Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
28 mai 2025
15 heures
Compte rendu n o 32
Présidence de
M. Laurent Mazaury,
vice-président,
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 28 mai 2025
Présidence de M. Laurent Mazaury, vice-président
La séance est ouverte à 15 heures.
M. le vice-président Laurent Mazaury. L’ordre du jour de notre réunion appelle l’examen de la proposition de résolution européenne de M. Pierre Cazeneuve et plusieurs de ses collègues appelant à la préservation des principes démocratiques, des libertés publiques et de l’État de droit en Turquie.
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. J’associe à ma démarche plusieurs députés qui ont coécrit cette proposition de résolution européenne à savoir Mmes Constance Le Grip et Caroline Yadan ainsi que le président Pieyre-Alexandre Anglade.
Cette proposition de résolution européenne fait suite à l’arrestation arbitraire d’Ekrem İmamoğlu, le maire d’Istanbul, le 19 mars dernier par le pouvoir et par le président de la République Recep Tayyip Erdoğan. Cette arrestation marque une rupture claire, nette dans une stratégie déjà longuement éprouvée d’autoritarisme par le pouvoir. Cela nécessite une réaction de notre Assemblée – tel est le sens de la proposition de résolution européenne que nous avons déposé – ainsi que des institutions européennes. Cette arrestation du maire d’Istanbul est conjointe à l’arrestation de plusieurs maires de districts et de journalistes. Elle a été suivie par des manifestations massives dans l’ensemble du pays qui ont malheureusement donné lieu à une répression massive elle aussi. Des dizaines et des dizaines d’étudiants ont été arrêtés et molestés dans des conditions extrêmement violentes qui ont été par ailleurs accompagnées par un mépris de l’autorité judiciaire et l’accès à un procès équitable. Cela a également été suivi par l’arrestation de l’avocat du maire d’Istanbul et de l’avocat de l’avocat du maire d’Istanbul.
Ces faits doivent nous interpeller en tant que députés et nous pousser à réagir et condamner sans appel cette arrestation arbitraire, cette dérive autocratique en Turquie et condamner le silence des chancelleries du monde. Hormis la France et l’Allemagne, peu de chancelleries se sont indignées et exprimées pour condamner cette arrestation arbitraire. Depuis plus de deux mois, le maire d’Istanbul est emprisonné dans une indifférence parfois coupable de la part de nombreux pays, ainsi que de nombreux médias et de l’opinion publique qui n’est parfois pas alerte sur ces sujets. C’est donc tout l’honneur de notre Assemblée que de se saisir de ce sujet et d’apporter un soutien au maire d’Istanbul et d’affirmer la nécessité de retrouver le chemin de l’État de droit en Turquie.
Nous avons mené plusieurs auditions qui ont été passionnantes. Je vous livre quelques points qui vont continuer à nourrir la réflexion contenue dans le projet de rapport qui vous a été envoyé. Le rapport permet de dresser un constat particulièrement édifiant de l’état de la démocratie en Turquie. Le premier point à relever est la dérive autocratique du régime turc qui n’a cependant pas commencer avec l’arrestation du maire d’Istanbul. Il s’agit d’un long processus qui a commencé avec les manifestations du Parc Gezi en 2013. Il s’est intensifié avec la tentative de coup d’État en 2016 qui a entraîné une modification de la constitution et entraîné une hyper-présidentialisation des institutions turques et une concentration des pouvoirs entre les mains du président Erdoğan. Cette dérive autocratique se manifeste notamment par une presse en grande partie contrôlée par le pouvoir, tandis que les voix les plus critiques sont marginalisées et réduites au silence. Le pouvoir du président Erdoğan porte atteinte à la démocratie de façon souvent subtile, notamment en exerçant une pression progressive sur les annonceurs des journaux afin d’asphyxier financièrement la presse critique et de l’empêcher de continuer à publier. Le pouvoir pratique également des arrestations ponctuelles de journalistes. Certaines fréquences sont bloquées ou gelées et la liberté de la presse n’est réellement plus garantie aujourd’hui en Turquie. Le maire d’Istanbul n’est pas la première personnalité à être arrêtée. Il y a eu pendant de très longues années de très nombreuses arrestations de maires affiliés au parti pro‑kurde DEM. Ces maires ont été destitués ou mis en prison. C’est aussi le cas pour plusieurs autres dirigeants politiques et philanthropes, comme Selahattin Demirtaş, leader kurde, qui est incarcéré depuis plus de six ans. Ces arrestations sont monnaie courante en Turquie aujourd’hui depuis plus d’une décennie.
Mais les auditions font apparaître qu’il s’agit d’un moment charnière, car la Turquie a toujours bénéficié jusque-là de véritables contre-pouvoirs, notamment grâce à des élections libres. Cela a permis à d’autres partis, comme le CHP d’Ekrem Imamoglu de remporter des élections locales, alors même que l’AKP du président Erdoğan détient le pouvoir à l’échelle nationale. Les Turcs affichent un attachement profond à la démocratie, illustré par leur taux de participation électorale, l’un des plus élevés au monde. C’est là un véritable rituel issu de la philosophie kémaliste et de la philosophie des lumières. Les Turcs sont viscéralement attachés aux élections et à la démocratie électorale et représentative sur laquelle se fonde la légitimité des personnes en place. Même s’il y a parfois eu des entorses, comme des ingérences politiques, des restrictions sur la liberté de la presse et des manifestations interdites. Cependant, pour la première fois, le principal adversaire de Recep Tayyip Erdoğan a été arrêté. Nous ne sommes plus du tout dans un espace de liberté quand vous arrêtez votre principal opposant. Le dernier lien qui rattachait la Turquie à un État démocratique a sauté. Je veux donc attirer votre attention chers collègues sur ce moment de bascule.
Un autre point important issu des auditions est que ces arrestations ne constituent pas un fait isolé, mais s’inscrivent dans une stratégie plus large du pouvoir en place. Cette stratégie, encore difficile à saisir, montre simultanément la dissolution du mouvement kurde PKK, manœuvre guidée non seulement par le président Erdoğan mais, plus surprenant encore, par le leader du parti d’extrême droite MHP, Devlet Bahçeli. Nous avons ainsi assisté à la manœuvre de l’AKP pour parvenir à la dissolution du PKK et tenter de briser l’alliance des oppositions qui avait permis l’élection d’Ekrem İmamoğlu aux municipales de 2024. Il y a également une tentative de briser le front pro‑kurde et notamment le parti DEM. Ces évènements sont concomitants.
Selon certains experts, cette arrestation précoce, qui a eu lieu en mars 2025, pourrait être un indice des ambitions du président Erdoğan de déclencher des élections anticipées pour pouvoir briguer à nouveau un mandat. L’autre hypothèse serait, grâce à ce revirement d’alliance, la potentielle création d’une autre coalition et d’une majorité qualifiée pour pouvoir changer la constitution entre le parti DEM, l’AKP et ses alliés. Il subsiste donc une incertitude sur l’avenir politique de la Turquie.
Quant au rôle de la diplomatie française, nous sommes, en tant que parlementaires, lucides des tourments démocratiques et des stratégies qui nous conduisent à entretenir des relations avec toutes les parties prenantes du monde. Il y a une dimension de realpolitik claire avec la Turquie, pays stratégique sur différents aspects et conflits, à commencer par celui entre la Russie et l’Ukraine.
D’un point de vue géographique, la Turquie contrôle la mer Noire. Cela illustre le retour de la puissance turque telle que voulue par le président Erdoğan, autrement dit une position non-alignée avec ses homologues. La Turquie a permis le contournement de sanctions russes mais aussi la fourniture de drones pour l’Ukraine. Il s’agit une position ambivalente mais neutre de la part de la Turquie qui se considère comme pièce maîtresse de la stabilité du conflit.
Par ailleurs, la Turquie est engagée sur les sujets syriens, le Moyen-Orient, les liens avec l’Iran. La realpolitik, qui apparaît essentielle au vu du rôle de la Turquie sur ces dossiers est entretenue par l’Union européenne et par la France. Néanmoins, nous n’avons pas de double discours. S’il faut maintenir les liens et le dialogue avec le pouvoir turc, il est aussi de notre devoir, en tant que grande nation démocratique, de dénoncer les dérives autoritaires de ce pays qui est toujours engagé dans un processus d’adhésion à l’Union européenne.
Avec cette proposition de résolution européenne, nous, députés de l’Assemblée nationale française, réaffirmons l’importance de préserver ces principes et de soutenir toutes les personnes qui luttent aujourd’hui pour la démocratie en Turquie, pour la libération du maire d’Istanbul et pour un avenir meilleur.
Mme Constance Le Grip (EPR). Il est important que nous prenions position, en tant que membres de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale et élus de la Nation. Au nom de mon groupe, je souhaite vivement que ce vote soit favorable à la plus large majorité possible. Suite aux événements récents, il apparaît clairement que la Turquie ne peut plus être considérée comme une démocratie.
La dérive autoritaire et autocratique qui s’est progressivement accélérée depuis 2016 est maintenant manifeste, avec le bâillonnement, l’emprisonnement de toute forme d’opposition et la disqualification du maire d’Istanbul, principal opposant, privé de ses droits fondamentaux et de ses libertés, mais aussi les entraves à la liberté de la presse. Tout cela avait en réalité commencé par une première révision constitutionnelle, juste après l’arrivée au pouvoir du président Erdoğan, qui avait affaibli le pouvoir judiciaire.
Nous apportons notre condamnation ferme et résolue de ces atteintes et notre soutien à toutes les forces pro-démocratiques : avocats, militants, journalistes, citoyens, partis qui essayent de faire entendre une voix d’opposition au régime. Il faut enfin souligner le combat des femmes turques, des militantes d’associations féministes très engagées qui dénoncent le retour en arrière, vers un fondamentalisme islamiste qui prend pour cible les droits et libertés des femmes.
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. La répression est en effet très violente, puisque les chiffres actuels évoquent déjà 1 400 personnes arrêtées. Les journalistes que nous avons rencontrés ont été particulièrement choqués par cette violence dans les manifestations, où ils ont constaté un usage complètement disproportionné de la force par l’usage de flash-ball, des humiliations, des sévices sexuels, en plus de l’emprisonnement de nombreux jeunes avec parfois pour seul motif la participation aux rassemblements.
Nous pouvons observer toute la dangerosité du pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan, qui a par ailleurs su retenir les leçons de 2013 à Gezi. Nous étions à cette époque face à des images qui ont traversé la planète, relatant d’une violence très forte, qui avait causé la mort. Il réussit désormais à étouffer de manière bien plus subtile ces manifestations, malgré leur violence inouïe.
Heureusement, le CHP a rapidement repris la main sur la contestation, et a déployé beaucoup d’efforts pour canaliser les franches les plus radicales, notamment les Loup gris. Ces derniers étaient parfois présents dans les manifestations, mais une tentative d’empêcher ces « black blocs » turcs d’aggraver la situation a pu être observée.
Ses avocats rappellent que le fondement de l’arrestation d’Ekrem İmamoğlu était double : des accusations de corruption, et dans le même temps des accusations encore plus insensées sur une participation à des actions terroristes, ou encore des liens indirects avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ces accusations sont bien évidemment infondées, mais elles s’inscrivent néanmoins dans une stratégie et une dérive autocratique manifeste. En 2016, à la suite du coup d’État, 120 000 fonctionnaires du système judiciaire turc avaient été arrêtés, ce qui avait mené à ce que presque un tiers des fonctionnaires du ministère de la justice soient remplacés par des proches de Recep Tayyip Erdoğan.
Mme. Anna Pic (SOC). Depuis 2003, et l’accession au pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan en Turquie, le parti socialiste et son groupe parlementaire n’ont cessé de dénoncer la dérive autocratique et autoritaire du régime turc. Nous faisons le constat avec vous que ce régime a progressivement remis en cause l’héritage démocratique et de laïcité de la république de Turquie, pourtant plus que centenaire.
Au regard, et profitant du contexte socio-économique en déliquescence, le président turc a amplifié sa politique nationale islamiste conservatrice, tout comme il a intensifié sa répression à l’égard de ses opposants politiques.
Vous avez parlé du fondateur du PKK, Abdullah Öcalan, qui est aujourd’hui toujours emprisonné, après 26 ans de détentions, et malgré les dernières évolutions, dont nous savons ce qu’elles peuvent recouvrer par ailleurs. Il reste emprisonné, et la sortie nous paraît bien difficile à voir arriver.
J’étais d’ailleurs ce week-end à Istanbul au côté du leader du parti d’Ekrem İmamoğlu, Özgür Özel, à qui j’ai, au nom de mon parti, réaffirmé notre soutien. Nous avons exprimé ce soutien en rejoignant les opposants qui déployaient des banderoles sur le Bosphore et dénonçaient la dérive autocratique du pouvoir turc actuel.
Le principal opposant a donc été arrêté, très certainement parce qu’il faisait de l’ombre à Recep Tayyip Erdoğan, qui est en perte de vitesse, comme il a pu être constaté au vu du résultat des dernières élections municipales. Au-delà de l’arrestation de Ekrem İmamoğlu, nous pouvons par ailleurs déplorer l’arrestation d’un grand nombre de maires de communes moins connues, mais elles aussi victimes de Recep Tayyip Erdoğan. Cela signifie qu’il ne s’attaque plus seulement à ses opposants au niveau politique, mais qu’il s’attaque aussi directement à la représentation démocratique des collectivités territoriales.
Nous faisons part de notre indéfectible soutien et solidarité envers ces prisonniers politiques. Nous reconnaissons à ce titre l’intérêt de cette proposition de résolution européenne (PPRE), qui permet enfin de mettre en lumière une dégradation que nous ne connaissons que trop peu. La France, en tant qu’amie et alliée de la Turquie, doit évidemment prendre ses responsabilités diplomatiques pour appeler à la libération immédiate des prisonniers d’opinions et en encourageant le retour à l’État de droit, et en défendant les droits humains et les libertés fondamentales. Enfin, elle doit aussi apporter tous le soutien qu’ils méritent à nos amis kurdes qui ont été à nos côtés en Syrie, notamment dans la lutte contre le terrorisme islamiste, et qui, parfois, ont l’impression d’être toujours ceux qui font l’Histoire, mais qui restent les oubliés de l’Histoire.
Nous voterons donc évidemment ce texte pour dénoncer cette dérive autocratique.
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Merci Madame Pic pour votre soutien à cette démarche, et pour votre implication. Effectivement, vous avez ce week-end, avec l’Internationale socialiste et le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez, apporté votre soutien à Ekrem İmamoğlu, et ces images sont importantes.
La question kurde sera très certainement abordée lors des discussions des amendements.
La destitution parfois systématique des maires kurdes, abordée dans mon propos introductif, a été monnaie courante depuis plus de dix ans dans le Sud-Est du pays, et s’est accélérée après 2013, avec l’arrestation conjointe d’Ekrem İmamoğlu et de plusieurs maires du district. Nous parlons beaucoup d’Ekrem İmamoğlu puisque c’est une figure extrêmement emblématique d’Istanbul, mais effectivement d’autres maires du district ont eux aussi été arrêtés en parallèle de son arrestation. Cette tentative de sape se déploie donc à tous les niveaux et sur l’ensemble du territoire, et pas seulement à l’égard de son principal opposant politique.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). La France Insoumise a toujours eu une position ferme contre la dérive autoritaire du régime d’Erdoğan. L’incarcération du maire d’Istanbul Ekrem İmamoğlu a marqué l’accélération, ou peut-être même une reprise, de la répression politique en Turquie, après ce qui a été vécu en 2017 avec les Kurdes. Nous combattons ces méthodes de lawfare qui permettent d’empêcher des personnalités politiques faisant concurrence de participer aux élections démocratiques, mais aussi d’enfermer des syndicalistes, des militants, et des universitaires. Nous saluons le courage du peuple turc, en particulier sa jeunesse qui fait face à une répression brutale, des centaines de manifestants ont encore été incarcérés récemment. À ce titre, la journaliste d’opposition turque Zehra Kurtay, réfugiée en France, a été arrêtée lundi dernier alors qu’elle se rendait à la préfecture pour renouveler sa demande d’asile. Elle est aujourd’hui menacée d’extradition vers la Turquie, et notre commission doit pouvoir se prononcer contre cette extradition, car elle risque d’y subir à nouveau la torture et l’emprisonnement.
Toute l’opposition de gauche et kurde est violemment réprimée en Turquie. Lors de la dernière session de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Mme Bedia Özgökçe Ertan, membre du parti DEM, expliquait qu’elle avait été démise de ses fonctions de maire alors qu’elle avait battu le candidat du parti du président Erdoğan. Elle risque aujourd’hui 30 ans de prison si elle venait à retourner en Turquie, et vit désormais en Allemagne.
Au minimum, il y a une dizaine de milliers de prisonniers politiques dans les prisons des autorités turques, et le récent geste du PKK, qui a choisi de s’autodissoudre pacifiquement suite à l’appel de Abdullah Öcalan, offre une opportunité de paix historique. Les autorités turques refusent de la saisir. Votre PPRE arrive à point nommé, et nous la soutiendrons.
Il est cependant important de dénoncer le double standard qui pourrait parfois caractériser notre Assemblée. Nous sommes prompts, et à juste titre, à dénoncer ce qui se passe en Turquie face à la dérive autoritaire du régime en place. Il est nécessaire d’avoir le même discours lors qu’Israël est concerné, et notamment le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou, qui a recours à la répression politique, mais aussi au génocide à Gaza. Il faut avoir la possibilité de condamner ceci de la même façon, chaque fois que se présente ce genre de situation dans un pays. Nous ne pouvons pas désigner l’un, et protéger l’autre.
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Merci pour votre propos extrêmement clair Mme la députée. Vous avez insisté à juste titre sur la mobilisation de la jeunesse, car c’est bien à partir d’elle que les mobilisations ont commencé. Les jeunes sont les premiers à avoir brisé le cordon pour se rendre devant la mairie d’Istanbul. Ce qui est plus rare à voir, c’est la mobilisation des lycéens, encadrés par les enseignants au sein d’actions pacifiques. Ils restent extrêmement mobilisés, avec un certain nombre d’étudiants refusant de participer à des examens.
Je reviendrai sur le sujet kurde, car c’est extrêmement important de poser le pour et le contre dans ce que l’on dit à son propos.
M. Pascal Lecamp (DEM). Nous soutenons la PPRE présentée aujourd’hui. Depuis plusieurs années, nous observons avec inquiétude une érosion progressive de l’État de droit en Turquie. La liberté de la presse, les arrestations arbitraires d’opposants politiques, les restrictions imposées à la société civile et aux minorités sont autant de signaux alarmants qui ne peuvent nous laisser indifférents.
En tant que membre de l’Union européenne, nous avons la responsabilité de défendre et de promouvoir les valeurs fondamentales qui nous unissent : la démocratie, les droits humains, et le respect de l’État de droit. Cette PPRE réaffirme notre engagement envers ces principes et envoie un message clair de solidarité à tous ceux qui, en Turquie, luttent pour les préserver. Ils sont en effet des millions à supporter Ekrem İmamoğlu et à vouloir rompre avec la Turquie que dessine un peu plus chaque jour le président Erdoğan. Il est essentiel que l’Union continue de dialoguer avec la Turquie, et nous devons aussi rester fermes sur le respect des droits fondamentaux.
Le groupe démocrate soutiendra cette PPRE : elle est une contribution modeste peut-être, mais dans un temps où la liberté d’expression est si menacée, faisons bon usage de la nôtre !
M. Pierre Cazeneuve (rapporteur). Merci pour votre soutien. Lorsque l’on dépose ce genre de proposition, on ne se réveille pas un matin en se disant que l’on allait faire plier le régime d’Erdoğan et que « Prenez garde, l’AKP, l’Assemblée nationale arrive ! ».
Évidemment, il est nécessaire d’être humble sur la portée réelle de ce que nous faisons. Après l’arrestation du maire d’Istanbul, il y a eu un silence assourdissant au sein des chancelleries du monde, à l’exception de la France et de l’Allemagne qui ont communiqué. De manière générale, l’Europe s’est peu exprimée sur le sujet. Ce sera regardé avec beaucoup d’intérêt par les partis d’opposition turcs, qui aujourd’hui se battent pour la liberté d’expression et le retour de la démocratie. La PPRE ne sera pas décisive, mais elle contribuera à soutenir des personnes se battant pour les droits humains.
M. Matthieu Vallet, député européen (Patriotes pour l’Europe) : Siégeant à la commission des droits de l’Homme du Parlement européen, ce n’est pas une surprise d’apprendre que la Turquie ignore les droits de l’Homme. L’arrestation du maire d’Istanbul n’est que la partie immergée de l’iceberg, puisqu’il s’agit d’une pratique habituelle du président Erdoğan, depuis trois mandats, de révoquer des maires n’appartenant pas à son obédience politique, sans aucune base juridique. Il y a également des purges dans l’armée, dans les médias et dans la justice.
Je rappelle également qu’en violation du droit international son pays occupe, depuis 1974, le nord de l’île de Chypre alors que ce pays est membre de l’Union européenne. Cette dernière aurait versé 31 milliards d’euros à la Turquie entre 1996 et 2000. Le chantage aux migrants, commencé en 2015, aurait coûté 9 milliards d’euros, dont 2 milliards d’euros pour la France. Il faut donc arrêter de payer pour un État qui applique le programme des Frères Musulmans. La Turquie n’est plus l’État démocratique qu’il revendiquait être mais un État islamiste. Pour rappel, l’accession de M. Ahmed Al-Charaa ainsi que des Islamistes en Syrie relève également de sa responsabilité.
Au Parlement européen, nous enchaînons les résolutions sans plus de succès : la solution consiste à stopper l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. M. Macron s’y oppose, M. Sarkozy était également contre, alors même qu’ils appartiennent à des obédiences politiques différentes. Arrêtons de payer pour un pays n’ayant ni nos valeurs, ni nos principes ni notre civilisation ! Votre PPRE ne va pas dans ce sens : sans taper du poing sur la table nous ne serons pas écoutés !
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. J’entends des prises de position assez caricaturales. Concernant le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, toutes les négociations avec l’Europe ont été arrêtées en 2018. La réalité du maintien de la Turquie dans ce processus est un moyen pour l’Europe de maintenir un lien diplomatique. Les financements auxquels vous faites référence – j’ai interrogé la Commission européenne sur ce sujet – permettaient historiquement la formation des juges et des autorités administratives ! Vous vous doutez bien qu’ils ont été dorénavant stoppés !
Les 17 milliards d’euros attribués à la Turquie dans le cadre du processus d’adhésion ont non seulement été drastiquement limités mais également fléchés vers le soutien à des initiatives de la société civile et à des autorités indépendantes pour maintenir un lien nécessaire avec l’Europe et non pour financer les autorités politiques en place.
La Turquie étant candidate à l’adhésion, la Commission publie chaque année un rapport clair soulignant ses manquements, notamment en matière de droits de l’Homme. Cela permet de mettre en lumière les dérives du pouvoir d’Erdoğan et de montrer comment la Turquie s’est progressivement éloignée du processus initial d’adhésion.
Dernier point, la Turquie joue un rôle stratégique. Les plus de cinq millions de réfugiés syriens présents sur son territoire sont un moyen d’exercer un chantage à la pression migratoire sur l’Europe, en particulier sur l’Allemagne. Cela nécessite des contreparties financières. Les relations avec la France sont limitées ; avec l’Europe, elles se trouvent en sommeil. Le président Nicolas Sarkozy, comme le président actuel ne croient plus à la réalité d’une adhésion. L’objet de cette PPRE est donc de dénoncer la réalité de cette dérive autoritaire ainsi que les atteintes à l’état de droit.
M. le vice-président Laurent Mazaury. Nous en venons à l’examen des amendements.
Amendement n° 1 de M. Pierre Cazeneuve
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Cet amendement vise à compléter l’alinéa 16, suite aux auditions menées, afin d’être exhaustif concernant les différentes catégories de personnes arrêtées. Nous avons donc ajouté les avocats et les fonctionnaires.
L’amendement n° 1 est adopté.
Amendement n° 2 de M. Pierre Cazeneuve
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Lors du dépôt de cette PPRE les chefs d’accusation de terrorisme et d’atteinte à l’intégrité du pays, sous la pression populaire ont été retirés, mais remplacés par ceux de corruption. Pour être le plus juste, juridiquement parlant, cet amendement propose d’utiliser les termes de « chefs d’accusation abusifs liés à la corruption ou au terrorisme ».
L’amendement n° 2 est adopté.
Amendement n° 3 de Mme Sophia Chikirou.
Mme Sophia Chikirou (LFI). Cet amendement appelle à la libération immédiate des responsables politiques du PKK, leur détention arbitraire étant un obstacle au processus de paix. Le renoncement par le chef du PKK aux armes est le signal que le temps du processus de paix est venu. La question kurde qui concerne plusieurs pays doit trouver une voie pacifique. Nous avons une occasion historique, en Turquie, pour le faire. Notre rôle en tant que parlementaire, au regard de la solidarité internationale que nous souhaitons exprimer à travers cette PPRE, est de dénoncer une détention longue, arbitraire, inhumaine qui n’a même plus l’habillage du motif politique.
Mme Anna Pic (SOC). Je soutiens cet amendement. Je viens d’envoyer un courrier au président Macron pour insister sur la nécessité pour notre pays de faire pression sur la Turquie afin qu’elle libère le leader du PKK, qui a renoncé unilatéralement à la violence. Nous devons soutenir le retrait de cette organisation de la liste des organisations terroristes, pour pouvoir véritablement avancer sur ce sujet. Ils ont renoncé à la violence, ils ont déposé les armes : continuons dans cette direction et affirmons clairement que les membres du PKK ne doivent plus figurer parmi les membres d’une organisation terroriste.
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Nous entrons là dans toute la complexité du sujet, et je vais prendre quelques minutes pour partager avec vous, de manière modeste, ce que j’ai pu apprendre lors des auditions et les convictions que j’ai pu me forger.
Tout d’abord, l’auto-dissolution du PKK est une initiative qui vient d’Erdoğan. C’est une démarche du pouvoir en place, portée par l’AKP, dans une stratégie visant à diviser une opposition très unie. Ainsi, en décembre dernier, nous avons assisté à une poignée de main et à une rencontre entre Devlet Bahçeli, président du MHP, le mouvement d’extrême droite nationaliste allié d’Erdoğan, et Abdullah Öcalan. Cela montre bien que la dynamique actuelle autour de la dissolution du PKK est impulsée par le pouvoir en place.
Ensuite, dans votre amendement, Madame Chikirou, vous mentionnez Abdullah Öcalan, fondateur du PKK qui est une organisation aujourd’hui encore considérée comme terroriste par l’Union européenne et par la France. En tant que parlementaire, je ne me vois pas appeler à la libération du fondateur d’un mouvement considéré comme terroriste.
Vous mélangez par ailleurs plusieurs figures : Abdullah Öcalan, mais aussi Selahattin Demirtaş, qui est un parlementaire, chef du parti DEM, un parti pro‑kurde qui ne partage absolument pas les mêmes modes d’action que le PKK. Le DEM n’est pas un mouvement terroriste ; c’est un parti historiquement ancré à gauche, très engagé sur les questions d’écologie, de droits des femmes, etc. Il ne faut surtout pas confondre ni amalgamer le PKK et le parti DEM, même si la cause kurde est commune aux deux.
Enfin, vous mentionnez Osman Kavala, un philanthrope qui n’a rien à voir avec la cause kurde. Il a été arrêté parce qu’il dérangeait le pouvoir en place à travers les actions qu’il finançait et les médias qu’il soutenait. Ces trois personnes ont été arrêtées pour des raisons très différentes ; elles n’appartiennent pas à la même mouvance.
Dès lors, cet amendement ne me semble pas pouvoir être soutenu tel quel. Nous n’allons pas nous accorder sur la question du PKK, mais je peux vous proposer que la proposition de résolution européenne formule un appel plus général à la libération de toutes les personnes arrêtées pour des raisons politiques.
M. Pascal Lecamp (DEM). Ayant été diplomate en poste en Turquie, je souhaiterais apporter ma modeste contribution au débat. Nous ne pouvons pas, dans le cadre de cette commission, compromettre l’action diplomatique de la France. Nommer des individus aussi précisément ne relève pas de notre rôle. Je soutiens l’idée d’appeler à la libération de tous les prisonniers politiques en Turquie. Chacun y retrouverait ou y projetterait ce qu’il souhaite.
Je rappelle qu’un quart de la population turque est kurde, soit environ 20 millions de personnes sur une population totale de 80 millions. Il serait donc malvenu de stigmatiser, à travers une formulation aussi ciblée que celle que vous proposez, une part aussi importante de la population turque. C’est avec elle aussi que nous devons être en mesure de dialoguer afin de préserver le rôle diplomatique de la France et de l’Europe dans la relation avec la Turquie. Cette dernière doit rester, à terme, un partenaire, pour son peuple, pour les Kurdes et pour les autres peuples.
Je soutiendrai donc la proposition du rapporteur.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Laisser entendre qu’il existerait aujourd’hui une forme d’entente entre le PKK et le président Erdoğan est une erreur et une faute d’analyse politique. Le fait que le PKK ait décidé de s’auto-dissoudre et de renoncer à la lutte armée pour obtenir l’autodétermination du peuple kurde ne constitue en rien un renoncement à la cause kurde qui demeure pleinement d’actualité. La population kurde doit disposer d’un droit à l’autodétermination.
Ce que je défends, et ce que défend également le parti DEM, qui siège à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe au sein du groupe GUE auquel La France insoumise est affiliée, c’est un processus démocratique de reconnaissance, d’intégration et de respect de l’ensemble des droits du peuple kurde, y compris ses droits identitaires.
J’insiste fortement sur ce point : nous ne pouvons pas laisser croire qu’un accord aurait été conclu entre les Kurdes et M. Erdoğan. La cause kurde est bien vivante, et il est de notre responsabilité de continuer à nous tenir aux côtés de ce peuple.
Par ailleurs, je ne suis pas du tout opposée à l’idée de modifier l’amendement. J’insiste toutefois pour maintenir un appel clair à la libération immédiate de l’ensemble des prisonniers politiques en Turquie, ainsi que de toutes les personnes détenues pour des motifs politiques.
Mme Constance Le Grip (EPR). En l’état actuel de sa rédaction, nous n’aurions pas voté en faveur de l’amendement n° 3 présenté par La France insoumise, et ce pour toute une série de raisons que le rapporteur a parfaitement exposées.
Je souhaite rappeler que cette proposition de résolution européenne a pour objet principal, essentiel et déjà suffisamment dense, la dénonciation des atteintes aux libertés fondamentales, aux droits fondamentaux et à l’État de droit en Turquie, telles qu’elles sont aujourd’hui perpétrées par le régime de M. Erdoğan.
Le sujet douloureux, complexe et sensible de la question kurde relève à mon sens d’un autre texte. Il devrait être intégré dans une approche diplomatique plus large et paraît ici quelque peu décalé par rapport à l’objet central de cette résolution.
En revanche, je pourrais me rallier à un amendement qui appellerait à la libération immédiate de l’ensemble des prisonniers politiques et de toutes les autres personnes détenues pour des motifs politiques.
M. le vice-président Laurent Mazaury. Est-ce que vous acceptez de modifier votre amendement, en introduisant la phrase : « appelle à la libération immédiate de tous les prisonniers politiques en Turquie, et de toutes les autres personnes détenues pour des motifs politiques » ?
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Je l’accepte.
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Je suis très satisfait de cette réécriture. Les cinq ou six plus grands chercheurs sur la question turque que nous avons rencontrés ont insisté lors de ces auditions, sur les conditions choquantes du revirement de M. Recep Tayyip Erdoğan qui est un redoutable animal politique. S’il considère que la menace du CHP est plus importante que la menace kurde, il est capable de tout faire afin de briser le front d’opposition.
L’amendement n° 3 rect.est adopté.
Amendement n° 4 de Mme. Sophia Chikirou.
Mme. Sophia Chikirou (LFI-NFP). Il s’agit d’un amendement qui vise à affirmer le droit légitime du peuple kurde à l’autodétermination. Le peuple kurde est la plus grande nation du monde sans État, et la mise en œuvre d’un processus de paix durable en Turquie est indispensable.
Nous pensons qu’il faut rappeler l’importance du respect des droits des Kurdes, notamment dans le contexte de répression politique massive dénoncé dans ce texte. Cette répression vise non seulement les Kurdes pour ce qu’ils sont – un quart de la population turque – mais aussi pour ce qu’ils pensent, car les Kurdes portent un projet de société souvent fondé sur des bases socialistes, d’autogestion, et de féminisme. Il est important de souligner qu’ils sont victimes de répression politique et identitaire, et de réaffirmer que leur autodétermination est fondamentale.
M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. J’ai deux objections sur ce point-là.
Tout d’abord, il est important de ne pas dévier de l’objet de la résolution européenne qui est d’appeler à la libération d’Ekrem İmamoğlu et à la préservation des principes démocratiques. La question kurde, vous l’avez rappelé, est une question très large qui ouvre un champ très dense de débats et de questions juridiques, politiques et géopolitiques.
Sur le fond, le concept d’autodétermination est un concept fort qui manque de précision. Il laisse entendre que l’objectif serait d’avoir un État autonome kurde en Turquie alors qu’il existe déjà un certain nombre de dispositions assez claires dans la Constitution sur la reconnaissance de l’identité kurde ainsi que sur des possibilités d’autonomie. Par ailleurs, le sujet dépasse la Turquie puisqu’il concerne aussi la Syrie et l’Irak. Il conviendrait plutôt d’engager un travail de réflexion au sein du groupe d’études sur la question kurde et d’envisager la rédaction d’une proposition de résolution européenne spécifique sur le sujet.
L’amendement n° 4 est rejeté.
L’article unique de la proposition de résolution européenne est adopté.
La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est par conséquent adoptée.
Sur proposition de M. le président Pieyre-Alexandre Anglade, la commission a nommé :
– Mme Emmanuelle Hoffman, rapporteure sur la proposition de résolution européenne pour un féminisme universel (n° 1381).
La séance est levée à 16 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Philippe Ballard, Mme Sophia Chikirou, M. Jocelyn Dessigny, Mme Constance Le Grip, M. Pascal Lecamp, M. Laurent Mazaury, Mme Anna Pic
Excusés. - Mme Marietta Karamanli, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Estelle Youssouffa
Était également présent. – M. Matthieu Valet, député au Parlement européen