Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
9 juillet 2025
15 heures
Compte rendu n o 41
Présidence de
M. Laurent Mazaury,
vice-président,
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 9 juillet 2025
Présidence de M. Laurent Mazaury, vice-président
La séance est ouverte à 15 heures.
M. Laurent Mazaury, président. L’ordre du jour de notre réunion appelle l’examen du rapport d’information sur l’Union des marchés de capitaux de Daniel Labaronne et Sylvie Josserand. Sans entrer dans le détail du sujet, je tiens à souligner l’ampleur et la richesse du travail des rapporteurs. La liste des auditions et la richesse des recommandations, pour certaines communes, pour d’autres propres à l’un ou l’autre des rapporteurs, témoignent du travail important réalisé.
M. Daniel Labaronne, co-rapporteur. C’est avec grand plaisir que nous vous présentons l’aboutissement de six mois de travaux sur l’Union des marchés de capitaux, qui recouvre des enjeux stratégiques pour la compétitivité et la prospérité de l’Union européenne comme de la France, au-delà de la technicité présumée. En notre qualité commune d’universitaires, nous avons tenu à aborder le sujet de façon objective et scientifique, sans préjugés, en faisant droit à la complexité des questions posées.
Nous avons réalisé quarante-trois auditions, pour un total d’une soixantaine d’heures. Elles nous ont permis de retracer toute la chaîne du financement de l’économie, et d’échanger avec les multiples acteurs qui interviennent pour faciliter la rencontre entre les épargnants et les entreprises : les banques, et les assureurs, qui proposent des produits d’épargne aux ménages ; les sociétés de gestion d’actifs, auxquelles sont confiés les fonds collectés pour qu’elles les investissent de façon optimale ; les opérateurs de plateformes de négociation, c’est-à-dire les bourses, sur lesquelles s’échangent les titres financiers ; les chambres de compensation et les dépositaires centraux de titres qui assurent le bon dénouement des transactions, en délivrant les titres financiers contre paiement ; les fonds de capital-investissement, qui prennent des parts dans le capital d’entreprises non cotées en Bourse, souvent des PME à forte croissance ; et les autorités de supervision, qui veillent au bon fonctionnement des marchés pour protéger les investisseurs et garantir la stabilité financière.
Nous avons également rencontré les acteurs publics compétents – le directeur général du Trésor, la présidente de l’Autorité des marchés financiers, le premier sous-gouverneur de la Banque de France –, des think tanks, et de nombreux économistes et experts. Deux déplacements, à Bruxelles et à Francfort, ont permis de concrétiser la dimension européenne de nos travaux.
Le rapport d’information vise à dresser le bilan des premières réalisations de l’Union des marchés de capitaux, et à apprécier les enjeux et les limites que soulève la relance du projet sous le nom d’Union de l’épargne et de l’investissement. Il nous a conduits à formuler quarante-neuf recommandations pour améliorer l’efficacité des marchés financiers.
L’Union des marchés de capitaux a été lancée en 2014 par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Elle vise à rééquilibrer le système financier européen, qui repose aux trois quarts sur les banques, à l’inverse du système financier américain, afin d’en renforcer la résilience. Des marchés financiers plus développés doivent permettre de mieux répartir les risques entre banques et marchés, et d’offrir de nouvelles sources de financement à l’économie alors que la capacité de prêts des banques se voit réduite par des exigences de fonds propres accrues.
À l’issue d’une première décennie de mise en œuvre, qui a donné lieu à deux plans d’actions de la Commission européenne, il y a cependant peu de résultats tangibles. Certaines mesures techniques ont été saluées par les acteurs financiers, comme la création de fonds européens d’investissement de long terme (ELTIF), la simplification de la cotation en bourse par le Listing Act, ou la création d’un point d’accès unique aux informations publiées par les entreprises européennes (ESAP). Mais d’autres initiatives se sont soldées par un échec, notamment le produit paneuropéen d’épargne retraite individuel (PEPP), introduit en 2019.
S’il est encore tôt pour apprécier l’efficacité de réformes qui viennent d’entrer en vigueur, l’Union des marchés de capitaux n’a eu jusqu’ici qu’une faible incidence sur la profondeur et la liquidité des marchés financiers européens. La capitalisation boursière totale des entreprises de l’Union européenne est estimée à 12 000 Md$ quand celle des sept géants technologiques américains atteint, à elle seule, 16 300 Md$ en mai 2025. L’intégration financière se dégrade depuis 2021, le volume de détention de titres financiers transfrontaliers étant passé de 87 % à 70 % du PIB de l’Union européenne.
Selon les rapports de Mario Draghi et de Christian Noyer, la faible profondeur des marchés financiers européens compromet la bonne allocation de l’épargne des ménages avec les besoins d’investissements des entreprises, au risque de limiter la croissance et l’innovation. Les difficultés de financement des entreprises expliqueraient que près de 30 % des licornes créées en Europe aient choisi de déménager leur siège à l’étranger, principalement aux États-Unis, entre 2008 et 2021. En parallèle, le manque d’opportunités d’investissement en Europe conduit les ménages européens à exporter 20 % de leur épargne financière à l’étranger, soit un flux de 300 Md€ par an perdu pour l’économie européenne.
À l’heure où les États-Unis se replient sur eux-mêmes, où la Chine trace sa propre voie, l’Europe ne peut plus tergiverser. Elle doit se doter de ses propres leviers financiers, pleinement assumés, pour défendre son autonomie stratégique et assurer sa prospérité économique. Notre réponse à ce monde en bascule ne saurait être le repli, ni l’attentisme, mais bien une intégration renforcée au service de notre souveraineté économique.
Fidèle à son rôle de moteur de la construction européenne, notre pays a impulsé une relance ambitieuse du projet d’Union de l’épargne et de l’investissement, désormais placé au cœur de l’agenda stratégique européen. Le lancement du label Finance Europe en juin dernier par le ministre de l’économie et des finances Éric Lombard et ses homologues européens est une première pierre. Face à l’urgence économique et géopolitique, cette pierre doit devenir fondation.
Il s’agit, ni plus ni moins, que de reprendre la main sur notre avenir économique, et de mettre fin à la dépendance croissante de nos entreprises aux capitaux étrangers, en particulier américains. Quand BlackRock devient le premier gestionnaire d’actifs en Europe, devant Amundi, c’est notre capacité à orienter les investissements qui est mise en cause. Nous devons mobiliser notre plus grande force dormante, les 35 000 Md€ d’épargne privée européenne, trop souvent sous-utilisés, mal orientés, voire aspirés vers d’autres continents.
L’Union de l’épargne et de l’investissement recouvre un enjeu d’autonomie stratégique, alors que les pays européens sont sur le point de perdre la maîtrise de leurs circuits de financement. Les acteurs financiers étrangers ont considérablement accentué leur pénétration au cours des dernières années, marginalisant les acteurs européens dans leur propre espace économique. C’est notamment le cas dans la gestion d’actifs, où les parts de marché des sociétés américaines sont passées de 30 à 42 % entre 2013 et 2023. BlackRock en tête, c’est notre épargne qui traverse l’Atlantique pour financer d’autres économies, pendant que nos PME, nos start-ups et nos infrastructures manquent de capitaux.
Les gestionnaires d’actifs et les banques d’investissement américaines doivent leur succès à la profondeur de leur marché domestique, qui permet des synergies et des économies d’échelle, là où les acteurs européens doivent composer dans un environnement fragmenté. Une Europe fragmentée, ce sont des entreprises seules face à des fonds prédateurs. Une Europe intégrée, ce sont des règles communes, des outils communs, une puissance financière partagée au service de nos intérêts. Il en résultera une meilleure attention au tissu économique local, et notamment aux plus petites entreprises, qui sont souvent oubliées dans les stratégies d’investissement des gestionnaires étrangers.
À la lumière de ces défis pour notre prospérité et notre souveraineté, l’Union de l’épargne et de l’investissement a été portée au plus haut niveau politique. Sous l’impulsion du ministre de l’économie et des finances français Bruno Le Maire, elle a été inscrite à l’agenda européen dès le début de l’année 2024, et a depuis fait l’objet de déclarations fortes du Conseil européen, de la Banque centrale européenne, et de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), tout en suscitant de fortes attentes parmi les acteurs financiers.
Mais nous n’avons plus le luxe du temps long. L’idée du Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, de fixer une date limite pour l’achèvement de l’intégration des marchés financiers me semble particulièrement pertinente. Elle permettrait de fédérer les efforts des institutions publiques et des acteurs privés autour d’un cap clair, comme les Européens ont su le faire pour le passage au marché unique, le 1er janvier 1993, ou pour l’adoption de l’euro, le 1er janvier 1999.
Sur le modèle du Livre blanc de Jacques Delors, qui comprenait un ensemble de mesures destinées à unifier le marché avant l’échéance fixée, nous pourrions imaginer un Livre blanc vers un marché unique de capitaux, articulé autour de quelques actions structurantes : faire de l’ESMA le superviseur unique des marchés financiers, doté d’un pouvoir de surveillance directe sur les plateformes européennes de crypto-actifs, les principales infrastructures de marché et les gestionnaires d’actifs paneuropéens ; soutenir le développement de produits d’investissement de long terme orientés vers le financement de l’économie européenne, en déployant le label « Finance Europe » ; encourager les différents groupes boursiers à mettre en commun leur segment de marché réservé aux petites entreprises à forte croissance afin d’offrir à ces dernières une porte d’entrée unique en bourse qui leur donnerait accès à l’ensemble des investisseurs européens ; instaurer un 28e régime européen pour les jeunes entreprises innovantes, qui harmoniserait les règles d’insolvabilité et de droit des sociétés, afin de leur permettre de massifier leurs levées de fonds et de développer leurs activités à l’échelle du marché unique européen ; s’emparer, enfin, de la révolution technologique en cours et mettre en place une infrastructure de marché intégrée, fondée sur la technologie blockchain et la monnaie numérique de banque centrale, afin d’améliorer l’efficacité et la rapidité des transactions transfrontières.
Mme Sylvie Josserand, co-rapporteure. Comme l’a rappelé mon co-rapporteur, l’Union de l’épargne et de l’investissement trouve sa raison d’être dans le constat sans appel du décrochage économique de l’Europe qu’ont dressé les rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi. La France est au troisième rang des pays les plus endettés de la zone euro, derrière la Grèce et l’Italie. Les intérêts de la dette représentent 67 Md€ en 2024 et devraient atteindre 100 Md€ d’ici 2029. L’Union européenne est elle-même en déficit. Mario Draghi a évalué que les transitions écologique et numérique exigeraient de 750 à 800 Md€ supplémentaires par an.
En parallèle, la zone euro dispose des taux d’épargne des ménages les plus élevés au monde : 15,2 % en moyenne en 2024, 20 % en Allemagne et 18 % en France, contre 12 % au Royaume-Uni et 3,8 % aux États-Unis. L’épargne européenne représentait en 2024 plus de 35 500 Md€. Un flux d’épargne de 300 Md€ s’exporte chaque année vers l’étranger, en particulier vers les États-Unis. Cela s’explique notamment par la forte diffusion des ETF, des fonds indiciels, qui contribuent à orienter les financements vers les entreprises américaines.
L’épargne des Français est principalement placée dans l’immobilier et dans des produits liquides et garantis, plutôt que dans des investissements risqués et de long terme. Cela affecte la capacité des banques et des compagnies d’assurance européennes à investir dans les fonds propres des entreprises et à financer l’économie réelle.
Les PME et les ETI sont confrontées à des difficultés spécifiques. Le cadre prudentiel issu des accords de Bâle III limite les prêts aux petites entreprises, entraînant un resserrement du crédit bancaire dans certains secteurs. Autrement dit, les petites entreprises n’ont pas accès aux banques. D’autre part, la faiblesse de la liquidité sur les marchés financiers empêche les investisseurs de revendre leurs participations dans les PME ou les ETI, ce qui limite leur attractivité. Les petites entreprises renoncent souvent à se faire coter, car l’introduction en Bourse exige un processus coûteux – rappelons que 95 à 99 % des entreprises ne sont pas cotées en Bourse. Quant aux entreprises cotées, 761 en 2024, 839 en 2021. En 2024, la place de Paris n’a connu que 7 nouvelles cotations pour 50 sorties de la cote.
L’objectif de l’Union de l’épargne et de l’investissement est de diriger l’importante épargne européenne vers l’investissement en Europe. Cela doit permettre, à tout le moins sur le papier, d’apporter des financements aux entreprises, notamment aux PME, aux start-ups et aux scale-ups, pour qu’elles puissent réaliser leur développement en Europe. La fragmentation des marchés européens conduit à ce que l’allocation de l’épargne et de l’investissement se fasse sur une base nationale. Autrement dit, les épargnants investissent rarement au-delà des frontières de leur pays.
Pour ma part, je considère que l’Union de l’épargne et de l’investissement est une illusion, une sorte de miroir aux alouettes. La première raison en est l’absence de projections économiques. Il est regrettable qu’aucune étude d’impact sur le projet d’Union des marchés de capitaux n’ait été mise en œuvre. L’Union de l’épargne et de l’investissement est souvent présentée comme la solution miracle aux problèmes de financement européens, sans que cette hypothèse ne soit étayée par des chiffrages solides. Nous avons demandé aux auditionnés s’ils disposaient de projections économiques, mais la réponse a toujours été la même : il n’y a pas d’estimation car ce sont les marchés qui auront le dernier mot.
L’Union de l’épargne et de l’investissement semble illusoire pour une seconde raison : la faible rentabilité des investissements financiers dans la zone euro, aussi bien en actions qu’en obligations, qui s’explique par la faible croissance européenne. Il faut rappeler la faiblesse du secteur industriel français, qui ne représente que 17 % du PIB, contre 27 % en Allemagne. C’est le bon projet qui suscite le financement, nous a-t-on dit, et non l’inverse.
Ainsi, la cause essentielle de l’exportation de l’épargne européenne vers le reste du monde ne tiendrait pas tant à la fragmentation des marchés financiers européens qu’aux faibles perspectives de croissance des entreprises européennes. Ce contexte économique dépressif limite les projets des entreprises, et partant les opportunités d’investissement pour les épargnants. Dès lors que l’économie américaine offre des rendements plus élevés, il est dans l’intérêt des ménages européens d’y placer leur argent, et le devoir fiduciaire des intermédiaires financiers les y conduit logiquement, comme l’ont exposé plusieurs compagnies d’assurances auditionnées. La fuite des capitaux vers l’étranger est encore accentuée par l’univers de taux bas qui prévaut en Europe.
Ce miroir aux alouettes n’est pas sans risque, notamment sur le plan économique. Pour justifier l’Union de l’épargne et de l’investissement, ses partisans exposent qu’il existe un enjeu d’autonomie stratégique puisque les pays européens seraient en train de perdre la maîtrise de leurs circuits de financement. Les acteurs américains risquent cependant de profiter des nouvelles opportunités d’investissement pour gagner en Europe de nouvelles parts de marché. Dans la gestion d’actifs, les parts des sociétés américaines en Europe atteignent 42 % en 2023, contre 30 % il y a dix ans. Par comparaison, les parts de marché des gestionnaires d’actifs européens ne représentent que 2 % aux États-Unis.
Il faut cesser d’être naïfs et restreindre l’ouverture de l’Union européenne sur l’extérieur afin d’empêcher que l’Union des marchés de capitaux ne favorise encore davantage la vampirisation de nos actifs stratégiques par des fonds étrangers. Je préconise donc de renforcer les mécanismes de filtrage des investissements étrangers, en fonction de leur volume et des secteurs dans lesquels ils s’opèrent.
L’Union des marchés de capitaux suscite également des réserves sur le plan politique. C’est notamment le cas des petits pays d’Europe de l’Est, qui craignent que le qui craignent que le mouvement de concentration des services financiers qui en résulterait se fasse au détriment de leur marché national. Ils souhaitent, au contraire, développer leurs circuits de financement nationaux en conservant sur leur territoire des infrastructures de marché souveraines. Le sujet se heurte également aux réticences de l’Irlande et du Luxembourg, qui ont fait de la souplesse de leur supervision et de leur faible fiscalité des arguments d’attractivité auprès des investisseurs étrangers. Ils sont particulièrement hostiles à une harmonisation de la fiscalité ou des pratiques de supervision qui iraient à l’encontre de leur dumping réglementaire.
La refonte de l’architecture financière de l’Union européenne créera des perdants et des gagnants, comme la mondialisation dans les années 1990. Or, ces inévitables effets redistributifs demeurent l’un des grands impensés de l’Union de l’épargne et de l’investissement.
Pour ce qui est de la France, certains auditionnés nous ont exposé que l’approfondissement des marchés financiers européens permettrait de renforcer la place financière de Paris et de soutenir la croissance de l’industrie financière – même s’il faut déplorer, là encore, l’absence de projections précises. Il n’est cependant pas certain que les entreprises françaises puissent profiter de cet afflux de capitaux, si les gestionnaires d’actifs préfèrent investir à la périphérie de l’Union européenne, dans des économies en rattrapage à plus fort taux de croissance.
Aussi m’apparaît-il nécessaire d’adopter des garde-fous pour préserver le financement du tissu économique national face à la compétition accrue qui s’annonce. J’invite notamment à flécher l’épargne française vers l’économie productive nationale dans une certaine proportion, ainsi qu’à mettre en place un fonds souverain.
M. Pierre Pribetich (SOC). Je voudrais tout d’abord féliciter les co-rapporteurs, qui ont réussi, en 129 pages, à faire le tour d’un sujet aigu et ardu. J’ai un problème entre la page 106 et 116, sur la partie qui concerne la titrisation. À la page 113, nous lisons : « Le rapporteur Daniel Labaronne souligne que la révision du cadre applicable à la titrisation, première mesure de l’agenda de l’Union de l’épargne et de l’investissement, enverrait un signal fort aux investisseurs européens et internationaux. » Il est en effet nécessaire de réviser le règlement sur la titrisation pour alléger les charges de déclaration et de vérification qui pèsent sur les émetteurs et les investisseurs. Mais cette simplification ne doit pas se faire au détriment de la transparence, qui constitue la pierre angulaire de la confiance dans les marchés financiers.
La titrisation a été au cœur de la crise financière de 2008 – étant alors député européen, j’en ai été directement témoin. À cette époque-là, la titrisation pâtissait d’une grande opacité. Les produits titrisés, notamment les titres adossés à un panier de prêts hypothécaires, étaient structurés de façon très complexe, avec des expositions parfois maquillées, ce qui rendait difficile pour les investisseurs l’évaluation des risques associés.
L’effondrement procède des défauts sur les prêts hypothécaires risqués qu’étaient les subprimes. Quand le marché de l’immobiliser s’est affaissé, et que les taux d’intérêt ont commencé à augmenter, de nombreux emprunteurs se sont trouvés dans l’incapacité de rembourser leur prêt. La titrisation a permis la propagation du risque lié aux subprimes à travers le système financier mondial, qui ne disposait à l’époque d’aucun garde-fou pour l’arrêter. Lorsque les défauts se sont multipliés sur les prêts sous-jacents, les pertes se sont propagées à tous les détenteurs des produits titrisés, affectant l’ensemble des institutions financières. S’est ensuivie une perte de confiance dans un système financier, sans doute à bout de souffle, qui n’avait pas su mettre en place les barrières nécessaires.
Vous formulez plusieurs recommandations pour relancer la titrisation, notamment la n° 47 qui propose de réviser le règlement sur la titrisation pour alléger et simplifier les charges de déclaration et de vérification. Si l’intention peut être bonne, le diable est dans les détails. Vous expliquez qu’il faut garantir la souplesse nécessaire pour que la titrisation favorise l’investissement dans le tissu économique, et notamment les PME. Le système est peut-être cadenassé par des règlements féroces. Mais, si nous le déverrouillons, quels garde-fous permettront de limiter la propagation du risque ? Quels mécanismes sont prévus pour ne pas retomber dans les errements qui ont conduit à la crise de 2008 ?
Mme Sylvie Josserand, co-rapporteure. Avant d’aborder ce thème, j’avais une perception similaire de la titrisation, marquée par le souvenir parfait de la crise des subprimes en 2008. L’étude approfondie du sujet, ainsi que les auditions d’acteurs du secteur financier, m’a permis de mieux comprendre le mécanisme et de constater qu’il était fait à la titrisation un mauvais procès. En Europe, nous n’avons en effet pas connu les mêmes dérives qu’aux États-Unis.
La titrisation permet d’alléger le bilan des banques et leur offre ainsi la possibilité d’accorder davantage de prêts aux petites et moyennes entreprises, ce que nous recherchons. Vous insistez sur la propagation des risques. Mais entre 2008 et 2013, le taux de perte moyen sur les titrisations européennes n’a été que de 1 %, contre 17 % aux États-Unis. Cette différence s’explique par le fait que nous disposions en Europe d’outils précis et efficaces pour juguler le risque.
La titrisation que nous soutenons aujourd’hui est fondamentalement différente de celle de 2007-2008. Alors qu’avant la crise, les banques pouvaient transférer intégralement le risque à d’autres acteurs, elles ont désormais l’obligation d’en conserver une partie dans leur bilan. Si votre question est tout à fait légitime compte tenu de ce qui s’est produit aux États-Unis, l’Europe ne devrait pas connaître de telles difficultés grâce aux garanties spécifiques que nous avons mises en place.
Mon co-rapporteur et moi-même partageons la conviction qu’il faut élargir le marché européen de la titrisation, qui est aujourd’hui dix fois plus petit que celui des États-Unis. Ce serait un levier important pour permettre aux banques de financer davantage les petites et moyennes entreprises.
M. Pierre Pribetich (SOC). Mais quels sont les garde-fous qui permettront d’éviter la propagation du risque à l’ensemble du système financier ? Vous avez raison de rappeler la différence de réglementation entre les États-Unis et l’Europe, qui s’est traduite par des taux de perte moyens sans commune mesure. Je reconnais qu’un cadre réglementaire trop rigide est contre-productif, mais jusqu’où aller si nous choisissons de le déverrouiller ? Vous affirmez qu’il n’y aura pas de problème. Les acteurs français qui conçoivent ces produits ne sont cependant pas tous aussi certains de maîtriser complètement la propagation du risque.
M. Daniel Labaronne, co-rapporteur. Nous sommes favorables à un allègement ciblé et maîtrisé du cadre prudentiel, afin que les exigences de fonds propres imposées aux banques soient davantage proportionnées à la réalité des risques. Vous avez néanmoins raison, il faut des garde-fous.
Nous souhaitons conserver l’esprit des règles instaurées après la crise financière de 2008, en particulier sur deux points. Premièrement, l’interdiction de la re-titrisation. Deuxièmement, l’obligation pour les banques de conserver une part du risque dans leur portefeuille, afin d’aligner leurs intérêts avec ceux des investisseurs qui achètent les produits titrisés, là où les banques américaines avaient transféré entièrement leurs risques à d’autres acteurs lors de la crise des subprimes. Avec ces deux dispositions, nous pourrons introduire de la souplesse, mais dans un cadre sécurisé, de manière à prévenir les risques d’emballement qui pourraient résulter d’une titrisation mal maîtrisée.
Je rappelle par ailleurs que, depuis 2008, il n’est plus possible d’intégrer n’importe quoi dans les paniers d’actifs sur lesquels s’assoit la titrisation. La grande difficulté qui a entraîné la crise des subprimes était que les titrisations embarquaient une multitude d’actifs dont plus personne n’était capable d’identifier l’origine ni les caractéristiques.
Mme Manon Bouquin (RN). Le projet d’Union des marchés des capitaux ressurgit après des années de silence, dans un contexte où les dettes publiques atteignent des sommets historiques partout en Europe. La France est désormais endettée à hauteur de 3 300 Md€, soit 114 % du PIB, auxquels il faut ajouter la dette de l’Union européenne, qui devrait atteindre 1 000 Md€ en 2026.
La temporalité n’est pas anodine. Le sujet refait surface alors que les États n’ont plus les moyens d’investir dans des domaines cruciaux comme la défense, ou le numérique. Face à cette situation, l’Union des marchés des capitaux est présentée par la Commission européenne comme la solution miracle : celle qui permettrait de démultiplier la mobilisation de l’épargne pour l’investissement en Europe afin de lever des freins à la croissance.
C’est oublier un peu vite les véritables causes du décrochage : un déficit chronique de compétitivité, l’écrasement des entreprises sous les normes, et surtout, l’absence de stratégie industrielle. Comme d’habitude, la Commission européenne se contente d’assigner avec optimisme de vagues objectifs généraux, qui ne sont en vérité que des espérances, sans s’occuper ni des moyens, ni de la méthode pour les atteindre.
Le directeur général du Trésor et la présidente de l’Autorité des marchés financiers reconnaissent eux-mêmes que ce projet est incertain dans ses effets et conserve une dimension de pari. Un pari dont nous ignorons la mise, car comme le soulignent les rapporteurs, ni les volumes de capitaux mobilisables, ni leur répartition future entre les États membres n’ont fait l’objet d’estimations précises. Réaliser un tel chiffrage obligerait en effet la Commission à clarifier ses projets.
La profondeur des marchés financiers américains repose sur la collecte de l’épargne retraite par des fonds de pension géants. Autrement dit, le corollaire naturel de l’Union des capitaux est l’instauration de la retraite par capitalisation. À défaut, elle conduira à accélérer la vampirisation de notre économie par des fonds d’investissement étrangers, comme l’a souligné Mme Josserand. Notre impuissance perdurera tant que les États se refuseront à reprendre le pilotage de la politique industrielle.
Ce projet de la Commission européenne ne lève pas davantage les obstacles à la prise de risque qui résultent de la réglementation européenne et qui ont pour effet d’orienter les capitaux vers le financement des dettes publiques, au détriment de l’activité économique. La solution à ce problème ne peut venir d’une fictive union financière européenne, ni du transfert des compétences de supervision des marchés financiers à une autorité européenne. Ce n’est pas d’un manque d’intégration européenne que souffre l’investissement en France et en Europe, mais d’un manque de souveraineté et de responsabilité des États membres.
M. Daniel Labaronne, co-rapporteur. Je suis convaincu que l’Union de l’épargne et l’investissement est nécessaire pour renforcer la compétitivité des entreprises, en leur permettant de trouver des fonds propres pour financer leur développement et l’innovation. C’est aussi un moyen pour assurer aux épargnants européens des rendements plus élevés qu’à l’heure actuelle. En France, songez que 1 000 Md€ d’épargne sont placés sur des produits réglementés ; 2 000 Md€ sur des assurances vies, en fonds euros ; et enfin, 1 000 Md€ sur des comptes bancaires non rémunérés. En tout, ce sont 4 000 Md€ qui ne financent pas véritablement l’économie réelle, si ce n’est de façon indirecte, empêchant les épargnants de disposer de revenus plus importants du placement de leur épargne.
Permettez-moi une parenthèse plus personnelle, qui explique ma conviction fondamentale sur l’Union de l’épargne et de l’investissement. Il se trouve que l’un de mes petits-fils est atteint d’une maladie rare. J’ai lu, il y a quelques jours, dans Les Échos, un article intitulé « Thérapies géniques : la France actionne enfin sa force de frappe ». Un paragraphe m’a particulièrement touché : « La France avait été pionnière des thérapies géniques en 1999 avec les bébés bulles. Mais depuis, faute de moyens pour financer les essais cliniques et l’industrialisation, aucun acteur français n’a mis une thérapie génique sur le marché ».
Pour moi, l’Union de l’épargne et de l’investissement est le moyen de permettre aux start-ups innovantes qui existent en France, non seulement dans les thérapies géniques mais dans bien d’autres domaines, de trouver des financements pour réaliser de l’innovation, de la recherche, et engager ensuite un processus d’industrialisation. Il est sans doute trop tard pour mon petit-fils, mais je le souhaite pour les enfants à venir, dont la thérapie génique pourrait prévenir la maladie.
Ma conviction se situe à ce niveau-là : renforçons notre compétitivité, permettons aux entreprises de disposer de fonds propres pour innover, et faisons en sorte que l’épargne des épargnants soit mieux rémunérée.
Mme Sylvie Josserand, co-rapporteure. Il est vrai que les 35 000 Md€ d'épargne européenne constituent un trésor sur lequel l’Union européenne ne peut que lorgner, d’autant plus que sa dette atteint elle-même plus de 580 Md€ aux derniers chiffres de 2024.
Une plus grande profondeur des marchés permettrait sur le papier, comme mon collègue Daniel Labaronne vient de l’expliquer, de développer des projets d’investissement, notamment dans la recherche, en matière numérique, de transition verte, et maintenant de défense.
Il ne faut cependant pas être naïf. L’ouverture des marchés profitera également à d’autres acteurs, plus forts que nous, qui viendront prendre leur part. Les circuits financiers risquent de nous échapper. L’ESMA nous privera de la maîtrise des décisions : au fur et à mesure que l’autorité européenne verra ses pouvoirs grandir, les compétences des régulateurs nationaux diminueront, ce qui nous expose à une perte de souveraineté. L’ESMA, cela signifie également plus de normes, alors que nous souffrons déjà de leur inflation.
Tout cela sera contreproductif à mon sens, d’autant plus que notre outil industriel est en déclin. C’est la question de la poule et de l’œuf : est-il possible d’attirer les capitaux vers des projets en devenir, ou les capitaux viendront car les projets sont déjà solides ? Un investisseur responsable s’oriente vers des projets aboutis, les plus à même de lui assurer des bénéfices.
Mme Céline Calvez (EPR). Comme vous le soulignez, l’Union des marchés de capitaux n’a pas rempli toutes ses promesses. L’Union de l’épargne et de l’investissement vise à orienter les milliers de milliards d’épargne insuffisamment utilisés vers l’investissement à long terme, pour répondre aux besoins de fonds propres des entreprises. Il s’agit donc de faire se rejoindre l’offre et la demande de capitaux, avec un renforcement de la supervision européenne et une relance de la titrisation. Vous aboutissez à une cinquantaine de recommandations, dont certaines sont communes et d’autres portées à titre personnel. Je reviendrai sur trois d’entre elles.
La recommandation n° 10 encourage à développer l’éducation économique, budgétaire et financière. C’est en effet un enjeu important, auquel je suis d’autant plus attentive en tant que vice-présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Pour autant, l’éducation n’est pas une compétence pleine de l’Union européenne. Est-ce qu’il faudrait accorder davantage de pouvoirs au niveau européen en la matière ?
La recommandation n° 20 de M. Daniel Labaronne, préconise d’accélérer la mise en place du label « Finance Europe ». C’est, en effet, une initiative très intéressante. Concrètement, comment faire pour que les produits labellisés assurent de bons rendements tout en fléchant l’investissement vers les entreprises européennes, quelle que soit leur taille ?
Vous proposez, enfin, de mettre en place un vingt-huitième régime européen pour les start-ups et les scale-ups. En quoi consiste-t-il ? Quel est le calendrier envisagé ? En quoi sera-t-il particulièrement intéressant pour la France ?
À l’heure où nous devons nous battre pour notre compétitivité, comme l’a souligné le rapport Draghi, votre rapport contribue à identifier les leviers de financement possibles, pour l’intelligence artificielle, la recherche, et bien d’autres domaines. L’Union de l’épargne et de l’investissement doit permettre de préserver notre santé, notre avenir, et notre souveraineté.
Mme Sylvie Josserand, co-rapporteure. S’agissant de l’éducation économique et financière que nous recommandons, force est de constater la très grande ignorance des épargnants français, et européens en général, de ce qu’est la chaine d’investissement. Cela les prive de possibilités de rendements élevés. Le private equity, ou capital-investissement, offre des rendements très importants, près de 14 % sur les dix dernières années contre 10 % pour les indices CAC 40. Pourtant, les ménages les moins aisés n’investissent pas dans cette voie, préférant laisser leur épargne sur des comptes peu rémunérateurs. L’éducation financière permettrait d’ouvrir les horizons des épargnants, tout en favorisant le financement des entreprises qui ne sont pas cotées en Bourse. Ce serait donc gagnant-gagnant.
Concernant le label, je considère que c’est un bel emballage mais qu’il ne garantira pas le déploiement effectif des financements vers l’investissement, comme l’a démontré l’échec cuisant du PEPP.
Je ne partage pas la recommandation tendant à l’instauration d’un 28e régime qui s’ajouterait aux 27 régimes en vigueur dans les États membres, à défaut de pouvoir les harmoniser. Je crains que ce régime ne soit qu’un plus petit commun dénominateur en matière de droit des faillites ou de droit du travail, un régime low cost qui ne protège pas les travailleurs. C’est pourquoi je n’y suis pas favorable.
M. Daniel Labaronne, co-rapporteur. S’agissant de l’éducation économique et financière, toutes les personnes que nous avons auditionnées ont mis l’accent sur une méconnaissance de la part du grand public de leurs intérêts financiers et des mécanismes économiques en général. Les 4 000 Md€ d’épargne française que j’évoquais tout à l’heure ne rapportent pas grand-chose à leurs détenteurs. Il y a cependant eu de premiers progrès en la matière, notamment grâce à l’actionnariat salarié qui permet aux travailleurs de s’approprier certaines notions.
Le plan d’épargne retraite (PER) que nous avons mis en place, dans le cadre de la loi Pacte de 2019 portée par Bruno Le Maire, constitue également une avancée : simple et efficace, il permet d’obtenir des rendements intéressants, tout en invitant les ayants droit à être plus attentifs à la performance de leur portefeuille. Il serait un bon candidat pour le label « Finance Europe ».
Sur la question du label, je suis favorable à ce que les pays qui veulent aller de l’avant se rassemblent pour mettre en place des dispositifs qui permettent à la fois d’apporter des fonds propres pour leurs entreprises et de mieux rémunérer l’épargne. Le cas de l’euro illustre bien cette possibilité, puisque tous les États membres de l’Union européenne ne sont pas membres de la zone euro – je salue sa prochaine adoption par la Bulgarie, qui deviendra le 21e pays de la zone euro.
S’agissant du 28e régime, nous n’arriverons jamais à trouver des compromis avec toutes les réglementations et législations existantes dans les vingt-sept États membres de l’Union européenne. Il faudrait créer un régime ex nihilo, qui ne serait pas forcément le plus petit des communs dénominateurs, mais qui intègre toutes les innovations juridiques, du droit des sociétés au droit du travail, en passant par les régimes fiscaux. Le but serait d’obtenir un régime qui soit à la fois adapté à la modernité de notre époque et à même de dépasser tous les clivages juridiques et fiscaux à l’origine de la fragmentation.
Je suis par ailleurs partisan d’un renforcement de l’ESMA. De même qu’il existe un superviseur unique dans le domaine bancaire, il est possible d’imaginer qu’un superviseur européen surveille les plateformes de blockchain, les infrastructures de marché européennes, ou encore les grands gestionnaires d’actifs. Le gestionnaire d’actifs français Amundi doit interagir avec vingt-sept superviseurs différents au sein de l’Union européenne, ce qui est à la fois complexe et coûteux, notamment en frais de gestion. Si Amundi n’était supervisé que par une seule autorité, nous gagnerions en efficacité et en compétitivité, au profit des épargnants. Les superviseurs nationaux, comme la présidente de l’AMF l’avait suggéré lors de son audition, pourraient s’occuper de la supervision des établissements de petite ou de moyenne taille et accepter de ne plus superviser les grandes structures qui opèrent à l’échelle européenne. Cela fonctionne bien dans le domaine bancaire ; pourquoi ne pas imaginer une telle architecture pour les marchés de capitaux ?
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Je partage la position de Daniel Labaronne. Le renforcement de la supervision européenne est fondamental : c’est la clé qui permettra de déverrouiller l’intégration des marchés de capitaux. Il me semble en effet pertinent de s’inspirer de l’approche qui a conduit à l’adoption de la monnaie unique. Le statu quo n’est pas satisfaisant et contribue à nourrir un certain nombre de discours anti-européens. Nous devons réaliser un saut d’intégration, en déléguant des compétences au niveau européen, et j’espère que la France continuera d’en être motrice.
La commission a autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.
M. Laurent Mazaury, président. Je vous remercie pour la qualité de ces échanges transpartisans. La commission des affaires européennes reprendra ses travaux en septembre.
La séance est levée à 16 heures 00.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Céline Calvez, Mme Sylvie Josserand, M. Daniel Labaronne, M. Jean Laussucq, Mme Constance Le Grip, M. Laurent Mazaury, M. Pierre Pribetich, M. Charles Sitzenstuhl
Excusés. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Liliana Tanguy
Assistait également à la réunion. - Mme Manon Bouquin