Compte rendu
Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes
– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur la diplomatie féministe de la France. 2
– Présences en réunion.................................16
Mardi
1er juillet 2025
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 20
session extraordinaire de 2024-2025
Présidence
de Mme Véronique Riotton, présidente
— 1 —
La séance est ouverte à 16 heures 10
Présidence de Mme Véronique Riotton
La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a auditionné M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur la diplomatie féministe de la France.
Mardi 1er juillet 2025
L’audition commence à seize heures trente.
Mme la présidente Véronique Riotton. La délégation aux droits des femmes (DDF) a souhaité vous entendre, monsieur le ministre, sur la diplomatie féministe de la France, dans un contexte inquiétant de montée en puissance des mouvements anti-droits et d’un agenda conservateur qui vise directement les droits des femmes et des minorités de genre.
Une nombreuse délégation de la DDF s’est rendue à New York en mars dernier, aux côtés de collègues sénatrices, à l’occasion de la 69e session de la Commission de la condition de la femme (CSW). Elle y a rencontré des représentants d’ONG et d’agences des Nations unies, ainsi que des homologues et activistes de différents pays. Nous y avons constaté l’influence grandissante des pays et des mouvements conservateurs dans et en dehors des grandes enceintes multilatérales. Dans la mesure où ces mouvements font peser une menace réelle sur nos démocraties, il est essentiel de renforcer les fondations, les ambitions et les moyens d’une diplomatie féministe ferme et résolue.
Permettez-moi de saluer la présence de notre collègue mexicaine, Miriam Saldaña Chairez, rencontrée à Mexico au mois de mars dernier, lors de la Conférence mondiale des femmes parlementaires, organisée par l’Union interparlementaire.
En 2019, la France s’est dotée d’une diplomatie féministe. Elle accueillera, à l’automne prochain, la 4e Conférence internationale sur les politiques étrangères féministes. Aux côtés de ses partenaires internationaux, notre pays doit jouer un rôle moteur et porter un contre-discours, bâtir de nouvelles alliances, soutenir activement les mouvements féministes et assurer la pérennité, en particulier financière, de la diplomatie féministe aux niveaux européen et mondial. Quels résultats attendez-vous de cette conférence ? Sur quels alliés pouvons-nous compter et quels sont les pays qui restent à convaincre ? Nous souhaiterions aussi que cette conférence comporte un volet à la fois parlementaire et de la société civile.
Mes autres interrogations concernent l’agenda « Femmes, paix et sécurité », dont la France s’est fait le relais sur la scène internationale. Dans les zones de conflit, les femmes et les enfants figurent parmi les premières victimes. Les femmes sont aussi, trop souvent, les grandes absentes des processus de négociation et de reconstruction. Que fait la France non seulement pour favoriser leur participation effective à la résolution des conflits et à la prévention des violences sexuelles en temps de guerre, mais également pour soutenir concrètement les survivantes et leurs enfants ? L’engagement de la France se traduit-il en actions et en financements à la hauteur des enjeux ?
Je souhaite également appeler votre attention sur le Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF), que notre délégation salue unanimement. Cet outil unique a démontré son efficacité sur le terrain, notamment dans des contextes complexes où peu de financements sont accessibles aux associations locales. Pouvez-vous nous confirmer que ses crédits seront maintenus à leur niveau actuel, voire qu’ils seront renforcés, au cours des prochaines années ? La régularité et la prévisibilité de ces financements sont essentielles pour garantir un impact durable.
Enfin, je voudrais évoquer une autre urgence : celle de la protection des militantes féministes et des activistes des droits humains à travers le monde. Dans de nombreux pays, ces femmes font face à des menaces, à des arrestations arbitraires, voire à des violences physiques ou à des assassinats, en raison de leur engagement. Quelles actions concrètes la France envisage-t-elle afin de renforcer leur protection, de leur apporter un soutien diplomatique, juridique ou humanitaire et de faire de leur sécurité une priorité de sa politique étrangère ?
Je vous remercie par avance pour vos réponses et pour votre engagement à faire vivre une diplomatie féministe à la fois ambitieuse et incarnée.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous présenter les principales orientations de la diplomatie féministe de la France, et d’y contribuer activement puisque la diplomatie parlementaire est complémentaire de celle menée par le Quai d’Orsay. À ce titre, la délégation qui s’est rendue à New York il y a quelques mois témoigne de l’importance de votre engagement pour faire entendre la voix de la France et défendre la diplomatie féministe.
J’évoquerai, pour commencer, l’environnement international, qui rend notre diplomatie féministe plus nécessaire que jamais, avant d’exposer notre stratégie pour la structurer et la défendre plus efficacement et de vous présenter les prochaines initiatives de la France, qui illustrent notre mobilisation.
L’environnement dans lequel nous agissons menace des acquis en matière de droits des femmes et des filles, ainsi que d’égalité de genre. Les crises se multiplient et leurs conséquences sur les femmes et les filles s’aggravent. Sur tous les théâtres de crise – humanitaire, climatique ou sanitaire –, les femmes voient leurs droits bafoués, quand elles ne sont pas la cible d’atrocités. Elles sont les premières victimes des menaces à la paix et à la sécurité internationales. Leurs libertés, leurs droits, leur dignité, leur participation aux processus de paix sont remis en cause. C’est pourquoi notre diplomatie agit, partout où les crises ébranlent le tissu social, que ce soit à Gaza, en République démocratique du Congo, à Haïti ou encore au Soudan.
En Afghanistan, la politique de ségrégation à l’encontre des femmes et des filles heurte particulièrement notre conscience. Depuis le mois de mai 2021, la France a accordé une protection aux femmes et aux filles afghanes : elle a ainsi accueilli plus de 17 000 ressortissants afghans, parmi lesquels des Afghanes militantes, journalistes ou artistes menacées. La France a aussi demandé au procureur de la Cour pénale internationale (CPI) de considérer les crimes commis à l’égard des femmes et des filles dans ses enquêtes en Afghanistan. Le procureur nous a entendus : des mandats d’arrêt à l’encontre de plusieurs dirigeants talibans ont été requis.
En Ukraine, la guerre d’agression menée par la Russie a entraîné le déplacement de 2,7 millions de femmes. La France s’est particulièrement mobilisée pour les victimes de violences sexuelles ; elle a agi à travers le Fonds mondial pour les survivant(e)s de violences sexuelles liées aux conflits et la Fondation Mukwege, qui a permis l’établissement d’un fonds d’indemnisation d’urgence. En 2024, notre appui financier à ONU-Femmes a également permis de soutenir la formation professionnelle de 12 000 Ukrainiennes, afin de leur permettre de sortir de la précarité.
Au Proche-Orient, les contributions de la France à l’Unicef, en 2024, ont permis de créer, à Gaza, des services de santé sexuelle et reproductive. L’année dernière, nous avons aussi apporté un soutien de 200 000 euros pour accompagner les victimes de crimes sexuels perpétrés par le Hamas lors des attaques du 7 octobre.
Plus généralement, nous avons contribué cette année à hauteur de 4,5 millions au Fonds des femmes pour la paix et l’action humanitaire, le plus important fonds spécial des Nations unies soutenant les femmes et les organisations de la société civile dans un contexte de crise et de conflit.
À l’heure actuelle, les alliances qui cherchent à remettre en cause les acquis de ces dernières décennies montent en puissance. Nous assistons à une offensive déterminée, dans un environnement international propice aux voix les plus réactionnaires. Face à ces pressions, des pays historiquement engagés en faveur de l’égalité basculent dans l’opposition ou le silence. C’est le cas sur notre propre continent : après la Suède, les Pays-Bas ont annoncé il y a quelques mois à New York leur retrait du Groupe des diplomaties féministes.
En France même, certains remettent en cause le caractère prioritaire de notre engagement en faveur des droits humains, des droits des femmes et des filles et de l’égalité de genre. Il y a quelques mois, une députée française a parlé au Parlement européen de woke power pour qualifier notre politique de solidarité internationale. Tout le sens de notre engagement repose sur la dignité de la personne humaine et l’égalité entre les femmes et les hommes, car telle est la conception française des droits de l’homme. Une conception qui nous engage à mener le combat pour l’égalité et contre les violences sexistes et sexuelles et à défendre le droit fondamental à l’éducation, alors que 122 millions de filles dans le monde ne sont toujours pas scolarisées. C’est pourquoi la moitié de notre contribution au Partenariat mondial pour l’éducation est dédiée à l’éducation des filles.
Notre diplomatie féministe s’adapte aussi aux nouveaux défis qui se posent à nous. Je pense à la loi de mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, qui a fait de la France un État pionnier en matière de régulation des contenus haineux et des violences en ligne, ainsi que de l’accès des mineurs à la pornographie. Je pense aussi au Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, grâce auquel nous avons obtenu qu’une déclaration intègre, pour la première fois, l’égalité de genre dans le développement de l’intelligence artificielle.
Notre méthode – j’y inclus l’action que vous menez – est désormais connue et reconnue, non seulement par nos partenaires internationaux mais aussi par les acteurs de la société civile.
La France est l’un des premiers bailleurs mondiaux pour les organisations féministes dans les pays du Sud. Elle a soutenu plus de 1 400 associations dans soixante-quinze pays et mobilisé plus de 254 millions d’euros entre 2020 et 2024, à travers le Fonds de soutien aux organisations féministes. C’est un record, alors même que ces organisations reçoivent moins de 1 % du total mondial de l’aide publique au développement (APD). Les associations que nous soutenons sur le terrain, au Sénégal, au Népal, au Bénin ou encore en Colombie, fournissent des services très concrets et souvent indispensables aux femmes.
Pour structurer notre engagement et l’inscrire dans le temps long, j’ai lancé la stratégie internationale de la France pour une diplomatie féministe 2025-2030. Élaborée avec le concours de plus de 200 acteurs – ministères, réseau diplomatique, opérateurs, société civile et vous-mêmes –, elle fixe un cap : placer les droits des femmes et des filles, ainsi que l’égalité de genre, au cœur de notre politique étrangère. Elle est notre feuille de route pour les cinq prochaines années et mobilise l’ensemble de notre arsenal diplomatique.
Notre diplomatie féministe est au service de nos ressortissantes, de nos partenaires internationaux et de nos agentes.
Où qu’elles soient dans le monde, nos compatriotes françaises à l’étranger qui sont victimes de violences doivent pouvoir compter sur une protection efficace et immédiate. Nos postes consulaires sont en première ligne pour leur porter assistance, les orienter et les accompagner dans leurs démarches. Ils apportent leur aide pour pallier la complexité juridique et administrative locale, ainsi que les situations d’isolement ou de dépendance économique. Concrètement, le ministère a traité, depuis 2022, 471 cas de violences conjugales, 119 affaires de viol et 34 cas de mariage forcé. J’ai également demandé que chaque poste diplomatique désigne un référent chargé de l’accueil de nos ressortissantes victimes de violences et qu’une formation spécifique soit dispensée à cet effet. Notre action permet ainsi de proposer à chaque victime des solutions concrètes et adaptées à sa situation.
Notre diplomatie féministe est également au cœur de nos dialogues bilatéraux. Pour défendre nos valeurs, nous cherchons sans cesse de nouveaux alliés. Nous adoptons des cadres de coopération bilatéraux en faveur de la diplomatie féministe, comme avec la Colombie, le Chili et la Bolivie. Avec la Colombie, nous sommes en première ligne en faveur des droits et de la santé sexuels et reproductifs. Nous travaillons avec la Corée du Sud et le Royaume-Uni pour avancer dans la lutte contre les violences basées sur le genre en ligne, notamment les deepfake pornographiques. Nous intégrons des actions conjointes de diplomatie féministe dans les feuilles de route qui nous lient à la Tanzanie, au Brésil ou à l’Arménie, par exemple.
Notre diplomatie féministe se renforce aussi au sein des enceintes multilatérales. À New York, la France préside cette année, aux côtés de la Colombie, le groupe des pays qui se sont dotés d’une diplomatie féministe. Nous avons réussi à rallier de nouveaux États, dont le Maroc et la Slovénie. À l’Assemblée générale des Nations unies, la résolution présentée par la France et les Pays-Bas sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des filles dans l’environnement numérique a été adoptée en novembre 2024 par 174 voix pour et zéro contre : un record. Au Conseil de l’Europe, nous multiplions les démarches pour que la Convention d’Istanbul sur la lutte contre les violences faites aux femmes soit signée, ratifiée et appliquée par un maximum d’États, afin de lui conférer une valeur universelle. Au sein de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), la France a lancé, lors du Sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Villers-Cotterêts en octobre 2024, l’Alliance féministe francophone dont l’objectif est de renforcer la voix des organisations féministes de langue française. Nous avons également lancé, aux côtés du Québec, le réseau francophone pour l’égalité et les droits des femmes.
S’ajoute à cela notre engagement aux côtés des collectivités territoriales. Dans le cadre des Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée, prévues en octobre 2025, un groupe de travail sera spécifiquement dédié à la diplomatie féministe. Les élus et les territoires auront un rôle important à jouer.
Venons-en, enfin, à l’action que nous menons au sein même du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dans lequel la diplomatie féministe se décline également. Le ministère lutte fermement contre toutes les formes de discriminations, de harcèlement moral et de violences sexistes et sexuelles. Il œuvre à l’éradication des stéréotypes de genre qui nuisent à la progression de carrière des femmes et à leur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Cet engagement est reconnu par une double labellisation de l’Association française de normalisation (Afnor).
Pour aller plus loin, le ministère s’est doté d’un second plan d’action en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, qui vise à sensibiliser les agentes et les agents aux questions d’égalité et à assurer un meilleur traitement des cas de violences sexistes et sexuelles, y compris dans le cadre privé. Il a également pour objectif de poursuivre le rééquilibrage des viviers et de garantir l’égal accès aux postes d’encadrement – en 2024, parmi les ambassadeurs nommés pour la première fois, 52 % sont des ambassadrices, ce qui est conforme à nos engagements –, de renforcer l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle et de mieux intégrer la santé des agentes dans la prévention et la prise en charge médicale des équipes.
Ce plan d’action interne s’appuie sur un réseau de 300 référentes et référents « égalité » répartis dans les différents postes à l’étranger et les directions d’administration centrale.
Enfin, la France accueillera, les 27 et 28 octobre 2025 à Paris, la 4e Conférence sur les politiques étrangères féministes. Quatre-vingts ans après la création des Nations unies, trente ans après l’adoption de la Déclaration de Pékin et son programme d’action, vingt-cinq ans après l’adoption de la résolution 1325 – résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité –, nous organiserons cet événement majeur pour accélérer la dynamique internationale en faveur des droits des femmes.
À la veille du Forum de Paris pour la paix, la conférence aura vocation à rassembler plus d’une cinquantaine d’États, les organisations internationales, la société civile, les acteurs de la recherche et de la philanthropie et, bien sûr, les parlementaires. Je sais pouvoir compter sur votre mobilisation pour nous aider à faire de ce rendez-vous un véritable succès politique et diplomatique.
Nous partirons des acquis des éditions précédentes – qui se sont tenues en Allemagne, aux Pays-Bas et au Mexique – pour poser les jalons d’une action cohérente et coordonnée. Nous montrerons que les droits des femmes sont, plus que jamais, un enjeu de diplomatie et de puissance dans un monde polarisé. Nous prouverons que la France, leader reconnu dans la défense de l’égalité de genre, est en mesure de rassembler une coalition d’États du Nord et du Sud qui réaffirmeront solennellement leur engagement indéfectible en faveur des droits des femmes, face aux coups de boutoir de « l’internationale réactionnaire », comme l’a appelée le président de la République.
Nous maintenons donc le cap en défendant nos valeurs, en respectant le droit international, pour un modèle de société juste et égalitaire, dans lequel la dignité et les libertés sont respectées et garanties pour toutes et tous.
Mme la présidente Véronique Riotton. Je vous remercie. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Prisca Thevenot (EPR). Depuis 2017, la France s’est hissée parmi les leaders mondiaux d’une action extérieure qui place l’égalité de genre au cœur de ses principes. Je tiens à saluer cet engagement constant, que vous appuyez par votre action tant à l’extérieur qu’au sein de votre ministère.
Des moyens inédits ont été mobilisés : ainsi, le FSOF a été porté de 120 à 250 millions d’euros ; 400 millions ont été engagés en faveur des droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR) des femmes et des filles ; et 235 millions seront consacrés à l’initiative pour favoriser l’accès des femmes au financement en Afrique (Afawa).
Le leadership de la France s’est renforcé avec le lancement, en 2023, de la stratégie internationale en matière de droits et santé sexuels et reproductifs pour la période 2023-2027 et l’inscription, le 4 mars 2024, de la liberté de recourir à l’IVG dans notre Constitution. Sans oublier les efforts consentis afin de transformer notre appareil diplomatique : la France comptait 36 % d’ambassadrices en 2024 contre 23 % en 2019 et une formation anti-sexiste est dispensée aux agents de manière obligatoire.
Cependant, aucun acquis n’est irréversible. Le phénomène de backlash s’intensifie non seulement dans de nombreux pays et dans plusieurs États américains, mais aussi en Europe où le droit à l’IVG recule. En Iran, la loi sur la chasteté et le hijab criminalise toujours plus l’autonomie corporelle, tandis qu’en Afghanistan, l’éducation des filles est bannie.
Dans ce contexte, la diplomatie féministe de la France doit non seulement afficher son ambition mais aussi démontrer son impact au moyen d’indicateurs clairs, d’un budget sécurisé et d’une véritable redevabilité publique. Ma question est donc la suivante : au-delà de la feuille de route et du planning très précis que vous avez présentés, quels indicateurs pourrons-nous utiliser afin de suivre le déploiement de votre feuille d’action ?
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Dans votre discours de présentation de la stratégie internationale de la France pour une diplomatie féministe, le 8 mars dernier, vous avez déclaré : « […] notre diplomatie féministe est une diplomatie qui prend pleinement en compte les droits des femmes partout où ils sont bafoués ». Vous avez mentionné, à juste titre, les femmes ukrainiennes, afghanes, yézidies, congolaises, syriennes ou encore celles qui ont été victimes des atrocités du 7 octobre.
Cependant, vous n’avez cité ni les femmes soudanaises qui subissent un nombre record de viols commis dans un contexte de guerre, ni les Haïtiennes, ni les Iraniennes que les bombes de Netanyahou ne libéreront pas du fondamentalisme religieux, ni, surtout, les Palestiniennes qui subissent un génocide depuis vingt et un mois : selon ONU-Femmes, plus de 28 000 femmes et filles ont été tuées à Gaza, soit, en moyenne, une femme et une fille tuées chaque heure ; plus de 1 million d’entre elles sont exposées à une insécurité alimentaire ; des dizaines ont été victimes de viols de guerre commis par l’armée israélienne ; et plus de 90 % ont été déplacées – sans parler des petites filles qui n’ont plus d’école.
Si la diplomatie féministe française était vraiment universelle, vous auriez pris depuis longtemps des mesures fortes pour faire cesser tous les crimes commis par Benyamin Netanyahou.
Malheureusement, malgré le travail des agents du ministère – que je veux saluer ici –, votre diplomatie féministe, comme la grande cause du quinquennat, s’apparente à un coup de com’. Tout d’abord, je me demande comment la France peut défendre une diplomatie féministe alors que l’aide publique au développement a été amputée de 2,3 milliards dans le budget pour l’année 2025, budget qui avait déjà été réduit l’année précédente et qui a de nouveau fait l’objet de coupes budgétaires. Ainsi, le décret du 25 avril 2025 portant annulation de crédits abaisse de 133 millions les montants alloués à l’APD, sans compter les 73 millions en moins pour la mission Action extérieure de l’État, dont 18 millions au titre du programme Diplomatie culturelle et d’influence. Ces reculs budgétaires sont dramatiques, d’autant que Donald Trump a coupé à la tronçonneuse dans le budget de l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international). ONU-Femmes souligne que 90 % des organisations féministes à travers le monde sont menacées de disparition, faute de financement. Dans ces conditions, comment la France compte-t-elle pallier ces besoins dans les mois et les années à venir ?
Bien que la France ait fait un grand pas, l’année dernière, en inscrivant dans la Constitution le droit à recourir à l’IVG, elle ferait bien de balayer devant sa porte au lieu de donner des leçons de féminisme au monde entier : au cours des quinze dernières années, 130 centres d’IVG ont fermé ; seuls 15 % des élèves français bénéficient des cours d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle ; vingt-cinq permanences de centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) ont dû fermer et le Planning familial a dû ouvrir une cagnotte pour subvenir à ses propres besoins. Avant de défendre une diplomatie féministe, ne vaudrait-il pas mieux engager des budgets qui soient à la hauteur de nos ambitions ?
Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Si l’aide publique au développement représente moins de 1 % du budget de l’État français, elle a subi, dans le budget 2025, une coupe de 2,5 milliards. Pour mémoire, la France s’était engagée, en août 2021, à consacrer 75 % de son APD au soutien à l’égalité de genre : quatre ans après, moins de la moitié y est affectée. Elle s’était également engagée à allouer 0,7 % de son revenu national brut à l’APD en 2025, objectif désormais reporté à 2030. Ces coupes budgétaires entraînent, très concrètement, une baisse des financements de 10 milliards pour les projets en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Derrière ces problèmes de financement, ce sont des vies qui sont affectées, notamment celles de jeunes femmes et de jeunes filles. Lors de notre déplacement à New York, plusieurs d’entre nous ont rencontré ONU-Femmes et l’Unicef, qui nous ont expliqué que ces baisses budgétaires se traduisent dans les faits par la suppression ou la réduction de services essentiels liés à la santé et à l’éducation des jeunes filles, en particulier. L’Unicef estime ainsi que plus de 250 000 jeunes filles dans le monde seront touchées par ces coupes, dans un contexte rendu encore plus compliqué par l’arrêt des financements américains. Les répercussions sur leur santé sont réelles, puisque 75 % des nouvelles infections au VIH en Afrique subsaharienne concernent des adolescentes – public particulièrement laissé de côté sur l’échiquier des droits des femmes dans le monde – et 30 % d’entre elles souffrent d’anémie. Cela se traduit également par des violences faites aux enfants et aux jeunes filles : ainsi, 12 millions de fillettes sont mariées de force chaque année, 15 % des femmes âgées de 20 à 24 ans deviennent mères avant l’âge de 18 ans et une adolescente sur quatre mariée ou en couple est victime de violences physiques ou sexuelles de la part de son partenaire.
Sur le terrain, de nombreuses associations réalisent un travail exceptionnel, que nous saluons de manière unanime. Néanmoins, elles le font aussi pour compenser l’abandon total de l’État – que ce soit l’État français ou d’autres pays. Bien que la solidarité internationale s’organise et fasse ses preuves, cela ne suffit pas.
Nous attendons donc de la France, qui se targue de s’être dotée d’une diplomatie féministe, qu’elle prenne sa place et soit à la hauteur de cette ambition affichée, dans un contexte de backlash exacerbé. Elle doit non pas se contenter de maintenir ses activités mais compenser les pertes et les baisses de financement des autres pays. Par conséquent, si les droits des femmes sont un enjeu de diplomatie et de puissance, comme vous l’avez déclaré, pouvez-vous préciser quel argent y sera consacré et ce que vous comptez faire pour compenser le retrait de 10 milliards d’euros pour les projets liés à l’égalité de genre ?
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Les 27 et 28 octobre prochain, la France accueillera à Paris, sous l’égide de votre ministère, la 4e Conférence internationale sur les politiques étrangères féministes. Dans un monde où, selon l’ONU, les droits des femmes ont reculé dans un pays sur quatre et où les conflits se multiplient, cet événement ne saurait être une simple vitrine : il doit être un électrochoc et permettre de réaffirmer, haut et fort, que les droits des femmes ne sont ni accessoires ni négociables et que là où ils régressent, ce sont les démocraties entières qui vacillent.
Vous l’avez rappelé, les grands défis de notre siècle – crise climatique, numérique, intelligence artificielle – ne peuvent être pensés, dans la stratégie internationale de la France pour une diplomatie féministe pour 2025-2030, sans une approche féministe. Si nous saluons le fait que la France se dote d’un cadre structuré pour sa diplomatie féministe, comme l’ont fait avec succès d’autres pays, tels que la Suède, nous nous inquiétons toutefois que l’ambition affichée soit fragilisée par le faible niveau des engagements financiers, condition pourtant sine qua non de sa concrétisation.
Le FSOF, lancé en 2019 à l’occasion de la présidence française du G7, avec un premier appel à projets d’un montant de 15 millions d’euros, ne répartit désormais plus que 3,9 millions. En 2022 et 2023, seuls 6,3 % de l’APD bilatérale française visait l’égalité entre les femmes et les hommes comme objectif principal, alors que la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, adoptée en 2021, fixait une cible de 20 %. En 2025, l’APD a subi, elle aussi, une baisse brutale de 2,3 milliards. Selon ONU-Femmes, 90 % des organisations féministes sont menacées de disparition dans le monde, entraînant l’annulation de projets humanitaires, la fermeture d’antennes et l’abandon de milliers de femmes livrées à elles-mêmes.
Pourtant, ce n’est pas une fatalité, comme on voudrait nous le faire croire, et nous avons collectivement les moyens d’y mettre fin. En 2026, la France assurera la présidence du G7. Notre pays doit, comme il l’a fait en 2019, renouveler ses ambitions et reprendre la tête de la diplomatie féministe mondiale, en se donnant les moyens de son ambition et en se saisissant de toutes les opportunités pour faire du féminisme une priorité internationale. Nous ne pouvons pas perdre la bataille contre les mouvements masculinistes.
Comment comptez-vous redonner à la diplomatie féministe les moyens d’agir pour revaloriser et pérenniser le Fonds de soutien aux organisations féministes ? Et comment comptez-vous respecter les engagements de la loi de programmation de 2021 en matière d’aide publique au développement ?
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Ces dernières années, en particulier depuis 2019, la France s’est engagée de manière notable dans la féminisation de la diplomatie. Elle promeut la représentation des femmes et des filles dans tous les secteurs de la société, sans stéréotypes de genre, et s’est engagée à honorer cinq priorités visant à promouvoir l’égalité, à lutter contre les violences et à placer les droits des femmes et l’égalité de genre au cœur de l’agenda multilatéral. Cette stratégie s’engage pour leur permettre de participer pleinement à la vie politique, économique et sociale du pays.
Malgré ces avancées, la diplomatie française demeure largement marquée par une sous-représentation des femmes aux postes de direction et dans certaines ambassades stratégiques. Le taux de femmes assumant un poste régalien en France, par exemple, est de 0 %, ce qui éclaire malheureusement de manière limpide le fait que notre pays promeut davantage la parité que l’égalité.
Face à cette réalité, quelle est la politique stratégique de votre ministère pour féminiser davantage les carrières diplomatiques et garantir une réelle égalité des genres ? Travaillez-vous de concert avec les ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur pour inciter les jeunes femmes à choisir des filières diplomatiques ?
En ce qui concerne les droits sexuels et reproductifs des femmes, qui constituent l’un des objectifs stratégiques de notre pays, la France compte-t-elle continuer à soutenir de manière pérenne les fonds de l’aide publique au développement ? Enfin, quelles mesures entendez-vous instaurer pour garantir un suivi transparent et public des engagements pris par la France ?
Mme Virginie Duby-Muller (DR). Le dernier rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde (Sofi) estime que 733 millions de personnes souffrent de la faim. Les femmes et les filles sont les plus touchées. À la 69e session de la Commission de la condition de la femme des Nations unies, l’association Action contre la faim a souligné le lien entre la lutte contre la faim et la lutte pour les droits des femmes, les inégalités de genre étant à la fois une cause et une conséquence de la faim. La malnutrition des femmes et des filles est enracinée dans divers secteurs – santé, genre, climat, système alimentaire, protection sociale et éducation. Une approche multisectorielle et transformative des politiques publiques, favorisant un accès équitable aux droits et services fondamentaux, est donc essentielle pour lutter efficacement contre la malnutrition.
Dans ce sens, la France participe au financement du fonds Muskoka, dont l’objectif est de renforcer les actions de santé en Afrique de l’Ouest et centrale. Ce fonds, créé en 2010, a été renouvelé jusqu’en 2026. Il permet d’améliorer la santé, le bien-être et la nutrition des femmes, des nouveau-nés, des enfants, des adolescents et des jeunes. Cette action a pour objectif d’autonomiser les femmes et les filles, ainsi que de leur donner accès à la santé sexuelle et reproductive.
Par la loi du 4 août 2021, la France reconnaît officiellement une politique extérieure féministe. L’année 2025 marque un tournant avec le lancement le 7 mars d’une stratégie dédiée à la diplomatie féministe, qui place la promotion des droits des femmes et des filles et de l’égalité de genre au cœur de l’action extérieure de la France. C’est un enjeu diplomatique majeur.
Toutefois, plusieurs interrogations persistent. Les contours de cette stratégie restent vagues et elle n’a pas été rendue publique dans sa globalité. Les indicateurs, le rôle des parlementaires et de la société civile ne sont pas définis. Aucun budget spécifique n’a été alloué pour sa mise en œuvre, en dehors d’une contribution ponctuelle au Women’s Peace and Humanitarian Fund. Aucun engagement financier supplémentaire n’a été annoncé. Les cibles de l’APD prenant en compte le genre, fixées dans le cadre de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales de 2021, ne figurent pas dans les engagements.
Les nombreux événements internationaux majeurs qui s’annoncent dans les mois et années à venir seront autant d’occasions pour la France d’affirmer sa stratégie de diplomatie féministe : la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement à Séville, la Conférence sur les politiques étrangères féministes qui se tiendra les 27 et 28 octobre en France, la COP30 à Belém, qui aura notamment pour objectif l’adoption d’un nouveau plan d’action genre, et enfin la présidence française du G7 en 2026, que nous aurons l’honneur d’accueillir à Évian, en Haute-Savoie.
À quel moment le gouvernement envisage-t-il la publication de cette stratégie et comment compte-t-il consolider les engagements de la France pour lutter contre la malnutrition et pour l’égalité de genre dans le monde ? Quels outils de financement pourraient être déployés pour prévenir les crises humanitaires et sanitaires ? Comment la diplomatie féministe sera articulée avec les autres stratégies pour être systématiquement transversale et contribuer à l’atteinte des objectifs de développement durable 2 et 5, faim zéro et égalité de genre ?
Mme Delphine Lingemann (Dem). Au nom du groupe Démocrates, je tiens d’abord à saluer vos actions en matière de diplomatie, en particulier de diplomatie féministe.
Il y a bientôt deux ans, la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, a lancé un vaste plan pour créer une véritable diplomatie féministe avec – innovation notable – la nomination d’une ambassadrice chargée de sa mise en œuvre. Ce plan fait directement écho à la stratégie du ministère français des affaires étrangères, qui, lui aussi, s’est doté d’une stratégie claire en mars dernier. Serait-il envisageable que la France suive cet exemple en désignant à son tour une personnalité chargée de défendre cette stratégie de manière transversale et de coordonner les acteurs concernés par une diplomatie féministe tant en interne qu’auprès de nos partenaires internationaux ?
Le concours de la voie Orient de l’Institut national du service public (INSP) a suscité 367 candidatures en 2025. Quelle est la proportion de femmes et combien ont-été admises ? Observons-nous une véritable parité dès la phase de sélection ? Le programme Tremplin a remporté en avril dernier la victoire de l’innovation, et l’Académie diplomatique d’été rassemble chaque année de nombreuses femmes ; ce sont des initiatives pertinentes, mais quelles autres actions pourraient inciter les jeunes femmes à mener des carrières au sein de la diplomatie française ? Il pourrait être intéressant de structurer un programme national complet, englobant l’orientation, la préparation au concours, le mentorat, le soutien par des bourses ciblées et la gestion de carrière afin d’encourager les femmes à s’engager dans la diplomatie française.
Mme la présidente Véronique Riotton. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Marie-Pierre Rixain (EPR). Depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021, la situation des femmes en Afghanistan se dégrade de jour en jour de manière alarmante. Les nouvelles autorités avaient initialement affirmé vouloir respecter certains droits fondamentaux des femmes, mais elles ont progressivement mis en place une politique systématique d’effacement des femmes de la société afghane.
Elle se traduit par une discrimination institutionnalisée et un ensemble de mesures liberticides qui font des femmes des citoyennes de seconde zone, exclues de la vie publique, professionnelle et sociale. Cette situation de ségrégation s’apparente à un régime d’apartheid de genre. Depuis 2021, le régime islamique des talibans a adopté pas moins de cinquante décrets visant à restreindre les droits des femmes et à interdire notamment les déplacements sans un accompagnateur masculin, l’accès à l’enseignement secondaire et universitaire, y compris les formations médicales, ou encore l’exercice de nombreuses professions, notamment dans les organisations non gouvernementales et les agences des Nations unies. Les conséquences de cet apartheid de genre sont multiples, à la fois sur le plan sanitaire, sur le plan économique et, évidemment, sur le plan psychologique. Malgré ces restrictions inhumaines, la résistance des femmes afghanes demeure exemplaire. Des réseaux clandestins de scolarisation se développent envers et contre tout, malgré des sanctions pouvant aller jusqu’à la mise à mort.
La communauté internationale ne peut fermer les yeux et rester passive face à cette entreprise de répression systématique. Quelle action volontariste envisagez-vous de mener pour inscrire la lutte contre l’apartheid de genre, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui en Afghanistan, dans le droit international ? Quelles mesures la France entend-elle prendre pour simplifier et accélérer les procédures de demande de visa humanitaire pour les femmes afghanes depuis des pays tiers, pour renforcer les dispositifs d’accueil spécifiques pour les femmes, notamment en lien avec les associations et les collectivités territoriales, et enfin, pour faciliter leur intégration en France, notamment en matière d’apprentissage de la langue, d’accès au logement et à l’emploi, et de reconnaissance des diplômes et des compétences acquis en Afghanistan ?
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Monsieur le ministre, vous avez parlé de crimes sexuels à Gaza. Vous me permettrez d’observer que, chaque fois que vous parlez de crimes à Gaza, vous manquez toujours de mentionner le coupable. Ce coupable, c’est Israël. Un rapport de l’ONU de 2025 dénonce ses crimes sexuels à Gaza et un autre indique que les autorités israéliennes ont détruit la capacité des Palestiniennes à Gaza, en tant que groupe, à faire des enfants à travers la destruction systématique des soins de santé sexuelle et reproductive.
La Cour internationale de justice (CIJ) avait d’ailleurs retenu ce point pour dénoncer un risque de génocide en 2024. Nous sommes en juillet 2025 et, vingt et un mois plus tard, nous avons dépassé le stade du risque de génocide : nous sommes face à un génocide. Mais vous n’utilisez pas ce mot et vous ne prenez aucune sanction contre le gouvernement israélien. Vous n’avez même pas fait arrêter le premier ministre israélien lorsqu’il a survolé la France alors qu’il est sous mandat d’arrêt international.
Le 18 juin 2024, la France a voté une résolution à l’ONU qui l’engage à interdire les exportations d’armes vers Israël et l’importation de tout produit issu des colonies israéliennes. Vous avez parlé et vous avez voté. Monsieur le ministre, qu’avez-vous fait pour respecter cet engagement pris au nom de la France ?
L’audition est suspendue de dix-sept heures dix à dix-sept heures vingt-cinq.
Mme Julie Delpech (EPR). La présidence française du G7 en 2026 sera un moment clé pour affirmer la stratégie de diplomatie féministe de la France. Ce rendez-vous, comme la Conférence sur les politiques étrangères féministes prévue en octobre, ou la COP30 à Belém, doit permettre de faire avancer des engagements concrets en matière de droits des femmes, de financement et de participation des organisations féministes. Lors du G7 de 2019, la France avait posé les bases de sa diplomatie féministe, notamment en lançant le fonds de soutien aux organisations féministes. Ce cadre doit désormais être consolidé, élargi et doté de moyens à la hauteur des ambitions affichées. Dans cette perspective, comment la France entend-elle faire de l’égalité de genre un axe structurant de sa présidence du G7 ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Prisca Thevenot m’a interrogé sur la redevabilité et les indicateurs d’impact. Le premier niveau de redevabilité est celui de notre stratégie internationale. Dans sa version précédente, la redevabilité était fondée sur soixante-dix indicateurs. La nouvelle stratégie sera suivie à partir de quinze indicateurs, qui sont en cours d’élaboration.
Le deuxième niveau est celui de l’aide publique au développement, dont le principal opérateur est l’Agence française de développement. L’objectif fixé par la loi de programmation de 2021 à l’horizon 2027 est que 75 % de l’aide publique au développement intègre une dimension de genre et que 20 % de l’aide publique au développement soit dédiée au genre. Ces seuils, qui ne sont pas encore atteints, devraient se retrouver dans le contrat d’objectifs et de moyens (COM) de l’AFD, qui est en cours d’élaboration.
Le troisième niveau est celui de la mesure d’impact générale, que nous sommes en train de mettre en place au sein du ministère. Elle ne concerne pas uniquement la diplomatie féministe et de l’égalité de genre, mais, plus généralement, les politiques que nous menons. Une équipe d’une trentaine de personnes, toutes volontaires et issues de l’ensemble des directions, réfléchit à l’établissement de quelques grands indicateurs permettant de mesurer l’impact de nos missions de service public pour les Français à l’étranger, de défense des intérêts de la France par les canaux bilatéraux, multilatéraux et européens et d’information des Français sur ce qui se passe dans le reste du monde et sur les positions de la France à l’étranger. Les objectifs d’égalité de genre seront pris en compte par ces indicateurs d’impact.
Madame Cathala, les femmes sont en effet, malheureusement, les premières victimes des crises humanitaires, en particulier celles du Soudan et de Gaza. Je rappelle que, dans ces deux cas, la France a été à l’initiative des premières conférences internationales de levée de fonds : pour le Soudan, la conférence, qui s’est tenue le 15 avril 2024, a permis de lever 2 milliards d’euros et la France a contribué, depuis le début de la guerre, à hauteur de 200 millions ; pour Gaza, elle s’est tenue le 9 novembre 2024 à Paris et a permis de lever 1 milliard. Depuis le 8 octobre 2023, la France a apporté 250 millions d’aide humanitaire et 1 200 tonnes de fret humanitaire.
Avec Gabrielle Cathala, Marie-Charlotte Garin et Marie-Noëlle Battistel m’ont interrogé sur les moyens. Il est vrai que les crédits du programme 209, Solidarité à l’égard des pays en développement, ont été très considérablement réduits l’année dernière. Je ne m’en suis pas félicité et, lors du débat budgétaire, j’ai même dû défendre le rejet d’amendements proposant des réductions supplémentaires des crédits de ce programme car je suis convaincu qu’ils concourent à la défense des intérêts de la France et des Français. Je les défends en appelant tous les opérateurs de cette politique, au premier rang desquels l’AFD, à rendre compte de manière encore plus précise et détaillée de l’impact de leurs actions, directement pour les bénéficiaires et indirectement pour les Françaises et les Français. Ces actions sont parfois critiquées sur certains bancs de l’hémicycle, mais elles contribuent à apporter des réponses aux préoccupations majeures des Français en matière de santé et de sécurité. Je pense notamment aux actions qui contribuent à créer des cultures de substitution à la culture du pavot ou à enrayer les risques pandémiques. C’est un peu la même chose pour l’égalité de genre. En cette période d’efforts budgétaires nécessaires, j’appelle donc ceux qui croient en ces actions à appeler l’attention de leurs collègues et, si nécessaire, du gouvernement sur la nécessité de préserver ces crédits.
Cependant, dans un contexte où les crédits ont fortement baissé l’année dernière, les crédits concourant au FSOF, qui font de la France l’un des tout premiers bailleurs dans ce domaine, ont été préservés, avec 50 millions. C’est une des rares lignes qui a été préservée l’année dernière dans le programme 209. Les lignes que nous avons sanctuarisées l’année dernière doivent être, autant que possible, préservées, sinon elles finiront elles aussi par être mises à contribution.
Anne-Cécile Violland m’a interrogé sur l’évolution de la représentation des femmes dans l’encadrement du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. L’année dernière, 36 % des ambassadeurs étaient des femmes, et elles étaient même 52 % des ambassadeurs nommés pour la première fois. Cette parité nous permet de cheminer progressivement vers une représentation paritaire des ambassadrices et des ambassadeurs. Il en va de même s’agissant de l’encadrement dans l’administration centrale – secrétaire générale, directrices et directeurs généraux et autres postes de direction – qui est assuré à 45 % par des femmes. Nous atteignons donc progressivement la parité.
Madame Duby-Muller, nous avons mobilisé 50 millions depuis 2021pour le fonds Muskoka, qui est un fonds emblématique en matière de santé maternelle, néonatale et infantile en Afrique de l’Ouest et centrale. On nous demande de ne pas faire trop d’annonces pour le projet de loi de finances pour 2026, mais j’espère pouvoir vous confirmer à l’automne une nouvelle contribution de 10 millions.
Vous m’avez également interrogé sur la diffusion de la stratégie internationale. J’ai déjà précisé que le cadre de redevabilité était en cours d’élaboration et de perfectionnement. Après la mise en place d’un comité de pilotage à la rentrée et la consultation des parlementaires, nous serons en mesure de diffuser cette stratégie.
Madame Lingemann, Delphine O a été nommée ambassadrice, secrétaire générale de la Conférence mondiale de l’Organisation des Nations unies sur les femmes. Elle est très mobilisée pour faire de cette conférence un grand succès. Je n’ai malheureusement pas la réponse à votre question sur le concours voie Orient de l’INSP, mais je m’assurerai qu’elle vous soit communiquée.
Je vous remercie d’avoir mis en valeur le programme Tremplin, qui a été lancé en 2023 et qui mobilise chaque année vingt personnes du ministère. Il vise à étoffer le vivier des femmes dans l’encadrement supérieur – et à dépasser ainsi le taux de 45 % que j’ai évoqué – mais aussi pour les postes de catégories A et B. Les lauréates de ce programme bénéficient d’un accompagnement personnalisé.
Madame Rixain, vous savez que la communauté internationale a fixé des conditions claires à la normalisation des relations avec le régime taliban dans la résolution 2593 du Conseil de sécurité. Aucune des cinq conditions posées par le Conseil n’est aujourd’hui respectée par les talibans, en particulier au regard du sort réservé aux femmes et aux filles. Elles sont effacées de la société et victimes de multiples violations de leurs droits les plus élémentaires. La politique de ségrégation à l’encontre des femmes et des filles heurte notre humanité. Le premier ministre l’a rappelé dans son discours de politique générale. Lors de la rentrée scolaire en Afghanistan, le 20 mars, plus de deux millions de jeunes filles étaient privées d’éducation pour la troisième année consécutive en raison de l’interdiction édictée par les talibans.
Nous avons condamné la loi talibane dite du vice et de la vertu, annoncée le 21 août 2024, qui est une nouvelle illustration de l’acharnement systématique contre les femmes et les filles. Nous avons aussi condamné, le 5 décembre dernier, dans les termes les plus fermes, l’interdiction faite par les talibans aux femmes afghanes d’accéder aux établissements d’enseignement médical.
Nous avons poursuivi notre politique d’aide humanitaire aux femmes et aux filles afghanes. Cette assistance repose sur le principe de délivrance par et pour les femmes. Nos projets visent avant tout à aider les femmes et les filles dans le domaine de la santé pour protéger leur intégrité physique et leur vie. Nous avons ainsi maintenu notre soutien à l’Institut médical français pour la mère et l’enfant de Kaboul. Depuis août 2021, l’aide globale de la France à l’Afghanistan se chiffre à plus de 170 millions. Cette aide est déclinée en tenant compte en priorité de son impact pour les femmes et les filles.
Je rappelle que 17 000 ressortissants afghans ont été protégés par la France depuis mai 2021, parmi lesquels des Afghanes militantes, journalistes ou encore artistes menacées. Enfin, le programme Femmes en danger, destiné en particulier aux femmes afghanes, a permis la réinstallation en France, en lien avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), de 300 femmes afghanes vulnérables en 2024.
S’agissant de la lutte contre l’impunité, la France s’engage, dans le cadre d’initiatives multilatérales, pour condamner les multiples violations dont sont victimes les femmes et les filles afghanes. Des démarches conjointes ont ainsi été entreprises pour demander au procureur de la CPI de considérer les crimes commis à l’égard des femmes et des filles dans ses enquêtes en Afghanistan. À la suite de ces démarches, le bureau du procureur a requis des mandats d’arrêt à l’encontre de plusieurs dirigeants talibans, leur responsabilité pénale étant engagée au titre du crime contre l’humanité de persécution liée au genre.
Nous nous investissons également dans les travaux relatifs au projet de convention sur les crimes contre l’humanité aux Nations unies. Le 22 novembre 2024, la sixième commission des Nations Unies a approuvé à l’unanimité la conférence plénipotentiaire des Nations unies sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité par l’adoption d’une résolution coparrainée par la France. Cette décision ouvre la voie à l’adoption d’un instrument juridiquement contraignant. Son cadre juridique clair et universel pour définir, prévenir et punir les crimes contre l’humanité pourra s’appliquer au cas des femmes afghanes.
Monsieur Boyard, je voudrais apporter quelques éléments de clarification à mes propos introductifs sur l’aide humanitaire et sur les dispositifs spécifiques aux femmes palestiniennes de Gaza.
Nous avons pris des sanctions, aux niveaux national et européen, à l’encontre de colons extrémistes et violents. Nous avons condamné toutes les violations par Israël du droit international. Nous n’hésitons jamais à le faire et à le dire.
Le soutien aux Palestiniens s’est manifesté par la conférence internationale que nous avons accueillie à Paris le 9 novembre 2023 et par l’envoi à proximité du rivage de Gaza du porte-hélicoptères Dixmude pour soigner des Palestiniens blessés. Nous sommes le premier pays occidental à l’avoir fait. Il se manifeste aussi par le soutien budgétaire direct à l’Autorité palestinienne – nous sommes l’un des seuls pays à le faire – et par la condamnation des violations par le gouvernement israélien de ses obligations au titre du droit international.
Je ne suis pas sûr d’avoir retrouvé la résolution de l’ONU du 18 juin 2024 à laquelle vous faites référence. Celle adoptée par le Conseil de sécurité le 10 juin 2024 précise le cadre pour la cessation des hostilités à Gaza : cessez-le-feu, libération des otages du Hamas et accès sans entrave de l’aide humanitaire. Elle n’évoque pas certains des points que vous avez soulevés dans votre intervention. Je vous propose qu’on en reparle à l’issue de cette séance.
Madame Delpech, le président de la République a pris l’engagement de faire de l’égalité de genre une priorité de la présidence française du G7 en 2026. C’était déjà un engagement de la France au sommet du G7 de 2019, au cours duquel nous avions lancé le partenariat de Biarritz pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui appelait notamment à mettre fin aux violences faites aux filles et aux femmes et à favoriser l’accès des filles à l’éducation. Nous souhaitons que soit également intégrée en 2026 la dimension numérique de la protection des femmes, dans la lancée de la résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies au mois de décembre dernier.
Mme la présidente Véronique Riotton. Je vous remercie pour ces réponses précises, qui montrent que la France est engagée dans la diplomatie féministe. Nous souhaitons que les parlementaires aient une place dans la conférence pour la diplomatie féministe et vous pourrez compter sur nous pour répondre à votre appel à la vigilance lors des débats budgétaires.
L’audition s’achève à 17 heures 40
Ces débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
Membres présents et excusés
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Louis Boyard, Mme Gabrielle Cathala, Mme Julie Delpech, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Sarah Legrain, Mme Gisèle Lelouis, Mme Delphine Lingemann, Mme Graziella Melchior, Mme Véronique Riotton, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Prisca Thevenot, Mme Céline Thiébault-Martinez, Mme Anne-Cécile Violland.
Excusées. - Mme Sandrine Josso, Mme Marie-France Lorho.