Compte rendu

Commission
des affaires européenne
s

I. Soutenir le Danemark et le Groenland et œuvrer en faveur d’une plus grande coopération en matière de défense (n° 1170) : examen de la proposition de résolution européenne de MM. Vincent Caure, Damien Girard et plusieurs de leurs collègues (MM. Vincent Caure et Damien Girard, corapporteurs)


 

Mercredi
7 mai 2025

15 heures

Compte rendu n o 29

Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président
 

 


 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 7 mai 2025

Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
 

La séance est ouverte à 15 heures.

 

I.                  Soutenir le Danemark et le Groenland et œuvrer en faveur d’une plus grande coopération en matière de défense (n° 1170) : examen de la proposition de résolution européenne de MM. Vincent Caure, Damien Girard et plusieurs de leurs collègues (MM. Vincent Caure et Damien Girard, co‑rapporteurs)

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade : Nous examinons ce jour la proposition de résolution européenne de MM. Vincent Caure et Damien Girard et plusieurs de leurs collègues visant à soutenir le Danemark et le Groenland et œuvrer en faveur d’une plus grande coopération en matière de défense.

Cette proposition de résolution survient au moment opportun, alors que nous nous apprêtons à célébrer le quatre-vingtième anniversaire de la victoire commune des alliés sur l’Allemagne nazie. Elle nous invite à nous rappeler la profondeur des liens historiques entre les Européens et les États-Unis d’Amérique. Nous avons partagé ensemble des combats importants pour la démocratie, la liberté et la paix. L’unité transatlantique a été un pilier de nos relations ces dernières décennies. Aujourd’hui cette relation privilégiée est brutalement remise en cause par le président américain. Les déclarations répétées de Donald Trump visant sans détour à revendiquer l’acquisition du Groenland, territoire constitutif du Royaume du Danemark, pays membre de l’Union européenne, sont un tournant important et une rupture profonde. Ce ne sont là pas simplement des provocations comme Donald Trump a pu nous y habituer pendant son premier mandat. C’est un basculement dans une nouvelle ère géopolitique où l’unilatéralisme, la remise en cause du droit international et la tentation du coup de force permanent prennent le pas sur le respect mutuel. En s’attaquant à l’indépendance du Danemark et au droit à l’autodétermination des Groenlandais, le Président des États-Unis ne menace pas seulement un partenaire européen. Il met à l’épreuve la solidarité, la cohésion et la capacité de l’Europe à défendre ses principes fondamentaux. Il met en péril l’architecture de sécurité que nous avons patiemment construite avec nos alliés au profit d’une logique de confrontation et de rapport de force. Face à cette nouvelle donne, votre proposition de résolution tombe à point nommé car elle réaffirme avec force notre solidarité avec le Danemark et le Groenland et il faut rappeler que la souveraineté d’un État européen, et même de n’importe quel État, n’est pas négociable. Mes chers collègues, votre proposition de résolution européenne est un acte fort.

M. Damien Girard, co-rapporteur. Nous avions, mon collègue et moi, déposé des propositions de texte similaires. Il nous a donc semblé opportun de déposer une proposition de texte commune de manière transpartisane.

La proposition de résolution européenne que nous vous présentons vise à affirmer la solidarité de la France et de l’Union européenne vis-à-vis du Danemark et du Groenland.  Elle appelle à un engagement européen accru pour la stabilité et la sécurité dans l’Arctique. Elle part d’une idée simple.  ce qui se joue aujourd’hui autour du Groenland dépasse largement les frontières du Royaume du Danemark, puisque c’est la souveraineté d’un État membre de l’Union européenne qui est publiquement contestée. L’intangibilité des frontières – principe fondamental du droit international – est directement remise en cause. C’est aussi une remise en question de la crédibilité de l’Europe dans sa capacité à défendre ses intérêts, ses valeurs et ses partenaires à laquelle nous devons répondre.

Depuis le mois de janvier, le président des États-Unis, Donald Trump, multiplie les déclarations hostiles sur le Groenland. Il a ainsi affirmé que les États-Unis avaient besoin de ce territoire pour leur sécurité nationale. Il a refusé d’exclure le recours à la force. Il a déclaré devant le Congrès américain que les États-Unis obtiendraient ce territoire « d’une manière ou d’une autre ». Son fils s’est rendu sur place pour y distribuer des casquettes « Make America Great Again », tandis que des proches à lui distribuaient des billets de banque à des enfants. Ces gestes ont été perçus comme des actes d’intimidation et ont suscité une vive réaction de la part des autorités groenlandaises, qui ont rappelé que le Groenland n’était pas à vendre, et que seul son peuple pouvait décider de son avenir.

Le Groenland est un territoire autonome au sein du Royaume du Danemark qui bénéficie d’un large degré d’autonomie, mais sa souveraineté relève de l’État danois. Ce statut, conforme au droit international, a été validé par la Cour permanente de justice internationale en 1933. Il est reconnu par les Nations unies, par l’Union européenne, et, faut-il le rappeler, par les États-Unis eux-mêmes depuis plus d’un siècle. Le cadre actuel garantit le droit du peuple groenlandais à l’autodétermination, un droit que le gouvernement danois s’est engagé à respecter. Autrement dit, tant que le Groenland ne choisit pas l’indépendance, il fait partie intégrante du territoire d’un État membre de l’Union européenne, et tout projet visant à l’en détacher contre sa volonté constituerait une violation grave du droit international.

Les propos du président Trump ne sont donc pas anodins mais s’inscrivent dans une logique d’impérialisme assumé, ils font écho à d’autres remises en cause de la souveraineté des États dans l’ordre international. Quand un dirigeant d’une grande puissance évoque implicitement la possibilité d’obtenir par la force un territoire qui ne lui appartient pas, ce n’est pas une provocation : c’est une menace. Une menace contre le Danemark, contre le Groenland, mais aussi, plus largement, contre la stabilité de l’Arctique, et contre l’ensemble des principes qui fondent la coexistence pacifique entre les États.

Car le Groenland n’est pas un territoire comme les autres. Il occupe une position stratégique dans l’Arctique et se trouve au croisement de routes maritimes nouvellement rendues accessibles par la fonte des glaces, il possède un sous-sol riche en ressources convoitées et abrite une base militaire américaine majeure, qui joue un rôle dans le système de défense balistique et spatial des États-Unis. Et ce n’est pas le seul fait des États-Unis : d’autres grandes puissances, comme la Chine et la Russie, manifestent un intérêt croissant pour la région, l’Arctique devient alors un théâtre de tensions.

Dans cette situation, l’Europe ne doit pas reculer. Cette situation appelle une réponse ferme qui démontre notre détermination à protéger nos alliés européens. Voilà pourquoi cette proposition de résolution propose d’affirmer une solidarité sans faille avec le Danemark et propose de solutions concrètes appuyées notamment sur une plus grande coopération de défense.

M. Vincent Caure, co-rapporteur. Je m’associe aux mots de mon co-rapporteur avec lequel j’ai pu travailler en bonne intelligence, et j’espère que c’est l’esprit qui présidera à nos échanges.

Le texte que nous invitons à examiner appelle sans équivoque la France et l’Union européenne à condamner les propos, que vous rappeliez à l’instant, du président Trump qui menacent la souveraineté du Danemark. Il s’agit pour nous de rappeler que la menace ne peut jamais constituer le fondement d’une discussion sur les frontières d’un État au risque d’un double manquement à l’égalité de volonté des sujets de droit international et au principe du droit les peuples à disposer d’eux-mêmes, qui s’applique ici au peuple groenlandais. A fortiori, il s’agit ici d’une menace faite à un État membre de l’Union européenne.

Nous savons qu’il ne s’agit pas seulement pour nous d’exprimer une position politique. Il faut l’assortir d’un soutien que nous avons voulu le plus concret possible. Ce soutien a d’abord un aspect diplomatique. La proposition de résolution formule ainsi le vœu de renforcer le cadre multilatéral dans le cadre d’une coopération régionale renforcée au niveau de l’Arctique. La coopération  existe depuis longtemps dans cette région, elle date de la déclaration d’Ottawa de 1996. La France détient par ailleurs le statut d’observateur au sein du Conseil de l’Arctique depuis l’an 2000.

La coopération régionale est depuis quelques années grippée et entravée depuis l’agression russe en Ukraine, et le risque est que l’absence d’avancée en matière de coopération dans la région ne profite à d’autres. Aussi, notre proposition de résolution propose d’initier un dialogue dans la région entre Danemark, Groenland, Islande, Norvège, Finlande et Suède, pays avec lesquels nous partageons beaucoup en termes de valeurs et de vision du monde. Nous proposons également d’élargir ce dialogue et d’y associer le Canada pour coordonner les politiques de sécurité, de surveillance et de coopération civile dans l’Arctique. Ce format, qui exclurait à ce stade la Russie et les États-Unis, permettrait de poser les bases d’une approche résolument européenne et autonome dans la région, fondée sur le droit, la stabilité et la concertation. Il s’agirait d’agir en pleine confiance et en pleine loyauté, fondements de toute alliance.

Ce soutien a ensuite un aspect militaire si, et seulement si, les autorités danoises le souhaitent. Le texte évoque la possibilité d’une présence militaire conjointe au Groenland dans une logique de coopération et de dissuasion. Il ne s’agit évidemment pas de dissuasion nucléaire mais de dissuader par la présence de forces militaires tout État étranger qui aurait des velléités agressives vis-à-vis du Danemark et du Groenland. Il ne s’agit donc pas pour nous d’escalade mais bien au contraire de solidarité européenne. La France, pour sa part, pourrait contribuer à des missions de surveillance, à des exercices conjoints ou à des actions de formation. Elle pourrait ainsi faire bénéficier le Danemark et le Groenland de son expérience en matière  de surveillance côtière dans les eaux arctiques. Une telle présence serait légitime, proportionnée et pleinement conforme au droit international, triptyque selon nous indispensable.

Enfin, le texte de notre proposition de résolution invite la France et l’Union européenne à mettre à jour leur stratégie arctique, la dernière feuille de route datant de 2002. Nous vous proposons, via deux propositions d’amendements, d’en tenir compte et de tenir également compte de la dernière communication conjointe du Haut Représentant de la Commission européenne sur l’Arctique qui date de 2021. Le contexte a changé, les tensions géopolitiques, comme l’a rappelé mon collègue Damien Girard, ont augmenté. Les enjeux climatiques se sont bien entendu renforcés et sont désormais présents à chaque instant. La compétition pour les ressources s’est intensifiée. Il est temps d’actualiser nos orientations et d’y intégrer les enjeux de souveraineté, de sécurité mais aussi les impératifs de coopération scientifique, climatique et de développement durable dans le respect des populations locales.

Cette proposition de résolution européenne nous semble donc être pleinement d’actualité puisque le président Trump a appelé dans une interview à NBC ne pas exclure le recours à la force pour se saisir du Groenland. Ce texte est donc pour nous à la fois une alerte, une prise de position et une feuille de route qui permettrait à la France et à l’Union européenne de déployer un soutien renouvelé. Elle vise à faire entendre une voix européenne claire fondée sur le droit international, sur la solidarité entre les États membres, qui est au fondement même de l’Union européenne, et sur la volonté de préserver la paix dans l’Arctique, région menacée à de multiples titres par la hausse des tensions. Ce qui se joue au Groenland n’est pas une affaire locale mais bien un enjeu pour nous, Français et Européens, et une occasion dont il faut se saisir pour renforcer notre coopération et notre capacité à agir.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Merci pour la prise de position forte qui est la vôtre. Je salue le travail transpartisan que vous avez mené et qui doit nous inspirer le plus possible notre Assemblée.

Mme Sabine Thillay (Dem). Depuis janvier 2025, Donal Trump a exprimé son intérêt pour le Groenland, allant jusqu’à évoquer publiquement, aggravant ainsi cette simple déclaration, un éventuel recours à la force. Une telle déclaration, même isolée, questionne la souveraineté du Danemark, État membre de l’Union européenne, allié au sein de l’OTAN et aussi partenaire de confiance.

Cela interpelle également sur le plan de la stabilité internationale et la capacité de l’Europe et de l’Union à se protéger face aux remises en cause extérieures. Pour le groupe Démocrate, le Groenland n’est pas un territoire négociable et ne l’a jamais été.

Dans ce contexte, les prises de position du président Trump sont en rupture avec le droit international et le respect des peuples. Cette situation souligne un enjeu bien plus large : la nécessité pour l’Union européenne et pour l’Europe dans son ensemble de renforcer sa capacité de défendre ses intérêts fondamentaux. Il ne s’agit pas simplement de diplomatie, il s'agit aussi de souveraineté, de sécurité et de dissuasion.

Une défense européenne devient un pilier indispensable pour protéger nos territoires, nos partenaires et nos valeurs. Cela implique concrètement qu’on investisse de manière beaucoup plus coordonnée dans la défense, que nous mutualisions nos capacités stratégiques, renforcions notre présence dans des zones telles que l’Arctique et accroissions notre coopération entre les États membres, et surtout que nous fassions en sorte de réduire les fragmentations de notre base industrielle et technologique de défense qui manque aujourd’hui de capacité et d’interopérabilité.

L’Union devrait sans doute renouer avec le mot « puissance » sans en avoir honte. Face à ces défis, nous devons parler d’une seule voix. Soutenir le Danemark et le peuple groenlandais, c’est affirmer notre solidarité.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Cette proposition de résolution européenne (PPRE) dénonce malheureusement, parmi tant d’autres, l’idéologie unilatérale et contraire au droit international de M. Trump. Pour ce dernier, peut-être qu’après la Côte d’Azur en Palestine, le Groenland pourrait devenir les Pyrénées des États-Unis.

Plus sérieusement, cette proposition est nécessaire, voir indispensable car il convient de rappeler l’attachement de la France au respect de la souveraineté de ses voisins et alliés européens et donc, par extension, à la souveraineté européenne dans son ensemble.

Alors que selon le New York Times Donald Trump voudrait verser 10 000 dollars à chaque habitant du Groenland, et ce chaque année, pour convaincre la population locale d’accepter l’annexion de leur territoire, il s’agit également de rappeler au président américain qu’il a changé à nouveau de fonction en janvier 2025 et qu’il n’est plus businessman mais Président, ce qui implique des responsabilités nationales et internationales. Il s’agit également de rappeler que les territoires européens ne sont pas des marchandises et ne sont donc pas à vendre.

Par ailleurs, je soutiens particulièrement l’alinéa qui « souligne que l’Union doit se saisir de cette crise pour renforcer la coopération entre ses États membres et construire une véritable autonomie stratégique européenne ». Je rajouterai « tout en respectant la souveraineté de chacun des États membres ».

Le premier mandat de Donald Trump, mais également les nombreuses crises qu’il engendre durant son deuxième mandat, auraient déjà dû nous pousser à mieux définir ou à redéfinir notre stratégie européenne. Signataires de votre PPRE, mais également très attachés au droit international, nous ne pouvons que soutenir les dispositions que vous proposez et défendez.

M. Vincent Caure, co-rapporteur. Au-delà des intentions et des déclarations, il y a des actes inquiétants, même s’il ne s’agit pas d’actes agressifs au sens étatique du terme. Il faut en effet rappeler que le fils du président américain ainsi que d’autres personnalités de l’entourage ou de l’Administration Trump se sont rendus au Danemark, bénéficiant de l’emprise militaire grâce à la base militaire dont ils disposent dans le cadre de l’accord de sécurité depuis 1951.

Il convient de rappeler l’importance du droit international et du rôle qu’il doit continuer à jouer dans une région arctique qui a été marquée par des tensions internationales pendant la Guerre froide, mais qui au cours des dernières décennies avait pu sembler plus préservée que d’autres de leur retour.

Notre volonté est aussi de préserver cette zone hautement fragile sur le plan environnemental, surtout au regard des ressources qu’elle pourrait abriter et des convoitises qu’elle fait naître chez certains businessmen, malgré le fait qu’il soit devenu Président entre-temps, dans le respect du droit international.

De plus, nous ne savons pas ce qui surviendra aux États-Unis après Donald Trump, mais nous ne voulons pas que les bouleversements induits par de telles opérations entre alliés puissent durer et continuer à créer de l’équivoque entre nations alliées dans le Grand Nord.

M. Matthieu Marchio (RN). Le groupe Rassemblement national salue cette PPRE qui réaffirme avec force le soutien de la France au Danemark et au Groenland face aux déclarations inacceptables du Président des États-Unis. Il est inconcevable qu’un chef d’État d’un pays allié évoque l’achat d’un territoire autonome rattaché à un État membre de l’Union. Le Groenland n’est pas à vendre et il est de notre devoir de le rappeler clairement.

Ce texte réaffirme à juste titre la souveraineté du Danemark, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ainsi que l’importance stratégique de la région Arctique. Sur ces principes, notre groupe est pleinement solidaire.

Cependant, nous ne pouvons soutenir sans réserves l’ensemble de cette proposition, en particulier l’alinéa suggérant la mise en place d’une véritable autonomie stratégique européenne. Soyons clairs : nous sommes favorables à une coopération entre nations européennes, notamment sur le plan diplomatique, scientifique ou économique, mais nous refusons toute dérive vers une structure militaire européenne centralisée qui s’inscrirait dans une logique de défense commune contraire à la souveraineté nationale et aux intérêts stratégiques de la France.

Ce type d’approche ouvre la voie à une Europe de la défense fédéraliste, que nous refusons fermement. La politique militaire ne saurait devenir un levier d’intégration supranationale, à plus forte raison dans une région aussi géopolitiquement sensible que l’Arctique.

À quoi répondrait une telle présence militaire européenne ? Sous quelles autorités ? En appliquant quelle stratégie ? Le texte ne le précise pas. C’est bien cette imprécision qui nous inquiète, traduisant un projet aux contours flous, potentiellement déstabilisateur et dépassant largement le cadre du soutien diplomatique ou logistique. Nous demandons donc la suppression de cet alinéa.

Le soutien au Danemark et au Groenland peut et doit s’exprimer avec fermeté mais par des moyens adaptés : dialogue diplomatique, partenariat scientifique, coopération économique. Nous sommes favorables à la coopération entre les nations libres et souveraines, mais pas à une Europe de la défense fédéraliste.

M. Vincent Caure, co-rapporteur. Nous avons là des visions différentes de ce qu’est l’Union européenne et de l’ambition que nous devons porter pour l’Europe et pour la coopération européenne. Sans oublier ce qu’ont été les débuts de la coopération européenne dans les années 1950 et les projets de communauté européenne de défense, je pense que l’Union européenne doit, en tant qu’espace qui partage des valeurs, comme la démocratie ou le respect du droit international, savoir se saisir des moments de crise pour renforcer sa coopération.

Notre volonté n’est pas de tout mélanger : permettre, avec l’accord du Danemark et dans le cadre de l’Union européenne, une telle présence militaire et une telle coopération, n’emporte pas immédiatement, pour nous, une défense européenne. Dans le cadre des traités européens, il y existe déjà des possibilités de coopération et de coordination des moyens. Il s’agit, entre alliés, entre États membres de l’Union européenne, de se donner des réassurances, par nos forces existantes, pour rappeler que jamais un chef d’État d’un pays étranger, hors de l’Union européenne, par ses propos ou par sa volonté, ne saurait, sans que nous réagissions, vouloir porter atteinte à l’intégrité de nos États.

M. Damien Girard, co-rapporteur. Dans le texte, nous évoquons le fait de pouvoir déployer, avec l’accord du Danemark, une présence française dans le cadre d’une coopération à l’échelle européenne. Il ne s’agit pas d’une défense européenne. Sur cette base, ne pas voter le texte revient à se tromper sur le fondement même de ce que nous proposons, c’est-à-dire un texte qui offre la possibilité d’un déploiement, en seconde mesure, de forces françaises.

Mme Liliana Tanguy (EPR). Dans un moment comme celui-ci, nous pourrions nous contenter de formules convenues mais ce que nous avons à dire compte vraiment. Ce n’est pas seulement une résolution diplomatique, c’est aussi un acte politique fort. Nous réaffirmons notre attachement au droit international et à la souveraineté des peuples, ainsi qu’à l’ambition d’une Europe maîtresse de son destin. Je voudrais saluer le travail transpartisan de nos deux rapporteurs qui ont su faire entendre une voix claire, ferme et européenne.

Les déclarations du président des États-Unis, qui suggèrent ouvertement l’annexion du Groenland, ne relèvent pas d’une provocation passagère. Elles traduisent une vision du monde selon laquelle la force primerait sur le droit et où les territoires arctiques deviendraient des pions sur un échiquier stratégique. Ce discours menaçant bafoue la souveraineté du Danemark, ignore le droit à l’autodétermination des Groenlandais et méprise les règles du multilatéralisme. Le Groenland n’est pas à vendre ! C’est un territoire autonome, écologique et stratégique, profondément européen, de par son histoire et ses liens, ainsi que par son statut de pays et territoire d’outre-mer associé à l’Union européenne.

Nous condamnons ces velléités expansionnistes et nous exprimons notre solidarité totale envers les autorités danoises et groenlandaises. Nous rappelons aussi qu’une action doit être menée en faveur d’une mise à jour de la feuille de route française pour l’Arctique. Au-delà du cas spécifique du Groenland, c’est notre conception de l’Europe que nous défendons, une Europe qui ne recule pas, qui protège ses partenaires, une Europe stratège, capable de répondre aux ambitions des puissances autoritaires par la solidarité et la puissance du droit international. Soutenir cette proposition de résolution, c’est protéger nos valeurs et refuser de rester spectateurs face à un monde qui se durcit. Je vous invite avec détermination à voter en faveur de celle-ci.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). L’affaire est entendue entre nous. Donald Trump agit comme un voyou et nous sommes au moins d’accord pour dire qu’il faut, ensemble, condamner toutes ces velléités de violation du droit international. Elles ne concernent pas que le Groenland. En revanche, il me semble que ce texte se fait un peu plaisir et ne soulève pas les contradictions qui existent dans les positions officielles de la France depuis plusieurs années., notamment à l’égard des États-Unis.

Il y a deux ans, lors de notre débat sur la loi de programmation militaire, le rapport annexé indiquait que l’Europe était mise au défi par des « puissances révisionnistes ». Je conteste la pertinence de ce vocable. Parmi ces puissances révisionnistes ne figuraient pas les États-Unis. Ni dans le Livre blanc européen, ni dans la loi de programmation militaire n’avait été évoquée l’idée que les États-Unis puissent être une menace, ce qu’ils étaient pourtant déjà. L’impérialisme américain n’est pas né avec Donald Trump.

Nous nous retrouvons avec des orientations qui sont incompatibles avec ce que vous avez jusqu’à présent approuvé, si ce n’est en expliquant qu’il y avait un pilier européen de l’OTAN. On aboutit ainsi à cette proposition, quelque peu baroque, d’installation de moyens militaires européens pour décourager la puissance majeure de l’OTAN que sont les États-Unis. Ces dernières semaines, nous avons assisté à autant de contorsions qu’il était possible d’en imaginer. Le 22 janvier dernier, j’interrogeais le ministre Thani Mohamed-Soilihi sur l’attitude à tenir à l’égard des États-Unis. Il me répondit que le pire n’était pas toujours à envisager, que les États-Unis étaient le premier partenaire de la France. Deux jours plus tard, Jean-Noël Barrot montrait les muscles et envisageait d’envoyer des troupes au Groenland.

Ce qui nous pose problème, c’est de nous situer sur le terrain de l’épreuve de force face à un État avec lequel, vraisemblablement, il est impossible d’entrer en guerre. Nous sommes d’accord pour dire tout le mal que nous pensons de l’attitude de Donald Trump à l’égard des Européens mais il ne faudrait pas perdre de vue que, jusqu’à présent, nous sommes bien seuls à vouloir lui tenir tête, les Danois eux-mêmes ayant décidé de racheter des F-35.

M. Vincent Caure, co-rapporteur. C’est l’essence même de la situation internationale d’être évolutive. S’agissant des déclarations faites par le passé par le président américain actuel sous son premier mandat ou depuis lors, nous les prenons en compte au moment où nous étudions ici des textes et en essayant d’envisager l’avenir.

Si nous considérons les intérêts de l’Union européenne en tant qu’ensemble géostratégique et démocratique, il y a, à notre sens, une rupture fondamentale dans les déclarations du président Trump. Il peut y avoir une concurrence entre puissances démocratiques tant que les principes sont respectés. Mais pour la première fois, nous faisons face aux déclarations d’un président en exercice à Washington qui porte atteinte à l’intégrité territoriale d’un État allié. Le Danemark, qui a maintenu une position historiquement atlantiste pour garantir sa sécurité depuis l’accord de défense américano-danois de 1951 sur le Groenland, n’a pas la place de la France sur l’échelle internationale ni la même autonomie stratégique, ne serait-ce qu’en matière de dissuasion nucléaire.

Or, c’est un président démocratiquement élu, de la principale puissance alliée, censée garantir la sécurité de ce pays qui, soudainement, changeant de pied dans l’espace public médiatique international, indique vouloir se saisir d’une partie du Royaume du Danemark. Il y a là une rupture fondamentale qui appelle une prise de position politique de la part de notre Assemblée. Une absence de réaction reviendrait à ouvrir la possibilité à d’autres États, dans le champ international, de se déchaîner, demain contre le Groenland, après-demain contre d’autres États, je pense notamment aux pays baltes ou à la Roumanie. 

Mme Anna Pic (SOC). Depuis novembre dernier et le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, nous assistons collectivement à une véritable salve de déclarations parfois inconséquentes, souvent hasardeuses, toujours alarmantes et consternantes. Comme pour ne jamais déroger à une règle qu’il s’est lui-même fixée, le Président des États-Unis cumule les provocations, au risque de mettre en péril les équilibres géopolitiques déjà très fragilisés des 80 dernières années.

La proposition de résolution répond à cette réalité. Indéniablement, le groupe socialiste et apparentés condamne avec la plus grande fermeté l’attitude de prédation du président américain à l’égard du Groenland et de ses ressources. Il apporte son soutien plein et entier aux autorités danoises et groenlandaises. En menaçant d’annexion ce territoire danois autonome, ce sont les composantes les plus essentielles du droit international qui sont ici remises en cause : la souveraineté des États et le droit à l’autodétermination des peuples. Or, dans le cas d’espèce, le droit international doit primer, quelles que soient les circonstances. Dès lors, tout recours à la force émanant des autorités américaines engendrerait un risque d’escalade délétère pour l’ensemble des parties prenantes.

S’agissant plus précisément du dispositif de résolution, notre principale interrogation porte sur la référence à une éventuelle présence militaire européenne au Groenland. Si nous avons bien noté l’usage du conditionnel et si nous ne sommes pas opposés à cette disposition, notre question porte sur la forme que pourrait prendre cette présence militaire. Cette dernière ne pouvant se faire sous l’égide de l’OTAN, pouvez-vous nous dire sur quel fondement juridique envisagez-vous cette intervention alors que l’article 42.7 TUnion n’est pas mentionné dans la proposition de résolution ? Malgré cette réserve, nous voterons pour ce texte à la symbolique très importante.

M. Vincent Caure, co-rapporteur. L’article 42.7 TUnion vise explicitement les cas d’agression armée. Il est important de considérer les coopérations bilatérales en matière de défense. Cela n’emporte pas une coopération à l’échelon européen, mais la France à une expertise en matière de surveillance côtière et en matière de navigation en eau froide et de lutte anti-sous-marine. Elle participe à plusieurs exercices multilatéraux, certains dans le cadre de l’OTAN où elle a acquis une expertise dont il est possible de faire bénéficier les Danois ou toute autre puissance avec laquelle la France coopère dans le Grand Nord. On peut donc envisager a minima la coopération bilatérale et pourquoi pas une coopération ad hoc au niveau européen avec les États intéressés.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Cette proposition de proposition transpartisane vise à démontrer le soutien de la France et de l’Union au Danemark et au Groenland face aux intimidations et menaces du Président des États-Unis. Les États-Unis disposent déjà d’une base militaire sur le territoire du Groenland, pensé historiquement comme leur premier rideau de défense dans l’Atlantique nord. Cette présence militaire américaine a débuté durant la Seconde guerre mondiale. Elle est à l’origine de dommages importants causés à l’environnement du Groenland et de déplacements forcés de populations autochtones. Ces dégâts constituent une dette environnementale susceptible d’être réparée par les Américains. La France est engagée en faveur de la sécurité régionale dans la zone arctique, tout en cherchant à préserver une approche multilatérale et coopérative. Cet enjeu de sécurité est même devenu un enjeu de sécurité internationale tant les acteurs tels que les États-Unis, la Russie, la Chine et les acteurs non arctiques veulent s’y impliquer, avec des visées économiques, voire de prédation.

Nous considérons donc cette région comme réellement stratégique pour toutes ces raisons, mais aussi du fait des enjeux environnementaux. La compétition s’accélère pour la conquête de terres rares et de gisement d’hydrocarbures. La dimension environnementale de l’Arctique est forte car la région subit les conséquences du réchauffement climatique dont les répercussions sur la sécurité sont importantes.

Le changement climatique ouvre de nouvelles routes maritimes susceptibles de modifier durablement les flux commerciaux mondiaux. La France participe à des exercices de défense conjoints en collaboration avec la défense collective de l’OTAN. Nous sommes également impliqués dans des opérations de surveillance de la région, en particulier dans le domaine de la sécurité maritime, et dans des opérations de contrôle aérien. Les tensions dans la zone ne datent pas d’aujourd’hui, mais sont revenues sur le devant de la scène du fait des déclarations répétées du président américain. L’existence d’un cadre de gouvernance stable et coopératif est cruciale pour la région. Dans un contexte de volonté expansionniste et de retour des impérialismes, la France se doit de défendre le respect du droit international et du multilatéralisme. Nous soutenons cette PPRE qui est un marqueur important de solidarité envers le Danemark et le Groenland.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, président. Nous allons maintenant examiner les amendements qui ont été déposés.

Amendement n° 1 de M. Vincent Caure

M. Vincent Caure, co-rapporteur. C’est un amendement de précision technique et juridique, qui vise à remplacer la mention « territoires d’outre-mer de l’Union » par « pays et territoires d’outre-mer associés à l’Union en application de la décision d’association de 1985 ».

L’amendement n° 1 est adopté.

Amendement n° 4 de M. Matthieu Marchio

M. Matthieu Marchio (RN). Par cet amendement, nous proposons de supprimer les mots : « et construire une véritable autonomie stratégique européenne » car cette formule engage politiquement la France vers une défense commune européenne à laquelle nous sommes opposés. Le soutien au Danemark ne doit pas servir de prétexte à une véritable avancée fédéraliste masquée, la défense nationale relevant de la souveraineté des États et non des institutions européennes. Nous refusons que ce texte, sous couvert de solidarité, ouvre la voie à une Europe de la défense qui dépossèderait la France de ses moyens et de ses choix stratégiques.

M. Damien Girard, co-rapporteur. Face aux intimidations de la première puissance mondiale, quelle serait la solidarité européenne si nos actes n’étaient pas conformes à nos paroles ? Vous parlez de construction fédérale mais ce mot n'apparaît nulle part dans la PPRE : nous parlons seulement de la nécessité de garantir la paix de notre union avec nos outils modestes, voire symboliques. On pourrait s’étonner qu’un parti si prompt à appeler aux actes et aux mesures chocs en matière de sécurité intérieure soit aussi frileux et défaitiste en matière de sécurité extérieure. Avis défavorable sur cet amendement.

Mme Liliana Tanguy (EPR). Nous souhaitons intervenir contre cet amendement, car l’arctique est un espace aussi stratégique où les ambitions des puissances extra‑européennes, notamment la Russie, la Chine et à présent les États-Unis, s'affirment. Une Europe divisée est une Europe vulnérable, et le maintien de la paix, la protection de l'environnement, la sécurité énergétique et de navigation nécessitent une présence coordonnée, crédible et maîtrisée des Européens, et cela passe par une autonomie stratégique commune.

M. Matthieu Marchio (RN). Pour rebondir sur votre propos Monsieur le co-rapporteur nous souhaitons retirer cette formule car elle promeut une défense fédéraliste européenne. Nous sommes au contraire en faveur de plus de coopération entre les nations européennes, pas du fédéralisme.

L’amendement n° 4 est rejeté.

Amendement n° 3 de M. Damien Girard

M. Damien Girard, co-rapporteur. Cet amendement vise à tenir compte du délai entre le moment du dépôt de la résolution et sa lecture dans cette commission. Entre-temps, une réunion du forum a eu lieu. Cette rédaction vise à actualiser le texte afin qu’il en tienne compte et à rappeler qu’il est nécessaire de se saisir d’un cadre de discussion pour offrir au Groenland et au Danemark des garanties de sécurité.

L’amendement n° 3 est adopté

Amendement n° 2 de M. Vincent Caure

M. Vincent Caure, co-rapporteur. Cet amendement vise à actualiser la référence au cadre stratégique par rapport aux rédactions initiales, en ne mentionnant plus la Feuille de route arctique de 2016 mais la Stratégie polaire de 2022.

L’amendement n° 2 est adopté.

L’article unique de la proposition de résolution européenne est adopté.

La proposition de résolution ainsi modifiée est par conséquent adoptée.

 

 

 

La séance est levée à 15 h 55.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Vincent Caure, M. Damien Girard, Mme Catherine Hervieu, M. Jean Laussucq, M. Pascal Lecamp, M. Matthieu Marchio, M. Laurent Mazaury, Mme Anna Pic, M. Aurélien Saintoul, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. – Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Marietta Karamanli, M. Charles Sitzenstuhl

 

 

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