Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
5 février 2025
16 heures
Compte rendu n o 15
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
président
puis de
M. Thierry Sother,
vice-président
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 5 février 2025
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la Commission,
puis de M. Thierry Sother, vice-président
La séance est ouverte à 16 heures.
La Commission a nommé sur proposition de M. le président Pieyre-Alexandre Anglade :
– Mme Constance Le Grip, rapporteure sur la proposition de résolution européenne appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de M. Boualem Sansal (n° 852) ;
– M. Nicolas METZDORF, rapporteur sur la proposition de résolution européenne de M. Nicolas METZDORF et plusieurs de ses collègues visant à condamner les ingérences de l’Azerbaïdjan, et du « Groupe d’initiative Bakou », en Nouvelle-Calédonie et dans les Outre‑mer (n° 881) ;
– M. Philippe BOLO, rapporteur sur la proposition de résolution européenne de M. Philippe BOLO sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la prévention des pertes de granulés plastiques en vue de réduire la pollution par les microplastiques (n°860) ;
– M. Thierry SOTHER, rapporteur sur la proposition de résolution européenne de M. Thierry SOTHER et plusieurs de ses collègues rappelant l’urgence démocratique d’appliquer pleinement et entièrement le règlement européen sur les services numériques (n° 876) ;
– M. Laurent MAZAURY, rapporteur sur la proposition de résolution européenne de M. Laurent MAZAURY sur l’Union européenne et la guerre en Ukraine (n° 916).
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous en venons à l’examen de la proposition de résolution européenne (PPRE) de Constance Le Grip appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal.
Ce débat est important. Nous sommes extrêmement préoccupés par la détention de l’écrivain franco-algérien et par son état de santé. La liberté d’expression et d’opinion sont des droits fondamentaux que nous défendrons sans relâche. Le Parlement doit être pleinement mobilisé, au-delà de l’action de la diplomatie française, pour suivre la situation de notre compatriote. Nous appelons évidemment à sa libération immédiate, et à ce qu’il puisse bénéficier, en attendant, de la protection consulaire en tant que ressortissant français. Ces principes devaient être rappelés.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. J’ai initié cette proposition de résolution européenne (PPRE) que j’ai l’honneur de rapporter. Cette PPRE est soutenue par l’ensemble des membres du groupe Ensemble pour la République (EPR).
M. Boualem Sansal est un écrivain franco-algérien, très talentueux, engagé, très courageux, reconnu par de nombreux prix littéraires. En tant qu’amoureux de la langue française, il a fait le choix d’écrire en français. Il a été distingué par de nombreux prix littéraires, dont le Grand prix du roman de l’Académie française, en 2015, pour 2084 : La fin du monde, une fable glaçante et puissante sur la dictature, la soumission à l’ignorance et la foi.
Boualem Sansal a également reçu le prix Jean Zay, le prix international de la laïcité décerné par l’association française « comité laïcité République », le prix Méditerranée, le prix de la paix des libraires allemands. Il a pour maison d’éditions, Gallimard, depuis la parution du Serment des barbares, il y a vingt-cinq ans.
Boualem Sansal a une aura qui va au-delà de ses lecteurs : il est considéré par ses pairs comme une grande voix de l’universalisme et de la francophonie ! C’est un homme engagé par ses essais, ses romans, ses écrits de paix et de tolérance condamnant toute forme d’obscurantisme.
Boualem Sansal a été arrêté, le 16 novembre 2024, à sa descente d’avion, à Alger, puis immédiatement incarcéré et inculpé. Il est détenu dans la prison de Koela à Alger, sur le fondement de l’article 87 bis du code pénal algérien, qui définit le terrorisme et qui a récemment été durci.
Boualem Sansal est accusé, j’ouvre les guillemets, d’avoir commis « un acte terroriste, visant la sécurité de l’État, l’unité nationale, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions ». La peine maximale prévue par l’article 87 bis est la condamnation à mort. Toutefois, depuis 1993, un moratoire sur la peine de mort est en vigueur : la peine maximale est immédiatement commuée en emprisonnement à perpétuité.
D’autres chefs d’accusation le viseraient sans que nous n’en connaissions les fondements.
Un homme de lettres, un intellectuel engagé a été arrêté depuis son arrestation parce qu’il a écrit, parlé, en homme libre, parce qu’il a exercé sa liberté d’expression, sa liberté d’opinion, sa liberté de création ! A nos yeux, rien, absolument rien, ne peut justifier une privation des droits fondamentaux, la persécution d’un homme libre, qui porte, haut et fort, la liberté et les valeurs républicaines, une certaine idée de la laïcité et de l’universalisme, et combat avec constance toutes les formes d’obscurantisme et de soumission !
Faut-il le rappeler ? Boualem Sansal est un homme âgé, il a quatre-vingt ans, malade, il est atteint d’un cancer de la prostate. Or, il est incarcéré dans des conditions certainement éprouvantes, privé de ses droits fondamentaux.
Outre sa liberté de mouvement, il est privé de sa liberté d’opinion, et de sa liberté d’expression. Il s’est vu refuser la protection consulaire alors qu’il est un citoyen Français. Les autorités algériennes n’ont pas répondu à sa demande.
En conséquence, l’ambassadeur de France ne peut pas lui rendre visite. Dans une interview donné au journal l’Opinion, le 3 février dernier, le président algérien, M. Tebboune, a affirmé : « Sansal n’est Français que depuis cinq mois ». Boualem Sansal se voit également refuser le droit de se défendre. Si ses avocats algériens, commis d’office, peuvent le rencontrer, son avocat français, maître François Zimerray, ne dispose pas de ce droit, aucun visa ne lui ayant été accordé pour rencontrer son client. La violation des droits fondamentaux de M. Boualem Sansal, de son droit à se défendre est caractérisé : le silence des autorités algériennes à la demande de visite est inacceptable. Maître Zimmeray n’a pas accès au dossier de son client : il ne peut connaître les chefs d’accusation qui vise M. Sansal ni travailler avec ses confrères algériens. Tous les engagement bilatéraux et internationaux de l’Algérie impliquent que l’Algérie respecte les libertés et les droits de l’homme, et les principes démocratiques, je dis bien : tous ! L’Algérie est signataire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la convention de Vienne sur les relations consulaires, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, le Protocole d’Association entre l’Union européenne et l’Algérie, signé en 2002, ainsi que les Accords d’Evian de 1962.
L’arrestation de Boualem Sansal, la violation flagrante de ses droits fondamentaux, relève pour nous de l’arbitraire, d’un régime qui veut manifestement faire taire un opposant. La situation inique de M. Boualem Sansal s’inscrit dans une situation de forte dégradation de la relation franco-algérienne. Toutefois, cette dégradation ne saurait servir de prétexte à la privation des droits fondamentaux d’un homme. Cet homme ne peut être la victime, le bouc émissaire des mésententes entre les autorités françaises et algériennes. Mon rapport détaille la chronologie récente de cette rapide dégradation : la reconnaissance, par la France, en juillet 2024, de la marocanité du Sahara Occidental, le voyage du Président de la République à Rabat, en octobre 2024, l’attribution du prix Goncourt à M. Kamel Daoud, le 4 novembre 2024. Kamel Daoud fait d’ailleurs l’objet d’une campagne virulente de la part d’Alger.
L’octroi récent de la nationalité française à Boualem Sansal, voulue par le chef de l’État, a incontestablement constitué un point de crispation. Mais nous ne pouvons pas admettre que des tensions diplomatiques, fussent-elles fortes, alimentées par des épisodes tels que ceux que je viens d’évoquer, aient une répercussion aussi directe et dramatique sur le destin et les droits d’un individu, d’un citoyen français.
Le respect de l’État de droit et des droits fondamentaux s’impose à tous, à tous les États qui s’y sont engagés, a fortiori à un État lié par un accord d’association avec l’Union européenne et qui a récemment souhaité le réviser afin de l’adapter à certaines réalités économiques nouvelles.
Le 23 janvier dernier, le Parlement européen a adopté, à une très large majorité, une résolution condamnant l’arrestation et la détention arbitraires de Boualem Sansal et appelant à sa libération immédiate. Je partage l’esprit et la lettre de cette résolution.
Nous reviendrons certainement, lors des débats sur les amendements déposés, sur plusieurs points de cette résolution du Parlement européen, notamment l’état de santé et l’âge avancé de Boualem Sansal. Si nous avons connaissance de ses allers-retours entre la prison d’Alger et l’hôpital Mustapha, nous ne savons rien sur la nature, la fréquence et la réalité des soins reçus.
Je tiens à rappeler notre attachement aux liens qui unissent nos deux pays, nos peuples, notre histoire commune, notre relation intense et passionnelle, nos intérêts communs face aux défis. Il y a quelques semaines, à l’occasion de la conférence des ambassadrices et ambassadeurs, le chef de l’État a qualifié Boualem Sansal de « combattant de la liberté ».
Il a ajouté : « L’Algérie, que nous aimons tant, et avec laquelle nous partageons tant d’enfants et tant d’histoire, entre dans une histoire qui la déshonore, a empêché un homme gravement malade de se soigner. Et ce n’est pas à la hauteur de ce qu’elle est. Nous qui aimons le peuple algérien et son histoire ».
Pour restaurer le dialogue et la confiance, il faut se parler, mais aussi se respecter et respecter les règles de droit, au premier chef le droit à la défense et à la protection consulaire. En tant que parlementaires, nous ne pouvons rester insensibles au sort cruel réservé à Boualem Sansal, un homme politique écouté et respecté.
Quelques jours après son arrestation arbitraire en novembre, l’ancien ministre d’État Jean-Pierre Chevènement disait : « Je presse l’Algérie, un pays qui connaît le prix de la liberté, de respecter la liberté d’expression et d’opinion, en particulier celle d’un écrivain ». Il poursuivait : « Les autorités algériennes s’honoreraient à libérer sans tarder Boualem Sansal ».
Plus récemment, il lance à nouveau un appel en rappelant les mots du général Charles de Gaulle à propos de Jean-Paul Sartre en 1960 : « On n’emprisonne pas Voltaire ! ». On n’emprisonne pas les penseurs et les écrivains. Puissent les autorités algériennes et le président Abdelmadjid Tebboune s’inspirer de cette pensée.
Puissions-nous être utiles en votant largement, unanimement, sans réserve, cette proposition de résolution européenne appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. La parole est aux orateurs de groupe.
M. Laurent Mazaury, groupe (LIOT). Si une résolution a déjà été votée par le Parlement européen le 23 janvier dernier et que le Président de la République a également demandé la libération de Boualem Sansal, il n’existe pour ce sujet aucun texte qui soit de trop pour affirmer notre soutien aux détenus arbitraires qui portent par leur voix et leurs combats nos valeurs les plus essentielles.
L’examen de ce texte est précieux, notre Assemblée doit réaffirmer son attachement aux droits fondamentaux. Par ailleurs, cette proposition de résolution européenne intervient dans un contexte de mépris des libertés : nous avons ainsi examiné la situation des femmes iraniennes. La liberté d’expression ne fait pas et ne doit pas faire exception. Selon Amnesty International, en 2022, la liberté d’expression aurait régressé pour 80 % de la population mondiale par rapport à 2021. Concernant le texte examiné aujourd’hui, je m’associe à votre appel. Boualem Sansal doit être libéré sans délai. Non aux prisonniers politiques partout où ils se trouvent.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je me réjouis de ces mots forts pour le soutien sans réserve à cette proposition de résolution européenne.
Mme Manon Bouquin (RN). Les évènements récents comme l’emprisonnement par le régime algérien de l’écrivain français Boualem Sansal ou l’empêchement de l’expulsion de délinquants algériens doivent nous éveiller sur la nature des relations entre la France et l’Algérie. Celles-ci ne sont pas en évolution, ni en construction, ni même dégradées : elles sont hostiles.
L’Algérie, sous son régime actuel, est hostile envers la France et cultive cette hostilité en raison de ses propres revers. Le culte de la haine de la France est l’horizon indépassable de la clique au pouvoir depuis la séparation entre nos deux pays. Elle entretient par ce procédé une rente mémorielle dont elle se sert pour justifier son échec à développer l’Algérie, où les Français avaient pourtant, un siècle durant, construit un héritage conséquent.
Qu’ont-ils fait de ces infrastructures routières, ferroviaires, électriques ? Qu’ont‑ils fait du vaste appareil industriel que nous leur avons cédé, clés en main, pour la mise à profit des ressources naturelles abondantes, celles qui auraient dû promettre à l’Algérie une destinée de Norvège du Maghreb ? Ils l’ont dilapidé, plongeant les Algériens dans la pauvreté, qu’ils transforment en rancœur.
Face à cette hostilité, nos gouvernements, souvent encouragés, plus ou moins courtoisement, par nos partenaires européens, ont choisi depuis des décennies la voie de la soumission. Une soumission à l’injonction du repentir, justifiée ou non, comme à l’usage par le régime algérien de flux migratoires pour déstabiliser la France et en capter les richesses.
Nous soumettons deux amendements à votre attention afin de prendre ces réalités morales et politiques en considération et exprimer clairement la nécessité d’une normalisation des rapports diplomatiques avec l’Algérie, ou du moins, un rééquilibrage. Plus d’un demi-siècle après la séparation de nos pays, la France doit pouvoir s’estimer légitimement libérée des obligations qu’elle a pu jadis avoir envers l’Algérie et les Algériens.
Ce pays, conformément aux volontés du Front de libération nationale (FLN), n’est plus français, mais Boualem Sansal l’est. Nous avons des obligations envers et pour lui et nos concitoyens. Nous devons montrer que tout n’est plus permis au régime algérien.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je ne peux pas souscrire à l’intégralité des propos tenus au nom de votre groupe. Ce projet de résolution est porté pour un homme, un écrivain de langue française, un penseur, un intellectuel engagé, pour la défense des libertés, des valeurs républicaines, de l’universalisme.
Ce n’est pas une résolution contre. Je n’esquive pas les fortes tensions et la dégradation des relations franco-algériennes et entre les autorités de nos deux pays. Nous déplorons. Cependant, il s’agit ici de se montrer fermes et opiniâtres dans la défense des valeurs de libertés pour un homme âgé et malade.
Mme Caroline Yadan (EPR). Le groupe Ensemble pour la République, à l’initiative de cette proposition de résolution européenne portée par notre collègue Constance Le Grip que je félicite pour son excellent travail, réaffirme avec force son soutien à cet appel à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal. La France, patrie des droits de l’Homme, ne transigera jamais sur la liberté de penser et de parler et se tiendra toujours aux côtés de ses plus grandes figures et fervents défenseurs à l’image de Boualem Sansal. La liberté d’expression constitue le socle de notre République qui irrigue notre engagement international. Nous devons la défendre sans relâche avec force et détermination face à l’obscurantisme qui tente de la piétiner.
La représentation nationale ne peut rester passive face au sort de Boualem Sansal, cet immense écrivain, honoré par de nombreux prix littéraires en France, cet esprit libre qui éclaire le monde par ses mots et ses idées face au danger de l’islamisme qu’il ne cesse de dénoncer et qui incarne avec un courage exemplaire nos valeurs républicaines de laïcité, de démocratie et de liberté.
Boualem Sansal est aujourd’hui en danger, âgé et malade, il est cyniquement et injustement privé de sa liberté par le pouvoir algérien qui veut faire payer à la France des différends diplomatiques entre nos deux pays. Nous ne pouvons rester silencieux face à cette détention arbitraire qui plus est dans des conditions très éprouvantes. Les divergences diplomatiques entre la France et l’Algérie ne sauraient en aucun cas justifier la violation des droits fondamentaux de l’un de nos compatriotes. Boualem Sansal paie sa nationalité française de sa liberté et c’est inacceptable.
Le Parlement européen a montré la voie en votant à une très large majorité le 23 janvier dernier la résolution appelant à sa libération immédiate et inconditionnelle bien qu’une partie de l’extrême gauche, de manière indigne mais si prévisible, se soit opposée à ce texte.
Nous, représentants de la Nation, au-delà de nos appartenances politiques avons le devoir moral de réaffirmer d’une seule voix nos principes républicains en exigeant la délivrance de Boualem Sansal. Si cette demande de libération n’est pas satisfaite, la France et l’Union européenne devront tirer toutes les conséquences de cet affront aux droits humains et suspendre toutes les avancées favorables à l’Algérie dans le cadre de la renégociation de l’accord d’association Union européenne-Algérie. Nous, députés EPR, ne cesseront de nous battre jusqu’à La libération immédiate et sans condition de Boualem Sansal parce que la dignité de la représentation nationale est à ce prix.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je vous remercie pour vos propos très forts et engagés et je suis heureuse que nous nous retrouvions là aussi dans ce combat très fondamental que nous partageons et que l’ensemble des membres de la famille politique, Ensemble pour la République, à laquelle nous appartenons partage. Je ne peux que me réjouir de cette identité de vue et encore une fois souscrire tout à fait à votre engagement et aux paroles très fortes que vous avez prononcées pour la défense des valeurs républicaines qui je crois sont parfaitement incarnées par ce grand écrivain franco-algérien, Boualem Sansal.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Nous condamnons l’arrestation de Boualem Sansal. Chacun sait nos désaccords avec lui. Depuis des années, il défend des positions proches de l’extrême droite française qui attise la peur d’une prétendue islamisation et le fantasme d’un grand remplacement. Mais c’est pour nous une question de principe : les droits et libertés fondamentales doivent être défendus partout et toujours. Boualem Sansal doit donc être libéré.
Mais nous ne pouvons pas voter votre texte en l’état. Pourquoi ? D’abord en raison de la méthode : obtenir la libération de prisonniers détenus par un état étranger passe nécessairement par le dialogue, la négociation, la discrétion, bref, la diplomatie et à plus forte raison dans le cas d’une relation franco-algérienne sensible, marquée par une histoire douloureuse. Vous faites tout l’inverse, une escalade inconsidérée tout en déclarations fracassantes et en menaces. Vous allez jusqu’à appeler à remettre en cause la renégociation de l’accord d’association UE-Algérie. Avec de tels procédés, le résultat est couru d’avance. Le dialogue avec Alger est rompu, les peuples en payent le prix et la libération de Boualem Sansal, tout comme la cause des libertés publiques et des droits de l’homme, n’auront pas avancé d’un iota.
Mais cette cause vous préoccupe-t-elle vraiment ? Non, bien sûr. Seul compte en réalité à vos yeux l’usage politique que vous pouvez en faire. Le caractère sélectif de votre indignation parle de lui-même. Vous inquiétez vous de la situation des droits humains au Soudan, en Libye, en Arabie saoudite ? Interrogez-vous sur les conditions de mise en œuvre des accords conclus par l'Union européenne avec l’Égypte, avec Israël ? Non, bien sûr. Et, en France quand des gilets jaunes, des manifestants sont éborgnés, quand la jeunesse des quartiers populaires subit des violences policières, quand des indépendantistes Kanak, tels que Christian Tein sont arrêtés et détenus comme prisonniers politiques, où sont vos envolées pour défendre les libertés, les valeurs ? Nulle part, bien sûr.
Une seule intention vous habite en vérité : faire de l’Algérie, le bouc émissaire de vos problèmes, comme le résume parfaitement Dominique de Villepin. Car nous ne sommes pas naïfs, votre texte ne sort pas de nulle part, il survient après des semaines de surenchère, alimentée au premier chef par votre ministre de l’Intérieur, M. Retailleau : montée de la tension diplomatique avec Alger, campagne de stigmatisation contre les Algériens et les Français d’origine algérienne. Vous ravivez les préjugés irrités du passé colonial. Vous rejouez sans cesse la guerre d’Algérie. Vous soufflez sur les braises de la xénophobie de l’islamophobie et du racisme dans l’espoir de racoler à l’extrême droite. Si vous empruntez ce chemin, vous nous trouverez toujours sur votre route.
Vous cherchez à diviser et à fracturer les peuples français et algériens. Nous voulons au contraire emprunter la voie de l’apaisement et traiter les différends par le dialogue pour bâtir une relation de respect mutuel et d’amitié entre deux peuples frères. La cause des libertés publiques et des droits humains mérite mieux que votre instrumentalisation grossière. Nous disons donc oui à la libération de Boualem Sansal et non à l’algérophobie. C’est pourquoi si le texte reste en l’état, nous devrons nous abstenir.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je vous ai écouté avec beaucoup d’attention et vous ne serez certainement pas étonné que je trouve dans vos propos beaucoup d’aspects extrêmement caricaturaux et excessifs comprenant des mises en cause – y compris des mises en cause personnelles grossières – sur lesquelles je ne vais pas revenir en détail mais que je voulais quand même dénoncer. Vous avez tout de même cru bon d’appeler à la libération immédiate de Boualem Sansal, à la reconnaissance de ses droits. En outre, vous avez souligné que les droits et libertés fondamentales ne sauraient être bafoués par un régime quel qu’il soit s’agissant en plus de l’un de nos compatriotes. Je vous en donne acte.
Mais vous avez dans le même temps cru bon de mentionner, dans votre acception des positions de M. Boualem Sansal, que celui-ci – je vous cite – serait proche de l’extrême droite. Cela s’apparente un peu à un « oui mais ». Je tenais quand même à souligner que le sujet n’est pas de juger de la pertinence de telle ou telle prise de position : il est de se mobiliser en permanence pour la liberté d’expression et d’opinion sans « oui mais ».
Je crois vraiment, si vous avez écouté attentivement mon propos que je suis très loin des caricatures et des excès que vous avez cru dénoncer. Au contraire, j’ai tenu à dire à quel point il me semblait important, compte tenu de l’histoire ancienne, riche, passionnelle, intense qui a connu des moments de très grandes tensions, y compris ces dernières années, que nos deux pays, nos deux peuples trouvent les voies et moyens d’un dialogue. Je crois donc qu’il n'y a rien d’excessif dans la prise de position que nous défendons. Si vous avez lu mon rapport, vous verrez que j’ai toujours présent à l’esprit la jeunesse algérienne quand je parle de ce pays et des libertés d’expression et d’opinion. Je connais les aspirations de la jeunesse algérienne et de beaucoup d’autres algériens à une vie meilleure et une vie avec plus de liberté.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous examinons une proposition de résolution appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de M. Boualem Sansal. L’écrivain franco-algérien a été arrêté le 16 novembre 2024 après des propos tenus concernant l’appartenance de l’ouest algérien au Maroc. Une déclaration considérée par l’Algérie comme une attaque attentatoire à l’intégrité du territoire. Ces prétendues accusations de déstabilisation cachent en fait la réalité : le pouvoir des mots et le droit fondamental à la libre expression des opinions font toujours peur aux régimes autoritaires. Nous pouvons adhérer aux propos ou les critiquer, peu importe. Mais nous ne pouvons pas réduire au silence un écrivain au motif que ses écrits gênent, plaisent ou déplaisent.
De plus, nous ne pouvons pas empêcher un homme privé de liberté d’être défendu équitablement. Il n’est pas acceptable que l’avocat choisi ne puisse exercer pleinement les droits de la défense auprès de son client : ceci constitue une atteinte au droit fondamental qui est celui de pouvoir s’entretenir librement avec l’avocat de son choix.
Ne pas exiger la libération d’un écrivain emprisonné, ne pas demander qu’il soit reconnu dans ses droits fondamentaux, ce serait finalement renoncer à la liberté et à la démocratie. Le contexte diplomatique tendu entre la France et l’Algérie ne doit pas occulter l’essentiel qui doit rassembler, c'est-à-dire obtenir la libération de M. Boualem Sansal. Il est inacceptable d’emprisonner un homme pour ses opinions. Le groupe socialiste et apparenté votera en faveur de cette proposition de résolution et nous déposerons un amendement.
En effet, il est paradoxal d’appeler dans le titre de la résolution, à une libération inconditionnelle de M. Boualem Sansal, ce que nous partageons, alors que, Madame la rapporteure, vous proposez de conditionnaliser le versement d’aides européennes à la libération de l’écrivain. Cette conditionnalité pourrait être contre-productive. D'une part, elle pourrait entraver les efforts diplomatiques déployés pour la libération du prisonnier. D’autre part, elle pourrait aussi pénaliser le peuple algérien, chose que nous ne souhaitons pas.
Mme Constance le Grip, rapporteure. Je vous remercie pour vos propos et pour ce que vous avez dit concernant l’essentiel que nous partageons, la libération de M. Boualem Sansal. Je prends note de votre engagement et de votre soutien à la présente proposition et du message que vous souhaitez porter.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Le sujet débattu cet après-midi mérite sérieux, profondeur et sérénité. Tout ce qui manque au fond à votre proposition de résolution, que je qualifierai d’opportuniste.
Opportuniste car la demande de libération de M. Boualem Sansal a déjà été demandée par l’Union européenne et votée à une très large majorité.
Opportuniste car elle inclut dans ses termes la suspension d’avancée concernant les futurs accords d’associations entre l’Algérie et la France tant que M. Boualem Sansal n’est pas libéré.
Outre le manque de diplomatie, je constate, Madame la rapporteure, que vous avez peine à vous relire. Comment demander une libération inconditionnelle et conditionner celle-ci à une quelconque avancée ?
Enfin, opportuniste car elle participe tristement à la diplomatie du spectacle, celle des plateaux C-News qui sort des poncifs un jour sur deux, et celle qui donne des coups de menton à la relation franco-algérienne. Cette diplomatie, je l’affirme, n’est pas la nôtre.
Nous sommes pour la liberté d’expression, mais aussi pour toutes les libertés d’expression. Celle de M. Boualem Sansal, bien sûr, et également celles de tous les prisonniers politiques à travers le monde, y compris ceux en France, comme Christian Tien, leader indépendantiste kanak emprisonné à Mulhouse depuis l’an dernier.
À l’international, il n’est pas acceptable d’avoir une politique à géométrie variable qui prend la mesure des sentiments et des polémiques du moment. Porter cette résolution avec les mots que vous lui conférez, dans le climat actuel d’attaque constante contre l’Algérie et ses ressortissants, ne va pas dans le sens d’une diplomatie apaisée. Pire, elle contribue à alimenter l’esprit colonial d’ingérence face à l’État algérien avec lequel nous avons des intérêts en commun. La rédaction de la proposition de résolution apparaît, et particulièrement dans ses derniers alinéas, comme une pensée néo-colonialiste dans la droite ligne des adeptes de l’existence d’une prétendue rente mémorielle ou des bienfaits de la colonisation. Nous porterons ainsi un amendement visant à supprimer ces alinéas, les plus problématiques de votre résolution, à savoir ceux conditionnant les accords de libre-échange à la libération de M. Boualem Sansal.
De plus, nous vous demandons de retirer cette proposition de résolution qui ne va absolument pas dans le sens des intérêts de la France dans la région. Franchement, il faut cesser la diplomatie des plateaux, celle qui court derrière M. Pascal Praud et les anathèmes de l’extrême droite.
Oui à la liberté de M. Boualem Sansal, et non à son instrumentalisation.
Mme Constance le Grip, rapporteure. Madame Sebaihi, j’ai écouté avec beaucoup d’attention votre intervention, comme je le fais pour tous les intervenants.
Je vais exprimer un premier point de désaccord avec vous. Je souhaite rappeler qu’ici, nous sommes à l’Assemblée nationale française, nous sommes en réunion de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale française, nous ne sommes pas sur un plateau de télévision. Je m’exprime en tant que députée, représentante de la Nation, tout comme vous. Il ne faut pas confondre les exercices, et éviter de caricaturer et de stigmatiser en permanence.
Deuxième point de désaccord que nous avons, Madame Sebaihi : il n’y a pas de prisonnier politique en France. Ce point de désaccord est majeur. Il est possible de penser ce que l’on veut de la politique du gouvernement, mais il n’y a pas de prisonnier politique en France.
Je comprends que vous appelez aussi à la libération de M. Boualem Sansal et que vous soutenez les droits fondamentaux et la liberté d’expression.
Concernant le fond, mon projet de résolution est aligné avec la résolution votée par le Parlement européen. Grâce à cette prise de position européenne, le cas de M. Boualem Sansal a été européanisé. Suite à cela, il est devenu nécessaire de pouvoir offrir à l’Assemblée nationale française la possibilité de voter un texte qui reprend, de manière extrêmement fidèle, les préconisations de la résolution du Parlement européen en s’inscrivant dans la continuité des droits protégés par la charte européenne des droits fondamentaux. La résolution du Parlement européen a été très largement votée par les députés européens appartenant à des groupes politiques très différents. Ce soutien transpartisan s’exprime aussi au travers des différentes personnalités qui souhaitent voir M. Boualem Sansal libéré, dont notamment des députés, des sénateurs, des anciens présidents, des anciens premiers ministres, des intellectuels, et de nombreux femmes et hommes politiques.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). La proposition de résolution qui nous réunit résonne comme un appel à la conscience européenne. Il s’agit de condamner fermement l’arrestation et la détention arbitraire de l’écrivain franco-algérien M. Boualem Sansal, un homme malade et âgé, et d’exiger sa libération immédiate et inconditionnelle.
Ingénieur, enseignant, écrivain, lauréat de prestigieux prix littéraires, M. Boualem Sansal incarne la défense de la liberté. Son seul tort est d’avoir exercé un droit fondamental : la liberté d’expression. Son inculpation pour atteinte à la sûreté de l’État au titre de l’article 87 bis du Code pénal algérien témoigne de la dérive répressive d’un régime qui fait fi de ses engagements constitutionnels et internationaux. Cet acharnement s’inscrit dans un contexte où les voix critiques des journalistes et des militants sont soumis à une pression croissante. Malgré la gravité de ces atteintes, l’Algérie demeure un partenaire de l’Union européenne. Il nous appartient donc de rappeler qu’aucun accord d’association, ni aucun versement de fonds européens, ne saurait s’affranchir du respect effectif de l’état de droit et des libertés fondamentales.
En soutenant cette proposition, le groupe Horizon et indépendants réaffirme sa solidarité envers M. Boualem Sansal, ainsi qu’avec tous les prisonniers d’opinion en Algérie. Les autorités françaises et européennes doivent poursuivre leurs efforts pour garantir la protection consulaire à notre compatriote et obtenir sa libération. L’Europe ne peut rester silencieuse face à une telle injustice, à une telle violation de l’état de droit et des libertés fondamentales. Cette proposition de résolution rappelle ainsi la nécessité de défendre nos valeurs. Elle condamne la détention de tous les prisonniers d’opinion, et soutient la liberté de la presse, mise à mal par l’usage détourné de l’article 87 bis du Code pénal algérien.
Enfin, cette proposition de résolution exhorte le gouvernement français et la commission européenne à conditionner tout soutien financier à Alger à des progrès concrets en matière de droits humains. Le groupe Horizons et indépendants votera bien évidemment, et sans réserve, en faveur de cette proposition.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Vous avez eu parfaitement raison de placer ce texte dans le cadre européen et à appeler l’Europe tout entière à se mobiliser par-delà nos collègues du Parlement européen pour faire prévaloir le droit à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression. Je pense comme vous qu’il est important que les élus que nous sommes, les représentants de la Nation, soient particulièrement mobilisés s’agissant des violations flagrantes des droits d’un homme, d’un écrivain, d’un citoyen et d’un compatriote.
M. Guillaume Bigot (RN). Dans un entretien au journal L’Opinion, le président algérien Tebboune a comparé l’expulsion d’un blogueur algérien appelant aux meurtres de ressortissants français à la Rafle du Vel d’Hiv. Cette scandaleuse banalisation de la Shoah est indigne d’un chef de l’État et témoigne d’un antisémitisme d’atmosphère dont la kleptocratie d’Alger est coutumière hélas. Dans cet entretien, le président Tebboune exige l’extradition d’opposants politiques réfugiés en France. A-t-il seulement entendu parler des droits de l’homme ? Il s’oppose à la prolongation de l’accord de 1968 qu’il qualifie pourtant de « coquille vide » s’affranchissant ainsi du principe de non-contradiction. Il justifie l’emprisonnement de Boualem Sansal parce que ce dernier a dîné avec l’ancien ambassadeur de France. Il refuse enfin de reprendre ses ressortissants expulsés par nous car « la France est l’ancienne puissance coloniale ». Ses affirmations seraient presque burlesques si elles n’avaient pas d’effet tragique. Face aux provocations d’un satrape n’ayant manifestement plus toutes ses facultés, ma question est simple : 81 % des Français réclamant l’instauration de sanctions économiques, seront-ils enfin écoutés afin que la France se fasse enfin à nouveau respecter ?
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je ne souhaite pas rebondir ou commenter vos propos M. Bigot.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Madame la rapporteure nulle attaque personnelle mais juste un constat de désaccord sur la question des prisonniers politiques en France. Vous ne pouvez pas dire qu’il n’y a pas de prisonniers politiques dans ce pays. M. Christian Tein et les autres indépendantistes kanaks emprisonnés en France, transférés depuis l’autre bout du monde en France, sont des prisonniers politiques. Quand le Président du Front de libération nationale kanake et socialiste (FLNKS), la principale organisation de décolonisation et d’indépendance du peuple premier dont la France a reconnu les droits sur le territoire de Kanaky-Nouvelle Calédonie, est emprisonné, c’est un prisonnier politique. Le FLNKS réclame qu’il participe aux négociations et aux discussions qui commencent actuellement : cela fait de lui un prisonnier politique et cela est un sujet politique que le gouvernement va devoir trancher pour savoir si M. Tein peut participer aux discussions.
Mme Constance Le Grip : Monsieur Lachaud, je ne souhaite pas polémiquer sur la Nouvelle Calédonie.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Je souhaiterais que nous restions sur l’objet du texte et que nous ne dévions pas sur la Nouvelle Calédonie.
Mme Caroline Yadan (EPR). Arrêtons de dire n’importe quoi ! il n’y a pas de prisonniers politiques en France ! La France est un état de droit et les prisonniers y bénéficient d’un procès équitable et du droit à la défense. Ils ne sont pas détenus arbitrairement sans aucun respect de leurs droits fondamentaux et bénéficient d’une protection médicale. Il n’y a donc rien de comparable avec la détention de M. Boualem Sansal qui fait l’objet d’une séquestration contrairement aux droits fondamentaux édictés par l’article 3 de la Charte européenne des droits de l’homme qui proscrit des traitements inhumains et dégradants.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je partage les propos de Mme Yadan.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous en venons à l’examen de la proposition de résolution européenne et des amendements qui ont été déposés.
Amendement n° 3 de Mme Constance Le Grip
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Par cet amendement, je souhaite rajouter un visa pour enrichir le cadre de référence.
L’amendement n° 3 est adopté.
Amendement n° 12 de Mme Nathalie Oziol
Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Notre groupe, la France Insoumise, propose une formule unique qui lève toute ambiguïté dans cette proposition de résolution sur la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal. Par cet amendement, nous appelons à la libération immédiate de Boualem Sansal au nom des idéaux universels portés par la déclaration des droits de l’homme et indépendamment de toute instrumentalisation de ces principes à des fins politiques. L’incarcération de l’auteur a en effet été instrumentalisée par l’extrême droite et le gouvernement français afin d’alimenter les tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie et leur rhétorique xénophobe. Cette proposition de résolution s’inscrit dans ce contexte et vise, sous couvert de défense des libertés fondamentales de Boualem Sansal et des droits inhérents à sa personne, à exacerber les tensions politiques avec le gouvernement algérien. La dissémination d’arguments et de mesures à visée politicienne au milieu des déclarations et des attachements de principe aux droits humains et fondamentaux garantis par la déclaration universelle des droits de l’homme est de nature à semer le doute quant aux véritables intentions des auteurs de cette proposition de résolution. En supprimant les alinéas mentionnés, c’est-à-dire de 19 à 33 inclus, et les arguments politiciens qu’ils contiennent, nous voulons réaffirmer clairement et sans ambigüité que les libertés fondamentales et notre attachement aux droits contenus dans la déclaration universelle des droits de l’homme motivent notre action et notre appel à la libération immédiate et sans conditions de Boualem Sansal.
Mme Constance le Grip, rapporteure. Je suis défavorable à votre amendement qui vise à réécrire intégralement la proposition de résolution et à proposer une rédaction alternative mais extraordinairement compressée. Même si je partage ce que vous dites, l’attachement aux droits fondamentaux et aux textes qui les rappellent figurent déjà dans le texte de la résolution. Je ne peux pas souscrire à une réécriture sèche qui vise à dénaturer et à réécrire ainsi qu’à appauvrir l’ensemble des messages.
Mme Caroline Yadan (EPR). Si j’ai bien compris, par cet amendement, vous voulez supprimer tout ce qui fait référence à la liberté d’expression et à la nécessité de la garantir en Algérie, tout ce qui fait référence aux droits de la défense ainsi qu’à l’inculpation au nom de l’atteinte à la défense de la sécurité nationale selon le Code pénal algérien. Vous voulez supprimer tout ce qui concerne l’âge et la fragilité de l’état de santé de Boualem Sansal. En tout état de cause, vous voulez supprimer tout ce qui paraît essentiel à dire parce que c’est justement en n’employant pas les mots qui conviennent qu’on fait du mal à notre République, à notre démocratie et que l’on donne un blanc-seing à un pouvoir qui a aujourd’hui l’impression d’être un pouvoir qui fait ce qu’il veut avec nos libertés fondamentales.
L’amendement n° 12 n’est pas adopté
Amendement n °9 de M. Bastien Lachaud
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Cet amendement vise à rappeler les liens d’amitié et de respect qui lient les peuples algériens et français. Madame la rapporteure, vous insistez, dans votre rapport, sur ces liens qui sont actuellement abîmés. Il me semble indispensable que nous, parlementaires, puissions rappeler l’importance de ces liens à nos yeux.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. J’émets un avis favorable à cet amendement. Je pense qu’il peut être judicieux, opportun, utile et bienvenu, pour trouver un chemin de dialogue et de respect mutuel, d’inscrire l’alinéa que vous proposez qui rappelle les liens d’amitié et de respect liant les peuples algériens et français. Je trouve cependant la rédaction de l’exposé des motifs de votre amendement assez caricaturale. Si j’ai souscrit aux termes « rappelle les liens d’amitié et de respect qui lient les peuples algériens et français », je ne saurais cautionner les termes de l’exposé des motifs.
M. Guillaume Bigot (RN). Notre avis est défavorable pour une raison simple : la politique est l’art du moment et ce n’est sûrement pas le moment de rappeler des liens d’amitié. Nous voulons faire pression sur le gouvernement algérien et pas sur le peuple algérien. En l’état de la démocratie en Algérie, je ne crois pas que le gouvernement algérien représente réellement le peuple algérien. Il n’est donc ni question de faire pression sur le peuple algérien, ni de rappeler des liens d’amitié qui sont évidents.
Mme Colette Capedevielle (SOC). Nous voterons en faveur de cet amendement parce qu’il vient rappeler une partie de notre histoire. Même si la situation s’aggravait, nos deux peuples entretiennent historiquement des liens d’amitié ancrés dans l’histoire qu’il est opportun de rappeler dans les considérants.
L’amendement n° 9 est adopté
Amendement n° 8 de Mme Nathalie Oziol
Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Depuis le début de la crise avec Alger, le gouvernement français utilise une rhétorique guerrière, qui n’a pas sa place dans les relations internationales et qui ne peut contribuer à instaurer un dialogue constructif avec Alger, pourtant nécessaire à la libération de Boualem Sansal. Au contraire, cette approche risque d’entretenir des tensions entre les deux capitales à des fins de politique intérieure. Par cet amendement, nous voulons rappeler qu’un dialogue constructif, la diplomatie et le respect mutuel sont les seuls moyens d’obtenir la libération de Boualem Sansal.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je ne suis pas favorable à cet amendement. Je pense qu’il faut rester sur la raison d’être de cette proposition de résolution qui est de porter des valeurs, d’affirmer des convictions, d’appeler à la libération d’un homme et de rappeler les principes, l’état de droit et les engagements internationaux pris par l’Algérie. Tout en rappelant la position exprimée par le chef de l’État, qui est de considérer Boualem Sansal comme un combattant de la liberté que nous appelons à libérer, le ministre des Affaires étrangères français a fait savoir qu’il était prêt à se rendre à Alger pour reprendre le fil du dialogue et de la discussion. Je crois qu’il n’est pas nécessaire d’affadir le propos ou de rappeler quelque chose qui va de soi et qui relève du travail des diplomates.
M. Guillaume Bigot (RN). Nous voterons contre cet amendement. La diplomatie n’est pas l’art de prendre le thé, ni de casser la vaisselle. Dans une négociation, il faut exercer un rapport de force et ne pas se coucher en permanence. Si vous adoptez cet amendement, vous vous auto-insultez. En effet, il est question des invectives xénophobes du gouvernement, qui seraient contre-productives. Je sais bien que nous sommes à l’ère où la politique s’affranchit du principe de non-contradiction, mais défendre un écrivain franco-algérien nommé Boualem Sansal serait de la xénophobie ? Une telle affirmation est totalement insensée.
Mme Caroline Yadan (EPR). Il ne faut pas oublier qu’en emprisonnant Boualem Sansal pour une opinion parfaitement libre et légale dans le pays où il l’a exprimée et dont il porte la nationalité, le pouvoir algérien a engagé un bras de fer avec la France. Le pouvoir algérien l’a qualifié de voleur. Cet écrivain a perdu sa liberté et a été emprisonné suite aux propos du Président de la République sur l’autonomie du Sahara occidental sous souveraineté marocaine. Boulaem Sansal paie les prises de position de la France. Dire cela n’empêche pas l’exercice de la diplomatie, mais lui permet de s’exercer dans une vérité.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Vous avez indiqué les propos du ministre des affaires étrangères qui essaye de nouer le dialogue diplomatique. Mais vous ne pouvez pas faire comme si les propos du ministre de l’intérieur ne sont pas en totale contradiction avec ceux du ministre des affaires étrangères. Tout cela met à mal le travail de diplomatie qui est en cours. Il serait au contraire nécessaire de réaffirmer que nous avons une diplomatie qui travaille et fait correctement son travail. C’est grâce à cela que les dossiers avancent et non par le chantage prévu par cette résolution. Je m’exprime en tant que députée française pour vous dire que notre diplomatie fait un travail remarquable et qu’il est important de la soutenir et pas de la neutraliser.
Mme Colette Capedevielle (SOC). C’est une résolution pour la libération d’un homme emprisonné. Il faut revenir au cœur du sujet de la résolution. La diplomatie ne doit pas être gênée. Nous nous abstiendrons sur cet amendement car si la négociation et les discussions appartiennent aux diplomates, il est insultant de le noter dans la résolution. Nous devons être vigilants dans la rédaction. Les diplomates jouent un rôle fondamental et nous espérons une normalisation des relations entre nos deux pays. Nous comprenons le fondement du rappel opéré par cet amendement, cependant, nous estimons qu’il n’est pas opportun, au regard de la situation actuelle, de l’introduire à ce stade et à cet endroit du texte.
L’amendement n° 8 n’est pas adopté
Amendement n° 7 de M. Bastien Lachaud.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, cette résolution prend place dans un enchaînement d’agressivité et d’escalades verbales, notamment portées par le ministre de l’Intérieur, sans que le ministre des Affaires étrangères ne parvienne à s’y opposer. En effet, pour le moment, c’est la position du ministre de l’Intérieur qui est la plus audible.
Il s’agit, par le présent amendement, de condamner l’ensemble de cette escalade. Elle est condamnée dans la résolution pour la partie algérienne. Mais il me semble qu’elle est aussi alimentée côté français et qu’il est de notre rôle de la condamner.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement que je juge inopportun. Les derniers développements ont montré les tentatives françaises d’aller vers la reprise du dialogue.
Mme Caroline Yadan (EPR). Cet amendement est très dangereux : il procède à un renversement des valeurs et à une inversion accusatoire comme si c’était la séquestration de Boualem Sansal qui était à l’origine des tensions entre la France et l’Algérie.
Vous écrivez dans l’exposé sommaire de l’amendement précédent que le gouvernement français utilise une « rhétorique martiale délétère » et vous dénoncez les « invectives xénophobes du gouvernement ». Ce sont des termes absolument incroyables.
Nous sommes dans une situation indigne : c’est presque comme si vous rendiez responsable le gouvernement français de la séquestration inacceptable par le pouvoir algérien de Boualem Sansal pour ses opinions.
L’amendement n° 7 n’est pas adopté.
Amendement n °4 de Mme la rapporteure.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. J’ai souhaité amender mon texte en rajoutant un alinéa qui appelle à la mise en place d’une mission médicale internationale afin d’évaluer l’état de santé de Boualem Sansal.
Monsieur Sansal est un homme âgé et malade. Il a fait des allers-retours entre l’hôpital et la prison où il est toujours détenu. Il aurait subi des examens médicaux – on parle de radiothérapie – dans le cadre du cancer de la prostate dont il est affecté, mais en réalité personne ne sait rien de son état de santé réel.
La protection consulaire ne lui a pas été accordée : ni le consul ni l’ambassadeur de France en Algérie ne peuvent le voir. Il a tout au plus un contact hebdomadaire avec son épouse et ses avocats algériens commis d’office – mais qui évidemment ne sont pas médecins. Les proches de Boualem Sansal ont de très fortes inquiétudes quant à la dégradation de son état de santé.
Nous souhaiterions donc, pour des raisons humanitaires, et comme les députés européens l’ont exprimé dans leur résolution adoptée le 23 janvier, la mise en place d’une mission médicale.
Un certain nombre de praticiens français ont d’ailleurs récemment écrit à Médecins du monde et à Médecins sans frontières pour faire part de leurs inquiétudes et demander la mise en place de cette mission médicale.
L’amendement n° 4 est adopté.
Les amendements n° 1, 2, 10 et 11 sont soumis à une discussion commune.
Amendement n °1 de Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Cet amendement propose la suppression des alinéas 32 et 33 qui sont les plus problématiques de notre point de vue dans l’écriture de cette résolution, pour plusieurs raisons.
D’abord, il y a une incohérence entre le titre de la résolution qui indique une demande « inconditionnelle » de libération de Boualem Sansal alors que, dans le même temps, vous écrivez ces alinéas qui posent des conditions pour sa libération. Il convient donc de simplifier et clarifier la rédaction par la suppression de ces alinéas.
Ensuite, cette résolution a été déposée par des groupes d’extrême droite au Parlement européen et je crois que nous gagnerions à ne pas adhérer aux thèses et à la colère dont ils usent à chaque fois pour parler de l’Algérie.
Enfin, je pense que ce n’est pas en pénalisant l’entièreté de la société algérienne, en conditionnant les aides dans l’accord d’association de l’Union européenne avec l’Algérie, qu’on réussira à obtenir la libération de Boualem Sansal.
Je peux entendre les relents de certains pans de cet hémicycle qui sont nostalgiques de l’Algérie française, de l’OAS, et qui voudraient se croire encore colonisateurs d’un État souverain. Mais je pense que ce n’est pas votre cas et que l’on gagnerait en cohérence avec la suppression de ces deux alinéas.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Si l’on veut vraiment obtenir la libération rapide de Boualem Sansal, il faut que l’on aboutisse à des relations apaisées avec le gouvernement algérien.
Or ces deux derniers alinéas sont en contradiction, d’une part, avec le titre de la résolution – « libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal » – et, d’autre part, avec l’esprit de cette résolution, qui est d’obtenir la libération de Boualem Sansal et de ne pas entraver le travail diplomatique de négociation.
Cette rédaction est de nature à crisper et à être mal reçue. Nous vous remercions donc, chers collègues, de bien vouloir voter cet amendement et de permettre la suppression de ces alinéas qui sont de nature à tendre les relations diplomatiques.
D’autant que, comme Mme Sabrina Sebaihi l’a dit, cette rédaction a été inspirée par les groupes d’extrême droite du Parlement européen. Nous souhaiterions donc faire litière de ces références-là.
Amendement n° 10 de Mme Nathalie Oziol.
Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Ces amendements proposent de supprimer les alinéas 32 et 33 qui pénaliseraient le peuple algérien et la coopération entre l’Union européenne (UE) et l’Algérie, tout en aggravant les tensions diplomatiques entre Européens et algériens.
L’Union européenne finance, via la politique européenne de voisinage, des projets de coopération avec le gouvernement algérien, sur de nombreuses thématiques, dont notamment la transition énergétique, l’action climatique et le développement économique local. Ces projets de coopération bénéficient directement aux populations et visent précisément à faire émerger des conditions matérielles, sociales et politiques permettant de réaliser des progrès substantiels en matière d’État de droit et de libertés fondamentales. Conditionner le financement de ces programmes à des critères politiques reviendrait donc à exiger dès le départ que les actions de coopération de l’UE remplissent les critères que la Commission européenne lui a précisément fixés comme objectifs finaux. Il convient également de noter que l’Europe n’est pas exempt d’atteintes aux libertés individuelles comme le prouve la situation en Hongrie où la dégradation des libertés fondamentales est flagrante. Tout cela va dans le sens d’une escalade diplomatique qui est le contraire de ce qui doit être visé.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je suis défavorable à ces amendements. J’entends bien les différents arguments que vous déployez. S’agissant de la critique de nature sémantique qui m’est faite sur la discordance qu’il y aurait entre le contenu de ladite proposition de résolution et le titre, je précise que ce n’est pas la demande qui est inconditionnelle, mais la libération. Cela n’a rien à voir. La demande est donc faite avec fermeté, avec opiniâtreté, dans la droite ligne de ce que les parlementaires européens, de toute nationalité et de très nombreuses obédiences politiques différentes ont demandé.
Il s’agit de la liberté d’un compatriote qui écrit en français et dont nous souhaitons obtenir la libération. Je rappelle qu’il y a des comités d’écrivains et d’intellectuels, d’hommes et de femmes politiques qui se mettent en place. Un véritable mouvement prend forme dans la société civile, en France, en Europe, et dans d’autres régions du monde comme l’Amérique latine, comme en témoignent ces mairies, administrées par des maires de couleurs politiques différentes, qui font des banderoles appelant à sa libération, ou encore ces opérations envisagées pour obtenir sa libération. Il est important que nous allions au-delà d’une déclaration de principes. Il est important de montrer que nous appelons la France et l’Union européenne à ne pas se priver d’utiliser tous les leviers de pression diplomatiques pour parvenir à l’objectif. Je suis donc défavorable à cet amendement.
M. Guillaume Bigot (RN). En réalité je ne comprends pas très bien pourquoi il faudrait supprimer des amendements inutiles s’ils sont inutiles.
D’abord, vous nous expliquez que la France ne doit pas rentrer dans un bras de fer alors qu’elle l’est déjà, suite l’arrestation inique de notre compatriote. À partir du moment où quelqu’un exerce un bras de fer, si vous refusez d’utiliser des leviers pour le gagner, vous vous couchez.
Ensuite il faut rappeler quand même le droit international et en l’occurrence le traité signé par l’Union européenne et l’Algérie en 2005 dont l’article 84 dispose que l’Algérie doit accepter de garder sur son sol ses nationaux lorsqu’ils sont expulsés par un pays de l’Union européenne.
Enfin, le peuple algérien est un grand peuple qui a en effet arraché son indépendance au prix du sang. Ce grand peuple qui devrait être un peuple frère du peuple français mérite probablement mieux qu’une bande de cleptomanes incompétents et haineux.
Mme Colette Capdevielle (Soc). L’alinéa 33 indique que « nous appelons le gouvernement de la République française ainsi que la Commission européenne et le Conseil européen à suspendre toutes les avancées favorables à l’Algérie dans les discussions entre l’Union européenne et l’Algérie, dans le cas de la renégociation de l’accord d’association UE-Algérie, tant que Boualem Sansal ne sera pas libéré de prison. »
Cette rédaction constitue une forme de chantage. Nous sommes d’accord avec vous sur le terrain de la liberté d’expression et le terrain humanitaire. Mais il n’est pas possible d’affirmer que cette libération doit être inconditionnelle et en même temps poser de telles conditions au Gouvernement, à la Commission européenne et au Conseil.
Mme Sabrina Sebailhi (EcoS). Je rejoins ma collègue Mme Capdeviellle : ces articles sont en totale contradiction avec ce que vous demandez. Vous réclamez comme nous tous une libération inconditionnelle et en même temps vous posez des conditions pour cette demande de libération. Il s’agit d’une forme de chantage. Si vous demandez seulement la libération inconditionnelle, nous pourrions soutenir la rédaction.
Monsieur Bigot, vous entendre parler du droit international alors que cela fait des mois que nous demandons à ce qu’il soit appliqué partout à travers le monde de la même manière me paraît déplacé. La France se grandirait largement en appliquant le droit international partout de la même manière quel que soit l’État qu’elle a face à elle.
Enfin, les propos que vous tenez vis-à-vis de l’Algérie montrent que vous n’avez pas de respect pour ce pays, ni pour ses habitants, et que vous êtes encore dans une forme de nostalgie coloniale : l’utilisation du terme de « cleptomanes » pour qualifier des responsables est indigne de votre fonction.
Madame Caroline Yadan (EPR). Vous pensez qu’il y a une contradiction entre la demande de libération inconditionnelle et les aliénas 32 et 33. Vous faites une confusion : ces alinéas ne posent aucune condition à la libération de Boualem Sansal. Ils viennent indiquer qu’à partir du moment où le pouvoir algérien a emprisonné un homme de manière totalement arbitraire, il est de notre devoir de dire que tant que Boualem Sansal est en prison, il convient de suspendre les négociations en cours de l’accord d’association. Cela paraît légitime et ce n’est pas une condition.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je partage les propos de Caroline Yadan. Je rappelle qu’au Parlement européen, la résolution a été portée par plusieurs groupes parlementaires et qu’après avoir été amendée, elle a été adoptée à une très large majorité, de façon transpartisane, avec le soutien des Socialistes européens et des Verts. Or, elle comprend un alinéa qui appelle clairement à ce que les futurs versements de fonds de l’Union européenne tiennent compte des progrès accomplis par l’Algérie en matière de droits et libertés.
Les amendements n° 1, n° 2, n° 10 et n° 11 ne sont pas adoptés.
Amendement n° 5 de Mme Manon Bouquin
Mme Manon Bouquin (RN). L’Algérie s’autorise à ignorer ouvertement le droit international et à mépriser les décisions de justice françaises et européennes. Ce comportement n’est plus tolérable. Alors que l’influenceur algérien Doualemn, interpellé à Montpellier pour avoir diffusé une vidéo appelant à la violence, avait fait l’objet d’une décision d’expulsion, les dirigeants algériens l’ont renvoyé en France le soir même, comme si nos frontières étaient une passoire et nos décisions judiciaires de simples recommandations sans valeur. Ce n’est pas un cas isolé. Depuis trop longtemps, le régime algérien pratique une politique de refus systématique en ne délivrant pas les laissez-passer nécessaires au retour de ses ressortissants. Ils vont jusqu’à bloquer les expulsions exécutoires qui ne nécessitent aucun document. Cela constitue une véritable remise en cause de notre souveraineté nationale. Cette arrogance doit cesser.
Cet amendement appelle ainsi le Gouvernement français et les institutions européennes à exiger fermement le respect du droit international. Nous ne pouvons accepter que la sécurité de nos concitoyens et la légitimité de notre justice soit bafouées par un État partenaire qui semble se croire au-dessus des règles. L’heure est venue de rappeler que la coopération ne peut fonctionner sans respect mutuel.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. J’émets un avis défavorable. Je souhaite que la proposition de résolution demeure concentrée sur l’appel à la libération de Boualem Sansal et sur la dénonciation des violations flagrantes de ses droits fondamentaux.
Mme Caroline Yadan (EPR). La demande de Mme Bouquin me semble satisfaite par la rédaction actuelle de la proposition de résolution, qui appelle déjà à respecter le droit international. Elle invite en effet la France et l’Union européenne à mobiliser tous les leviers diplomatiques dont elles disposent pour obtenir la libération de Boualem Sansal, en conformité avec le droit international.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). J’ai du mal à comprendre : Mme la rapporteure s’oppose à cet amendement au motif qu’il dévoierait l’objet de la proposition de résolution, alors que Mme Yadan avance qu’il est déjà satisfait par la résolution. Il y a une incohérence. Madame la rapporteure, pourriez-vous éclaircir ce point ?
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Il n’y a aucun doute sur le fait que la proposition de résolution appelle au respect de l’État de droit, des libertés fondamentales, et des grands principes démocratiques auxquels la France et l’Union européenne sont particulièrement attachées. Je ne suis cependant pas favorable à cet amendement car il ne correspond pas exactement à ma position.
L’amendement n° 5 n’est pas adopté.
Amendement n° 6 de Mme Manon Bouquin
Mme Manon Bouquin (RN). La détention arbitraire de Boualem Sansal constitue une attaque frontale contre la liberté d’expression et les principes fondamentaux des droits humains. Au-delà d’un cas individuel, nous défendons ici le respect des valeurs démocratiques. L’Algérie ne peut bénéficier indéfiniment des avantages d’une coopération étroite avec l’Union européenne tout en foulant aux pieds ces principes. La délivrance de visas pour ses ressortissants est un privilège et non un dû. Cet amendement propose donc de suspendre cette délivrance jusqu’à ce que Boualem Sansal soit délivré.
Si cette mesure ne suffisait pas, nous disposons de bien d’autres leviers. Nous pourrions suspendre les transferts de fonds vers l’Algérie, ou geler les avoirs des dignitaires algériens résidant dans l’Union européenne. Le régime algérien doit comprendre qu’il y aura des conséquences concrètes à la répression des voix dissidentes, notamment lorsque celle-ci vise nos compatriotes français. Nous devons montrer que l’Europe ne reste pas silencieuse face à la violation des droits humains.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement.
L’amendement n° 6 n’est pas adopté.
L’article unique de la proposition de résolution européenne, ainsi modifié, est adopté.
La proposition de résolution européenne est par conséquent adoptée.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je tiens à remercier l’ensemble de mes collègues qui ont pris part à ce débat très intéressant. Nous espérons que cette proposition de résolution européenne pourra être bientôt discutée dans l’hémicycle. J’observe en tout cas avec satisfaction qu’elle a suscité un fort intérêt : nos discussions ont été suivies par de nombreuses personnes qui placent les libertés d’opinion et d’expression au-dessus de toutes les contingences.
Présidence de M. Thierry Sother, vice-président
M. le vice-président Thierry Sother. L’ordre du jour appelle l’audition de M. Frédéric Baab, procureur européen, membre français du Parquet européen, que je remercie d’avoir fait le déplacement depuis le Luxembourg. Cette audition précédera l’examen de la proposition de résolution européenne visant à étendre les compétences du Parquet européen aux infractions à l’environnement, dont notre collègue Mme Naïma Moutchou est la rapporteure. Il est apparu en effet particulièrement opportun de précéder l’examen de ce texte d’un échange avec l’un des artisans du Parquet européen.
Monsieur le procureur européen, vous avez exercé les fonctions de conseiller de justice pénale à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne à Bruxelles en 2007, après avoir été président du Tribunal de grande instance de Dunkerque de 2010 à 2013. Vous avez ensuite été nommé conseiller diplomatique au cabinet de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux.
C’est dans ce cadre que vous avez participé en première ligne aux négociations européennes qui ont conduit à la création du Parquet européen. Ce Parquet est un organe de l’Union européenne peu connu de nos concitoyens. Pourtant, sa mission nous concerne tous, et elle est essentielle. Il veille sur les intérêts financiers de l’UE, et sanctionne le détournement de ses recettes et de ses dépenses. C’est un organe indépendant – c’est important de le rappeler – à la fois des institutions européennes et des États membres. Fin 2023, deux ans après sa création, près de 200 enquêtes étaient en cours, pour un préjudice estimé à environ 20 milliards d’euros.
M. Frédéric Baab, procureur européen. Avant d’aborder le sujet de l’extension de compétences autrement dit de la création d’un parquet vert européen – je vais présenter le Parquet européen, son fonctionnement et ses résultats sur le plan opérationnel. Puisqu’en réalité, si ce Parquet européen est inutile ou inefficace, à quoi bon étendre sa compétence à de nouvelles infractions ?
Le Parquet européen est entré en service le 1er juin 2021, et conduit actuellement plus de 3 000 enquêtes, pour un préjudice au budget européen estimé de presque 25 milliards d’euros, avec déjà un total de saisies effectuées d’1,5 milliard d’euros, peut-être le chiffre le plus intéressant en réalité. La caractéristique de ce Parquet européen, c’est aussi de réunir en son sein des procureurs européens et procureurs européens délégués, appartenant à presque tous les États membres de l’UE. Son effectif est désormais quasiment complet avec vingt‑quatre États membres qui participent au Parquet européen, ce qui est un signal extrêmement important, alors que ce règlement avait été adopté dans le cadre d’une coopération renforcée, -une manière élégante de décrire un échec de négociation.
Il était au départ incertain de pouvoir réunir le minimum de neuf États membres au sein du Parquet européen. Vingt-quatre États membres, c’est un succès politique et un succès opérationnel, avec désormais à bord le dernier grand État qu’il manquait au Parquet : la Pologne.
Reste en dehors du Parquet européen le Danemark, pour des raisons qui ne sont pas liées au Parquet européen, mais qui tiennent au fait que le Danemark bénéficie d’une option de retrait (opt-out) concernant les affaires de justice et d’affaires intérieures. Les Danois ne participent donc à aucune agence européenne en cette matière, y compris Eurojust, auprès de laquelle ils ont un procureur de liaison, sans en être membre à part entière. La Hongrie n’en fait pas non plus partie, pour les raisons politiques que je ne vais pas vous faire l’offense de décrire et que vous connaissez sans doute mieux que moi. L’Irlande n’est pas non plus membre, mais va sans doute monter à bord en 2026 pendant la présidence irlandaise, puisque c’est désormais un commissaire européen irlandais qui est en charge de la justice. Non seulement ce Parquet européen est un succès évident sur le plan opérationnel, mais il va donc bientôt réunir en son sein à peu près tous les États membres de l’Union européenne
La question de l’extension de compétences se pose immédiatement, et est réglée par l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), en son paragraphe 4. Ce dernier présente un verrou institutionnel remarquable pour l’obtention d’une extension de compétences, que ce soit pour la création du Parquet européen, ou toute future extension. Ces extensions reviennent en effet à un transfert non pas seulement de compétences, mais de souveraineté, puisque toutes les prérogatives d’action publique – la direction d’enquête et l’exercice des poursuites – sont transférées à l’échelon européen.
Les dispositions prévues pour la création d’un Parquet européen dans le champ de la protection des intérêts financiers de l’UE orientent plutôt vers l’utilisation de la coopération renforcée. En revanche, pour les extensions de compétences, les conditions à remplir sont extrêmement exigeantes, et présentent un double aspect. La première condition concerne la compétence matérielle elle-même : il faut qu’elle relève d’infractions graves et transnationales, c’est-à-dire en lien avec le crime organisé, dans son acception large du terme. La deuxième condition réside dans le fait que cette extension de compétences doit être approuvée à l’unanimité par le Conseil européen, soit le niveau décisionnel politique le plus élevé dans l’UE.
Ce sont ces conditions spécifiques qui doivent guider la réflexion s’agissant d’une possible extension de compétences. Cette dernière ne peut se justifier qu’à partir du moment où le Parquet européen a démontré son efficacité, voire une efficacité supérieure à celle pouvant être obtenue en utilisant uniquement les instruments de coopération judiciaire à disposition.
J’ai été membre national français à Eurojust, dans ce cadre intergouvernemental classique de coopération judiciaire, en tant que chef du bureau français – de même qu’il existe un chef de bureau français à Europol-. Ce support de coopération est très utile, mais il n’a lui‑même aucun pouvoir propre : aucun pouvoir d’enquête, aucun pouvoir de poursuite. Il est simplement là pour aider les autorités judiciaires des États membres qui sont chargées des enquêtes à coopérer, et à échanger des informations.
Je suis arrivé en 2014, et en 2015 j’ai commencé à traiter toutes les affaires de terrorisme, et en particulier les dossiers des attentats du 13 novembre 2015. Mais nous avions évidemment d’autres dossiers importants, en particulier celui concernant la fraude aux moteurs diesel de la marque Volkswagen. C’est par définition un dossier à traiter au niveau d’Eurojust, puisque Volkswagen a vendu des véhicules partout en Europe – et dans le monde entier – et que certains de ces véhicules ont été vérolés de l’intérieur par un logiciel permettant de retenir les gaz au moment du contrôle, gaz qui sont relâchés ensuite dans la nature, une fois le contrôle effectué.
Les Allemands ont ouvert un dossier auprès d’Eurojust, puisque Eurojust – encore une fois – ne peut pas se saisir lui-même - contrairement au Parquet européen qui peut évoquer des dossiers. La France a aussi ouvert un dossier car si vous voulez exister à Eurojust, il ne faut pas hésiter à saisir l’agence des dossiers les plus importants. Au cours de la première réunion de coordination, nous comprenons immédiatement que l’intention des Allemands n’est pas de partager des informations avec ses partenaires européens mais d’éviter un éventuel non bis in idem dans l’éventualité où un tribunal d’un autre Etat membre jugerait l’affaire avant un tribunal allemand. Le magistrat allemand en charge de l’affaire a ensuite souhaité que toutes les décisions prises dans ce dossier par une autorité judiciaire d’un autre Etat membres soient soumises à son avis préalable. Tout ça pour vous dire que quand des intérêts économiques très puissants sont en cause, il n’y plus de coopération judiciaire !
Est-ce qu’il faut aller dans le sens d’un parquet vert européen, qui pourrait être compétent pour ce type d’affaires ? La réponse est « non ». Nous n’avons aucune légitimité pour traiter ce type de dossier. Une extension de la compétence du parquet européen à criminalité environnementale économique, qui peut concerner ou impliquer directement la grande industrie, est impossible à envisager. Jamais nous n’aurons un accord politique au Conseil européen sur une telle orientation.
En revanche, l’action d’un parquet vert européen pourrait être intéressant pour traiter des affaires liées à la criminalité environnementale et impliquant directement la criminalité organisée. Je pense aux voyous pratiquant le trafic de déchets, le trafic d’espèces protégées ou le trafic de matières dangereuses. Ce pan de l’activité criminelle n’est quasiment pas traité aujourd’hui.
Le premier objectif de l’action publique est de lutter contre le narcotrafic. Dans les affaires liées au narcotrafic, les États membres mettront toujours en place une coopération judiciaire et les moyens qui vont avec. Au contraire, dans les dossiers de criminalité environnementale, les moyens risquent de manquer pour traiter ce type de criminalité.
Hors la criminalité environnementale couvrant des infractions graves, ces dossiers sont aujourd’hui négligés. De temps en temps, vous avez un dossier qui sort, mais vous voyez bien que ce n’est pas sur ce terrain-là qu’on met tous les efforts aujourd’hui, même si certains pays – comme la France par exemple – se sont organisés pour créer des pôles environnementaux spécialisés. Mais nous restons dans le cadre de la coopération judiciaire. Si l’on crée un parquet vert européen, ces dossiers deviendront une priorité.
Prenons l’exemple de la fraude aux intérêts financiers de l’Union européenne qui couvre des dossiers importants comme la fraude à la TVA, la fraude aux droits de douane, des détournements de subventions européennes dans des proportions qui peuvent être importantes. Combien croyez-vous que j’ai repris de dossiers quand le parquet européen a été créé en France ? Quatre pour toute la France ! Aujourd’hui j’en ai 145 en cours. À partir du moment où vous créez un parquet européen pour traiter de ces affaires, vous en faites une priorité d’action publique : les acteurs concernés par ce type de délinquance ont un interlocuteur à qui faire le signalement. De mon point de vue, si l’on crée un parquet vert européen, ce sera la même chose : on fera de la lutte contre la criminalité environnementale, transnationale en lien avec la criminalité organisée, une véritable priorité d’action publique. Cette criminalité n’est sans doute pas au niveau du narcotrafic, mais elle permet de réaliser des bénéfices considérables et génère du blanchiment et en amont de la corruption. Il s’agit en réalité d’une forme de criminalité, qui génère des profits extrêmement importants avec un risque pénal très faible par rapport à celui encouru, par exemple pour le trafic de stupéfiants.
Outre les conditions fixées par le traité, une dernière est essentielle : avoir une base légale harmonisée, un socle minimum d’infractions reconnues dans tous les États membres. Par exemple, la directive européenne 2017/1371 « Protection des intérêts financiers », permet d’asseoir la compétence du Parquet européen dans la lutte contre la fraude au budget de l’Union.
La directive européenne 2024/1203 « Protection de l’environnement par le droit pénal », adoptée le 11 avril 2024, permet déjà d’harmoniser les infractions décrites précédemment - trafic de déchets, d’espèces protégées, de matières dangereuses, avec des circonstances aggravantes, dans le cas où une organisation criminelle est impliquée.
Quand la création d’un parquet vert européen pourrait-elle être discutée ? La Commission européenne doit déposer un projet de révision du règlement en 2026. Ce serait l’occasion d’envisager une éventuelle extension de compétences aux infractions environnementales graves.
Deux autres extensions de compétences sont envisagées. La première est une extension de compétences à la violation des sanctions européennes – soit l’ensemble des mesures restrictives prises par l’Union européenne contre les pays qui représentent une menace pour la paix ou la sécurité : la Russie, la Biélorussie, l’Iran, la Corée du Nord…. En 2022, le ministre de la justice français et son homologue allemand ont fait une déclaration commun pour étendre la compétence du Parquet à la violation de ces mesures.
La deuxième extension possible, plus mineure, concerne la corruption d’agents publics européens. Il s’agirait de traiter les dossiers qui ne sont pas déjà en lien avec une fraude aux intérêts financiers. Cela permettrait d’évoquer un dossier comme le Qatargate, qui n’a pas été traité par le Parquet européen mais par la juridiction belge au motif qu’il s’agit d’argents étrangers.
Sur le plan politique, la création d’un parquet vert européen ne constituerait pas une atteinte lourde à la souveraineté des États membres. Il s’agit du champ de la criminalité organisée, un domaine qui ne me paraît pas investi au niveau auquel il devrait l’être.
Mme Naïma Moutchou, rapporteure. J’ai été rapporteure de la mise en place du Parquet européen, accompagné de l’existence de juridictions spécialisées en matière environnementale par pôle régionaux. Le Parquet a pour vocation de lutter contre les fraudes aux intérêts financiers. Nous avions déjà des débats sur l’extension de ses compétences car nous savions que sa mise en place serait un succès. Il l’a été au-delà de nos espérances : le bilan est remarquable.
Nous savions que la coopération intergouvernementale ne suffisait pas : le Dieselgate en est un exemple. J’ai bien noté qu’une extension des compétences aux infractions environnementales ne bouleverserait pas l’organisation du Parquet et ne porterait pas d’atteinte disproportionnée à la souveraineté.
Que pensez-vous des extensions envisagées à la lutte contre le terrorisme, la cybersécurité, ou la traite des êtres humains, au sujet duquel un amendement a été déposé ?
M. Frédéric Baab, procureur européen. Tous ces choix sont par définition politiques. Il vous appartient, de même qu’il appartient aux États membres et au Parlement européen de se prononcer sur les priorités d’action publique au niveau européen.
Cependant, la création d’un parquet européen anti-terrorisme a peu de sens car il s’agit d’un sujet au cœur de la souveraineté des États. À partir de 2015, j’ai vu fonctionner de manière remarquable la coopération judiciaire en matière de terrorisme autour d’Eurojust. J’ai organisé et présidé 17 réunions de coordination dans le dossier des attentats du 13 novembre 2015 et dans d’autres dossiers ouverts par la France et d’autres pays européens.
La lutte contre le terrorisme doit rester de la compétence des États membres, même dans le cadre d’une coopération importante. Ils doivent accepter de partager des informations sensibles dès lors qu’il s’agit d’une nécessité absolue pour avancer dans les enquêtes.
En ce qui concerne les autres types d’infractions, comme le trafic des êtres humains ou éventuellement les cyber-crimes, il s’agit évidemment d’un choix politique. Il est impératif toutefois que les extensions de compétences restent mesurées pour que le parquet européen soit réellement en capacité de les maîtriser. Quand la Commission européenne dit réfléchir à l’extension des compétences du parquet européen à la corruption, il s’agit d’un domaine de compétence beaucoup trop large. Le parquet européen ne pourrait pas absorber cette compétence, la corruption recouvrant un trop grand nombre d’infractions, notamment criminelles. Le même constat peut être fait pour les questions liées au blanchiment qui englobent quasiment toute la criminalité organisée. Une compétence aussi large n’aurait pas de sens. Ces extensions ne doivent pas représenter une atteinte lourde à la souveraineté mais renforcer l’efficacité des enquêtes.
M. Guillaume Bigot, (RN). Il me semble que la proposition d’étendre les compétences du parquet européen aux infractions environnementales repose sur des bases légales assez friables puisque cela reviendrait à détourner l’esprit et la lettre de l’article 86 du TFUE qui limite les compétences du parquet européen aux seules infractions portant atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne. Créer un parquet vert européen reviendrait donc à instituer tôt ou tard un ordre public environnemental européen. Sans force publique, l’Union européenne n’a pas les moyens de faire respecter un quelconque ordre public. Bruxelles manque de la légitimité démocratique pour le faire.
La création d’un parquet vert européen aurait des conséquences délétères sur la compétitivité des entreprises européennes. Après avoir sacrifié l’économie continentale sur l’autel de la transition écologique, avec des politiques comme le fit for 55 qui entraîneront une perte de 2.1 % du PIB par habitant d’ici 2035, ce parquet serait capable à terme d’infliger des amendes pouvant atteindre 5 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises européennes, qui sont déjà les moins polluantes du monde. En 1983, François Mitterrand expliquait aux pacifistes ouest allemands, opposés au déploiement de missiles américains sur leur sol, « les pacifistes sont à l’ouest, les missiles sont à l’est ». Aujourd’hui les émetteurs de CO2 sont en Chine et aux États-Unis, mais les procureurs verts seront demain à Bruxelles.
A travers ce parquet européen nous nous enfoncerions un peu plus dans le délire idéologique écologiste avec ce concept d’écocide, un terme qui cherche à amalgamer des atteintes l’environnement à un génocide. Demain, des exploitants agricoles risquent d’être traités en criminels pour avoir asséché un étang. Les agents armés de l’OFB sévissent déjà dans nos campagnes : avec ce parquet vert ils seront déchaînés.
M. Frédéric Baab, procureur européen. j’ai déjà répondu aux objections que vous formulez, dont certaines d’entre elles sont tout à fait recevables.
Avec le parquet vert européen, il ne s’agit pas de créer un ordre public vert. Il s’agit uniquement de lutter contre la criminalité organisée liée à des infractions environnementales. Par exemple, le Parquet européen n’a pas vocation à intervenir sur un dossier comme celui du dieselgate. C’est ma conviction.
En ce qui concerne l’écocide, cette question n’est pas du tout concernée par cette extension de compétence. Seuls les trois types de trafic que j’ai précédemment indiqués le sont.
M. Sébastien Huyghe, (EPR). « La poursuite des criminels doit être pilotée par un parquet européen ». Ce sont les mots tenus par Robert Badinter dans cette même commission en 2014. C’est aujourd’hui chose faite puisque le parquet européen est entré en fonction en 2021 et œuvre depuis pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs d’infractions pénales portant atteintes aux intérêts financiers de l’Union. Je souhaite d’abord vous remercier pour vos propos liminaires Monsieur le Procureur. Je suis ravi que nous ayons l’opportunité de vous auditionner aujourd’hui.
Ma première question porte sur votre évaluation de la coopération entre le parquet européen et les autorités judiciaires françaises. Est-ce que vous rencontrez des difficultés spécifiques que vous pourriez nous décrire ? Qu’en est-il des parquets nationaux des autres États membres ?
Ensuite, on sait que le parquet européen collabore étroitement avec d’autres acteurs, tels que l’OLAF, Eurojust et Europol. Existe-t-il des lacunes dans cette collaboration dont vous souhaiteriez nous parler ?
Ma troisième question concerne la Pologne qui a récemment décidé de rejoindre le parquet européen après avoir longtemps refusé d’y participer. L’entrée de la Pologne va-t-elle permettre d’accélérer certaines enquêtes en cours ? Pensez-vous que l’adhésion de la Pologne peut encourager d’autres États membres à adhérer au parquet européen ?
Par ailleurs, l’Union Européenne a imposé quinze paquets de sanctions à la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022 et les États membres sont en train d’en négocier un seizième. L’Union européenne étudie les moyens de renforcer les sanctions à l’encontre de la Russie, notamment en élargissant le rôle du parquet européen. Est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots ?
Ma dernière question concerne la proposition de résolution européenne que nous allons examiner dans quelques instants. Le parquet européen dispose-t-il aujourd’hui des ressources et des compétences techniques nécessaires pour traiter des affaires de criminalité environnementale ? J’allais vous demander si selon vous il fallait créer une cellule spécialisée mais de vos propos liminaires, je comprends que vous y êtes favorable.
M. Frédéric Baab, procureur européen. L’intégration du parquet européen en France s’est très bien faite, avec notamment la mise en place d’un nouveau cadre procédural. Les pouvoirs du juge d’instruction ont en effet été redistribués entre le procureur européen délégué qui conduit l’enquête et exerce les poursuites et le juge des libertés et de la détention.
En ce qui concerne la transmission d’information au parquet européen français, les choses se mettent en place. Il faut installer le parquet européen dans sa compétence de même que le PNF a dû le faire. Aujourd’hui, nous avons des accords de coopération avec les grands acteurs français concernés, en particulier avec les administrations responsables de la dépense mais aussi avec la DG Trésor pour tout ce qui concerne le plan de relance et avec la cellule de renseignement financier Tracfin. On a donc aujourd’hui un cadre qui est adapté aux enquêtes du parquet européen.
Sur les sanctions, c’est un sujet qui va revenir à l’ordre du jour en 2026 puisqu’il était déjà à l’ordre du jour du Conseil des affaires intérieures informel qui s’est tenu à Varsovie le 31 janvier dernier. Nul doute que les Polonais en feront une priorité politique au moment où nous allons réviser le règlement.
En ce qui concerne l’entrée de la Pologne, c’était la dernière grande étape à réaliser. D’une part, la situation géographique de ce grand pays en fait une plaque tournante de la criminalité organisée. D’autre part, la Pologne reçoit de l’Union européenne une manne financière très importante. Il était donc nécessaire d’avoir les Polonais à bord.
En ce qui concerne les ressources, elles sont très clairement insuffisantes. La Commission européenne a fait du développement d’Europol une priorité. Elle a raison. Elle va même jusqu’à envisager le doublement de ses effectifs, ce qui est une bonne chose. Mais encore faut-il que le parquet européen puisse bénéficier de ressources budgétaires qui lui permettent de se développer et d’accroître ses effectifs à la fois au niveau national et européen. Par ailleurs, la question de l’application de l’intelligence artificielle aux enquêtes pénales est un enjeu d’avenir majeur. Si nous voulons être au niveau des voyous, il va falloir qu’on s’y mette sérieusement. Par exemple, quand on est capable de craquer une messagerie cryptée comme Encrochat, encore faut-il avoir des outils d’intelligence artificielle qui nous permettent d’exploiter ces données dans les temps utiles. Cette question devra faire l’objet d’une priorité budgétaire pour les agences européennes.
Mme Marietta Karamanli (SOC). En 2021, Monsieur Badinter disait : « J’ai mis beaucoup de temps à convaincre d’autres États quand j’étais ministre, mais j’ai continué, nous avons continué le combat parlementaire en France et dans d’autres pays pour arriver à neuf États ». En 2025, 24 états sont membres du parquet européen. Cela montre que, même si cela prend du temps, il est possible d’avancer.
S’agissant de l’intelligence artificielle, c’est un enjeu essentiel. Les États membres et le Parquet européen ne pourront pas répondre à la criminalité sans outils adaptés.
L’institution d’un parquet vert suppose que soient remplies deux conditions : disposer d’une base légale harmonisée dans tous les États membres et désigner les autorités de poursuites. Si le système reste centré à l’échelle nationale, il sera difficile de traiter des affaires au-delà des frontières.
Notre Assemblée nationale s’est toujours positionnée pour étendre les domaines de compétences du Parquet européen. Parmi ces compétences, la traite des êtres humains est un sujet important car concernant les droits humains et la protection de nos concitoyens.
D’ailleurs la proposition que nous faisons est d’ouvrir une étude sur ce sujet. Quel chemin doit être pris pour faire avancer ce sujet sans alourdir les besoins au niveau du Parquet européen ?
M. le Frédéric Baab, procureur européen. La traite des êtres humains est par définition une criminalité transnationale. Il est nécessaire de lutter contre ce phénomène criminel qui génère lui aussi des profits considérables, sans compter toutes les conséquences que cela peut avoir pour les États européens. Le Parquet européen peut évidemment prendre en compte les enquêtes et les poursuites dans ce domaine.
Cependant, il est nécessaire d’expertiser les choses de manière plus précise. Nous avons besoin d’avoir une base infractionnelle clairement définie pour envisager ensuite une extension de compétences. Lorsque l’on parle de traite des êtres humains, nous devons non seulement viser le phénomène de la traite mais aussi envisager tout son environnement financier, dont notamment le blanchiment et les phénomènes de corruption. Aussi, l’existence d’une directive européenne est très importante afin d’harmoniser ce type d’infraction, sinon nous aurons du mal à asseoir ce Parquet européen.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Nous sommes tout à fait favorables à l’extension de la compétence du Parquet européen aux sujets environnementaux. Concernant la criminalité environnementale, vous parlez de véritables crimes organisés, qui traversent parfois les frontières au sein de l’UE, mais échappent aussi souvent aux seules frontières européennes. Lorsque vous travaillez sur les infractions au budget de l’UE, il s’agit avant tout d’infractions consignées dans certains États membres.
Comment envisageriez-vous le rôle de ce Parquet vert compte tenu de ces conséquences extra-européennes ? Puisqu’il n’y a pas à proprement parler d’extraterritorialité du droit européen en matière environnementale, comment pensez-vous que ce parquet puisse aborder des crimes environnementaux, qui peuvent être externalisés en dehors de l’UE ?
Enfin, comment envisagez-vous les coopérations judiciaires d’un éventuel parquet vert avec des pays situés en dehors de l’espace juridique européen ?
M. le Frédéric Baab, procureur européen. Il s’agirait de lutter contre des trafics, qui ont une dimension transnationale et ne se limitent pas au périmètre de l’UE. La coopération du Parquet européen avec les pays tiers repose sur les mêmes bases que la coopération entre un État membre et un pays tiers. Il n’existe pas de difficulté particulière dans ce domaine.
Dès lors que nous luttons contre des trafics, nous sommes en présence d’infractions qui sont reconnues sans difficultés particulières dans les pays tiers concernés. L’ajout de législations environnementales plus précises et sectorielles poserait en revanche de véritables problèmes de coopération avec le problème de la double incrimination. À partir du moment où nous restons dans le cadre de la lutte contre les trafics, il n’existe aucune difficulté.
Mme Sylvie Josserand (RN). À l’origine, le parquet européen avait été présenté comme disposant des capacités pour « apporter une réponse pénale efficace aux infractions portants atteintes aux intérêts financiers de l’UE ». Toutefois, après sa création, Mme Laura Kövesi déplorait déjà un retard accumulé dû « au manque de moyens humains et financiers ». Le rapport annuel pour 2023 fait état de résultats guère plus brillants. Le préjudice causé à l’UE par les infractions est estimé à 25 milliards d’euros, mais moins de 1,5 milliard d’euros a été recouvré par les saisies. De même, en 2023, s’agissant de la France, un seul jugement a été rendu par les juridictions françaises de première instance à la suite d’une enquête du parquet européen.
Compte tenu des contraintes budgétaires, est-ce que l’extension des compétences matérielles du parquet européen aux infractions environnementales ne risquerait pas d’affaiblir davantage encore sa capacité à remplir sa mission originelle de lutte contre la fraude financière ?
Cette extension n’est-elle pas une simple vitrine dès lors que la phase de jugement demeure dans la compétence des juridictions nationales ?
M. Frédéric Baab, procureur européen. En ce qui concerne les moyens, Laura Kövesi a raison de dire qu’ils restent aujourd’hui insuffisants au regard des sommes déjà recouvrées par le Parquet européen, puisque tout l’argent saisi, 1,5 milliard, ce qui n’est pas rien, ne retournera jamais dans la poche des voyous. Cet argent est saisi une fois pour toutes, et la confiscation suivra.
Le Parquet européen est un instrument d’une efficacité redoutable. Beaucoup plus de dossiers ont été traités et ils l’ont été par des procédures simplifiées, soit par des transactions douanières, soit par des comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), c’est-à-dire un accord.
Si la France est un peu en retard par rapport à d’autres États membres comme l’Allemagne ou l’Italie, c’est pour une raison simple : nous n’avons quasiment repris aucun dossier déjà lancé ; les enquêtes ont dû être commencées avec pour conséquence qu’il y a un délai incompressible avant de pouvoir renvoyer les dossiers devant la juridiction de jugement. Nous commençons maintenant à voir un volume important de dossiers renvoyés devant le Tribunal judiciaire de Paris.
Est-ce un problème que le jugement soit prononcé par une juridiction nationale ? Au contraire : si l’on avait créé une juridiction européenne de jugement, on aurait abouti à un « machin » supplémentaire que l’on aurait pu installer immédiatement dans l’annexe de la Cour de Justice et cela aurait été une catastrophe. Le fait que ces dossiers soient jugés par des juridictions nationales donne toute sa légitimité au Parquet européen. C’est cela qui fait sa force : c’est un vrai parquet criminel – en France, la 32e chambre du Tribunal judiciaire de Paris qui juge également les dossiers du PNF – qui prononce les jugements.
M. le vice-président Thierry Sother. Monsieur Frédéric Baab, monsieur le procureur européen, nous vous remercions pour les très intéressantes informations que vous nous avez données.
M. le vice-président Thierry Sother. Nous en venons à l’examen de la proposition de résolution européenne visant à étendre les compétences du Parquet européen aux infractions à l’environnement. La parole est à sa rapporteure.
Mme Naïma Moutchou, rapporteure. La dissolution de la précédente Assemblée nationale, intervenue le 9 juin 2024, a entraîné l’interruption de l’ensemble des procédures législatives en cours, y compris celles relatives aux propositions de résolution. De ce fait, l’examen de la proposition de résolution visant à étendre les compétences du Parquet européen aux infractions environnementales, que j’avais portées sous la précédente législature, n’avait pas pu être mené à son terme malgré son adoption en commission. Je me réjouis que nous puissions aujourd’hui reprendre nos travaux.
Il y a près de cinq ans, je présentais devant la commission des lois le texte instaurant le Parquet européen en France. Aujourd’hui, je suis heureuse de vous soumettre à nouveau une proposition de résolution européenne visant à élargir ses compétences aux infractions environnementales.
Je me réjouis du chemin parcouru depuis. Alors que la mise en place du Parquet européen avait pu susciter des inquiétudes, concernant notamment son articulation avec les juridictions des États membres notamment, le bilan de ses trois années d’activité démontre la réussite de ce projet.
Le Parquet européen constitue désormais une pièce maîtresse de l’architecture de justice et de sécurité de l’Europe en poursuivant les auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Quelques chiffres suffisent d’ailleurs à illustrer la contribution du parquet européen à la lutte contre la fraude : au 31 décembre 2023, près de 2 000 enquêtes étaient en cours, pour un préjudice estimé à environ 20 milliards d'euros. Sur l’année 2023 le Parquet a procédé à la saisie d’1,5 milliard d’euros.
La question de l’extension des compétences du Parquet européen au-delà des seules infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE s’est posée dès sa création. Elle se pose aujourd’hui avec une force particulière s’agissant de la criminalité environnementale, au regard de l’urgence climatique que nous vivons.
La criminalité environnementale connaît en effet une croissance inquiétante. Elle est souvent le fait d’organisations criminelles à la recherche d’activités fortement lucratives mais dont le risque pénal – et le procureur a insisté sur ce sujet – est bien inférieur à d’autres infractions plus classiques tels que le trafic de stupéfiant. Elle a été classée par les Nations unies et l’agence Interpol au quatrième rang des activités criminelles les plus importantes au monde et constitue une source de financement pour des réseaux mafieux qui se livrent aussi à d’autres trafics, voire à des activités terroristes et présente donc une réelle menace pour notre sécurité collective.
Elle prend des formes nombreuses : trafic de déchets, d’espèces protégées, émission ou rejet illégal de substance polluante dans l’atmosphère, le sol ou l’eau. Elle contribue à l’augmentation de la pollution, à la dégradation de la flore et de la faune sauvage, à la réduction de biodiversité et in fine comporte des risques pour la santé humaine.
Toutefois, la criminalité environnementale demeure mal saisie par les juridictions pénales. Ces affaires représentant moins d’1 % des cas traités par les juridictions judiciaires françaises. Un rapport du groupe de travail mené sous l’égide de la Cour de cassation relève une réponse pénale insuffisante via la préférence donnée aux alternatives aux poursuites.
La pertinence d’une action à l’échelle européenne dans ce domaine est incontestable.
Il y a d’abord une évidence dans le caractère transfrontalier des infractions environnementales : la pollution ne s’arrête pas aux frontières, les trafics de déchets, entraînent une réelle nécessité d’assurer une poursuite à l’échelle de l’Union européenne. Actuellement, si les services de police coopèrent dans ces domaines, cette coopération ne fonctionne pas toujours, elle est complexe et ralentit les procédures : une direction d’enquête assurée par le Procureur européen permettrait d’améliorer substantiellement la coordination dans ce domaine.
En effet, les demandes d’entraide judiciaire auprès de l’agence Eurojust en matière environnementale ne représentent qu’1 % des saisines des États membres auprès de l’agence. Celle-ci a dans un rapport de 2021 regretté un tel manque d’investissement des États membres dans ce domaine.
On sait que l’Union européenne a placé la lutte contre la dégradation de l’environnement au cœur de son action, notamment avec le pacte vert. Dès lors, l’extension de la compétence matérielle du Parquet européen serait un signal supplémentaire envoyé en ce sens. Celui-ci est en effet en capacité à définir lui-même une politique pénale au niveau européen sans être dépendant des saisines effectuées par les États membres. Le doter de compétence en matière environnementale permettrait ainsi d’ériger la protection de l’environnement en priorité de politique pénale, ce que nous souhaitons.
Cette extension est de plus cohérente avec la mission de protection des intérêts financiers de l’Union du Parquet européen, dès lors que l’Union consacre désormais 30 % de son budget à la protection de l’environnement et du climat, auquel s’ajoute une partie substantielle des montants du plan de relance. De surcroît, la répression des réseaux criminels qui contournent les obligations de protection de la nature constitue aussi une condition de l’acceptabilité sociale des normes environnementales.
Enfin, la mise en place d’un Parquet vert européen permettrait une action plus intégrée au niveau européen afin de remédier aux limites identifiées de la coopération judiciaire intergouvernementale.
Pour toutes ces raisons, j’ai la conviction qu’il est nécessaire d’étendre la compétence du Parquet européen à la criminalité environnementale, sans plus attendre. Bien que celui-ci ne soit en activité que depuis trois années presque quatre, son action est unanimement saluée, son bilan démontre son efficacité et son fonctionnement s’inscrit en parfaite coopération avec les juridictions des États membres.
Attendre davantage avant d’envisager cette extension, c’est laisser plus de temps aux réseaux criminels – car nous parlons bien ici de criminalité organisée – pour développer leurs trafics, c’est échouer à prévenir des dégradations de l’environnement dont les conséquences sont difficilement réparables, c’est nier une réalité qui a pourtant été affirmée par l’Union européenne elle-même dans la loi pour le climat : le changement climatique constitue une menace existentielle pour l’humanité. Face à cette menace, dans un État de droit, la justice, et la justice pénale en particulier, a une mission de protection.
C’est pourquoi, j’espère mes chers collègues, que vous soutiendrez ce texte.
M. le vice-président Thierry Sother. La parole est aux orateurs de groupe.
M. Guillaume Bigot (RN). J’aimerais d’abord revenir sur la terminologie : je n’ai pas compris pourquoi cela s’appelle le « Parquet vert ». La couleur verte fait allusion à l’écologie. Or, le ciblage sur les organisations criminelles et mafieuses est très précis.
En deuxième lieu, l’une des sanctions envisagées s’élève à 5 % du chiffre d’affaires des entreprises. Or, à ma connaissance, les mafias ou organisations criminelles n’ont pas de chiffre d’affaires, ou du moins de chiffre d’affaires connu auquel on puisse infliger une amende de 5 %.
Enfin, il se pose une question de principe qui est plus problématique, même si la démonstration du procureur européen était éclairante et même si ce procureur européen a une réelle efficacité technique. Mais s’il est simplement question de poursuivre une criminalité organisée qui dégrade l’environnement dans plusieurs pays, pourquoi le procureur européen actuel, qui vise des infractions financières, ne suffirait-il pas ? On va donc créer un organe pour répondre à un besoin ponctuel, mais le problème est toujours le même : l’organe va sécréter son propre besoin. Or, je vous rappelle qu’il y a un effet de cliquet européen, revendiqué et vanté comme tel par les fondateurs de l’Union européenne : une fois qu’un organe est créé, il crée à son tour sa propre fonction et sa propre nécessité, et s’étend.
Enfin, vous le soulignez, au plan national, ces infractions environnementales ne constituent que 1 % des poursuites. Si nous ne sommes pas en mesure de traiter ces problèmes au niveau national, pourquoi le serons-nous au niveau européen ?
Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Les 5 % m’ont étonné car ils ne sont pas dans le texte. Ils renvoient à ce qui existe dans la directive européenne, qui n’a pas de lien avec le texte en question. Pourquoi un parquet vert européen ? Il s’agit d’étendre les compétences du parquet européen, qui a pour mission actuelle de lutter contre la fraude aux intérêts de l’Union, à la lutte contre les infractions environnementales dans le cadre de la criminalité organisée. Il ne s’agit ni de l’écocide ni des attaques faites à nos agriculteurs, mais d’un système mafieux organisé lié à des infractions environnementales. Il est question du trafic de déchets, qui rapporte énormément, ou encore du trafic sur les matières interdites. Le terme « parquet vert européen » est parlant parce qu’il s’agirait d’un parquet européen avec des compétences liées aux infractions environnementales. Cette initiative n’est qu’une proposition de résolution : l’institution d’un parquet vert européen exigerait ensuite l’unanimité des Etats membres.
De la même manière que le ministre Badinter avait été à l’initiative du parquet européen, nous souhaitons que la France soit à nouveau à l’initiative de cette extension. Le changement climatique n’est pas ponctuel, mais durable. Les criminalités organisées le sont aussi. Les criminels sont en avance par rapport à nos moyens d’enquête. Monsieur le procureur Baab souligne à juste titre la nécessité de se saisir de l’intelligence artificielle pour renforcer l’efficacité des enquêtes pénales, notamment en matière budgétaire. Ces réseaux criminels existent et sont très endurcis. Je ne plaide absolument pas pour l’écologisme, ni pour la décroissance, mais je considère que nous sommes en capacité de lier les questions environnementales, la lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité, l’économie, le développement économique et les impacts qu’il peut y avoir sur la population. Si nous ne sommes pas capables de le faire avec ce texte, il n’y aura aucun domaine dans lequel nous pourrons le faire demain.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Avec un taux de croissance annuel estimé entre deux et trois fois celui de l’économie mondiale, la criminalité environnementale a été classée au quatrième rang des activités criminelles les plus importantes au monde. Elle est considérée comme la première source de financement des groupes armés et terroristes. Les atteintes à l’environnement sont par nature transnationales, qu’il s’agisse du commerce d’espèces sauvages, des marais noirs ou du trafic de déchets. Ces crimes contre notre planète méritent une réponse commune.
Le parquet européen permet d’ores et déjà de remédier aux conséquences du morcellement de l’espace pénal européen pour les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Dès les prémisses de sa création, les perspectives d’un élargissement des compétences du parquet européen étaient envisagées. Le paragraphe 4 de l’article 86 du TFUE prévoit la possibilité d’étendre les attributions du parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière. C’est l’objet de cette proposition de résolution européenne qui vise à étendre les compétences du parquet européen aux infractions environnementales.
En 2020, à l’occasion de l’assemblée générale des Nations unies, le Président de la République avait réaffirmé que la lutte contre la criminalité environnementale était une priorité française. En parallèle, les initiatives plaidant l’extension des compétences du parquet européen à ce type d’infraction se multiplient. Je pense notamment à l’adoption en 2020 d’une résolution par le Parlement européen, suivie par un courrier adressé par le groupe Renew à la présidente de la Commission européenne, soutenant l’établissement d’un procureur vert de l’Union européenne, ou encore du rapport de la Cour de cassation de 2022 appelant à l’extension des prérogatives du parquet européen aux infractions environnementales. Cette proposition de résolution européenne souligne une nouvelle fois la nécessité de doter l’Europe d’outils pour faire face aux atteintes à l’environnement pouvant causer de graves dommages sur les écosystèmes et la santé humaine. Il faudra évidemment travailler techniquement à sa mise en œuvre et à son articulation avec les procédures nationales. Ces travaux sont devant nous. Notre groupe votera avec conviction et enthousiasme pour cette proposition de résolution européenne.
Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Nous menons un travail commun pour une écologie pragmatique. L’écologie n’appartient pas à un camp, c’est un défi majeur pour l’avenir. J’espère une unanimité sur ce sujet pour montrer que nous sommes capables d’avancer ensemble, bien au-delà des postures qui peuvent exister en la matière. Nous devons nous approprier le champ environnemental avec justesse.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Dès sa création, l’existence d’un parquet européen a soulevé de très nombreuses questions, parmi lesquelles plusieurs options, présentes dès l’origine, ont été discutées. La première a été celle de la compétence matérielle du parquet européen. Nous nous étions déjà prononcés en faveur d’un parquet européen ayant une compétence plus étendue. Il s’agissait de lutter contre la délinquance en matière environnementale et contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière.
Le principe d’une extension de la compétence du parquet européen au délit d’écocide paraît opportun et juste. D’une part, il s’inscrit dans un mouvement de fond visant à prévenir et sanctionner les atteintes graves à l’environnement et à instaurer un délit de mise en danger de l’environnement. D’autre part, le droit et la justice ont souvent du mal à se saisir de la spécificité de la matière environnementale du fait d’une grande technicité du droit pénal de l’environnement nécessitant souvent la maîtrise de nombreuses données scientifiques. De plus, la répression n’est pas adaptée aux actes de pollution diffuse internationale. Il est impératif de soutenir une compétence élargie en matière environnementale.
La proposition de résolution européenne évoque une extension des compétences sur la base de l’article 86, paragraphe 4. L’article 330 du traité, selon lequel seuls les États participants aux coopérations renforcées prendront part au vote, pourrait aussi être appliqué. Certes, le traité prévoit que le Conseil européen peut simultanément ou ultérieurement adopter une décision modifiant le paragraphe 1 afin d’étendre les attributions du parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière et modifiant en conséquence le paragraphe 2 en ce qui concerne les auteurs et les complices des crimes graves affectant plusieurs États membres. En l’état, aucune décision n’a été prise par les États dans ce sens et il n’y a pas eu d’initiative portée au plan national. Il est nécessaire que cette compétence puisse encore être élargie par la suite aux crimes organisés, notamment à la traite et au trafic des femmes et des hommes et à l’esclavage. Nous soutenons et nous voterons pour cette proposition de résolution européenne.
Mme. Naïma Moutchou, rapporteure. Sur la question de cibler d’autres sujets, au-delà des infractions environnementales, tels que la traite des êtres humains, le procureur considère que c’est un choix politique. C’est aussi un choix humain. Quand nous parlons de travail forcé, de prostitution des mineurs, nous pouvons nous rejoindre. Concernant l’amendement, je demanderai un retrait pour que nous puissions voir comment il pourrait être rédigé pour la séance.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Tout d’abord je tiens à saluer, malgré les aléas, la force de conviction et votre obstination en faveur de la protection de l’environnement. Ces dernières années l’Europe s’est dotée d’objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de protection de l’environnement. Le pacte vert pour l’Europe a été introduit en 2019 avec un paquet législatif visant à réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre à horizon 2030. Ces nouvelles normes environnementales ne sont efficaces pour accomplir les objectifs de l’Union européenne qu’à deux conditions.
La première, c’est en préservant la capacité de l’Europe à rester compétitive, donc à suffisamment investir dans l’innovation et l’industrie verte.
Deuxièmement, et parce que la norme doit pour s’appliquer s’accompagner de sanctions, une réponse pénale est nécessaire pour répondre aux infractions à l’environnement. Concernant ce deuxième point, l’UE a révisé l’an dernier la Directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relatif à la protection de l’environnement par le droit pénal. Elle inclut à présent de nouvelles infractions : le commerce illégal du bois, l’épuisement des ressources en eau, les violations graves de la législation européenne sur les substances chimiques et la pollution causée par les navires.
Pourtant, malgré ces ambitions affichées pour le climat et l’environnement, l’UE ne dispose pas à ce jour d’une institution pouvant poursuivre les infractions graves à l’environnement. Cela est dommageable pour deux raisons. D’abord, de par le caractère transfrontière des infractions à l’environnement, l’échelle européenne semble la plus appropriée pour leurs poursuites, tous les États n’ayant pas le même zèle à poursuivre ces infractions. Ensuite, ces crimes peuvent générer des profits très élevés, et présenter un risque relativement faible de détection et de réponse pénale. Ils sont souvent, comme déjà dit, commis par des groupes criminels organisés.
Le rôle du parquet européen est pour l’instant limité à la lutte contre les infractions pénales portant atteinte au budget de l’UE. Si les enjeux environnementaux ne rentrent dans ses compétences que par le biais du budget, il ne peut poursuivre directement les infractions à l’environnement. À la vue des ambitions de l’UE mais aussi de l’augmentation et du caractère transfrontières de cette criminalité, une extension des compétences du Parquet européen dans le domaine environnemental est absolument indispensable. Le groupe Horizon et indépendants votera en faveur de cette proposition de résolution européenne.
Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Sans surprise nous sommes alignées puisque c’est un combat que nous menons, et qui n’est pas toujours simple, y compris dans notre famille politique. Je salue l’engagement de Mme Violland sur ce sujet, nous avons eu l’occasion de débattre, à plusieurs reprises et de faire voter un texte sur la fast fashion. Nous continuons à cheminer ensemble sur ce qui nous paraît être une écologie responsable, efficace et qui ménage aussi les classes populaires et les classes moyennes parce que l’idée n’est pas d’imposer, ni de fragiliser, mais bien d’accompagner.
Concernant le parquet vert européen, il faut ménager la souveraineté des États parce que nous y sommes nous-mêmes attachés et que c’est aussi l’idée que nous nous faisons de l’Europe.
M. le vice-président Thierry Sother. Nous en venons donc maintenant à l’étude de l’unique amendement qui a été déposé.
Amendement de Mme Marietta Karamanli.
Mme Marietta Karamanli (Soc). C’est un amendement très important pour le groupe Socialistes et apparentés. Au paragraphe 4 de la proposition de résolution, il est prévu la possibilité d’étendre ses attributions à la lutte contre d’autres formes de criminalité grave ayant une dimension transfrontière.
Le Conseil d’État, lors d’une étude adoptée le 24 février 2011, avait déjà exprimé la nécessité d’étendre la compétence du Parquet européen à des formes graves de criminalité transfrontière telle que la traite des êtres humains, qui permettrait d’appréhender des infractions parmi les plus graves visant directement le citoyen. Ce projet lui semblait à l’époque participer au renforcement des droits humains, des droits du justiciable et ainsi contribuer à un meilleur respect des principes aussi essentiels que sont la sécurité juridique, la transparence, l’indépendance et le droit au recours juridictionnel effectif.
Le Haut-commissaire des Nation unies aux droits humains rappelait en 2023 que la traite des êtres humains est la 3e activité la plus lucrative au monde pour les réseaux criminels (3 milliards de dollars de gains pour les groupes criminels en Europe selon l’Office des Nations unies). La Commission européenne estime que 7 mille personnes sont victimes chaque année de la traite des êtres humains dans l’UE, et précise que ce nombre peut être en réalité bien supérieur.
Ce sont les raisons pour lesquelles nous saisissons l’opportunité de déposer cet amendement. Vous demandez le retrait mais nous le regrettons. Nous demandons d’avoir l’engagement d’une réécriture afin de l’intégrer dans le corps de cette résolution.
Mme Naima Moutchou, rapporteure. Je m’engage à tenter de réécrire cet amendement. Je veux faire ce travail-là pour plusieurs raisons. D’abord parce que vous avez raison, la traite des êtres humains est un sujet majeur. C’est insupportable de se dire que l’on se sert de l’individu contre son intégrité physique pour faire de l’argent, et qu’il y a des réseaux qui se servent de cela, puis se servent de cet argent pour alimenter d’autres réseaux. C’est évidemment un sujet transfrontalier. Simplement, ma réserve est que nous nous éloignons du sujet principal de cette proposition de résolution et que cela peut ne pas être opportun. Néanmoins je continuerai de réfléchir et nous pourrons reprendre ce dialogue en vue de la séance.
L’amendement est retiré.
L’article unique de la proposition de résolution européenne, est adopté.
La proposition de résolution européenne est par conséquent adoptée.
La séance est levée à 19 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Guillaume Bigot, M. Benoît Biteau, M. Nicolas Bonnet, Mme Manon Bouquin, Mme Céline Calvez, Mme Colette Capdevielle, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Nicolas Dragon, Mme Pascale Got, Mme Mathilde Hignet, M. Sébastien Huyghe, Mme Sylvie Josserand, Mme Marietta Karamanli, M. Bastien Lachaud, M. Jean Laussucq, Mme Constance Le Grip, M. Laurent Lhardit, M. Patrice Martin, M. Laurent Mazaury, M. Nicolas Metzdorf, Mme Nathalie Oziol, M. Pierre Pribetich, M. Alexandre Sabatou, Mme Sabrina Sebaihi, M. Thierry Sother, Mme Anne-Cécile Violland, Mme Caroline Yadan
Excusés. - M. Andy Kerbrat, M. Maxime Michelet, M. Charles Sitzenstuhl
Assistait également à la réunion. - M. Belkhir Belhaddad