Compte rendu
Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Genetet, ministre de l’Éducation nationale, sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle 2
– Présences en réunion................................3
Mercredi
13 novembre 2024
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 4
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de Mme Véronique Riotton,
Présidente
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La séance est ouverte à 15 heures 38
Présidence de Mme Véronique Riotton, présidente
La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a auditionné Mme Anne Genetet, ministre de l’Éducation nationale, sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle.
Ces débats ont fait l’objet d’un compte rendu écrit, ils sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
Mme la présidente Véronique Riotton. Madame la ministre, nous vous accueillons avec plaisir pour évoquer un sujet qui nous tient particulièrement à cœur : l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle.
Vous avez annoncé qu’un nouveau programme d’éducation serait présenté en décembre en Conseil supérieur de l’éducation, en vue de son application au plus tard à la rentrée 2025. Notre délégation aux droits des femmes s’en réjouit. Il est plus que temps, en effet, que ce sujet reçoive toute l’attention et tous les moyens qu’il mérite. Le récent rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et le Livre blanc Pour une véritable éducation à la sexualité, auquel ont contribué plus de 150 organisations de la société civile, l’ont bien montré, si nous voulons vraiment faire de la prévention, lutter contre les violences et promouvoir l’égalité, c’est dans l’éducation qu’il faut investir.
La situation est particulièrement inquiétante. Plus de vingt ans après la promulgation de la loi prévoyant les trois séances annuelles d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, 67 % des jeunes entre 15 et 25 ans disent ne pas en avoir bénéficié et ils seraient 17 % à n’en avoir jamais reçu. Selon certaines études, 36 % des 18-24 ans pensent qu’une femme peut prendre plaisir à être humiliée ou injuriée, 23 % estiment qu’elle peut prendre du plaisir à être forcée et deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 12 ans ont déjà eu accès à des images pornographiques. On connaît les effets ravageurs des réseaux sociaux ou des contenus pornographiques, et nous avions eu à batailler, l’année dernière, lors de l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Ces images en ligne ont un effet délétère sur l’imaginaire des jeunes et ont des conséquences en termes de violences sexistes et sexuelles. Les intervenants missionnés pour intervenir dans les écoles manquent souvent de moyens pour remplir leur mission, et les parents et professeurs sont bien souvent démunis pour aborder ces questions avec les enfants.
S’agissant du calendrier et des modalités de la réforme, quand le nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle sera-t-il déployé dans l’ensemble des établissements scolaires et quelles mesures seront prévues pour contrôler l’effectivité des séances obligatoires tout au long de la scolarité ? Quel sera le rôle des rectorats dans ce dispositif ? Quels seront les montants financiers dédiés aux intervenants extérieurs dans les établissements scolaires – associations, professionnels de santé, psychologues et éducateurs –, qui pourraient venir en renfort du personnel éducatif ? Comment les enseignants seront-ils associés et formés à cet enseignement, ce qui est très important pour un bon déploiement du dispositif ? Celui-ci prévoit-il une sensibilisation des parents ?
S’agissant du contenu de l’enseignement, comment ce nouveau programme appréhendera-t-il les besoins d’information et les attentes des élèves en matière de respect, tant pour les filles que pour les garçons, les préjugés sexistes et sexuels, la notion de consentement et les nouveaux risques liés au numérique, comme le cyberharcèlement, les contenus pornographiques et le risque de prostitution ?
Cette question pourrait, du reste, s’adresser aussi à votre collègue en charge du numérique. Dans le débat sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, nous avions obtenu un retrait par expérimentation des contenus pornographiques, notamment pour ce qui concernait les tortures et la barbarie. Cette expérimentation d’une durée de deux ans était tout ce que nous avons pu obtenir en commission mixte paritaire (CMP). Au bout d’un an, qu’en est-il du suivi de cette expérimentation et de la réalité du retrait de ces contenus ?
S’agissant de la protection des enfants, l’école est le premier relais de la campagne nationale contre les violences sexuelles faites aux enfants. En quoi le nouveau programme d’espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) peut-il contribuer à la libération de la parole des enfants et des adolescents, qui nous permettrait de faciliter le repérage de signaux par le personnel éducatif ?
Mme Anne Genetet, ministre de l’éducation nationale. Notre société se trouve à un tournant pour ce qui concerne ce sujet resté trop souvent dans l’ombre, malgré les efforts déployés depuis une cinquantaine d’années. Vous avez souhaité m’entendre sur la publication prochaine et la mise en œuvre du programme d’éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité annoncé en janvier dernier par le Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal. Ma prédécesseure, Nicole Belloubet, avait lancé les travaux d’experts nécessaires et ce programme sera présenté, comme vous l’avez dit, au Conseil supérieur de l’éducation le 5 décembre prochain.
Ce programme est très copieux, complet et très détaillé, du plus jeune âge à la fin du lycée, y compris pour les sections professionnelles. Le chantier de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle dépasse le simple cadre de l’enseignement. Il touche à des enjeux multiples : santé publique, égalité entre filles et garçons, construction de la citoyenneté, respect d’autrui et vie en société. L’élévation du niveau de notre école fait également partie de ces enjeux. Je veux donc inscrire pleinement ce programme dans ce que j’ai appelé le choc des savoirs, dont j’ai présenté hier l’acte II au collège Pierre de Ronsard de l’Haÿ-les-Roses.
Mon école brise les inégalités de destin et peut vaincre toutes les formes d’assignation. Dans le monde qui nous entoure, de l’Amérique à l’Europe, des populistes, des complotistes, des déclinistes et des négationnistes avancent tête haute, mettant en danger ce type de programme. En matière de droits des femmes, de relations sociales et de droit à la sexualité, partout, les reculs sont flagrants et très inquiétants. Le temps de la contre-offensive est venu. Ce choc des savoirs que nous voulons pour notre école doit pouvoir aider chaque élève à penser par lui-même, à se construire, à s’affirmer tout en respectant autrui et à oser parler.
Cette contre-offensive par les savoirs passe naturellement par l’élévation du niveau dans les fondamentaux : on ne grandit pas bien, on ne peut pas apprendre convenablement ni trouver sa place dans la société si on ne sait pas correctement, au départ, lire, écrire et compter – cela vaut aussi pour la compréhension et la prise en main de ce programme. Sans la maîtrise des fondamentaux, tout vacille, y compris celle de ce programme. On ne peut pas apprendre l’histoire ni suivre correctement l’éducation morale et civique sans maîtriser le français. On ne peut pas comprendre les sciences sans une base solide en mathématiques.
Les mesures que j’ai annoncées cette semaine, qui passent par la refonte des programmes, par les groupes de besoins au collège et par le renforcement des exigences au brevet comme au bac, s’inscrivent dans cet effort de long terme indispensable pour redonner ses lettres de noblesse à l’école, avec une triple ambition : élever, instruire, émanciper. Dans cet ensemble, le programme d’éducation à la sexualité n’est certainement pas un socle de connaissances qui serait accessoire ou anecdotique : il a un rôle essentiel dans la construction de chaque enfant, de chaque jeune, dans son rapport à lui-même et aux autres, au droit et aux institutions, trois éléments que l’on trouvera dans le programme.
Théoriquement, l’éducation à la sexualité doit se déployer d’une manière progressive depuis l’école maternelle jusqu’aux classes du lycée, selon une approche globale et positive C’est ce que prescrit la loi du 4 juillet 2001 : « une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison d’au moins trois séances annuelles, par groupes d’âge homogène ». L’honnêteté commande de dire qu’on est encore bien loin de cet objectif. Il manquait un programme pour accompagner les professeurs et les établissements dans l’application de la loi ; c’est le projet qui sera présenté au Conseil supérieur de l’éducation le 5 décembre prochain, pour une mise en œuvre dès la rentrée 2025. Nous faisons le choix de préparer nos élèves, dès leur plus jeune âge, à un apprentissage qui leur ouvre toutes les portes et qui les arme pour tous les défis à venir.
Ce chantier essentiel de l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité exprime un engagement collectif de la nation. Éduquer à la vie affective et relationnelle à l’école maternelle et à l’école primaire, éduquer à la vie affective et relationnelle et à la sexualité au collège et au lycée – tels sont les titres du programme pour chacun des niveaux – revêt un caractère obligatoire et doit être mis en œuvre sur l’ensemble du territoire national.
Cette éducation se fonde sur les principes et les valeurs de la République. Elle se déploie donc avec neutralité et distance, et elle est également guidée – c’est essentiel – par le principe de laïcité, avec une attention constante au respect des élèves, à leur intimité corporelle et psychique, à leurs différences et au rythme de leur croissance. Cette éducation, qui porte en elle une forte dimension d’éducation à l’altérité, vise l’égalité de considération et de dignité, en particulier entre les femmes et les hommes. Elle contribue à la lutte contre toutes les discriminations de sexe ou de genre, et d’orientation sexuelle. Elle sensibilise au principe du consentement et contribue à la prévention des différentes formes de violences, notamment des violences sexistes et sexuelles. Adossée aux disciplines fondamentales que j’évoquais à l’instant, l’éducation à la sexualité répond donc aux missions spécifiques que la nation confie à l’école.
C’est par l’école, par l’éveil de tous au respect et au consentement, que nous éviterons d’autres destins brisés, comme celui, terrible, de Gisèle Pélicot et celui de milliers d’autres victimes, pour lesquelles j’ai une pensée.
Les programmes conduiront les élèves, dans toutes les disciplines, à interroger une grande diversité de documents et à considérer des exemples récents ou plus anciens, afin de nourrir une culture générale, une culture citoyenne, une culture de liberté et de responsabilité. Trois questions serviront de fil rouge pour avancer, tout au long de la scolarité et à chaque niveau, sur trois axes fondamentaux.
Le premier de ces trois axes concerne l’élève : comment se connaître, vivre et grandir sereinement avec son corps ? Le deuxième concerne les autres, l’altérité : comment rencontrer les autres, construire avec eux des relations respectueuses et s’y épanouir ? Le troisième axe : comment trouver sa place dans la société et y être libre et responsable ? Dans ces trois axes seront abordés des sujets adaptés à l’âge des élèves, de la petite section de maternelle jusqu’à la classe de terminale.
Les contenus et les modalités des séances s’adapteront en permanence au niveau de maturité et de connaissances des élèves. L’éducation à la sexualité se fera donc au moyen des trois séances spécifiques – seuil qui constitue un minimum, et non pas un maximum –, mais aussi lors de temps d’apprentissage déployés au sein d’autres enseignements, par exemple en sport, dans le premier comme dans le second degré. Les programmes seront aussi étroitement liés à ceux de l’enseignement moral et civique et de l’éducation aux médias et à l’information.
Il appartiendra bien aux équipes pédagogiques dans les établissements de définir les modalités d’apprentissage et de les ajuster aux besoins du terrain. Ainsi l’éducation à la sexualité peut-elle être articulée avec des parcours éducatifs de santé ou tout autre dispositif d’établissement, comme les programmes de lutte contre le harcèlement à l’école. Concrètement, je fais tout à fait confiance au conseil des maîtres et de cycle pour le premier degré et au conseil pédagogique et au comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement (CESCE) dans le second degré pour définir l’organisation des séances, leur contenu, les créneaux mobilisés ou les intervenants à solliciter dans le déploiement de ce programme – c’est précisément ce qui manquait jusqu’à présent.
Ce calendrier ne pourra pas être défini sans l’information ni la participation des parents d’élèves. Je suis particulièrement attachée à ce que les parents puissent connaître clairement les enseignements qui seront dispensés dans le cadre de ces programmes, car rien ne se fera sans eux. En retour, je leur demande de nous faire confiance. Le ministère de l’éducation nationale agit et agira toujours dans le respect des enfants et pour la protection de tous les enfants. Il s’agit, pour nos professeurs et nos professionnels de la vie et de la santé scolaires, d’accompagner au mieux les élèves sur le chemin de la connaissance et de la maîtrise de soi.
Chaque jour, plus de 6 millions de familles, toutes différentes, confient leurs enfants à l’école de la République et, chaque jour, des professeurs, savent en prendre soin et assurer leur prise en charge tout au long de ce parcours. Ils savent naturellement qu’on ne parle pas de la même manière, ni sur la forme ni sur le fond, avant ou après la puberté, par exemple chez des enfants de 4 et de 12 ans. Chez les plus petits, on mettra davantage l’accent sur l’identification et la compréhension des émotions, alors qu’à l’école primaire, on insistera davantage sur les règles et les principes de la vie en société, en utilisant un vocabulaire de plus en plus scientifique, auquel ils ont accès, pour parler des relations humaines. Par la suite, à l’adolescence, au collège, puis au lycée, on abordera beaucoup plus franchement les changements du corps et de la personnalité, en interrogeant les situations, les conduites, les tentations et les risques liés à l’éveil à la sexualité.
Vous l’aurez compris, le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité que nous nous apprêtons à publier repose sur un travail scientifique précis, bien loin des caricatures et des idéologies. J’y veillerai particulièrement, en tant que ministre de l’éducation nationale. Je le répète, l’école doit former des citoyens libres et éclairés. Elle le fera aussi avec ce programme. Elle n’a pas vocation à inculquer des mensonges ou de fausses informations, ni à inciter à prendre des risques. Il s’agit là de la santé de nos enfants, de leur place la société et de leurs relations aux autres.
Mme la présidente Véronique Riotton. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Marie-France Lorho (RN). La lecture du programme d’éducation à la sexualité établi par le Conseil supérieur des programmes soulève plusieurs interrogations. En premier lieu, le programme annonce aborder très progressivement, à partir du CM1-CM2, les thèmes de la reproduction et de la sexualité humaines, qui sont appelés à être développé par la suite. Il est cependant question, dans un module destiné au CP et au cours élémentaires, d’identifier, par exemple, à partir du coin poupées, les parties intimes du corps. N’y a-t-il pas un paradoxe à instruire de très jeunes enfants de matières dont ils n’ont pas conscience ?
En second lieu, le programme indique que l’école doit s’abstenir de tout toute intervention autoritaire ou dogmatique dans la construction de la vie affective et relationnelle. Or, dans plusieurs modules, il est fait état de stéréotypes de genre, dont je rappelle qu’ils ne sont qu’une conception contemporaine et discutée des sciences sociales, qui semble ici érigée en leçon dogmatique. Le recours à une telle conception théorique ne risque-t-il pas d’entrer en contradiction avec l’article 16 de la Convention des droits de l’enfant, qui dispose que nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée ?
Enfin, je m’interroge sur les intervenants extérieurs invités à venir dispenser des cours auprès des enfants. Dans le programme du Conseil supérieur des programmes, il n’est jamais fait référence à la nature de ces organismes ni au processus de sélection qui leur donnera accès à l’école. Comment avoir l’assurance que les intervenants extérieurs respecteront la nature proprement scolaire de cette éducation, sans jamais l’instrumentaliser au profit d’une cause militante ou d’une idéologie, comme promis dans le programme ?
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Saviez-vous qu’alors qu’on la croyait disparue, la syphilis est de retour en France depuis 2017 et progresse à un rythme alarmant – plus de 30 % de cas supplémentaires par an ? Saviez-vous que l’usage du préservatif est en recul chez les jeunes depuis le milieu des années 2010 et qu’aujourd’hui, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 57 % seulement des filles déclarent que leur dernier rapport était protégé, ce qui a de nombreux effets néfastes, dont la diffusion des infections sexuellement transmissibles (IST) et des maladies sexuellement transmissibles (MST) ?
La forte hausse des IST est étonnante alors que, depuis une loi de 2001, les élèves doivent bénéficier d’une éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, à raison d’au moins trois séances par an à l’école, au collège et au lycée. Elle l’est beaucoup moins sachant que cette loi n’est tout simplement pas appliquée depuis vingt-trois ans. Dans un rapport adopté en septembre 2024 et confirmant ceux de l’inspection générale de votre ministère, le Cese note que moins de 15 % des élèves ont bénéficié d’une séance d’éducation à la sexualité au cours de leur scolarité.
L’éducation à la sexualité est – faut-il le rappeler ? – l’apprentissage fondamental du consentement et de la liberté, tant malmenés. Sans volonté politique donnant de réels moyens à la communauté éducative, l’affaiblissement de l’éducation à la sexualité se paie en graves conséquences sanitaires et sociales. Outre les effets sur la santé publique, l’abandon de cette politique se répercute sur les violences faites aux femmes et aux minorités sexuelles et de genre. Les violences contre les personnes LGBTQIA+ ont ainsi augmenté de 17 % par an en moyenne depuis 2016, tandis qu’on dénombre toujours, en 2023, plus de 270 000 victimes de violences conjugales. Aujourd’hui encore, une enquête révèle que le nombre de femmes déclarant avoir subi un rapport forcé ou une tentative – le terme de « rapport forcé » utilisé par les journalistes désigne évidemment des viols – a augmenté en France, passant de 16 % en 2006 à 30 % en 2023. Les chiffres reflètent certes la libération de la parole, mais aussi le caractère toujours systémique de ces violences, signe de l’érosion de la culture de l’égalité dans notre société.
Le collectif pour une véritable éducation à la sexualité chiffre le besoin de financement à 620 millions d’euros par an pour respecter la loi de 2001 : conserverez-vous dans la version finale du budget les amendements adoptés en ce sens en commission des finances et ceux que nous avions déposés pour la séance ? Comment croire que la loi de 2001 sera correctement appliquée, comment prendre au sérieux le nouveau programme que vous avez annoncé, après vingt-trois ans d’échec sans budget associé, et alors que ce gouvernement compte pas moins de sept ministres issus de la Manif pour tous, quatre opposés à la constitutionnalisation de l’IVG et cinq contre la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes ou opposés à l’interdiction des thérapies de conversion ? Que faites-vous face aux mouvements réactionnaires tels que Parents vigilants, à des mouvements d’extrême droite ou à des groupes complotistes opposés à la loi de 2001 ?
Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). L’éducation est primordiale pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles, et surtout pour lutter pour un changement des mentalités patriarcales. Cela ne peut se faire sans l’école. Si l’éducation à la sexualité est inscrite dans le code de l’éducation depuis 2001, et doit faire l’objet de trois séances annuelles, cette loi n’est pas respectée et est loin de l’être.
Face à ce constat, un précédent ministre de l’éducation, M. Pap NDiaye, a saisi le Conseil supérieur des programmes (CSP) pour construire un programme d’éducation à la vie affective et à la sexualité allant de la maternelle au lycée. Membre de ce conseil sous la précédente législature, je me suis particulièrement impliquée pour la construction de ce programme, qui a été voté à l’unanimité par le CSP en décembre 2023. Depuis bientôt un an, donc, il est sur le bureau des ministres successifs de l’éducation nationale et n’a toujours pas été appliqué dans les établissements. Il devrait enfin être présenté et publié : c’est une bonne chose, même tardive.
Le programme d’éducation civique et morale a été voté le même jour par le CSP. Comment expliquez-vous qu’il soit appliqué dans les établissements scolaires alors que le programme d’éducation à la sexualité attend toujours ?
Quelles modifications vos services ont-ils apportées au projet de programme du Conseil supérieur des programmes ?
Ce programme est évidemment une bonne nouvelle, mais il doit s’accompagner de moyens pour former les personnels de la communauté éducative, financer les séances coanimées avec les associations, et pour payer toutes les heures supplémentaires d’éducation à la sexualité, qui ne doivent pas être effectuées sur le temps prévu pour l’apprentissage des matières ni reposer sur le bénévolat des enseignants, comme c’est le cas aujourd’hui. Quel budget avez-vous prévu pour tout cela ?
M. Arnaud Bonnet (EcoS). L’éducation à la vie affective et à la sexualité est fondamentale dans l’éducation et le développement de nos jeunes. Elle permet de donner des outils afin de mieux comprendre son corps ainsi que la manière d’interagir avec les autres – mais également la manière dont les autres ont, ou non, le droit d’interagir avec soi. L’éducation à la sexualité permet aussi d’apprendre aux jeunes et aux enfants la notion de consentement, ce qui en fera des adultes responsables et permet de briser la culture du viol. Il s’agit donc d’un programme fondamental dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, en ce qu’elle permet notamment d’éduquer à l’égalité et de déconstruire les préjugés.
L’éducation à la vie affective et sexuelle est également un outil essentiel dans la prévention et la libération de la parole en cas d’inceste – il toucherait en moyenne trois élèves par classe, ce qui en fait un fléau majeur dans notre société. Pourtant, cette politique nécessaire et fondamentale – quelques scandales intervenus dernièrement dans les établissements privés viennent le confirmer – est victime des décisions budgétaires et d’un aveuglement qui dure depuis de nombreuses années.
Le groupe Écologiste et social et ses alliés du Nouveau Front populaire se sont mobilisés ces dernières semaines pour un renforcement de l’éducation à la sexualité. Durant les débats budgétaires, nous avons ainsi pu faire adopter en commission une augmentation des budgets – car il faut des gens pour faire l’éducation – et du nombre d’infirmières scolaires. De fait, on compte aujourd’hui 1 500 élèves pour une infirmière scolaire, alors qu’il en faudrait une pour 500 élèves seulement pour que le dispositif soit efficace. Cependant, la majorité à laquelle vous appartenez a voté contre le budget et fait en sorte que rien de tout cela ne devienne possible. Allez-vous réellement agir pour permettre de protéger nos enfants ou continuer avec des esbroufes de communication ?
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). La santé mentale des enfants et des jeunes se dégrade depuis plusieurs années et devient préoccupante. En attestent de nombreuses études, qui révèlent également une vulnérabilité particulière et une prévalence massive des adolescentes et des jeunes femmes, davantage concernées par des syndromes anxio-dépressifs et des pensées suicidaires depuis 2020. Les personnels de santé et sociaux de l’éducation nationale notent une augmentation significative des consultations concernant la santé mentale, avec l’apparition de symptômes physiques ou psychiques et de mal-être, une aggravation des troubles existants, une augmentation des passages l’infirmerie et des examens médicaux, une demande de projet d’accueil individualisé et des situations de protection de l’enfance préoccupantes.
La santé mentale est un enjeu de santé publique, comme l’a rappelé notre Premier ministre. Les troubles avérés de santé mentale des enfants ont un impact sur la qualité de vie, la santé physique et les apprentissages, et peuvent avoir des répercussions à l’âge adulte, puisque près de la moitié des troubles qui perdurent apparaissent avant l’âge de 11 ans.
Durant la précédente législature, ma collègue Pascale Martin et moi-même avions rendu, le 11 juillet 2023, un rapport d’information sur la santé mentale des femmes, dans le cadre de cette délégation. Dans nos recherches, nous avons observé que les violences représentent un fléau ravageur pour la santé mentale des femmes. D’après des spécialistes auditionnés pour ce rapport, chez les femmes hospitalisées en psychiatrie et ayant subi dans l’enfance de très graves violences physiques, psychologiques ou sexuelles, ces violences perdurent et ont évidemment des conséquences préoccupantes sur l’équilibre de leurs enfants, et cela dès la grossesse. Les violences intrafamiliales, ainsi que les violences sexuelles et sexistes dans l’environnement de travail ont été désignées comme ayant un impact particulier sur la santé mentale des femmes.
Ces violences, subies dans tous les secteurs de la société, doivent être stoppées tant par l’arsenal législatif et réglementaire que par la reconstruction des stéréotypes sexistes, dès le plus jeune âge. C’est une entreprise de longue haleine et c’est donc aussi et surtout auprès des enfants et sur les mentalités qu’il faut travailler.
La réforme de l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité est essentielle en milieu scolaire afin de répondre aux attentes de chacun. Cela suppose l’intervention de spécialistes, afin que les enseignants ne soient pas seuls à donner la parole aux jeunes filles comme aux jeunes garçons, pour les écouter et déconstruire les schémas induits par la société et exacerbés par les réseaux sociaux et l’industrie pornographique. En effet, l’impact des réseaux sociaux sur la santé mentale de nos jeunes, particulièrement des jeunes filles, est croissant. L’approbation sociale liée à la diffusion de standards de beauté et d’intelligence, ainsi que le harcèlement scolaire, voire sexuel, par le biais les réseaux sociaux sont autant de nouveaux risques qui doivent être pris en compte dans l’approche éducative actuelle.
Vous avez en partie répondu à la question que je souhaitais vous poser sur la prise en compte en milieu scolaire de la question de la santé mentale, et plus particulièrement des troubles liés à la sexualité, encore très tabous. Pouvez-vous confirmer que vous allez mettre en place la formation à l’utilisation responsable des ressources numériques en milieu scolaire, comme le prévoit l’article L. 312-9 du code de l’éducation ? Plus largement, comment comptez-vous adapter la lutte contre les violences subies à travers les réseaux ?
Mme Perrine Goulet (Dem). Je vous remercie de votre engagement pour la mise en place de ces futures séances d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle dans les établissements scolaires. En tant que présidente de la Délégation aux droits des enfants, j’observe trop souvent l’impact de ce manque d’information sur nos enfants.
Selon la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, sans parler des violences éducatives ordinaires qui, bien qu’interdites depuis 2019, sont encore pratiques courantes. Il faut agir, et l’un des moyens pour lutter contre ces violences est que l’enfant lui-même soit conscient de ce que l’on peut, ou non, lui faire subir. À ce titre, ces séances, qui ne bénéficient encore qu’à moins de 15 % des élèves, seront véritablement bénéfiques pour nos enfants et j’espère qu’elles permettront de libérer la parole. Elles donnent également l’occasion d’adapter le discours à hauteur d’enfant et d’expliquer aux jeunes qu’ils disposent de leur corps, afin de prévenir les comportements malsains de certains adultes.
J’appelle votre attention sur la mise en œuvre de ces cours. En France, 5,4 millions de personnes ont été victimes de VSS. Il y a dans cette cohorte, statistiquement, des enseignants. Il faut véritablement être vigilant sur leur formation afin de ne pas brusquer ni traumatiser d’anciennes victimes. J’aimerais savoir comment vous envisagez la formation des enseignants.
Avez-vous envisagé, s’ils ne s’en sentent pas capables, de faire appel à des associations ou à des acteurs extérieurs pour mener à bien ces séances ? Si tel est le cas, comment les conventionner ? Avez-vous prévu dans cette formation un accompagnement pour appréhender des informations préoccupantes qu’ils pourraient avoir obtenues des élèves ? Compte tenu des inévitables réticences à ces enseignements parmi les parents d’élèves, comment comptez-vous les y associer pour que les apprentissages soient dispensés dans les meilleures conditions ?
Je tiens à remercier les enseignants du travail de qualité qu’ils fournissent quotidiennement depuis plusieurs années pour essayer de dispenser ces enseignements. Convaincus que ces cours d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle sont un investissement pour l’avenir de nos jeunes, nous vous assurons de notre soutien à leur mise en œuvre effective dans nos établissements scolaires.
Mme Prisca Thevenot (EPR). Je saisis l’occasion qui m’est offerte de parler de la santé des jeunes pour rappeler que de nombreux dispositifs sont à leur disposition. Nous devons continuer à les renforcer et à les soutenir. Depuis 2021, le dispositif Santé Psy Étudiant permet à tous les étudiants de solliciter l’aide d’un psychologue jusqu’à douze séances gratuites par an. La coordination nationale d’accompagnement des étudiantes et des étudiants (CNAE) a été créée en 2023. La même année, la réforme des services de santé étudiante (SSE) a donné accès aux services de santé à tous les étudiants, qu’ils soient inscrits ou non à l’université, dès lors que leur établissement a établi une convention avec un SSE.
En 2024, le dispositif Mon soutien psy a bénéficié d’une revalorisation du tarif de la consultation de 30 à 50 euros et d’une hausse du nombre de séances annuelles couvertes de huit à douze. En outre, l’engagement de faire en sorte que chaque département compte au moins une maison des adolescents (MDA) a été tenu. Nous devons continuer à mettre en avant ces dispositifs pour que les jeunes y aient accès.
Citons également la création des bureaux d’aide psychologique universitaire (Bapu) et le soutien aux associations spécialisées dans la santé mentale, telles que Nightline, animée par des jeunes se mettant bénévolement à la disposition d’autres jeunes pour les écouter à des moments souvent très difficiles, tels que les fins de journée, les soirées, les nuits et les week-ends, au cours desquels de nombreux jeunes, loin de leur famille, sont isolés et livrés à eux-mêmes.
Enfin, je sais que le recrutement des infirmières scolaires vous tient à cœur. Celles-ci s’inscrivent dans l’écosystème soutenant nos étudiants en matière de santé mentale. Gabriel Attal, lorsqu’il était à Matignon, a revalorisé leur salaire de 200 euros nets par mois, assortissant cette mesure du versement d’une prime exceptionnelle de 800 euros.
Comptez-vous étendre le champ de ces dispositifs ?
Mme Anne Genetet, ministre. Avant de répondre à vos questions, j’aimerais rappeler que le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle est très dense, très copieux, et donner quelques exemples de l’articulation de son contenu avec le sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Prescrire trois séances annuelles n’est pas une nouveauté, c’est ce que prévoit la loi. Si elle n’est pas appliquée, c’est notamment en raison de l’absence de programme. Si l’on ignore ce que l’on doit enseigner, il est difficile de mobiliser son temps et son énergie sur des sujets de surcroît difficiles à aborder. Ils le sont particulièrement au sein de certaines familles, dont parfois celles des professeurs, qui sont souvent aussi des parents. Nous devons donc envisager une formation, un soutien, un accompagnement. Ils ne doivent sans doute pas toujours être les premiers à intervenir, laissant la place si nécessaire à des intervenants du monde de la santé scolaire – infirmières, médecins et psychologues scolaires – ou à des intervenants extérieurs.
Pour illustrer comment ce programme s’articule avec le sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes, je donnerai l’exemple d’un Français passionné de football, qui travaille notamment sur le football au féminin. Il a élaboré des règles du jeu modifiées pour inciter au respect de l’égalité entre les filles et les garçons. L’expérience est concluante. Elle démontre que le sport à toute sa place dans les programmes d’éducation à l’égalité entre les femmes et les hommes. Il déploie également des programmes d’éducation à la santé, à l’hygiène, à la protection de soi et de sa propre santé, et des programmes de prévention. Tout cela est mis en œuvre dans une région du monde où la proportion d’hommes reconnaissant avoir violé une femme au moins une fois dans leur vie est si ahurissante que je ne vous en donnerai pas le chiffre, ce qui démontre à quel point de tels programmes sont indispensables. Ainsi, les programmes couramment proposés à nos jeunes, notamment en matière sportive, peuvent être reliés au programme très complet que je vous ai présenté.
S’agissant des intervenants extérieurs aux établissements scolaires, les associations mobilisées ne sont pas choisies au hasard. Elles doivent satisfaire à certains critères et sont contrôlées tous les cinq ans – j’ai interrogé mes services à ce sujet. Elles font l’objet d’une vigilance accrue, d’autant que les médias se font parfois l’écho d’associations peu soucieuses de mettre en œuvre le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle tel que nous l’envisageons.
Ce programme dense, comme l’indique son intitulé, se subdivise en trois parties, susceptibles d’être abordées par des associations distinctes – l’une abordera les maladies sexuellement transmissibles (MST), l’autre la vie relationnelle. Si ce volet peut s’apparenter à ce que certains ont appelé, dans un autre contexte, des cours d’empathie, il s’agit avant tout de comprendre les ressorts de la relation à autrui : comment dois-je comprendre ma relation à l’autre ? Comment dois-je comprendre ses expressions non verbales ? Aux dires de plusieurs professeurs, les élèves ont parfois du mal à décrypter ce que disent leurs visages.
Les associations intervenant dans les établissements doivent obtenir un agrément académique. Les professeurs ont accès à la liste des associations agréées. Il appartient au chef d’établissement de donner son accord au cas par cas.
Par ailleurs, ces séances n’ont pas vocation à être prélevées sur le volume horaire des cours. Il ne s’agit pas de réduire le temps consacré à l’étude des autres programmes. Quant à nos professeurs, ils n’interviennent pas sur le mode du volontariat, même si cela peut arriver. Des associations dont c’est le métier savent faire. Les infirmières scolaires peuvent naturellement prêter main-forte, mais avec un effectif légèrement supérieur à 9 000 personnes pour 12 millions d’élèves, il est inimaginable qu’elles s’en chargent seules. Il faut donc s’adjoindre, dans un cadre précis, le concours d’associations choisies.
Madame Lorho m’a interrogée sur le contenu des cours. Si l’exercice de la médecine m’a appris quelque chose, c’est bien qu’il ne faut pas prendre de haut ce qu’un enfant peut comprendre. J’ai vu des enfants très jeunes, ne sachant ni lire ni écrire, souffrant de maladies complexes, capables de comprendre tout très vite, bien plus vite que nous, même des mots complexes. Il nous incombe de nous mettre à leur portée et de trouver les mots pour leur expliquer ce que nous avons à dire. Les enfants comprennent bien plus que ce que l’on croit. La description du corps humain leur est accessible à un très jeune âge sans aucune difficulté. Je ne sache pas qu’elle pose un quelconque problème. La compréhension du corps et de son fonctionnement peut être expliquée – c’est le médecin qui vous le confirme – à un très jeune âge. Rien n’y fait obstacle.
Le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle est tout à fait cadencé, mesuré et progressif pour respecter les stades de développement et la maturité de nos élèves. Au demeurant, je ne doute pas qu’il sera régulièrement revu pour s’adapter à la maturité de nos élèves, qui évolue avec la société. Ce que comprend un élève de 12 ans de nos jours n’est peut-être pas ce que comprenait un élève de 12 ans de ma génération. Il nous revient de nous y faire et de nous mettre à leur portée. Quant à une éventuelle contradiction avec la Convention européenne sur l’exercice des droits de l’enfant, je n’en vois aucune.
Madame Cathala, les chiffres que vous avez cités sur les progressions des infections sexuellement transmissibles (IST) ne sont pas récents ; ils n’en sont pas moins très inquiétants. En tant que médecin, j’ai touché du doigt ce paradoxe que les progrès font reculer la vigilance. L’éducation est d’autant plus essentielle que, de 15 à 50 ans, le contact avec le monde médical, sauf exception, est quasi inexistant. L’occasion qu’un médecin engage une conversation avec un jeune, l’alerte et le sensibilise est d’autant moins probable, ce qui renforce l’importance des programmes d’éducation mis en œuvre en milieu scolaire et étudiant. Quant aux parents, j’appelle leur mobilisation de mes vœux, sans pouvoir faire davantage, ce qui ne m’empêche pas de leur recommander la plus grande vigilance.
Vous m’interrogez sur les moyens qui seront déployés en rappelant que l’application de la loi n’est pas satisfaisante. Il est clair que je ne peux me reposer uniquement sur nos enseignants, dont les journées, comme celles de tout un chacun, durent vingt-quatre heures, ni sur les infirmières scolaires, comme je l’ai rappelé. Je dois donc faire appel à des intervenants extérieurs dont j’ai rappelé qu’ils sont très contrôlés.
Vous m’avez aussi demandé, comme plusieurs de vos collègues, comment je m’assurerai que les trois séances prévues seront effectivement réalisées. J’ai interrogé mes services à ce sujet, en leur demandant d’élaborer un système de pointage permettant de s’assurer que l’enseignement prévu par le programme est bel et bien dispensé à chaque élève.
Je suis allée un peu plus loin dans la réflexion sur ce point. Un élève présent à une séance du programme peut ne pas avoir eu l’occasion de poser toutes les questions qu’il voulait poser. Une séance d’une heure peut susciter quantité de questions dont certaines peuvent dans l’immédiat demeurer sans réponse faute de temps. Je mène donc une réflexion pour déterminer comment donner accès au programme à nos élèves en sus des trois séances annuelles, qui sont indispensables.
Je n’ai pas la réponse à la question, mais elle est clairement présente à mon esprit : quels outils puis-je déployer pour m’assurer que les trois séances prévues sont effectivement dispensées à la totalité des élèves niveau par niveau, dès l’école maternelle, d’une part, et, d’autre part, pour que nos élèves aient un accès permanent au programme, tant il est vrai que les questions ne viennent pas toujours à l’esprit en séance ? J’espère être en mesure de répondre à cette question dans les mois à venir ; j’y travaille d’autant plus que le programme doit être déployé en septembre 2025.
Pourquoi n’a-t-il pas été mis en application en même temps que le programme d’éducation morale et civique (EMC) ? Je l’ignore ; c’était avant ma nomination. Lorsque j’ai pris mes fonctions, ce programme m’a immédiatement été soumis et je n’en ai pas changé une virgule, tant il me semble complet et bien pensé. J’ai donc demandé qu’il soit publié dès que possible, pour permettre aux associations, aux professeurs et aux infirmières scolaires de s’en saisir. Sa mise en œuvre efficace dès septembre prochain est inconcevable s’il est publié en juin. Il a donc vocation à être publié sitôt validé par le Conseil supérieur de l’éducation.
S’agissant des moyens financiers qui lui sont alloués, il n’aura échappé à personne que nous sommes soumis à des contraintes en la matière, dont l’éducation nationale doit prendre sa part. Il n’en est pas moins exclu que ce programme passe à la trappe. Je travaille à lui assurer les moyens de sa mise en œuvre académie par académie, école par école, classe par classe. Je suis d’autant plus consciente de sa nécessité que j’ai été témoin, en tant que médecin, de la progression des IST. Nous ne pouvons nous y résoudre. Je suis de la génération qui a connu l’émergence du sida en 1982. Nous ne pouvons pas laisser les IST progresser. Il s’agit d’un enjeu de santé publique qui nous dépasse. Il faut absolument agir. Je ne baisserai pas les bras. Je n’ai pas réponse à toutes les questions qui se posent, mais ne doutez pas de ma détermination. Je veux que tous nos élèves aient accès au programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Je ne mésestime pas la difficulté de passer de 15 % à 100 % d’élèves touchés ; je ne dis pas que nous y arriverons du premier coup. Mais sans ambition, on ne fait rien. Ce que j’ai vu dans les années 1980 est trop présent à mon esprit.
Sur les IST, j’évoquerai l’exemple du vaccin contre le cancer du col de l’utérus, dont les trois quarts sont provoqués par un papillomavirus humain (HPV). Une campagne de vaccination rend ce vaccin accessible au collège. Elle n’est pas suffisamment déployée. Certains parents opposent une résistance à la vaccination de leur enfant. Il faut mener un travail auprès des parents à ce sujet. Ce combat est indispensable.
Le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle inclut également, en sus des questions de santé, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), contre les violences intrafamiliales et contre les personnes en général, qui n’est pas moins prioritaire. Ce programme permet notamment d’informer les élèves au sujet de la lutte contre les mariages forcés, que j’ai connue de près dans les années 1990, lorsque des jeunes filles étaient contraintes, sitôt réglées, de quitter le territoire national, donc le système scolaire, pour être mariées. Ce programme contribuera à sensibiliser les esprits à l’importance de la prévention des unions forcées, des violences de toute nature, des violences contre nos enfants, et à l’importance de l’émancipation par l’école. Ces enjeux nous dépassent. L’éducation nationale y jouera tout son rôle.
Sur la formation des enseignants, elle me semble essentielle quand bien même tous ne sont pas appelés à dispenser des cours d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Leur formation initiale comprend d’ores et déjà un module de formation à ce programme, dont la mise en œuvre sera obligatoire à partir de septembre 2025. Un séminaire national sera organisé début 2025 et décliné dans tous les programmes académiques de formation (PAF), pour que cette formation soit accessible à tous. En outre, un parcours de formation à distance sera proposé sur la plateforme M@gistère à partir du mois de décembre, une fois qu’il aura été validé par le Conseil supérieur de l’éducation, et des ressources pédagogiques ainsi que des outils seront disponibles sur le portail Éduscol.
La formation à distance proposée sur M@gistère est organisée en huit modules d’une durée comprise entre une heure et demie et deux heures. Elle aborde successivement les thèmes suivants : la compréhension de la nature du programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle ; la compréhension de ses attendus dans les classes du premier degré et du second degré ; sa mise en œuvre pratique ; la façon de réagir aux questions des jeunes, ce qui suppose une approche très ciblée et très opérationnelle, qui sera notamment détaillée dans des podcasts ; l’intégration du programme dans les programmes similaires, tels que les espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle, et dans les disciplines enseignées ; le pilotage de sa mise en œuvre par les chefs d’établissement, notamment la relation avec les familles et avec les associations.
M. Bonnet a évoqué l’inceste. Au ministère de l’éducation nationale, nous suivons les préconisations de la Ciivise. Nous agissons selon deux axes : éduquer et prévenir ; repérer et protéger.
Les Evars sensibilisent au consentement et contribuent à la prévention de toute forme de violence. Dans ce cadre sont évoqués les violences physiques et verbales, les violences psychologiques, le harcèlement, l’emprise et toutes les formes de VSS, dont l’inceste.
Il s’agit de faire en sorte que, dès le plus jeune âge, l’enfant travaille sur la notion de consentement et la comprenne. Un enfant sait dire non à l’âge de 2 ans environ. En grandissant, il doit acquérir le discernement lui permettant de dire clairement non au bon moment et lorsque cela est nécessaire. S’agissant du repérage et la protection, ils s’inscrivent dans le cadre des rendez-vous de dépistage et de prévention à l’école et au collège, dont je n’ignore pas qu’ils connaissent des difficultés, que je travaille à résorber pour en élargir l’accès.
Le logiciel infirmier de l’éducation nationale (Lien) inclut des données relatives aux VSS, qui seront complétées dès l’année prochaine par des indicateurs statistiques, sans distinction d’âge des victimes, toute violence étant condamnable par principe. Par ailleurs, les infirmières scolaires peuvent procéder à des signalements au procureur et transmettre les informations préoccupantes (IP) aux cellules départementales de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (Crip). Quant aux médecins scolaires, certes peu nombreux – on en compte 960 –, ils sont en contact avec les Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs).
J’aimerais donner un exemple de lien entre le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle et les disciplines enseignées à l’école. En CM2, le cours de sciences et technologie pourra proposer, afin d’atteindre l’objectif « Connaître et comprendre les changements de son corps et celui des autres », l’apprentissage scientifique de ce que sont les règles. L’éducation aux médias et à l’information (EMI) pourra inclure, pour atteindre l’objectif « Connaître ses droits pour un usage sécurisé du numérique », des activités visant à se familiariser avec les notions de sécurité et de protection sur internet. Pour se protéger des VSS, outre la connaissance des numéros d’urgence, le cours de français peut inclure un travail sur des textes qui les évoquent. Pour sensibiliser à l’égalité entre les femmes et les hommes, il peut être judicieux, dans le cadre d’un cours d’arts plastiques, de français ou d’histoire, d’aller voir le film Louise Violet, qui est à l’affiche, relatant l’histoire d’une institutrice nommée dans un petit village en 1889 et donnant à voir le travail courageux d’une femme à une époque où peu d’entre elles étaient institutrices ou tout simplement scolarisées. Pour apprendre aux enfants de 4 ans à comprendre et discerner les émotions, on les entraîne à lire sur un visage, en face d’eux ou sur un écran, les quatre émotions de base que sont la tristesse, la joie, la colère et la peur, ce qui est d’autant plus nécessaire que plusieurs professeurs de collège m’ont dit : « Parfois, nos élèves ne savent pas lire nos visages lorsque nous leur donnons une consigne simple, telle que “Sortez vos affaires” en début de cours ».
Il s’agit donc, dans le cadre de ce programme aussi vaste que copieux, d’aborder des notions simples mais essentielles à la relation à autrui. Il renforcera les cours d’empathie, dont l’objet est de contribuer à lutter contre le harcèlement et de développer les compétences psychosociales. Lancés fin 2023 pour 100 établissements, ils ont fait l’objet d’un volontariat de plus de 1 000 établissements, avec au moins une séance d’une heure, éventuellement subdivisée en deux fois trente minutes. Plusieurs méthodes sont proposées aux enseignants. Certaines, comme les ateliers philo, ont particulièrement bien fonctionné, même dans les petites classes, ce qui démontre qu’il ne faut pas cantonner la capacité de compréhension de nos enfants à tel ou tel âge, et que l’on peut comprendre beaucoup de choses à tout âge.
L’évaluation des cours d’empathie ayant été très positive, ils ont été généralisés dès la rentrée 2024. Je salue les personnels qui sont engagés dans cette démarche. Avec leurs collègues, ils en ont constaté les résultats très positifs sur nos jeunes et les effets sur le climat scolaire, dont les indicateurs ont favorablement évolué dans plus de la moitié des établissements participants. Le développement des compétences psychosociales fonctionne très bien. Il importe d’en poursuivre l’évaluation et de mettre en œuvre, autant que de besoin, les améliorations, modifications et ajustements s’avérant nécessaires.
Mme Violland m’a interrogée sur la lutte contre la prostitution des mineurs, qui est un véritable fléau. Elle fait l’objet d’une enquête annuelle. Le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle prévoit une sensibilisation au risque de la prostitution en classe de quatrième. Il vise notamment à comprendre les problèmes associés à la diffusion et au commerce d’images à caractère pornographique ou évoquant la marchandisation du corps, à l’exploitation sexuelle et à la prostitution des mineurs, pour indiquer comment il est possible de s’en protéger et où trouver de l’aide. Par ailleurs, dans le cadre de l’EMI, les élèves sont sensibilisés au risque de prostitution en ligne, qu’il s’agisse de la prostitution sur les réseaux sociaux, de la marchandisation du corps sur internet ou de la diffusion non consentie de contenus intimes, qui est parfois le fait des jeunes eux-mêmes. Ils travaillent également sur la banalisation des contenus pornographiques – à 11 ans, un garçon sur deux a eu accès à des contenus pornographiques –, qui aggrave le risque d’être exposé à des contenus relatifs à la prostitution. Par ailleurs, les personnels de l’éducation nationale sont formés au repérage des mineurs victimes de prostitution et à leur orientation. Un guide sur la prostitution des mineurs est en cours de rédaction par la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), en collaboration avec l’association Le Nid.
Le mois prochain se tiendront les assises de la santé scolaire, qui offriront l’occasion d’aborder ces sujets, dont celui de la santé mentale.
Mme la présidente Véronique Riotton. Nous en venons aux interventions des autres députés.
Mme Delphine Lingemann (Dem). Enseignante dans une école d’ingénieurs depuis près de vingt ans, je constate à chaque rentrée une progression bien réelle mais insuffisante de la proportion de jeunes filles dans les effectifs. Pourquoi les jeunes collégiennes se détournent-elles des carrières scientifiques au collège, lorsque tout se joue ? Il s’agit en partie d’une question d’éducation. Une carrière scientifique se construit à l’aune de références et de modèles – Marie Curie fut une source d’inspiration majeure pour sa fille Irène.
La lutte contre le déterminisme va de l’école au lycée. À ce titre, les enseignants et les conseillers d’orientation ont un rôle essentiel dans le choix des options et des études des jeunes filles. Des dispositifs sont mis en œuvre, notamment au lycée, pour faire découvrir la multiplicité des métiers et des carrières dans l’industrie. J’aimerais vous entendre préciser les mesures que vous envisagez de mettre en œuvre afin de développer l’accès des femmes aux filières scientifiques et techniques. Envisagez-vous de travailler sur ce point avec les ministères de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’industrie ?
Mme Christine Loir (RN). L’éducation sexuelle est inscrite dans le code de l’éducation. Elle doit être dispensée dans les écoles, les collèges et les lycées, ainsi que dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS). Les jeunes accueillis en institut médico-éducatif (IME) devraient eux aussi bénéficier de ces enseignements. Pour ces jeunes souvent vulnérables face au risque de comportement inadéquat ou de violence, une éducation adaptée est fondamentale pour comprendre les transformations de leur corps, la notion de consentement et leur droit à une sexualité.
Des informations sur la sexualité et la contraception sont aussi à dispenser dans les structures accueillant des personnes en situation de handicap. Intégrer la sexualité dans leur parcours de vie est essentiel. Leur sexualité existe bel et bien, leur droit fondamental à être aimé et à aimer en retour aussi. Il est au cœur de leur épanouissement personnel et relationnel, permettant à chacun de se construire en tant qu’individu à part entière. Quelles mesures envisagez-vous pour assurer que cette éducation essentielle soit réellement accessible et dispensée, notamment à nos jeunes en situation de handicap ?
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Hier, mardi 12 novembre, des enseignants, des élèves et des parents d’élèves se sont mobilisés au lycée Pasteur de Lille pour dénoncer le manque d’infirmières scolaires dans leur établissement. L’académie de Lille a indiqué qu’une vingtaine de postes étaient actuellement vacants dans le rectorat. Dans ma circonscription, les élèves du lycée Galilée de Combs-la-Ville envisagent de demander une audience au rectorat de Créteil pour exiger l’attribution d’un poste de personnel infirmier à temps plein. Depuis plus d’un an, aucune permanence n’est assurée au sein de l’établissement, qui compte près de 1 000 élèves. Ces cas ne sont pas isolés. En France, on recense en moyenne une infirmière scolaire pour 1 500 élèves alors que, selon le syndicat national des infirmières conseillères de santé – Fédération syndicale unitaire (Snics-FSU), majoritaire, il en faudrait une pour 500 élèves pour répondre efficacement aux besoins.
Or l’accès simple, facile et autonome à un professionnel de santé dès le plus jeune âge est essentiel pour promouvoir la prévention, notamment en matière d’éducation à la sexualité. Par leur rôle au sein des établissements et leur place auprès des élèves, les infirmières scolaires peuvent assurer une mission de conseil et d’information au long cours pour des jeunes aux prises avec les changements de l’adolescence, l’entrée dans la sexualité, la place de la pornographie dans les relations sexuelles, etc. Ces professionnelles peuvent aussi relayer les campagnes de prévention portant sur de nombreux sujets comme le respect, les relations entre les pairs ou le mal-être.
À l’heure où les débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) se sont focalisés sur l’articulation entre la prévention et la prédominance du tout-curatif dans notre système de santé, quelles mesures prévoyez-vous pour résoudre le manque criant d’infirmières scolaires, professionnelles essentielles au déploiement d’une vraie politique de prévention dans notre pays ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Je vous remercie d’avoir précisé que le programme qui sera proposé aux enfants dès leur plus jeune âge repose sur un travail scientifique : il est important de le rappeler à l’heure où les théories les plus fantaisistes fleurissent sur les réseaux sociaux.
La formation des enseignants est nécessaire, mais obéit-elle au volontariat ou non ? Seront-ils rémunérés ? Entre-t-elle dans le pacte enseignant au collège ? Si oui, qu’est-il prévu pour l’enseignement primaire ?
C’est dans les associations que se déploient les dérives sectaires, notamment dans certaines qui interviennent dans les établissements : comment comptez-vous assurer le contrôle de toutes les structures qui entrent dans les lieux scolaires ?
De tels programmes ne peuvent fonctionner que si des professionnels de santé scolaire sont présents dans les établissements. Nous avons parlé des infirmières, mais il faut également renforcer la médecine scolaire : comment allez-vous rendre ce métier attractif ?
Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Toutes les trois minutes, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle. En 2022, 118 femmes ont été tuées par leur actuel ou ancien partenaire. Violences, incestes, agressions sexuelles, viols, il est impossible de grandir dans ce pays sans connaître une ou plusieurs victimes quand on ne l’est pas soi-même. Ces abominations tristement banales ont toutes pour point de ralliement la violence de notre société, l’impunité et la culture de la domination qui y prospère, celle des adultes sur les enfants, des hommes sur les femmes, des brutes sur les plus vulnérables.
Heureusement, face à cela, nous avons un bouclier : l’éducation. Ce bouclier a été remisé au grenier des politiques publiques alors qu’il est disponible depuis la loi de 2001 inscrivant dans notre droit l’éducation à la vie sexuelle et affective. Nous possédons un outil très précieux pour protéger les enfants d’aujourd’hui et les adultes de demain, leur enseigner le respect, le consentement, la place de leurs émotions et le fait que leur corps leur appartient.
Il nous manque deux choses : de la volonté politique et des moyens.
Plus que de la volonté, c’est du courage qu’il faut parce que nous attendons depuis 2001. Puisque vous reconnaissez que l’éducation à la vie sexuelle et affective constitue un outil de prévention, imaginez combien de victimes nous aurions pu sauver pendant ces vingt-trois années d’inaction ! En novembre 2023, la société civile a présenté un Livre blanc sur le sujet : qu’a fait le gouvernement depuis un an ? Le collectif auteur de ce document n’a même pas été reçu par vos prédécesseurs et il a appris par voie de presse le calendrier d’entrée en application des programmes.
Quant aux moyens, le Livre blanc estime qu’une enveloppe annuelle de 620 millions est nécessaire au déploiement de la loi de 2001, soit 52 euros par élève. Cette somme est bien modique pour changer la société, même dans un contexte de prétendues contraintes budgétaires. Cela inclut le recrutement de professionnels de santé en milieu scolaire, l’adaptation des contenus et le renforcement de l’éducation à la vie sexuelle et affective dans la société par de la communication. Comment les professeurs seront-ils formés ? Quel financement sera sanctuarisé pour les associations qui interviennent dans les établissements scolaires ? Où se trouve la ligne budgétaire dans le projet de loi de finances (PLF) ?
Vous n’êtes pas sans savoir que les conservateurs et l’extrême droite font leur beurre politique sur le dos de l’éducation à la vie sexuelle et affective. Cette instrumentalisation est le signal criant d’une bêtise profonde ; en se cachant derrière une prétendue morale et un puritanisme fantasmé, ils refusent d’investir dans la société à venir. Qu’allez-vous faire pour lutter contre la désinformation qu’ils propagent ?
Enfin, j’aimerais remercier les associations, les syndicats de parents d’élèves et tous les acteurs de terrain qui se battent tous les jours pour protéger nos enfants contre les obscurantismes de tous bords.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Trois enfants par classe sont victimes d’inceste, mais rien n’est fait dans l’éducation nationale pour les identifier de manière systématique. La Ciivise propose l’organisation de trois entretiens au cours de la scolarité, mais, à ma connaissance, on ne pose jamais la question toute simple à laquelle les enfants répondent en général très honnêtement : « Es-tu victime d’abus et de violence sexuels ? »
Les personnes LGBT, particulièrement les hommes, font six fois plus de tentatives de suicide que le reste de la population : rien n’est fait dans l’éducation nationale pour prévenir de tels actes alors que c’est à l’école que ces personnes sont stigmatisées lorsqu’elles découvrent leur sexualité.
Entre 2016 et 2024, le nombre d’hospitalisation pour tentative de suicide a crû de 570 % chez les jeunes filles de 10 à 19 ans et de 370 % chez les jeunes garçons du même âge. Quelle est la réponse de l’éducation nationale à ce phénomène ? Il manque un médecin scolaire sur deux, des infirmières et des infirmiers scolaires dans l’ensemble des établissements ; quant aux psychologues scolaires, ils sont principalement affectés à des missions d’orientation et non d’accompagnement des enfants. Il faut donc opérer un changement de culture dans l’éducation nationale afin de faire de la santé et du bien-être de l’enfant des priorités. Cela passe par une volonté politique d’assurer des cours d’éducation dans le domaine mais également par des crédits : j’entends votre volonté mais je me demande où est le budget pour la concrétiser ?
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Nous avons déposé en septembre une demande de création de commission d’enquête sur les mouvements réactionnaires qui, opposés à la loi de 2001, sévissent devant les écoles. Notre demande a été cosignée par des députés de divers groupes, dont certains appartiennent à la minorité présidentielle. Même le président du Cese, dont l’institution vient de réaliser une étude sur l’application de cette loi, a souligné que de nombreux mouvements réactionnaires s’opposaient à toute éducation affective ou sexuelle au nom d’un risque de perversion de l’enfant. La commission d’enquête aurait pour mission de s’interroger sur la structuration, le financement et les modalités d’action de ces mouvements conservateurs anti-choix, qui agissent dans le champ de la parentalité et de la famille.
La demande écrite de commission d’enquête indique que Le Syndicat de la famille et des associations comme Juristes pour l’enfance et Famille et liberté se sont rassemblés en Union pour une éducation responsable afin de s’attaquer à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Cette nouvelle structure a organisé un colloque au Sénat en février 2024 pour faire pression sur les décideurs politiques et les institutions, et pour influer sur le contenu du nouveau programme d’éducation à la sexualité. Enfin, le collectif Parents vigilants tente, lui aussi, d’imposer les obsessions de l’extrême droite au sein des établissements scolaires et de s’attaquer à l’Evars à travers différents leviers comme la mobilisation en ligne, le colloque au Sénat, des menaces et du harcèlement des enseignants, la participation aux élections de représentants des parents d’élèves, des actions pour empêcher l’intervention de certaines associations féministes dans les établissements scolaires et du lobbying pour couper les subventions de ces organisations. Que faites-vous dans ce domaine ?
Mme Perrine Goulet (Dem). L’association Les papillons, qui installe, quand elle parvient à surmonter les blocages, des boîtes aux lettres pour libérer la parole des enfants victimes de maltraitances, constate que cette action produit des résultats. Or les enseignants ne sont pas très bien formés au recueil et au traitement de cette parole : ma fille sort de l’institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspe) où elle n’a reçu aucune formation en la matière. Il importe de combler cette lacune et de faire en sorte que les rectorats appuient les enseignants destinataires d’informations préoccupantes : en agissant dans ce sens, des enfants se rendront compte qu’ils sont victimes.
Vous avez dit que le directeur d’école procéderait à l’orientation, mais comment cela se passera-t-il quand l’enseignant dirige l’école car il est tout seul ? Pourra-t-il compter sur des correspondants dans les rectorats départementaux pour l’accompagner dans l’élaboration de son enseignement à la vie affective, relationnelle et sexuelle ?
Une campagne de communication auprès des parents est nécessaire pour qu’ils comprennent que ces enseignements ont vocation, non pas à apprendre les actes sexuels aux enfants, mais à connaître leur corps et à se défendre contre certaines agressions. Avez-vous prévu le lancement d’une telle campagne ?
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Dans le cadre de notre travail, nous avons appris que la moitié des jeunes de moins de 11 ans recherchaient des contenus pornographiques pour s’initier à la vie sexuelle. Il faut que l’Evars réponde à leurs attentes et s’appuie sur des éléments très concrets, évidemment dans le respect de leur maturité.
Aucun psychologue clinicien ne peut entrer dans une école ; seul un psychologue scolaire peut intervenir, or celui-ci ne peut pas accompagner psychologiquement un enfant, il peut simplement évaluer son état, ce qui est certes très utile. Il faut réfléchir à l’introduction d’une dimension clinicienne dans l’éducation nationale : dans cette optique, je vous propose de vous présenter une expérience inédite, actuellement conduite dans mon département de la Haute-Savoie, qui donne de très bons résultats.
Mme Anne Genetet, ministre. Des intervenants labellisés par l’éducation nationale et ainsi autorisés à intervenir dans les écoles pallient depuis un certain temps le manque de personnels. Les enfants en situation de handicap ou ayant des besoins éducatifs particuliers peuvent tirer profit de l’intervention d’acteurs, médicaux ou non, capables de les accompagner dans leur progression. Je suis favorable au concours, soumis bien entendu à des contrôles, d’intervenants extérieurs à l’éducation nationale pour compléter l’action des personnels du ministère qui ont reçu une formation spécifique. Nous verrons s’il est possible d’avancer dans cette voie, mais je tenais à vous faire part de mon sentiment sur le sujet.
Les évaluations en classe de CP qui viennent d’être publiées montrent que l’égalité règne entre les filles et les garçons en matière de performance scientifique en début d’année, mais que la situation se dégrade au milieu du CP pour les mathématiques. Cela signifie que l’enseignement dispensé aux jeunes enfants produit une distorsion. Une étude a démontré que les adultes n’adoptaient pas la même attitude vis-à-vis d’un garçon ou d’une fille en échec à l’âge de 8 ou 10 ans : ils rassurent les filles en leur disant qu’elles feront mieux à l’avenir et ils réprimandent les garçons en leur demandant de travailler davantage. Ils mettent en doute les capacités des filles, jamais celles des garçons. Les adultes, parents et enseignants doivent s’interroger sur leur comportement, car celui-ci peut miner la confiance en eux d’enfants très jeunes. Le mythe selon lequel les filles seraient moins bonnes que les garçons dans les matières scientifiques est tout à fait faux : des données montrent que les filles sont très performantes mais qu’elles se censurent à un moment de leur scolarité. Je me suis rendue récemment au Maroc où la situation est différente puisque les filles investissent beaucoup les filières scientifiques dans lesquelles elles voient un vecteur d’émancipation. Le travail sur la confiance en soi des filles est inclus dans le programme pour l’égalité entre elles et les garçons.
Les enfants en situation de handicap accueillis dans nos écoles auront, comme tous les autres enfants, accès au programme Evars. Les établissements médico-sociaux ne relèvent pas de l’éducation nationale, donc je me contenterai de dire qu’eux aussi doivent enseigner la notion de consentement et celle de refus pour préparer à une vie sexuelle semblable à celle des autres enfants. Les programmes Evars sont conçus pour tenir compte du handicap de certains enfants et pour que les professeurs puissent adapter leur enseignement à leur public, car ils reçoivent, normalement, une formation les préparant à la transmission des éléments du programme. J’ai compris qu’un écart séparait les textes de la réalité, donc j’examinerai la situation de près.
Nous manquons en effet d’infirmières scolaires et nous cherchons à améliorer l’articulation avec d’autres professions et manières d’exercer. Là encore, nous souhaitons ouvrir la porte à des personnes que l’on agrémenterait pour participer au programme Evars. Celui-ci est l’occasion d’un dialogue et d’un travail sur la santé mentale, notamment autour des trois questions dégagées par la Ciivise pour dépister les cas d’inceste. En première année de maternelle, ce sont les médecins de la protection maternelle et infantile (PMI) qui sont chargés de cette tâche. Nous devons réfléchir aux moyens de faire appel à des professionnelles extérieures pour pallier le manque d’infirmières scolaires. J’irai volontiers en Haute-Savoie, madame Violland, pour voir l’expérimentation qui y est conduite.
Madame Garin, je ne manque pas de volonté politique et ne céderai pas un pouce de terrain aux associations qui critiquent le programme Evars : elles me laissent de marbre, car c’est un bon projet. Il nécessite, c’est vrai, des moyens et un peu de malice pour trouver les bonnes organisations intervenantes ; tout n’est pas arrêté. Le pourcentage d’élèves formés est bien supérieur à 15 %, mais je ne peux pas m’engager à ce que l’intégralité des élèves reçoive cet enseignement. Néanmoins, comme le programme est beaucoup plus précis et offre un cadre plus structuré à ceux qui dispensent l’enseignement, plusieurs obstacles vont être levés. Certains subsisteront et il faudra se pencher sur des questions de nature diverse, par exemple la recherche de salles de classe dans les établissements où celles-ci sont toutes occupées. La désignation de référents pour aider au pilotage du programme me semble une piste intéressante.
En 2024, les crédits alloués à la santé scolaire s’élevaient à 733 millions alors qu’ils n’étaient que de 516 millions en 2020. Actuellement, l’enveloppe est de 620 millions, soit 52 euros par élève : cela peut paraître peu, mais c’est à l’école d’assurer ce financement non aux parents. Les moyens ne sont pas forcément à la hauteur des attentes, mais je vais en tirer le maximum avant d’éventuellement tirer le signal d’alarme pour empêcher toute mise en danger d’enfants dont les souffrances poseront plus tard de redoutables problèmes à la société : il est en effet préférable d’agir le plus en amont possible. Notre ambition est de garantir l’organisation d’au moins trois séances par an.
Madame Firmin Le Bodo, le programme est en effet scientifique : élaboré avec des experts, son évaluation et son ajustement s’effectueront sous leur contrôle Il y a une part de volontariat dans le programme, mais nos professeurs doivent assurer l’Evars car il est inscrit dans le code de l’éducation. Cela demande un travail de coordination entre les équipes pédagogiques pour assurer cet enseignement dans le volume des vingt-quatre heures hebdomadaires passées avec les élèves dans le premier degré. Dans le second degré, le conseil pédagogique veillera à l’affectation des moyens humains nécessaires à l’Evars, à travers le comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement. Il faut relever le défi car il y va de la santé des jeunes.
Le métier de médecin scolaire présente un problème à la fois d’attractivité et de limitation du nombre de postes chaque année. Dans une académie, un recteur a mis en place une formation en santé scolaire de deux années ouverte aux praticiens de ville ; ces médecins pouvaient ensuite faire des vacations dans des établissements scolaires et le dispositif se révéla très utile. Voilà le type de piste à explorer. Il faut savoir que les médecins scolaires perdent la faculté de prescription, ce qui est frustrant après huit ou neuf années d’études médicales. Cet élément peut dissuader certains professionnels qui souhaiteraient conserver un exercice mixte de la médecine. Je m’en suis ouverte à ma collègue Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins, et nous devons réfléchir à la question en nous inspirant d’exemples comme celui que je viens d’évoquer.
Les parents ne peuvent pas refuser que leur enfant assiste à l’Evars, puisque son objectif est inscrit dans le code de l’éducation, au même titre que les mathématiques, le français, l’éducation physique et sportive, ou l’éducation musicale. Je ne céderai rien sur ce point.
Mme la présidente Véronique Riotton. Quelle attitude adopter face aux mouvements anti-choix ?
Avez-vous des informations sur l’application de la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique ?
Mme Anne Genetet, ministre. Je viens de rencontrer, avec l’association e-Enfance, les responsables du 3018, le numéro unique pour les jeunes victimes de harcèlement et de violences numériques : l’année dernière, ils sont parvenus à faire retirer environ 14 000 contenus harcelant des enfants. La loi dispose désormais qu’il faut être âgé d’au moins 15 ans pour s’inscrire sur une plateforme, cette condition devant être validée par les parents. Cette disposition est ambitieuse mais elle doit être conforme au droit de l’Union européenne. Nous débattrons du sujet lors du Conseil des ministres de l’éducation du 25 novembre, au cours duquel je demanderai à mes collègues d’avancer plus vite sur cette notion de majorité numérique.
La loi de mai dernier vise à protéger nos enfants de la pornographie et à lutter contre les arnaques, la haine et la désinformation. Néanmoins, nous ne pouvons pas appliquer ce texte en ignorant les règlements européens de 2022 relatifs, l’un à un marché unique des services numériques (DSA pour Digital Services Act) et l’autre, aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (DMA pour Digital Markets Act). Nous devons avancer à l’échelle européenne pour déployer les dispositions de la loi.
Si vous voulez que je m’élève contre les mouvements anti-choix, je le ferai. Pour sensibiliser les jeunes au risque de la désinformation, les parents jouent évidemment un rôle fondamental, mais l’école doit structurer des programmes – méthode qui a prouvé son efficacité – d’éducation aux médias et à l’information. Une mission a été confiée à une parlementaire pour nous aider à construire ces programmes ; elle va commencer ses travaux très prochainement pour permettre aux professeurs d’agir efficacement dans ce domaine. Les enseignants des premier et second degrés sont formés à la lutte contre toute forme de désinformation : une foire aux questions est mise à leur disposition pour les aider à répondre facilement et rapidement à chaque situation.
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La séance est levée à 17 heures 10
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Membres présents et excusés
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Gabrielle Cathala, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Martine Froger, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Delphine Lingemann, Mme Christine Loir, Mme Marie-France Lorho, Mme Véronique Riotton, Mme Sandrine Rousseau, Mme Prisca Thevenot, Mme Céline Thiébault-Martinez, Mme Anne-Cécile Violland.
Assistaient également à la réunion. - M. Arnaud Bonnet, M. Emmanuel Fouquart, Mme Perrine Goulet, M. Jean-Claude Raux.