Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
4 juin 2025
16 h 30
Compte rendu n o 33
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 4 juin 2025
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la Commission
La séance est ouverte à 16 heures 30.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Mes chers collègues, nous auditionnons M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe sur les suites données aux résolutions européennes adoptées par l’Assemblée nationale, dont le nombre a considérablement augmenté sous cette législature : depuis le mois de juillet dernier, quarante-cinq résolutions ont été déposées, dont treize ont été adoptées, soit autant en une année que pendant les deux années de la précédente législature. Ces résolutions définissent la position de l’Assemblée nationale sur une négociation en cours ou sur un thème européen plus large. Elles contiennent des invitations à agir ou des recommandations adressées au gouvernement et aux institutions européennes.
Monsieur le ministre, il nous a semblé nécessaire de vous auditionner sur la façon dont les prescriptions votées par notre assemblée ont été prises en compte par le gouvernement, conformément à l’exigence démocratique attachée au contrôle parlementaire de la politique européenne du gouvernement. Si l’exécutif n’est pas juridiquement lié par une résolution, qui n’a aucun pouvoir d’injonction à son égard, la circulaire du 21 juin 2010 relative à la participation du Parlement national au processus décisionnel européen prévoit que les résolutions européennes doivent être prises en compte par le gouvernement dans les négociations européennes.
Il n’est pas possible d’évoquer toutes les résolutions adoptées depuis le début de cette législature. Nous en avons donc sélectionné quatre, en fonction de l’importance politique du sujet et de la compétence de votre portefeuille. Les résolutions relatives à la politique environnementale, économique, financière et sécuritaire, qui relèvent d’autres ministères que le vôtre, feront l’objet d’auditions ultérieures des ministres compétents, sans doute à l’automne.
Nous commencerons par entendre la position française et la façon dont les quatre résolutions européennes ont été prises en compte par le gouvernement, puis nous en débattrons en les rassemblant en trois thèmes : le soutien de l’Union européenne (UE) à l’Ukraine ; les accords de libre-échange ; la lutte contre l’antisémitisme.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe. Je vous remercie de votre invitation et me félicite du dynamisme de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale. Les propositions de résolution européenne font vivre le débat européen et international au sein de cette institution. Faire entendre la voix des parlementaires sur ces sujets cruciaux pour notre compétitivité et pour notre souveraineté est une exigence vis-à-vis du gouvernement et une façon de faire vivre la voix de la France dans le débat européen.
Je crois profondément à la diplomatie parlementaire et à son rôle dans le rayonnement et l’influence de notre pays à l’étranger. Nous sommes dans un moment de bascule géopolitique et d’accélération, où notre Europe peut se renforcer par le biais de sa compétitivité, de la simplification de ses textes, de l’approfondissement de son marché unique et de sa défense, ainsi que du renforcement des outils commerciaux pour défendre nos intérêts et la réciprocité face à la pression douanière américaine et au protectionnisme ainsi qu’aux subventions de la Chine. Nous devons également continuer à défendre nos valeurs et notre sécurité face à la menace que représente la Russie à nos portes, surtout depuis son agression de l’Ukraine.
Depuis son élection en 2017, le président de la République fait entendre une voix forte sur ces sujets pour la défense de notre souveraineté et de notre autonomie stratégique. Le rôle des parlementaires dans les forums d’échange, les laboratoires d’idées et les grandes conférences à l’échelon européen est fondamental. Les résolutions européennes, notamment sur l’Ukraine, sont entendues par nos partenaires et contribuent à faire de l’Assemblée nationale un acteur majeur de la politique étrangère de notre pays. Je me tiens à votre disposition pour échanger et répondre à vos interrogations, dans le cadre d’un dialogue permanent et exigeant.
Le fil conducteur des résolutions qui nous occupent est l’exigence de la souveraineté européenne, d’abord par le biais de la sécurité et de la défense. Tel est l’objet de la résolution européenne appelant au renforcement du soutien à l’Ukraine, présentée par M. Laurent Mazaury. Il est nécessaire de continuer à soutenir l’Ukraine non seulement pour l’aider à défendre sa liberté et sa souveraineté, mais aussi pour assurer la sécurité collective des Européens face à la menace que représente la Russie.
Notre souveraineté alimentaire et commerciale fait l’objet de la résolution européenne relative à l’adoption et à la mise en œuvre d’exigences à l’importation pour le respect de normes de production équivalentes aux normes de production essentielles, en matière de santé, d’environnement, de biodiversité et de bien-être animal applicables dans l’Union européenne, présentée par M. Dominique Potier, et de la résolution européenne invitant le Gouvernement de la République française à refuser la ratification de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur, présentée par Mme Mathilde Hignet. Nous aurons l’occasion d’évoquer la réciprocité des normes de production, les clauses miroirs, la défense des clauses environnementales et notre opposition à l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur en l’état.
Nous évoquerons enfin la défense de nos valeurs, notamment la démocratie, la liberté, l’universalisme et la laïcité contre ceux qui veulent les attaquer. Madame Constance Le Grip, vous avez présenté la résolution européenne visant à une coopération européenne renforcée contre l’antisémitisme et la haine anti-juive, témoignant de votre engagement constant dans la lutte contre l’antisémitisme, qui est l’un de mes combats.
Pour l’Ukraine, le moment est critique. Les négociations se poursuivent entre l’Ukraine et la Russie, avec la participation des Américains et des Européens. Le constat est clair – la dernière session de négociation le confirme. Il y a un pays qui tourne le dos à la diplomatie, à la négociation et à la paix : la Russie, qui poursuit l’escalade sur le terrain et les manœuvres dilatoires sur le plan diplomatique.
Européens et Américains font preuve d’une véritable convergence de vues, notamment grâce au dialogue que nous menons avec l’administration américaine et à celui qu’entretient directement le président de la République avec le président Trump. Tous travaillent avec les Ukrainiens à obtenir un cessez-le-feu inconditionnel de trente jours pour créer l’apaisement et la sérénité nécessaires à l’ouverture d’un dialogue diplomatique et à l’engagement sur la voie d’une paix juste et durable.
Celle-ci suppose le renforcement pérenne des capacités de défense de l’Ukraine, la première garantie de sécurité étant d’avoir une armée robuste et indépendante, surtout à l’heure où la Russie persiste à demander la démilitarisation de l’Ukraine. Elle suppose aussi que les autres pays européens lui apportent des garanties de sécurité pour dissuader une agression future et assurer la stabilité et la paix sur notre continent.
Le premier ministre ukrainien a été reçu par François Bayrou cette semaine. Nous lui avons renouvelé notre soutien, s’agissant notamment de la résilience des infrastructures et de l’aide humanitaire. Le fonds bilatéral, qui permet de rapprocher les acteurs de notre économie de l’économie ukrainienne, a été renouvelé. Par ailleurs, nous maintenons notre soutien militaire, notamment grâce au décaissement rapide du prêt financé par les intérêts des avoirs gelés de la Banque centrale russe dans le cadre de l’initiative ERA.
Nous maintenons la pression exercée sur la Russie, qui refuse de s’engager dans les négociations avec sincérité. L’UE a adopté un dix-septième paquet de sanctions et nous travaillons d’ores et déjà au dix-huitième, qui ciblera spécifiquement le secteur énergétique, les hydrocarbures étant une façon pour la Russie de financer son effort de guerre.
Ce travail tient compte des discussions en cours au Sénat américain, menées par le sénateur républicain Lindsey Graham, proche du président Trump, qui a construit un paquet de sanctions très fortes incluant des sanctions secondaires et des sanctions vigoureuses du secteur énergétique russe. Il est soutenu de façon bipartisane par environ quatre-vingts sénateurs avec lesquels le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, entretient un dialogue.
Notre ligne n’a pas bougé d’un iota : notre objectif, que nous partageons avec l’administration américaine, est de trouver la voie d’une paix juste. Constatant que la Russie s’y refuse, nous devons accroître la pression militaire et économique que nous faisons peser sur elle par tous les moyens.
Par ailleurs, l’Europe réarme. L’Europe de la défense avance. Le 6 mars 2025, le Conseil européen extraordinaire a permis d’obtenir des avancées permettant aux États membres d’investir en commun plus facilement dans leurs industries de défense, notamment dans des domaines où nous avons des lacunes, des retards et des dépendances, vis-à-vis des États-Unis en particulier, au premier rang desquels le cyber, les drones, la capacité de frappe en profondeur, les satellites – Starlink joue un rôle essentiel en Ukraine – et les ravitailleurs en vol.
Nous avons achevé il y a quelques jours les négociations du plan SAFE, qui est l’une des principales composantes du plan « ReArm Europe » de la Commission européenne. Doté de 150 milliards grâce à un emprunt contracté par la Commission, il permettra d’accorder des prêts à taux préférentiels à des consortiums d’États membres décidant d’investir en commun dans les domaines capacitaires précités, sous réserve de satisfaire à un critère fondamental auquel la France tenait : la préférence européenne. Les fonds européens doivent soutenir l’industrie de défense européenne, notamment pour développer nos capacités à long terme et réduire nos dépendances.
Il s’agit bien entendu d’une question industrielle et économique, mais aussi et avant tout d’un objectif de souveraineté. Si nous voulons garder la maîtrise du savoir-faire technologique et de l’exportation ainsi que du contrôle de l’usage des armements, nous devons avoir une industrie de défense européenne souveraine. Ce sujet a longtemps fait l’objet de divisions entre cultures différentes, issues d’histoires et de géographies dont il faut tenir compte.
Toutefois, à l’heure de l’urgence de la menace et de l’incertitude qui pèse sur la garantie de sécurité américaine et sur l’avenir de la relation transatlantique, indépendamment de l’administration Trump, les Européens doivent investir en commun et développer une industrie de défense autonome. À cet égard, le plan SAFE est une avancée majeure. Il faudra aller plus loin et se doter de nouveaux instruments dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel (CFP).
Sur l’agriculture et les accords de libre-échange, les résolutions de M. Potier et de Mme Hignet dessinent la nécessité d’une Europe sortant de la naïveté commerciale et faisant respecter des critères de réciprocité et de respect de ses normes et de ses standards environnementaux. Nous nourrissons de fortes ambitions pour accompagner nos acteurs économiques et nos agriculteurs dans la voie de la transition environnementale, ce qui nous interdit d’importer des produits et des biens ne respectant pas les mêmes normes. L’exigence environnementale va de pair avec la défense de nos intérêts commerciaux.
L’application de clauses miroirs, nous la défendons systématiquement dans l’élaboration des textes européens. Tel est par exemple le cas s’agissant du règlement sur le transport des animaux vivants, premier d’une série de règlements relatifs au bien-être animal, qui est cours de discussion.
La vision de la Commission européenne sur l’agriculture et l’alimentation publiée il y a quelques mois par M. Christophe Hansen est conforme aux priorités et aux objectifs de la France en matière agricole, qu’il s’agisse de la réciprocité commerciale, des clauses miroirs, de la défense de notre souveraineté alimentaire, du renouvellement des générations, de la protection des jeunes agriculteurs, de l’aide à l’installation ou du passage d’une logique de contrainte à une logique d’accompagnement, d’investissement et d’incitation en matière de transition environnementale. Ces priorités sont au cœur de la nouvelle stratégie agricole de l’UE.
Nous devrons veiller à sa mise en œuvre dans les textes. Le commissaire européen au budget, Piotr Serafin, sera notamment chargé des négociations de la politique agricole commune (PAC) d’après 2027. Je l’ai invité à rencontrer nos agriculteurs dans le Doubs et dans le Jura la semaine dernière.
Nous avons pour exigences la préservation du revenu de nos agriculteurs, l’organisation de la PAC en deux piliers, la simplification des normes et la défense des secteurs agricoles face à la concurrence déloyale. Nous avons demandé à la Commission de travailler sur les limites maximales de résidus (LMR) pour qu’elles soient fixées au seuil de détection. Nous ne pouvons pas tolérer l’importation de produits tels que les pesticides dont la production est interdite sur le marché européen.
S’agissant de l’accord de libre-échange avec le Mercosur, la position de la France est aussi claire que constante : tel quel, nous nous y opposons. La France n’est pas opposée, au contraire, aux accords de libre-échange en général, d’autant que l’UE, dans le contexte actuel, a tout intérêt à diversifier ses partenariats commerciaux. Mais nous devons les négocier en défendant nos intérêts, pas en nous plaçant dans des situations de concurrence inéquitable contraignant nos agriculteurs à faire face à des produits issus de marchés aux exigences distinctes des nôtres.
Dans certains accords de nouvelle génération, nous avons inclus des clauses miroirs. Dans l’accord avec le Mercosur, la clause de sauvegarde est inopérante, car les seuils prévus ne permettent pas de l’activer. Après le déclenchement de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine en 2022, nous avons facilité les échanges de certains biens avec l’Ukraine.
En 2024, à la demande de la France et de pays affinitaires tels que la Pologne, nous avons adopté des clauses de sauvegarde pour protéger nos filières, notamment la volaille, le sucre et les œufs, pour freiner ou suspendre les importations d’Ukraine en instaurant des tarifs et des quotas en cas de déstabilisation du marché. Ce système, qui a fonctionné, doit s’appliquer à tous les accords commerciaux conclus par l’UE, dont celui conclu avec le Mercosur.
Sur ce point, la France, contrairement à une petite musique que l’on entend parfois dans la presse, la France est loin d’être seule. J’ai passé beaucoup de temps à consulter mes homologues des pays affinitaires, notamment le mois dernier en visioconférence. La Pologne, l’Italie, la Belgique et l’Irlande ont les mêmes préoccupations que les nôtres. L’Autriche a adopté une résolution pour s’opposer à l’accord avec le Mercosur ; tel est aussi le cas du parlement néerlandais. Le Parlement européen lui-même a des débats très vigoureux à ce sujet : il y a quelques semaines, un amendement faisant part de préoccupations sur cet accord a été adopté. Quant à nous, nous tenons une ligne ferme et claire.
Concernant l’antisémitisme, l’UE, dans le cadre de la Stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme et de soutien à la vie juive, a demandé aux États membres d’adopter des stratégies nationales de lutte contre l’antisémitisme. Il faudra aller plus loin compte tenu de la recrudescence des actes antisémites.
Tel est le sens de la résolution visant à une coopération européenne renforcée contre l’antisémitisme et la haine anti-juive, qui préconise l’adoption d’une politique européenne, le renforcement des moyens de l’envoyé spécial en charge de la lutte contre l’antisémitisme, le partage des bonnes pratiques et l’extension du champ des eurocrimes en vue de les combattre plus efficacement.
Tel est aussi le sens de la démarche que j’ai entreprise avec plusieurs de mes homologues, notamment mon homologue autrichienne, qui vise notamment à renforcer les moyens de la lutte contre l’antisémitisme, mais aussi – ce sujet m’est cher – à contrôler l’usage des financements européens. Si nous voulons lutter contre la haine à l’échelon européen, nous devons commencer, de façon très claire, par nous assurer qu’aucun financement du contribuable européen ne soutienne des associations, des ONG ou des universités susceptibles d’être liées à la haine quelle qu’elle soit, à de l’antisémitisme ou à des mouvements liés aux Frères musulmans – plusieurs cas ont été rapportés ces dernières années.
La Cour des comptes européenne a d’ailleurs relevé le manque de transparence de l’UE s’agissant de certains versements aux ONG. Nous devons faire preuve d’une stricte vigilance pour filtrer et contrôler les financements de l’UE. La coopération contre la haine et l’antisémitisme ainsi que le meilleur contrôle des fonds sont des priorités de la France.
Qu’il s’agisse de rendre la défense européenne plus souveraine, de soutenir l’Ukraine, d’assurer la réciprocité des accords commerciaux et l’introduction de clauses miroir afin de défendre nos normes environnementales et les intérêts de nos agriculteurs, de défendre nos intérêts commerciaux dans le bras de fer en cours avec les États-Unis ou de défendre nos valeurs, la France porte une voix forte et joue un rôle moteur au sein d’une UE qui sort de la naïveté, se renforce et peut sortir plus forte, plus unie et plus souveraine du moment de bascule que nous sommes en train de vivre.
M. Laurent Mazaury, rapporteur de la proposition de résolution européenne appelant au renforcement du soutien à l’Ukraine. La résolution européenne adoptée le 12 mars dernier vise à réaffirmer le soutien à l’Ukraine face à l’invasion russe, perçue comme un défi existentiel pour l’Europe affectant notre sécurité et nos valeurs. Ce texte, fruit d’un large consensus parlementaire, constitue une avancée importante.
Il appelle à un renforcement coordonné de l’aide militaire, économique et politique à l’Ukraine. Il insiste sur le rôle central que l’UE doit jouer dans les négociations pour une paix juste. Il met l’accent sur la nécessité de consolider notre autonomie stratégique dans des domaines clés tels que l’armement, l’énergie et les communications.
Ce texte engage l’exécutif. Il invite la France à défendre ces priorités à Bruxelles, à Strasbourg et dans toutes les enceintes internationales. Dans un contexte diplomatique mouvant, où certaines lignes de fracture apparaissent même entre alliés, cette résolution constitue un repère. Elle doit servir de constante, de boussole à notre action extérieure comme à notre engagement européen. À cet égard, je souhaite connaître les suites concrètes données à cette résolution par le gouvernement, s’agissant notamment de certaines demandes précises adoptées lors de son examen.
La France et les autres alliés de l’Ukraine ont-ils accentué la fourniture de systèmes de défense aérienne pour protéger les civils et les infrastructures des bombardements russes ? Où en est l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) dans l’adoption de sanctions européennes contre toutes les formes de médias russes et leurs vecteurs ? Où en sont les États membres concernant l’arrêt de l’importation des combustibles fossiles russes et le renforcement du contrôle et de la régulation des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) ?
S’agissant de la confiscation et de l’utilisation des avoirs russes gelés, la résolution 2556 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) votée en 2024 et la proposition de résolution européenne votée en mars dernier demandent l’application de mesures à cet effet. Nous connaissons la position du gouvernement sur ce point. N’est-il pas opportun d’en envisager la modification ? S’agissant du déploiement de forces européennes de maintien de la paix en Ukraine, où en sommes-nous avec nos alliés européens ?
M. Benjamin Haddad, ministre. La réduction totale des importations d’hydrocarbures est fondamentale. La question comporte deux aspects.
S’agissant de la trajectoire de fin de la dépendance européenne au gaz russe, la Commission européenne a publié, avec notre soutien, la stratégie « REPowerEU » visant à mettre un terme à nos importations de GNL en 2027. S’agissant des liens énergétiques entre la Russie et des pays tiers, qui lui permettent, notamment grâce à une « flotte fantôme », de contourner les sanctions et d’exporter des hydrocarbures. Le dix-septième paquet de sanctions européen, pour lequel la France a eu un rôle moteur, permet de renforcer nos outils de désignation et de contrôle des navires de la flotte fantôme.
Le dix-huitième paquet de sanctions et les travaux en cours au Sénat américain permettront de continuer à frapper le secteur énergétique russe en actionnant plusieurs leviers, notamment en sanctionnant d’autres acteurs de ce dernier par l’abaissement du plafond de prix auquel la Russie peut vendre son pétrole et en adoptant des sanctions secondaires aux acteurs contribuant au contournement des sanctions par la Russie. À l’échelon européen comme à l’échelon global, nous travaillons de concert pour tarir les ressources que la Russie utilise pour financer son effort de guerre.
Sur les avoirs russes gelés, ma réponse ne sera pas très différente de celle que j’ai formulée lors de l’examen de la proposition de résolution. Ils constituent un levier dans le rapport de force et la négociation avec la Russie. Ils sont utilisés par le biais de la saisie des intérêts qu’ils génèrent pour financer les 50 milliards de l’initiative ERA – 20 milliards pour les Européens, 20 milliards pour les Américains, 10 milliards pour les autres membres du G7 – au profit des besoins civils en infrastructures et des besoins militaires de l’Ukraine.
Nous avons demandé à la Commission d’en accélérer le décaissement – tel était au demeurant l’une des conclusions du sommet de février 2025 avec le président Zelensky à Paris, notamment pour pourvoir à ses besoins militaires en munitions et en défense anti-aérienne. Nous travaillons avec la Commission à cet effet.
Indépendamment de la position du gouvernement français, le sujet ne fait pas consensus parmi les États membres. Euroclear se trouvant sur le territoire belge, la Belgique, d’après certains économistes, serait exposée, en cas de confiscation, à un risque économique et financier élevé en raison du précédent que cela représenterait pour les investisseurs du reste du monde. Nous ne disposons pas d’un consensus permettant d’aller plus loin.
Quoi qu’il en soit, il importe de préserver le régime de sanctions ainsi que les avoirs russes gelés sur le territoire européen et de continuer à utiliser les intérêts qu’ils génèrent au sein d’un rapport de force plus général.
S’agissant du soutien aux infrastructures civiles, nous avons, à l’occasion de la visite du premier ministre ukrainien à l’invitation du premier ministre français, renouvelé le fonds de soutien aux infrastructures et à la reconstruction de l’Ukraine de 200 millions, qui a eu un grand succès.
S’agissant de la lutte contre les manipulations de l’information, l’influence de la Russie s’est étendue à la Moldavie lors du référendum et de la réélection de Maia Sandu, qui ont donné lieu à des achats de voix par le biais de l’application Telegram, et à la Roumanie, où l’élection présidentielle tenue l’an dernier a été manipulée par le biais du réseau social TikTok, qui a lui-même révélé l’opération et a dû désactiver des centaines de milliers de faux comptes et de bots utilisés par la Russie.
Je me suis rendu dans ces deux pays après les élections et retournerai en Moldavie cet été. Nous travaillons avec eux pour renforcer leur résilience ainsi que leur communication stratégique et pour faire un retour d’expérience (Retex) sur cette ingérence. Nous incluons dans ce dialogue l’Arcom, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), qui a conclu un partenariat avec son équivalent moldave – je recommande la lecture du rapport exhaustif de Viginum sur le premier tour de l’élection présidentielle de 2024 en Roumanie – pour renforcer ce premier front des démocraties face aux manipulations de l’information de la Russie.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Guillaume Bigot (RN). Je m’interroge sur l’efficacité des sanctions. Nous en sommes au treizième train de sanctions : errare humanum est, perseverare diabolicum ! Où en est la mise à genoux de l’économie russe ? Où en est l’effondrement de la croissance russe ?
On nous avait promis que l’éjection de la Russie en tant qu’acteur économique des systèmes de paiements internationaux rendrait impossible l’écoulement de ses matières premières, ce qui devait provoquer une grave crise monétaire et financière, mettre le pays en cessation de paiements et provoquer l’effondrement de la croissance russe. Où en sommes-nous dans la réalité ?
Par ailleurs, ne pouvons-nous pas considérer que nous avons ralenti nos tendances de croissance, notamment dans l’UE, par le biais en particulier de la hausse du prix des matières premières ? N’y a-t-il pas une explosion des échanges commerciaux de la Russie avec la Chine, l’Inde et l’Iran ?
Ne sommes-nous pas en présence d’un développement très rapide des systèmes de paiement internationaux alternatifs chinois et russe accélérant la sortie du dollar, même si celle-ci n’est pas d’actualité ? Rappelons que l’usage du yuan s’étend, jusqu’à des pays tels que l’Arabie Saoudite. N’avons-nous pas fait une gravissime erreur avec ces sanctions apparemment inefficaces, sinon pour donner à M. Poutine plus de moyens de tuer plus d’Ukrainiens ?
Mme Constance Le Grip (EPR). Le 12 mars 2025, l’Assemblée nationale adoptait à une très large majorité une résolution européenne appelant à renforcer notre soutien à l’Ukraine. Le groupe Ensemble pour la République a soutenu dès le départ cette initiative de notre collègue Mazaury et a voté le texte avec enthousiasme et détermination.
Dans la perspective des préconisations et des souhaits que nous avons exprimés, l’approbation de l’instrument SAFE le 27 mai 2025 par les États membres constitue une avancée majeure, offrant jusqu’à 150 milliards en prêts mobilisables. Ce mécanisme répond à l’appel formulé dans notre résolution pour doter l’UE d’outils financiers nouveaux à la hauteur de l’enjeu stratégique. Il s’agit de réarmer notre continent et de faire face à l’agression de l’Ukraine par la Russie ainsi qu’à la menace russe pour nos propres démocraties.
Le règlement SAFE donne six mois aux États membres à compter de son entrée en vigueur pour présenter leurs plans nationaux initiaux. Comment la France se prépare-t-elle à cette échéance ? Comment compte-t-elle concrètement décliner son plan national ? Quelles priorités le gouvernement entend-il faire valoir dans le cadre de ce nouvel instrument très attendu, voire de nouveaux instruments ou du CFP à venir ?
M. Frédéric Petit (Dem). Je crains, s’agissant de l’Ukraine, que nous soyons en présence d’un intérêt objectif partagé de faire durer le conflit. Tout, dans l’attitude des États-Unis, l’indique, notamment le récent revirement du Sénat américain.
Dans la mesure où le conflit durera, ne faudrait-il pas dire qu’il faut armer et résister ? Il ne faudrait pas que les sanctions soient l’arbre qui cache la forêt permettant à l’administration Trump de dire « Nous prenons des sanctions, nous n’avons donc pas besoin de continuer à assurer une défense pied à pied ».
Concernant les avoirs russes gelés, une position intermédiaire souvent défendue consisterait non à les saisir, mais à les utiliser plus efficacement afin d’en maximiser le produit.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le conflit entre la Russie et l’Ukraine déclenché en février 2022 par l’invasion russe a marqué le retour brutal de la guerre sur le sol européen. Cette agression constitue une violation manifeste du droit international et des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies. Ce conflit a provoqué des dizaines de milliers de morts, des destructions massives et l’exode de millions de civils. Face à cette situation tragique, nous devons être unis et fermes.
Notre groupe a rappelé, par un amendement à la proposition de résolution européenne appelant au renforcement du soutien à l’Ukraine, la nécessaire mise en place d’un tribunal spécial chargé de juger les hauts responsables politiques et militaires russes pour le crime d’agression contre l’Ukraine. Quelles sont les avancées concrètes au sein des instances européennes et internationales à ce sujet ?
M. Benjamin Haddad, ministre. Monsieur Bigot, vous semblez proposer, à défaut de sanctions, de continuer d’importer des hydrocarbures russes et de rester dépendants. L’énergie a été utilisée comme arme géopolitique par la Russie contre la souveraineté de nos nations. Je ne souhaite pas recommencer, dans la précipitation, à financer l’effort de guerre de la Russie et à rendre nos économies et nos démocraties dépendantes d’acteurs tels que Gazprom.
Les sanctions, dont nous pouvons parler sans sarcasme, ont prouvé leur efficacité à éroder l’effort de guerre de la Russie, en ralentissant et en compliquant l’importation de composants soutenant son effort militaire. L’économie russe est tout entière tournée vers la guerre au détriment de sa population, qui subit une forte inflation.
Il s’agit d’un effort continu d’adaptation. Les dix-septième et dix-huitième paquets de sanctions prouvent notre agilité et notre capacité à nous adapter, notamment en luttant contre la « flotte fantôme », mécanisme de contournement des sanctions apparu ultérieurement à leur mise en œuvre. Nous adaptons nos outils et nos instruments européens en permanence dans le cadre d’un rapport de force permanent avec la Russie.
C’est un travail de longue haleine, que nous ne menons pas seuls. La Russie aussi a des partenaires, qui lui permettent de contourner les sanctions et la soutiennent – il y a sur le terrain des drones et des missiles iraniens ainsi que des troupes nord-coréennes. Rien de tout cela n’est une raison de baisser les bras et de dire « On arrête, c’est trop compliqué, on rentre chez nous et on recommence à acheter du gaz russe », comme vous semblez le suggérer.
Les sanctions limitent l’effort de guerre en contraignant l’économie russe à diriger tout son effort budgétaire et économique vers la guerre au détriment de la population. La meilleure preuve de leur efficacité est que la première demande de la Russie, à chaque tentative de négociation, est la levée des sanctions. Si elles étaient indolores, pourquoi les Russes feraient-ils systématiquement de leur levée un préalable à toute négociation ?
Lorsque les négociateurs ukrainiens et russes se sont retrouvés en Arabie saoudite, sous l’égide des Américains, pour discuter, un accord sur un cessez-le-feu limité aux infrastructures énergétiques et à la mer Noire a été trouvé le soir, et, dans la nuit, la Russie l’a soumis à une levée préalable des sanctions. Les premiers concernés ont donc l’air de penser qu’elles ne sont pas complètement anodines.
La France a tout intérêt à utiliser l’instrument SAFE. Nous avons insisté pour que l’UE adopte une attitude flexible, qu’il s’agisse de l’exclusion de certaines dépenses de défense des calculs de la Commission européenne dans le cadre des procédures de déficits excessifs ou de ce prêt de 150 milliards. Une réunion interministérielle se tiendra dans quelques jours pour évaluer nos besoins et l’utilisation que nous pourrions faire de cet instrument.
Le Salon du Bourget, où se rendra peut-être le commissaire européen à la défense Andrius Kubilius, sera l’occasion d’échanger avec les industriels. La France, qui a fait un effort de réarmement – au cours de deux mandats d’Emmanuel Macron, nous aurons doublé le budget de défense –, peut accompagner l’effort européen. C’est l’occasion d’investir dans notre souveraineté et dans la coopération industrielle avec nos partenaires européens.
Il faudra aller plus loin. Nous allons entamer les négociations sur le prochain CFP. Dans les secteurs de la défense et du spatial, nous devons nourrir une ambition plus élevée, indexée sur le critère fondamental de la préférence européenne, qui implique de soutenir nos industries souveraines dans ces deux secteurs. La France plaidera en ce sens.
Par ailleurs, on ne peut pas ne pas ouvrir le débat sur la mise en œuvre d’autres instruments innovants dans le domaine de la défense. Pendant la crise du covid-19, face à ce qui était un défi existentiel, nous avons surmonté des tabous et mis en commun des ressources pour relancer nos économies dans le cadre du plan NextGenerationEU.
Compte tenu de l’urgence de la situation et de la nécessité d’injecter de l’argent public, pourquoi ne pas réfléchir au lancement, dans le domaine de la défense, à des emprunts communs sous forme d’eurobonds, comme l’a proposé il y a deux ans la première ministre estonienne Kaja Kallas ? L’idée fait son chemin. Un amendement en ce sens a été adopté au Parlement européen. Des figures hier réservées, voire sceptiques, telles Manfred Weber, président du groupe du Parti populaire européen, sont désormais favorables à un tel mécanisme. Sur ce point, les lignes bougent.
L’instrument SAFE, soit dit pour répondre à Frédéric Petit, inclut explicitement l’Ukraine, en vue de renforcer les coopérations entre nos industries de défense respectives pour contribuer à l’effort de son renforcement militaire, en sus des livraisons d’armes – lors de la dernière visite du président Zelensky, la France a annoncé 2 milliards en soutien militaire et en coopérations industrielles – et de l’aide américaine, qui continue et, espérons-le, continuera. Face à l’attitude dilatoire du président russe, Américains et Européens ont un intérêt commun à poursuivre et à accroître l’effort militaire.
Si nous voulons atteindre notre objectif d’ouvrir des négociations sincères en vue de parvenir à une paix juste et durable en Ukraine, nous devons assumer un rapport de force et accroître la pression sur la Russie. Si nous voulons créer les conditions de la stabilité, donc de la dissuasion d’une agression future – nous ne voulons pas d’un cessez-le-feu qui ne serait qu’une trêve de deux ou trois ans que les Russes utiliseraient pour réarmer et attaquer à nouveau, comme ils l’ont fait après la conclusion des accords de Minsk en 2014 et en 2015 –, nous devrons continuer à soutenir l’armée ukrainienne et poursuivre le réarmement des pays européens. À cet égard, tous les instruments, nationaux et européens, auront un rôle important à jouer.
S’agissant de la création d’un tribunal international chargé de juger le crime d’agression, demandée par les autorités ukrainiennes et soutenue par le France, une avancée a été obtenue au sommet de Lviv le 9 mai 2025, où une quarantaine de pays y ont apporté leur soutien.
Mme Sabine Thillaye (Dem). La résolution appelant au renforcement du soutien à l’Ukraine appelle clairement à adopter un Buy European Act. Lors de l’élaboration de l’instrument SAFE, le pourcentage de composants européens dans l’acquisition de matériels de défense a fait l’objet d’intenses négociations. La France a plaidé pour un pourcentage de 65 %, bien plus élevé que celui qui a été adopté. Est-ce suffisant ? Quelles conséquences en attendre ?
Par ailleurs, notre industrie de défense est fragmentée, comme l’illustre la concurrence entre le système de combat aérien du futur (Scaf) et le GCAP anglo-italo-japonais. Quelle est notre position à ce sujet ?
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Quel rôle la Turquie joue-t-elle dans les négociations entre les Ukrainiens et les Russes ? Istanbul s’est imposé comme une place de discussion, avec évidemment l’accord d’Ankara. Quel lien entretenez-vous avec le gouvernement turc sur la question ukrainienne ?
M. Benjamin Haddad, ministre. Lors de l’élaboration de l’instrument SAFE, nous avons promu une ambition très forte en matière de préférence européenne, déjà débattue dans le cadre du programme européen pour l'industrie de la défense (Edip). On peut toujours dire qu’il faut aller plus loin, mais notre objectif est de donner de la visibilité à nos industriels, de conserver la maîtrise de l’autorité de conception, donc du savoir-faire technologique européen, et de contrôler les exportations et l’usage des matériels.
L’instrument SAFE se distingue d’Edip dans la mesure où, pour la première fois, le critère de la préférence européenne est attaché à des fonds qui seront déboursés par des États membres et non par la Commission européenne. Cette avancée majeure montre que notre voix a porté et que le débat parmi nos partenaires évolue. La préférence européenne figure également noir sur blanc dans le traité de Nancy conclu le 9 mai 2025 avec la Pologne visant à renforcer notre coopération et à approfondir nos relations économiques, énergétiques, notamment dans le domaine du nucléaire civil, et militaires.
S’agissant de la Turquie, elle joue un rôle d’intermédiaire depuis plusieurs années. Tout en entretenant des relations avec la Russie, elle a contribué au soutien militaire à l’Ukraine, notamment grâce à son industrie des drones. Le ministre des affaires étrangères est en contact régulier avec son homologue Fidan. Emmanuel Macron s’est entretenu avec le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, lors de la réunion de la Communauté politique européenne (CPE) qui s’est tenue à Tirana il y a quelques semaines. Nous sommes donc en contact étroit.
La Turquie est un acteur stratégique majeur de la mer Noire. La sécurité et la stabilité de la région importent fondamentalement à Ankara. La Turquie offre un cadre aux négociations avec notre soutien, des diplomates français étant régulièrement présents lors des pourparlers.
Mme Mathilde Hignet, rapporteure de la proposition de résolution européenne invitant le Gouvernement de la République française à refuser la ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. En théorie, la France dispose d’assez de terres agricoles pour nourrir sa population. En théorie seulement : la production de 43 % des terres françaises, soit 12 millions d’hectares, est exportée. En parallèle, nous importons l’équivalent de 10 millions d’hectares pour notre alimentation. Dans son rapport de 2024, le Haut Conseil pour le climat (HCC) révèle que la France importe 20 % de son alimentation, notamment 71 % des fruits et un cinquième de la viande bovine consommés.
La multiplication des accords de libre-échange participe à la perte de souveraineté alimentaire de notre pays. L’accord conclu par la Commission européenne avec le Mercosur poursuit une logique destructrice pour les éleveurs français. La fin de l’exception agricole dans les échanges internationaux a exposé les agriculteurs à une concurrence de produits importés moins-disants.
Sous couvert de défendre la compétitivité de la France et des agriculteurs, la droite et l’extrême-droite prônent l’alignement des normes environnementales françaises sur les normes moins-disantes. Or s’aligner sur le moins-disant, c’est jouer un jeu dangereux pour la rémunération, les conditions de travail et la couverture santé de nos agriculteurs. Que comptez-vous faire pour soutenir la plus-value de la production agricole française face aux productions européennes moins-disantes ?
S’agissant de l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur, nous pensons que le gouvernement français adopte une opposition de façade : il a laissé la Commission européenne conclure les négociations sans utiliser son droit de veto au Conseil européen. La ministre de l’agriculture, Annie Genevard, semble faire le tour de nos voisins européens pour trouver des alliés contre l’accord tel qu’il a été conclu.
Confirmez-vous la volonté de négocier une clause de frein d’urgence ? Ce mécanisme de sauvegarde permettrait de suspendre temporairement la préférence commerciale si les produits importés ne respectent pas les normes européennes. Ce fait n’est-il pas largement avéré ? Rien qu’au Brésil, près d’un tiers des produits phytosanitaires utilisés sont interdits dans l’UE.
Je rappelle notre opposition ferme à tout accord de libre-échange. Nous acceptons le commerce international mais pas au détriment des produits agricoles français. Pouvez-vous assurer que cet accord sera soumis au vote du Parlement ?
M. Benjamin Haddad, ministre. Sur l’accord de libre-échange avec le Mercosur, notre position a toujours été claire : s’opposer à l’accord en l’état et mobiliser nos partenaires. Un accord qui ne protège pas les intérêts de nos agriculteurs face à la concurrence déloyale et fait entrer une quantité déstabilisatrice de produits ne respectant pas les standards environnementaux que nous imposons à nos éleveurs et à nos producteurs n’est pas acceptable. D’autres États membres, au premier rang desquels la Belgique, la Pologne, l’Italie, les Pays-Bas et l’Irlande, ont également des traditions agricoles ; ils partagent ces préoccupations et la volonté de réciprocité.
Parmi les possibilités d’amélioration de l’accord, il en est une que nous défendons dans toutes les négociations commerciales – l’an dernier encore avec succès s’agissant de l’Ukraine –, qui est la clause de sauvegarde, également appelée frein d’urgence, qui permet de mettre un terme à des importations qui déstabilisent une filière.
Vous évoquez le droit de veto de la France, mais l’accord n’est pas été signé. Il a été conclu par Commission européenne, dont la présidente s’est rendue à Montevideo en décembre dernier, mais il n’a pas été soumis au Conseil européen, qui au demeurant statue à la majorité qualifiée en la matière, et aucune date n’a été fixée pour un vote.
Nous nous opposons à toute scission de l’accord, qui sera soumis au Parlement européen et au Parlement français, où il fait l’objet d’une mobilisation transpartisane. En cas de scission, il ne serait soumis qu’au Parlement européen et au Conseil européen, où les États membres s’exprimeront.
S’agissant plus généralement de la protection des agriculteurs français contre la concurrence déloyale, les clauses miroirs et la réciprocité des normes s’imposent et doivent, aux yeux de la France, figurer dans tous les textes européens. De surcroît, nous prônons l’interdiction d’importation, dès le seuil de détection, de tout produit contenant des pesticides interdits en France. La prochaine PAC devra satisfaire aux exigences de préservation du revenu de nos agriculteurs, de maintien d’une PAC en deux piliers, de respect de notre souveraineté alimentaire et de réciprocité commerciale.
M. Dominique Potier, rapporteur de la proposition de résolution européenne relative à l’adoption et à la mise en œuvre d’exigences à l’importation pour le respect de normes de production équivalentes aux normes de production essentielles, en matière de santé, d’environnement, de biodiversité et de bien-être animal applicables dans l’Union européenne. Il est heureux que la commission des affaires européennes se saisisse de ce débat à la veille de la visite du président Lula, auquel nous souhaitons la bienvenue dans notre pays. Le groupe Socialistes et apparentés s’inscrit dans le cadre du multilatéralisme, qui est terriblement abîmé à l’heure actuelle. Il est favorable à des coopérations internationales en vue d’assurer les sécurités globales, particulièrement la sécurité alimentaire.
Pour ce faire, il milite contre le libre-échange et pour le juste échange : nous ne sommes pas contre les échanges mais nous pensons qu’il faut échanger juste ce qu’il faut de façon juste. Ainsi, les producteurs de part et d’autre de l’Atlantique ou de la Méditerranée pourront vivre et contribuer à la sécurité alimentaire, et les êtres humains se nourrir en quantité et en qualité suffisantes.
Ma résolution et celle défendue par Mathilde Hignet, adoptées à l’unanimité ou à la quasi-unanimité par notre Assemblée, prévoient deux instruments : lutter contre la scission de l’accord de libre-échange avec le Mercosur, qui est à caractère mixte ; prôner l’usage du veto le cas échéant.
Notre groupe a proposé cinq mesures, dont une principale de plus en plus défendue parmi les députés européens : l’application de clauses miroirs effectives. Le risque existe de clauses miroirs aux alouettes dont le seul effet est de justifier l’extension infinie du commerce international.
Nous avons travaillé très précisément sur ce que pourrait être l’inversion de la charge de la preuve : la certification fournie par les pays tiers recourant aux services d’organismes reconnus par l’UE, vérifiant in situ, dans les fermes d’Amérique latine et d’ailleurs, que les produits exportés ne contiennent pas de substances phytopharmaceutiques ou vétérinaires interdites chez nous et que les droits de l’homme, en matière de respect des travailleurs de la terre et des écosystèmes, soient respectés.
Cette hypothèse n’est pas hors de prix. Le commerce équitable réussit, pour des petits producteurs, à certifier les produits et à garantir une chaîne de viabilité. Les leaders de la volaille française nous indiquaient que trois exportateurs d’Amérique du Sud maintiennent un quasi-monopole sur 50 % de l’approvisionnement de nos étals. Comment ces géants ne parviendraient-ils pas à faire ce qu’ont fait les géants du commerce équitable – certifier des conditions de production, que nous sommes incapables de garantir à l’arrivée dans nos ports et dans nos aéroports ? Le fondement de cette innovation n’est pas le protectionnisme, mais la défense par l’Europe de valeurs universalistes : la santé des hommes et la santé des sols.
M. Benjamin Haddad, ministre. La défense de valeurs universalistes et la défense de nos intérêts commerciaux vont de pair. Votre combat pour des clauses miroirs effectives, nous le faisons nôtre. Nous formulons clairement l’exigence que la Commission renforce ses moyens de contrôle, lors de la négociation d’accords de libre-échange comme dans le développement d’instruments tels que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE) et la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D).
Le problème est que nous aboutissons à des textes complexes dont la mise en œuvre pèserait sur nos entreprises, dont les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME). Si nous avons demandé la réduction et la simplification du nombre d’indicateurs ainsi que le relèvement des seuils s’agissant des tests exigés par la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD et par la directive CS3D, ce n’est pas pour les grands groupes internationaux, qui ont les moyens de s’acquitter du coût du contrôle, mais pour les TPE-PME, qui ne les ont pas. Il incombe à la Commission de faire ce qu’elle ne fait pas suffisamment : effectuer les contrôles dans les pays exportateurs, auprès de leurs entreprises, et en tirer les conclusions en retirant les entreprises moins-disantes de la liste de nos partenaires.
Dans tous ces domaines, il faut des clauses miroirs et des mécanismes de contrôle bien plus robustes disposant des moyens nécessaires.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Guillaume Bigot (RN). L’Assemblée nationale, par ces deux résolutions, a massivement exprimé la volonté de protéger nos agriculteurs face à la concurrence déloyale qui découlerait de l’adoption du traité avec le Mercosur. Une interrogation subsiste néanmoins sur la volonté de scinder la partie commerciale de l’accord du reste.
Confirmez-vous que l’accord sera soumis à un vote à l’unanimité du Conseil européen, comme prévu initialement ? La Commission réussira-t-elle à invoquer sa compétence exclusive sur la partie commerciale afin de contourner les oppositions nationales ? Dans cette hypothèse, la France a-t-elle constitué une minorité de blocage avec au moins trois autres États membres représentant au moins 35 % de la population européenne ?
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Quelles sont les actions concrètes entreprises par le gouvernement depuis cet hiver pour obtenir une renégociation du volet agricole de l’accord avec le Mercosur, conformément à un engagement du gouvernement précédent et de l’actuel ?
On entend souvent dire que l’UE fait preuve de naïveté commerciale. J’en doute. En 2023, la balance agroalimentaire de l’UE était excédentaire de 70 milliards, soit la plus élevée de tous les ensembles continentaux. En 2024, elle était excédentaire de 64 milliards. Ces résultats sont remarquables. Nous avons des difficultés précises sur certaines filières, mais globalement, sommes-nous si naïfs que cela ? En réalité, les Européens sont de très bons négociateurs commerciaux, notamment en matière agroalimentaire.
M. Benoît Biteau (EcoS). Le 30 janvier 2025, l’Assemblée nationale s’est massivement opposée à l’accord avec le Mercosur en votant la proposition de résolution européenne invitant le Gouvernement de la République française à refuser la ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. Pourquoi les écologistes s’opposent-ils à ce traité ? Parce qu’il incarne une triple trahison.
Une trahison des agriculteurs d’abord : ce sont leurs revenus qu’on sacrifie en les exposant largement à une concurrence déloyale. C’est notre souveraineté alimentaire qui s’éloigne à mesure que l’on ouvre nos marchés à des centaines de milliers de tonnes de viande bovine, de volaille, de miel ou de sucre en provenance du Mercosur.
Une trahison de nos engagements environnementaux ensuite : ces produits que l’on veut nous faire importer sont issus de la déforestation du poumon de la planète. Ils importent donc avec eux le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité.
Une trahison de la santé de tous enfin : les pesticides sont dangereux pour les producteurs du Mercosur qui les utilisent et finissent dans l’assiette des Européens, qu’ils rendent malades.
Monsieur Haddad, vous avez pris position contre cet accord, mais que faites-vous concrètement pour en empêcher la ratification ? Le gouvernement donne le sentiment de s’être résigné. Pire : il tente d’acheter la paix agricole avec la loi Duplomb, qui ne répond en rien à la crise du monde agricole et nous enferme un peu plus dans une agriculture et un modèle mortifères.
Demain, le président du Brésil sera en France pour une visite d’État. Saisirez-vous cette occasion pour réaffirmer une opposition claire ? La France doit dire non. Le gouvernement doit agir pour constituer une minorité de blocage au Conseil européen pour que ce traité mortifère ne voie jamais le jour.
M. Benjamin Haddad, ministre. Sur le Mercosur, le mandat reçu par la Commission européenne il y a plus de vingt-cinq ans est de négocier un accord d’association mixte. Si elle respecte ce mandat, le vote sera à l’unanimité des États membres. Nous défendons cette position.
Le gouvernement travaille à constituer une minorité de blocage avec nos partenaires affinitaires, qui sont nombreux à partager les préoccupations sur l’accord tel qu’il a été négocié, notamment en matière agricole. Nous défendons la réciprocité commerciale et l’introduction de clauses de sauvegarde pour protéger nos agriculteurs.
Le ministre délégué au commerce extérieur, la ministre de l’agriculture, le président de la République, le premier ministre et moi-même sommes pleinement mobilisés pour faire valoir nos préoccupations auprès de nos partenaires, directement, au sein du Parlement européen et auprès de leurs parlementaires respectifs.
Je remercie le député Sitzenstuhl d’avoir rappelé que nos agriculteurs sont exportateurs, ce qui démontre l’excellence de nos filières et contribue au rayonnement de notre pays, de notre culture et de notre identité, en sus de celui de notre économie. Il ne s’agit pas d’adopter une posture dogmatiquement hostile au libre-échange, qui n’a pas de sens et nuirait à nos entreprises ainsi qu’à nos agriculteurs qui exportent, mais de négocier sur une base réciproque et équitable pour mieux défendre nos intérêts.
Il demeure que la naïveté commerciale n’est pas qu’un slogan. Les Américains, qu’ils soient démocrates ou républicains, adoptent des clauses « Buy American » pour l’accès à leurs marchés publics dans les domaines de la défense ou du numérique ; nous en sommes encore à nous tourner vers Musk pour le spatial, peut-être demain vers OpenAI pour l’intelligence artificielle ou Amazon pour le cloud.
Dans le domaine des véhicules électriques, la Chine, comme l’a montré une enquête de la Commission européenne, a une industrie massivement subventionnée. Il a suffi aux Américains d’appuyer sur un bouton pour imposer des droits de douane. Sous l’impulsion de la France, l’UE est sortie de la naïveté commerciale en instaurant des droits de douane réciproques pour protéger notre industrie de véhicules électriques, ce que nous n’avions pas fait dans le domaine du photovoltaïque.
Longtemps, nous avons défendu mordicus, et seuls, les procédures multilatérales de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui prenaient beaucoup de temps, pendant que d’autres agissaient. Désormais, nous avons renforcé nos instruments.
Dans la négociation commerciale avec les États-Unis, nous sommes bien plus forts à vingt-sept, avec les instruments de la Commission, qu’isolés, comme le montre le résultat de la négociation entre le Royaume-Uni et les États-Unis ainsi que le choix de certains États européens non-membres de l’UE de ne pas réagir du tout aux droits de douane américains. Nous avons, nous, les moyens de réagir. Nous n’en souhaitons pas moins faire advenir une désescalade pour éviter une spirale protectionniste qui ne serait dans l’intérêt de personne.
Un paquet de tarifs sur les biens importés des États-Unis à hauteur de 20 milliards a été adopté, et sa mise en œuvre suspendue le temps de la négociation. La Commission européenne a soumis aux États membres un paquet de 95 milliards que nous pourrons adopter en cas d’échec des négociations.
D’autres instruments ont été développés ces dernières années sous l’impulsion de la France, tels que l’instrument anti-coercition, qui permettrait de cibler les services américains, notamment les services numériques qui seraient taxés, d’interdire l’accès à des marchés publics, de saisir des licences et de faire respecter le droit de la propriété intellectuelle. Désormais, l’UE assume de défendre ses intérêts et ne se contente plus d’être un grand marché ouvert.
Monsieur Bigot, je précise que, si la négociation commerciale est une compétence exclusive de la Commission européenne, elle ne la dispense pas de ne pas soumettre au vote les accords.
M. Benoît Biteau (EcoS). Selon le principe des vases communicants, si nous pouvons nous réjouir – Mathilde Hignet l’a rappelé – d’exporter des denrées de l’UE, les surfaces mobilisées dans des logiques exportatrices ne sont pas utilisées pour produire des denrées que nous pourrions consommer chez nous, en France ou ailleurs en Europe. Entre exporter et assurer la souveraineté alimentaire, il faudra choisir. Soyons attentifs à ne pas vouloir exporter coûte que coûte.
Quant au multilatéralisme qu’a évoqué mon ami Potier, c’est un vrai sujet. Si nous négocions des accords de libre-échange, c’est parce que, la nature ayant horreur du vide, nous y sommes contraints car le multilatéralisme n’existe plus. Je préférerais mille fois que nous relancions le multilatéralisme, qui est en panne. L’Europe peut aussi servir à cela.
Si nous devons continuer à nous contenter d’accords de libre-échange, je rappelle qu’il existe, au sein de la PAC, l’organisation commune des marchés agricoles (OCM), qui permet de graver dans le marbre des mesures miroirs, donc de changer la donne en donnant le la dès le début au lieu de négocier des clauses miroirs au cas par cas, au gré des accords de libre-échange qui se présentent. Je vous invite à travailler en ce sens dans le cadre de l’élaboration de la future PAC.
M. Benjamin Haddad, ministre. Certaines filières veulent exporter : nos viticulteurs et nos producteurs de spiritueux réalisent l’essentiel de leurs ventes à l’étranger. Par ailleurs, je rappellerai, sans convoquer Adam Smith et Ricardo, que, si nous exportons, c’est aussi dans une logique d’efficacité et de pouvoir d’achat. Dans certains domaines, exporter est moins coûteux que vendre chez nous. Soyons attentifs aux conséquences du coût de la production locale sur les consommateurs. Cette exigence, dans l’agriculture comme ailleurs, est la raison d’être du commerce international.
Je partage votre point de vue sur le multilatéralisme. Ce n’est pas l’UE qui a dévitalisé l’OMC, mais les États-Unis et la Chine. Les administrations républicaines et démocrates qui se sont succédé, tout en prônant le maintien de l’ordre libéral international et le multilatéralisme, ont vidé de sa substance l’Organe d’appel de l’OMC. Cette bilatéralisation du commerce international n’est pas la visée première de l’UE, mais la conséquence de l’abandon du système de Bretton Woods par ses partenaires.
Mme Constance Le Grip, rapporteure de la proposition de résolution européenne visant à une coopération européenne renforcée contre l'antisémitisme et la haine anti-juive. J’ai eu l’honneur de défendre une résolution européenne appelant l’UE à placer le combat contre l’antisémitisme au cœur de ses priorités. Il m’a semblé que, face à la très grave recrudescence de l’antisémitisme partout dans les pays européens, qui menace nos valeurs fondamentales et le projet européen dans son essence même, nous ne pouvions rester silencieux.
La proposition de résolution, adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes, est devenue une résolution de l’Assemblée nationale. Elle appelle à assurer la pleine mise en œuvre par tous les États membres de la stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme et de soutien à la vie juive présentée et adoptée par la Commission européenne en 2021. Elle insiste sur la nécessité de renforcer les leviers de lutte contre les discours et crimes de haine, en veillant à ce que tous les États membres prévoient des sanctions pénales effectives, conformément à la décision-cadre sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal adoptée en 2008, et en appelant à l’application avec diligence, rapidité et rigueur du règlement sur les services numériques (DSA) pour contrer l’antisémitisme en ligne.
Rappeler les chiffres est un exercice éprouvant. Les actes antisémites continuent de se multiplier partout en Europe. En France, nous pouvons rappeler les récentes agressions de deux rabbins, à Orléans et à Deauville, des violences visant des personnes juives à Villeurbanne et dans le Gard et les dégradations commises ce week-end, à Paris et à Lyon, de synagogues, du Mur des Justes du Mémorial de la Shoah, d’une école et d’un restaurant, dans le but de déstabiliser et de salir. À l’échelle européenne, les chiffres ne sont pas moins inquiétants.
L’une des urgences est de s’assurer que plus aucun euro d’argent public européen n’aille à des organisations liées aux islamistes, qui professent des discours radicaux, antisémites et contribuent à attiser la haine des Juifs, ce qui est inadmissible. Au Parlement européen, lorsque j’en étais membre, nous étions déjà mobilisés, interpellant la Commission écrite et lui adressant des questions écrites, sans réelle efficacité. Nous étions choqués que des fonds soient versés à des associations proches, par exemple, des Frères musulmans.
Vous avez publiquement évoqué le réseau européen contre le racisme (Enar), le forum des organisations européennes musulmanes de jeunes et d’étudiants (Femyso), l’université, pour ainsi dire, de Gaziantep en Turquie, et l’organisation Islamic Relief. Nous ne saurions tolérer que de l’argent européen continue à financer à ces organisations. Nous soutenons pleinement votre appel à la Commission européenne et votre initiative de lancer une charte des valeurs.
M. Benjamin Haddad, ministre. Madame Le Grip, je vous remercie de la constance de votre combat en la matière. La question de l’antisémitisme transcende la seule question de la vie juive et des actes antisémites. Elle constitue un test des valeurs et de la civilisation européennes. L’Histoire le démontre : lorsque l’on commence à s’en prendre aux Juifs, c’est le début d’une érosion fondamentale de l’unité, de la stabilité et de la vigueur de nos valeurs démocratiques et libérales, ainsi que de notre civilisation européenne.
C’est pourquoi j’ai tenu, après les événements d’Amsterdam à l’issue d’un match de football joué par Israël, à rassembler mes homologues pour exiger de la Commission européenne, ce qui a été suivi d’effets, le renforcement des moyens de l’envoyé spécial contre l’antisémitisme et de nos instruments de coopération judiciaire et de renseignement, le partage des bonnes pratiques de lutte contre l’antisémitisme et le soutien à la vie juive dans les sociétés européennes.
Nous devons aussi être très exigeants – c’est la base – s’agissant des financements de l’UE, qui vont encore trop souvent, par manque de contrôle, de rigueur, de vigilance et de transparence, à des organisations liées à des mouvements antisémites ou islamistes. L’UE ne peut pas accepter que l’argent du contribuable soutienne ceux qui se battent contre nos valeurs et contre notre pays.
Certaines de ces organisations mènent bataille contre les mesures que nous prenons en matière de laïcité, notamment dans le cadre de la loi confortant le respect des principes de la République, entrée en vigueur en 2021, qui représente une avancée majeure de notre arsenal juridique pour lutter contre le séparatisme islamiste. Elles ont brocardé la France en nous accusant d’islamophobie. Notre mission première étant de défendre les intérêts de la France à Bruxelles, nous serons très vigilants et d’une fermeté implacable à ce sujet.
Pour lutter contre la haine en ligne, nous possédons des instruments développés à l’échelon européen, notamment le DSA rappelant que ce qui est illégal dans le monde réel doit aussi l’être dans le monde virtuel – la haine, l’antisémitisme, le racisme, la violence, la désinformation, l’ingérence étrangère par la manipulation des algorithmes, en Roumanie, en Moldavie et, s’agissant du réseau social X, dans le débat public européen au cours des derniers mois. Nous exigeons des plateformes qu’elles prennent leurs responsabilités et modèrent leurs contenus.
Au demeurant, nous avons développé un arsenal de sanctions à l’échelon européen. La Commission ne doit pas être timide dans l’utilisation de ces outils, qui servent à défendre l’État de droit en Europe. Nous l’avons dit de façon très claire à la Commission européenne : nous avons développé des instruments, utilisons-les, ouvrons des enquêtes, menons-les à leur terme et, si elles démontrent que les plateformes ne respectent pas leurs engagements, prenons des sanctions.
Tel était aussi le sens de la démarche des ministres Aurore Bergé et Clara Chappaz, qui ont convoqué les plateformes numériques pour lutter contre le sexisme et le harcèlement amplifiés par certains influenceurs sur les réseaux sociaux. Les plateformes doivent prendre leurs responsabilités. Le droit européen doit être appliqué.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous en venons à l’intervention d’une oratrice de groupe.
Mme Yaël Ménaché (RN). Je ne dresserai pas, faute de temps, la liste des actes antisémites qui ont lieu, et me contenterai d’évoquer ceux qui ont eu lieu dans la nuit du 30 au 31 mai. Cinq établissements ont été attaqués : trois synagogues ; le Mémorial de la Shoah ; un restaurant. Sur ces actes antisémites odieux, je n’ai malheureusement pas entendu une seule parole de notre président de la République ni du premier ministre. La lutte contre l’antisémitisme est pourtant une cause nationale.
Vous dites vouloir combattre l’antisémitisme à l’échelle européenne, ce que je conçois, mais n’est-il pas primordial de le combattre et de défendre la communauté juive en France en premier ? Nous n’y arrivons même pas sur notre territoire. Comment peut-on prétendre le faire sur le territoire européen ?
M. Benjamin Haddad, ministre. Sur un sujet si grave, évitons les polémiques partisanes. Il est faux de dire que le président de la République et le premier ministre ne se sont pas exprimé ni mobilisés. La mobilisation des autorités françaises face à ce fléau qu’est l’antisémitisme est constante.
Vous avez rappelé à juste titre sa dernière manifestation – les agressions, les tags au Mémorial de la Shoah et sur des écoles. La recrudescence de tels actes est manifeste depuis les attaques barbares du Hamas du 7 octobre 2023. Nos forces de l’ordre, auxquelles je rends hommage, sont pleinement mobilisées pour protéger les synagogues, les écoles et tous les sites de la communauté juive. Lors des moments de tension, le ministre de l’intérieur a pris l’initiative de renforcer cette protection.
C’est un combat de tous les instants que nous menons à l’échelle nationale et à l’échelle européenne, pour lequel le président de la République et le premier ministre ont toujours été d’une clarté absolue, et le gouvernement mobilisé à tout instant.
Mme Constance Le Grip, rapporteure. Les actes inqualifiables commis au Mémorial de la Shoah ont souillé, sali, vandalisé le Mur des Justes. L’enquête en cours – il ne m’appartient pas de parler au nom de la justice – s’oriente manifestement vers des actes susceptibles d’entrer dans la catégorie des manipulations et des ingérences, comparables à l’affaire des étoiles de David au pochoir bleu. N’allons pas trop loin tant que l’enquête n’a pas abouti.
Monsieur le ministre, la résolution votée à l’unanimité par l’Assemblée appelle le Conseil à étendre la liste des eurocrimes aux discours et aux crimes de haine. Cette position a été fortement portée par la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) en 2022. Le Parlement européen y est favorable. L’unanimité au Conseil est nécessaire pour que les États membres se sentent tenus de respecter ces nouvelles qualifications et les déclinent dans leur droit pénal. Où en sommes-nous ?
M. Benjamin Haddad, ministre. Nous avons porté ce combat pendant la PFUE sans parvenir à faire l’unanimité sur l’extension du champ des eurocrimes. Je travaille avec mon homologue autrichienne pour affiner cette mesure sur le plan juridique et la défendre au sein du Conseil des affaires générales (CAG). Il s’agit toujours d’un combat de la France.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir bien voulu rendre compte de l’action du gouvernement sur ces sujets importants. Cet exercice de transparence démocratique me semble aussi nécessaire qu’utile. Nous nous y livrerons à nouveau, d’autant que de nombreuses résolutions européennes ont été déposées et seront sans doute adoptées par notre assemblée.
La séance est levée à 18 heures 05.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Guillaume Bigot, M. Benoît Biteau, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Jocelyn Dessigny, Mme Mathilde Hignet, Mme Constance Le Grip, M. Laurent Mazaury, Mme Yaël Ménaché, M. Frédéric Petit, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Sabine Thillaye
Excusés. - Mme Sylvie Josserand, Mme Marietta Karamanli, Mme Liliana Tanguy
Assistaient également à la réunion. - M. Dominique Potier, M. Jean-Luc Warsmann