Compte rendu
Commission
des affaires européennes
II. Nomination de rapporteur d’information
Mercredi
11 décembre 2024
15 heures
Compte rendu n o 10
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 11 décembre 2024
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
La séance est ouverte à 15 heures 03
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution européenne visant à mettre en place un cadre européen sur les relations contractuelles des centrales d’achats de la grande distribution avec les producteurs.
M. Henri Alfandari, rapporteur. Au cours des dix dernières années, l'agriculture française a vu sa situation se dégrader de façon alarmante. Le revenu des agriculteurs, déjà sous pression, continue de baisser, menaçant directement la pérennité de nombreuses exploitations. Entre 2010 et 2020, le nombre d'exploitations a chuté de 20%, et avec lui la diversité et la résilience de notre modèle agricole. Ce déclin, alimenté par la concurrence accrue et par des faibles marges imposées par les acteurs en aval, met en danger notre souveraineté alimentaire et le rôle clé de nos territoires ruraux dans l'économie et la transition écologique.
C'est dans ce contexte que cette proposition de résolution européenne prend tout son sens. Les centrales d'achat de la grande distribution jouent aujourd'hui un rôle déterminant dans le secteur de l'alimentation : en regroupant les commandes de plusieurs enseignes, elles permettent aux distributeurs d'obtenir des conditions plus avantageuses auprès des fournisseurs. Si cet outil de mutualisation peut être bénéfique pour négocier des prix compétitifs, en particulier dans un contexte inflationniste, il exerce néanmoins une pression notable sur les marges des producteurs, en particulier les plus petits. Les grands industriels, mieux armés pour résister à ces tensions, ne sont pas menacées au même degré que les petites exploitations, mais il convient de noter que leurs intérêts convergent souvent. En effet, l'industrie dépend d'un approvisionnement stable et d'un volume suffisant pour fonctionner efficacement. Maintenir une agriculture diversifiée et résiliente est donc un enjeu commun à l’ensemble des maillons de la chaîne.
La France a tenté d'apporter des réponses avec les lois EGalim, qui encadrent les relations commerciales entre producteurs et distributeurs : elles constituent une avancée significative en matière de transparence et de rééquilibrage des négociations. Toutefois, ces lois restent limitées par leur caractère national : les grandes enseignes de distribution, via leurs centrales d'achat établies à l'étranger, parviennent à contourner ces dispositifs en profitant des différences entre les législations européennes. Cette stratégie affaiblit nos agriculteurs et compromet les efforts engagés pour garantir une rémunération équitable. Il est donc impératif que l'Union européenne intervienne pour combler ces lacunes.
Tel est l'objectif de cette proposition de résolution européenne qui s’articule autour de quatre points. En premier lieu, elle propose une taxation des centrales d'achat multinationales, inspirée du dispositif de taxation minimale de 15% adopté par l'OCDE. Une telle mesure permettrait de limiter l'intérêt des stratégies de contournement des règles nationales, et contribuerait à alimenter les ressources propres de l'Union européenne, tout en réaffirmant le principe d'équité fiscale. En deuxième lieu, elle appelle à un renforcement des contrôles des pratiques commerciales déloyales. La directive européenne de 2019, bien qu'utile, reste insuffisante pour protéger efficacement les producteurs, et sa révision est nécessaire pour accroître la transparence des relations contractuelles et donner aux autorités européennes et nationales des moyens d'agir contre les abus. Cela passe par une coopération transfrontalière renforcée entre les États membres et par un cadre commun de régulation. En troisième lieu, elle préconise l'instauration d'un cadre législatif commun européen, tel que l'a suggéré le président de la République le 1er février 2024. Ce cadre législatif commun viserait à harmoniser les règles au niveau de l'Union pour renforcer le pouvoir de négociation des producteurs face à des centrales d'achat, qui bénéficient aujourd’hui d'une position dominante dans les négociations. Enfin, cette proposition de résolution européenne invite les États membres à mieux coordonner leurs efforts pour protéger les producteurs : une action collective et harmonisée est essentielle pour éviter une fragmentation des règles et garantir des conditions de concurrence équitables sur l'ensemble du territoire européen.
Ces propositions ne visent pas à stigmatiser les centrales d'achat, ni à freiner l'activité économique des grandes enseignes. Elles cherchent à établir un équilibre aujourd'hui rompu et à garantir des relations commerciales justes et durables. Il s'agit de préserver une agriculture européenne diversifiée, résiliente et compétitive, en protégeant en priorité les acteurs les plus vulnérables de la chaîne alimentaire. L'Europe a les moyens d'agir pour relever ce défi.
En adoptant cette résolution, nous signalerons aux autorités européennes le souhait français d'une régulation équitable d'une souveraineté alimentaire renforcée, et d'une Union qui protège ses producteurs, soutient ses industries, et garantit à ses citoyens une agriculture durable et solidaire.
Mme Isabelle Rauch (HOR). Merci pour cette proposition de résolution européenne qui est essentielle. Dans toute l'Europe, les agriculteurs font face à des défis croissants liés aux coûts de production, aux normes sanitaires, aux impératifs de transition écologique et aux aléas climatiques qui induisent des charges financières supplémentaires. Or, celles-ci sont souvent supportées sans compensation suffisante sur le prix de vente. Pour pallier ce déséquilibre, la France a adopté les lois EGalim afin de permettre l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole. Adoptées entre 2018 et 2023, ces lois renforcent la capacité de négociation des producteurs face aux distributeurs grâce à la conclusion de contrats écrits pluriannuels tenant compte des coûts de production.
Or, il existe un débat juridique sur le droit applicable aux centrales d'achat européennes basées dans d'autres pays européens. Il est essentiel que ces centrales d'achat ne puissent pas contourner le droit français en négociant leurs prix sur le fondement de normes moins contraignantes. La loi EGalim 3 s'applique pour tous les produits commercialisés en France, qu'ils soient issus d'Europe ou d'ailleurs. C'est pour cela que la France a proposé, en accord avec le commissaire européen au marché intérieur de l’époque, une loi EGalim européenne.
Le groupe Horizons et Indépendants est conscient de la diversité des règles et pratiques commerciales européennes, et est convaincu que l'ensemble des agriculteurs européens tirerait un bénéfice majeur de la mise en place d'un cadre législatif commun régissant les relations contractuelles avec les centrales d'achat et octroyant un plus grand pouvoir de négociation aux producteurs. Par conséquent, le groupe Horizons et Indépendants votera en faveur de cette proposition de résolution européenne.
M. Henri Alfandari, rapporteur. Chère collègue, vous avez à juste titre rappelé nos deux préoccupations majeures. D’une part, la France a exigé une transparence sur les coûts de production. Or l’absence de transparence sur les marges de la grande distribution a accéléré le déséquilibre dans la négociation. D’autre part, il existe un risque de contournement de nos lois, défavorable à nos producteurs, à travers les centrales d'achat au niveau européen.
Nous ne remettons en aucun cas en cause la liberté d'installation de ces centrales. En revanche, nous sommes déterminés à remplir nos objectifs sanitaires, nos objectifs de sécurité alimentaire et de juste revenu de nos producteurs. C'est ici que s'arrête le droit national et commence le droit européen.
M. Guillaume Bigot (RN). Cette proposition de résolution européenne prétend protéger nos agriculteurs en régulant les centrales d'achat à l'échelle européenne et en étendant la logique des lois EGalim à l’échelle continentale. Or, cet objectif de protection de nos producteurs n'est déjà pas atteint sur le plan national avec ces lois EGalim, et ne le sera pas davantage sur le plan européen.
En revanche, cette proposition de résolution renie encore notre souveraineté, au profit d'une organisation internationale qui mine chaque jour davantage notre pacte républicain. Sous prétexte de réguler les centrales d'achat à l'échelle européenne, cette proposition de résolution me semble servir « une nouvelle louche d'huile de foie de morue européenne ». Ce mécanisme spécifiquement européen, consistant à engendrer un problème issu des contraintes européennes pour ensuite justifier des solutions européennes, mérite que l’on s’y arrête.
Depuis 2016, telles des chevaux de Troie, les centrales d'achat européennes se sont multipliées pour contourner nos lois nationales dites EGalim. Eurelec et Aura en Belgique, Eureca en Espagne, permettent à des opérateurs de la grande distribution d'échapper aux contraintes EGalim. Ces centrales d'achat permettent de rééquilibrer leur poids de marché face à certaines multinationales de l'agroalimentaire. Cependant, rappelons que l'essentiel des dispositifs EGalim se concentre, au niveau national, sur la relation entreprise-agroalimentaire-distribution : à ce stade, l'agriculteur a déjà été bien ou mal rémunéré par l'entreprise agroalimentaire. Les lois EGalim concernent également le dernier maillon de la chaîne, la transaction entre le distributeur et le consommateur, et donc finalement, peu le producteur.
L'encadrement des promotions, le seuil de revente à perte de plus de 10 %, la non‑négociabilité de la matière première agricole : cet empilement technocratique repose en réalité sur une théorie du ruissellement, non-fonctionnelle puisqu'elle part du bas vers le haut. Elle ne concerne ainsi que marginalement l'agriculteur, le producteur, que les lois EGalim cherchaient pourtant à protéger. Ce fonctionnement engendre parallèlement un effet inflationniste pour le consommateur.
Les grandes centrales d'achat européennes ne concernent que cinquante des plus gros industriels, tandis que nos PME françaises subissent une concurrence déloyale. Alors que rien ne prouve qu’EGalim, sur le plan national, a amélioré la rémunération des agriculteurs, ces dispositifs nationaux ont incontestablement renforcé le pouvoir de négociation des industriels, leur permettant de gonfler leurs marges au détriment des consommateurs. Étendre ce dispositif à l'échelle européenne produira les mêmes effets qu’au niveau national, c’est‑à‑dire l’échec de la promesse d’améliorer le revenu des producteurs, conjugué à une spirale inflationniste pour le consommateur.
Cette proposition de résolution, prévoyant de taxer à l'échelle européenne les centrales d'achat, tend également à créer un impôt non consenti par le législateur, ainsi qu’à créer de nouvelles ressources propres pour l'Union européenne. Ces dernières étant hors du contrôle du législateur, cette résolution viole, comme tout ce qui a été réalisé depuis le traité de Lisbonne, l’article 3 de notre Constitution.
M. Henri Alfandari, rapporteur. Cher collègue, je sais que vous allez défendre un amendement qui illustrera votre propos. Je pense que vous faites deux erreurs qui, à mon sens, sont majeures. Tout d’abord, la loi EGalim demande aux producteurs d’afficher la plus grande transparence concernant ces couts mais ne demande pas la même transparence aux distributeurs. Ce faisant, les négociations se déroulent mal. La PPRE demande une transparence sur les marges des distributeurs. Dès lors, la mécanique sera totalement différente. Le deuxième point sur lequel, à mon avis, vous commettez une erreur de raisonnement c’est qu’en considérant le marché français uniquement, vous n’êtes pas en mesure d’interdire les centrales d’achats dans d’autres pays européens. Comment pourriez-vous vous protéger, hormis en instaurant des droits de douanes et des taxes importants ? Vous ne le feriez pas. Par conséquent, la seule façon de procéder, c’est de vous entendre avec des partenaires européens en considérant qu’il s’agit d’un sujet partagé à réguler ensemble.
Mme Constance Le Grip (EPR). Le groupe EPR va apporter son soutien à cette PPRE. Cette PPRE propose de traiter d’une question majeure, celle de la régulation des rapports commerciaux entre les centrales d’achats et les producteurs, en particulier ceux du monde agricole. Ces relations souffrent toujours d’un déséquilibre structurel qui nuit bien entendu aux producteurs mais aussi au bon fonctionnement du marché intérieur européen. Nous soutenons ce texte parce que nous estimons qu’il propose des mesures cohérentes. Il est juste d’envisager que des centrales d’achats, qui bénéficient d’une position dominante, contribuent équitablement au financement des politiques européennes, notamment via une taxation adaptée voire une nouvelle ressource propre pour l’Union. Il est essentiel également que les pratiques anti-concurrentielles, déloyales et abusives soient davantage encadrées et sanctionnées puisqu’elles mettent en péril la capacité des filières agricoles et alimentaires à faire face à leurs nombreux défis. Enfin, le renforcement des négociations entre les producteurs européens à travers un cadre législatif commun serait une avancée essentielle pour restaurer l’équilibre dans les relations. Et le texte que vous présentez s’inscrit dans la lignée des propositions faites par les autorités françaises le 1er février de réaliser un EGalim européen et d’aller plus loin qu’une simple révision du cadre législatif européen actuel, à savoir la directive de 2019 relative aux pratiques commerciales déloyales. Nous souhaitons toutefois modifier la rédaction de l’alinéa 11 dont il nous semble qu’il pourrait entrainer quelques effets de bord juridiques indésirables.
M. Henri Alfandari, rapporteur. Je vous donne tout à fait raison sur le nécessaire rééquilibrage ainsi que sur les sanctions. Très souvent la France pêche en Europe par son absence. C’est en ayant des positions au sein de l’édifice européen, en collaboration avec nos partenaires, que nous pourrons peser, à l’instar des renégociations à venir sur la PAC. Je ferai droit aux remarques que vous faites au sujet de l’alinéa 11. Des démarches ont été entamées par la DGCCRF et je ne souhaite pas fragiliser les processus en cours.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Les centrales d’achat se sont fortement développées au cours de la dernière décennie. Au-delà des conséquences que cela engendre, nous devons nous interroger sur les raisons de ce récent développement. Les centrales d’achats permettent de massifier les commandes et de réduire les coûts dans un contexte de concurrence accrue et de marché mondialisé. C’est bien là que se situe le problème. Cette pratique déséquilibre le rapport de forces au moment des négociations commerciales. En effet, les quatre premières centrales d’achats françaises concentrent 92% des ventes en valeur de produits de consommation. Dès lors, comment les industriels et les consommateurs pourraient-ils se passer des centrales d’achat ? C’est impossible tant elles concentrent une part importante des débouchés de leurs produits. Comme vous l’indiquez dans votre rapport, les objectifs des lois EGalim sont louables mais cette hyper-concentration est au cœur des problématiques en jeu lors des négociations commerciales. Sans régulation, ces centrales d’achats seront toujours en position de force dans les négociations. Pour garantir aux agriculteurs un prix juste, nous devons leur garantir un prix rémunérateur en fonction des coûts de production et de leurs revenus. Cela n’est pas pris en compte dans les lois EGalim. Il parait donc difficile d’imaginer que les dispositions de ces lois pourraient fonctionner au niveau européen. Par ailleurs, les lois EGalim reposent sur une contractualisation qui en France, déjà, a du mal à se développer. la contractualisation ne pourra se développer sans filières structurées et sans mesures empêchant les acheteurs de contourner les producteurs. Il faut également garantir un prix rémunérateur et une régulation du prix des marges des industriels et des producteurs. Les centrales d’achats, cela apparait ici, permettent de négocier de meilleurs prix mais la question du bénéficiaire de ces meilleurs prix est posée. Ce n’est pas en faveur des agriculteurs puisque vous citez un rapport de la FNH indiquant que dans la filière laitière, en vingt ans, les marges de la grande distribution ont augmenté de 188 %, celles des industriels de 46 % et celles des éleveurs, par contraste, ont baissé de 4 %. Il s’agit pourtant de la filière où la contractualisation, prévue par les lois EGalim, est la plus développée. Cela ne profitera pas non plus aux consommateurs puisque la pratique des centrales d’achat a plutôt tendance à lisser les prix entre les enseignes. C’est pourquoi nous pensons qu’un encadrement des marges est à mettre en place. Nous soutenons globalement le propos de cette PPRE en faveur de laquelle nous voterons.
M. Henri Alfandari, rapporteur. En effet, la massification permet de réduire les coûts d'achat et nous pouvons difficilement nous y opposer. En revanche, la manière dont cette réduction de coûts impacte la rémunération du producteur est problématique. A ce sujet, il faut être clair : tous nos partenaires européens n’ont pas ce rapport avec les centrales d'achat, c’est un problème très français. En effet, la France a toujours soutenu les équilibres macroéconomiques en favorisant la consommation et, ainsi, la grande distribution, et comme la France crée moins de valeur, elle donne une injonction, notamment à la grande distribution, de protéger le pouvoir d'achat des Français. En parallèle, une transparence est demandée aux producteurs sur leurs coûts de production mais aucune transparence n’existe sur les marges de la grande distribution.
Ainsi, comment est-il possible de négocier ? La grande distribution rentre dans la négociation en demandant aux industriels une réduction de leurs marges, qui est immédiatement répercutée sur le producteur. Ainsi, le coût du travail n’est jamais inclus dans la négociation.
Comment pouvons-nous rééquilibrer ce rapport de force ? Il faut demander que la grande distribution, elle aussi, révèle ses marges, ce qui permettra au producteur d’avoir une idée de la manière dont il peut conduire sa négociation et permettra d’exposer les pratiques malsaines. Ensuite, comme vous l’avez fait remarquer, il y a également une logique d'organisation des filières, qui constitue certainement un point d’amélioration, sans être une solution.
Mme Sylvie Josserand (RN). L'Union européenne a besoin d'argent, toujours plus d'argent. Sous prétexte de rechercher une plus grande protection des agriculteurs, votre proposition de résolution poursuit l'objectif, je cite : « d'alimenter l'Union en nouvelles ressources propres ». Il s'agit d'un objectif qui implique la création d'une nouvelle recette fiscale pour abonder le budget européen. Or, les centrales d'achat ne manqueront pas de répercuter les taxes qu'elles subissent sur leurs propres cocontractants. Vous avez évoqué à l'instant la répercussion des marges sur les producteurs, ma question est donc la suivante : pouvez-vous expliciter en quoi une taxe imposée aux centrales d'achat multinationales, reversée directement au budget de l'Union européenne, pourrait être bénéfique au secteur agricole français ?
M. Henri Alfandari, rapporteur. Premièrement, l’objectif est que le Parlement européen se saisisse du sujet. Or, vous savez que l'Union européenne est soucieuse de son budget et cherche régulièrement à trouver des ressources propres, donc ce n’est pas forcément inintéressant.
Deuxièmement, c’est une résolution, il n’est nullement écrit que la solution doit être une taxe de 15 %. On suggère à l’Union de s'inspirer de ce qui a été fait sur la taxe de 15 %, mais il pourrait y avoir d'autres possibilités. Comme nous l’a rapporté la FNSEA durant les auditions, il serait possible d’imaginer un système qui récompense plutôt ceux qui travaillent au niveau local, par exemple. L’important est de traiter le sujet et de s'en saisir au niveau européen car il n'y a que par le droit européen que nous pourrons réguler à l'échelon européen et trouver des outils de régulation et d'équilibre fonctionnels. L’objectif est de s’inspirer d'une logique qui a permis d'avoir un accord avec la plupart des acteurs pour que les choses soient applicables.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous en venons à l’examen des amendements.
Amendement n° 1 de M. Guillaume Bigot
M. Guillaume Bigot (RN). Le but des lois EGalim est de garantir une juste rémunération aux agriculteurs. Selon moi, ces lois devraient se concentrer sur le premier achat entre le producteur et le premier acheteur en garantissant un prix minimum. Les lois EGalim n'y parvenant pas au plan national, je ne pense pas qu’une transposition à l'échelon européen garantirait de meilleurs résultats. Seule une sanctuarisation du prix rémunérateur lors de la négociation en amont protégerait les agriculteurs, sans effet inflationniste pour les consommateurs et sans normes superflues.
De surcroît, je défends cet amendement de suppression car ce texte illustre parfaitement la mécanique de l'Union européenne : créer des problèmes pour ensuite prétendre les solutionner avec plus d'Europe. En effet, depuis 2016, l'Union européenne a permis la création de centrales d'achat transnationales comme Eurelec ou Eureca en Espagne. Ces structures, en exploitant les différences de législations entre pays membres, contournent les lois nationales de protection agricole. Et maintenant que ce système a fragilisé notre agriculture, nous proposons un EGalim européen, c'est-à-dire davantage de bureaucratie européenne et de nouvelles ressources pour l'Union européenne. La méthode est toujours la même, l'Europe crée le problème, puis se présente comme la solution. Cette proposition de résolution européenne s'inscrit parfaitement dans ce schéma bien connu : en matière d'immigration, Schengen met en place la libre-circulation des étrangers, puis Frontex est créé. En matière d’industrie, la combinaison d'une monnaie surévaluée et d'un libre-échange naïf lamine notre tissu industriel ; l’Union souhaite ensuite créer des champions européens et faire une relance européenne. Dans le secteur de l'énergie, le marché européen de l'électricité contribue à affecter notre filière nucléaire, à accroître nos prix et il nous est imposé une transition énergétique européenne pour corriger le problème. La solution ne réside pas dans une Europe plus forte mais dans la protection de notre souveraineté.
M. Henri Alfandari, rapporteur. Comme je vous l’ai expliqué, c’est parce que nous avons enjoint, en France, la grande distribution de protéger le pouvoir d’achat des Français que nous avons ce problème. Si nous sortons de l’Union européenne demain, les centrales d’achat françaises pourront se créer toujours dans d’autres pays de l’Union et nous ne pourrons plus les réguler. Ce sujet doit être traité au niveau européen.
Par ailleurs, lorsque vous suggérez de fixer un coût d’achat au niveau du producteur, allez-vous vous rendre dans chaque exploitation pour fixer le prix de vente de chaque produit ? On sait quels résultats donnent les économies dirigées.
Il faut donc régler la question de la transparence et celle de l’équilibre dans les négociations, car les intérêts des producteurs et de l’industrie se rejoignent comme le mentionne le rapport. Avis défavorable.
L’amendement n°1 est rejeté.
Discussion commune de l’amendement n° 4 de Mme Constance Le Grip et de l’amendement n° 5 de M. Henri Alfandari, rapporteur
Mme Constance Le Grip (EPR). Comme mentionné dans mon propos liminaire, nous souhaitons modifier légèrement la rédaction de l'actuel alinéa 11 parce qu'il me semble important d’éviter toute formulation qui laisserait entendre que le principe même de la création de centrales d'achat européennes ne serait pas pertinent.
Selon moi, qui suis favorable à l'économie sociale de marché, la création de centrales d'achat européennes vise un objectif légitime, à savoir la massification et la mutualisation des achats en grand nombre auprès de fournisseurs actifs dans divers pays européens pour avoir les meilleures conditions possibles. La formulation qui pourrait laisser croire qu'on remettrait en cause le système de ces centrales d'achat, me semble devoir être examinée avec une certaine circonspection. La DGCCRF nous a fait valoir la situation juridique qui prévaut à l'heure actuelle, eu égard aux différents litiges et contentieux qui existent entre certaines centrales d'achat européennes et l'administration française. Par l'amendement que nous proposons, nous souhaitons éviter d’évoquer des pratiques contraires aux dispositions de la loi française.
M. Henri Alfandari, rapporteur. Je comprends parfaitement les raisons de cet amendement. Comme l’a indiqué la DGCCRF, il ne faut pas mettre en péril un certain nombre de procédures en cours. Toutefois, je trouve la rédaction de votre amendement un petit peu trop forte, même si je ne suis pas en désaccord. Je préférerais, si vous le voulez bien, privilégier l’adoption de l’amendement suivant, le n°5, qui me paraît moins radical en substituant au mot : « permet », les mots : « semblent permettre », conservant l’objectif tout en ne mettant pas en danger les procédures actuelles. Avis de sagesse sur votre amendement, tout en préférant que vous le retiriez au profit de l’amendement n° 5.
L’amendement n° 4 est rejeté.
L’amendement n° 5 est adopté.
Amendement n° 6 de M. Henri Alfandari, rapporteur
M. Henri Alfandari, rapporteur. Cet amendement vise à apporter des améliorations liées à des remarques formulées par la DGCCRF et les organisations agricoles sur le fait d’accroître la transparence dans les relations contractuelles entre les centrales d’achat et les producteurs, d’élargir la liste des pratiques prohibées afin d’inclure les pratiques commerciales abusives – dont on ne parlait pas - et de remplacer le critère de seuil de chiffre d’affaires par un seuil de volume d’achats de produits agricoles et alimentaires afin d’étendre le champ d’application de la directive aux acheteurs et aux fournisseurs indépendamment de leurs chiffres d’affaires.
L’amendement n° 6 est adopté.
Amendement n° 2 de Mme Mathilde Hignet
Mme Mathilde Hignet. Sous prétexte du secret des affaires, il est bien difficile de connaître les marges exactes de la grande distribution. C’est notamment ce qu’a pu nous confier l’Observatoire de la formation des prix et des marges qui a beaucoup de difficulté à obtenir ces données. Au-delà de cette nécessité de transparence, il nous faut un véritable encadrement des marges pour éviter l’inflation des prix alimentaires au profit des grands groupes sans que jamais cette augmentation n’aboutisse à une augmentation du prix agricole. C’est le cas notamment pour le bio. Une étude menée par l’UFC-Que Choisir a démontré qu’en moyenne sur 24 fruits et légumes, les marges brutes sont 75 % plus élevées en bio qu’en conventionnel. On ne peut pas laisser la grande distribution faire du profit sur les produits bio ou les labels de qualité en faisant croire aux consommateurs que la cherté du produit est uniquement due au prix de la matière première agricole qui serait plus élevé.
M. Henri Alfandari, rapporteur. J’entends ce que vous dites. Mais je crois qu’il est possible de parvenir à de meilleurs résultats en renforçant le pouvoir des producteurs à l’intérieur de la négociation et en assurant une transparence sur les marges. L’encadrement des prix est une chose extraordinairement compliquée qui conduit en règle générale à créer plus de distorsions que de fluidité. Avis défavorable.
L’amendement n° 2 est rejeté.
Amendement n° 7 de M. Henri Alfandari, rapporteur
M. Henri Alfandari, rapporteur. Cet amendement, inspiré par la réponse de la DGCCRF au questionnaire qui lui a été soumis dans le cadre des travaux préparatoires de cette proposition de résolution vise à ce que soit favorisée au niveau européen une approche plus générale de la lutte contre les pratiques commerciales déloyales, là où la directive (UE) 2019/633 vise des pratiques particulières.
L’amendement n° 7 est adopté.
Amendement n° 3 de Mme Mathilde Hignet
Mme Mathilde Hignet. L’objectif des lois EGAlim était d’améliorer le revenu des agriculteurs mais les mobilisations du monde agricole nous ont démontré que ce n’était pas le cas. Si les lois EGAlim sanctuarisent le prix des matières premières agricoles, elles ne posent à aucun moment la question du revenu des agriculteurs. Pour avoir un salaire et une retraite décents, il ne suffit pas d’amortir les coûts de production. Les lois EGAlim sanctuarisent un prix insuffisant qui n’est même pas respecté. C’est effectivement un indicateur qui est censé permettre la fixation du prix mais ce n’est pas l’élément central. C’est pourquoi nous considérons que le gouvernement français doit soutenir la notion de prix rémunérateur garanti pour l’ensemble des producteurs agricoles européens. Il n’est pas question ici de définir le prix rémunérateur garanti commun à l’Union européenne puisque ce dernier dépend largement du contexte national et même du contexte local. Il s’agit de soutenir l’idée que les agriculteurs doivent être rémunérés à la hauteur de leur travail.
M. Henri Alfandari, rapporteur. Je ne suis pas convaincu car je trouve la rédaction trop restrictive. Et en même temps, nous poursuivons le même objectif. Avis de sagesse.
L’amendement n° 3 est rejeté.
L’article unique de la proposition de résolution européenne, ainsi modifié, est adopté.
La proposition de résolution européenne est par conséquent adoptée.
La Commission a nommé sur proposition de M. le président Pieyre-Alexandre Anglade :
– M. Charles Rodwell, rapporteur d’information sur l’union des marchés de capitaux.
La séance est levée à 15 heures 42.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Henri Alfandari, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Karim Benbrahim, M. Guillaume Bigot, M. Nicolas Bonnet, Mme Mathilde Hignet, Mme Sylvie Josserand, Mme Constance Le Grip, M. Frédéric Petit, Mme Isabelle Rauch, Mme Liliana Tanguy
Excusés. - M. Laurent Mazaury, Mme Yaël Ménaché, M. Charles Sitzenstuhl