Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
11 juin 2025
15 heures
Compte rendu n o 34
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
président,
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 11 juin 2025
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, président
La séance est ouverte à 15 heures.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution européenne de Mme Caroline Yadan et plusieurs de ses collègues appelant à condamner la politique de ségrégation imposée aux femmes afghanes par le régime des Talibans et à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux atteintes à leurs droits fondamentaux.
Cette résolution est la bienvenue, puisque depuis août 2021, l’Afghanistan est le théâtre d’un effacement systématique et brutal des droits fondamentaux des femmes et des filles : exclusion de l’éducation, interdiction d’exercer la plupart des emplois, restriction extrême de la liberté de mouvement et de parole, multiplication des mariages forcés et violence de genre.
Face à cette situation, il est de notre responsabilité de réaffirmer notre attachement – celui de la France et des Européens – aux droits humains et d’explorer les moyens d’agir concrètement pour soutenir les femmes afghanes, premières victimes de cette oppression.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Depuis la reprise de Kaboul par les Talibans à l’été 2021, un régime d’apartheid de genre s’est méthodiquement instauré en Afghanistan. En l’espace de quelques mois, des millions de femmes et de filles ont été effacées de la vie publique, privées d’éducation, de travail, de liberté de circulation, réduites à une invisibilité imposée. Elles sont aujourd’hui les victimes d’une politique d’oppression institutionnalisée menée au nom d’une idéologie rétrograde et brutale.
Cette situation n’a rien d’un accidentel retour en arrière passager. C’est un projet politique assumé, conduit avec méthode et qui vise à exclure durablement les femmes de toute vie sociale. Depuis septembre 2021, les interdictions se sont ainsi multipliées : fermeture des lycées et des universités aux filles, exclusion des femmes du travail humanitaire et des agences de l’Organisation des Nations unies (ONU), interdiction de fréquenter les parcs, les hammams, les salles de sport, obligation du port du voile intégral, d’être accompagnée d’un homme pour tout déplacement, interdiction de chanter, de réciter des poèmes et plus simplement de faire entendre sa voix.
Ces mesures ne sont pas des restrictions isolées, elles forment un tout, un système conçu pour faire taire, enfermer et effacer les femmes. Celui-ci conduit à des effets dévastateurs : l’Afghanistan est devenu le seul pays au monde où les filles sont légalement privées d’accès à l’école au-delà de 12 ans. La plupart des femmes ont perdu le droit de travailler, les mariages forcés se sont multipliés, les violences domestiques sont en hausse, la mortalité maternelle augmente et des centaines de milliers de femmes vivent actuellement dans la peur, isolées, privées de soins, de revenus et de perspective.
Au-delà de ces atteintes directes, les conséquences humanitaires sont immenses. Un pays qui exclut la moitié de sa population du savoir, du travail et de la parole est un pays qui se condamne lui-même à l’appauvrissement, à l’instabilité et à la violence. C’est toute la société afghane qui s’effondre et ce sont les femmes qui en payent le prix fort. Les petites filles sans école, les mères sans ressources, les étudiantes condamnées à la clandestinité. Chacune d’entre elles incarne l’injustice à l’œuvre.
La communauté internationale a condamné. L’ONU a adopté plusieurs résolutions qualifiant la situation d’inacceptable. Le Haut-Commissaire aux droits de l’Homme a dénoncé un « apartheid de genre », l’organisation de la coopération islamique elle-même a rappelé que rien dans l’Islam ne justifie l’interdiction de l’éducation des filles. L’Union européenne a exprimé son refus de reconnaître un régime qui nie aussi systématiquement les droits fondamentaux. Néanmoins, ces réactions, aussi fortes soient-elles, n’ont pas infléchi la politique des Talibans. L’idéologie prévaut sur toute considération et le peuple afghan, en particulier les femmes, continue de subir.
Face à cette impasse, la présente proposition de résolution européenne invite à un changement de posture. Elle ne se contente plus de dénoncer, elle propose d’agir. Elle s’appuie sur quatre leviers concrets et complémentaires destinés à accroître la pression sur les Talibans et à venir en aide aux Afghanes.
Le premier de ces leviers consiste à inscrire officiellement le régime taliban sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Cette qualification, déjà en vigueur dans d’autres pays comme les États-Unis et le Canada, aurait une double portée. D’une part, elle renforcerait l’isolement du régime en lui retirant toute prétention à la légitimité. D’autre part elle permettrait de mobiliser les outils juridiques contre ses soutiens logistiques et financiers, en Europe notamment. Les Talibans ont montré qu’ils gouvernaient par la terreur. Ils ont entretenu des liens directs avec Al-Qaïda, ils tolèrent la présence de groupes comme l’État islamique Khorassan.
Les faits sont là. La désignation du régime comme entité terroriste clarifierait la position de l’Union européenne : on ne négocie pas avec un régime fondé sur la violence et l’oppression.
Le deuxième lever est celui du droit pénal international. La résolution appelle à soutenir l’enquête ouverte par la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes commis en Afghanistan, car il s’agit bien de crimes. La persécution systématique des femmes, leur exclusion délibérée et violente peuvent relever des crimes contre l’humanité. Des actes comme la torture, des assassinats ciblés, des disparitions forcées doivent faire l’objet de poursuites. Le message doit être clair : les auteurs de ces actes devront un jour rendre des comptes. La justice internationale doit s’appliquer, même si cela prend du temps. Soutenir son action c’est affirmer que l’impunité n’est pas une fatalité.
La troisième priorité porte sur l’accueil des femmes en danger. Actuellement, de nombreuses femmes afghanes restent bloquées en exil précaire ou dans l’ombre. Or, la France a les moyens et la responsabilité d’ouvrir la voie. Il s’agit de mettre en place un programme spécifique de visas humanitaires ciblé sur les femmes les plus vulnérables : militantes, juges, artistes, étudiantes menacées. Cela a été fait pour d’autres, cela peut être fait ici. D’autant que la Cour nationale du droit d’asile a récemment reconnu que les femmes d’Afghanistan pouvaient constituer en tant que tel un groupe social persécuté. Le fondement juridique existe, il ne manque que la volonté politique.
Enfin, la résolution propose de renforcer l’aide humanitaire destinée aux femmes et aux filles afghanes. Malgré les obstacles, les brèches existent : école informelle à domicile, cliniques mobiles à l’initiative de femmes de la diaspora. Ces projets, souvent discrets sont vitaux. Ils permettent de maintenir un lien d’espoir, de dignité. Il faut les soutenir, logistiquement et matériellement en contournant si besoin les entraves talibanes. Chaque euro investi dans une école clandestine, une radio animée par des exilés ou un centre de soins pour femmes est une victoire contre la fatalité.
Ces quatre leviers, pression politique, action judiciaire, accueil des réfugiés, aide ciblée, ne régleront pas tout mais ils auront le mérite d’être concrets. La tentation de détourner le regard est réelle, mais nous ne devons pas y céder. Nous ne sommes plus en Afghanistan mais nos principes n’ont pas de frontières. Les défendre en adoptant ce texte est le minimum que nous devons à ce pays, comme à nous-même.
M. Guillaume Bigot (RN). Nul ne saurait rester insensible à cette oppression tragique que subissent les femmes en Afghanistan. Cependant, la principale qualité en politique est le réalisme. Le réel, disait Lacan, c’est ce qui cogne. S’agissant de l’Afghanistan, ce réel nous oblige à constater l’inefficacité des approches qui furent les nôtres au cours des dernières décennies.
Les États-Unis et les alliés de la coalition ont occupé l’Afghanistan de 2001 à 2021, un peu moins longtemps pour la France. Mais pour quel bilan ? 3613 morts, dont 90 Français. 105 milliards de dollars d’aide au développement versés par les États-Unis, 250 millions d’euros versés par notre pays et 80 millions d’euros d’aides versés par la France au régime des Talibans depuis leur arrivée au pouvoir. Pour quel résultat ? Les Talibans sont revenus, un retour qui n’a rien d’une anomalie historique. La vitesse avec laquelle ils ont pris la suite du gouvernement soutenu par les États-Unis et la coalition en dit d’ailleurs long sur la forte légitimité sur laquelle il s’appuie.
Alors, après tant de milliards dépensés, tant de sang versé, est-il raisonnable de vouloir imposer aux Afghans des mœurs occidentales dont manifestement ils ne veulent pas ? Une proposition de résolution européenne changera-t-elle les consciences en Afghanistan ? Permettez-nous d’en douter. La France, qui peine à refouler la propagande islamiste et à protéger la jeunesse qui est la sienne sur son sol, qui demeure incapable de garantir aux jeunes femmes françaises qu’elles ne subissent pas de pression religieuse, ferait mieux de se concentrer sur les efforts et les défis qui sont les siens. Il serait peut-être également utile d’arrêter des projets de financement comme celui du « Coran européen » financé par la Commission européenne à hauteur de 10 millions d’euros, soit à peu près 60 000 euros la page.
Féminisme et laïcité bien ordonnés commencent par soi-même. Notre groupe s’abstiendra donc sur cette proposition de résolution européenne, que nous jugeons cependant très bien intentionnée, dont nous partageons les valeurs, mais qui n’aura aucun effet concret. C’est typique d’une politique déclamatoire, comme celle de la Société des Nations dans les années 20, qui ne servait absolument à rien.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Vous posez le problème de l’efficacité, et votre question est : est-ce que cela suffira ? Je n’en sais rien, et je pense qu’évidemment cela ne suffira pas, ne nous voilons pas la face, à faire tomber le régime des Talibans. Mais il vaut mieux faire cela plutôt que rien. C’est un premier pas. Et plutôt que de continuer à invisibiliser le sort des femmes en Afghanistan, il est important que l’Assemblée nationale puisse, même de manière symbolique, réclamer que certains leviers soient actionnés, tels que la reconnaissance du régime des Talibans comme organisation terroriste. À partir du moment où nous le faisons, d’autres États pourront le faire, et cela aura des effets concrets. Cette mesure renforcerait en effet l’isolement du régime, y compris du point de vue de l’aide financière.
Les auditions que j’ai menées avec des femmes afghanes réfugiées en France ont souligné l’aspect de réconfort qui est crucial. Dire à ces femmes que nous ne les oublions pas et que nous sommes avec elles dans leur combat car celui-ci est universel. C’est le combat des femmes dans leur humanité et notre humanité rejoint ces femmes-là. Nous voulons leur dire que nous sommes à leurs côtés.
Mme Constance Le Grip (EPR). Depuis le retour des Talibans au pouvoir le 15 août 2021 et l’instauration de l’émirat islamique d’Afghanistan, les femmes afghanes sont la cible d’une politique d’exclusion systématique. Elles sont les principales et les premières victimes de l’application de la Charia, à laquelle la dictature théocratique des Talibans procède de manière méthodique et très organisée. Elles sont privées de leurs droits, de leurs libertés publiques comme privées, elles sont quasiment privées de leur droit à exister en tant que personnes.
Leur effacement de l’espace public est complet : pas d’école pour les filles au-delà de douze ans, pas d’accès à l’éducation de manière générale secondaire ou supérieure, elles ne peuvent plus travailler, n’ont pas accès aux soins ou aux prestations proposées par les agences des Nations Unies sur place. Elles sont totalement enfermées dans le silence, dans une sorte de huit-clos où elles ne peuvent plus ni parler, ni chanter, ni lire des poèmes en public, ni même lire, si elles encourent le risque d’être vues. Elles doivent vivre dans des pièces sans fenêtre, afin que personne ne puisse les voir de l’extérieur. C’est une restriction absolument draconienne de toutes les formes de liberté. C’est l’expression du rapporteur spécial de l’ONU sur l’apartheid de genre que je fais mienne, il ne s’agit donc pas d’un abus de langage.
Ce que vivent aujourd’hui les femmes afghanes n’est pas une affaire intérieure afghane, c'est une atteinte extrêmement grave et intolérable à tous nos principes, et à ceux fondamentaux du droit international. Nous soutenons donc pleinement cette proposition de résolution européenne, avec toutes ses implications et ses demandes, à commencer par celle de classer le mouvement islamique des Talibans sur la liste des organisations terroristes. C’est un appel lancé tant à la France, qu’à l’Union européenne. Nous réaffirmons notre soutien et notre solidarité aux femmes afghanes dont nous entendons l’extraordinaire souffrance, et nous leur répétons : « Vous n’êtes pas seules ».
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Vous avez souligné la raison de cette résolution. Les femmes en Afghanistan doivent aujourd’hui vivre dans des pièces sans fenêtre, c’est-à-dire que les nouvelles constructions en Afghanistan contiennent de telles pièces, car les femmes afghanes n’ont même plus le droit de voir la lumière du jour. Peut-on concevoir cette atteinte absolue à la liberté d’exister ?
L’arrivée des Talibans a constitué un « chamboulement absolu », c’est un terme qui a été utilisé par une des femmes afghanes que nous avons auditionnées. Leur dire qu’elles ne sont pas seules par cette résolution, c’est manifester une solidarité qui est absolument indispensable.
Mme Sandrine Runel (SOC). Depuis août 2021, les Talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan, et depuis ce jour c’est une chape de plomb qui s’est abattue sur la population, et particulièrement sur les femmes. En l’espace de quelques mois, les Afghanes ont été effacées de la vie publique, elles n’ont plus le droit de travailler, de circuler librement, de se réunir, de faire du sport, d’accéder à une autonomie financière. L’éducation des filles a également été attaquée, puisque depuis 2021, les filles de plus de douze ans n’ont plus le droit d’aller à l’école. Un million et demi de jeunes filles ont ainsi été privées d’éducation et de perspectives. Alors, pour survivre, les Afghanes fuient vers l’Iran ou vers le Pakistan. Mais là encore, les portes se ferment, puisque le Pakistan poursuit actuellement un objectif de renvoi des réfugiés afghans.
J’étais à midi avec le fils du commandant Massoud, Ahmad Massoud, qui a été accueilli à l’Assemblée nationale et qui passe quelques jours dans notre pays. Il a confirmé l’ensemble de ces analyses et de constats, et notamment les dynamiques de migration des Afghans vers des pays limitrophes. Face à cette tragédie, la Cour de Justice de l’Union européenne a reconnu elle-même en octobre dernier que les femmes afghanes était un groupe social pouvant prétendre au statut de réfugié, sur la seule base de leur sexe et de leur nationalité. C’est une avancée majeure, qui oblige notre pays à ouvrir des voies d’accès sûres et légales.
Alors que notre pays s’apprête pourtant à accueillir pendant l’été 2025 la conférence internationale sur les politiques étrangères féministes, les visas qui pourraient permettre aux Afghanes de rejoindre la France depuis les pays voisins sont délivrés au compte-gouttes. Seulement mille visas ont été délivrés par la France à des Afghanes. Les autorités françaises ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et de la protection de la vie de ces femmes afghanes. Il est donc urgent que la France facilite la délivrance de ces visas à ces populations, qui fuient des persécutions plus qu’atroces.
En ce sens, nous demandons au gouvernement non seulement de poursuivre sa politique d’accueil des femmes afghanes, mais surtout de l’intensifier pour apporter refuge et protection à ces personnes persécutées uniquement parce qu’elles sont des femmes. Au regard de l’ensemble de ces éléments, et même si cette résolution est effectivement symbolique, nous la voterons bien évidemment. Cette situation est intolérable : il est urgent de réagir, de demander que le gouvernement et notre pays se mobilisent. Si le commandant Massoud était l’emblème d’une résistance contre l’extrémisme et l’oppression, nous devons continuer sur cette voie, les encourager, les aider et leur assurer le soutien de la France dans ce combat.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Merci pour cette intervention. La chape de plomb, l’effacement et l’interdiction d’accès à l’éducation sont ce que nous voyons. Après 12 ans, seuls les garçons bénéficient d’une éducation. Dans les madrasas, ce type d’éducation est pratiqué et contribue à « laver le cerveau » des jeunes garçons pour les façonner en futurs talibans. Je vous rejoins lorsque vous parlez des pays limitrophes, et je vous proposerai un amendement pour inciter à ce que les femmes qui y trouvent refuge ne soient pas expulsées.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Le 15 août 2021 restera à jamais une date sombre pour l’Afghanistan. Depuis, sous le régime de l’émirat islamique, les femmes afghanes ne vivent plus, elles survivent. Elles ne parlent plus, elles chuchotent, quand elles ne sont pas réduites au silence. Elles ne marchent plus dans les rues, elles y disparaissent. Parce qu’elles sont femmes, elles sont exclues, effacées, persécutées. Ce que nous voyons se déployer sous nos yeux n’est pas qu’une simple série de discrimination, c’est une politique systémique, planifiée, institutionnalisée, c’est une ségrégation sexuelle totale, une mise en quarantaine du genre féminin. Pour reprendre les mots du rapporteur général de l’ONU, « un véritable apartheid de genre ».
En juillet 2024, la cour nationale du droit d’asile a accordé pour la première fois le statut de réfugié à une femme afghane en raison de son genre. Tant que les femmes ne pourront pas venir jusqu’en France, cette décision restera symbolique. La France, qui se veut la patrie des droits humains et qui se revendique d’une diplomatie féministe, doit agir. Sans accompagnement, le voyage est extrêmement difficile pour ces femmes, voire impossible, pour rejoindre la France.
Les visas sont délivrés au compte-gouttes. Les délais pour obtenir un rendez-vous au consulat ne cessent de s’allonger. Même après avoir atteint des pays comme le Pakistan ou l’Iran, elles restent vulnérables.
Et pourtant, malgré cette oppression, les femmes se lèvent et manifestent. Elles écrivent, elles créent, elles résistent. À leurs risques et périls, elles nous rappellent dans le silence du monde ce que signifie le mot courage. Le travail des citoyens, des citoyennes, et des collectifs qui se mobilisent sans relâche pour que ces femmes trouvent refuge en France est à saluer. Aussi, il est nécessaire de reconnaître les efforts réalisés par des maires, notamment écologistes, pour créer des moyens d'accueil dans leurs villes pour pouvoir les accueillir dignement.
Il ne saurait y avoir d’égalité ni de justice sans dénonciation claire de ces violences systémiques organisées. Un dernier mot est nécessaire pour saluer le courage de ces femmes afghanes elles-mêmes, car leur combat pour la liberté et la dignité doit être une source d’humilité pour nous toutes.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Nous sommes face à une ségrégation totale, face à un groupe social constitué de femmes qui sont dénigrées en tant que telles, et qui peuvent maintenant obtenir le statut de réfugié politique. Dans cette PPRE, il est fait la préconisation de mettre en place un programme d’accueil spécifique pour ces femmes, qui sont sous-représentées dans les demandeurs d’asiles afghans en France. De plus, la PPRE contient un article ciblé sur les femmes et les filles afghanes, qui a pour objectif de renforcer leur accès à l’aide humanitaire.
Il existe des mouvements de résistance en Afghanistan, avec des écoles clandestines, des salons de beauté clandestins. Ces femmes-là risquent la torture, les assassinats, la prison.
M. Laurent Mazaury (LIOT). L’examen de cette PPRE est l’occasion de saluer le courage de toutes les femmes qui sont en Afghanistan, et qui subissent les pires atrocités. Parce qu’elles ont le pouvoir de donner la vie, on cherche à la leur reprendre. Jamais le droit des femmes n’a régressé aussi vite. Trente ans de lutte pour leur liberté ont ainsi été torpillés, en quelques semaines seulement. Aujourd’hui en Afghanistan, les femmes n’ont plus que deux droits. D’une part, celui de respirer, tout doucement, pas trop fort, et sans faire de bruit car il ne faudrait pas que cela soit jugé obscène ou contraire à la vertu. D’autre part, celui de mourir en silence. Le recul des droits les plus élémentaires en Afghanistan nous engage et doit nous pousser à agir. Les femmes n’ont plus le droit de parler, ni même celui de chuchoter, et celles qui s’élèvent contre le régime le paient très cher : lapidation publique, viol, meurtre, disparition forcée.
Si aujourd’hui les femmes sont les plus touchées par la répression exercée par les talibans, c’est tout un peuple qui paye et pour longtemps, le prix de ces mesures ignobles. La mortalité maternelle dans le pays est l’une des plus élevées de l’Asie. Dans quelques années, donner naissance en Afghanistan sera extrêmement dangereux, pour les mères et pour les nouveau-nés eux-mêmes, faute de soins gynécologiques adaptés.
J’en profite pour dire que je retire l’intégralité de mes amendements étant donné ceux qui ont été déposés par notre rapporteure auxquels je me rallie pleinement et que j’ai cosignés. Cette PPRE est donc nécessaire pour apporter un message clair de soutien à la population afghane, et en particulier aux femmes qui n’ont commis d’autre crime que d’être nées. Aussi, j’espère vivement qu’elle sera votée à une large majorité, déplorant qu’elle ne le soit pas à l’unanimité. Pour moi les symboles sont importants.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je vous remercie mon cher collègue. Vous avez entièrement raison d’avoir mis en évidence les effets de la crise économique. Interdire de travailler à la majorité des femmes afghanes a privé des millions de familles du revenu que ces femmes percevaient auparavant. Aussi, dans un contexte de crise économique grave, cette interdiction de travailler a fait basculer dans la misère de nombreux foyers.
Vous avez également, à juste titre, souligné les effets de la crise sanitaire. Sur le plan sanitaire, la situation des femmes afghanes s'est largement détériorée, non seulement en ce qui concerne la mortalité infantile que vous avez rappelée mais aussi concernant leur santé mentale qui s’est fortement dégradée comme en témoigne la recrudescence des symptômes dépressifs, du stress post-traumatique voire de tentatives de suicide. En fait, c’est toute une génération d'enfants afghans qui grandit dans un contexte de crise généralisée extrêmement malsain.
Cette politique de ségrégation de genre imposée par les Talibans ne détruit pas seulement la vie des femmes afghanes, mais compromet l'avenir du pays dans son ensemble. Je vous remercie, mon cher collègue, de partager ma position et d’avoir choisi de retirer vos amendements et de vous associer à ceux que j’ai déposés.
Comme vous, je regrette la position du Rassemblement national, alors que nous sommes en accord sur l'essentiel. Voter en opposition à ce texte, voire s’abstenir, envoie un message extrêmement négatif. Cela revient à signifier, en filigrane, que le combat des femmes afghanes ne vous intéresse pas et ne vous concerne pas.
Il y a peut-être une différence entre la raison pour laquelle vous vous abstenez aujourd'hui sur ce texte et la perception que les femmes afghanes auront de votre abstention. Donc il est peut-être encore temps de revenir sur votre décision.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous passons à la discussion des amendements. Je note que l'amendement n° 1 de M. Mazaury vient d’être retiré.
L’amendement n° 1 de M. Laurent Mazaury est retiré.
Amendement n° 4 de Mme Caroline Yadan, rapporteure et de M. Laurent Mazaury
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Cet amendement, co-signé par M. Laurent Mazaury, précise que des demandes de mandats d'arrêt ont été déposées le 23 janvier 2025 par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) contre le chef des Talibans et le président de la Cour suprême d'Afghanistan, notamment pour des persécutions fondées sur le genre. Cela avait été omis de la rédaction initiale de la PPRE, et je remercie notre collègue de l'avoir souligné. Ces mandats, petite précision, n'ont pas encore été émis, ils ont été demandés par la CPI pour persécutions fondées sur le genre selon l'expression juridiquement fondée.
M. Guillaume Bigot (RN). Je souhaitais vous répondre concernant le sort des femmes afghanes : il nous tord évidemment le cœur ! Ces femmes se trouvent dans une situation inacceptable au regard de tous nos standards juridiques et moraux : nous sommes en accord avec vous. Mais nous visons l’efficacité. Le gouvernement de l'Afghanistan ne nous plaît pas plus qu'à vous. Toutefois, nous devons travailler avec celui-ci puisqu’il s’agit du gouvernement officiel. Le symbole en politique a de l'importance : nous ne serions pas opposés à condamner les maltraitances et les crimes que subissent au quotidien les femmes afghanes. En revanche, l’alinéa n° 23 de votre PPRE qui « invite le gouvernement à poursuivre sa politique d'accueil des femmes afghanes victimes d'oppression en raison de leur genre », nous pose un problème. Il y a 28 millions de femmes en Afghanistan, il est évidemment complètement irréaliste d'imaginer que l’on puisse accueillir toutes ces femmes, et j’en appelle une fois encore à votre réalisme politique. Il existe de nombreuses situations absolument inacceptables dans le monde et nous ne pouvons pas en raison de l'équilibre politique, sociologique et économique de notre pays nous permettre d'ouvrir systématiquement des portes comme celles-ci. Si vous faites un pas dans notre direction, nous en ferons un dans la vôtre et voterons le reste de la résolution.
L’amendement n° 4 est adopté.
L’amendement n° 2 de M. Laurent Mazaury est retiré.
Amendement n° 5 de Mme Caroline Yadan, rapporteure et de M. Laurent Mazaury
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Pour vous répondre en un mot : sachez que ce que vous appelez le gouvernement d'Afghanistan est, en fait, le régime des Talibans qui n'a pas d’existence en droit international, car il n’a été reconnu par aucun pays. Je comprends maintenant que les raisons de votre abstention sont l’accueil. Or, je le considère, nous le considérons, certainement, tous, avec l'humanité qui nous caractérise, comme absolument nécessaire. Ce ne sont pas des millions d'Afghanes qui vont débarquer en France du jour au lendemain. Il s’agit de leur rendre la vie plus facile. Par ailleurs, nous avons aussi une tradition d’accueil en France, qui repose sur des valeurs consistant à accueillir les personnes en très grande difficulté, privées du minimum commun. Sur ce point, la résolution ne sera pas modifiée.
Concernant l'amendement n° 5, nous invitons le gouvernement des États-Unis d'Amérique à maintenir des dispositifs de protection pour les femmes afghanes, notamment en reconsidérant la révocation annoncée du statut de protection temporaire, ainsi qu’à prévoir une dérogation humanitaire aux mesures générales d'interdiction d'entrée pour l'Afghanistan afin de garantir l'accueil des femmes menacées de persécution en cas de retour. En mai 2025, une révocation du TPS, le statut de protection temporaire accordé par les États-Unis aux réfugiés afghans, a été annoncée. Cette décision s’avère très lourde de conséquences pour les femmes afghanes déjà présentes sur le territoire américain, menacées de persécution en cas de retour, alors qu’elles avaient trouvé refuge aux États-Unis.
L’amendement n° 5 est adopté.
L’amendement n° 3 de M. Laurent Mazaury est retiré.
Amendement n° 6 de Mme Caroline Yadan, rapporteure et de M. Laurent Mazaury
Mme Caroline Yadan, rapporteure. M. Mazaury avait également suggéré cet amendement encourageant les gouvernements de l'Iran et du Pakistan à reconsidérer les mesures d'expulsion massive des femmes afghanes menacées de persécution en cas de retour. Il faut savoir que l'Iran et le Pakistan ont déjà procédé à certaines expulsions malheureusement massives de réfugiés, dont des femmes afghanes, exposant plusieurs centaines de milliers de personnes à un retour forcé en violation du principe de non-refoulement. Lors des auditions, nous avons appris que de nombreuses femmes afghanes sont obligées de passer par les pays limitrophes dont le Pakistan et l'Iran pour trouver refuge ou rejoindre d'autres pays où elles retrouvent leur liberté. Or, elles se trouvent confrontées à des expulsions massives ce qui s’avère extrêmement problématique pour elles.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Nous allons soutenir cet amendement, qui est extrêmement important. Depuis janvier, le Pakistan mène une opération appelée « Zéro Afghans » à Islamabad, qui a consisté à traquer les femmes afghanes dans les rues de la ville pour les expulser vers l’Afghanistan. Or, nous savons qu’à leur retour, certaines sont torturées, et la plupart emprisonnées en raison de leurs propos et de leurs prises de position courageuses.
Je rappelle à notre collègue du Rassemblement national que, si l’indécence avait un nom, ce serait le vôtre ! Évoquant les 23 millions de femmes vivant en Afghanistan, vous parlez de millions de femmes afghanes qui viendraient en France si on ouvrait la porte. Or, lorsqu’il y a des conflits, des guerres ou des famines dans certaines régions du monde, la majorité des mouvements migratoires se font d’abord à proximité des pays concernés.
L’objectif doit être de sécuriser le passage de ces femmes, soit pour qu’elles puissent rester à proximité de leur pays d’origine, car, contrairement à ce que vous pensez, la plupart souhaitent y retourner dès que possible, soit, le cas échéant, pour qu’elles puissent venir en France. Il y a un vrai problème dans la délivrance des visas, dans l’accès aux rendez-vous dans les consulats, et dans la prise en charge de ces femmes qui sont en insécurité totale.
Cette résolution est la bienvenue, mais il faut que notre gouvernement s’y attelle pleinement. Les postes consulaires font un travail important avec les rendez-vous qu’ils peuvent donner, mais il faudrait mettre davantage de moyens et d’énergie pour sécuriser ces femmes.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. La présente proposition affirme la nécessité de protéger les femmes afghanes et en fait un impératif moral. La privation de leurs libertés met en jeu la sauvegarde de vies individuelles et envoie un message fort : nous ne laissons pas celles qui défendent la liberté et l’égalité réduites au silence ou condamnées à mort sans leur tendre la main.
L’amendement n° 6 est adopté
L’article unique de la proposition de résolution européenne est adopté.
La proposition de résolution ainsi modifiée est par conséquent adoptée.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Les femmes afghanes nous entendent et nous suivent, même si la situation est extrêmement difficile pour elles. L’accès à Internet reste possible en Afghanistan. J’en ai auditionné certaines, et elles sont très attentives à ce que l’Occident peut faire en leur faveur. Le soutien que nous leur avons apporté représente pour elles un réel réconfort.
Sur proposition de M. le président Pieyre-Alexandre Anglade, la commission a nommé :
- M. Arnaud Le Gall, rapporteur sur la proposition de résolution européenne la proposition de résolution européenne (n° 1444) de Mme Mathilde Panot et plusieurs de ses collègues visant à dénoncer l’accord d’association entre l'Union européenne et Israël ainsi qu’à mettre en œuvre les sanctions nécessaires à l’encontre d’Israël et ses dirigeants pour mettre fin à la guerre génocidaire du gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou ;
- Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure sur la proposition de résolution européenne (n° 1532) de Mme Sabrina Sebaihi et plusieurs de ses collègues visant à suspendre l’accord d’association Union européenne Israël et à l’adoption de sanctions contre les violations du droit international humanitaire.
La séance est levée à 15 heures 45.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Guillaume Bigot, Mme Sylvie Josserand, Mme Marietta Karamanli, Mme Constance Le Grip, M. Laurent Mazaury, Mme Sandrine Runel, Mme Sabrina Sebaihi, M. Charles Sitzenstuhl, M. Thierry Sother, Mme Liliana Tanguy, Mme Caroline Yadan
Excusées. - Mme Colette Capdevielle, Mme Estelle Youssouffa