigration, de 17 % pour l’aide publique au développement, de 14 % pour l’écologie et de plus de 1 milliard d’euros pour l’enseignement scolaire.

Quelle est votre analyse de ce gel des crédits ? Prévoyez-vous de déposer un projet de loi de finances rectificative pour laisser le Parlement en débattre et lui donner l’occasion de proposer des recettes nouvelles ?

Je souhaite également vous interroger sur votre méthode et sur la manière dont vous comptez travailler. J’ai bien compris que le tiré à part que nous avons reçu la semaine dernière était un document intermédiaire, mais puisqu’il nous a été transmis par Matignon, j’estime qu’il représente la première marque de ce gouvernement. Il reprend à peu près en totalité les chiffres qui nous avaient été transmis par Thomas Cazenave comme les chiffres globaux des états de dépenses budgétaires par ministère, décrivant, en fait, les lettres-plafonds arrêtées par le précédent Gouvernement.

Pouvez-vous nous confirmer que vous comptez bien vous fonder sur ces éléments et qu’il n’y aura pas d’autres lettres-plafonds que celles qui ont été envoyées la semaine dernière, éventuellement amendées ou modifiées ?

Si c’est le cas, et en tenant compte de l’inflation, ces lettres-plafonds définies par le gouvernement Attal proposent, par exemple, de réduire de plus de 3 %, soit 1 milliard d’euros, le budget de l’enseignement supérieur, de ne pas revaloriser, potentiellement, les barèmes des bourses, de réduire de 9 % le budget des outre-mer et de demander au Parlement de diminuer de 1,5 milliard d’euros les crédits du Fonds vert, alors que ceux-ci, entièrement utilisés, sont essentiels pour la transition écologique et que l’Inspection générale des finances et l’institut I4CE, l’Institut de l’économie pour le climat, estiment que ce fonds devrait être, au contraire, doté de 20 milliards d’euros pour faire face au défi climatique. Pouvez-vous nous donner des premières précisions sur la base de ce qui nous a été transmis ?

Je suis d’autant plus inquiet que ces chiffres proviennent d’un document qui prévoit 10 milliards d’économies – inflation comprise –, alors que, dans un courrier, les ministres du précédent gouvernement évoquaient une baisse de 15 milliards des dépenses de l’État. Comptez-vous financer la différence grâce aux fameuses taxes sur les énergéticiens et les rachats d’actions ?

Par ailleurs, le Trésor estimait dans une note qu’une baisse supplémentaire de 30 milliards d’euros des dépenses publiques serait nécessaire pour limiter le déficit à 5,2 % du PIB l’an prochain – un pourcentage plus élevé que celui du programme de stabilité, fixé à 4,1 %, mais qui, semble-t-il, pourrait néanmoins être accepté dans le cadre des négociations avec la Commission européenne. Comme je sais que la baisse des dépenses est l’une de vos priorités, monsieur Saint-Martin, celles prévues dans les lettres-plafonds devront-elles être augmentées en conséquence ?

J’en viens enfin à un sujet d’actualité : la possible augmentation des recettes. Nous sommes tous d’accord sur le fait que les déficits résultent aussi de la baisse des recettes – même si nous n’apportons pas la même réponse. M. Pierre Moscovici les estimait la semaine dernière à hauteur de 62 milliards d’euros par an. Mathématiquement, cela aurait permis d’avoir un déficit inférieur à 3 %. La presse s’est fait l’écho de quelques pistes pour pallier la baisse des recettes – Les Échos évoquaient le gel du barème de l’impôt sur le revenu, le relèvement du taux de la flat tax, une surtaxe exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés, une réduction des allégements de cotisations sociales, ou encore la réforme du crédit d’impôt recherche (CIR) et du pacte Dutreil : lesquelles sont réellement étudiées ?

M. Antoine Armand, ministre. Je comprends vos interrogations sur la politique de l’offre, mais je souligne à nouveau qu’elle a produit des résultats concrets, au niveau macroéconomique mais aussi en termes d’emploi : le taux de chômage est le plus bas depuis quarante ans et, alors que l’insertion économique chez les jeunes était un des fléaux nationaux, leur taux de chômage est le plus bas de ces vingt dernières années. Cette politique a également soutenu la réindustrialisation : grâce à la baisse des impôts de production, pas moins de 300 nouvelles usines et 130 000 emplois industriels ont été créés depuis 2017, alors que, jusqu’en 2015, on constatait des fermetures de sites et une suppression nette d’emplois. Je rappelle également à ceux qui auraient des velléités de confiscation fiscale que la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés a permis d’augmenter son rendement.

Dans un contexte européen qui demeure fragile – la croissance moyenne de la zone euro n’est que de 0,5 % –, la France doit résister : avec Laurent Saint-Martin, nous travaillons à préserver les acquis en matière d’attractivité, d’emploi et de réindustrialisation. Il faut envoyer un signal fort aux entreprises, en particulier aux TPE et aux PME, mais aussi aux ménages, car malgré la préservation de leur pouvoir d’achat, certains Français rencontrent aujourd’hui de grandes difficultés pour se nourrir, se loger, ou se déplacer. Attention, donc, à ne pas être contreproductif.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Vous dites que la politique de l’offre n’a pas permis de réduire le déficit : certes, mais c’est presque normal, car son augmentation découle en grande partie de la politique de soutien lors de la crise du covid-19 en 2020 et la crise inflationniste en 2022, dont nous sortons tout juste : le redressement de finances publiques est une nécessité absolue, mais c’est maintenant qu’il commence.

S’agissant du calendrier – une question essentielle pour le travail du Parlement –, je vous confirme que le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 sera déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale la semaine du 9 octobre. Je ne sais pas à quelle date il sera transmis au Sénat, mais soyez assuré que je respecterai scrupuleusement les soixante-dix jours alloués au Parlement pour examiner le texte : non seulement il s’agit d’un délai constitutionnel, mais en plus, pour avoir été député et rapporteur général du budget, je sais combien il est essentiel que le Parlement ait le temps de faire son travail. Je suis désolé qu’il y ait eu un retard à l’allumage mais, comme vous le savez, je ne fais qu’hériter de ce calendrier.

Par ailleurs, on ne peut pas à la fois insister sur la nécessité de maîtriser la dépense publique et renoncer à cette ambition pour l’exercice 2024 : j’entends être cohérent et, comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, les surgels prévus pour 2024 seront donc maintenus. J’ignore pour l’instant si nous déposerons un projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2024, afin d’activer certains leviers fiscaux, ou si nous privilégierons un projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) – ce n’est pas encore arbitré.

Le tiré à part qui vous a été transmis est bel et bien provisoire : c’est une base de travail pour le Gouvernement. Compte tenu du calendrier très restreint, il n’y aura pas de nouvelles lettres-plafonds – elles sont habituellement envoyées l’été – et si un nouveau tiré à part sera effectivement joint au projet de texte envoyé au Haut Conseil des finances publiques (HCFP) dans le cadre de sa saisine, le prochain rendez-vous avec le Parlement sera bien la semaine du 9 octobre, pour le dépôt du PLF.

Comme nous l’avons dit avec M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, des efforts collectifs importants devront être consentis en 2025 pour diminuer la dépense publique ; ensuite, seulement, nous pourrons envisager d’éventuelles mesures fiscales pour augmenter les recettes, à condition qu’elles garantissent, d’abord et avant tout, la justice fiscale. C’est bien dans cet ordre que nous devons travailler. J’ai lu, comme vous, les pistes de recettes avancées dans la presse ; j’aurais bien du mal à les commenter, puisqu’elles ne sont fondées sur rien, et pour cause : le texte n’est pas prêt et aucun arbitrage n’a encore été rendu. Ce ne sont que les idées « classiques » qui ressurgissent à l’aube de chaque débat budgétaire. Avec le ministre de l’économie, sous l’autorité du Premier ministre, notre ligne est très claire : notre priorité est la justice fiscale, et nous refusons une augmentation généralisée des impôts – on ne touche pas aux ménages modestes, à ceux qui travaillent et aux classes moyennes. Une fois ce cadre posé, le débat sera nécessaire et il sera de bon ton qu’il soit ouvert à l’Assemblée.

M. le président Éric Coquerel. Je suis heureux de vous l’entendre dire ! Quant aux pistes mentionnées dans la presse, nous sommes d’accord : ce sont les mêmes qui sont mises sur la table chaque année depuis deux ans, mais elles ne se sont encore jamais concrétisées.

M. Charles de Courson, rapporteur général. La très grave situation des finances publiques – vous l’avez vous-même qualifiée ainsi, le Premier ministre aussi – et la nécessité d’informer le Parlement sur leur état réel, me conduisent à vous poser plusieurs questions.

Je commencerai par l’exécution de l’exercice 2024. Dans une note de juillet qui nous a été transmise par vos prédécesseurs, la direction générale du Trésor estimait le déficit à 5,6 % du PIB, mais, selon Les Échos, il tendrait vers 6 % – un taux qui pourrait même être dépassé, si j’en crois ce que vous venez de nous dire. Quelles sont les dernières prévisions ? Par ailleurs, quelles mesures de gestion entendez-vous prendre d’ici à la fin de l’année pour éviter l’envolée du déficit public ? Vos prédécesseurs avaient décidé, outre les 10 milliards de crédits annulés par décret début février, de geler 16 milliards supplémentaires, anticipant qu’il faudrait probablement en annuler définitivement la moitié, afin de porter les économies à 18 milliards d’euros. Comptez-vous réaliser plus d’économies encore – M. Le Maire avait laissé entendre qu’il serait peut-être nécessaire d’annuler la totalité des 16 milliards gelés ?

Il estimait par ailleurs que le dérapage des finances publiques en 2024 s’expliquait en grande partie par un dérapage de 16 milliards d’euros des dépenses des collectivités territoriales. Souscrivez-vous à ces propos ? Je rappelle à la commission que ce prétendu dérapage a été calculé à partir d’objectifs de départ irréalistes – les collectivités devaient limiter la hausse de leurs dépenses de fonctionnement à 1,8 %, et celle de leurs dépenses d’investissement à 7 %. D’après les dernières estimations, quel sera le dérapage réel du déficit des collectivités territoriales, que vous aviez initialement estimé à 0,2 % ?

Ensuite, pouvez-vous nous éclairer sur le contenu du plan budgétaire et structurel à moyen terme – en particulier sur les réformes envisagées –, et nous confirmer si vous avez officiellement obtenu l’accord de reporter sa transmission à l’Union européenne au 31 octobre ?

Enfin, sachant que la croissance en volume devrait être de 1,1 % et l’inflation légèrement inférieure à 2 % fin 2024, sur quelles hypothèses de croissance et d’inflation avez-vous fondé le projet de loi de finances pour 2025 ? Il se dit que vous maintiendriez le même ordre de grandeur qu’en 2024 pour la croissance, avec une inflation plus faible : j’imagine qu’à cette heure, de tels arbitrages ont déjà été rendus.

Alors que la charge de la dette atteignait 48 milliards en 2023, vous l’avez estimée tout à l’heure à 54 milliards en 2024 ; le tiré à part prévoit 64 milliards pour 2025 : pouvez-vous nous confirmer ces ordres de grandeur ? Les lettres-plafonds et le PLF pour 2025, que nous attendons avec impatience, préservent-ils la hausse d’environ 5 milliards d’euros des dépenses en matière de défense, de justice, d’aide au développement et de sécurité intérieure dont nous avions décidé dans le cadre des quatre lois de programmation afférentes ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Permettez-moi de répéter ce que j’ai dit lors de mon propos liminaire, parce que c’est important : même si nous n’avons pas encore de chiffre précis et définitif, les dernières estimations confirment que le déficit dépassera 6 % du PIB. C’est d’ailleurs bien dans l’objectif de faire le maximum pour contenir le déficit dès 2024 que nous maintenons les surgels de crédit, dont une partie pourrait effectivement être annulée – je ne peux pas vous dire combien car, comme le PLF pour 2025, le PLFG pour 2024 est encore en gestation.

Le dérapage du déficit – pour reprendre vos termes – est dû pour partie à de moindres recettes fiscales, c’est important de le souligner, mais aussi à la hausse de 16 milliards des dépenses des administrations publiques locales et des collectivités territoriales. Mon objectif n’est pas de distribuer les bons et les mauvais points : je me concentre sur la fin de gestion pour 2024 et la définition de trajectoires pour 2025. Toutes les administrations publiques (APU) devront, en responsabilité, participer à l’effort collectif de redressement des finances publiques. Nous n’avons pas d’autre choix, d’autant que le ministre de l’économie doit présenter une trajectoire de réduction du déficit à Bruxelles – même si, loin d’être uniquement européen, ce sujet est avant tout national.

S’agissant du respect des trajectoires budgétaires fixées dans les lois de programmation, je vous donne rendez-vous la semaine du 9 octobre, car tous les arbitrages n’ont pas encore été rendus. Mais, dans le cadre du triptyque qui guide mon action – réduction de la dépense publique, respect des priorités du Gouvernement, justice fiscale –, le respect de ces priorités gouvernementales importantes est au cœur de nos préoccupations.

M. Antoine Armand, ministre. Je vous confirme que l’accord avec la Commission européenne a été formalisé : le plan budgétaire et structurel à moyen terme, dont la trajectoire permettra à la France de respecter ses engagements et les règles européennes – qu’elle a largement inspirées –, lui sera transmis pour le 31 octobre. Ce plan requiert un certain nombre de réformes, qui seront présentées par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale.

Mécaniquement, les prévisions de croissance pour 2025 ne pourront être rendues publiques que lorsque le budget aura été finalisé, mais le fait est que le taux d’épargne reste relativement élevé, ce qui retarde la reprise de la consommation des ménages, que le contexte économique aux niveaux national et européen reste incertain et que le relâchement du calendrier des livraisons d’Airbus devrait se traduire par une baisse de la dynamique des exportations à court terme, ce qui aura des conséquences sur la croissance.

À ce stade, je ne peux pas non plus vous indiquer quelle sera la charge de la dette pour l’année 2025.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). « Nous aurons un langage de vérité », avez-vous déclaré. On peut continuer à rejouer le match du bilan économique, mais si la politique de l’offre soutenue par les macronistes depuis douze ans avait permis de faire redémarrer l’économie et d’atteindre le plein emploi, aujourd’hui, les caisses de l’État, des collectivités territoriales et de la sécurité sociale, seraient pleines ! Or, elles sont vides. Si votre politique fonctionnait, la balance des paiements et le solde du commerce extérieur seraient positifs : or, ils sont eux aussi négatifs, et dans des proportions très inquiétantes. Quant aux indicateurs que vous citez à chaque opération d’autopromotion dans cette commission, force est de constater que les chiffres que vous annoncez ne sont jamais atteints – sinon, vous ne seriez pas là, et nous n’aurions pas à gérer une telle crise des finances publiques.

Ensuite, quand allez-vous enfin en finir avec les tabous qui empoisonnent la gestion publique française ? Qu’on soit souverainiste ou fédéraliste, comment penser que la France a encore les moyens de donner 25 à 26 milliards d’euros à l’Union européenne (UE), dont le budget, qu’elle dépense n’importe comment – je vous renvoie aux rapports Letta et Draghi –, a augmenté de 8 % ? Quand allons-nous cesser de nous comporter comme la nation très riche que nous ne sommes plus, et enfin bénéficier d’un rabais, à l’instar des Pays-Bas, du Danemark, de l’Autriche, de l’Allemagne ou de la Suède ?

En outre, combien de temps encore l’Europe acceptera-t-elle les comportements de parasites fiscaux, comme l’Irlande, qui engrange des surplus miraculeux en captant l’impôt sur les sociétés que les multinationales ne paient pas dans notre pays ? La situation est tellement surréaliste que c’est à se demander si ce pays n’est pas devenu la colonie des Gafam en Europe.

Deuxième tabou : l’écologie punitive. Selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE), l’État consacrera, en 2025, plus de 6 milliards d’euros à l’entretien des infrastructures d’énergie intermittente, dont 500 millions d’euros pour deux parcs d’éolien en mer.

Ma question est donc simple : quand sacrifierez-vous enfin tous ces tabous plutôt que de continuer à faire payer aux Français des mesures que nous n’avons plus les moyens de financer ? C’est le tonneau des Danaïdes.

M. Antoine Armand, ministre. Vous soulignez à raison que certains indicateurs économiques, comme le déficit public et la balance commerciale, sont mauvais ; mais comme je l’ai expliqué, d’autres sont bons : le taux d’emploi a augmenté, notamment chez les jeunes, et la politique menée nous a permis de soutenir la réindustrialisation, particulièrement nécessaire dans le nord de la France. Chacun, quelle que soit sa sensibilité politique, pourra convenir des progrès accomplis.

S’agissant de la fiscalité européenne, je vous rappelle que c’est à l’initiative de la France que l’UE, soutenue par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a instauré un plancher d’imposition de 15 % pour les multinationales dans le cadre de la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales : les efforts consentis par la France n’ont pas vocation à être capturés par des partenaires européens, ni, a fortiori, extra-européens. Encore faut-il, vous avez raison, que ces impôts soient effectivement payés.

Enfin, dans le cadre de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France sur laquelle nous avons travaillé ensemble, nous avons reconnu que plusieurs mécanismes de fiscalité environnementale et dispositifs de soutien aux énergies décarbonées devraient être ajustés, notamment en raison du contexte budgétaire. À cet égard, l’exemple que vous avez choisi est très intéressant : vous savez aussi bien que moi que l’éolien en mer est l’énergie renouvelable qui présente l’un des meilleurs facteurs de charge. Or, la France dispose d’une importante façade maritime : ces installations, qui produisent une énergie décarbonée, contribuent donc à la fois à la transition écologique et au renforcement de la souveraineté du pays.

M. Mathieu Lefèvre (EPR). Le groupe Ensemble pour la République vous adresse toutes ses félicitations pour vos nominations, messieurs les ministres, et vous soutiendra dans votre volonté de réduction du déficit public – il y va de la souveraineté de notre pays –, de réduction des dépenses publiques et d’augmentation du taux d’emploi qui en découle – ces axes nous semblent prioritaires.

Comme vous, nous considérons que dans un pays aussi fiscalisé que le nôtre, l’impôt n’est pas la solution, mais plutôt une partie du problème. Au cours des débats, nous formulerons donc des propositions pour augmenter la quotité de travail. À cet égard, envisagez-vous une nouvelle réforme de l’assurance chômage, ce qui permettrait d’augmenter le taux d’emploi et, partant, les recettes publiques ?

Pour lutter contre la fraude, nous vous proposerons également des pistes préparées par Thomas Cazenave alors qu’il était ministre des comptes publics, qui nous semblent de nature à réunir assez largement au sein de la commission.

Nous serons vigilants sur la préservation de l’impératif de compétitivité. Aujourd’hui, les Français et les entreprises sont légitimement inquiets de certaines propositions qui émergent des débats : peut-être pourriez-vous les rassurer ? Vous avez confirmé que vous n’abordiez pas la fiscalité sous l’angle du rendement : c’est plutôt, si j’ai bien compris, symbolique. Si la justice fiscale est votre priorité, des mesures transversales comme le gel du haut du barème de l’impôt sur le revenu, la désindexation des pensions de retraite ou l’augmentation du taux d’impôt sur les sociétés seraient, de fait, exclues. Pouvez-vous nous le confirmer ?

S’agissant des dépenses, le groupe Ensemble pour la République est très attaché à la préservation des budgets prévus dans les lois de programmation dans les domaines régaliens. Or, dans le tiré à part que nous avons reçu, tous ne le sont pas : pouvez-vous nous garantir qu’à défaut d’y parvenir dans le PLF pour 2025, tous vos efforts seront portés dans cette direction ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je vous remercie pour votre soutien, vos remarques et votre vigilance.

Nous n’avons plus le choix : l’ensemble de la dépense publique devra être plus efficace, et les arbitrages seront rendus en ce sens. Les différentes dimensions de la sphère sociale – assurance vieillesse, assurance maladie et assurance chômage – devront donc participer à cet effort – un sujet que nous aborderons sans tabou avec les trois ministres concernés.

En matière de lutte contre la fraude, je tiens à saluer le formidable travail mené au ministère du budget et des comptes publics par Thomas Cazenave et, avant lui, Gabriel Attal : beaucoup a déjà été proposé, mais il reste beaucoup à faire, et je continuerai le travail engagé pour que la lutte contre la fraude reste l’une des priorités du ministère, comme elle l’est depuis de nombreuses années.

La justice fiscale n’est pas symbolique, elle est nécessaire. Et il est sain de rouvrir régulièrement le débat sur ce sujet, en particulier au Parlement : nous le ferons. Vous avez raison, notre réflexion n’est pas guidée par le rendement, car alors, on perd vite le courage nécessaire pour diminuer la dépense publique. En revanche, nous devrons l’envisager sous l’angle de la redistribution : des contributions, parfois exceptionnelles, seront nécessaires pour redresser les finances publiques. Dans les pistes de mesures parues dans la presse, il y avait pas mal de mauvaises idées – en tout cas, elles ne correspondaient pas à l’impératif de cibler les efforts et de ne pas imposer tout le monde qui guide mon action et celle du ministre de l’économie.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). S’agissant de la situation économique du pays, il serait temps de revenir un petit peu sur terre, messieurs les ministres – on va essayer de vous y ramener.

La politique économique menée jusqu’à présent est un problème non seulement au regard du déficit de l’État, mais aussi de ses conséquences réelles sur la vie dans notre pays : il y a 11,5 millions de pauvres dans le pays, les faillites d’entreprises, contrairement à ce que vous affirmez, n’ont jamais été aussi nombreuses que depuis six ans – on en compte 55 000 rien que cette année – et, avec 6 millions de chômeurs, le taux de chômage est loin d’être radieux. Beaucoup de Françaises et de Français souffrent et ont du mal à entendre votre discours.

Vous soulignez que les dépenses ont largement augmenté : effectivement, revenir sur les dépenses fiscales permettrait d’assainir les finances publiques et de réduire le déficit que vous et vos prédécesseurs n’avez fait que creuser en consentant 70 milliards d’euros de baisses d’impôts, 90 milliards d’exonérations de cotisations sociales et jusqu’à 160 milliards de cadeaux aux grandes entreprises. Nous sommes donc heureux d’entendre Antoine Armand reconnaître qu’il est nécessaire d’augmenter les recettes – et donc des impôts, assumez-le – mais aussi d’assurer plus de justice fiscale. Seulement, on ne peut pas se contenter d’une telle annonce, sans aucune autre précision sur les modalités fiscales et les montants envisagés. Déjà, le programme de stabilité – auquel nous ne souscrivons pas –, estimait que 15 milliards d’euros de recettes supplémentaires seraient nécessaires pour 2025, sans donner plus de précisions sur les moyens d’y parvenir. Le PLF pour 2025 doit être présenté au HCFP lundi prochain, vous avez forcément quelques pistes pour augmenter les recettes. Pouvez-vous nous dire lesquelles ?

M. Antoine Armand, ministre. Nous avons effectivement identifié des pistes, que le Premier ministre et moi-même aurons l’occasion de vous présenter.

Je tiens à rectifier ce qui m’apparaît comme une forme de méprise : la baisse des impôts et des cotisations n’est pas un problème, mais une manière de mieux payer les salariés. Réduire la différence entre le salaire brut et le salaire net, ce n’est pas faire un cadeau aux entreprises, c’est mieux rémunérer celles et ceux qui travaillent et qui s’inquiètent de l’écart entre leur salaire brut et la somme qu’ils perçoivent effectivement après prélèvement des impôts. Au-delà des questions de justice fiscale, ces baisses sont indispensables pour valoriser le mérite et renouer avec l’émancipation par le travail et les revenus.

M. le président Éric Coquerel. N’oublions pas que les cotisations sont du salaire socialisé.

Mme Sophie Pantel (SOC). Le bilan des sept dernières années est celui d’un dérapage des comptes, qui découle de choix politiques et marque l’échec de la politique de l’offre. Si nous partageons le souci de maîtriser les comptes publics, nous estimons qu’on ne saurait le faire sans définir des priorités. Sur le terrain, le ras-le-bol des classes moyennes face à la montée des inégalités est de plus en plus prégnant et la fracture entre les Français et entre les territoires ne cesse de croître.

Le temps est aux mesures d’urgence, mais surtout aux efforts de solidarité et à la justice fiscale. Les très riches qui, proportionnellement, contribuent beaucoup moins que les bas salaires ou les classes moyennes, doivent enfin prendre toute leur part dans l’effort de la nation. En mettant à contribution les très grandes entreprises, nous soutiendrons aussi les TPE et PME (les très petites, petites et moyennes entreprises) qui, partout en France, contribuent à créer la richesse, embauchent et dynamisent les territoires.

Résoudre cette équation sera difficile, mais des options existent, comme la révision de la flat tax, le rétablissement de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune), la taxation des très riches ou des très grandes entreprises, l’application d’une politique keynésienne, ou encore le soutien au pouvoir d’achat. Il nous faudra analyser les raisons qui nous ont conduits à la situation actuelle. Elle n’est pas, en tout cas, le fait des collectivités territoriales, qui assument des transferts de charges décidés par l’État sans contrepartie financière et, pour certaines, sans plus disposer d’aucun levier fiscal.

Gouverner, c’est choisir. Nous faisons le choix de la justice fiscale et de la dépense efficiente, au profit de celles et ceux qui contribuent à l’emploi et à l’économie de notre pays. Au nom de la vertu du dialogue que vous faites vôtre, vous engagez-vous à ne pas avoir recours aux 49.3 – ou alors pas avant l’expiration du délai de quarante jours prévu par l’article 47 de la Constitution ?

Comptez-vous vous obstiner à réduire les impôts en espérant que l’argent ruisselle et à vous focaliser uniquement sur la dépense publique, ou entendez-vous mettre à contribution les plus aisés, comme vous l’ont conseillé le Gouverneur de la Banque de France et le Premier président de la Cour des comptes ? Augmenter les recettes est indispensable au maintien des services publics et des dépenses de sécurité sociale, qui fondent le pacte républicain.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Vous ne pouvez pas affirmer que le déficit public actuel est le résultat de la politique de l’offre : en 2017 et en 2018, cette même politique avait permis de résorber le déficit. Le niveau que nous observons aujourd’hui est en réalité dû à la dépense publique record que nous avons consentie pour répondre aux crises successives – sanitaire, économique, puis inflationniste. Quand nous avons voté les différents projets de loi de finances rectificative, au cœur de la crise, le groupe Socialistes était d’ailleurs favorable au « quoi qu’il en coûte ». Mmes Rabault et Pirès Beaune pourraient en témoigner : nous avions alors longuement débattu des réponses à apporter pour aider le pays.

La question est maintenant de savoir comment redresser les comptes. À entendre la fin de votre propos, je crois que nous pouvons nous rejoindre sur un point : la question de la justice fiscale est importante. J’aimerais d’ailleurs que nous nous y penchions ensemble. Nous aurons l’occasion de le faire sur la base du texte qui sera présenté la semaine du 9 octobre.

Mme Sophie Pantel (SOC). Vous avez supprimé 50 milliards de recettes par an !

M. Jean-Didier Berger (DR). La situation est grave, mais pas désespérée. Elle est grave parce que le déficit est encore plus lourd que prévu ; parce que notre dette, qui fait déjà partie des plus élevées d’Europe, est appelée à s’aggraver encore dans les mois et les années à venir ; parce que nos marges de manœuvre fiscales sont nulles, la France étant le pays le plus fiscalisé au monde.

Au-delà de la justice fiscale, qui est certes une première étape, j’aimerais vous entendre parler de baisse de la fiscalité. Si nous voulons éviter que nos compatriotes épargnent au lieu de consommer, nous devons lever les incertitudes qui pèsent sur leurs esprits. Si nous étions capables d’affirmer haut et fort que les dépenses publiques baisseront plus que nécessaire, nous pourrions redistribuer, par le biais de réductions d’impôts, de charges et de cotisations, une partie des économies supplémentaires réalisées. Ce serait une forme d’intéressement budgétaire : nos compatriotes percevraient immédiatement le sens de ces économies et le résultat de leurs efforts en voyant leurs salaires nets augmenter. C’est tout à fait possible et souhaitable. De nombreux pays en Europe sont d’ailleurs parvenus à réduire leur déficit.

À quel montant évaluez-vous les baisses de dépense publique à opérer ? Par ailleurs, êtes-vous prêts à passer à l’acte en matière de décentralisation pour faire participer les collectivités à la gestion des finances publiques autrement qu’en diminuant leurs dotations ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Avant de déterminer l’ampleur des économies à dégager, nous devons définir une trajectoire pour les années postérieures à 2025 et conduire un débat sur la fiscalité, qui fera forcément partie de l’équation – même si, je l’ai dit, elle ne doit pas être uniquement appréciée à travers le prisme du rendement. En revanche, les trois prochains mois devront être consacrés à la fin de gestion de l’exercice 2024. À ce propos, je répète que les surgels de crédits annoncés par le Gouvernement précédent devront être maintenus, ce qui ne sera pas une mince affaire et constituera un acte fort pour réduire la dépense publique.

Je vous rejoins sur la nécessité de faire de la baisse des dépenses une priorité pour redresser les comptes. Quant à réduire davantage les dépenses en vue d’alléger les prélèvements obligatoires, j’aimerais abonder dans votre sens, mais je crois que les discussions seront déjà suffisamment ardues sans aller jusque-là – je me réjouis néanmoins de pouvoir compter sur votre soutien dans ce cadre.

Pour ce qui est de la décentralisation, je ne sais pas quel sera précisément le rôle des collectivités territoriales. Étant comme vous un élu régional, je suis en revanche profondément convaincu que nous aurons besoin d’elles. C’est pourquoi je recevrai dans les prochains jours l’ensemble des associations d’élus territoriaux. Nous devrons d’abord définir une nouvelle trajectoire à respecter à partir de 2025, sans donner de leçons de morale mais en tirant les enseignements de ce qui s’est passé en 2024 ; puis, de façon plus prospective, déterminer quel rôle les collectivités pourraient jouer dans la maîtrise des finances publiques. Je rappelle seulement que notre Constitution, à la différence de celle de certains de nos voisins, ne leur octroie pas une autonomie fiscale : l’autonomie est uniquement financière. À moins de la réviser, ce qui ne me semble pas être l’objectif des prochaines semaines, nos travaux devront respecter ce cadre.

Mme Eva Sas (EcoS). Disons-le, nous attendons peu de vous : votre gouvernement a été nommé sans base démocratique, vous prétendez écrire un projet de loi de finances en dix jours entre deux interviews et vous vous inscrivez dans la continuité d’une politique qui a mis la France dans une situation de déficit abyssal à coups de baisses d’impôts. Je me bornerai donc à vous livrer les positions que les élus Écologistes défendront lors de l’examen de ce projet de budget.

Premièrement, contrairement à ce que vous prétendez, la réponse au déficit ne passe pas par la réduction globale des dépenses, mais par la mobilisation de nouvelles recettes fiscales, qu’il faut prélever sur les plus riches et les grandes entreprises. C’est pourquoi nous défendrons l’instauration d’un ISF climatique, ainsi que la taxation des revenus du capital, des superprofits et des groupes pétrogaziers.

Deuxièmement, il existe bien de grandes dépenses inutiles qui sont autant de potentielles sources d’économies – les exonérations de cotisations sociales, le recours aux cabinets de conseil, le SNU (service national universel), l’uniforme à l’école –, mais soyons clairs : nous n’accepterons aucune coupe budgétaire sur les services essentiels au quotidien des Français que sont le logement, l’école, la justice ou encore l’hôpital.

Troisièmement, l’écologie ne saurait être la variable d’ajustement de ce budget. Les conséquences du dérèglement climatiques sont là. Il faut protéger les Français. On ne peut pas remettre l’action climatique à plus tard.

À ce propos, nous vous avons écrit hier pour nous assurer de la bonne application de l’article 9 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2023 à 2027, qui impose au Gouvernement de publier, avant le début de la session ordinaire, « une stratégie pluriannuelle qui définit les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale ». Cette stratégie, dont les éléments ont sans nul doute été préparés par vos services, est indispensable pour agir contre le dérèglement climatique. Michel Barnier, qui se dit comptable de la dette écologique, et vous-mêmes publierez-vous bien ce document avant le début de la session ordinaire ?

M. Antoine Armand, ministre. S’agissant de la question que vous nous avez adressée par écrit, soyez assurée que nous vous transmettrons une réponse complète.

Je me permets de rappeler que nos voisins, dont les déficits sont beaucoup moins élevés que le nôtre, affichent à la fois un taux de prélèvements obligatoires plus bas et un niveau de dépenses publiques plus faible. Vous estimez que ce n’est pas en baissant la dépense publique et en contenant la fiscalité que nous réduirons les déficits, mais l’exemple de tous ces pays montre le contraire. Nous pouvons avoir des désaccords sur les arbitrages à rendre, mais si nous partons du principe que l’accroissement de la fiscalité et des dépenses publiques nous permettra d’améliorer les comptes, je crains que nous ne fassions fausse route.

Le Premier ministre a effectivement indiqué que la dette écologique comptait tout autant que la dette financière et qu’ignorer la première au profit de la seconde reviendrait à lâcher la proie pour l’ombre. Nous aurons l’occasion, dans les prochaines semaines, de débattre de la transition écologique, qui me tient particulièrement à cœur parce qu’elle est aussi une source de créations de richesses et la condition d’une croissance soutenable.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. J’ajoute que nous tâcherons de vous transmettre la stratégie pluriannuelle en même temps que les documents budgétaires.

Mme Sophie Mette (Dem). Je me réjouis que nous puissions vous auditionner dès aujourd’hui, afin d’amorcer au plus vite les échanges autour du projet de loi de finances pour 2025. Le budget que nous adopterons sera historique, d’abord, parce que la situation des finances publiques nous impose de prendre des mesures courageuses pour relever le défi du désendettement et de la maîtrise du déficit, afin de garder des marges de manœuvre financières pour envisager les nombreux chantiers à venir ; ensuite parce que la nouvelle composition de l’Assemblée nationale appelle à sortir des dogmes politiques. Les élus Les Démocrates sont prêts à engager ce travail avec le Gouvernement et les autres groupes politiques.

La trajectoire de finances publiques qui prévaut actuellement est celle qui a été édictée dans le programme de stabilité en avril dernier. Elle prévoit un retour du déficit sous les 3 % de PIB d’ici à 2027. Au vu de l’ampleur des efforts à consentir, cet objectif vous semble-t-il pouvoir être atteint sans entraver la croissance économique ni affaiblir l’État ? Avez-vous réfléchi à une trajectoire révisée ?

Si l’effort devra porter en priorité sur la réduction de la dépense, l’action pour rétablir les comptes à conduire est d’une telle ampleur qu’elle exigera l’implication de tous. Vous semblez partager cette vision, monsieur le ministre de l’économie, puisque vous avez annoncé que les plus aisés et les grandes entreprises seraient mis à contribution. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les pistes à l’étude et sur la répartition entre les recettes issues de ces contributions ciblées et la réduction des dépenses ?

Enfin, l’élasticité des recettes par rapport à la croissance s’affaiblit depuis deux ans, ce qui contribue à creuser le déficit public. Quelles mesures envisagez-vous pour y remédier, notamment en améliorant la productivité globale et en stimulant la demande intérieure ?

M. Antoine Armand, ministre. Nous serons en mesure de présenter la trajectoire en même temps que le projet de loi de finances et nous nous tiendrons à votre disposition pour en discuter de façon détaillée. Vous avez raison : s’il est indispensable de définir une stratégie cohérente avec les engagements de la France auprès de l’Union européenne, nous ne pouvons pas altérer notre capacité à maintenir une croissance soutenue, robuste et durable.

Vous avez également soulevé la question de la productivité du travail, trop souvent ignorée dans le débat public. Sur ce point, nous avons, en France plus encore qu’ailleurs en Europe, un effort fondamental à faire en matière de formation – initiale et continue – et d’investissements dans les nouvelles technologies pour réaliser pleinement notre potentiel de croissance et garantir la robustesse et le renforcement de notre économie.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Si les recettes fiscales sont inférieures aux prévisions, c’est parce que la croissance réalisée en 2024 a été davantage tirée par les exportations et moins par la consommation intérieure, ce qui a conduit à une baisse des rentrées de TVA. La question de la stimulation de la consommation et de la demande intérieure est donc effectivement importante. Le dynamisme des exportations françaises reste néanmoins une bonne nouvelle, même s’il est vrai qu’il affecte le solde public.

Mme Félicie Gérard (HOR). Sous l’effet de recettes plus faibles qu’attendu et de dépenses que nous ne parvenons pas à contenir suffisamment, la situation des finances publiques est très préoccupante. Notre groupe est très attaché au sérieux budgétaire, garant de notre souveraineté et de notre capacité à réagir à des crises futures. La maîtrise de la dépense est indispensable dans toutes les sphères des administrations publiques. Elle nous impose des choix forts et courageux pour définir les crédits à préserver et ceux à diminuer ou à supprimer.

Les revues de dépenses lancées par le gouvernement précédent avant l’été ont donné lieu à diverses propositions d’économies : dépenses dues aux absences dans la fonction publique, dépenses liées à l’apprentissage ou aux affections de longue durée (ALD), dispositifs de soutien à l’emploi ou en faveur de la jeunesse, dispositifs médicaux, aides aux entreprises. Traduirez-vous certaines de ces préconisations dans le PLF pour 2025 – si oui, lesquelles ?

S’agissant de la fiscalité, j’ai bien entendu que vous souhaitez protéger la classe moyenne. Afin de ne pas pénaliser les Français qui travaillent, pouvez-vous nous assurer que le barème de l’impôt sur le revenu ne sera pas gelé et que les tranches seront bien relevées proportionnellement à l’inflation ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre Comme je l’indiquais à Mathieu Lefèvre, je ne suis pas sûr que certaines des mesures que vous avez mentionnées, et qui conduiraient à pénaliser l’ensemble des Français par la hausse de l’impôt, soient en adéquation avec nos convictions. Vous connaissez mon avis sur ce point.

M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Je vous remercie pour votre présence devant la commission des finances, quelques semaines seulement après vos prédécesseurs. Vos tâches respectives sont ardues et demanderont du courage ainsi qu’une certaine bienveillance de l’Assemblée nationale si nous voulons améliorer la situation des comptes publics, donc protéger l’avenir des Français. C’est la seule motivation qui m’a conduit à devenir député en juillet dernier.

La situation budgétaire est grave – inquiétante, a même reconnu Pierre Moscovici la semaine dernière –, mais elle doit être transparente et sincère. Comme mes collègues, j’ai peu goûté l’opprobre jeté par vos prédécesseurs sur les collectivités au motif de leur prétendue responsabilité dans l’aggravation de la dette publique. Étant rapporteur du budget de la région Hauts-de-France depuis 2016 aux côtés de Xavier Bertrand, je peux témoigner de ce que l’État n’a cessé de nous priver de notre autonomie en remplaçant les recettes fiscales par des dotations, des points de TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), des fractions de TVA et d’autres produits. Les collectivités établissent leur budget sur la base des hypothèses de croissance retenues dans le PLF. Or, ces dernières étant chaque année trop optimistes – pour ne pas dire insincères –, les recettes ne sont pas au rendez-vous. Il a ainsi manqué à la région Hauts-de-France 27 millions d’euros de recettes de TVA en 2023, alors même que nous avions tenu compte des révisions à la baisse opérées par l’État en cours d’exercice.

Si l’on ajoute à cela les décisions unilatérales et non financées comme le relèvement du point d’indice des fonctionnaires, vous conviendrez que l’État réduit nos marges brutes et nettes, nous obligeant à emprunter davantage pour réaliser l’investissement qu’il n’est plus capable d’assurer lui-même – les régions, départements et communes ont réalisé 54 milliards d’euros d’investissement en 2022, quand l’effort de l’État s’est limité à 9,8 milliards, soit 18 %. Or ces investissements préparent l’avenir de nos habitants tout en soutenant l’économie et l’emploi.

Je vous demande donc de vous engager solennellement à écouter toutes les collectivités avec davantage d’attention et de respect, et à garantir un accompagnement dynamique de toutes les décisions financières qui les concernent ou qui résulteraient de nouveaux transferts de compétences.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je vous confirme ma pleine volonté d’écoute et mon souhait de mener le dialogue le plus sincère et le plus ouvert avec l’ensemble des représentants des collectivités territoriales, dans un esprit de confiance. J’y tiens non seulement en tant qu’élu régional, mais aussi parce qu’il me semble que c’est le rôle du ministre chargé des comptes publics que de conduire ce dialogue, surtout dans la situation actuelle.

M. Antoine Armand, ministre. Nous ne réussirons ni à améliorer les services publics ni à conduire la transition écologique et la réindustrialisation sans le concours des collectivités, notamment des régions et des intercommunalités, qui possèdent des compétences en matière de développement économique. Je rencontrerai d’ailleurs leurs représentants dans les prochains jours. Nous devrons coconstruire et partager la contrainte, dont toutes les collectivités, je le sais, ont bien conscience.

J’insiste par ailleurs sur la nécessité de prendre garde aux conclusions que nous tirons des chiffres macroéconomiques que nous manipulons. De la même manière que chaque commune est gérée différemment, partir d’un chiffre global pour en tirer des constats généraux sur les dépenses des collectivités et de leurs représentants pourrait se révéler imprudent.

M. Emmanuel Maurel (GDR). Après avoir auditionné vos prédécesseurs, nous nous étions quittés en nous disant qu’en matière d’autosatisfaction, Bruno Le Maire avait placé la barre très haut. Nous nous rendons compte aujourd’hui que vous êtes de sérieux concurrents ! Tout devrait pourtant vous inciter à l’humilité : la semaine dernière encore, le déficit public devait s’établir à 5,6 % du PIB ; désormais, on nous fait savoir qu’il atteindra finalement 6 %, voire plus.

Vous expliquez que cette situation est la conséquence de choix forts. C’est vrai : elle est le fruit de vos choix. Ne nous demandez pas d’assumer les informations tronquées, les résultats encore plus mauvais que dans les prévisions les plus pessimistes, la politique de complaisance fiscale vis-à-vis des plus aisés – même le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) pointe le caractère délétère des baisses discrétionnaires de prélèvements –, sans parler du fiasco de la taxe sur les superprofits ni de tout le reste.

Vous assurez vous présenter devant nous dans un esprit de dialogue et de partenariat. Mais sur quoi pourrons-nous négocier, alors que tout semble déjà ficelé ? Tout en entretenant un certain flou, vous annoncez que les lettres-plafonds sont immuables, donc que plusieurs budgets seront sérieusement amputés. Je songe notamment à la mission Travail et emploi, que ma collègue socialiste Estelle Mercier et moi-même sommes en train d’étudier. Alors que, contrairement à ce que vous prétendez, la France souffre toujours d’un chômage de masse, vous prévoyez de réduire de 10 % ce budget, qui avait déjà été amputé de 1 milliard l’année dernière. Croyez-vous franchement que les besoins en la matière aient diminué ? L’activité des missions locales, les actions conduites par France Travail ou encore les dispositifs destinés aux jeunes les plus éloignés de l’emploi : tout cela sera raboté au nom d’une politique complètement contre-productive.

Alors que pourrons-nous négocier ? Si le « dialogue » se résume à vous écouter faire votre autopromotion, je ne sais pas ce que nous faisons ici.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je vous trouve sévère : je n’ai pas l’impression qu’Antoine Armand et moi-même ayons fait preuve d’une particulière arrogance. Nous avons défendu ce en quoi nous croyons, à savoir une politique de l’offre dont nous considérons qu’elle produit des résultats, mais nous n’avons fait là qu’exprimer une conviction politique. Vous avez vous-même des convictions ; vous ne manquez pas d’humilité pour autant.

Il n’est pas question de demander à qui que ce soit d’assumer une politique passée, mais d’accepter collectivement le fait qu’augmenter la dépense publique pour faire face aux crises a été, dans une large mesure, un choix transpartisan. Il est vrai que le consensus a été moins large en matière fiscale, mais, s’agissant de la dépense publique, nous avons agi ensemble, y compris avec les députés du groupe GDR, tout simplement parce qu’il le fallait. Nous devrions d’ailleurs être fiers d’avoir sauvé le pays lorsque les circonstances l’exigeaient.

Ce choix a toutefois des conséquences, qui nous imposent désormais de construire une feuille de route de redressement des finances publiques. Je sais que vous partagez ce constat, même si nous divergeons probablement sur les leviers à actionner. Ce sera le rôle du débat parlementaire – dont je souhaite qu’il ait pleinement lieu, pour répondre à Mme Pantel qui m’interrogeait sur une éventuelle utilisation du 49.3 – que de trancher entre ces différentes options. Il portera, entre autres, sur le thème de la justice fiscale, auquel je vous sais sensible. Chacun défendra ses convictions, longuement s’il le faut.

Vous demandez sur quoi nous pourrons négocier, mais la question ne se pose pas en ces termes. Nous sommes au Parlement : nous allons débattre, puis vous allez voter.

M. Gérault Verny (UDR). Tout d’abord, il serait temps d’arrêter de dire qu’une baisse de la fiscalité des entreprises est un cadeau qui leur est fait : ce sont les seuls agents économiques qui produisent de la richesse en France.

Monsieur le ministre de l’économie, je me réjouis de rencontrer l’homme qui, en arrivant à Bercy, a affirmé : « Je mesure la chance d’hériter d’un tel bilan économique. » Quelque 1 000 milliards d’euros de dettes supplémentaires, un déficit public de 172 milliards, une compétitivité des salariés du privé qui s’effondre de 32 %, un déficit commercial qui passe de 59 à 82 milliards entre 2017 et 2023, un coût de la dette qui a dépassé celui du Portugal et de l’Espagne. Et vous vous estimez chanceux… Personne au sein de cette commission ne partage votre enthousiasme.

Alors, monsieur le ministre, plutôt que de décerner des brevets de républicanisme, auriez-vous le courage de vous attaquer à ces 172 milliards d’euros de déficit et ces 3 100 milliards de dette pour revenir à un budget équilibré comme le font l’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres pays en Europe ? Dans quel délai comptez-vous présenter un budget enfin équilibré ? Comment comptez-vous lutter contre l’effondrement de notre productivité et le déficit de notre balance commerciale ? Comment comptez-vous honorer la promesse du Président de la République, à savoir supprimer l’hypertrophie normative et la fiscalité confiscatoire pour enfin libérer les entreprises des contraintes qui les empêchent de se développer ?

M. Antoine Armand, ministre. Monsieur le député, je partage votre vision de la stratégie économique globale. Au cours des dernières années, nous avons réduit les impôts de 60 milliards d’euros, la baisse étant répartie entre les ménages et les entreprises, ce qui a donné des résultats économiques en termes de chômage et d’attractivité de la France en Europe. Si vous êtes comme moi attachés aux faits et aux progrès du pays, je pense que vous y trouvez un motif de satisfaction. Malgré nos divergences, il est important que nous puissions avoir des points d’accord.

Vous avez aussi raison de dire que nous devons présenter une trajectoire, au-delà du budget pour cette année 2025. Conjointement au projet de loi de finances, c’est-à-dire au cours des prochaines semaines, nous présenterons une trajectoire responsable. Il serait irresponsable de ne pas avoir le courage de fixer une échéance car ce serait faire peser un risque sur la signature de la France. À l’inverse, prévoir une consolidation trop rapide, comme ce fut le cas dans notre histoire économique, ce serait faire peser un risque sur la croissance et l’emploi. Cet équilibre à trouver, sans doute le trouverons-nous aussi dans cette assemblée.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux questions des députés.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Pour ma part, je voudrais revenir sur le malentendu qui a alimenté cet été un débat sur la responsabilité des collectivités territoriales dans le déficit. Premièrement, les collectivités territoriales ne sont pas responsables du déficit public qui devrait atteindre quelque 170 milliards d’euros. Deuxièmement, si l’on tient compte des investissements, les collectivités territoriales peuvent être elles-mêmes en déficit, contrairement à ce que l’on entend parfois. Troisièmement, elles ont une part importante de responsabilité dans l’écart entre le déficit prévu et le déficit constaté pour 2024. Leurs dépenses de fonctionnement ont augmenté de 6 % à fin août. Comment peut-on les embarquer dans cet effort collectif de maîtrise des finances publiques que vous appelez de vos vœux ?

M. Antoine Armand, ministre. Vous avez raison, monsieur le député, faire le constat d’une accumulation des déficits et donner des chiffres ne veut pas dire que l’on accuse ou accable. Pour en revenir à la gouvernance et à la coconstruction de nos trajectoires, je suis persuadé que toutes les collectivités locales sont attachées à un meilleur équilibre de leurs comptes mais aussi de ceux de l’État. Nous devons donc nous associer en amont avec leurs représentants, afin d’élaborer ensemble des principes communs qui nous permettront de mieux maîtriser les dépenses – d’où qu’elles viennent – à l’avenir.

M. Matthias Renault (RN). Pourriez-vous nous indiquer pourquoi les crédits de la justice sont en baisse sur le tiré à part qui nous a été communiqué, alors que les lois de programmation prévoient une sanctuarisation des dépenses des ministères régaliens ? S’agissant des surgels de crédits pour 2024, vous nous avez indiqué qu’ils seraient prolongés voire augmentés. Avez-vous une estimation de la part de crédits annulés ? Prévoyez-vous de modifier le montant de l’enveloppe globale de dépenses, dont le montant est fixé à 492 milliards d’euros dans le tiré à part, dans le PLF ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Comme je l’ai déjà indiqué, nous n’allons pas répondre sur telle ou telle ligne de dépenses du futur PLF car les arbitrages ne sont pas rendus. Pour 2024, il y aura un arbitrage à court terme sur des annulations de crédits nécessaires. Quant à modifier le montant de l’enveloppe globale de dépenses, je pense qu’il ne faut pas se l’interdire.

M. Christian Baptiste (SOC). Les engagements hors bilan de l’État, en particulier ceux liés aux retraites, s’élèvent à 1 840,8 milliards d’euros fin 2023, ce qui représente une augmentation de 158,8 milliards d’euros en un an. Cette hausse est principalement due à la baisse du taux d’actualisation, passé de 0,91 % en 2021 à 0,55 % en 2022. Ces chiffres soulèvent des interrogations majeures quant à la soutenabilité de notre système de retraite. Cette situation met d’autant plus en lumière la vulnérabilité de ce système que la récente réforme reste contestée et qu’elle est jugée insuffisante pour assurer un équilibre durable. Comment le Gouvernement justifie-t-il cette réforme face à la réalité de ses engagements croissants ? Quelles mesures concrètes et durables envisage-t-il de prendre pour assurer la pérennité du système face à cette évolution, tout en préservant l’équité intergénérationnelle et le niveau de vie des retraités ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Ce sujet doit faire l’objet d’une concertation avec nos collègues des ministères sociaux. Selon les prévisions de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) et du Conseil d’orientation des retraites (COR), le déficit du système de retraite devrait se dégrader pour atteindre 8,2 milliards d’euros en 2024 et 14 milliards d’euros en 2030.

La réforme des retraites, dont nombre d’entre vous ont débattu au cours de la précédente législature, a permis d’améliorer la trajectoire. Il faut distinguer ses effets à court terme, qui portent essentiellement sur les dépenses, de ses effets à moyen et long terme, qui sont davantage liés au décalage de l’âge légal de départ à la retraite. S’agissant de l’augmentation des dépenses à court terme, je vous rappelle l’importance de la revalorisation des petites pensions, dont la deuxième étape a été franchie en septembre et qui s’est traduite par une augmentation moyenne de 52 euros par mois pour près de 2 millions de retraités. Le coût global de la mesure s’élève à 1 milliard d’euros pour 2024.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Je voudrais vraiment revenir sur les très vives inquiétudes exprimées par les collectivités territoriales quant à la stabilité et à la prévisibilité des dotations de l’État. S’il faut évidemment leur demander des efforts, il faut aussi maintenir une base de confiance dans la construction de cette trajectoire soutenable et responsable. Pourriez-vous nous indiquer si les lettres-plafonds prévisionnelles transmises constituent un état stable des crédits pour 2025 ? À mon avis, il faut expliciter la méthodologie retenue pour estimer à 16 milliards d’euros la contribution des collectivités territoriales au déficit pour 2024.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. S’agissant de l’augmentation de 16 milliards d’euros des dépenses des collectivités locales, je vous renvoie aux explications très claires données par Thomas Cazenave lors de son audition du 9 septembre, où il avait distingué les investissements liés aux cycles électoraux et les dépenses de fonctionnement. Nous devons en effet avoir un dialogue permanent avec les collectivités territoriales afin d’élaborer avec elles une méthode pour 2025 et les années suivantes. Quant aux lettres-plafonds, elles sont évidemment notre base de travail, compte tenu du calendrier. Il y aura peut-être un autre tiré à part, une synthèse pour les ministères, mais il n’y aura pas de nouvelles lettres-plafonds puisque nous en sommes à la rédaction du PLF.

M. le président Éric Coquerel. Cela justifiera que nous les redemandions.

M. Hugo Prevost (LFI-NFP). Vous voilà ministre chargé du budget et des comptes publics à un moment où les finances publiques sont dans un état alarmant en raison d’une très forte diminution des recettes. Dans ce contexte sévère d’austérité, la taxation des superprofits devient un enjeu clef. Pour rappel, les entreprises du CAC 40 ont réalisé 146 milliards d’euros de bénéfice en 2023. Pendant que les actionnaires de ce pays ne cessent de s’enrichir, les Français subissent l’inflation sans voir leur salaire augmenter. Combler le déficit des recettes n’est pourtant pas si compliqué. Le Premier ministre parle d’une plus grande participation des plus riches à l’effort national. Même le Medef semble favorable à une imposition des superprofits. À notre avis, celle-ci devrait être systématique.

Puisque vous allez remettre vos prévisions au Haut conseil des finances publiques (HCFP) lundi prochain, vous devez donc avoir des pistes précises quant à la hausse des recettes envisagée. Si vous n’en avez pas encore, je me permets de vous rappeler la hausse de 15 milliards d’euros des recettes que la commission avait adoptée l’année dernière : taxation des superprofits, rétablissement de l’exit tax, etc. Si c’est ce que vous qualifiez de mauvaises idées, pourriez-vous être plus précis sur ce que vous nommez bonnes idées et nous les détailler ? J’imagine que vous n’allez pas préparer les documents destinés au HCFP pendant le week-end.

M. Antoine Armand, ministre. Ce n’est pas une surprise, nous n’avons pas la même vision que vous des entreprises. Pour nous, les entreprises et leurs salariés créent de la richesse. Nous nous réjouissons quand des entreprises s’installent en France, quand elles sont profitables et donc en mesure de résister à la compétition internationale. Si les entreprises ne créent ni emplois ni richesses en France, elles les créeront en Europe ou ailleurs – je ne suis pas sûr que cela fasse nos affaires.

Si nous ne partageons pas la même analyse de fond, nous pouvons faire le même constat sur la situation budgétaire. Il faut d’abord réduire les dépenses, mais regarder aussi du côté des recettes. À cet égard, je connais les propositions faites l’année dernière par la commission des finances. Nous envisageons des pistes, sans tabou, avec l’idée que les prélèvements doivent être ciblés et exceptionnels, et qu’ils ne doivent pas décourager celles et ceux qui, au cours de la dernière décennie, ont fait le choix de s’installer en France, de créer des emplois et de produire de la richesse au bénéfice des Françaises et des Français.

Mme Véronique Louwagie (DR). Nous constatons un ralentissement conjoncturel à l’échelle européenne et un attentisme en matière de recrutements et d’investissements. Les chefs d’entreprise ont le moral en berne tandis que les ménages se transforment en écureuils, dans un contexte caractérisé par une absence de visibilité et des perspectives de hausses d’impôts. Il est donc important que des éclaircissements interviennent très rapidement.

Ma question porte sur le niveau des dépenses publiques, qui ont augmenté de 100 milliards d’euros en cinq ans. Dans le tiré à part que vous nous avez transmis, le montant des dépenses de l’État est fixé à 492 milliards d’euros pour 2025, comme dans la loi de finances initiale pour 2024. Le montant des dépenses pour 2024 a cependant été ramené à 466 milliards d’euros puisque des crédits ont été annulés ou gelés – 10 milliards d’euros dans le premier cas et 16 milliards dans le second. Si l’on se réfère à ces 466 milliards, les dépenses pour 2025 seraient donc en hausse de 26 milliards pour atteindre le montant de 492 milliards qui figure dans le tiré à part. Mon raisonnement est-il bon ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Votre raisonnement est bon, mais le PLF pour 2025 ne reprendra pas le montant qui figure dans le tiré à part.

M. le président Éric Coquerel. On peut peut-être supposer que le tiré à part définitif va rectifier cette différence par le biais d’une baisse des dépenses publiques à hauteur des annulations et gels de crédits intervenus cette année. Pour notre part, nous avons calculé que les dépenses de l’État diminuent de 3 milliards d’euros en valeur, ce qui équivaut à une baisse de 10 milliards en tenant compte de l’inflation.

M. Michel Castellani (LIOT). Messieurs les ministres, je voulais appeler votre attention sur l’impérieuse nécessité de revaloriser la dotation de continuité territoriale (DCT) de la Corse, gelée depuis 2009. Vous nous proposez encore des dépenses, allez-vous me rétorquer. Nous vous avons aussi proposé des pistes pour faire des économies ou pour accroître les ressources, et nous y reviendrons au cours des débats sur le prochain budget. S’agissant de la DCT, que vous dire que vous ne sachiez déjà ? La Corse est une île, entourée d’eau, et le recours aux moyens de transport maritimes ou aériens n’est pas un luxe mais une nécessité. Cette situation entraîne des conséquences sur la qualité de la vie des gens, la compétitivité des entreprises, les équilibres budgétaires de la collectivité de Corse. Loin d’être indue, notre demande est totalement justifiée. Lors de l’examen du futur budget, nous déposerons des amendements auxquels, je l’espère, vous prêterez une oreille attentive.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Nous discuterons volontiers des amendements que vous déposerez dans le cadre de l’examen du PLF.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Comme vous l’avez exprimé à de très nombreuses reprises, notamment sur les ondes de France Inter, vous assumez le bilan et vous préparez l’avenir, sur la base du même projet politique et de la même politique économique de l’offre – j’imagine que vous brandissez votre bâton de pluie pour que ça ruisselle. Outre le bilan, vous assumez aussi la méthode puisque vous ne la remettez pas en question. Assumez-vous également les engagements pris par les précédents gouvernements, en particulier par Élisabeth Borne qui avait promis 100 milliards d’euros d’investissements dans le réseau ferroviaire lorsqu’elle était à Matignon ?

M. Antoine Armand, ministre. Ainsi que vous l’avez rappelé, le Gouvernement a changé, de même que le Premier ministre. C’est au nouveau Premier ministre qu’il reviendra, dans sa déclaration de politique générale, d’indiquer les grandes orientations en matière d’investissements. Cela étant, je me permets de souligner qu’il s’est déjà exprimé sur l’importance qu’il comptait accorder à la dette écologique. Or le ferroviaire offre des réponses à la problématique sociale et écologique de déplacement de nos concitoyens, qu’il s’agisse de petites ou longues distances, de trajets du quotidien ou de TGV. Le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie compte contribuer à la réflexion, notamment sous l’angle de la mobilité des salariés. Il faut que chacun puisse bénéficier de services de transport plus décarbonés et à des prix raisonnables.

M. Anthony Boulogne (RN). Ne revenons pas sur la catastrophique situation budgétaire du pays. Il y a sept ans, on nous avait vendu les Mozart de la finance, les grands patrons de l’économie. On s’est retrouvé avec les cancres de la dette. Pour être sympathique et vous aider, je vais vous donner les solutions concrètes du Rassemblement national pour éviter l’iceberg budgétaire. Il faut réduire la contribution française au budget de l’Union européenne, lutter contre les fraudes sociales et la fraude fiscale. Il faut bien sûr s’attaquer au coût faramineux de l’immigration : au moins 15 milliards d’euros par an. Oui, l’immigration est le grand tabou de la politique française, alors que les exemples de la Suède et du Danemark montrent bien que des solutions existent. Encore faut-il avoir le courage politique de les appliquer. Je pense que votre collègue Bruno Retailleau approuverait mes propos. Prendrez-vous enfin des mesures budgétaires pour réduire le coût que fait peser l’immigration sur nos comptes publics ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Monsieur le député, je vais vous faire la même réponse que sur les autres sujets qui renvoient au PLF pour 2025 : nous en débattrons lors de l’examen du texte. Il y a une mission Immigration, asile et intégration. Je ne doute pas qu’il y aura des amendements.

M. le président Éric Coquerel. Malheureusement, et je n’en tire pas les mêmes conclusions que vous, le budget consacré à cette mission apparaît en baisse dans le tiré à part qui vous a été distribué.

M. Antoine Armand, ministre. Il serait sans doute utile d’être précis et de faire la différence entre les coûts afférents. J’imagine que vous faites référence à l’immigration illégale et certains des coûts associés, mais il existe aussi une immigration légale constituée de travailleurs qui contribuent tous les jours à la croissance et à l’emploi en France. Des études fiables montrent l’apport économique de cette immigration dans de nombreux pays.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Les finances publiques nous ont apporté une succession de mauvaises surprise en 2024, au point que le précédent gouvernement a annulé ou gelé pour plus de 20 milliards d’euros de crédits. Hélas, le déficit devrait dépasser la barre des 6 %. Au printemps dernier, Bruno Le Maire avait proposé d’anticiper la situation et de présenter un projet de loi de finances rectificative (PLFR), qui nous aurait évité tous ces problèmes. Disons-le, sa proposition n’avait pas suscité beaucoup de soutiens. Après avoir loupé le coche au printemps, aurons-nous un PLFR cet automne ? À mon avis, c’est indispensable. Un PLFR nous permettrait notamment d’avoir des mesures rétroactives sur les rachats d’actions et les surprofits des énergéticiens, et des réserves de précaution sur les dépenses. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Tout est ouvert, comme je vous l’ai déjà dit. Pour 2024, nous aurons certainement un projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) qui contiendra le maintien du surgel et une part d’annulations de crédits. La question est de savoir si nous aurons également un débat sur la fiscalité dans ce projet de loi  qui sera alors un PLFR  ou uniquement dans le PLF pour 2025. En fonction de cet arbitrage, il y aura ou non le dépôt d’un collectif budgétaire.

M. le président Éric Coquerel. Le PLFR ou PLFG permettra à l’Assemblée de donner sa position, ce qui n’est pas sans intérêt compte tenu du montant des annulations de crédits envisagées.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Le Gouvernement a changé, dites-vous. En fait, nous n’en avons pas l’impression. Nous avions un gouvernement macroniste avec des députés de droite ; nous avons maintenant un gouvernement de droite avec des députés macronistes – qui sont de droite.

J’en viens à ma question sur le fonds Vert, amputé de 400 millions d’euros en 2024, alors que c’est l’instrument qui permet aux collectivités territoriales d’investir dans des projets ayant une valeur environnementale. Dans le budget pour 2025, la diminution va être de 1,5 milliard d’euros, soit 60 % du fonds. Ne croyez-vous pas que la dette climatique est aussi importante que la dette financière ? Quant au secteur de la santé, il va perdre 1 milliard d’euros, ce qui correspond à une baisse de 44 %. Quand on voit l’état de ce secteur, on se demande bien ce que vous allez couper.

Alors que vous êtes assez précis sur les coupes, vous prévoyez des évaluations dans tous les sens pour les recettes. On pourrait s’intéresser à l’héritage. Ce matin, la Cour des comptes nous a expliqué qu’il serait possible de récupérer près de 10 milliards d’euros en supprimant des niches fiscales, le plus sont souvent utilisées par ceux qui se versent des superhéritages. À voir comment les 500 plus grandes fortunes de France se portent bien, on pourrait aussi parler de la taxation des dividendes. Pourquoi est-elle aussi faible alors que le montant des dividendes versés aux actionnaires explose ?

En quittant son ministère, Bruno Le Maire a dit qu’il y avait un combat essentiel qu’il aurait dû mener : taxer les 1 % les plus riches. Allez-vous le faire maintenant ou attendre votre départ pour en parler ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Antoine Armand étant déjà intervenu sur la transition écologique, je ne vais y revenir que de manière brève. Même si les résultats peuvent être considérés comme toujours insuffisants, ils n’ont jamais été aussi bons : les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 5,8 % en 2023, comme les années précédentes, ce qui est six fois mieux que la moyenne enregistrée au cours de la période 2012-2017. Ce sont des chiffres, pas de l’autosatisfaction ou de l’autopromotion. Ces avancées nécessaires nécessitent des moyens, nous sommes d’accord sur ce point. Et ils n’ont jamais été aussi importants : ils s’élèvent à plus de 40 milliards d’euros, même après le décret d’annulation. Il va désormais falloir questionner l’efficacité de l’action, débattre des investissements prioritaires à réaliser en fonction de leur impact climatique. Pour ce faire, nous pourrons nous appuyer sur les conclusions de travaux déjà effectués, notamment par des députés de divers bords politiques. Nous vous donnerons la stratégie en même temps que les documents budgétaires.

Sur la fiscalité du capital, nous aurons l’occasion d’en débattre plus longuement en séance dans quelques semaines. Je relèverai simplement pour faire plaisir au président s’agissant du rendement de l’impôt que le produit de la flat tax a été durablement supérieur à celui tiré du barème qui s’appliquait précédemment. C’est un bon exemple d’une mesure qui fonctionne, en élargissant l’assiette tout en baissant les taux.

M. le président Éric Coquerel. Nous en reparlerons lors de l’examen du PLF, mais la flat tax a été précisément conçue pour moins imposer les revenus du capital.

M. Nicolas Ray (DR). Comme vous l’avez dit, nous devons stopper la dégradation des comptes publics, qui atteint des records. Pour cela, certains préconisent la solution fiscale. Comme vous, nous refuserons toute hausse d’impôts visant les Français qui travaillent et les PME.

Je sais que vous ne pouvez pas faire d’annonces précises, mais pouvez-vous au moins nous indiquer quels types de nouveaux prélèvements ciblés et exceptionnels sont envisagés ? D’autant que, la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) en est un excellent exemple, les prélèvements présentés comme temporaires sont souvent pérennisés.

Quelles sont vos pistes d’économies ? Pour récompenser davantage le travail, assainir les comptes publics et tout simplement garantir la souveraineté de notre pays, oserez-vous toucher aux opérateurs de l’État – dont les dépenses ont augmenté de 30 milliards depuis sept ans –, à celles relatives à l’hébergement d’urgence et à l’aide médicale de l’État ainsi qu’aux dépenses d’assistanat, qui ont explosé ?

M. Antoine Armand, ministre. Nous vous présenterons les mesures fiscales sur lesquelles nous avons travaillé à l’occasion du PLF. Mais je vous rassure : il s’agirait bien de prélèvements ciblés et exceptionnels qui n’ont pas vocation à toucher notre potentiel productif.

Je prends l’exemple du projet de mine envisagé dans votre département et qui est indispensable pour le redressement productif du pays : il serait extrêmement inopportun de prévoir le retour d’impôts de production qui pénaliseraient en amont la croissance de l’entreprise et l’emploi.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. La CRDS est probablement plutôt un contre-exemple, puisque ce prélèvement n’est pas particulièrement ciblé et qu’il touche les revenus du travail. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas l’instaurer, mais les propos tenus par les membres du nouveau gouvernement montrent que ce n’est pas ce type d’imposition qui est envisagé.

Les crédits des opérateurs de l’État ont fait l’objet de baisses à l’occasion du décret d’annulation de février dernier et ils sont concernés par le surgel de cette fin d’année. Par-delà l’évolution de leurs crédits, je suis très attaché aux effets de leurs dépenses sur la croissance, l’activité et l’emploi – qui en retour assurent des recettes fiscales. Il faut mener un travail fin sur ce sujet.

Le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) sur les aides aux entreprises devra aussi être regardé de très près, parce qu’il faut examiner comment ces aides permettent d’inciter les entreprises et de les accompagner, mais aussi quel est leur coût pour les finances publiques. C’est un débat extrêmement important et je suis certain que nous l’aurons dans les prochaines semaines.

M. Jérôme Guedj (SOC). Le calendrier décalé du PLF sera-t-il aussi celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ? Nous n’avons aucune information à ce sujet.

Grâce à leur opiniâtreté, le président de la commission et le rapporteur général ont pu obtenir les lettres-plafonds. Pourrons-nous avoir également connaissance des décisions du Gouvernement s’agissant de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) au moins une semaine avant le dépôt du PLFSS ? Cela nous permettrait de savoir si l’Ondam est conforme à l’objectif figurant dans la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques – soit une progression ramenée de 3,2 % en 2024 à 3 % en 2025. Maintiendrez-vous cette ligne, alors qu’une nouvelle convention médicale a été signée entre temps et qu’elle ne manquera pas d’avoir des effets ?

S’agissant du sous-objectif de l’Ondam qui concerne les établissements de santé – qui comprend notamment l’hôpital public – envisagez-vous de maintenir les prévisions consistant à faire passer sa progression déjà insuffisante de 3,2 % en 2024 à 2,6 % en 2025 ? Cela confirmerait la mauvaise intuition que nous avons pu avoir en entendant le Premier ministre déclarer, à l’issue de sa visite à l’hôpital Necker, qu’il y a « des progrès à faire dans l’organisation » et « des économies à faire si on écoute les gens ».

Peut-on encore faire des économies sur l’hôpital ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Le calendrier du PLFSS serait le même que celui du PLF.

Par définition, l’Ondam est l’un des éléments sur lesquels nous travaillons pour construire la trajectoire du solde des administrations publiques. J’insiste sur le fait que la réflexion sur le redressement des finances publiques doit concerner toutes ces administrations.

Il faut le faire de manière intelligente, sans fragiliser ce qui ne doit pas l’être et en procédant à des transformations. Tel est le sens des propos du Premier ministre que vous avez cités. Il n’est pas question d’affaiblir le service public hospitalier, mais la difficulté du redressement des finances publiques impose que nous restions très concentrés sur l’effort de transformation de l’action publique.

Nul doute que nous en débattrons aussi bien lors de l’examen du PLFSS que du PLF – et en ce qui me concerne particulièrement s’agissant de la première partie de ce dernier.

Mme Danielle Simonnet (EcoS). On a l’impression qu’en fait, il n’y a pas eu d’élections et que dorénavant c’est comme auparavant.

Vous n’avez répondu à aucune des questions précises qui vous ont été posées.

S’agissant de la démocratie : allons-nous faire semblant de débattre alors que tout finira par le 49.3 ? Je repose la question.

Par aveuglement idéologique, vous vous obstinez à prétendre qu’il faut absolument réduire la dépense publique, alors que nous sommes nombreux à ne cesser de dire qu’il faut se préoccuper des recettes.

Est-il vrai que vous prévoyez de baisser de 44 % les budgets du ministère de la santé ?

Allez-vous vous engager à poursuivre l’effort de 100 milliards d’investissements en faveur du transport ferroviaire d’ici à 2040 ?

En revanche, vous admettez que des mesures fiscales ne peuvent être adoptées que si elles relèvent de la justice fiscale. Eh bien sachez que lorsque Lucie Castets sera Première ministre, elle prévoira 100 milliards de recettes supplémentaires grâce notamment à la suppression de la flat tax et à l’instauration d’un impôt sur le revenu bien plus progressif, avec quatorze tranches. Allez-vous étudier ces mesures ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Nous sommes très honnêtes sur le degré de précision des réponses que nous sommes en mesure de vous apporter aujourd’hui. Nous avons beaucoup évoqué l’exécution de 2024 et la fin de gestion. Nous avons exposé notre philosophie pour 2025 et avons fait part des débats que nous souhaitons avoir avec vous.

Le PLF est en cours de préparation et nous ne pouvons évidemment pas vous en présenter les différents articles. Il ne s’agit en rien d’un déni de démocratie. Bien au contraire, nous préparons le débat et je pense que l’on peut difficilement faire mieux.

Quand Mme Castets sera Première ministre et que vous serez ministre, vous verrez bien qu’il faut attendre le dépôt du texte pour entamer sa discussion avec le Parlement. Cela relève de la séparation des pouvoirs et d’un calendrier tout à fait normal – même si, je vous l’accorde très volontiers, nous sommes en retard.

Je vous assure que nous discuterons de la fiscalité des revenus du capital et que je n’occulterai pas cette question. Cet automne budgétaire va être complexe, parce que les enjeux sont grands et qu’il faudra prendre des décisions fortes. Ce sera l’occasion d’aborder le débat sur la justice fiscale – je l’espère de manière sereine et constructive.

M. le président Éric Coquerel. Nous ne sommes pas dans une situation normale. L’Assemblée subit ce calendrier, dont elle n’est pas responsable. Dans les faits, le retard de transmission du tiré à part définitif atteint désormais deux mois. Cela explique pourquoi les députés posent légitimement de nombreuses questions à quelques jours du dépôt du PLF.

M. Nicolas Metzdorf (EPR). L’insurrection lancée par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) en Nouvelle-Calédonie a détruit entièrement le pays. Nous avons perdu vingt points de PIB ; le taux de chômage s’élève à 50 % ; plus de 700 entreprises ont été détruites ; l’hôpital public est en déficit et 26 000 personnes ont fui le territoire.

Nous aurons besoin de 1 milliard d’euros pendant cinq ans. Avez-vous pris en compte cet élément lors de la préparation du projet de budget ? Prévoyez-vous des mesures spécifiques pour ce territoire qui vient de connaître la pire insurrection de son histoire ?

M. Antoine Armand, ministre. Je profite de cette question pour apporter tout mon soutien à la population et aux acteurs économiques de la Nouvelle-Calédonie, ainsi qu’à vous, à titre personnel, car vous vivez depuis des mois une situation extraordinaire.

Le gouvernement précédent a d’ores et déjà débloqué 100 millions en juillet dernier. La situation demeure critique et je m’apprête à autoriser le versement d’une nouvelle aide financière d’urgence de 87 millions pour couvrir les besoins de trésorerie de la collectivité.

Dans les prochains jours, nous serons à votre disposition pour discuter de la situation économique avec l’ensemble des partenaires. La situation l’exige.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je ne peux qu’insister sur la nécessité de faire ce travail ensemble. L’enjeu est immense. Il est extrêmement important d’objectiver les besoins et d’étudier les conditions des réformes nécessaires dans le cadre d’un travail associant l’État et la Nouvelle-Calédonie. Il faut s’y mettre rapidement. Vous me trouverez aussi toujours à vos côtés ainsi qu’à ceux de tous les acteurs pour accomplir cette tâche.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Vous avez dit que les surgels de crédits seraient tous maintenus mais que vous n’aviez pas encore pris de décision s’agissant des annulations. Est-ce à dire que les crédits concernés par le surgel seront annulés ou bien qu’ils seront reportés sur l’exercice suivant ?

Par ailleurs, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), réduire de 30 milliards les dépenses publiques en 2025 va engendrer une baisse de la croissance de 0,5 point. Avez-vous calculé les conséquences sur cette dernière du maintien d’une réduction de 26 milliards en 2024 ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Vous évoquez un point extrêmement important. Nous avons la conviction qu’il faut réduire la dépense publique, mais il faut trouver le point d’équilibre qui permet de ne pas casser les leviers de croissance. La politique du rabot a précisément pour faiblesse de ne pas faciliter la transformation et de risquer d’altérer la croissance et l’emploi. Or on peut éviter cela tout en baissant la dépense publique. Tel est l’enjeu du travail que nous menons dans un calendrier très contraint et qui fera tout l’intérêt du débat parlementaire à venir.

M. le président Éric Coquerel. Et qu’en est-il de la part des crédits gelés qui seraient annulés ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Cela relève d’un prochain arbitrage.

M. Denis Masséglia (EPR). J’interviens en tant que rapporteur spécial chargé de l’audiovisuel public.

La suppression de la redevance audiovisuelle à compter de 2022 a permis à chaque foyer d’économiser 138 euros. Depuis lors, les opérateurs tels que Radio France, France Télévisions ou encore l’Institut national de l’audiovisuel (INA) sont financés grâce à l’affectation d’une fraction des recettes de la TVA.

Alors que ce dispositif provisoire arrive à son terme, il convient de trouver une solution pérenne pour accompagner convenablement ce secteur, en garantissant bien entendu son indépendance. Pouvez-vous indiquer quelles sont les pistes envisagées par le Gouvernement ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Nous débattrons ensemble de ce sujet important du financement de l’audiovisuel public. Il faudra choisir entre une budgétisation, un nouveau prélèvement sur recettes ou bien le maintien de l’affectation d’une fraction de la TVA. Vous comprendrez que, comme pour d’autres questions, je ne peux pas vous apporter de réponse à ce stade. Mais je veillerai toujours à l’indépendance de l’audiovisuel public, quel que soit le dispositif qui sera retenu pour assurer son financement.

M. David Amiel (EPR). Il faut éviter de tomber dans un court-termisme budgétaire. Nous avons les yeux braqués sur le PLF mais, en réalité, il va falloir dégager 110 milliards sur plusieurs années simplement pour stabiliser la part de la dette dans le PIB. Ce n’est évidemment pas atteignable en augmentant massivement les prélèvements obligatoires, mais nous ne pouvons pas non plus nous en tenir à la politique du rabot ou se contenter de prélèvements exceptionnels. Certes, nous pourrions passer ainsi l’étape de 2025, mais nous nous heurterions à un nouveau mur en 2026, le déficit étant désormais structurel.

Nous avons donc besoin de réformes importantes, d’une part pour réduire les dépenses publiques et, d’autre part, pour soutenir la croissance – et donc les recettes.

J’en profite pour remercier le ministre Saint-Martin pour ses propos sur la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique que nous avions fait voter par amendement et à laquelle nous sommes très attachés.

Vous avez évoqué la justice fiscale et un début de méthode en la matière. Sans entrer dans le détail du PLF, pouvez-vous indiquer les domaines de réformes structurelles sur lesquels vous travaillez pour 2025 et la méthode envisagée ? Je suppose d’ailleurs que ces éléments seront l’un des enjeux clés de la discussion avec la Commission européenne.

M. Antoine Armand, ministre. Je salue votre engagement constant en faveur du nécessaire financement pluriannuel des transitions auxquelles nous sommes confrontés.

Si notre stratégie ne prend pas en compte le besoin de sauvegarder une croissance robuste à moyen et à long terme, nous ne pourrons plus financer notre modèle économique et social. En outre, ce serait contre-productif. Comme l’a dit le Premier ministre, la dette écologique est tout aussi importante et doit être prise en compte au premier chef.

M. le président Éric Coquerel. Messieurs les ministres, je vous remercie de vous être rendus disponibles afin que cette audition ait lieu le plus tôt possible.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 25 septembre 2024 à 15 heures

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Karim Ben Cheikh, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Michel Castellani, M. Eddy Casterman, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, Mme Félicie Gérard, M. Tristan Lahais, Mme Constance Le Grip, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Jérôme Legavre, Mme Christine Loir, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Denis Masséglia, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Yaël Ménaché, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Nicolas Metzdorf, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, M. Hugo Prevost, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, Mme Danielle Simonnet, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Emmanuel Tjibaou, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth

Excusé. - M. François Jolivet

Assistaient également à la réunion. - M. Fabien Di Filippo, M. Jérôme Guedj, M. Paul Midy