Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mardi
1er juillet 2025
16 h 30
Compte rendu n o 39
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 1er juillet 2025
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la Commission
La séance est ouverte à 16 heures 30.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Monsieur le ministre délégué chargé de l’Europe, je vous remercie d’être devant nous cet après-midi pour rendre compte des résultats du Conseil européen qui s’est tenu la semaine dernière à Bruxelles.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe. En ce moment de turbulences géopolitiques et économiques, le Conseil européen de jeudi a permis de continuer à promouvoir la priorité de la France depuis le discours de la Sorbonne en 2017, à savoir la construction d’une Europe plus forte, plus unie et plus souveraine. Cet objectif transparaît des sujets prioritairement discutés par le Conseil européen.
Nous avons d’abord abordé les questions géopolitiques en rappelant notre soutien à l’Ukraine, alors même que la Russie intensifie les bombardements contre les civils et les infrastructures de ce pays. Nous devons non seulement poursuivre notre soutien économique et militaire à l’Ukraine, en accélérant notamment le décaissement du prêt dit ERA financé par les intérêts générés par les avoirs gelés de la Russie en Europe, mais également continuer de faire monter la pression sur la Russie. Nous sommes proches de la finalisation d’un dix-huitième paquet de sanctions, qui frappera en particulier le secteur énergétique de la Russie par le biais d’un embargo sur le pétrole brut et les produits pétroliers raffinés, d’un abaissement du prix plafond de ces produits ainsi que d’un renforcement de la lutte contre la flotte fantôme qui permet à la Russie de contourner ces sanctions en mer Baltique et en mer du Nord.
Nous avons aussi eu l’occasion d’évoquer le Moyen-Orient et de rappeler la position de la France : la demande d’un cessez-le-feu à Gaza, de la libération inconditionnelle de tous les otages, d’un accès à l’aide humanitaire pour les civils présents à Gaza et d’une relance du dialogue politique susceptible de mener à une solution à deux États. C’est tout le but de l’initiative diplomatique lancée par la France, avec l’Arabie Saoudite, pour engager une dynamique de reconnaissance mutuelle entre Israéliens, Palestiniens et habitants de la région.
S’agissant de l’Iran, notre position est très claire : ce pays ne doit pas se doter de l’arme nucléaire. À nous, Européens, d’accompagner les efforts diplomatiques en cours, comme nous l’avons fait ces vingt dernières années, pour aboutir par la négociation à un cadre de sécurité durable permettant le désarmement de l’Iran, avec le soutien de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et de nos partenaires.
Nous avons aussi abordé les questions économiques, avec l’ambition de renforcer la compétitivité du continent européen, soumis à une pression commerciale exercée par nos partenaires et concurrents. Il y a un an, le rapport Draghi a souligné le risque de décrochage industriel, économique et technologique de l’Europe par rapport aux États-Unis et à la Chine. Nous avons besoin de simplifier nos textes réglementaires, d’unifier davantage le marché unique – notamment par l’Union de l’épargne et des investissements, que la Commission européenne doit commencer à mettre en œuvre dans les prochains mois – et de poursuivre notre effort de décarbonation avec pragmatisme afin de ménager la compétitivité de nos entreprises.
Nous avons bien sûr parlé de défense. Les instruments européens existants dans ce domaine ont été renforcés ces dernières semaines. Je pense notamment à l’adoption du règlement européen portant création de l’instrument Safe, dans le cadre duquel la Commission européenne contractera des prêts, à hauteur de 150 milliards d’euros, pour financer des investissements communs visant à renforcer une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) autonome. Dans certains domaines comme le cyber, les drones, les frappes en profondeur et les satellites, nous sommes en effet dépendants de nos partenaires, notamment américains – il suffit de voir le rôle que joue Starlink en Ukraine. Ces 150 milliards seront utilisés en respectant un principe très clair, celui de la préférence européenne, qui est toujours défendue par la France quand il s’agit d’instruments de défense et qui constituera un critère d’éligibilité pour obtenir les financements. Ce même principe de soutien à notre industrie de défense nous guide aussi dans les négociations en cours sur l’instrument Edip, doté de 1,5 milliard d’euros, qui constituera un précédent très important pour l’avenir.
Le Conseil européen a aussi été l’occasion d’évoquer les sujets migratoires. En la matière, nos priorités sont la mise en œuvre rapide du pacte sur la migration et l’asile, qui permettra notamment une première sélection des demandeurs d’asile aux frontières extérieures de l’Union européenne, et le renforcement des outils européens visant à maîtriser nos frontières communes. Je pense par exemple à la proposition de règlement « retour », qui doit permettre de mieux expulser à l’échelle des Vingt-sept, ainsi qu’à des instruments un peu plus éloignés des questions migratoires tels que la conditionnalité pour l’octroi des visas, l’aide au développement, ou encore les accords commerciaux, qui permettent d’instaurer un rapport de force avec les pays de transit et de départ. Là encore, il s’agit de mettre en avant le poids des Vingt-sept et la force du marché unique pour défendre nos intérêts collectifs et le droit international.
Enfin, nous avons abordé les questions commerciales, qui sont au cœur de l’actualité. À ce sujet, nous avons défendu une position très claire : l’Union européenne ne peut pas accepter un accord asymétrique avec les États-Unis. Il s’agit là d’un test de crédibilité géopolitique pour les Européens. Les droits de douane imposés par l’administration américaine sont totalement injustifiés et ne reposent pas sur une analyse crédible des relations commerciales entre les États-Unis et l’Europe. Les chiffres mis en avant par les Américains n’incluent pas les services, alors que nous sommes nous-mêmes importateurs et consommateurs de services américains, notamment numériques.
En ce moment même, une négociation est menée par la Commission européenne, sous l’égide du commissaire Šefčovič. Nous cherchons tous la désescalade : l’objectif est de revenir à une situation qui bénéficie à tous, sans gagnants ni perdants. Jeudi soir, lors de sa conférence de presse à l’issue du Conseil européen, le président de la République a rappelé que nous n’accepterions pas une situation asymétrique. Ainsi, si les États-Unis imposent des droits horizontaux de 10 % sur tous les biens qu’ils importent, nous devrons réagir, soit en activant les contre-mesures dont discutent actuellement la Commission européenne et les États membres, soit en imposant nous-mêmes des droits de douane réciproques de 10 %.
Encore une fois, au-delà de la question commerciale, il s’agit d’un test pour l’Europe, qui doit montrer sa capacité à défendre ses intérêts, sa souveraineté et son modèle. C’est cette même exigence qui justifie notre position sur tous les sujets.
M. Manuel Bompard (LFI-NFP). La semaine dernière, la France a participé à un sommet de l’Otan, ou plutôt à une séance de soumission collective aux ordres de l’administration de Donald Trump.
Le président de la République a signé un document dans lequel il promet que la France acceptera, comme les autres pays européens membres de l’Alliance, de consacrer à la défense 5 % de son PIB, soit un quart à un tiers du budget de l’État. Cette augmentation acceptée en catimini n’est fondée sur aucune stratégie d’indépendance. Elle ne répond pas aux besoins de notre pays mais vise simplement à faire plaisir à Donald Trump pour qu’il continue de défendre l’Europe. Vous parliez à l’instant de « test de crédibilité géopolitique » : pardonnez-moi de vous dire que, la semaine dernière, vous ne l’avez pas réussi !
Le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, a étalé au grand jour sa soumission au président américain en se félicitant que les Européens allaient beaucoup payer et en comparant Donald Trump à un père qui devrait gérer les autres nations, reléguées au statut d’enfants. Les pays du G7 – et donc la France, l’Italie et l’Allemagne, ses membres européens – ont même fini par renoncer à soumettre à l’impôt minimum sur les multinationales les grands groupes américains, qui pourront donc s’adonner en toute tranquillité à l’évasion fiscale et ne pas payer leurs impôts dans nos pays. C’est pourtant le même Trump qui a humilié le président Zelensky il y a quelques mois, qui menace d’annexer le Groenland, qui envisage de rattacher le Canada – et donc le Québec – aux États-Unis, et qui a bafoué le droit international en lançant le mois dernier une intervention unilatérale contre l’Iran.
Comment, en tant que ministre délégué chargé de l’Europe, acceptez-vous une telle humiliation de notre continent ? Quand allez-vous enfin faire entendre la voix singulière de la France, défendre le droit international et cesser de vous aligner sur les ordres du gouvernement d’extrême droite des États-Unis ? Quand entreprendrez-vous des actions concrètes pour encourager les États européens à se détacher de cette soumission ? Sur le plan économique, allez-vous vous joindre à l’initiative du Brésil et de l’Espagne visant à former une coalition pour taxer les super-riches et revenir sur l’abandon de la taxation des multinationales américaines ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Nous n’augmentons pas notre budget de défense parce que quelqu’un d’autre nous le demande.
Fondamentalement, nous vivons dans un environnement plus conflictuel, plus dangereux : la Russie mène à nos portes une guerre d’agression contre l’Ukraine et fait peser une menace sur toutes les démocraties en conduisant des attaques cyber contre nos infrastructures, des sabotages et des opérations d’ingérence comme celles que nous avons pu observer en Roumanie, en Moldavie et même dans notre propre pays. Ce faisant, la Russie met en péril toute l’architecture de sécurité européenne. À cela s’ajoutent d’autres menaces que nous connaissons depuis de nombreuses années, telles que le terrorisme et l’instabilité à nos frontières.
Se pose aussi la question de l’avenir de la garantie de sécurité américaine et de la relation transatlantique à plus long terme. Bien avant l’entrée en fonction de l’administration Trump, on voyait déjà, sous l’administration Obama, le regard des Américains dévier vers l’Asie, tandis que les Européens étaient accusés de se comporter comme des passagers clandestins et que rien n’était entrepris pour faire respecter la ligne rouge en Syrie.
Tout cela nous pousse à réarmer et à prendre notre indépendance. Ainsi, pendant les deux mandats d’Emmanuel Macron, nous avons doublé le budget militaire de la France. Nous devrons continuer dans cette voie, car il s’agit là d’un effort générationnel, tant en augmentant nos budgets nationaux de défense qu’en favorisant l’émergence d’une industrie de défense européenne autonome, c’est-à-dire qui ne dépende pas des autres, en particulier des Américains. C’est tout le but des instruments développés en ce moment, sous l’impulsion de la France, tels que Safe, Edip ou d’autres dont nous pourrons discuter lors des négociations du prochain cadre financier pluriannuel européen (CFP) : ils visent à renforcer les coopérations industrielles et à diminuer notre dépendance à des partenaires extérieurs, que ce soit en matière d’usage, de technologie ou de règles d’exportation, dans tous les domaines que j’ai évoqués tout à l’heure – cyber, drones, frappes en profondeur, etc.
La souveraineté et l’indépendance ne se décrètent pas. Elles se construisent patiemment en agissant pour améliorer notre compétitivité, en soutenant nos entrepreneurs, ceux qui innovent et qui prennent des risques, en approfondissant notre marché unique, en simplifiant nos règles et en investissant massivement dans la défense du continent européen. C’est ce que nous faisons progressivement, loin des incantations et des grands discours, pour construire une Europe plus autonome, capable de défendre ses intérêts et son modèle sans dépendre des autres. C’est cela, la voix de la France.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Notre groupe a suivi avec beaucoup d’attention ce Conseil européen. Au vu du contexte actuel, chaque réunion ou chaque initiative peut être utile pour l’avenir et pour la paix.
Les pays européens ne disposant pas des marges de manœuvre fiscales et politiques nécessaires risquent de ne pas pouvoir augmenter leurs dépenses de défense. Le gouvernement français compte sur des investisseurs privés tels que les assureurs, les banques ou les fonds d’investissement. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, défend une dérogation au pacte de stabilité et de croissance. Quant à moi, je suis de ceux qui plaident pour une taxation limitée des contribuables les plus riches pour financer ces dépenses – en tout cas, il me semble nécessaire de mener une réflexion sur ce sujet. Quelle est la position française sur la possibilité de trouver de nouvelles ressources ?
S’agissant de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a appelé, il y a quelques semaines, à la mise en œuvre d’un nouveau mécanisme structuré, permanent, négocié et accepté par toutes les parties, éventuellement coordonné par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui permettrait la recherche, l’identification, la libération et l’échange de prisonniers de guerre de façon rapide, sûre et régulière. L’Union européenne et la France entendent-elles engager de nouveaux efforts opérationnels dans ce domaine ?
Enfin, quelle est la position française concernant la situation à Gaza ? Comment notre pays compte-t-il faire entendre davantage la voix de l’Europe dans ce conflit et agir en faveur du respect des droits international et humanitaire ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Vous l’avez dit, la Commission européenne a annoncé la possibilité d’exclure certaines dépenses relatives à la défense nationale du champ des dépenses prises en compte dans les calculs du déficit excessif. Il s’agit de donner plus de respiration et de marges de manœuvre fiscales aux États qui souhaitent investir dans ce domaine. C’est aussi l’objet du programme Safe, qui permet aux pays européens d’emprunter à des taux préférentiels. La France, qui doit montrer l’exemple, utilisera cet instrument, comme beaucoup de ses partenaires.
Il faut aussi mobiliser les institutions financières, telles que la Banque européenne d’investissement (BEI), dont nous avons modifié le mandat. Cette institution doit maintenant prendre ses responsabilités et soutenir le secteur de la défense, que les entreprises soient duales ou non. De même, il faut utiliser au maximum tous les instruments créés par l’Union européenne en matière d’investissement et d’innovation – je pense notamment à l’European Innovation Council. J’en appelle à la mise en commun de l’argent public, qui peut servir de levier pour les acteurs privés tels que les PME et les start-up, qui ont besoin de fonds propres pour se développer.
La question des ressources propres sera fondamentale dans le débat sur le prochain CFP. J’ai eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises avec le commissaire européen Serafin, qui a formulé certaines propositions qu’il dévoilera lors de la présentation de la première architecture du CFP, dans les deux prochaines semaines, et que nous soutiendrons. L’idée est de réfléchir à la façon de taxer des entreprises ou même des particuliers étrangers qui arriveraient en Europe – je pense notamment à l’instauration d’une autorisation de voyage européenne sur le modèle de l’Esta américain, à la création d’une taxe sur les petits colis, ou encore, bien sûr, à la taxation des services numériques défendue par la France. La taxe sur les hauts revenus, que vous avez évoquée, ne fait pas partie des pistes de réflexion suivies au niveau européen, mais elle est discutée dans le cadre du G20. Quoi qu’il en soit, nous devons poursuivre la réflexion sur les ressources propres de l’Union, par exemple sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), afin de commencer à réduire la contribution des États membres – à ce propos, nous nous attendons à un ressaut du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne dès cette année, compte tenu du retard de décaissement des fonds de cohésion – et à rembourser l’emprunt NextGenerationEU.
Nous sommes toujours très mobilisés sur la question des prisonniers de guerre. Dans une dizaine de jours, à Rome, les ministres Jean-Noël Barrot et Laurent Saint-Martin participeront à une conférence internationale sur la reconstruction de l’Ukraine, au cours de laquelle ce sujet sera évoqué.
S’agissant de la situation à Gaza, j’ai rappelé la position de la France, que l’on retrouve dans les conclusions du Conseil européen. J’ajoute que la Commission européenne a lancé une étude sur le respect, ou non, par Israël de l’article 2 de l’accord d’association entre ce pays et l’Union européenne, qui traite de la question des droits humains. La haute représentante Kaja Kallas rendra ses conclusions mi-juillet : ce sera l’occasion, pour les États membres, de débattre des prochaines étapes.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Le Conseil a explicitement demandé à la BEI de réévaluer la liste des activités exclues de ses financements. Avez-vous une vision précise de celles qui doivent être réintégrées – les munitions ? l’armement offensif ? la cybersécurité ? – pour que l’industrie européenne soit pleinement soutenue ?
Par ailleurs, le Conseil a souligné la nécessité d’intégrer les PME et les entreprises à moyenne capitalisation dans l’effort de défense. Quels outils concrets doivent être renforcés ou créés pour garantir à ces acteurs un accès équitable au marché, à l’innovation, aux financements et aux programmes européens ? La France doit-elle plaider en faveur d’un fléchage dédié au sein d’Edip pour éviter tout effet d’éviction au profit des grands groupes ?
L’amélioration de la mobilité militaire exige de nouvelles propositions. Pouvez-vous en préciser la teneur ? Nous avons beaucoup de mal à déplacer le personnel et les équipements d’un endroit à l’autre, surtout en temps de crise, quand il faut être réactif.
Enfin, la possibilité de recourir aux fonds de cohésion pour financer les investissements liés à la sécurité et à la défense ne risque-t-elle pas d’opposer les deux exigences ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Le Conseil européen, dans ses conclusions, s’est félicité du fait que la BEI ait modifié son mandat et commencé à financer des projets de défense. Il faut à présent aller plus loin, s’agissant d’un secteur qui, historiquement, a un peu souffert d’une mauvaise réputation auprès des investisseurs pour des raisons de normes éthiques. Il était très compliqué, notamment pour les PME et les start-up, de se financer auprès des fonds de pension, des fonds d’investissement et des fonds de capital-risque. Nous avons besoin de cet écosystème. Il incombe à nos investisseurs institutionnels de jouer un rôle moteur pour entraîner des financements privés.
Il ne m’appartient pas de dresser la liste des priorités au sein du secteur de la défense, d’autant qu’elles sont connues. J’en mentionnerai une, qui est un peu le parent pauvre du débat, alors même qu’elle est, comme l’a rappelé le président de la République au Bourget, un instrument de souveraineté fondamental : le spatial.
Compte tenu du risque de dépendance auquel nous expose la concurrence des acteurs privés américains, au premier rang desquels SpaceX et Starlink, il faut investir dans les petits lanceurs et les constellations de satellites, notamment en orbite basse, dans le cadre du projet LEO-PNT, et se donner vraiment les moyens de déployer Iris2 dans les temps pour offrir des solutions européennes souveraines. Nous avons réussi à le faire avec Galileo, qui équipe nos iPhone : il n’y a donc aucune fatalité. Il est fondamental que nous soyons au rendez-vous de cette course, ce qui suppose de soutenir tant nos PME que nos grands acteurs industriels comme ArianeGroup et Eutelsat.
Pour ce faire, il faut promouvoir la préférence européenne, dans le cadre d’Edip, de Safe et du prochain CFP, qui sera l’occasion de rehausser considérablement nos ambitions dans la défense et le spatial. Nous défendons toujours l’adoption de critères d’éligibilité pour renforcer la préférence européenne. C’est un enjeu non seulement pour nos industriels, qui ont besoin de visibilité pour embaucher, ouvrir des usines et investir, mais aussi pour la réduction de nos dépendances en matière de normes d’usage, d’exportations et de maîtrise du savoir-faire technologique. C’est vraiment une question d’autonomie stratégique.
Mme Sabine Thillaye (Dem). Mais nos PME et ETI ont souvent du mal à accéder aux appels d’offres !
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. En matière d’accès au financement, les institutions financières ont un rôle à jouer, mais nous avons, en France, fait évoluer progressivement la culture sur ce point, ce qui a eu pour effet d’augmenter le nombre d’appels d’offres destinés aux PME et aux start-up, notamment dans l’intelligence artificielle et le quantique. Les acteurs de ces secteurs ne nous demandent pas des subventions ou des dons, mais de la commande publique, ce qui leur permet aussi de commencer à alimenter leur historique et d’acquérir une crédibilité. Nous avons changé d’état d’esprit ; nos partenaires et la Commission européenne doivent en faire autant.
Les instruments comme Safe inciteront les pays européens à travailler ensemble. Certains ont de gros acteurs industriels, qui peuvent monter des projets avec d’autres, mais ils seront aussi encouragés à travailler avec de plus petites entreprises, par exemple des pays baltes ou d’Ukraine – un pays d’ailleurs explicitement mentionné dans le programme Safe et qui a montré de réelles capacités d’innovation, notamment dans le secteur des drones, ce qui représente de véritables opportunités de coopération pour nos entreprises et nos industries.
Mobilité militaire et recours aux fonds de cohésion sont liés. La révision à mi-parcours de la politique de cohésion a introduit une flexibilité en matière de préfinancement, au profit notamment du secteur de la défense. Pour ma part, je ne vois aucune contradiction entre la cohésion de nos territoires et l’investissement dans la sécurité et la défense – au contraire ! Plusieurs présidents de région se sont emparés du sujet. Le secteur de la défense offre des opportunités à nos industries et permet de renforcer l’emploi ainsi que la compétitivité de nos territoires. Quant à la mobilité militaire, elle exige des projets d’infrastructures territoriaux qui peuvent être financés par les fonds de cohésion.
M. Jocelyn Dessigny (RN). L’Union européenne avance et la France recule : tel est le constat brutal qu’impose votre action. Sur chaque dossier stratégique – Israël, commerce international, immigration –, notre pays semble avoir renoncé à défendre ses intérêts, à présenter une vision claire, à peser dans les rapports de force. Votre silence, vos ambiguïtés et vos renoncements deviennent la marque de fabrique d’un gouvernement qui confond présence à Bruxelles et influence réelle.
Sur Israël, vous avez laissé la Commission européenne s’engager dans une mise en cause grave de l’accord d’association, au nom d’un prétendu manquement aux droits de l’homme. La réalité, c’est que certains États, poussés par des arrière-pensées politiques, veulent sanctionner un allié démocratique. Vous auriez pu rappeler que l’accord avec Israël est un levier de coopération et non un instrument de chantage idéologique, et que l’État d’Israël se bat contre des terroristes coupables des pogroms du 7 octobre.
Sur les accords de libre-échange, tandis que les États-Unis et la Chine concluent un accord bilatéral pour sécuriser leurs approvisionnements en terres rares – matériaux cruciaux pour nos industries stratégiques –, l’Union suspend son dialogue avec Pékin et cherche à relancer des traités transpacifiques qui sont des copier-coller de l’époque d’Obama. La France se tait. Quelle est votre stratégie ? Où est la défense de notre souveraineté industrielle ? Si rien ne bouge, le 9 juillet, une grande partie de nos agriculteurs et de nos commerces installés sur le territoire national subiront une hausse de 50 % des tarifs américains.
Sur l’immigration et la Syrie, l’effacement français est total. Le 26 juin dernier, un petit-déjeuner informel sur la migration a réuni quatorze dirigeants européens autour de la présidente de la Commission ; la France n’était pas invitée. Quelle image ! Quel aveu ! Pendant ce temps, vous vous félicitez d’une prétendue transition pacifique en Syrie, sans conditions, sans exigence de contrôle de flux, sans garantie pour nos frontières, et vous accompagnez une levée précipitée des sanctions qui ouvre la voie à de nouvelles vagues migratoires toujours plus incontrôlées, toujours plus subies.
Vous ne défendez plus la France en Europe : vous vous contentez d’accompagner les dérives d’une technocratie déconnectée qui agit contre nos intérêts vitaux. Le Rassemblement national le dit avec clarté, c’est une autre Europe qu’il faut construire : une Europe des nations, une Europe des réalités, une Europe qui protège les Français.
Mme Constance Le Grip (EPR). Le dernier Conseil européen a suivi de près le sommet de l’Otan. S’agissant de l’Ukraine et des sanctions contre la Russie, le Conseil a pris des positions très claires. Il a réitéré son soutien ferme et déterminé à une paix globale, juste et durable, pris note de la disposition de Kiev à aller vers un cessez-le-feu complet et immédiat, souligné l’urgence d’intensifier les livraisons de capacités critiques telles que la défense antiaérienne, les systèmes antidrones et les munitions, et s’est félicité de l’adoption du dix-septième paquet de sanctions contre la Russie, plus spécialement focalisé sur la flotte fantôme, qui est une manœuvre de contournement des précédentes sanctions. Tout cela nous va très bien et est, de notre point de vue, très souhaitable.
Au lendemain du sommet de l’Otan, le Conseil a insisté sur la nécessité d’accroître de manière décisive la préparation de l’Union en matière de défense au cours des cinq prochaines années. Nous saluons l’adoption du programme Safe et appelons à la poursuite des discussions sur de nouvelles sources de financement. Toutefois, ne faut-il pas redouter l’émergence d’une opposition entre BITD euro-atlantique et BITD européenne ? La France et son industrie de l’armement ne sont-elles pas un peu seules lorsqu’elles plaident en faveur de la préférence européenne ? La volonté manifestée par les Alliés de travailler ensemble et d’aller vers toujours plus de production industrielle alliée, donc euro-atlantique, n’emporte-t-elle pas celle d’aboutir à un espace de coordination et de coopération stratégiques ? Comment articuler l’ambition euro-atlantique et l’ambition d’une autonomie stratégique européenne ?
« Simplifier, simplifier, simplifier », avez-vous martelé à plusieurs reprises. Que peut-on dire des ajustements récents apportés à la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et à la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D), à l’initiative notamment de la France et de l’Allemagne ? Leur objet est de simplifier et, pour dire les choses comme elles sont, d’alléger les charges et obligations pesant sur nos entreprises, notamment sur nos PME, sans affadir l’ambition d’un développement durable. Comment tout cela sera-t-il mis en œuvre dans les semaines et les mois à venir, notamment par notre pays ?
Enfin, je vous remercie de promouvoir avec obstination l’initiative conjointe de la France et de l’Autriche demandant à la Commission de renforcer la transparence dans l’allocation des fonds européens, afin que l’argent européen ne finance pas les organismes ou associations qui servent d’autres causes que la défense des valeurs européennes.
M. Thierry Sother (SOC). La date butoir du 9 juillet imposée par les États-Unis pour trouver un accord en matière de droits de douane approche. Quelles lignes rouges les institutions européennes ont-elles fixées dans ces négociations ? La visibilité sur la réciprocité et les droits de douane s’est-elle améliorée, notamment dans le secteur du numérique ? Avant-hier, le Canada a fait marche arrière s’agissant de la taxation des services numériques. Ces sujets sont-ils dans la balance à l’échelle européenne ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Monsieur Dessigny, votre propos confus et laborieux recèle de nombreuses contradictions. Vous reprochez à l’Union européenne de ne pas s’ouvrir davantage à des partenaires externes pour le commerce international, mais vous êtes les premiers à vous opposer à tous les accords commerciaux négociés tant par la France que par l’Union européenne. Nous continuerons à diversifier les partenariats, sans jamais cesser – la France n’a jamais dit autre chose – de protéger nos intérêts, notamment ceux de nos entreprises et de nos agriculteurs, et de garantir la réciprocité des normes et des standards.
Nous ne signons rien de façon « précipitée » – je suis un peu surpris d’entendre ce mot dans votre bouche. Nous sommes conscients, par exemple, du risque de déversement en Europe de produits chinois forclos du marché américain et des risques afférents pour nos industries. Nous devons parvenir à une position équilibrée, tout en parlant à tout le monde et en multipliant les échanges avec les uns et les autres.
Vous nous reprochez de ne pas être dans le club de ceux qui défendent des solutions européennes en matière d’immigration, alors même que votre formation politique s’est opposée au pacte sur la migration et l’asile, que soutiennent les pays membres du rassemblement dont vous parlez. Je pense notamment à l’Italie de votre amie Mme Meloni, qui demande au contraire la mise en œuvre et le renforcement des outils européens en la matière ; elle obtient des résultats grâce à la coopération européenne, et non en adoptant des solutions nationales ni en recourant à l’externalisation de la gestion des flux migratoires en Albanie, par exemple, comme vous le répétez souvent.
Telle est la voix que nous portons avec nos partenaires en plaidant pour la mise en œuvre du pacte sur la migration et l’asile, l’accroissement des capacités d’expulsion dans le cadre de la proposition de règlement « retour » et le renforcement des instruments externes tels que la conditionnalité des visas, l’aide au développement et les accords commerciaux. À un moment donné, vous devrez choisir entre une position nationale, sans instruments européens, et la voix que porte la France en Europe, qui consiste à dire que nous avons besoin de ces outils pour protéger nos concitoyens, maîtriser nos frontières et lutter contre l’immigration illégale. Sur ce sujet, il faut faire preuve d’un minimum de cohérence.
Madame Le Grip, BITD euro-atlantique et BITD européenne ne sont pas forcément contradictoires. Toutes deux produisent aux standards Otan afin d’assurer l’interopérabilité des armées. Lorsque nous investissons en Européens, nous nous y conformons. Ce qui compte, c’est que les instruments européens, financés par le contribuable européen, soutiennent la BITDE. Quant à ce que font les États membres avec leur budget propre, cela relève de leur souveraineté…
Le programme Safe a ceci de remarquable que, tout en étant utilisé par les États membres, il inclut des critères de préférence européenne. Cela démontre que beaucoup de nos partenaires européens ont évolué et s’inquiètent eux aussi de notre dépendance en matière d’usage – bien illustrée par le bridage des frappes en profondeur en Russie – et d’exportation des armements, notamment dans le cadre de la réglementation américaine de contrôle des exportations en matière de défense (Itar). Le Lituanien Andrius Kubilius, commissaire européen à la défense, a soulevé la question à plusieurs reprises. Si nos partenaires européens sont les héritiers de cultures diverses à ce sujet, ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre notre position.
S’agissant des directives CSRD et CS3D, notre objectif est de poursuivre la décarbonation de notre continent, mais avec pragmatisme, en accompagnant les acteurs économiques et non en renforçant la concurrence américaine ou chinoise. Nous avons décrété une pause pour simplifier ces textes, réduire le nombre d’indicateurs – passé d’un millier à environ 200 pour ce qui concerne la directive CS3D – et relever le seuil des entreprises assujetties, au profit des PME et ETI, afin que ces dispositions s’appliquent pour l’essentiel aux grands groupes, qui ont les moyens de publier les informations demandées.
S’agissant enfin des négociations tarifaires, monsieur Sother, la Commission européenne a été très claire : les réglementations numériques européennes relèvent de notre État de droit, donc de notre souveraineté, et il n’est pas question de les intégrer dans une négociation avec les Américains. La conformité au règlement sur les services numériques (DSA) et au règlement sur les marchés numériques (DMA) est une ligne rouge. Sur le plan quantitatif, nous n’accepterons aucun accord asymétrique.
Si, par exemple, les États-Unis maintiennent des droits horizontaux de 10 %, nous serons dans notre bon droit si nous répliquons en appliquant les contre-mesures élaborées par la Commission.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Monsieur le ministre délégué, au nom de la commission, je vous remercie pour vos réponses fournies et précises, comme à l’accoutumée.
La séance est levée à 17 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Céline Calvez, M. Jocelyn Dessigny, Mme Marietta Karamanli, Mme Constance Le Grip, M. Thierry Sother, Mme Sabine Thillaye
Excusés. - M. Laurent Mazaury, Mme Liliana Tanguy
Assistait également à la réunion. - M. Manuel Bompard