Compte rendu
Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques
– Examen de la note scientifique sur neurosciences et éducation (Arnaud Saint-Martin, député, Florence Lassarade, sénatrice, rapporteurs) 2
– Examen de la note scientifique sur les nouvelles techniques génomiques (Pierre Henriet, député, Martine Berthet, sénatrice, rapporteurs) 12
– Communication sur la réunion du Conseil scientifique (Pierre Henriet, député, Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteurs) 21
Jeudi 12 juin 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 210
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Stéphane Piednoir,
président
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
Jeudi 12 juin 2025
– Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office –
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Examen de la note scientifique sur neurosciences et éducation (Arnaud Saint-Martin, député, Florence Lassarade, sénatrice, rapporteurs)
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Nous avons trois points à l’ordre du jour ce matin : l’examen de deux notes scientifiques, sur les neurosciences et l’éducation et sur les nouvelles techniques génomiques, et une communication sur la réunion que l’Office a organisée le 15 mai avec son Conseil scientifique.
Pour l’examen de la note scientifique sur les neurosciences et l’éducation, je vais laisser la parole à Arnaud Saint-Martin et Florence Lassarade, qui ont travaillé sur ce dossier pendant plusieurs mois.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l’Office, rapporteure. – La note scientifique que nous vous présentons ce matin aurait dû vous être présentée par d’autres que nous dès l’an dernier, si la dissolution de l’Assemblée nationale n’avait pas emporté le tandem formé initialement par notre ancien collègue député Victor Habert-Dassault et notre collègue sénateur Ludovic Haye qui n’a pas souhaité poursuivre ces travaux. Je tiens à les remercier du travail qu’ils avaient engagé. Nous nous sommes efforcés de tirer parti des auditions qu’ils avaient déjà conduites et de poursuivre leur démarche.
La note scientifique que nous examinons ce matin condense le résultat de ces recherches. À notre connaissance, le sujet n’a été que fort peu traité jusqu’à présent au Parlement. Les commissions permanentes chargées de l’éducation et de la recherche n’ont consacré aucun travail particulier aux neurosciences, ni même aux neurosciences dans l’éducation, malgré leur place grandissante dans l’enseignement scolaire. Peut-être le sujet a‑t‑il paru réservé aux experts ?
Pendant ce temps, le discours des neurosciences a largement débordé le cadre du laboratoire. Il semble donc qu’il est aujourd’hui possible d’analyser la réflexion pédagogique qui s’en réclame. C’est sans doute même devenu souhaitable. Notre pays a la chance de compter de grands spécialistes du cerveau, comme Paul Broca, célèbre pour sa découverte de l’existence d’une aire cérébrale de production des mots parlés.
L’aire de Broca, définie par opposition à l’aire de Wernicke, est responsable de l’articulation du langage. Un patient atteint dans cette zone conservera ses facultés de compréhension, mais aura des difficultés à articuler des paroles. C’est souvent le cas dans les accidents vasculaires cérébraux. L’aphasie de Broca s’oppose à l’aphasie de Wernicke, caractérisée par une perte de compréhension du langage, les patients articulant des paroles dénuées de sens. Le rôle exact de l’aire de Broca est encore discuté, mais son nom est resté attaché à cette zone.
Il est tentant de chercher quelle zone cérébrale est sollicitée dans le déchiffrement d’un texte ou la résolution d’une opération de calcul mental. Cependant, nous n’apporterons pas de réponse à ces questions. L’espèce humaine se caractérise par la communication verbale, ce qui fait du don de parole une faculté naturelle. Résoudre une équation ou lire un poème est une autre affaire. Nous avons respecté le libellé arrêté par le bureau de l’Office et transmis par nos prédécesseurs, en laissant de côté la question de savoir si les progrès de l’imagerie cérébrale pourraient nous apporter un jour le fin mot des relations complexes qui constituent l’objet central de la science psychologique.
Nous nous sommes demandé ce que les neurosciences pouvaient apporter à l’éducation. Que nous disent les neurosciences ? Comment ceci est-il interprété ? Comment les neurosciences se comparent‑elles sur le terrain pédagogique avec d’autres disciplines ? Nous avons choisi l’apprentissage de la lecture comme expérience cardinale de la formation scolaire. Nous prenons cet exemple tout au long de la note, en espérant que des parents désemparés ou d’anciens élèves pourront y trouver quelques motifs de consolation et des conseils pratiques.
En tant que pédiatre, j’ai rempli des cabinets d’orthophonistes d’enfants victimes de la méthode globale. J’ai suivi la mise en place des épreuves de repérage des troubles du langage, RTL4, test proposé pour les enfants entre 3 ans 9 mois et 4 ans et demi. Ces expériences m’ont permis de côtoyer des parents en souffrance venant de tous les milieux, la médecine agissant souvent comme un révélateur des échecs de la société. Dans le cadre de notre note scientifique, nous avons entendu Stanislas Morel, un chercheur qui a publié un ouvrage sur la médicalisation de l’échec scolaire. Il a étudié comment les médecins formulent un diagnostic sur les élèves et conclut que nous ne sommes pas nécessairement les mieux placés pour concevoir la solution de tous les problèmes ainsi découverts.
Je plaide pour un rééquilibrage au sein du système scolaire. À travers une mise en perspective dans le temps long, il devrait être possible de nous libérer de ces erreurs et de ces modes pédagogiques dont la méthode globale est devenue l’archétype. Nous avons mis à l’honneur des solutions, notamment l’écriture alfonic conçue dans les années 1970 par le linguiste André Martinet. Cette méthode se fonde sur une approche fonctionnelle et pratique du langage comme outil de communication. Les enseignants adeptes de pédagogie alternative et les associations telles que ATD Quart-Monde font déjà usage de cette méthode innovante. Malgré cela, elle tarde à se généraliser.
Nous nous sommes rendu compte que de vraies pistes d’amélioration déjà éprouvées n’ont pas encore été explorées jusqu’au bout dans un domaine comme l’apprentissage de la lecture. Je veux y voir une raison d’espérer.
M. Arnaud Saint-Martin, député, rapporteur. – Je tiens à vous remercier de m’avoir associé à cette note scientifique. En tant que sociologue des sciences et techniques, j’avais étudié les usages des neurosciences dans la société, les fascinations dont elles sont l’objet également. Cela m’intéressait donc de contribuer à cette réflexion, d’autant plus que nous touchons au cœur de l’évaluation des usages pratiques de certains savoirs, notamment à des fins de politique publique.
Notre note a également cette vocation de faire de l’évaluation des usages des sciences et des techniques à des fins de politique publique, et pas simplement éclairer des choix. Le point important, sous l’angle sociologique, c’est que nous avons affaire à des controverses scientifiques – la question des neurosciences n’est pas complètement stabilisée.
Il y a diverses façons de définir les neurosciences, de les arrimer aux sciences cognitives, à la biologie, à la médecine, etc. On voit bien que ceci fait partie des questions qu’il faut aborder, sachant que nous avons sectorisé : c’est l’éducation, donc un usage particulier qui n’épuise pas tous les usages des neurosciences.
Lorsque l’on parle de neurosciences dans l’éducation, c’est en même temps très large. Nous avons évoqué les pratiques de lecture, mais nous aurions pu élargir à la mémorisation. Aujourd’hui, il y a certaines problématiques qu’affrontent les enseignants, par exemple le rapport aux écrans, à la pratique de l’écriture, l’acquisition du langage et du comportement avec autrui, qui constituent toute cette gamme de savoirs qu’il fallait attraper. Nous nous sommes concentrés sur la lecture, avec quelques éléments qui ont été évoqués par Florence Lassarade, qui tentent de montrer que, par moments, il peut y avoir un usage pertinent et probant de ces savoirs. Cependant, il faut examiner dans quelle mesure cela sert précisément les pratiques pédagogiques.
Les neurosciences se sont imposées dans la formation des enseignants, avec un autre régime de véridiction, de probation s’agissant de l’approche des questions d’éducation. Cela se traduit par des luttes d’autorité, y compris dans la composition du conseil scientifique de l’éducation nationale, où il y a des discussions, voire des disputes scientifiques sur la façon d’objectiver telle ou telle pratique pédagogique. Ces luttes sont appropriées politiquement et ont un effet dans le réel au‑delà du laboratoire. Elles ont une vocation à structurer des politiques publiques. L’étude des promesses scientifiques et techniques est également importante, car il y a des prétentions à un moment donné à arriver avec des nouvelles théories, des nouveaux savoirs qui vont tout révolutionner. Les neurosciences ont activé cette mode s’agissant de l’émergence des savoirs.
Il y a eu une mode neuro, avec la semaine du cerveau, des manuels et des essais à grand tirage qui portaient la bonne parole. Certains auteurs, comme Jean-Pierre Changeux et Stanislas Dehaene, ont connu un succès notable. Cette dimension doit être prise en compte lorsqu’on évalue la performativité des neurosciences dans les politiques publiques. La grande promesse des neurosciences était de fournir une base scientifique pour régir les pratiques pédagogiques, en utilisant l’imagerie par résonance magnétique pour voir le cerveau à l’œuvre. Cela semblait presque magique. En discutant avec Stanislas Dehaene, nous avons abordé la dimension scientifique des pratiques de savoir et la frontière entre science et politique publique. En résumé, malgré la séduction et l’enchantement autour des neurosciences, notamment dans l’éducation nationale, leur impact sur la formation des enseignants et les pratiques pédagogiques est limité. Les enseignants sont sensibilisés à l’intérêt des neurosciences, mais cet intérêt n’est pas encore palpable dans leur pratique. Cela crée un hiatus entre la politique publique et les pratiques concrètes des enseignants. Nous invitons donc à la prudence.
Il est important d’aborder avec humilité le couplage entre la science et les pratiques pédagogiques. Malgré un discours parfois impérialiste, perçu comme tel par certains praticiens dans les sciences de l’éducation, nous sommes encore dans une forme d’interdisciplinarité plus ou moins consolidée. Cela nous invite à l’humilité et à la prudence. Dans les formations, la place de ces savoirs est congrue, et il y a discontinuité. Il est difficile d’évaluer l’effet et l’influence de l’apprentissage des neurosciences d’une année sur l’autre. La question de la continuité dans la formation est également importante, notamment avec les réformes permanentes de la formation des enseignants. Je pense que la construction des neurosciences doit intégrer la dimension des neurosciences sociales, en faisant converger les sciences sociales, les sciences humaines et sociales et les neurosciences. Des recherches récentes, comme celles de Bernard Lahire, intègrent le cerveau dans les structures élémentaires de la vie sociale. L’enjeu est de socialiser le cerveau et de le considérer comme un élément parmi d’autres dans la production de l’éducation et la confrontation à des pratiques pédagogiques concrètes. La question est de savoir comment construire et opérationnaliser l’interdisciplinarité à des fins pratiques, en tenant compte des tensions internes aux sciences humaines et sociales et de l’interaction avec les neurosciences.
Ceci ouvre la voie à d’autres questionnements qui rendent l’exercice de la note scientifique assez frustrant, car nous aurions aimé continuer encore un petit peu, mais peut-être que cela sera l’objet d’une autre note. Sur l’interdisciplinarité, nous devons composer avec la formation des enseignants et la façon dont on produit de la pédagogie concrètement, tout en respectant la liberté académique des enseignants qui pourraient ne pas être attirés par ce discours. Nous concluons sur un plaidoyer à l’humilité et à la prudence à tous les niveaux, que ce soit les neuroscientifiques, les formateurs ou les enseignants. De ce point de vue, je pense que nous aurons à peu près rempli le travail du « E » de OPECST, s’agissant de l’évaluation.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Je veux saluer Ludovic Haye qui était initialement rapporteur de cette note avec Victor Habert-Dassault. Nous avons choisi de constituer un autre binôme, puisque Victor Habert-Dassault n’a pas été réélu député. Ce nouveau binôme a parfaitement rempli sa mission.
La frustration sur les notes scientifiques est unanime. Les parlementaires sont impliqués dans leur sujet et aimeraient creuser davantage. Les notes scientifiques sont des points d’étape sur l’état de l’art sur tel ou tel sujet. Nous en avons fait plusieurs sur des sujets comme le quantique et l’intelligence artificielle.
Le sujet de la note m’intéresse particulièrement, en tant qu’enseignant et membre de la commission culture et éducation du Sénat. Je suis convaincu qu’on a encore beaucoup à découvrir sur le cerveau. On ne maîtrise pas l’immense potentiel de ce que notre cerveau est capable de faire.
Cela remet en cause l’évaluation, le « E » de l’OPECST, notamment l’évaluation de pratiques pédagogiques qui ont été imposées au fil des modes. Des convictions qui laissent place à d’autres convictions quelques années plus tard et des résultats qui ne sont pas toujours probants. En tant que professeur de mathématiques, je pourrais citer quelques blocages que, malgré tous les efforts pédagogiques, on n’arrive pas à lever. Peut-être que les neurosciences, un jour, parviendront à percer ces mystères en mathématiques.
Sur la formation des enseignants, ils doivent être formés à tellement de choses, et même en premier lieu à la protection d’eux-mêmes… Nous nous référons aux dernières catastrophes que notre pays a vécues. Aux abords des établissements, dans les classes mêmes parfois, les enseignants se protègent eux-mêmes et protègent les élèves dont ils ont la charge. C’est quelque chose qui n’existait pas il y a 10 ou 20 ans. Ceci peut expliquer une forme de désaffection par rapport au métier, car exercer un métier pour lequel la vie peut être en jeu, ce n’est évidemment pas la même chose.
Pourquoi pas la formation des enseignants ? Il faut sans doute attendre des progrès significatifs en la matière pour orienter les choix pédagogiques des enseignants. En maîtrisant les capacités du cerveau, les connexions, nous serons capables de faire progresser les meilleurs élèves, mais aussi ceux qui ont des blocages. J’ai entendu le discours impérialiste de la mode neuro, mais il y a aussi parfois un discours impérialiste des sociologues eux-mêmes, qui nous imposent une vision de société, de classe. Méfions-nous des discours impérialistes de tous côtés.
M. Daniel Salmon, sénateur. – Je lirai avec attention cette note. Le sujet est passionnant, surtout pour moi qui ai été instituteur et ai enseigné au cours préparatoire. Cela me rappelle certaines fonctions dans l’apprentissage et met en évidence la complexité des processus d’apprentissage.
Se focaliser uniquement sur un domaine amène forcément à l’échec, car tout cela est extrêmement complexe. Il faut avoir de l’humilité et essayer de comprendre un grand nombre de processus.
La découverte du microbiote intestinal, qu’on a qualifié de second cerveau, montre les interactions entre ce microbiote, notre alimentation et notre manière de fonctionner. Cela nous amène à prendre de la hauteur dans ces processus. Je retiens les termes d’humilité et de prise de hauteur.
On a encore énormément à apprendre, car le cerveau est inconnu. On avance, mais on se doit d’aller de l’avant.
La multiplication des qualificatifs « dys » dans la pratique pédagogique n’a pas apporté de niveaux d’efficience supplémentaires. On a tendance à ranger un élève dans une petite case et à oublier que le phénomène d’apprentissage est lié à énormément de facteurs, notamment la prééminence des écrans. L’intelligence artificielle s’ajoute à ces sujets. Les neurosciences ont une belle voie devant elles, mais il faut éviter de s’enfermer dans quelque dogme que ce soit pour avoir une vision la plus globale possible de l’élève et de l’apprenant.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Je voudrais rebondir sur cette intervention. Le temps passé en ligne est aujourd’hui l’occupation numéro un de tout le monde. Il y a quelques décennies, nous passions le plus de temps au travail, puis est arrivé le temps des loisirs. Aujourd’hui, ce qui domine notre temps d’activité quotidien, c’est le temps passé sur des écrans, quels qu’ils soient. Cela ouvre la voie à des études neurologiques, car le cerveau va être impacté par cette pratique continue.
Je pense qu’on ne mesure pas à quel point il va en être ainsi. Nous sommes un certain nombre ici à avoir vu l’arrivée des téléphones portables. Nous avons découvert Internet au fur et à mesure. Le pas qui a été franchi en une génération est extrêmement conséquent. Le cerveau des plus jeunes, très malléable au jeune âge, va être impacté par cette pratique ultra-intensive.
Peut-être qu’il faudrait insister davantage. On voit des mesures gouvernementales pour interdire le téléphone au collège, notamment avec les dérives que l’on sait. L’éloignement des écrans va devenir peut-être une mesure de santé publique, une règle à faire respecter avec beaucoup plus de rigueur.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l’Office, rapporteure. – Il y a beaucoup de sujets dans vos questions. Nous avions mené pour l’Office une étude sur les maladies neurodégénératives et l’imagerie cérébrale progresse à une vitesse qu’on n’imagine pas. Cependant, nous sommes chez l’enfant, sur un cerveau en formation, en évolution, avec une plasticité qui s’installe et qui dépend des stimulations.
Je me suis polarisée sur la méthode globale, car cela a été un facteur d’échec chez la moitié des enfants. Un enfant sur deux n’est pas capable d’apprendre visuellement, donc les enfants qui apprennent par l’ouïe sont vraiment pénalisés. Nous avons identifié des facteurs de groupe, notamment dans notre travail sur les écrans et l’enfant.
Dans l’apprentissage, il y a toujours des éléments affectifs, un élément qui vous permet de mémoriser, une interaction avec les enseignants ou les pairs. C’est important de noter ces choses qui sont un peu empiriques, mais qui sont essentielles dans l’évolution de l’enfant.
Le problème, c’est que l’enfant qui n’a aucune difficulté s’adaptera, mais il y a beaucoup d’enfants qui ne s’adaptent pas. On rassure faussement les parents en disant : « Ah, oui, c’est dys, c’est une dyscalculie, etc. » Néanmoins, la détresse des enfants est toujours là. On va les orienter vers tel ou tel spécialiste, mais les méthodes d’apprentissage ne sont pas adaptées à ces enfants. Olivier Revol, neuropédiatre et spécialiste des troubles d’hyperactivité, a bien fait évoluer les tests et les dépistages, notamment avec l’Association française de pédiatrie ambulatoire. Je pense qu’il ne faut pas se priver de l’imagerie cérébrale pour expliquer les choses, mais il ne faut pas non plus faussement rassurer les esprits en disant : « L’enfant est normal. » Parfois, cela correspond à une image sur son cerveau. En tant que médecin, je sais que poser un diagnostic peut rassurer les parents. Cependant, il vaut parfois mieux ne pas avoir de diagnostic et considérer que tout se passe bien. Un diagnostic peut être sérieux. Les enfants souffrant de dyslexie, de dyscalculie ou de dyspraxie sont particulièrement concernés. Ils ne sont pas concernés par les méthodes éducatives et n’y arrivent pas. Néanmoins, je pense qu’il y a un progrès.
Le cerveau dépend aussi de l’activité physique. Des études ont montré que le niveau de performance physique et intellectuel chez les enfants a considérablement baissé en 20 ans. Les meilleures performances de 2019 correspondent aux moins bonnes d’il y a 20 ans. Les neurosciences ne règlent pas tout, mais les écrans... Quand j’ai commencé à faire le tour des mairies en 2017, les maires se réjouissaient d’avoir enfin leur tableau numérique en maternelle. Cela m’a vraiment frappée. Je pense que quand on met un tableau numérique en maternelle, c’est difficile, après, d’expliquer aux parents de ne pas montrer la tablette aux enfants. J’ai l’impression qu’on en revient un petit peu. Néanmoins, le mal est fait.
M. Arnaud Saint-Martin, député, rapporteur. – J’ajouterais quelques mots sur les injonctions contradictoires. Les écrans sont présents dans la salle de classe, exposant constamment les élèves à des mécanismes d’habituation et d’inévitabilité. Nous rendons inévitables certaines pratiques. Il faut se confronter aux écrans, c’est la technologie. C’est aussi un marché de vendeurs d’amulettes magiques.
Sur l’impérialisme, je me souviens des cours de Pierre Bourdieu au Collège de France, où il dialoguait avec Jean-Pierre Changeux. Changeux disait que le cerveau est construit à travers les interactions sociales, tandis que Bourdieu insistait sur la dimension de l’habitus du cerveau. Il faut avoir une vision globale, car un humain est une construction sociale. Il faut intégrer toutes les dimensions, dont le cerveau, et déconstruire le préjugé des neurosciences qui abstrait le cerveau de tout cela.
Je pense qu’il faut dépasser cet impérialisme. On a un peu dépassé ce moment. Il y a de plus en plus de colloques et de revues scientifiques qui intègrent davantage l’interdisciplinarité.
S’agissant de la question abordée avec Stanislas Dehaene, les neurosciences dans l’éducation doivent servir les pratiques pédagogiques et la construction des élèves en tant que citoyens autonomes. On a abordé la question des écrans, qui s’impose à nous quoi qu’il arrive. C’est plus qu’une parenthèse. L’échange avec Stanislas Dehaene m’a beaucoup marqué, il y a un vrai problème.
Il y a quelques années, j’ai coordonné un ouvrage intitulé « Les dossiers de l’écran ». Cet ouvrage portait sur les controverses entourant les pratiques éducatives médiatisées par les écrans, ainsi que le discours de l’époque. Nous étions alors des sociologues, des historiens et des spécialistes en sciences de l’éducation, et notre discours était marqué par une certaine prudence : « Attention, il y a une panique morale autour des écrans, il faut prendre du recul, on ne sait pas encore, etc., on verra. » Je reconnais humblement que, à l’époque, je n’avais pas pleinement mesuré les risques associés à la confrontation et à la surexposition aux écrans. Cet ouvrage avait été publié en 2020. Je pense que nous sommes désormais à une nouvelle étape avec les réseaux sociaux numériques et certaines plateformes.
En tant que membre de la commission d’enquête sur TikTok et les jeunes, je constate que cela pose de nombreuses questions en termes de consommation et de surexposition. En effet, ce n’est pas seulement un cerveau qui est captivé, mais un corps entier. Les contenus et les interactions que nous construisons à travers ces plateformes sont complexes, car nous avons affaire à des personnes qui interagissent avec d’autres personnes, plus ou moins éloignées, et qui construisent des rapports à l’autre qui peuvent être problématiques. Je le dis sans pour autant psychiatriser ou pathologiser, mais cela pose des questions. Sherry Turkle, philosophe des techniques, a écrit un excellent ouvrage intitulé « Seul ensemble », qui traite de la construction de l’identité dans les usages numériques. Les enfants socialisent les uns avec les autres tout en restant chez eux. Ils ne sortent pas, ils sont dans leur chambre, et en même temps, ils sont en collectivité, médiatisés par des plateformes et des interfaces, comme WhatsApp, par exemple. Cela construit un rapport à soi et un rapport à l’autre, qui interroge. Nous avons une sorte de distance physique, et cela, je pense, peut avoir des effets majeurs sur les interactions sociales, la façon dont on les construit dans le temps, et aussi sur la construction du corps. Par exemple, vous avez évoqué la diminution de l’activité physique, ce qui est un drame. Les enfants sont dans leur chambre, et c’est autant de temps qu’ils ne passent pas à jouer ensemble dehors.
Tout ce que nous faisions à mon époque, comme construire des cabanes ou faire du vélo... Je me rappelle des cow-boys et des Indiens. Je ne sais pas si les enfants font de même aujourd’hui à travers des jeux vidéo. Mais en tout cas, c’est un autre rapport au réel que nous construisons. C’est aussi le sommeil dont nous avons discuté avec Stanislas Dehaene, qui est toujours un peu plus grignoté par les écrans. Les notifications, on est tenté d’y répondre. Le temps est plus ou moins contraint par les parents. J’ai une application pour contrôler le temps d’écran de ma fille, qui a 11 ans. Elle ne fonctionne pas du tout. Je sais qu’elle sait contourner cette application.
Les enseignants qui arrivent dans la salle de classe sont confrontés à cela maintenant et sont relativement désemparés. Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on interdit, est-ce qu’on contraint, est-ce qu’on accompagne, de façon lucide, dans l’anticipation de ces individus qui sont entrés dedans ? Vous avez cité le Minitel, qui était notre écran de l’époque. Aujourd’hui, on a des enfants qui sont projetés dans une espèce d’océan numérique et je pense qu’il faut les en extirper. Mais cela ne va pas être simple, parce qu’ils sont déjà dedans. Cela pose une question qui est assez fascinante : comment construit-on, comment socialise-t-on les enfants ? C’est un problème de santé publique. Peut-être que c’est le principe de précaution qui devrait s’imposer. Et on coupe une bonne fois pour toutes. Et on remet les enfants dans d’autres formes d’interactions hors écran. C’est une question qu’il faut aborder assez vite. Parce que c’est maintenant que cela se passe. Et dans 10, 15 ans, je ne sais pas à quoi ressembleront ces futurs petits citoyens qui peut-être un jour voteront.
M. Arnaud Bazin, sénateur. – Lorsqu’on aborde les neurosciences auprès du grand public, on y voit immédiatement une imagerie par résonance magnétique, des images colorées.
Ma question concerne donc les technologies. Existe-t-il, sous-jacents à cette technologie, d’autres moyens pour contribuer au développement des théories sur les neurosciences ? Au-delà des perfectionnements de l’imagerie par résonance magnétique, qui a considérablement évolué ces derniers temps, d’autres technologies pourraient-elles élargir le spectre ? Par exemple, le recours à l’intelligence artificielle pour améliorer l’imagerie scientifique du cerveau peut-il contribuer à affermir ou à modifier les théories neuroscientifiques ?
Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l’Office, rapporteure. – Les progrès en imagerie sont constants, notamment en pathologie, où ils sont particulièrement utiles pour la maladie de Parkinson. Des techniques permettent de localiser avec précision les zones pathologiques.
Cependant, qu’en est-il de la physiologie ? Il est important de ne pas négliger des méthodes comme le comportementalisme. L’étude des comportements peut apporter beaucoup. Des expérimentations sur les écrans montrent qu’elles activent certaines zones du cerveau et en atrophient d’autres. Les neurones se développent en fonction des besoins.
On peut imaginer que, chez les enfants qui utilisent de façon excessive les écrans, certaines zones cérébrales seront plus sollicitées et se développeront plus que d’autres, modifiant ainsi le cerveau humain.
Nous possédons les techniques pour analyser ces phénomènes, y compris les processus qui se déroulent pendant le sommeil, comme le rinçage du cerveau la nuit et l’étude des neurones qui y sont impliqués. Il y a des recherches dans de nombreux domaines.
M. Ludovic Haye, sénateur. – Ce travail montre la faculté de l’Office de pouvoir vulgariser un sujet très complexe. Merci pour le travail qui a été réalisé.
J’ai quelques remarques. Autour de la table, nous avons des profils très variés. C’est extrêmement important aujourd’hui d’avoir une vision globale de sujets qui peuvent sembler réservés à un tout petit nombre de personnes qui étudient le développement et le cerveau des enfants.
Je trouve qu’on fait peut-être trop de diagnostics aujourd’hui. On en faisait beaucoup moins à l’époque. Si un enfant a de vrais problèmes et rencontre des obstacles dans l’apprentissage, un diagnostic est important. Mais aujourd’hui, je vois qu’il y a beaucoup de parents qui font diagnostiquer leurs enfants pour savoir s’ils sont des hauts potentiels intellectuels (HPI) et donc leur faire sauter des classes. On est dans une fuite en avant.
J’ai eu un grand moment de solitude la semaine dernière dans un collège où j’étais allé faire une présentation à une classe de troisième. Un élève avait écrit une question sur un bout de papier qu’il a été incapable de lire. L’enseignant lui a demandé de passer le papier à son voisin qui a été incapable de le lire. C’est vraiment inquiétant en troisième.
Les fondamentaux, HPI ou pas, restent essentiels. Il faut savoir lire et calculer au collège. Je voudrais souligner le danger qu’il n’en soit pas ainsi. En tant que promoteur des nouvelles technologies et ancien maire ayant introduit des tableaux numériques, j’ai constaté qu’ils permettaient à tous les élèves de participer, même les plus timides ou ceux ayant des difficultés à écrire au tableau traditionnel. Cependant, le danger réside dans la substitution. Lorsque la technologie remplace l’apprentissage traditionnel, cela pose problème. Il faut que l’enseignant maîtrise la technologie et l’utilise de manière équilibrée. Le danger est que les outils numériques, comme les mots qui se complètent automatiquement, diminuent l’effort cognitif. Ceci participe au développement des neurosciences, qui visent à comprendre l’importance de revenir aux fondamentaux de la lecture et de l’écriture. Je vous remercie d’avoir inclus cela dans la note, car il est essentiel de revenir à ces apprentissages de base pour former des esprits sains.
Je ne parle pas pour moi, mais je pense que nous avons tous ici des têtes bien faites, alors que nous n’avons pas eu ces diagnostics et ces moyens à l’époque. Pourtant, cela ne nous empêche pas de nous adapter. Nous avons peut-être cette chance de n’être pas nés avec ces technologies. Je le dis, c’est une chance, même si nous allons un peu tâtonner, chose que les jeunes d’aujourd’hui ne font pas parce qu’ils sont nés avec.
La semaine dernière, j’ai vu un maire qui avait peu de moyens et a construit progressivement ses projets. Il a rénové l’école, puis a fait une aire de jeux, un city park et des jardins partagés. Il me dit qu’il a une logique : l’enfant est à l’école, puis peut aller sur l’aire de jeux, être seul, et s’il le souhaite, jouer avec des collègues au city park ou travailler collectivement dans le jardin partagé. Je pense qu’il a fait un cheminement où l’élève a le choix entre être seul ou travailler en équipe. Je crois que cela peut avoir du sens de laisser l’enfant se construire et d’aller choisir lui-même ce dont il a envie, ce qui n’est peut-être pas aujourd’hui possible dans une cour d’école ultra-connectée.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l’Office, rapporteure. – Lorsqu’on est pédiatre, on dit qu’il y a plus de parents de surdoués que de surdoués. J’ai constaté cela en commençant la pédiatrie. En tant que parent, on a l’impression d’avoir un phénix à la maison. Cependant, avec l’adolescence, on redescend.
Les parents sont très bienveillants à l’égard des écrans et passent aussi beaucoup de temps sur les écrans. On constate ce comportement partout, même au Sénat ou au restaurant. Pour calmer les enfants, on leur donne souvent une tablette. On ne tolère plus le bruit. Même dans les trains, on ne tolère plus qu’un enfant fasse du bruit. Les outils sont là et deviennent la règle.
Je suis sensible au fait que les parents, qui n’ont pas toujours le discernement nécessaire, font une espèce d’amalgame entre les tableaux numériques et le numérique en général. Ce n’est pas que les tableaux numériques ne sont pas utiles pour les enseignants. En fait, maintenant qu’ils les ont, ils ne veulent plus s’en séparer. Lorsque j’inaugure des écoles, les parents et les enseignants me disent qu’ils veulent conserver les écrans. Mais peut-être pouvons-nous repenser ce modèle.
M. Arnaud Saint-Martin, député, rapporteur. – Je suis radicalement d’accord sur la substitution. La pratique dont il est question est aliénante. On sort de soi, on est concentré par une tâche qui nous mobilise radicalement, au détriment d’une grande variété de pratiques possibles. Cela a un effet de cadrage potentiellement dangereux sur la construction des jeunes enfants et des adolescents.
Il faut veiller à enrichir le panel des expériences possibles pour les enfants, pour que leur construction soit la plus enrichissante possible. Il faut lutter contre une autre variante du rapport à ces technologies qui sont très invasives, c’est le vocabulaire de l’augmentation. On a des enfants augmentés, augmentés par l’expérience numérique, les écrans, etc., qui sortent d’eux-mêmes médiés par ces technologies, avec derrière une dimension de la performance. C’est toujours la métaphore du muscle. On va muscler le cerveau à travers des applications qui vont stimuler la mémoire, et puis avec des systèmes de récompense, de classement, etc.
J’ai vu comment ma fille s’y prend, elle grille les étapes, elle est super contente parce qu’elle est très bien classée, mais en fait elle triche. On a des mécanismes pour stimuler le cerveau, cela participe de la stimulation sous l’angle de l’augmentation, où l’on va faire des espèces de machines à calculer humaines, complètement concentrées par l’effort, qui visent encore une fois la performance en tant qu’elle vous inscrit dans les classements.
Il y a un élément de vigilance aussi du point de vue des parents, à faire attention avec ce genre de pratiques, et aussi sur les faits de verdict de ces catégorisations. Les diagnostics, à un moment donné, vont être puissamment constructeurs du point de vue identitaire. C’est l’effet Pygmalion, c’est assez connu. Il y a beaucoup de mécanismes à déconstruire et à mettre à distance du point de vue de la façon dont on construit les enfants – en tant qu’ils sont clairement à construire.
Il y a des effets de destin, des effets de verdict qui peuvent être tout aussi destructeurs et construire des relations assez malsaines avec l’autre.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Je vous propose d’adopter cette note scientifique. Y a-t-il des oppositions ou des abstentions ? Il n’y en a pas. La note est donc adoptée à l’unanimité.
M. Ludovic Haye, sénateur. – Nous parlions du côté frustrant du format de la note. C’est une note qui pourrait déboucher sur des propositions. Au ministère de l’éducation nationale, il y a déjà eu des propositions sur des programmes d’enseignement. Quand je pense à notre travail sur les débris spatiaux, nous sommes allés jusqu’au dépôt d’une proposition de résolution européenne. Ce sujet-ci le mérite, il faut revenir aux éléments fondamentaux de lecture et d’écriture.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Cela est noté. Je vous remercie.
L’Office adopte la note scientifique « Les neurosciences dans l’éducation » à l’unanimité.
Examen de la note scientifique sur les nouvelles techniques génomiques (Pierre Henriet, député, Martine Berthet, sénatrice, rapporteurs)
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Le deuxième point à l’ordre du jour est l’examen de la note scientifique sur les nouvelles techniques génomiques, qui nous est présentée par nos collègues Pierre Henriet et Martine Berthet.
M. Pierre Henriet, député, premier vice‑président de l’Office, rapporteur. – J’appellerai NTG les plantes issues des nouvelles techniques génomiques. Notre travail se concentre sur la révision de la réglementation qui leur est applicable, actuellement en cours, et qui annonce un changement majeur pour leur développement en Europe.
Ces plantes sont actuellement soumises à la directive européenne applicable aux OGM. Comme ces derniers, les variétés NTG sont donc interdites en France. Le nouveau règlement européen, adopté en première lecture par les trois instances de l’Union européenne, devrait largement leur ouvrir le marché européen.
L’Office s’est déjà intéressé à la question des NTG. Une première étude en 2017 a examiné la technologie CRISPR-Cas9 et les perspectives ouvertes par son usage en agriculture. En 2021, une audition publique contradictoire a réuni des chercheurs, des industriels et des associations pour débattre des intérêts de la technique et de son rôle dans l’adaptation de l’agriculture à la transition agroécologique.
La Commission européenne a publié une étude concluant à l’intérêt de revoir la réglementation des NTG et un nouveau règlement a été proposé à l’été 2023, adopté par le Parlement européen au printemps 2024. C’est dans ce contexte d’évolution réglementaire majeure que nous avons souhaité nous saisir du sujet. Le règlement étant d’application directe, il ne sera pas examiné par le Parlement français. L’Office doit jouer son rôle en informant la représentation nationale des conséquences des choix faits par les instances européennes. Voilà pour ces quelques mots de contexte. Je laisse maintenant Martine Berthet présenter la technologie et les usages, car en tant que pharmacienne, elle est plus compétente que moi pour le faire.
Mme Martine Berthet, sénatrice, rapporteure. – Tout d’abord, quelques mots sur les techniques de modification ciblée du génome ou nouvelles techniques génomiques. Je reviendrai ensuite sur leur usage pour la sélection des plantes utilisées en agriculture.
Les techniques de modification ciblée du génome permettent de réaliser des mutations précises dans le génome en supprimant quelques unités de base de l’ADN, en en modifiant ou en en ajoutant. Ceci est permis par un système composé d’une enzyme et d’un ARN synthétique. Ce système dérive d’un système existant chez les bactéries et dont le rôle est de les prémunir des virus. Il a été co-découvert par la française Emmanuelle Charpentier, récipiendaire du prix Nobel pour cette découverte.
Ces modifications biochimiques modulent la fonction du gène touché. L’opération peut aboutir à l’abolition de sa fonction, à la modification de la protéine correspondante avec plus ou moins de conséquences sur sa fonction, ou à l’ajout d’une nouvelle fonction.
La modification ciblée du génome se distingue de la transgénèse, technique qui aboutit à la formation de ce que l’on appelle communément les OGM ou organismes génétiquement modifiés, en ce qu’elle consiste à insérer un gène étranger dans un génome de façon non ciblée.
Quelle est l’utilisation des NTG en sélection variétale ?
Depuis les débuts de la domestication, l’homme pratique une sélection des plantes basées sur leurs traits de façon à subvenir à ses besoins. Indirectement, il façonne ainsi leur génome. Cette sélection se faisait uniquement sur les caractères apparents des plantes.
Au cours du XXe siècle, on a commencé à agir sur leur génome avec des agents mutagènes pour faire émerger de nombreux variants et sélectionner ensuite les caractères d’intérêt. Il s’agit là de la mutagénèse aléatoire.
Avec l’arrivée des OGM, l’homme a commencé à directement modifier le patrimoine génétique des plantes pour obtenir une certaine fonction. La modification ciblée du génome permise par CRISPR-Cas9 a émergé au cours des années 2010. Elle a rapidement été employée pour modifier le génome des plantes, d’abord pour couper un gène et le rendre non fonctionnel. Les progrès de la technique ont permis d’envisager le remplacement de certaines bases de l’ADN par d’autres pour mimer un allèle présent chez une autre plante et lui conférant des propriétés particulières.
Les promoteurs de la technique souhaitent l’utiliser dans divers objectifs : l’augmentation du rendement, la modification des propriétés nutritionnelles, la résistance à un stress biotique, tel que les ravageurs ou les agents pathogènes, ou encore un stress abiotique, comme le déficit en eau.
Les auditions ont souvent été exclusivement consacrées aux NTG, mais des acteurs comme l’Inrae insistent sur la nécessité d’utiliser la technique comme un outil parmi d’autres au service de la transition agroécologique. La sélection conventionnelle ne doit pas être mise de côté. Elle reste, pour le chercheur Jérôme Enjalbert, la mieux placée pour produire des variétés adaptées aux contextes locaux et pour préserver la diversité des espèces cultivées, essentielle pour une moindre dépendance de l’agriculture aux changements climatiques et aux maladies. Le lien entre diversité des espèces cultivées et pérennité d’un système agricole est bien documenté.
S’agissant des OGM, seuls deux traits ont finalement été massivement cultivés, la tolérance au glyphosate et la résistance aux insectes via la production d’une toxine. Il y a la crainte qu’il en soit de même pour les NTG et qu’ils ne contribuent finalement pas à la diversité cultivée.
Le secteur français de la sélection conventionnelle est une filière d’excellence, malgré l’impossibilité jusqu’ici de se saisir des NTG. La perspective d’un modèle économique calqué sur celui des OGM, avec le rôle déterminant de la propriété intellectuelle, est la principale crainte des opposants aux NTG. D’autres arguments avancés ont trait aux incertitudes liées à la technique, le risque de modifications non contrôlées du génome ou de risques graves et non anticipés. Certains rejettent également l’idée d’une intervention sur le génome des plantes, contraire à leur conception de l’éthique.
Pierre Henriet a présenté le contexte réglementaire. Je mentionne le regret exprimé par nombre de nos interlocuteurs sur le retard pris par l’Union européenne et sur la fuite des cerveaux que ce retard a entraîné. Seuls 10 % des brevets sur des traits NTG sont européens, 80 % sont américains ou chinois. Pierre Henriet va maintenant présenter le projet de réglementation et son évolution.
M. Pierre Henriet, député, premier vice‑président de l’Office, rapporteur. – La Commission a proposé un règlement dédié aux NTG, qui scinde les NTG en deux catégories. Les variétés NTG présentant le moins de modifications sont classées dans la catégorie 1, assimilées à des variétés conventionnelles et ne nécessitant qu’un enregistrement auprès de l’autorité compétente.
Les variétés dont l’altération est plus importante, les NTG2, restent soumises à la directive OGM, avec une possibilité d’allègement du dossier requis pour une variété présentant un critère de durabilité.
Le seuil distinguant les catégories NTG1 et NTG2 est fixé à 20 modifications, comprenant des retraits de tout nombre de nucléotides et des ajouts de 20 nucléotides au plus. Le Parlement européen a tenté de le faire évoluer pour qu’il soit proportionnel à la taille du génome des plantes, mais le Conseil européen a retenu un nombre total de modifications.
Le projet de règlement prévoit un étiquetage du matériel de reproduction végétale pour les NTG1, mais pas du produit. Les produits issus de variété NTG2 sont étiquetés comme tels conformément à la directive OGM. Le Parlement européen a tenté d’étendre l’obligation d’étiquetage aux produits issus de NTG1, mais le Conseil s’est rangé à l’avis de la Commission.
Finalement, le projet de règlement ne permet pas qu’un pays interdise sur son sol la culture de NTG1, mais cela est possible pour les NTG2.
Je vais maintenant revenir sur deux thèmes qui ont fait l’objet d’évolutions notables du texte au Parlement européen et au Conseil. Le premier est l’incitation, via la réglementation, à développer des variétés durables compatibles avec l’objectif de transition agroécologique. Le second est la question de la propriété intellectuelle.
La notion de durabilité a été introduite dans le texte par la Commission. Le Parlement a voulu aller plus loin en faisant du critère de durabilité une condition d’accès à la catégorie NTG1. Le Conseil a écarté les variétés présentant une tolérance aux herbicides de cette catégorie pour leur caractère anti-agroécologique. Cette précaution est saluée par beaucoup d’acteurs.
La question de la propriété intellectuelle cristallise les tensions. Le Parlement européen a souhaité interdire la possibilité de breveter des traits NTG et limiter la portée de tous les brevets portant sur les végétaux. L’Office européen des brevets a modifié son règlement pour que tout nouveau brevet mentionne explicitement que les traits brevetés sont uniquement ceux obtenus par des techniques non essentiellement biologiques. La présidence polonaise a proposé que les espèces NTG1 brevetées ou faisant l’objet d’une demande de brevet figurent dans un registre. Cette transparence est saluée par tous les acteurs. Le brevet suscite un rejet chez les acteurs opposés aux NTG mais aussi chez les promoteurs mesurés, car il peut restreindre l’accès à l’innovation. Pour les industriels, le brevet permet de protéger et diffuser l’innovation par l’attribution de licences. Le certificat d’obtention végétale est privilégié car il permet une innovation incrémentale adaptée à la sélection variétale. L’Association française pour les biotechnologies végétales souhaite que la Commission européenne clarifie la possibilité ouverte aux sélectionneurs d’utiliser des variétés brevetées pour en produire de nouvelles sans licence. Enfin, l’étiquetage et la traçabilité sont également des sujets sensibles.
La plupart des scientifiques affirment qu’il est impossible de détecter les variétés NTG, tandis que d’autres soutiennent que c’est tout à fait réalisable, créant ainsi un flou sur le sujet. Après les auditions, il ressort que lorsque la modification est déclarée et documentée, il est possible de détecter la mutation dans le génome des plantes. Cependant, sans information sur la méthode d’obtention d’une variété, il est impossible de confirmer si une variation observée sur un gène a été obtenue par une technique NTG. Des projets de recherche ont montré qu’il est possible de proposer des scores de probabilité qu’une modification ait été réalisée par une technique NTG en recherchant plusieurs marqueurs ou contraintes liés à la technique employée. Cependant, cette méthode n’est pas encore utilisable de façon usuelle.
La question de l’étiquetage peut être dissociée de celle de la détectabilité. L’étiquetage peut être exclusivement documentaire, comme le proposent la Commission et le Conseil. La filière souligne les coûts importants qu’entraînerait une ségrégation des filières si un étiquetage des produits était retenu. Elle estime qu’il n’y a pas de raison de procéder à un étiquetage si les variétés NTG sont considérées équivalentes à des plantes conventionnelles en termes de risque. Les opposants aux NTG rétorquent que le consommateur a le droit de savoir ce qu’il mange. Il convient de noter que ni les semences ni les produits issus de variétés obtenues par mutagénèse aléatoire, exemptés de la directive OGM, ne sont étiquetés comme tels.
Mme Martine Berthet, sénatrice, rapporteure. – Je vais terminer par le dernier aspect qui a fait l’objet de nombreux débats. Il s’agit de la philosophie même du projet de règlement qui repose sur la technique d’obtention de la variété et non sur ses caractéristiques. Ce n’est pourtant pas l’approche la plus pertinente sur le plan scientifique.
L’EFSA avait proposé une autre approche à la Commission, mais les nécessités de gestion et les risques de devoir étendre cette logique aux variétés conventionnelles ont prévalu. C’est donc une approche fondée sur la technique qui a été retenue.
Le seuil de 20 modifications départage les deux catégories. Les variétés relevant de la première sont quasiment considérées comme conventionnelles, alors que les autres sont soumises à la directive OGM. Ce choix a été fortement critiqué par un groupe d’experts mobilisés par l’Anses, au motif que ce n’est pas la taille ni le nombre de mutations qui compte pour connaître l’évaluation des risques à laquelle est soumise la variété, mais bien la région du génome que ces mutations impactent.
Nous avons exprimé ce regret dans les conclusions de la note. Nous soulignons également la nécessité d’organiser une surveillance post-autorisation des variétés NTG, à la fois environnementale et socio-économique. Nous recommandons la mise en place d’un comité d’évaluation pluridisciplinaire pour examiner les impacts systémiques des variétés NTG sur le système agricole français. Ce comité pourrait être piloté par l’Anses.
Nous avons souhaité que le corps de la note soit factuel et qu’il reflète le contenu de nos auditions. Nous avons exprimé quelques avis dans les conclusions, notamment le regret que la réglementation ne se fonde pas sur les caractéristiques du produit et que les agriculteurs bio ne puissent se saisir de cet outil en l’état actuel de la réglementation.
Nous saluons l’évolution du droit européen qui permettra de déployer un outil pouvant contribuer à la transition agroécologique et à l’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Nous saluons également la volonté de la Commission de revoir régulièrement l’adaptation de la réglementation aux évolutions scientifiques. Pour faire émerger des variétés durables, nous souhaitons que des programmes de développement de variétés NTG durables issus de la recherche académique puissent bénéficier de financements publics. Une communication sur les enjeux de la modification ciblée du génome devrait être mise en place, notamment à l’échelle locale, via des comités de dialogue entre les différents acteurs. Il est nécessaire que le règlement prévoie que toute autorisation puisse être retirée en cas de problème environnemental ou sanitaire lié à une variété NTG. Enfin, nous préconisons que la Commission travaille conjointement avec l’Office européen des brevets pour clarifier les incertitudes restant au sujet des brevets et prévenir toute évolution du secteur vers un oligopole.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Je profite de l’occasion pour remercier nos conseillers scientifiques qui sont à nos côtés non seulement pour mener les auditions mais également pour rédiger. Le sujet a été particulièrement fouillé, avec un nombre de personnes consultées assez impressionnant.
La question qui se pose est de savoir si l’on doit permettre à l’homme de modifier la nature. On entend les impératifs d’adaptation de l’agriculture, notamment pour prendre en compte les évolutions climatiques, le premier objectif de l’agriculture étant et devant rester de nourrir l’ensemble des habitants de cette planète. Est-ce qu’on doit permettre à l’homme de tout faire pour atteindre cet objectif ? C’est une vraie question, presque philosophique. Et j’avoue que je n’ai pas de réponse.
J’ai des questions sur ce qui a amené la Commission à adopter ce seuil de 20 modifications maximum. Pourquoi 20, pourquoi pas 10 ? Est-ce que les opposants sont limités à zéro modification, comme sur les OGM ? Ou est-ce que les opposants sont enclins à accepter un nombre de modifications, mais moindre que 20 ?
Je suis surpris que l’on envisage de ne pas imposer d’étiquetage à partir du moment où il y a une modification de l’espèce naturelle. J’aimerais un éclairage sur ce qui a pu emporter cette décision, cette orientation au niveau du règlement européen.
Mme Martine Berthet, sénatrice, rapporteure. – Pour la catégorie des NTG1, la sélection naturelle conventionnelle conduit à un certain nombre de modifications – entre 30 et 100 modifications parfois. Aussi, le nombre retenu, 20, peut être considéré comme raisonnable. Le choix de ce seuil aurait pu s’appuyer sur une proportion par rapport à la longueur du génome, mais cela n’a pas été retenu. On a toutefois tenu compte du nombre de gènes dans un génome.
M. Pierre Henriet, député, premier vice‑président de l’Office, rapporteur. – Il faut avouer que c’est assez arbitraire, mais une réglementation a cette particularité. Selon les acteurs auditionnés, 20 est une valeur assez standard pour cibler une ou deux modifications de caractères pour la nouvelle variété.
Mme Martine Berthet, sénatrice, rapporteure. – Cela ne préjuge en rien de l’ampleur de la modification qui sera obtenue, ni du type de modification. C’est là-dessus qu’il y a des discussions et que certains auraient préféré que ce soit la caractéristique de la modification obtenue qui soit prise en compte.
M. Arnaud Bazin, sénateur. – C’est la nature même de la modification qui est importante, qu’elle soit faite avec 20 éléments ou 250. La Commission le reconnaît en excluant les traits de résistance aux herbicides. C’est donc ce sujet qui est sur la table, et non le nombre de modifications, qui est totalement arbitraire.
M. Daniel Salmon, sénateur. – Je remercie nos deux collègues qui ont travaillé sur le sujet et mené de nombreuses auditions. Nous sommes dans un périmètre très important, qui touche de nombreuses réflexions.
Sans surprise, étant donné ma sensibilité, nous étions opposés aux OGM. Il n’y a donc pas de raison pour nous de ne pas nous opposer aux NTG, même s’il y a une certaine différence, puisqu’on ne vient pas introduire des gènes provenant d’autres espèces, mais qu’on travaille au sein du génome de la plante même. Les dangers restent pour moi toujours présents, car on vient modifier des génomes et donc potentiellement altérer la formation de protéines.
La sélection conventionnelle a déjà appauvri énormément la diversité des plantes cultivées aujourd’hui, avec des plantes sélectionnées pour leur rendement et leur capacité à être adaptées à des processus agro-industriels. L’exemple du gluten est éloquent : on a sélectionné des céréales qui ont un taux de gluten très important pour faciliter la fabrication industrielle du pain. Aujourd’hui, on constate une augmentation des allergies, ce qui n’était pas le cas il y a quelques dizaines d’années. Un principe de précaution doit s’appliquer ici.
Les réponses à l’adaptation au changement climatique se trouvent déjà dans la nature. Le génie du vivant, bousculé par le changement climatique, s’est toujours adapté, mais souvent sur des temps plus longs. Je pense que les NTG représentent un risque que nous ne devons pas prendre, car cela pourrait conduire à une dissémination de ces espèces. L’expérience des OGM outre-Atlantique montre que les apports ne sont pas à la hauteur. Il y a eu des avancées sur la capacité d’une plante à résister à certains herbicides et insecticides. Cependant, cela n’a pas conduit à une baisse sensible des pulvérisations et a même amené d’autres plantes à devenir résistantes à ces herbicides. Je pense qu’on est dans une fuite en avant. On s’appuie sur des choses, comme les 20 modifications, mais c’est un peu au doigt mouillé. À la différence des OGM, on estime qu’on est plus précis avec la méthode CRISPR, mais on n’est pas encore d’une précision chirurgicale et on ne sait pas exactement ce que l’on fait.
Tout ceci me conduit à être plus prudent que ce qui apparaît dans cette note. Je trouve que les recommandations ont tendance à aller de l’avant. J’ai entendu parler de retard, mais parfois, avoir du retard permet d’éviter des erreurs et d’avoir un coup d’avance. Je ne m’inscris pas dans cette démarche de pousser plus sur les NTG. Derrière, il y a énormément d’intérêts financiers. Les semenciers ont confisqué une partie de la capacité des paysans à être autonomes avec leurs semences. Aujourd’hui, les paysans sont plus ou moins prisonniers d’un certain nombre de semenciers. Tout cela amène une fragilisation du système agricole. Cette vision consistant à aller de l’avant sur les NTG ne me convient pas.
M. Arnaud Saint-Martin, député. – Je partage l’avis de mon collègue Daniel Salmon. Je vous remercie pour ce panorama qui m’a été utile, car je connais peu le sujet. Il est vrai que nous devons prendre des décisions sur un sujet délicat, pour reprendre la catégorie de Stéphane Piednoir. Je suis inquiet de la façon dont cela est mis en œuvre, malgré les garde-fous et une certaine prudence dans l’énonciation de recommandations et d’anticipation des effets contre-productifs.
On voit bien que nous sommes dans le registre de l’inévitabilité de ces transformations, avec des seuils qui sont un peu abstraits. L’argument de la durabilité est souvent utilisé, mais je trouve que cela le rend d’autant plus inévitable : « c’est pour nous adapter aux changements climatiques »… Cependant, je suis dubitatif, car il y a une forme de verdissement de la technique qui m’interroge. Les effets sont potentiellement chaotiques et comme vous le disiez, cher collègue, potentiellement dangereux, risqués sur le vivant, etc. Les garde-fous sont pour l’instant assez fragiles.
La dimension économique est également importante. Il y a des intérêts financiers derrière, notamment l’agro-business qui cherche à prioriser et à vendre des semences.
Il faudrait transformer les pratiques agricoles et, par conséquent, les milieux de l’agriculture, qui pourraient se transformer autrement que par ces technologies. En sociologie de l’innovation, on parle d’innovation par retrait. Plutôt que d’ajouter de nouvelles technologies potentiellement incontrôlables, on se retire de certaines technologies pour des pratiques plus sobres, plus écologiques, vraiment agroécologiques. Je suis à la fois très intéressé par le panorama, mais dubitatif quant aux suggestions et recommandations qui inclinent vers une option qui ne me satisfait pas complètement.
M. Arnaud Bazin, sénateur. – Deux éléments à porter au débat. J’ai suivi l’argumentation de notre collègue Daniel Salmon. Le gluten est un mélange protéique, donc des protéines d’origine végétale. Il s’agit d’un élément d’équilibre du régime alimentaire si l’on diminue les protéines animales. Le gluten n’a pas que des aspects négatifs.
Les allergies au gluten semblent être beaucoup plus rares que ce qui était initialement annoncé. On parle plus d’intolérance, et encore, il semble qu’elle soit surprenante. Le gluten n’est pas forcément le diable non plus. Les choses sont très compliquées.
On peut se demander si l’on peut être les seuls à être en retrait dans la mesure où il y aura des avantages économiques pour la concurrence, y compris en Europe. Nos premiers concurrents sont des agriculteurs européens. Et nous garderions, malgré tout, les inconvénients, ou au moins une partie d’entre eux, puisque si l’on craint les contaminations des cultures, la France n’est pas une île. Est-ce que, dans ce cas-là, le fait d’être seul contre tous a du sens en termes de protection ?
M. Pierre Henriet, député, premier vice‑président de l’Office, rapporteur. – Je voudrais apporter quelques éléments pour compléter la réflexion.
Je ne pense pas que cette note ait pour but de promouvoir les NTG. J’aimerais qu’on puisse l’adopter à l’unanimité, car nous avons voulu y mettre toute la prudence nécessaire face à la réglementation européenne.
Nous avons insisté sur la présence d’un comité d’évaluation pluridisciplinaire pour avoir un regard français sur l’application de ces NTG à l’avenir. Cela n’était pas une obligation européenne, mais je pense qu’il est indispensable en termes de traçabilité et de transparence. Il faut toujours être prudent, car il y a des niches et des écosystèmes locaux qui peuvent tendre vers un modèle de start-up, avec une volonté de vendre un produit sans connaître les effets à l’avance.
Cependant, nous avons des retours d’acteurs déjà présents sur des marchés internationaux, qui montrent des réductions significatives de certains traits, ce qui est vertueux en termes d’approche agroécologique.
Le stress hydrique est un sujet encore peu connu, mais qui pourrait avoir un certain potentiel, à explorer avec prudence.
Enfin, la traçabilité est un sujet qui a été abordé lors des débats au niveau européen. La difficulté est que des mutagénèses peuvent survenir de manière naturelle, ce qui peut affoler le consommateur sans enjeu sanitaire.
Nous revenons sur le débat que nous avons eu tout à l’heure, non pas sur l’approche qui aurait dû être celle d’une codification avec 20 modifications assez arbitraires, mais sur une approche plutôt axée sur le résultat, la conséquence du changement variétal.
Mme Martine Berthet, sénatrice, rapporteure. – En auditionnant des scientifiques de différentes disciplines, ainsi que des personnes favorables et défavorables à ce projet de règlement, nous avons essayé d’être exhaustifs pour produire la note la plus objective possible.
Bien que nous ne puissions pas faire fi de ce règlement européen, qui nous apparaît prudent, notamment en mettant un seuil maximal de 20 modifications pour les NTG1, l’intérêt de cette note est de faire des recommandations sur une application et une surveillance optimales en France.
Ce règlement européen permet de diminuer le risque de concentration des variétés, ce qui est essentiel pour préserver la diversité. Il permet également d’améliorer la qualité nutritionnelle, comme c’est déjà le cas avec des techniques conventionnelles. Par exemple, certaines NTG peuvent augmenter le taux d’acide gamma-aminobutyrique, le GABA, bénéfique pour le cerveau et le cœur. De même, elles peuvent diminuer le nombre d’acides gras saturés, ce qui constitue un aspect positif sur le plan sanitaire. Il faut considérer ces aspects de façon positive, avec un règlement qui reste prudent malgré tout.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Il y a deux points essentiels, selon moi, qui ont déjà été abordés par Daniel Salmon : distinguer les OGM, qui sont des modifications externes du génome de la plante, de ces nouvelles techniques. Il est important de noter que cela ne constitue pas un jugement en faveur ou en défaveur de ces nouvelles techniques. L’objectif est de faire un point d’étape, de savoir où nous en sommes.
J’ai entendu les griefs qui pourraient vous inciter à ne pas voter cette note, ce qui serait regrettable, car notre rôle est de trouver un consensus. En lisant les recommandations, j’ai noté une attention particulière portée à la reprise des essais au champ, un comité d’évaluation pluridisciplinaire chargé d’examiner les impacts systémiques, et des précautions prévues par le Parlement européen pour retirer toute variété posant un problème sanitaire. Les quatre recommandations sont très prudentes et appellent à la vigilance.
Je vous propose deux modifications qui pourraient créer un consensus. La première phrase des conclusions pourrait être reformulée : « les rapporteurs prennent acte de l’ouverture du marché européen (…) », sans jugement de valeur. Et au troisième paragraphe, plutôt que « encourager le développement des variétés NTG durables », je propose le verbe « privilégier ». Peut-être y a-t-il une autre proposition de la part de nos rapporteurs ?
Mme Martine Berthet, sénatrice, rapporteure. – Nous pourrions écrire que l’Office regrette que l’Union européenne ait tardé à établir un cadre.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Mes propositions recueillent-elles un consensus ?
M. Pierre Henriet, député, premier vice‑président de l’Office, rapporteur. – Dans la première phrase des conclusions, Martine Berthet et moi proposons d’écrire que les rapporteurs prennent acte de l’ouverture du marché européen et regrettent le retard de l’Union européenne à encadrer cet outil. Nous supprimerions ainsi la référence faite à un « cadre incitatif ».
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – L’Europe a tardé à « encadrer cet outil », plutôt qu’à « établir un cadre incitatif ». Nous sommes dans la nuance…
M. Daniel Salmon, sénateur. – Pour être honnête, je vois bien les efforts de prudence faits dans la note. Nous sommes également engagés dans ces démarches scientifiques, notre objectif étant d’éclairer le débat en apportant des éléments tout en restant neutres. Nous pouvons donc aller vers ces ajustements.
M. Arnaud Saint-Martin, député. – La note 48, qui parle de l’intérêt potentiel de « quelques agriculteurs biologiques », me paraît vague. Ceci ne concerne qu’une partie de l’agriculture biologique, ce qui rend la spécification de l’intérêt fragile.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Nous ne pouvons pas exclure les agriculteurs biologiques, car ils ont participé aux auditions et ont fourni des retours. Certains d’entre eux ont manifesté un intérêt pour la technologie, tandis que d’autres ont montré une absence d’intérêt. Nous devons prendre en compte ces différents apports.
M. Arnaud Saint-Martin, député. – Pourquoi ne pas nommer ces personnes dans la note pour être plus spécifique ? À ce stade, on a l’impression que deux ou trois personnes, à la suite d’un malentendu, trouvent que la technologie présente un intérêt. Cela me semble un peu allusif et cela dessert l’argument que vous défendez.
Ils ont été auditionnés, donc on peut les citer. « Quelques agriculteurs biologiques » pourraient être des personnes qui n’ont pas été consultées ou qui ont servi de relais auprès des personnes que vous avez consultées. La façon dont vous spécifiez ce groupe me paraît un peu floue.
M. Daniel Salmon, sénateur. – Si l’on interrogeait la filière bio d’une manière globale, ceux qui souhaitent cette incorporation des nouvelles technologies génétiques sont ultra minoritaires.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Il y a des groupes ultra minoritaires dans le pays qu’on entend beaucoup. Donc on pourrait écrire « ils soulignent que certains agriculteurs biologiques souhaiteraient pouvoir se saisir des variétés », etc.
M. Pierre Henriet, député, premier vice‑président de l’Office, rapporteur. – C’est un vrai sujet de fond, au-delà de qui est pour, qui est contre, au sein de la filière bio. Il y a une volonté des principaux acteurs des labels de ne pas inclure les NTG dans les cahiers des charges. Cependant, cela pourrait créer un chemin inverse dans certains cas. Par exemple, en viticulture, la production conventionnelle à l’avenir, avec certaines variétés NTG, pourrait utiliser moins d’intrants que la production viticole bio. C’est pour cela que ce sujet est délicat.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – À l’issue de ces modifications, je vous propose d’adopter cette note. Elle est adoptée à la majorité des membres présents.
L’Office adopte la note scientifique « Un nouveau règlement européen pour les plantes issues des nouvelles techniques génomiques (NTG) ».
Communication sur la réunion du Conseil scientifique (Pierre Henriet, député, Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteurs)
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Le troisième et dernier point de notre réunion sera consacré à une communication sur la réunion du Conseil scientifique de l’Office le 15 mai dernier. Deux sujets étaient à l’ordre du jour : les répercussions des décisions prises par l’administration fédérale américaine sur la recherche et l’usage de l’intelligence artificielle dans les pratiques des scientifiques.
Je rendrai compte du premier sujet et Pierre Henriet présentera le second.
Les membres du Conseil scientifique qui étaient nombreux à être présents le 15 mai dernier se sont inquiétés de l’appauvrissement de la recherche américaine mais aussi de la recherche internationale. L’offensive virulente de l’administration Trump touche tous les secteurs de la science. Les programmes scientifiques arrêtés pour des raisons idéologiques concernent principalement le changement climatique, l’épidémiologie, la virologie, les recherches sur les vaccins, les énergies renouvelables et certains pans des sciences humaines et sociales.
Les autres disciplines scientifiques ne sont pas épargnées, qu’il s’agisse des sciences physiques, des sciences spatiales, ou des sciences de l’ingénieur. Certaines universités prestigieuses, comme Harvard et Columbia, sont attaquées et les missions et le fonctionnement des institutions muséales, archivistiques et de certaines bibliothèques sont également remis en cause.
Depuis, de nouvelles mesures de contrôle des visas pour les étudiants étrangers dans les universités américaines, et également le contrôle des réseaux sociaux, ont été instaurés. Nous observons des coupes budgétaires, des licenciements massifs et un climat d’intimidation généralisé dans les agences fédérales et les universités. Les réductions budgétaires sont considérables, allant jusqu’à 50 % pour les sciences spatiales et 25 % pour l’exploration à la NASA et 24 % pour l’Office sur l’énergie nucléaire. Les dynamiques de coopération scientifique et technologique sont fortement entravées. L’Académie des sciences a témoigné de la difficulté pour les chercheurs étrangers de participer à des réunions internationales aux États‑Unis en raison des difficultés pour obtenir des visas.
Les programmes de recherche sur le climat sont suspendus, notamment ceux impliqués dans le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Le CNRS a confirmé que les scientifiques américains n’y participent plus. Un projet cosmologique important, en phase finale, risque d’être arrêté. Le programme de retour d’échantillons martiens, auquel la France a participé, est également menacé. Une grande inquiétude pèse sur l’avenir du CERN et la physique des particules en raison des restrictions budgétaires qui pourraient toucher des organisations internationales impliquées dans ce projet. Le Conseil scientifique a observé des retraits de financement concernant certaines universités, dont Harvard, menacée de perdre 2,2 milliards de dollars par an. Les membres du Conseil soulignent le climat d’intimidation qui gagne les milieux de la recherche, avec une atmosphère oppressante et une retenue dans les messages reçus de scientifiques établis aux États-Unis.
Le réseau des Académies des sciences d’Europe, Allea, a publié une déclaration encourageant les gouvernements et les institutions internationales à défendre la liberté académique et l’autonomie des institutions scientifiques. Cependant, cette déclaration est diversement suivie selon les pays.
Ces évolutions déstabilisent les jeunes scientifiques, en particulier les doctorants et les postdoctorants, dont la situation est souvent précaire. Une forte proportion de jeunes chercheurs étrangers dans les laboratoires américains pourraient se tourner vers d’autres régions du monde. Cela pourrait représenter une opportunité pour nous d’accueillir des doctorants et post-doctorants qui aspiraient à poursuivre leurs parcours aux États-Unis, comme l’a souligné le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
La destruction rapide de structures, de réseaux, de bases de données et de travaux de recherche aux États-Unis met en danger l’ensemble du système de recherche et du patrimoine scientifique. Les témoignages recueillis font état de conséquences irréversibles. L’importance de disposer de sites miroirs a été évoquée, mais cela nécessiterait des moyens numériques considérables et aurait des conséquences écologiques déplorables.
La crise révèle la fragilité du système international de recherche, très dépendant des États-Unis. Les États-Unis représentent 23 % des publications mondiales sur le climat et 50 % de celles sur la recherche océanographique. Plusieurs scientifiques estiment que la position dominante des États-Unis dans le domaine scientifique aura tendance à s’effacer au profit de la Chine.
Les scientifiques présents ont tiré trois conclusions : les financements annoncés n’apparaissent pas à la hauteur des enjeux, comme en témoigne la conférence Choose Europe for Science organisée à Paris le 5 mai dernier. Ursula von der Leyen a annoncé que l’Union européenne allait mobiliser 500 millions d’euros pour attirer des chercheurs étrangers, notamment américains. La France y consacrerait 100 millions d’euros. Les membres du Conseil scientifique ont déploré la faiblesse de ces sommes au regard de l’enjeu de l’attractivité des carrières scientifiques en France et en Europe.
Il semble ensuite qu’il faille concentrer les efforts sur l’accueil de jeunes chercheurs étrangers, en leur offrant l’opportunité de débuter leur carrière sur le sol français ou européen. L’échelle européenne semble la bonne taille pour mener ces réflexions.
Le Conseil scientifique a enfin appelé à un travail prospectif sur la résilience du système de recherche français et européen, en réaffirmant les valeurs de la science et la liberté académique. L’expertise scientifique joue un rôle central dans l’aide à la décision politique et l’éclairage de l’opinion publique.
M. Pierre Henriet, député, premier vice‑président de l’Office. – Le second thème de la réunion avec le Conseil scientifique était l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans les pratiques des chercheurs. Il en ressort que l’impact de l’IA est déjà très significatif et les perspectives nombreuses. L’usage de l’IA est généralisé, et son importance croissante pour la recherche est illustrée par l’attribution en 2024 des prix Nobel de physique et de chimie à des chercheurs ayant développé ou mobilisé l’IA.
L’IA joue un rôle central dans les sciences de l’ingénieur, pour la réduction des données en astrophysique, ainsi que dans le secteur de la recherche biomédicale et de la santé, où les bases de données sont nombreuses et volumineuses. Elle est également utilisée pour l’analyse des données, la modélisation ou la simulation, et, depuis l’essor des grands modèles de langage (LLM), pour l’aide à la rédaction.
Les disciplines des SHS qui travaillent avec de grandes bases de données, comme les langues, l’économie, l’archéologie, utilisent l’IA par exemple pour la lecture automatique d’écriture ancienne ou l’extraction de données. En philosophie, la validité de ChatGPT en tant que partenaire de discussion est reconnue.
Les chercheurs sont unanimes sur l’intérêt des nouveaux outils d’IA pour le résumé de contenu ou le gain de temps appréciable qu’ils peuvent leur offrir. Les perspectives sont nombreuses, en particulier pour la reconnaissance d’images et la robotisation. Les retours d’expérience des résultats du Cevipof font état d’une performance élevée de ChatGPT pour le commentaire de modèles statistiques.
La première conclusion est que la poursuite de l’adaptation de l’organisation de la recherche aux enjeux de l’IA est nécessaire. Cela signifie qu’il faut approfondir les collaborations entre scientifiques et experts de la donnée. La création de passerelles plus nombreuses entre scientifiques et experts de la donnée et de l’IA apparaît essentielle. Cependant, la difficulté de recruter des experts en IA est patente, ces derniers étant le plus souvent attirés vers des structures privées offrant des rémunérations beaucoup plus avantageuses.
L’attractivité des postes et des carrières dans la recherche publique reste un enjeu de taille, qui nécessite d’investir dans les équipements et les architectures de calcul sous-jacents. De nombreux systèmes actuels ne sont pas adaptés à une utilisation massive de données. À défaut d’investissements dans certaines branches prometteuses de la physique, comme le magnétisme, l’optique ou le quantique, la France connaîtra un retard croissant. Des efforts d’investissement dans les équipements sont indispensables à l’échelle européenne.
Le travail d’évaluation des outils disponibles, notamment des LLM, doit se poursuivre. Ce travail doit permettre de comprendre et d’anticiper les biais culturels que peuvent porter l’entraînement et l’utilisation des modèles. Les chercheurs appellent de leurs vœux la mise en place d’une intelligence artificielle européenne, souveraine et digne de confiance. Il faut réfléchir à la façon de considérer les informations issues des modèles génératifs, notamment être conscient du risque de fausses informations.
Certains membres du Conseil scientifique préconisent de maintenir deux voies parallèles : le savoir-faire avec et sans l’intelligence artificielle. L’utilité de l’intelligence artificielle et les risques liés à son utilisation plaident pour une vision positive mais prudente. Pour garantir une utilisation efficace et éthique de l’intelligence artificielle, un consensus existe sur le besoin de formation massive des chercheurs et des ingénieurs, et la nécessité de garder un esprit critique. Il faut former à l’intelligence artificielle tout en gardant la maîtrise des savoirs fondamentaux.
Le rapport au terrain reste fondamental pour tout chercheur. Les perspectives sont nombreuses mais ce sont les chercheurs qui pensent, pas les machines. Par nature ou par construction, les intelligences artificielles sont capables d’hallucinations, c’est-à-dire de corrélations erronées. La maîtrise des fondamentaux de chaque discipline et le rapport au terrain restent indispensables pour rester maître de son projet de recherche. Il s’agit d’assurer l’explicabilité des modèles d’apprentissage et des résultats en faisant preuve d’un bilinguisme technologique.
L’enjeu de l’exactitude des données utilisées dans les recherches assistées par l’intelligence artificielle est crucial, notamment dans des disciplines comme la recherche clinique, l’évaluation de médicaments ou de protocoles chirurgicaux.
Les membres du Conseil scientifique ont souligné l’importance d’une formation massive des chercheurs à l’intelligence artificielle, en particulier pour comprendre le fonctionnement de l’échange itératif avec les modèles de langage et maîtriser l’art du prompt. Il est indispensable de signaler l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les publications et les travaux de recherche. Cette règle de transparence doit être enseignée dès la formation initiale, surtout dans un contexte où l’outil d’intelligence artificielle générative transforme les façons d’apprendre et d’évaluer les étudiants. Enfin, l’impact environnemental de l’intelligence artificielle est un enjeu éthique majeur auquel l’étudiant et le chercheur doivent être formés.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Je vous propose de formaliser ce compte rendu de la réunion du Conseil scientifique, peut-être sous la forme d’un court rapport, pour prendre acte que l’Office a tenu compte des inquiétudes de son Conseil scientifique.
La réunion que nous avons tenue avec lui a suscité des commentaires extrêmement positifs. Plusieurs membres du Conseil sont venus vers moi à la fin pour me dire que celle-ci avait été vraiment très riche. L’actualité américaine a mobilisé les chercheurs et les académiciens, mais le format de notre réunion a été très apprécié.
Vous avez reçu le texte de nos conclusions, nous y ajouterons le compte rendu complet de la réunion.
M. Arnaud Saint-Martin, député. – Je n’étais pas présent ce jour-là, c’était un jour de niche parlementaire en séance, et j’en étais bien désolé. Il est précieux d’avoir cet état des lieux sur la menace pour la science aux États-Unis. Je me demande pourquoi elle n’est pas davantage qualifiée. On a l’impression d’un processus un peu aveugle. Les États-Unis ne sont pas épargnés, mais par qui ? par quoi ?
La menace est en fait très caractérisée : c’est Trump, son administration, tous les gens qu’il a nommés – qui, pour certains, quittent déjà le navire. Cette menace est qualifiée, obscurantiste, climatonégationniste, elle déteste la science, elle déteste les scientifiques, elle les vire littéralement.
J’ai récemment parlé avec des personnels du Centre national d’études spatiales (Cnes), notamment de la direction des relations internationales, qui ne peuvent pas interagir avec leurs interlocuteurs, même par mail. C’est du maccarthysme, de la censure, de l’autocensure. Certains historiens, comme Timothy Snyder, parlent même de fascisme. Je trouve que la caractérisation que vous faites de la menace est très polie.
M. Pierre Henriet, député, premier vice‑président de l’Office. – Nous avons mentionné l’administration fédérale américaine.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Les membres du Conseil scientifique n’ont pas utilisé ces termes. Nous sommes sur un compte rendu de ce qui a été dit, pas sur notre opinion.
M. Arnaud Saint-Martin, député. – Ils n’ont pas utilisé ces termes ?
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Ils n’ont pas utilisé ces termes.
M. Arnaud Saint-Martin, député. – « Trump », jamais ?
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – « Trump », oui, mais les termes de fascisme, de macchartysme... n’ont pas été utilisés. Nous sommes donc sur un compte rendu de ce qui a été dit.
M. Arnaud Bazin, sénateur. – En ce qui concerne les 500 millions d’euros annoncés par la présidente de la Commission européenne, en savons-nous davantage ? J’ai noté que cette somme était insuffisante. S’agit-il de salaires, de compléments de salaire, d’aide à l’investissement pour des projets, ou bien d’un pur effet d’annonce ?
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Il faut être poli également sur ce point. Nous sommes plutôt en faveur de votre deuxième option. L’enveloppe est insuffisante et étalée sur trois ans. Du côté français, c’est 100 millions étalés sur trois ans.
Le salaire et les conditions de travail d’un chercheur français sont sans commune mesure avec ce que la recherche privée, notamment aux États-Unis, peut offrir.
Il y a eu une annonce, une volonté européenne de lancer quelque chose, mais cela n’ira pas très loin. Je ne pense pas qu’on attirera beaucoup de chercheurs américains avec ce montant en France.
Cependant, il y a un vrai sujet concernant les chercheurs qui se destinaient à partir. Chaque année, on produit des doctorants, des post-doctorants qui aspirent naturellement à aller aux États-Unis. Comment peut-on les aider ? Pour eux, c’est une vraie rupture à très court terme.
La loi de programmation de la recherche (LPR) pourra peut-être être consolidée. Le processus de révision de la LPR, annoncé par le ministre pour cette année, pourrait aborder le sujet de ceux qui ne peuvent pas faire leur mobilité internationale aux États-Unis.
M. Pierre Henriet, député, premier vice‑président de l’Office. – Une précision s’impose, car nous avons abordé le sujet à plusieurs reprises, notamment les annonces qui ont été faites deux jours avant la réunion du Conseil scientifique. Certains chercheurs ont perçu ces annonces comme une provocation, car les budgets actuels ne sont pas à la hauteur des enjeux, notamment en termes de rémunération de carrière pour les chercheurs français. Cela ressortait des échanges informels que nous avons eus. Il faut toujours être vigilant sur ces éléments budgétaires.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Après ces échanges, je vous demande l’autorisation de publier les conclusions que vous avez reçues avec l’intégralité du compte rendu de la réunion du 15 mai. Je vous remercie.
L’Office adopte les conclusions de la réunion du Conseil scientifique et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de la réunion et de ces conclusions.
La réunion s’achève à 11 h 15.
Membres présents ou excusés
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
Réunion du jeudi 12 juin 2025 à 9 heures
Députés
Présents. - M. Pierre Henriet, M. Arnaud Saint-Martin
Excusés. - M. Philippe Bolo, M. Maxime Laisney, Mme Mereana Reid Arbelot
Sénateurs
Présents. - M. Arnaud Bazin, Mme Martine Berthet, M. Ludovic Haye, Mme Florence Lassarade, M. Stéphane Piednoir, M. David Ros, M. Daniel Salmon
Excusé. - M. André Guiol