Compte rendu
Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques
– Audition de Mme Saida Laârouchi Engström, présidente de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2), sur le dernier rapport annuel de la Commission 2
Jeudi 3 juillet 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 211
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Stéphane Piednoir,
président
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
Jeudi 3 juillet 2025
– Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office –
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition1 de Mme Saida Laârouchi Engström, présidente de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2), sur le dernier rapport annuel de la Commission
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Mes chers collègues, je souhaite en votre nom la bienvenue aux membres de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2). La réunion de ce jour a pour but la présentation du rapport annuel de la Commission.
Nous accueillons sa nouvelle présidente, Mme Saida Laârouchi Engström, qui vient de succéder à Vincent Lagneau, nommé directeur scientifique de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR).
Madame la présidente, nous vous avons rencontrée en tant que vice-présidente de la CNE2 lors de la présentation du rapport précédent. Votre expérience étrangère, en particulier celle de la Suède, est une chance pour la Commission, qui bénéficie ainsi de vos compétences et d’un recul utile sur ces sujets éminemment stratégiques qui occupent actuellement le Parlement.
Vous êtes accompagnée par Christophe Fournier, Philippe Gaillochet, Catherine Noirel, tous trois membres de la Commission, ainsi que par son nouveau secrétaire général et conseiller scientifique, Frédéric Launeau.
Le travail que vous menez au sein de la CNE2, à titre bénévole, nous est précieux. Complétant utilement nos travaux, il permet de mesurer si notre pays est à même d’assurer une gestion sûre et responsable des déchets de l’industrie nucléaire.
Votre rapport n° 19 comporte huit chapitres : la disponibilité de l’uranium naturel ; les usines du cycle de combustible ; la préparation d’une filière de réacteurs à neutrons rapides ; l’assainissement et le démantèlement au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ; les déchets de faible activité à vie longue ; l’attractivité et le recrutement de compétences dans la filière nucléaire ; le projet Cigéo, pour lequel vous nous rendrez un rapport sur le dossier de demande d’autorisation de création (DAC). Un autre chapitre répond à l’une de mes préoccupations, celui consacré à l’insertion territoriale des petits réacteurs modulaires (en anglais, SMR) et à l’acceptabilité de ces projets conduisant à créer de nouveaux sites nucléarisés.
Mme Saida Laârouchi Engström, présidente de la CNE2. – Messieurs les députés, messieurs les sénateurs, notre rapport fait suite au discours prononcé par le Président de la République le 10 février 2022, à Belfort, et au quatrième conseil de politique nucléaire réuni le 17 mars dernier, fixant la direction des travaux à réaliser et à préparer pour la relance du nucléaire.
Dans ce contexte, nous y traitons de la disponibilité de l’uranium naturel au regard de la relance internationale du nucléaire et de la situation géopolitique, des usines du cycle, du développement des réacteurs à neutrons rapides, de la formation et du recrutement, de l’assainissement et du démantèlement au CEA, indispensables pour avoir la confiance de toutes les parties prenantes du cycle complet du nucléaire, des déchets de faible activité à vie longue, du dossier de demande d’autorisation de création (DAC) de Cigéo et de la perception et la préparation de l’implantation des SMR dans les territoires.
Les membres de la CNE2 exercent leur fonction bénévolement. Indépendants de la filière nucléaire française, ils couvrent des domaines d’expertise variés : chimie, physique, sciences nucléaires, sciences des matériaux et sciences de l’ingénierie, géologie, hydrogéologie et sciences environnementales et sociales.
La Commission a pour mission d’évaluer les travaux scientifiques et technologiques relatifs au traitement, à l’utilisation, à l’entreposage ou au stockage des matières et déchets radioactifs. Elle éclaire le Parlement sur les décisions à prendre concernant le cycle du combustible nucléaire, en tenant compte de leurs effets économique, sociétal et environnemental.
La CNE2 auditionne l’ensemble des acteurs du nucléaire tout au long de l’année et effectue des visites techniques en France et à l’étranger. Elle remet à l’OPECST un rapport annuel faisant un point d’étape sur les études et recherches relevant de sa mission en France et à l’étranger. Ce rapport est transmis au Parlement puis rendu public. Il est présenté au comité local d’information et de suivi (CLIS) du laboratoire de Bure.
La composition de la prochaine Commission devrait être renouvelée après le mois de mars. Elle compte actuellement quatre experts étrangers : un Belge, une Suédoise, un Luxembourgeois et un Espagnol.
Compte tenu des projections mondiales de développement du nucléaire, les besoins en uranium naturel devraient être multipliés au moins par deux à l’horizon 2050. Au vu des ressources existantes, la couverture de la demande devrait être assurée jusqu’à la fin du siècle, à condition que le marché reste ouvert. Les moyens prévus en France pour faire face à une crise conjoncturelle semblent adéquats. La Commission s’interroge cependant sur la pérennité de la disponibilité de l’uranium dans un monde peu prévisible sur un plan géopolitique. Dans la mesure où les orientations de mix énergétique envisagées par la France contiennent une part significative de nucléaire, la disponibilité de l’uranium revêt un caractère stratégique. Le risque paraît donc suffisant pour justifier la mise en place de mesures assurantielles concrètes visant à atteindre l’indépendance de la filière nucléaire française en matière d’uranium naturel.
Dans ce contexte, les usines du cycle deviennent très importantes. La Commission observe que la coordination des acteurs a été très largement améliorée. Les objectifs pour l’aval du cycle du futur sont partagés par les industriels et le CEA, qui ont présenté une stratégie commune pour les atteindre.
La fermeture du cycle inclut le déploiement d’un parc de réacteurs à neutrons rapides en substitution totale ou partielle aux réacteurs actuels à eau pressurisée (REP), avec ou sans étape intermédiaire de recyclage du plutonium en REP.
Quelle que soit la trajectoire, cela nécessitera la mise en œuvre de nouveaux procédés dans les usines de l’aval du cycle. La Commission note qu’au stade actuel des études, le procédé de séparation Pumas se révèle prometteur. Il serait plus performant que l’actuel procédé Purex pour retraiter le combustible usé. En outre, il permettrait de retraiter efficacement les assemblages de combustibles usés riches en plutonium comme le MOX-REP et, à terme, le MOX-RNR.
La Commission observe avec satisfaction la synergie entre le CEA et Orano, indispensable pour la qualification industrielle du procédé.
La Commission recommande que l’industrie se donne tous les moyens pour qualifier le procédé Pumas dans un calendrier compatible avec son intégration dans la nouvelle usine dès la phase d’avant-projet détaillé, en prolongeant au besoin la durée d’exploitation de l’usine actuelle de retraitement des combustibles usés.
La Commission estime que la situation des entreposages des combustibles usés est maîtrisée. Afin d’optimiser l’utilisation des capacités d’entreposage actuelles et à venir, plusieurs leviers sont prévus : densification des paniers d’entreposage dans les piscines actuelles de La Hague ; extension de la parité MOX sur le panier des réacteurs de 900 mégawatts (MW) moxés ; utilisation du MOX sur le panier des réacteurs 1300 MW. À plus long terme, l’aval du cycle du futur inclut un agrandissement des capacités d’entreposage à La Hague. La Commission continuera à observer avec attention le bon déroulement des projets à court et moyen termes visant au renforcement des marges.
Dans la perspective de la fermeture du cycle, les travaux sur les RNR de puissance nous ont été présentés conjointement par les différents acteurs que sont le CEA, EDF et Framatome. Ils s’appuient sur une esquisse de spécification du besoin proposée par EDF sous l’appellation « RNR-1000 », ou « réacteur filière ». La Commission observe que les connaissances accumulées par la filière française des RNR au sodium (RNR-Na) constituent un socle d’expertise facilitant la mise au point d’un RNR de génération IV.
La responsabilité de la conception et de la construction d’un futur RNR constituant un projet industriel doit être confiée à un industriel. Ce projet devra être soutenu par une maîtrise d’ouvrage forte assurant une direction efficace des maîtrises d’œuvre, afin de piloter de manière globale les performances, les coûts, les délais et les interfaces.
Enfin, la stabilité, pendant toute la durée du projet, du besoin à satisfaire, de l’architecture et des principales options de conception du réacteur est essentielle.
La Commission recommande que le programme de travail qui sera remis à l’État en réponse à la demande du conseil de politique nucléaire englobe l’ensemble des éléments nécessaires à la fermeture du cycle : infrastructures de recherche indispensables, accès à des outils d’irradiation, parc de réacteurs à neutrons rapides, combustible associé à des usines de l’amont et de l’aval du cycle.
La Commission recommande d’intensifier les travaux relatifs aux coûts des RNR-Na de puissance, en évaluant l’intérêt de toutes les pistes envisageables de réduction des coûts, y compris, le cas échéant, celles issues des travaux des porteurs de projets de réacteur modulaire avancé (AMR) à neutrons rapides.
La Commission insiste sur la nécessité que les formations aux métiers du nucléaire couvrent tous les niveaux de qualification. Il est souhaitable que les formations de techniciens se trouvent au plus près des bassins d’emploi. La Commission recommande que les grands donneurs d’ordre du nucléaire soutiennent les filières techniques de formation aux métiers non nucléaires impliqués dans la construction et la maintenance de nouveaux réacteurs. Pour construire ces installations, il n’est pas seulement besoin de physiciens et d’experts, mais aussi de soudeurs, d’électriciens et d’autres métiers, exigence que la France partage avec le reste du monde.
La Commission approuve l’existence au CEA d’une activité de recherche et développement (R&D) soutenue venant en appui à son programme d’assainissement et démantèlement. Elle recommande que la stratégie à court et moyen terme du CEA pour ces opérations, globalement pertinente, soit complétée par une planification à long terme faisant apparaître le calendrier envisagé pour le démantèlement complet des installations.
La Commission estime que la méthode proposée par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), avec l’appui du CEA et d’Orano, permet une clarification des inventaires de déchets potentiellement admissibles dans un stockage de subsurface. Cette méthode permet d’apprécier le potentiel d’un site à recevoir des déchets de faible activité à vie longue (FAVL), même si les critères d’acceptabilité spécifiques devront être établis lors des études de sites réels par type de colis et par famille. La Commission recommande que toute décision de reclassement des déchets de moyenne activité et à vie longue (MAVL) en FAVL ne soit prise qu’après identification d’un exutoire pour la famille considérée. Elle note que le site de la communauté de communes Vendeuvre-Soulaines pourrait convenir pour les déchets radifères contenant des radionucléides fortement retenus par les argiles. La Commission recommande que les études soient poursuivies sur ce site.
Parallèlement à notre rapport, nous avons travaillé sur le dossier de DAC du projet Cigéo. La Commission a analysé les piliers scientifiques et techniques de l’évaluation de la sûreté à long terme et la démonstration de la récupérabilité. La sûreté à long terme est certes gérée par l’Autorité de sûreté nucléaire mais, pour la Commission, il s’agit de réaffirmer le socle scientifique et la robustesse de ces analyses faisant appel à plusieurs compétences et disciplines.
Par ailleurs, elle a examiné des questions transverses, parmi lesquelles la phase industrielle pilote, la réversibilité et la stratégie de fermeture. La Commission publiera, à la fin de l’année, son rapport sur le dossier de demande d’autorisation de création de l’installation de stockage Cigéo.
Enfin, le rapport n° 19 traite de la perception de la préparation d’implantation des petits réacteurs modulaires SMR. Nous avons demandé aux start-up que nous avons auditionnées quels étaient leurs plans pour l’insertion de leurs implantations dans les territoires, La Commission insiste sur la nécessité d’engager le dialogue le plus tôt possible dans le processus de recherche de sites et elle estime qu’il convient de clarifier la répartition des rôles dans le dialogue avec les parties prenantes, à savoir la start-up, le titulaire de l’autorisation d’exploitation du réacteur, s’il est différent, et le client industriel. Nous avons constaté de la part des start-up une surestimation du rôle de la Commission nationale du débat public (CNDP).
La Commission souligne que la conduite du dialogue doit toujours revenir au futur exploitant du réacteur, mais elle recommande aux clients industriels de ne pas se désengager de la concertation, car ils seront acteurs du projet nucléaire et, à ce titre, inévitablement impliqués dans les débats à venir. Rappelons qu’il s’agit d’acteurs nouveaux de l’industrie nucléaire ; il faut les aider à comprendre comment s’opère le dialogue dans cette industrie.
M. Bruno Sido, sénateur. – Quelle est votre conception du concept de récupérabilité, sans doute introduit dans le projet Cigéo pour calmer les esprits ? Sous quel délai et à quelles conditions la prévoir ? Est-on sûr, pour reprendre vos propres termes, que les galeries ne vont pas s’ovaliser, ce qui rendrait toute récupération impossible ? Quel est l’intérêt de récupérer des déchets dont on ne sait que faire ?
Mme Saida Laârouchi Engström, présidente de la CNE2. - La récupérabilité est nécessaire durant la phase d’exploitation. Pour une raison ou une autre, on peut être amené à récupérer des colis après avoir identifié un élément non conforme aux règles de sûreté fixées dans le décret d’autorisation de création. La récupérabilité est liée à la réversibilité telle qu’elle est définie dans la loi. En matière de récupérabilité et de réversibilité, la France a d’ailleurs montré la voie à l’Europe, y compris à la Suède, puisque nous avons en grande partie suivi ses préconisations à l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN).
Certes, la récupérabilité a une fin, son horizon ne s’étend pas sur un millénaire, mais on doit pouvoir récupérer des colis pendant la phase d’exploitation. Cela reste possible au fil des scellements, tout en devenant de plus en plus difficile. À long terme, on sera conduit à peser le pour et le contre après le scellement des galeries, car n’oublions pas qu’il est aussi coûteux de récupérer que de stocker.
M. Philippe Gaillochet, membre de la CNE2. – La loi de 2016 distingue réversibilité et récupérabilité. Je la cite : « La réversibilité est la capacité pour les générations successives, soit de poursuivre la construction, puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion. […] La récupérabilité est une mise en œuvre de la réversibilité consistant en la possibilité de récupérer les colis de déchets déjà stockés selon les modalités et pendant une durée cohérente avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage ». En cas d’avarie d’un colis, vaut-il mieux l’extraire pour le remonter en surface ou le stocker d’une autre manière ? Tout dépend de la stratégie d’exploitation. Il est trop tôt pour fixer un terme à la récupérabilité. La meilleure solution serait sans doute de réinstaller ce colis différemment dans le stockage, car une fois de retour en surface, on ne saurait qu’en faire. Cela dit, la récupérabilité est nécessaire, elle est prévue par la loi et elle doit être envisagée avec un terme qui est la fermeture du centre de stockage.
M. Maxime Laisney, député. – Mes questions portent sur le « parcours » du combustible – cela fait plusieurs décennies que l’on espère « fermer » le cycle, ce qui signifie qu’actuellement, il n’y a pas de cycle. Vous dites que dans un monde où la géopolitique suscite des inquiétudes, il est prudent de prendre des « mesures assurantielles concrètes ». De fait, 40 % de notre uranium proviennent du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan et de ce fait passent par les mains de Rosatom, qui malheureusement achète des parts supplémentaires dans des mines un peu partout dans le monde. Qu’entendez-vous par « mesures assurantielles concrètes » ?
Le projet Cigéo a vingt ans de retard et coûte plusieurs milliards d’euros. La Cour des comptes pointe des ressources financières non garanties et un risque d’arrêt à chaque renouvellement de contrat avec les exploitants. Qu’entraînerait un arrêt pour manque de ressources ?
Un article de Mediapart évoque la gestion des déchets étrangers en provenance du Japon et d’Allemagne. La loi interdit le stockage de déchets étrangers mais une disposition permet de recourir à un équivalent. On retraite en France des déchets de pays étrangers auxquels on renvoie des déchets français pour éviter de saturer nos installations. L’ASNR estime que « le principe du recours à un équivalent ne doit pas être utilisé pour contourner l’exigence du retour chez l’envoyeur étranger et ne doit pas conduire à une modification significative des besoins d’installation d’entreposage ou de stockage ». L’ASNR ajoute que l’accueil des déchets en provenance du Japon grignote 62 % des marges de Cigéo. Qui est qualifié pour apprécier cette « modification significative des besoins » ? Si on a déjà grignoté plus de la moitié des marges de Cigéo avec des déchets d’origine étrangère, faudra-t-il agrandir ce centre ou engager un nouveau projet de stockage ? En attendant, il faut bien entreposer les déchets retraités.
Quant à La Hague et au Cotentin, le projet d’aval du futur prévoit la densification des nouvelles piscines et de nouvelles usines de retraitement, ainsi qu’une nouvelle usine de fabrication du MOX. Avez-vous réalisé des études sur la consommation en eau et en énergie de ces installations, leurs effluents gazeux et leurs effluents en mer ?
Mme Catherine Noiriel, membre de la CNE2. – La France a pris des mesures concrètes pour faire face à la crise conjoncturelle. Elle diversifie ses sources d’approvisionnement en uranium naturel. Le Kazakhstan est un acteur majeur mais il n’est pas le seul. Il existe des réserves stratégiques et les différentes étapes de retraitement des assemblages de combustibles usés permettent d’envisager de valoriser l’uranium et le plutonium, aujourd’hui par le combustible MOX et potentiellement dans le futur par le multi-recyclage en REP (MRREP). La mesure assurantielle la plus concrète, ce sont les stocks conséquents d’uranium appauvri présents sur le territoire, qui seraient de plus une étape vers les RNR, qui ne font plus entrer d’uranium naturel dans le cycle même si l’on n’en dispose pas pour l’instant.
M. Christophe Fournier, membre de la CNE2. – Nous n’avons pas fait d’analyse précise du rapport de la Cour des comptes sur le financement de Cigéo. La loi prévoit le provisionnement de ce financement par les producteurs. Il revient à la Cour des comptes d’examiner s’ils appliquent la loi.
M. Philippe Gaillochet, membre de la CNE2. – Les mesures assurantielles se caractérisent par leurs différentes échéances. La première mesure assurantielle est la possibilité de réenrichir l’uranium appauvri, qui correspond à environ huit années de consommation d’uranium naturel. La deuxième est l’amplification de l’utilisation de l’uranium de retraitement. Il n’est encore utilisé que dans un réacteur, à Cruas, mais il est prévu, à plus long terme, d’en généraliser l’utilisation. La généralisation du MOX, associée au multi-recyclage du MOX, permettra de s’affranchir encore un peu plus de l’uranium naturel. En combinant ces mesures assurantielles, on estime pouvoir éviter, à court ou à moyen terme, 20 à 40 % de la consommation d’uranium naturel.
On ne ferme pas le cycle complètement, mais on commence à le fermer puisqu’on réutilise l’uranium de retraitement et le plutonium dans le MOX.
À très long terme, la seule façon de se libérer entièrement d’un approvisionnement extérieur est le passage aux RNR de génération IV, avec au début un fonctionnement en parallèle avec un parc de REP, mais en vue d’atteindre progressivement une autoconsommation de plutonium suffisante pour alimenter l’ensemble du parc. L’indépendance totale à l’égard des approvisionnements extérieurs est probablement pour la fin du siècle. C’est ce qu’on appelle une mesure assurantielle.
Mme Saida Laârouchi Engström, présidente de la CNE2. – Le recours aux « équivalents déchets » n’est pas une pratique exotique, puisqu’elle a cours entre tous les pays. Par exemple, la Suède a fait retraiter ses combustibles usés il y a très longtemps et elle a fait avec la France un waste swap, un échange de déchets. Nous reprenons des déchets compatibles avec les normes du centre Cigéo. Les déchets que nous allons échanger avec le Japon seront compatibles avec les critères retenus pour Cigéo. Contrairement à ce qu’il est écrit dans l’article de presse qui a été cité, nous n’aurons pas à faire d’ajustements, parce que c’est déjà fait.
Je m’étonne du chiffre de 62 % concernant les déchets en provenance du Japon et d’Allemagne.
M. Maxime Laisney, député. – C’est le pourcentage des marges de Cigéo consommé par ces déchets !
Mme Saida Laârouchi Engström, présidente de la CNE2. – Ce n’est donc pas 62 % de la capacité de Cigéo.
M. Maxime Laisney, député. – C’est vrai, mais cela représenterait 11% de la capacité de Cigéo.
Mme Saida Laârouchi Engström, présidente de la CNE2. – C’est possible, mais du point de vue de l’entreposage et des critères d’acceptation de Cigéo, cela ne pose pas de problème, parce que l’échange des déchets ne s’opère qu’en pleine compatibilité avec le stockage dont le projet est en cours d’instruction.
M. Philippe Gaillochet, membre de la CNE2. – Nous avons longuement examiné le sujet des marges d’entreposage de l’usine de La Hague. Les mesures visant à densifier les installations existantes nous paraissent suffisantes et bien programmées.
Ceci étant, le renouvellement des installations de retraitement de La Hague s’accompagnera de la construction de la fameuse piscine centralisée qu’EDF avait voulu y implanter avant d’y renoncer, parce qu’aux yeux des populations, ce projet prenait une allure d’entreposage définitif. En fait, l’inclusion des piscines dans le projet de renouvellement des installations de La Hague est révélatrice d’un projet cohérent : il s’agit d’un entreposage d’une durée limitée en vue d’un retraitement.
Nous accordons une grande importance au sujet nouveau de la tenue des combustibles, en particulier des MOX entreposés. Il est évident que garantir la bonne tenue des combustibles entreposés est une question centrale pour la fermeture du cycle. Nous y serons très attentifs dans les mois qui viennent.
Mme Catherine Noiriel, membre de la CNE2. – Nous n’avons pas fait d’études sur les consommations d’énergie, d’eau ou sur les effets sur l’air des nouvelles usines du cycle, mais le changement potentiel de procédé de retraitement évoqué dans le rapport ne devrait pas être sans effet positif. Passer du procédé Purex au procédé Pumas se traduirait, du point de vue environnemental, par une diminution d’émissions de déchets azotés, et passer d’une molécule du tributylphosphate, ou TBT, à un monoamide pour extraire de l’uranium et du plutonium, supprimerait tous les déchets phosphatés.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l’Office. – Le conseil de politique nucléaire réuni en mars dernier a confirmé l’ambition de la France de fermer le cycle du combustible dans la seconde moitié du siècle. Est-ce une échéance réaliste ?
M. Philippe Gaillochet, membre de la CNE2. – La France bénéficie d’un très large acquis en matière de réacteurs à neutrons rapides. Des installations comme la centrale Phénix ont fourni énormément de données. Superphénix a fini par fonctionner après une phase de déverminage. Le projet Astrid a permis d’entretenir les compétences, même s’il a été interrompu parce qu’il fallait en arriver à l’étape de la construction d’un démonstrateur et que les ressources financières manquaient. Le socle de connaissances disponible pour les réacteurs de génération IV est un atout considérable de l’industrie française.
La fermeture complète du cycle pourrait intervenir à la fin du siècle. Il faudra commencer par construire un démonstrateur, en tirer un prototype industriel, panacher le parc électronucléaire REP avec un parc de réacteurs de génération IV, ce qui devrait commencer au début de la seconde moitié du siècle. Ceci dit, la fermeture complète du cycle, incluant l’abandon complet du recours à l’uranium naturel importé, donc l’autosuffisance du parc, est pour plus tard, après que toutes les constructions nécessaires seront devenues opérationnelles, c’est-à-dire plutôt pour la fin du siècle.
Ce projet à très long terme revêt une importance capitale, dans la mesure où la Commission estime qu’un sérieux problème d’approvisionnement en uranium se posera avant la fin du siècle. Le nucléaire étant de plus en plus reconnu comme une solution d’approvisionnement énergétique compatible avec la lutte contre le changement climatique, les besoins en uranium vont augmenter et il faudra faire face à des pénuries. C’est cette politique à très long terme que le conseil de politique nucléaire a commencé à requérir. Il faudra donc commencer assez rapidement à réintroduire une filière de génération IV capable de s’affranchir de la dépendance énergétique extérieure.
M. Arnaud Bazin, sénateur. – Les connaissances acquises grâce à Phénix, Superphénix et Astrid peuvent-elles perdurer sans être entretenues par des personnes physiques travaillant directement sur le sujet ? Autrement dit, pouvons-nous nous permettre de rester un moment sans projet de ce genre sans perdre l’acquis que vous indiquez ?
M. Philippe Gaillochet, membre de la CNE2. – Cet enjeu est la raison pour laquelle la Commission s’est intéressée à la formation et au recrutement. La génération qui a travaillé sur les réacteurs à neutrons rapides devant bientôt quitter ses fonctions, il est impératif d’assurer la transmission efficace des connaissances.
Nous croyons d’autant plus à la possibilité de recruter des ingénieurs ou des chercheurs qu’il ne s’agit pas d’entretenir un parc en fonctionnement, mais de participer à des projets ambitieux de recherche et développement à moyen et long terme. Un coup de barre a été donné. L’arrêt d’Astrid avait suscité des craintes sur la pérennité des compétences en France, mais la situation s’améliore. Si affirmer la volonté de recruter 10 000 ingénieurs par an pendant dix ans pour la filière nucléaire paraît trop ambitieux, voire irréaliste, en revanche, pour des projets de R&D à moyen et long terme, nous sommes relativement confiants.
D’autres pays relancent leurs projets de construction de réacteurs de génération IV. C’est évidemment le cas de la Chine, présente partout, c’est le cas du Japon qui cherche à tourner la page du réacteur Monju pour créer un nouveau RNR, et c’est le cas des États-Unis, dont les projets d’AMR font appel à des technologies incluant des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium.
Les choses changent. En incluant SMR et AMR, France 2030 a renouvelé l’image du nucléaire. Vous avez raison d’insister sur la transmission et la pérennisation des compétences, mais nous sommes sur la bonne voie. Concernant les recrutements, nous avons des indications positives, mais il convient d’y rester attentif.
M. Émeric Salmon, député. – Vous soulignez dans le rapport le désintérêt des ingénieurs issus des grandes écoles pour les métiers de l’industrie et la baisse des effectifs de l’enseignement scientifique dans le secondaire, notamment des jeunes filles, depuis la dernière réforme du baccalauréat. Faut-il remettre en cause cette réforme ou développer la pédagogie en direction des potentiels futurs diplômés, afin qu’ils retrouvent un intérêt pour l’industrie, en particulier pour le nucléaire ?
Mme Saida Laârouchi Engström, présidente de la CNE2. – D’autres pays connaissent une situation comparable. Pour inciter les jeunes à s’investir dans le nucléaire, il faut prendre des décisions claires sur l’avenir de cette industrie. Si, comme en Suède, on « danse le tango » entre plus et moins de nucléaire, les jeunes ne s’investiront pas dans des formations scientifiques liées au nucléaire. Ils iront ailleurs.
M. Philippe Gaillochet, membre de la CNE2. – Nous avons enquêté auprès des grands donneurs d’ordres afin de connaître leurs projets et leurs réalisations en matière de recrutement. Il n’y a de difficulté ni pour EDF, ni pour Orano, ni pour le CEA, mais leurs directions des ressources humaines sont pleinement conscientes de ce que les méthodes de gestion du personnel doivent évoluer. Les nouveaux ingénieurs souhaitent que la date de réalisation des projets qu’on leur confie ne soit pas trop éloignée. Ils sont friands de mobilité professionnelle, c’est-à-dire de parcours de formation et de responsabilités diversifiées favorisant une évolution de carrière.
De plus, dans tous les pays, la rémunération des cadres débutants est aberrante. Les ingénieurs sont sous-payés par rapport aux diplômés des écoles de commerce. Il y a parfois des écarts de 15 000 à 20 000 euros de rémunération annuelle entre le secteur de la finance et celui de l’industrie. Il ne faut donc pas chercher très loin les causes des difficultés de l’industrie française.
Les jeunes ingénieurs sont attirés par les start-up qui offrent une mobilité de carrière et des responsabilités plus larges. L’industrie doit revaloriser les rémunérations et mettre en place des organisations de carrières professionnelles séduisantes pour les jeunes ingénieurs.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l’Office. – Vous évoquez une capacité de stockage de dix ans, des procédés de réenrichissement pour faire face aux besoins et, en miroir, l’absence d’exploration minière en France. En cas de crise conjoncturelle, serait-il possible de réactiver une telle exploration ? Des gisements situés en Dordogne représenteraient environ deux ans de consommation nationale, mais existe-t-il d’autres ressources géologiques potentielles ? Vous écrivez que l’Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi) pourrait réaliser des stress-tests. Existe-t-il de sa part une volonté d’identifier des sites géologiques stratégiques ? Ce n’est pas l’impression qui domine, en l’absence de besoin, alors que vous êtes prudents sur la conjoncture internationale et le risque de fragilisation rapide de la « route de l’uranium ».
L’Ofremi pourrait-il augmenter sa capacité d’identification de sites géologiques stratégiques, notamment grâce aux nouvelles technologies d’extraction d’uranium à partir de l’eau de mer ? La Chine a de l’avance dans cette technologie, mais je ne suis pas sûr que la réglementation française l’autorise.
Mme Catherine Noiriel, membre de la CNE2. – L’exploration minière renvoie aux notions de ressources et de réserves. La réserve est la part quantifiée de la ressource techniquement et économiquement exploitable. L’exploration dépend pour beaucoup du cours de l’uranium. Un cours élevé induit de nouvelles explorations, tandis qu’un cours faible n’incite pas à investir dans l’exploration. Tant la réserve que les ressources sont des éléments dynamiques.
On distingue plusieurs types de ressources en fonction du degré de confiance et de la quantification de la matière première exploitable. Des ressources mesurées supposent une exploration poussée, la quantification précise des gisements et du tonnage extractible avec un bon niveau de confiance. Des ressources un peu moins mesurées sont identifiées grâce aux travaux d’exploration mais leur quantité exploitable reste incertaine. Il y a enfin les ressources inférées et celles que l’on ne connaît pas mais qui pourront être découvertes par exploration.
On a une bonne idée des gisements d’uranium en France, puisque certains ont déjà été exploités. On peut en trouver de nouveaux, mais les ressources doivent être facilement accessibles et exploitables pour devenir des réserves. On estime à deux ans la durée d’exploitation potentielle du site identifié en Dordogne. Cela permettrait de pallier une difficulté conjoncturelle, mais il semble difficile d’ouvrir une mine pour deux ans, compte tenu des coûts d’investissement élevés.
Depuis une trentaine d’années, on réalise des recherches sur la récupération d’uranium dans l’eau de mer. Elle est faisable grâce à la récupération de molécules associables, mais l’uranium est très peu concentré dans l’eau de mer. Le sujet n’est pas de récupérer les quelques parties par million (ppm) ou par milliard (ppb) d’uranium contenues dans l’eau de mer, c’est le volume à traiter pour en obtenir une quantité suffisante. Des publications font état de coûts de récupérabilité compétitifs avec les coûts moyens actuels – 100 à 130 dollars –, mais s’il faut prospecter toute l’eau de l’Atlantique ou du Pacifique, je suis plus réservée sur la faisabilité actuelle de la récupération d’uranium.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – Merci de la présentation de votre rapport que nous suivons toujours avec grand intérêt.
En évoquant l’ensemble de la filière, de l’extraction de l’uranium naturel à la gestion des déchets, vous parlez de tango. Je rappellerai, pour ma part, cette citation : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». La France a été très en avance sur les RNR, mais on regrette aujourd’hui de n’avoir pas utilisé depuis des décennies les quantités d’uranium appauvri présentes sur le territoire national au travers des RNR. C’est le tango à la française.
Pouvez-vous préciser les raisons de l’amélioration de la coordination des acteurs, en particulier le CEA et Orano, en matière de gestion des combustibles ?
Concernant l’entreposage, Orano a un projet à long terme de construction de nouvelles piscines à La Hague. J’ajoute qu’accessoirement, le retraitement de déchets d’autres pays est une industrie en tant que telle qui contribue au PIB français. Nous savons faire des choses que d’autres pays ne savent pas faire. Je crois savoir qu’une recherche visant à optimiser les piscines existantes grâce à des moyens assez simples est en cours : des paniers configurés différemment permettraient d’optimiser le volume existant pour refroidir les déchets, dans l’immédiat.
Vous dites qu’on ne peut pas reclasser des MAVL en FAVL tant qu’on n’a pas identifié d’exutoire. Quel est l’exutoire potentiel préalable à cette transition ?
L’arrêt d’Astrid a fait éclater les équipes du CEA qui travaillaient sur les projets de RNR stoppés en 2019. On retrouve nombre de ces équipes d’ingénieurs du CEA dans les start-up. Heureusement qu’eux croient en leurs projets ! Néanmoins, ils doivent embrasser l’ensemble des questions liées à leur activité actuelle et future. Opérer un rapprochement entre le mode de production novateur et un important consommateur d’électricité ne suffit pas, il faut considérer l’ensemble du sujet, y compris le dialogue avec le public et l’acceptabilité. C’est un agenda à tenir en parallèle de leur propre agenda industriel de développement de leur innovation.
M. Christophe Fournier, membre de la CNE2. – Le reclassement des MAVL en FAVL se heurte à une difficulté : la nécessité de trouver une solution sûre pour les déchets en fonction de leur activité. Si un déchet classé MAVL peut être stocké à moindre coût, tant mieux. Mais ceci exige de définir clairement des filières pour chaque catégorie de déchets en fonction de critères scientifiques. Or aujourd’hui, les FAVL n’ont pas de critère de gestion. Cela commence à être le cas pour les déchets radifères, mais une bonne partie des déchets MAVL, comme les bitumes, n’ont pas de filière de gestion FAVL.
Opérer, dans une vision partielle, le reclassement d’un déchet MAVL bitumé dont le financement est prévu au titre de Cigéo pourrait réjouir des producteurs désireux de réduire leurs provisions pour Cigéo, mais en l’absence de solution de stockage FAVL, ce déchet revient dans Cigéo par le biais de l’inventaire de réserve. Le reclassement de MAVL en FAVL transforme simplement un déchet dont le financement du stockage est provisionné en un déchet dont le financement n’est pas provisionné… C’est pourquoi nous disons qu’on ne doit le faire qu’après avoir trouvé la solution, faute de quoi ce n’est qu’une pirouette comptable.
On observe une amélioration de la coordination depuis l’année dernière, quand le regard que nous portions sur les aspects stratégiques était plus critique. C’est l’effet du changement de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Lorsque celle-ci prévoyait la fermeture de la moitié des centrales nucléaires, la stratégie du « sauve-qui-peut » dominait. Chacun cherchait une solution pour sauver une part de son business, y compris en le prenant à l’autre. La coordination n’était pas optimale. Dès lors qu’il y a des annonces et des visions stratégiques pour faire des choses nouvelles et qu’Orano ne propose pas n’importe quoi pour sauver La Hague, la coordination se reconstruit. Quand EDF et Orano se coordonnent pour trouver la solution d’entreposage la plus astucieuse possible, on réussit à mieux faire. La coordination s’opère parce qu’il y a une direction. Toutefois, cette belle coordination ne survivra qu’autant que la volonté de faire et la direction donnée par l’exécutif seront maintenues. Que l’avenir du nucléaire faseye de nouveau et la coordination s’évanouira aussitôt.
De même, comme on recommence à envisager des solutions concrètes, EDF qui sera l’utilisateur du futur RNR s’y intéresse en précisant ce dont il a besoin. Quand un client commence à dire ce qu’il veut, le projet industriel prend meilleure allure et les gens se mettent à travailler ensemble.
L’an dernier, la Commission écrivait que pour fermer le cycle, il fallait un projet industriel d’ensemble, un programme d’ensemble : des réacteurs, des usines du cycle amont et aval, tout ce dont on a besoin pour ce faire, y compris en R&D, des procédés pour les usines, y compris les moyens scientifiques nécessaires pour développer un réacteur à neutrons rapides comme les outils d’irradiation. Ceci évitera à des personnages de rang élevé de juger illusoire de continuer les RNR alors qu’on n’a pas de cycle. Ceci veut dire qu’il faut un projet d’ensemble. Des interlocuteurs de la Commission commencent à y réfléchir. Il faudra plusieurs années pour le bâtir, mais on avance, parce que la demande existe. Qu’elle devienne hésitante et vous pouvez être assurés que ce que nous disons de la coordination ne sera plus vrai.
M. Philippe Gaillochet, membre de la CNE2. – Quand nous avons demandé à faire une audition sur les réacteurs de génération IV, après de nombreuses tractations, EDF a présenté le RNR 1000 en coordination avec le CEA et Framatome.
C’est la Commission qui a attiré l’attention sur l’enjeu capital du projet Pumas. Au cours d’une audition, nous avons constaté que le CEA et Orano travaillaient de concert. Le CEA assure la R&D fondamentale, la chimie, etc., et Orano va faire un prototype d’industrialisation du procédé à l’échelle « un demi ». Dès lors qu’il existe une perspective et une politique d’ensemble, les gens se rapprochent de nouveau pour travailler à la réalisation de tous ces projets.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – La parole et l’action politique auraient donc encore du sens.
M. Bruno Sido, sénateur. – Le projet Cigéo prévoit le départ des déchets à enfouir et leur arrivée à la tête de la descenderie. Le train a été choisi pour leur acheminement. Est-ce une bonne solution ?
Mme Saida Laârouchi Engström, présidente de la CNE2. – Ce transport peut être assuré de différentes manières, mais il convient de prendre globalement en compte la sûreté et l’impact environnemental. Nous n’avons pas travaillé précisément sur ce sujet, mais l’ASNR va certainement s’y pencher.
M. Frédéric Launeau, conseiller scientifique et secrétaire général de la CNE2. – Une étude socioéconomique réalisée pour Cigéo, peu avant la déclaration d’utilité publique, analysait les avantages et les inconvénients, les externalités positives et les externalités négatives des différents modes de transport des déchets radioactifs des sites d’entreposage de Marcoule, Cadarache ou La Hague vers Cigéo. Il est apparu clairement que le transport en train offrait bien plus d’avantages qu’un transport en camion, qui ne peut se faire qu’avec des véhicules à gros moteur diesel. Pour les années à venir et à l’horizon de la mise en service de Cigéo, le transport en train reste sur les plans environnemental et économique, et du point de vue de la sûreté, le meilleur des modes de transport.
Mme Saida Laârouchi Engström, présidente de la CNE2. – Derrière les études socioéconomiques et d’impact environnemental, il y a la concertation avec le public en vue de l’acceptabilité des moyens employés pour ces transports. Les riverains doivent être satisfaits et rassurés par les mesures présentées par l’Andra.
M. Bruno Sido, sénateur. – On sait où passent les trains. Les opposants s’attacheront sur les voies et feront tout pour entraver la circulation du train. En revanche, on ne sait ni où ni quand va passer un camion.
M. Christophe Fournier, membre de la CNE2. – J’ai une expérience du transport de gros éléments de la force de dissuasion nucléaire. Pour des objets très volumineux et très lourds, des convois exceptionnels sont nécessaires. Sur une route de Haute-Marne, on les voit d’aussi loin que le train. Pour déplacer les propulseurs de missiles stratégiques depuis la Gironde vers la base de Brest, on utilisait des convois exceptionnels composés de deux camions de pompiers et dix véhicules de gendarmerie. On est passé au transport maritime, moins cher, plus sûr et plus facile. Le transport routier d’objets très lourds sur un itinéraire dépourvu de grandes routes ou d’autoroutes et dans une région où les riverains ne sont pas enthousiastes pose beaucoup de difficultés. Il est plus facile d’arrêter un convoi exceptionnel traversant des villages que d’arrêter un train. Un convoi exceptionnel arrivant à Bure est plus visible que le train, parce qu’il a fallu prévenir de son arrivée et que des gendarmes sont présents dès la veille.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l’Office. – En dehors de l’acceptabilité, se pose la question du respect des activités industrielles de notre pays, nucléaires ou non. On ne peut supporter indéfiniment que toute activité de ce genre soit bloquée par des opposants.
Merci encore à vous cinq de votre présence et de votre rapport.
La réunion s’achève à 10 h 50.
Membres présents ou excusés
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
Réunion du jeudi 3 juillet 2025 à 9 h 30
Députés
Présents. - M. Maxime Amblard, M. Philippe Bolo, M. Pierre Henriet, M. Maxime Laisney, M. Gérard Leseul, M. Emeric Salmon
Excusés. - M. Joël Bruneau, M. Arnaud Saint-Martin, Mme Dominique Voynet
Sénateurs
Présents. - M. Arnaud Bazin, M. Stéphane Piednoir, M. Bruno Sido
Excusés. - Mme Martine Berthet, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Patrick Chaize, Mme Florence Lassarade, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Daniel Salmon