Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle (n° 118) (Mme Virginie Duby‑Muller et M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteurs) 2
– Présences en réunion..............................36
Mardi
1er avril 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 44
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission examine la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle (n° 118) (Mme Virginie Duby-Muller et M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteurs).
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. En mai 2024, notre commission a déjà examiné la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle ; la dissolution de l’Assemblée avait empêché son examen en séance publique.
Nous devions l’examiner de nouveau au début du mois de décembre 2024. C’est pourquoi, à l’automne, nous avons désigné Mme Virginie Duby-Muller et M. Jérémie Patrier-Leitus comme rapporteurs. La censure du gouvernement de Michel Barnier a été votée quelques jours avant son examen. Nous reprenons donc ce dossier où nous l’avions laissé.
Ce projet de réforme majeur est susceptible de transformer en profondeur le service public de l’audiovisuel. Les équipes de France Télévisions, de Radio France, de France Médias Monde (FMM) et de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) ont déposé des préavis de grève hier et aujourd’hui.
Par ailleurs, certains collègues avaient demandé que le texte soit assorti d’une étude d’impact afin d’obtenir une analyse plus détaillée des conséquences concrètes de la création d’une holding. J’ai partagé avec l’ensemble des membres de cette commission le document que le ministère m’a transmis. S’il vient éclairer quelques points, la partie consacrée aux impacts de la réforme est très succincte.
Enfin, je regrette que les conclusions de la mission confiée à Mme Bloch sur l’accompagnement de la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public ne soient attendues qu’en juin. Il aurait été préférable que la représentation nationale puisse débattre de ce texte en ayant connaissance de l’ensemble des éléments d’évaluation.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Ce texte important et nécessaire pour l’avenir de l’audiovisuel public et de notre souveraineté audiovisuelle a été adopté au Sénat il y a maintenant deux ans. Avec ma collègue Virginie Duby-Muller, nous remercions le président de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, Laurent Lafon, et nos collègues sénateurs pour la qualité de leur travail.
L’an dernier, notre commission adoptait cette proposition de loi, dont l’examen n’a pu se prolonger en séance en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale. Pour certains d’entre vous, ce texte arrive trop tôt, il n’est pas la priorité ; pour d’autres, il arrive trop tard. Or nous ne pouvons plus attendre. Cela fait maintenant dix ans que cette réforme fait l’objet d’une réflexion ; elle est aujourd’hui arrivée à maturité, son examen ne peut plus être décalé, suspendu ou reporté.
Nous entendons l’inquiétude des salariés, elle est légitime et compréhensible, dans la mesure où nous souhaitons modifier leur outil de travail. Mais l’audiovisuel public est d’abord l’outil de tous les Français et c’est à nous, législateurs, que revient la tâche de définir ses missions et son organisation.
Dix ans de réflexion, d’atermoiements, de revirements puisque le premier rapport d’information parlementaire appelant à la création de France Médias en trois étapes, de nos collègues sénateurs André Gattolin, alors membre du groupe écologiste – solidarité et territoires, et Jean-Pierre Leleux, membre des Républicains, date de 2015. Je vous épargnerai la litanie des différentes missions et rapports sur ce sujet pour ne citer que l’un des derniers, le rapport d’information sur l’avenir de l’audiovisuel public de Quentin Bataillon et de Jean-Jacques Gaultier.
Cela fait donc dix ans que le Parlement réfléchit, en lien avec les ministres chargés de la culture successifs, à l’avenir de notre audiovisuel public. Nous sommes heureux, quelles que soient nos positions ou nos sensibilités, que, cette semaine en commission et la semaine prochaine dans l’hémicycle, les députés puissent s’exprimer et délibérer sur cet enjeu majeur pour notre démocratie. L’audiovisuel public est l’un de nos biens publics les plus précieux, un pilier de notre démocratie et un modèle auquel nous sommes collectivement attachés et que nous devons préserver et défendre.
Dans un contexte de guerre informationnelle et de désinformation, ce modèle fait face à des fragilités et à des défis importants. Le développement des réseaux sociaux, l’arrivée des plateformes bouleversent depuis des années les pratiques informationnelles et les usages quotidiens, induisant des risques démocratiques que nous connaissons tous. Face à ces défis, que pouvons-nous faire ? Que devons-nous faire pour protéger et pérenniser un audiovisuel public de qualité au service de tous les Français ? Nous sommes convaincus que le statu quo n’est pas tenable, qu’il conduirait, à moyen terme, à fragiliser les acteurs de l’audiovisuel public.
Au-delà de nos étiquettes et des clivages partisans, nous devons garantir un audiovisuel public puissant car il y va de notre souveraineté et de notre indépendance. Pour atteindre cet objectif, chacun défend une vision, des méthodes et des solutions différentes. Certains d’entre vous souhaitent un audiovisuel public qui se limiterait à quelques chaînes et fréquences, quand d’autres défendent le statu quo et donc le morcellement des acteurs. Si nous avons une autre vision de l’organisation de notre audiovisuel public, nous devons ensemble le renforcer et défendre notre indépendance et notre souveraineté.
Au fil des échanges nourris que nous avons eus et des auditions approfondies que nous avons menées, nous nous sommes forgés une conviction : l’audiovisuel public doit rassembler ses forces, s’unir pour faire face aux défis auxquels il est confronté et aux menaces qui pèsent sur lui. Le morcellement des acteurs conduira inévitablement et durablement à son affaissement et à sa fragilisation.
Croire en l’audiovisuel public, à son avenir, en ses journalistes, en ses techniciens, en ses salariés qui ont le service public et l’intérêt général chevillés au corps, c’est admettre, dans la guerre de l’information que nous connaissons, qu’il est impératif et urgent pour les groupes publics de dessiner un avenir en commun, de bâtir une stratégie et une vision communes, d’affronter ensemble les défis immenses qui sont devant nous et qui peuvent à terme conduire à la marginalisation, voire à la disparition de l’audiovisuel public.
Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure. Nous sommes convaincus qu’il est nécessaire d’opérer des synergies, des rapprochements et des mutualisations. Parmi les nombreux rapports qui en ont fait la démonstration, le rapport d’information sur l’avenir de l’audiovisuel public de Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gautier ainsi que le rapport de l’Inspection générale des finances du mois de mars 2024, ont contribué à notre réflexion. Les auteurs de ces rapports soutenaient notamment que le renforcement des coopérations entre les entreprises de l’audiovisuel public sur l’information, la proximité, le numérique était indispensable à la préservation d’une offre de qualité, à même de concurrencer les grandes plateformes.
Trop centré sur le linéaire, l’audiovisuel public peine désormais à capter l’attention des jeunes générations. Les audiences sont vieillissantes. En 2023, 60 % des téléspectateurs de France Télévisions avaient plus de 65 ans. Il en est de même à Radio France où la part des plus de 65 ans est plus importante que la moyenne de l’ensemble du média radio. Pour séduire les jeunes, l’audiovisuel public a commencé à engager sa nécessaire plateformisation. Il faut agir plus vite et plus fort. Pour cela, les coopérations entre les organismes du service public sont nécessaires. Elles ne visent pas à détruire ce qui fonctionne, comme on a pu le lire de façon caricaturale, mais, au contraire, à créer des ponts.
Les deux projets phares de coopération entre Radio France et France Télévisions, France Info et Ici, peinent encore à trouver leur identité et leur audience. Ils souffrent de retard dans leur développement, d’atermoiements, dont la principale cause réside dans le fait que ces sociétés ont des intérêts sociaux distincts. Nous devons aider l’audiovisuel public à surmonter ces blocages, dans l’intérêt de tous, y compris des salariés. Pour ce faire, nous devons, pour reprendre l’expression de Roch-Olivier Maistre, ancien président de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), « mettre un pilote dans l’avion ».
Une présidence commune exécutive, qui permettra un pilotage stratégique unifié, est indispensable. Nous souhaitons que France Médias Monde participe à ce projet ambitieux. Cette société aurait tout à y gagner, et il ne serait nullement porté atteinte à son identité et à ses missions. Pourquoi devrions-nous avoir peur de voir disparaître France 24 ou RFI ? Pensez-vous sérieusement qu’à l’heure où la guerre de l’information fait rage, la France aurait intérêt à se priver de l’un de ses plus grands atouts stratégiques ? Les moyens de l’audiovisuel extérieur doivent être sanctuarisés et renforcés.
L’idée que son intégration à la holding entraînerait, à moyen terme, sa disparition, est une vue de l’esprit. France Médias n’aura pas vocation à traiter uniquement l’actualité nationale. Au contraire, France Télévisions et Radio France ont déjà une grande expertise en matière d’information internationale, et les publics de France 24 et RFI consomment déjà leurs contenus. Le manque de coordination entre l’audiovisuel public et France Médias Monde en matière de formation et en ce qui concerne les réseaux de correspondants à l’étranger, est préjudiciable au développement de l’influence française dans le monde. Notre crainte est que la mise à l’écart de France Médias Monde entraîne une marginalisation durable de cette société. De nombreux amendements ont été déposés pour exclure l’audiovisuel extérieur du périmètre de la holding, nous aurons donc l’occasion d’en débattre.
Enfin, le but de cette réforme n’est pas de faire des économies de moyens, mais plutôt d’adapter l’offre de l’audiovisuel public à notre époque.
Le chapitre II, qui vise à préserver notre souveraineté audiovisuelle, traite de sujets variés. Parmi ses douze articles, six figuraient dans la proposition de loi initiale et six ont été insérés lors de l’examen du texte au Sénat.
L’article 10 concerne les événements sportifs d’importance majeure. L’article 11 est relatif aux services d’intérêt général. L’article 11 bis A traite de la part minimale d’investissement consacré à l’information. L’article 11 bis concerne la modernisation de la plateforme TNT (télévision numérique terrestre) et l’expérimentation de l’ultra-haute définition (UHD), dont le développement est prévu par l’article 14 bis. L’article 11 ter prévoit l’obligation de reprise du signal du service public audiovisuel par les services distribués par contournement. L’article 12 concerne l’éventuelle réduction de la durée de détention d’une fréquence d’une chaîne de la TNT avant d’autoriser le changement de contrôle du titulaire de cette chaîne. L’article 12 bis détermine les principes des mesures d’audience par des organismes tiers. L’article 13 modifie le champ de définition de la production audiovisuelle indépendante. L’article 13 bis autorise une troisième coupure publicitaire dans les œuvres audiovisuelles et cinématographiques de plus de deux heures. L’article 14 encadre le déploiement de la technologie HbbTV (hybrid broadcast broadband TV), permettant une modernisation de la TNT. L’article 15 est relatif au développement de la radio numérique terrestre.
Nous sommes favorables à la suppression de plusieurs de ces articles et au maintien de quelques autres, à condition qu’ils soient amendés.
Le gouvernement souhaiterait la suppression de l’ensemble de ces douze articles et le report de leur examen dans le cadre d’un prochain projet de loi comportant des dispositions tendant à adapter le régime juridique applicable aux services de télévision et de radio. Ce texte reprendrait certaines conclusions des travaux des états généraux de l’information (EGI).
Nous sommes cependant attachés à la préservation de certaines dispositions qui ne sont pas nécessairement compatibles avec les EGI, notamment concernant le déploiement de la technologie UHD et du DAB+ (Digital Audio Broadcasting).
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Nous formons le vœu que nos débats soient vigoureux mais respectueux. Dans la confrontation de nos positions et de nos arguments, salutaire en démocratie, ne perdons pas de vue que nous avons un objectif commun essentiel, celui de renforcer notre audiovisuel public. Nous avons à examiner de nombreux amendements ; je regrette que certains collègues fassent de l’obstruction parlementaire. J’espère que nous pourrons achever l’examen du texte.
M. Bruno Fuchs, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. La commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis des articles 1er à 5 et de l’article 8, qui prévoient la création d’une holding regroupant les sociétés France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’Institut national de l’audiovisuel et chargée de définir les orientations stratégiques.
L’intégration de France Médias Monde dans la holding France Médias a fait l’objet d’un débat au sein de la commission. En effet, cette société fonctionne selon des modalités spécifiques et joue un rôle différent de celui de France Télévisions ou de Radio France. Il n’est pas opportun pour certains et il est prématuré pour d’autres d’intégrer France Médias Monde dans le périmètre de France Médias. L’influence de notre pays dans le monde est constamment contestée, naguère par les autocraties et, désormais, par certains de nos alliés.
France Médias Monde est le parent pauvre de l’audiovisuel public avec un budget de 303 millions d’euros sur un total de 4 milliards. Nous devons être certains que l’inclusion de France Médias Monde dans la holding permettrait de mieux représenter la France dans le monde, de mieux déployer sa stratégie, de mieux étendre son influence.
Votre commission n’avait pas opté de manière franche et claire, le 15 mai 2024, pour une inclusion de FMM dans la holding France Médias. Consolider notre présence médiatique à l’étranger est un impératif. C’est pourquoi j’ai déposé quelques amendements visant à exclure FMM du champ de la proposition de loi. En reconnaissant la spécificité du visage médiatique de la France à l’étranger, nous envoyons un message clair aux parties prenantes sur l’importance pour la France de rayonner sur le plan international. Nos médias internationaux doivent bénéficier d’un modèle juridique, financier et éditorial spécifique à leurs besoins.
Je vous invite à vous prononcer en faveur du maintien de l’autonomie de France Médias Monde.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Je remercie les rapporteurs actuels, ainsi que leurs prédécesseurs – Fabienne Colboc, Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon – pour leur travail clair, précis et responsable.
L’audiovisuel public constitue un pilier essentiel d’une démocratie éclairée dans une société de plus en plus fragmentée. Il est un moyen d’intégration, d’ouverture, d’émancipation. C’est parce qu’il doit pouvoir jouer pleinement ce rôle que cette réforme est évidemment importante.
Oui, nos chaînes et nos radios de service public ont des forces et rencontrent un succès indéniable. Néanmoins, ses succès et ses forces sont dispersés. Il faut les défendre et il faut les préserver. Du reste, chacun, y compris dans ces sociétés, reconnaît, dans un esprit de responsabilité, que si cette réforme n’intervient pas, ces sociétés s’affaibliront et leurs budgets baisseront de manière inévitable. Ceux qui font de l’obstruction en répondront devant ceux qui font fonctionner l’audiovisuel public.
Nous sommes entrés dans une période de profonde mutation. D’abord, l’évolution des usages transforme les modes de consommation : les contenus d’information, de culture, de divertissement sont de plus en plus consommés sur les plateformes ou les réseaux sociaux. Des pans entiers de la population désertent les médias traditionnels que sont la radio et la télévision. Le paysage audiovisuel évolue : les groupes privés sont de plus en plus importants et de plus en plus structurés.
Dans ce contexte, deux solutions s’offrent à nous. La première, c’est l’immobilisme, faire comme si de rien n’était et prendre le risque d’un affaiblissement généralisé de l’audiovisuel public. C’est le choix fait par certains députés du parti socialiste qui tentent de confisquer un débat important à la représentation nationale. Celui-ci doit sortir des caricatures et s’affranchir des querelles internes du parti socialiste qui, d’ailleurs, ont affaibli la gauche jusqu’à réduire son score à un chiffre que je n’ose répéter ici.
L’audiovisuel public, ce sont près de 15 000 salariés qui attendent de la clarté sur l’avenir du secteur. Contrairement à ce que vous avez dit, une majorité de personnes est favorable à la réforme. Certains sur ces bancs, et pas uniquement des députés du parti socialiste, m’ont dit leur volonté de torpiller cette réforme. Je le dis avec beaucoup de gravité : c’est irresponsable, vous êtes élus pour débattre, ces propos sont honteux. Contrairement à ce que vous dites, une grande majorité est favorable à la réforme.
L’audiovisuel public appartient à tous les Français, et non à un club de CSP + (catégories socioprofessionnelles supérieures) de plus en plus vieillissant que vous entendez préserver. Nous souhaitons, au contraire, que l’ensemble des Français continuent à bénéficier de l’audiovisuel public sur tout le territoire national.
L’autre solution, c’est de donner les moyens à l’audiovisuel public de faire face à de nouveaux défis. C’est l’option que, dans un esprit de responsabilité, la majorité sénatoriale a prise en votant le texte du président Lafon. C’est le moment ou jamais.
Madame la présidente, vous avez rappelé les problèmes institutionnels qui ont retardé la mise en œuvre de cette réforme pourtant adoptée au mois de mai dernier par la commission. Vous avez mentionné le manque de débats et l’absence d’étude d’impact, qui vous a pourtant été fournie il y a très longtemps. Depuis dix ans, des travaux parlementaires sont menés sur cette question par des députés de toutes les tendances politiques ; vous n’étiez pas encore élue que nous débattions déjà de la préservation de l’audiovisuel public. Ces travaux sont unanimes : l’audiovisuel public doit se rassembler pour se renforcer. C’est également l’avis de l’Inspection générale des finances, qui a publié un rapport à la disposition de tous.
La stratégie de rapprochement par le bas sans gouvernance commune ne permet pas d’atteindre les objectifs fixés. Le temps écoulé l’a démontré. Face aux puissants bouleversements, on doit aller plus loin et plus vite en matière de gouvernance pour préserver l’audiovisuel public. Il nous faut un chef d’orchestre, sortir du fonctionnement en silo, définir des stratégies réellement unifiées. C’est pourquoi le gouvernement proposera l’instauration d’un PDG unique pour faire de la holding une holding exécutive, afin que l’audiovisuel public soit le fer de lance de l’information ; reste un levier puissant pour la promotion et le soutien à la création culturelle et artistique ; soit un outil commun à la disposition de tous les Français – pas seulement de certains socialistes –, quels que soient leur âge, leur catégorie sociale, leur lieu de résidence. Voilà ce à quoi cette gauche, qui s’est déconnectée des classes populaires, s’oppose. Alors que tous les jours vous donnez des leçons de progrès social, vous n’en connaissez même plus ni le sens ni la définition.
La France est un des derniers pays européens où la radio et la télévision publiques sont séparées, elle fait figure d’exception alors même que nous sommes collectivement confrontés aux mêmes problèmes. Je me réjouis que Laurence Bloch, figure importante et respectée de l’audiovisuel public, ait accepté de mener la mission que je lui ai confiée.
Par ailleurs, je tiens à rassurer les salariés des entreprises concernées. Cette réforme ne se fera pas contre leurs intérêts ni contre ceux des syndicats. Au contraire, elle permettra au secteur de se projeter pleinement dans l’avenir. Je l’ai démontré à tous ceux que j’ai rencontrés. Cette réforme n’est pas non plus un projet de fusion – ceux qui le prétendent mentent et ce ne sera pas la première fois –, mais vise plutôt à créer une holding exécutive qui unifiera les stratégies. La holding n’est pas non plus un moyen pour l’État d’avoir la mainmise sur l’audiovisuel public car le mode de nomination des dirigeants n’est pas modifié. Il n’y aura aucune remise en cause de la diversité des rédactions ni de la richesse, de l’éclectisme et de la créativité des contenus.
La réforme permettra un rayonnement infiniment plus puissant des contenus avec des stratégies de diffusion renouvelées. Elle ne remettra pas en cause l’identité des différentes entreprises, elle ne se fera pas au détriment de l’une des entités. Elle ne vise pas à faire des économies, mais, au contraire, à défendre la trajectoire à venir.
Comment peut-on dire que ce projet aurait pour effet d’affaiblir l’audiovisuel public alors que j’ai fermement soutenu la réforme du financement de l’audiovisuel public qui a permis non seulement de préserver son indépendance mais également de sanctuariser le montant de son financement ? Si je ne croyais pas à l’audiovisuel public et à son indépendance, la première variable d’ajustement aurait été son budget. De plus, les créations de la holding en 2000, puis de l’entreprise unique en 2009 n’ont pas affaibli l’audiovisuel public, qui réclame davantage de coopération et d’intégration. Qui reviendra aujourd’hui sur cette réforme ? Personne. D’ailleurs, c’est pour cela que l’intégration est encore plus nécessaire, comme dans toutes les autres démocraties européennes.
Le débat sur l’audiovisuel public ne peut pas être la chasse gardée de quelques-uns ; ce serait précisément un scandale. L’audiovisuel public, c’est bien plus que cela. Face au bouleversement du monde, avoir un audiovisuel public fort est un enjeu de souveraineté, d’accès à la culture mais aussi de démocratie.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous en venons aux orateurs des groupes.
M. Philippe Ballard (RN). Nous défendons depuis toujours la privatisation d’une partie de l’audiovisuel public – l’audiovisuel en outre-mer et la voix de la France dans le monde ne seraient pas concernés ; l’INA serait transférée au ministère de la culture et intégrerait les archives nationales. La privatisation de l’audiovisuel public, dont il est de toute façon de plus en plus difficile de distinguer la spécificité, permettrait de consolider le secteur audiovisuel, qui subit la concurrence de plateformes aux moyens considérables.
Le manque d’objectivité et l’impartialité évidente de certains programmes diffusés sur les chaînes publiques nous amènent à nous interroger sur le respect de la déontologie, de l’honnêteté, de l’indépendance, du pluralisme de l’information, ainsi que de l’expression pluraliste des courants de pensée, principes dont le législateur avait imposé le respect au secteur public.
Par ailleurs, nous nous inquiétons du sort que vous vous apprêtez à réserver aux dispositions du texte relatives au secteur privé. Alors même que les entreprises sont de plus en plus en proie aux attaques des Gafam, vous renvoyez aux calendes grecques les réformes nécessaires qui pourraient donner un peu d’air aux acteurs qui croulent sous des normes désuètes. L’accès au téléviseur connecté par wifi, ne passant plus par les fournisseurs d’accès à internet, ne cesse de se développer. L’Arcom n’aurait alors plus aucune prise pour garantir la visibilité des chaînes françaises. Nous n’aurons plus le choix qu’entre Amazon, Disney, Netflix, YouTube sur nos téléviseurs connectés, car les Gafam auront pu s’offrir, à coups de milliards de dollars, leur référencement auprès des constructeurs de téléviseurs. Sans compter que, selon la dernière étude de l’Arcom, les plateformes capteront bientôt les deux tiers des revenus publicitaires.
Face à cela, il est indispensable de s’atteler rapidement au chantier de la souveraineté audiovisuelle française, notamment en assouplissant les normes anticoncentration. L’heure n’est pas nécessairement à la création d’une holding mais plus que jamais à la concentration du secteur.
Mme Céline Calvez (EPR). Je tiens tout d’abord à réaffirmer le soutien des députés du groupe Ensemble pour la République à l’audiovisuel public, pilier stratégique de notre paysage médiatique et vecteur essentiel de culture mais aussi de cohésion sociale.
À une époque où les bulles informationnelles se multiplient, il est impératif de disposer d’un service public fort, garant de l’accès à une information diversifiée de qualité pour tous nos concitoyens. Depuis dix ans, des réflexions sont menées sur l’évolution de la gouvernance des entreprises de l’audiovisuel public. D’une part, elles créent une forte incertitude pour les salariés qui s’interrogent sur leur avenir. D’autre part, elles entravent la gestion de ces structures par leurs dirigeants dont nous saluons néanmoins l’immense travail accompli dans un contexte aussi complexe.
Il est maintenant l’heure de trancher. Après sept années d’implication personnelle sur ces dossiers, forte de mes expériences, aussi bien dans cette assemblée qu’au conseil d’administration de France Télévisions et de Radio France, une conviction s’est imposée à moi : il faut un pilote dans l’avion. Les tentatives de synergie, bien que louables, n’ont pas donné les résultats escomptés. Si des initiatives, telles que France Info et Ici, ont été lancées pour favoriser la coopération entre les entités, force est de constater qu’elle est encore insuffisante.
Une gouvernance éclatée freine la mise en œuvre de projets communs ambitieux et l’optimisation des ressources. À ce titre, la création d’une holding exécutive est une solution pertinente pour relever ces défis. Ce modèle permettrait de centraliser les décisions stratégiques et de mutualiser les moyens, tout en offrant une souplesse suffisante afin de préserver l’identité et les spécificités de chaque entité du service public. Pour cela, il est nécessaire que le pilote puisse disposer de marges de manœuvre suffisantes afin de mener à bien ses missions.
Mais la confiance n’empêche pas le contrôle. Il est dès lors crucial d’encadrer la nomination de ce dirigeant ainsi que les actions de la holding en instaurant un contrôle parlementaire renforcé. À cet effet, le groupe EPR a déposé des amendements visant à accroître les pouvoirs du législateur en matière de désignation du PDG et à renforcer l’association du Parlement dans la rédaction et l’application des conventions stratégiques pluriannuelles (CSP) qui détermineront les grandes orientations de l’audiovisuel public.
Enfin, bien que le chapitre II de la proposition de loi risque de ne pas être étudié en raison du nombre important d’amendements d’obstruction déposés, il est primordial de construire un consensus autour des mesures qu’il contient et de les intégrer dans un futur projet de loi issu des états généraux de l’information. Nous devons leur accorder l’attention qu’elles méritent et en débattre de manière approfondie.
Le groupe EPR soutiendra l’adoption de cette proposition de loi, convaincu qu’une gouvernance unifiée et structurée renforcera l’efficacité et la pertinence de l’audiovisuel public au bénéfice de tous nos concitoyens.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Nous ne voulons pas de cette réforme qui consiste à créer une holding exécutive. Nous ne voulions pas plus de la réforme qui visait à réaliser une fusion ni de celle qui tendait à créer une holding non exécutive. Du reste, personne n’en veut, ni les syndicats, ni les salariés qui font grève et que je salue, ni la commission des finances, qui s’est prononcée hier en faveur de la suppression de l’article 5. Même dans votre propre camp, vous êtes désavouée par vos prédécesseurs.
Vous vous acharnez à vouloir réunir sous une structure unique des entités aux missions, aux métiers et aux enjeux différents. En réalité, la holding vous permettra de contourner le Parlement et de renforcer l’exécutif.
Par ailleurs, vous nous avez fait le coup avec les autres services publics – EDF, la SNCF, La Poste. D’abord, vous les regroupez sous une holding au nom de prétendues économies, puis vous multipliez les filiales, cassez les statuts et l’outil et, enfin, vous présentez la privatisation comme une solution évidente. En attendant, vous vous assurez que le financement de l’audiovisuel public soit néanmoins capté par le privé grâce à l’externalisation de toutes les fonctions. France 24 et France Télévisions sont déjà largement dépendantes de la sous-traitance et leurs travailleurs sont déjà précarisés. Mais la production de Radio France et de l’INA reste internalisée. Votre réforme offrira ainsi au privé un marché qui était jusqu’alors inaccessible. Vous l’affaiblissez donc pour mieux la livrer à vos amis milliardaires.
Pour vous justifier, vous relayez des éléments de langage sur la concurrence des plateformes numériques, accusées de capter le marché publicitaire. Le problème est que l’Autorité de la concurrence elle-même a rappelé que les marchés publicitaires de l’audiovisuel et du numérique sont distincts. Du reste, votre texte n’aura aucun effet pour limiter l’emprise des plateformes.
Ce projet est une attaque directe contre la diversité culturelle et le pluralisme de l’information. Il vise à imposer une vision unique, il poursuit ce que la fusion des marques France Bleu et France 3 sous l’étiquette Ici a entamé, au mépris des missions de proximité pourtant si importantes dans la lutte contre la désinformation sur laquelle prospère l’extrême droite.
Vous dites vouloir renforcer la présence des outre-mer tout en supprimant la chaîne dédiée France Ô, en fermant son siège, situé dans ma circonscription à Malakoff, en imposant une précarité croissante à ses équipes et en réduisant les moyens qui lui sont spécifiquement alloués. Selon l’Arcom, les personnes ultramarines représentaient jusqu’en 2020 environ 10 % des personnes présentes à l’écran contre 3 % en 2021 et 1 % seulement en 2022.
Vous cherchez en réalité à faire oublier l’idée que l’audiovisuel peut être autre chose que la médiocrité de M. Hanouna et consorts. Le service public, c’est la mauvaise conscience des laquais de Bolloré face à la médiocrité et à l’amnésie ; c’est l’INA qui publie des archives qui font voler en éclats les préjugés racistes et antipopulaires. Le service public, c’est le plus puissant outil disponible qui pourrait être mis au service de l’éducation populaire. Vous pourrez, bien entendu, nous jurer la main sur le cœur que vous ne vous souciez que de son bien et de son avenir. Toutefois, après huit années de macronisme, plus personne ne vous croit.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). L’audiovisuel public est un pilier fondamental de notre démocratie et de notre diversité culturelle. Il garantit une information libre, pluraliste et accessible à toutes et tous. Pourtant, le gouvernement veut imposer une réforme précipitée de sa gouvernance, menaçant la pérennité de ses missions de service public. Nous, députés socialistes, dénonçons avec force le projet de holding exécutive, prélude évident à une fusion absurde et brutale.
Sans vision claire, les gouvernements successifs se sont contentés d’une gestion erratique et brutale de l’audiovisuel public. Depuis la première lecture du présent texte, après son dépôt par M. Laurent Lafon au Sénat, les improvisations s’enchaînent. Nous dénonçons avec force l’absence totale d’étude d’impact préalable. Madame la ministre, malgré nos multiples interpellations, vous tentez de passer en force à tous les niveaux, sans concertation sérieuse avec les dirigeants des différentes sociétés de l’audiovisuel public et des représentants du personnel. Quel impact économique et budgétaire ? Quel impact social ? Quel impact sur le pluralisme et l’indépendance de l’information ? Quel impact sur la radio ? Quel impact en matière de création audiovisuelle et de diversité culturelle ? Quel impact sur l’écosystème médiatique global, en particulier sur le partage des recettes publicitaires, dans un contexte déjà particulièrement délicat ? Toutes ces questions restent sans réponse.
Sans vision stratégique, ce projet pourrait être funeste pour l’audiovisuel public. Son avenir ne peut être sacrifié en raison de calculs politiques à court terme menés sur l’autel de l’improvisation. L’audiovisuel public, pour relever une des nombreuses erreurs de votre propos introductif, est largement moins financé en France que chez nos voisins allemands et britanniques. Pour rappel, en France, les financements de l’audiovisuel public sont deux fois moins élevés qu’en Allemagne – pays où l’audiovisuel n’est au demeurant pas unifié ; 40 % moins élevés qu’en Belgique ; 30 % moins élevés qu’au Royaume-Uni. En 2025, le budget de l’audiovisuel public français s’élevait à moins de 4 milliards d’euros, un montant modeste en comparaison de nombreux pays. Le gouvernement n’a pas respecté ses engagements d’actionnaire lors de la discussion du projet de loi de finance, et a déposé des amendements en toute fin de discussion budgétaire, si bien que la représentation nationale a rejeté les contrats d’objectifs et de moyens.
Alors que l’état des finances publiques est fragile, cette réforme menée à contretemps apparaît inadaptée. Il est d’autant plus dangereux de déstabiliser ce patrimoine que l’audiovisuel public est à la croisée de deux enjeux majeurs, l’audiovisuel extérieur et l’information de proximité. Son public n’est pas un club de CSP +. Il s’agit des Françaises et des Français, souvent les plus modestes, pour lesquels le service public audiovisuel constitue un lien avec le monde, avec leur territoire, leur histoire. Nous aurons l’occasion de réfuter tous les arguments superficiels mis en avant notamment dans cette pseudo-étude d’impact.
Nous avons le droit d’avoir une vision différente et de la défendre ici, à l’unisson de tous les acteurs du secteur – responsables, salariés, syndicats et associations professionnelles.
Mme Frédérique Meunier (DR). La proposition qui nous occupe a fait l’objet de divers travaux, rapports et projets de loi ces dernières années, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, sans jamais aboutir. J’ai une pensée pour Jean-Jacques Gaultier, qui fut à l’époque très impliqué sur ce sujet.
Le présent texte fut victime de la dissolution puis de la censure. Il nous est présenté sous une forme malheureusement profondément modifiée. Il reposait initialement sur deux piliers : le regroupement de l’audiovisuel public, qui devait être mené en deux étapes, et la révision de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Il serait désormais prévu, après une phase transitoire pendant laquelle les quatre structures de l’audiovisuel public seront regroupées en une holding, France Médias, et non pas fusionnées.
On peut s’interroger sur le projet d’exclure France Médias Monde de ce rapprochement. Une telle exclusion risque d’affaiblir cette structure, en la privant des synergies créées par la fusion. Toutefois, je connais l’énergie de Marie-Christine Saragosse, qui aura le punch nécessaire pour faire face à ce défi avec son équipe.
Le gouvernement souhaite supprimer le chapitre II de la présente proposition de loi, qui révise notamment la loi du 30 septembre 1986. Ce serait regrettable car ce chapitre vise à réduire l’asymétrie entre les médias audiovisuels et les grandes plateformes, ces géants du streaming malheureusement beaucoup moins régulés.
Plusieurs points restent à éclaircir. Le financement sera-t-il unique ? Sommes-nous certains que la constitution de la holding aura un coût nul ? Comment sera nommé son président ?
Afin que le regroupement prévu n’entrave en rien la liberté éditoriale de chaque média, et pour garantir l’indépendance totale du PDG de la holding, celui-ci devra être nommé directement par l’Arcom. Des rapprochements géographiques sont envisagés. Comment rassurer les journalistes qui s’inquiètent de la création d’une rédaction unique et que l’uniformisation ne nuise à leur spécificité ? Rappelons par exemple que le découpage régional n’est pas le même pour France 3 Limousin et Ici Limousin. Je regrette le manque de communication et d’explication concernant la présente proposition auprès des acteurs salariés qui font fonctionner nos radios et France Télévisions. Ils aiment leur outil de travail et leur métier.
Le groupe de la Droite républicaine est favorable à cette réforme, qu’il souhaite depuis de nombreuses années. Ce texte permettra de consolider le secteur audiovisuel, de le renforcer face aux nouveaux acteurs privés. Madame la ministre, même si nous regrettons vivement les nombreuses modifications prévues du texte initial, nous vous suivrons.
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Nous ferons tout pour empêcher cette réforme car elle est dangereuse à plus d’un titre, notamment parce que vous avancez dans l’opacité.
On ne peut certainement pas accuser le gouvernement d’obstruction car nous ne disposons pour l’heure d’aucun de ses amendements. Il est ainsi impossible de comprendre son projet, alors que cette proposition de loi répond à un projet gouvernemental – c’est bien vous-même qui avez demandé son inscription à l’ordre du jour de notre assemblée. Quel est votre projet ? L’« étude d’impact » – les guillemets s’imposent – qui nous a été fournie ne nous donne que bien peu d’éléments, qui contredisent la vision évoquée par Mme Laurence Bloch lorsque nous l’avons auditionnée. Faudrait-il créer des filiales ? « Oh ben non, ce n’est pas si sûr. » Faudrait-il créer une plateforme commune ? « Ah non, pas du tout. Il faut quelques émissions en commun. » Il n’y a aucune cohérence entre cette réforme, cette étude d’impact et les éléments oraux donnés par Mme Bloch au début de son travail.
Oui, l’indépendance est une question majeure. Il est plus facile de faire pression sur une seule personne que sur cinq, mais vous ne voulez pas le comprendre.
Cette réforme risque d’aggraver l’appauvrissement de l’audiovisuel public, déjà constaté dans les budgets pour cette année et l’année dernière. L’étude d’impact prétend que la création de la holding ne coûtera rien, grâce à la mise à disposition de personnels dans les entreprises existantes. C’est presque une marque de mépris envers le Parlement. Comme s’il était possible de trouver dans les entreprises visées, après les multiples plans sociaux de ces dernières années, des salariés qui ne font rien et n’auront rien d’autre à faire que de construire la holding. Cela n’a absolument aucun sens.
Bien entendu, les mutualisations servent souvent à justifier l’appauvrissement financier. Celui-ci se doublera d’un appauvrissement éditorial et culturel que nous dénonçons. Nous nous opposerons de toutes nos forces à cette réforme. J’adresse un message de soutien aux nombreux grévistes.
Mme Rachida Dati, ministre. Ils ne sont que 250 sur 15 000 salariés !
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Contrairement au président Macron, nous n’avons pas honte de l’audiovisuel public, nous en sommes fiers.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je remercie chacun de respecter le temps de parole des orateurs des groupes.
M. Erwan Balanant (Dem). Alors que nous vivons une révolution géostratégique, nous partageons tous, du moins je l’espère, la volonté de garantir un audiovisuel public français fort, capable d’apporter des réponses étayées, tout en respectant un cadre déontologique.
Nous avons la chance de disposer d’un audiovisuel public qui fonctionne. Faut-il pour autant repousser tout projet de réforme – et même tout faire pour que celui proposé ici échoue, comme certains le proposent ?
Si nous voulons tous un audiovisuel public puissant, nous devons travailler collectivement. Les débats à ce sujet durent depuis longtemps, mais ils sont mal embarqués depuis un moment, à cause des postures idéologiques mais aussi de la volonté d’aller trop vite – je n’accuse personne, nous sommes tous responsables.
Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir écouté les propositions que nous défendons depuis longtemps concernant France Médias Monde.
Le groupe Démocrates se pose encore de nombreuses questions sur ce texte. Il faut s’interroger sur les usages, les publics, les contenus, et trouver le meilleur outil pour leur évolution. La holding bénéficierait apparemment d’une enveloppe budgétaire unique, à la main du PDG, qui fléchera ensuite des crédits vers chaque filiale. Il disposera ainsi de pouvoirs renforcés sur les directeurs généraux, qu’il nommera par ailleurs. Toutefois, selon nous, la création d’une gouvernance unique ne doit pas empêcher la prise en compte des habitudes de travail et les spécificités techniques de chaque secteur – on ne fait pas de la télévision comme on fait de la radio.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que la création d’une holding ne conduira pas à une fusion ? Nous espérons que vous pourrez nous convaincre, pour faire avancer l’audiovisuel public français.
Mme Béatrice Bellamy (HOR). L’issue que nous donnerons aux présents débats déterminera l’avenir de l’audiovisuel public français et sa pérennité pour les prochaines décennies. Ce texte, défendu avec détermination par le sénateur Laurent Lafon et ses collègues de la Chambre haute, appelle à une meilleure articulation entre le service public audiovisuel et les attentes de la société. C’est une avancée mesurée, dans un contexte marqué par la nécessité de concilier attractivité, pluralisme et efficience. Je salue le travail des rapporteurs, Virginie Duby-Muller et Jérémie Patrier-Leitus. Leur engagement et leur expertise sont cruciaux dans la conduite de cette réforme, qui poursuit celle engagée par le gouvernement en 2020, malheureusement brusquement arrêtée par la crise sanitaire.
N’ignorons pas ceux qui expriment des réserves quant à la présente réforme. Il est essentiel de rassurer les acteurs, de prendre le temps nécessaire pour réfléchir de manière stratégique aux implications de la création de la holding France Médias dès l’année prochaine, sans confondre efficacité et précipitation, afin de répondre au mieux aux attentes des Français et de promouvoir un audiovisuel public d’une qualité intacte.
Le groupe Horizons & indépendants fait sien le constat du gouvernement et du Sénat qui fonde le chapitre Ier de la proposition de loi : une réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public français est attendue et nécessaire. Jusqu’ici, le rapprochement des entreprises de l’audiovisuel public s’est traduit par quelques projets communs dans une démarche de coopération par le bas, mais ces avancées sont lentes et difficiles. Cette coopération ne permet pas de mener à bien dans des délais raisonnables des rapprochements structurants, par exemple celui des réseaux de France 3 et France Bleu. Notre groupe partage donc l’ambition de cette réforme qui doit permettre de proposer une offre plus riche, de mieux la mettre en avant sur tous les canaux de diffusion, pour que l’audiovisuel public continue de s’adresser à tous les Français.
La réunion est suspendue de dix-sept heures vingt-cinq à dix-sept heures quarante.
M. Salvatore Castiglione (LIOT). Le parcours de cette proposition de loi a été compliqué, et c’est peu de le dire. Je suis convaincu que nous avons besoin de consolider dès à présent l’audiovisuel public pour le rendre plus fort, plus compétitif et plus adapté au monde réel. Peut-être nous a-t-il manqué une véritable étude d’impact sur les contours de cette réforme, sur ses objectifs réels, sur son coût mais aussi sur les gains en matière de coopération, de diffusion, d’audience – une comparaison détaillée avec les pays étrangers et des expériences de regroupement auraient par exemple été bénéfiques. Il aurait également été préférable que la mission confiée à Laurence Bloch et dont les conclusions sont attendues en juin ait été achevée avant nos débats, même si celle-ci devrait essentiellement traiter de propositions éditoriales. De nombreux acteurs s’inquiètent de l’incertitude sur la stratégie souhaitée pour l’audiovisuel public et sur les moyens qui seront donnés pour les atteindre.
À titre personnel, je considère que la création d’une holding peut être un outil très intéressant afin d’impulser une stratégie commune et ambitieuse pour les différentes entités, afin de développer des projets de coopération de manière plus efficace. La priorité doit porter sur la diffusion des contenus. Ils sont de qualité mais gagneraient à évoluer pour correspondre aux nouvelles pratiques de consommation.
Toutefois, une telle holding doit respecter certaines conditions. Tout d’abord, il n’est pas pertinent d’y inclure l’audiovisuel extérieur car sa stratégie est différente ; de plus, il faut maintenir des garanties d’indépendance à l’étranger. Notre groupe avait déjà fait adopter un amendement pour exclure France Médias Monde de la holding lors de la précédente lecture du texte dans cette commission ; nous le déposons de nouveau.
Par ailleurs – et vos propos introductifs sur ce point sont rassurants, madame la ministre –, la holding ne doit pas avoir pour objectif la rationalisation budgétaire. Il serait paradoxal de poursuivre une politique d’économie en prétendant conduire une réforme de modernité et de développement. À ce titre, les financements et la répartition des moyens gagneraient à être sécurisés.
Enfin, la question de la gouvernance est primordiale, ce qui implique un meilleur équilibre entre efficacité stratégique, d’une part, et respect des spécificités et libertés éditoriales des différentes filières, d’autre part. De même, le rôle de contrôle démocratique du Parlement doit être renforcé, notamment lors de la procédure de nomination du PDG. Nous défendrons des amendements à ce sujet.
Une réforme d’une telle ampleur nécessite un projet clair pour l’audiovisuel afin que la holding ne devienne pas une simple coquille vide. Ce texte sera utile pour l’audiovisuel public, mais les conditions particulières de son examen rendent difficile un débat pleinement apaisé, ce que nous regrettons.
Mme Soumya Bourouaha (GDR). Ce texte, qui prétend renforcer l’audiovisuel public, l’affaiblira en réalité. Derrière les discours sur la modernisation et la souveraineté, il remet en cause l’indépendance, le financement et la mission même du service public audiovisuel. Nous avions déjà examiné ce texte adopté par le Sénat en commission, en mai 2024, mais il avait ensuite été supprimé de l’ordre du jour en raison de la censure du gouvernement Barnier. Mon groupe s’y oppose car réduire le rôle de l’audiovisuel public revient à fragiliser le pluralisme, l’accès à l’information et la diversité culturelle – alors qu’il est de notre devoir de les protéger.
Dès 2020, mon groupe s’est opposé au projet de holding car, au lieu de renforcer la spécificité de l’audiovisuel public, il constituera un facteur de déstabilisation, augmentera les coûts et fera perdre en créativité. Cette critique est amplement partagée par les syndicats qui ont dénoncé le risque d’une structure coûteuse, financée sur le dos des filiales et qui les mettrait en concurrence les unes avec les autres. Ils se sont retrouvés ce midi aux abords de l’Assemblée pour se faire entendre. Nous avons été nombreux à les écouter et à les soutenir. D’ailleurs, une grève de deux jours a démarré hier dans l’audiovisuel public, notamment à Radio France et à France Inter, pour protester contre le projet de création d’une holding.
Ce qui est indispensable, ce n’est pas d’impulser une réforme de la gouvernance de l’audiovisuel contre l’avis des travailleurs et des experts, mais de garantir les bases de son indépendance et de sa singularité. Les atouts de notre modèle public sont remis en cause par vos politiques d’austérité ainsi que par le choix, par le président de la République, d’un modèle de financement qui exonère les plus fortunés de toute contribution. Nous l’avons maintes fois dénoncé et nous ne cesserons de le rappeler, le financement actuel, qui repose sur l’affectation d’une fraction de la TVA, n’est pas seulement socialement injuste, il empêche également de garantir la stabilité et la prévisibilité des moyens dont l’audiovisuel public a besoin.
Avec notre collègue Sophie Taillé-Polian, notre groupe proposera donc d’instaurer un prélèvement de 0,25 % sur les revenus imposables du contribuable. Le rétablissement d’une contribution à l’audiovisuel public permettrait de maintenir un lien fort entre celui-ci et nos concitoyens et de garantir autant que possible son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et économique.
Si la création d’une holding est sans doute la mesure la plus problématique de ce projet de loi, nous sommes tout aussi opposés à l’exclusion de l’obligation de reprise de signal, dite must carry, pour les plateformes OTT (over the top), ou à l’instauration d’une troisième coupure publicitaire, qui saturerait le paysage audiovisuel de réclames et accélérerait le recours des usagers aux plateformes de streaming.
M. Bartolomé Lenoir (UDR). Il importe de réformer l’audiovisuel public pour faire face à un contexte international plus concurrentiel, avec l’essor des plateformes et de grands groupes internationaux, mais également par respect envers les contribuables. Néanmoins, notre groupe émet des réserves sur le présent texte. France Médias Monde ne devrait pas être intégrée à la holding et il ne faut pas plafonner les recettes publicitaires. Enfin, il faudrait remédier aux défaillances concernant la représentation nationale et l’impartialité de l’audiovisuel public.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Les intersyndicales des travailleurs de l’audiovisuel public se sont mobilisées devant l’Assemblée nationale. Elles s’inquiètent de votre réforme, la refusent, non par simple caprice, comme vous le laissez entendre, ni parce qu’elles n’aimeraient pas par principe Rachida Dati, mais bien parce qu’elles craignent une concentration importante des pouvoirs en quelques mains, une perte d’indépendance à laquelle s’ajouteraient une réduction des programmes et une perte de qualité des contenus, et parce qu’une fusion s’accompagne toujours d’une casse sociale.
Parmi les nombreuses questions que ces travailleurs se posent, mentionnons celle du coût. L’étude d’impact prétend que le regroupement ne coûtera rien à l’État. Pourtant, même des membres du conseil d’administration de Radio France ont annoncé un coût de plusieurs millions. Pour rappel, la fusion des composantes de France Télévisions avait coûté au bas mot plus de 200 millions d’euros. Commanderez-vous une réelle étude d’impact, pour que nous connaissions le coût de cette réforme inutile pour les contribuables ?
M. Steevy Gustave (EcoS). Il y a six ans, la chaîne France Ô disparaissait. Faiblement dotée financièrement, relativement jeune, cette chaîne répondait pourtant à la mission de service public de représentation de la diversité de la société française, notamment des outre-mer. Elle a été supprimée au motif que ses audiences étaient faibles mais les motifs réels étaient économiques – de ce point de vue, il est incertain que les objectifs aient été atteints.
Le constat est sans appel : avec la suppression de cette chaîne, les outre-mer sont moins visibles, moins représentés dans le secteur audiovisuel. Le rapport d’information du Sénat sur la représentation et la visibilité des outre-mer de 2019 nous alertait déjà. Le rapport de l’Arcom sur la représentation de la diversité de la société dans les médias de 2013 à 2023 nous le confirme : les personnes non blanches sont de moins en moins représentées. Il ne s’agit pas de relancer France Ô mais nous ne pouvons plus nous arrêter à une vision des outre-mer alternant paysages de carte postale et crise sociale. Il faut engager une réflexion de fond sur les bénéfices réels d’un média public consacré aux outre-mer au-delà des logiques purement économiques. La diversité de la société française passe par un média fort et indépendant.
M. Frédéric Maillot (GDR). La création d’une holding accroîtra l’invisibilisation des outre-mer. Chaque jour, le service audiovisuel public ne consacre que neuf minutes aux 2,7 millions de téléspectateurs qui y habitent. Que prévoyez-vous pour les neuf stations du pôle outre-mer, dans le cadre de cette réforme ? Elles souffrent déjà d’un manque de visibilité depuis la fermeture de France Ô.
Madame la ministre, vous prétendez que seul un faible pourcentage des salariés de l’audiovisuel public est en grève. À La Réunion, à 11 000 kilomètres d’ici, ils sont tous sur le pied de grève pour combattre cette réforme. L’ensemble des outre-mer s’oppose à cette réforme injuste, qui risque de les invisibiliser davantage.
Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure. Les avis sur cette proposition de loi sont tranchés. Je ne reviendrai pas sur les caricatures – « attaque directe contre le pluralisme », « projet funeste », « réforme dangereuse », « affaiblissement de l’audiovisuel public », « réforme inutile ». Elles ont conduit à une obstruction importante, plus de 1 000 amendements ayant été déposés sur ce texte, soit cinquante fois plus qu’au Sénat.
En réalité, le texte vise à consolider l’audiovisuel public, dans un contexte de globalisation, de guerre informationnelle et de fake news. Je n’ai pas du tout entendu les mêmes choses que certains d’entre vous lors de l’audition de Laurence Bloch. Celle-ci dressera de toute manière un bilan d’étape fin avril, avant de rendre ses conclusions fin juin. Elle ne peut être soupçonnée de partialité. Au regard de son expérience, elle est pleinement favorable à cette réforme, car elle considère qu’un pilotage stratégique doit impulser d’en haut les synergies dont le secteur a besoin.
L’examen de ce texte serait prématuré, dites-vous. Pourtant, les rapports produits depuis plus de dix ans conduisent tous au même diagnostic. En 2020, le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, déposé par M. Riester au nom du gouvernement, prévoyait déjà des mesures semblables. Il faut désormais avancer, au vu des enjeux.
Rappelons qu’actuellement, l’audiovisuel public n’est scindé en plusieurs organisations que dans huit pays européens. La France fait donc partie des exceptions.
Enfin, avec M. le rapporteur, nous avons déposé plusieurs amendements afin de renforcer le contrôle parlementaire du conseil d’administration de la future holding et de celui des entités qui la composeront, ainsi que le contrôle parlementaire des CSP.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Nous proposons de supprimer une partie du chapitre II car l’objet de cette proposition de loi n’est pas de donner des miettes à l’audiovisuel privé, qui traverse lui aussi une crise – n’oublions pas, outre les grands groupes, les radios associatives et les autres petits acteurs de ce secteur. Ces questions devront être traitées de manière séparée. Nous partageons l’objectif de garantir la force du secteur audiovisuel privé, dont nous avons aussi besoin.
De même, nous sommes favorables au renforcement du pouvoir du législateur. C’est le sens de nos amendements.
Monsieur Saintoul, insulter les rapporteurs et la ministre en les traitant de laquais du groupe Bolloré serait considéré comme de la diffamation dans un autre contexte. Nous sommes attachés à l’audiovisuel public. Vous avez le droit de considérer que la création d’une holding n’est pas la meilleure manière de renforcer l’audiovisuel public, mais vos accusations sont graves. Vous manifestez encore une fois le sens de la nuance qui caractérise votre formation politique. C’est regrettable.
La création de la holding n’est pas un prélude à la fusion, même si la holding sera un outil stratégique important – son PDG sera un chef d’orchestre. Il ne s’agit pas non plus, avec cette réforme, de réaliser des économies.
Les travaux n’ont pas été conduits dans l’opacité. Le rapport d’information sur la question, produit en 2015 par MM. Leleux et Gattolin – ce dernier était alors membre d’Europe Écologie-Les Verts –, fait 150 pages. Vous pouvez vous opposer à la création d’une holding, mais non prétendre que les travaux parlementaires n’ont pas été suffisamment approfondis. Ce n’est pas vrai.
Je comprends les interrogations du groupe Démocrates. J’espère que les débats des prochains jours permettront d’y répondre.
Enfin, Mme la ministre rassurera ceux de nos collègues qui s’inquiètent pour l’audiovisuel public de l’outre-mer. Nous sommes également attachés à sa pérennité et à son renforcement. Cette holding permettra de renforcer l’audiovisuel public dans toute sa diversité et sa richesse.
Mme Rachida Dati, ministre. Monsieur Balanant, la fusion n’est pas l’objet de cette proposition de loi, ni d’ailleurs de la mission confiée à Laurence Bloch. Ce texte prévoit très clairement la création d’une holding exécutive, et non une fusion des entités existantes : ainsi, les instances telles que les conseils d’administration resteront séparées. Si nous voulions, à l’avenir, procéder à une fusion ou à un quelconque changement de gouvernance, nous serions obligés de repasser par la loi. Vous reconnaissez vous-même, ainsi que les députés qui vous entourent, la nécessité d’avoir un seul chef d’orchestre qui permettra d’aligner les stratégies et de renforcer les coopérations. Vous avez d’ailleurs noté, madame Bellamy, que ces coopérations, autrefois très marginales, se sont accélérées l’année dernière, après que j’ai rencontré les dirigeants des deux entreprises concernées, dont nous savons tous que les relations sont très compliquées.
Monsieur Castiglione, je vous ai déjà apporté hier quelques réponses, que viennent de compléter les rapporteurs. La commission va par ailleurs examiner des amendements qui répondront à vos attentes.
Nous avons déjà discuté en séance de la visibilité des outre-mer. La suppression de France Ô a suscité des interrogations, mais l’audience de cette chaîne était marginale ; or je souhaite que les outre-mer soient visibles sur des chaînes très regardées, au lieu de rester cachés ou d’être mis à l’écart sur un canal dédié. Je suis bien consciente de la sous-représentation des outre-mer, qui est réelle, en dépit d’un accroissement de leur visibilité dans les journaux télévisés relevé par l’Arcom. C’est tout l’enjeu du pacte évoqué par Steevy Gustave. Vous avez demandé que nous en dressions un bilan : je vous rejoins là-dessus.
Chapitre Ier – Réforme de l’audiovisuel public
Avant l’article 1er
Amendements AC270, AC271, AC272, AC273, AC274, AC275, AC276, AC277, AC278, AC279, AC280, AC281, AC282, AC283 et AC284 de M. Emmanuel Grégoire (discussion commune)
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Ces quinze amendements de sémantique visent à dénoncer, en utilisant la richesse de la langue française, un exercice méthodique de destruction.
Dans votre propos introductif, madame la ministre, vous avez déploré des manœuvres d’obstruction. Il n’existe pas d’obstruction en droit, puisqu’il est tout à fait légitime que nous accomplissions notre travail de façon pleine et entière. (Mme la ministre proteste.) Madame la ministre, nous allons passer de très longues heures ensemble : je vous suggère donc de ne pas vous énerver tout de suite. Pour ma part, j’attendrai au moins après-demain.
Mme Rachida Dati, ministre. Avec vous, je ne m’énerve jamais !
M. Emmanuel Grégoire (SOC). L’examen de cette proposition de loi est un cas typique et grave de détournement de l’esprit de la Constitution s’agissant de la construction de la loi. Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le gouvernement doit, en application de l’article 39 de la Constitution, accompagner les projets de loi transmis au Conseil d’État, puis au Parlement, d’une étude d’impact répondant à des prescriptions définies par les articles 8 et 11 de la loi organique du 15 avril 2009. Ces études d’impact servent à améliorer la qualité des projets de loi, ainsi qu’à éclairer le Parlement s’agissant notamment de la nécessité de son intervention et de la portée des réformes que lui soumet le gouvernement. Elles constituent par ailleurs un outil d’aide à la décision politique.
Jamais une réforme d’une telle ampleur de l’organisation de l’État n’a été introduite, de facto, sans étude d’impact. Nous vous avons maintes fois alertée quant au caractère inacceptable de cette situation. Personne ici n’est capable de dire quelles seront les conséquences financières et juridiques de la création de cette holding, ni quels seront ses effets en matière d’ingénierie administrative ou sur le schéma d’emplois pluriannuel. De même, le sens de la stratégie qui sous-tend ce projet n’a pas été suffisamment réfléchi.
Nous sommes d’autant plus inquiets que l’État n’a respecté aucun des engagements budgétaires qu’il a pris, de façon répétée, depuis plusieurs années, à l’endroit du service public. Ainsi, lors de l’examen du projet de loi de finances, nous avons dénoncé la réduction, en cours de gestion, des moyens accordés, y compris aux programmes dits de transformation.
Nous allons revenir méthodiquement sur tous ces sujets afin qu’en l’absence d’étude d’impact, vous puissiez éclairer la représentation nationale sur les très nombreux enjeux sous-jacents à cette proposition de loi.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je considère que vous avez défendu l’amendement AC270. Voulez-vous vous exprimer sur l’amendement AC271 ?
M. Emmanuel Grégoire (SOC). J’aurais encore beaucoup de choses à dire, mais je préfère entendre d’emblée les réponses que la ministre pourra apporter aux questions que nous avons commencé à poser.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Je vous remercie, monsieur Grégoire, pour ce florilège de synonymes. Si les aléas de la vie politique devaient vous priver de l’hôtel de ville, vous n’auriez qu’à traverser la Seine car, à l’Académie française, cinq postes sont vacants. Plus sérieusement, je regrette que vous ayez déposé quinze amendements pour faire de l’obstruction. Un seul aurait suffi à rappeler la position que vous avez déjà défendue avec force dans votre propos liminaire.
Mme Rachida Dati, ministre. Dix rapports, déposés par des parlementaires de toutes tendances politiques, ont rappelé la nécessité de créer cette holding. Une étude d’impact, qui a été actualisée, accompagnait le projet de loi déposé par Franck Riester il n’y a pas si longtemps. Par conséquent, les études d’impact existent.
S’agissant des détails techniques, je rappelle que l’organisation d’une holding exécutive relève de la compétence de son président, et non de la loi.
M. le rapporteur vous a suggéré de présenter votre candidature à l’Académie française. Pour ma part, je vous conseillerai de vous inscrire à la fac de droit, car l’article 39 de la Constitution n’impose pas la réalisation d’une étude d’impact pour les propositions de loi, mais seulement pour les projets de loi.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Je l’ai dit moi-même !
Mme Rachida Dati, ministre. Entre l’Académie française et la fac de droit, vous avez donc un programme chargé avant 2026 ! Avis défavorable.
M. Erwan Balanant (Dem). La discussion est mal engagée ! Je regrette le dépôt de ces amendements d’obstruction. La situation de l’audiovisuel public est suffisamment sérieuse pour que nous évitions ce genre de péripéties parlementaires. Que chacun y mette un peu du sien ! Au-delà du sort d’un certain nombre de salariés, c’est une question de souveraineté que d’avoir un secteur audiovisuel public puissant en ces temps troublés.
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Comme l’a dit M. Grégoire, nous manquons d’éléments quant à l’impact social de cette réforme. Dans l’étude d’impact qui nous a été transmise – appelons-la comme cela –, il est question de créer de nouvelles filiales : cela signifie que la négociation des accords sociaux repartira de zéro. Quel impact la création de cette holding aura-t-elle donc sur les personnels de France Télévisions et de Radio France qui seront intégrés à ces nouvelles filiales ? Cette question, qui n’a rien de technique, doit être abordée dans une étude d’impact. Or, pour éviter de nous transmettre un tel document, vous avez choisi de reprendre la proposition de loi de M. Lafon plutôt que de déposer un projet de loi qui aurait permis de comprendre ce que vous souhaitez précisément et d’éclairer le vote de la représentation nationale.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). J’irai dans le même sens que M. Balanant. Il ne faut pas se tromper d’hémicycle : nous sommes à l’Assemblée nationale, et non dans une autre assemblée représentative à laquelle nous n’appartenons pas tous ici.
Toutefois, l’amendement AC275 mérite d’être discuté, parce que nous pouvons considérer que la réforme, telle qu’elle est pensée, est en réalité un « affaiblissement » de l’audiovisuel public. Cet amendement ne relève donc pas de la fac de droit ni d’une volonté d’obstruction : il renvoie à l’appréciation que nous portons tous, dans nos groupes respectifs, sur cette proposition de loi.
La commission rejette successivement les amendements AC270 et AC271.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Madame la présidente, j’ai accepté de ne pas m’exprimer sur l’amendement AC271, mais je souhaite dire quelques mots au sujet de l’amendement AC272, qui est différent. L’avis de la ministre est important. Il ne s’agit pas de faire de l’obstruction…
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Madame la ministre, ne me parlez pas dans l’oreille droite alors que j’écoute M. Grégoire dans l’oreille gauche !
Je rappelle que tous ces amendements font l’objet d’une discussion commune. Je vous ai donné trois minutes pour les présenter, monsieur Grégoire, puis le rapporteur, la ministre et plusieurs de nos collègues se sont exprimés. Nous devons nous arrêter là : je vais donc maintenant mettre aux voix chacun de ces amendements.
La commission rejette successivement tous les autres amendements.
Article 1er : Création de la société holding France Médias et transformation de l’Institut national de l’audiovisuel en société anonyme
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Mes chers collègues, j’aimerais ne pas entendre vos commentaires privés, surtout lorsqu’ils sous-entendent que je ne présiderais pas notre commission comme il le faudrait. Dans le cas contraire, je devrais suspendre nos travaux, qui pourraient durer très longtemps.
Amendements de suppression AC50 de M. Aurélien Saintoul, AC199 de M. Emmanuel Grégoire, AC749 de Mme Soumya Bourouaha et AC772 de Mme Sophie Taillé-Polian
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). J’ai déjà expliqué lors de la discussion générale les raisons pour lesquelles nous étions fondamentalement opposés à la holding qu’institue l’article 1er. J’ai dit notamment que le service public était « la mauvaise conscience des laquais de Bolloré face à la médiocrité et à l’amnésie », ce à quoi le rapporteur a répondu qu’il jugeait l’expression « laquais de Bolloré » diffamatoire. Je m’inquiète qu’il se soit senti visé.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Vous dites, madame la ministre, que nous disposons de dix rapports parlementaires et d’une étude d’impact actualisée. Permettez-moi de souligner l’incohérence de votre propos. Nous avons demandé qu’une étude d’impact soit réalisée par un organisme indépendant, ce qui nous paraissait logique. Je vous remercie de m’avoir suggéré de suivre des cours de droit, mais j’ai bien précisé que vous aviez détourné l’esprit de la Constitution et de la loi organique en choisissant le véhicule d’une proposition de loi plutôt que de déposer un projet de loi sur un sujet aussi majeur, vous exonérant ainsi de l’obligation de produire une étude d’impact. Du reste, cela devient une habitude pour le gouvernement, au-delà même du secteur de la culture.
Au dernier moment, vous avez demandé que soit réalisée ce que vous appelez vous-même une « étude d’impact actualisée ». Ce document comprend une phrase mémorable, qui m’a fait sourire, selon laquelle le coût de la création de la holding serait nul. À quel moment et sur quelle base votre administration est-elle arrivée à cette conclusion, alors que toutes les expériences montrent qu’une telle opération coûte, au bas mot, des dizaines de millions d’euros ? En réalité, depuis la publication des dix rapports parlementaires, vous avez diminué drastiquement les moyens de l’audiovisuel public. C’est précisément ce que nous dénonçons : vous imposez une réforme nécessitant la dépense de dizaines de millions d’euros après avoir demandé aux acteurs du secteur, il y a deux mois à peine, d’économiser cette même somme. Voilà comment vous pouvez affirmer que le coût de la création de la holding est nul !
Mme Soumya Bourouaha (GDR). Ce projet de holding constitue une menace directe pour l’indépendance, la diversité et le financement de l’audiovisuel public. Il centralisera la gouvernance et réduira la pluralité qui fait la richesse de notre audiovisuel. Alors que les différentes entités de ce secteur ont chacune leur identité, leur ligne éditoriale et leur ancrage dans le paysage médiatique, cette fusion risquera de standardiser les contenus, de limiter la créativité et d’appauvrir l’offre culturelle.
Ce projet de holding représente également un réel danger pour l’emploi. Il uniformisera les conventions collectives, ce qui ouvrira la voie à une précarisation des conditions de travail des salariés. Pire encore, la nationalisation budgétaire qui accompagne toujours ce type de réforme entraînera des suppressions de postes en même temps qu’elle affaiblira la capacité de production et de diffusion des sociétés concernées.
Le financement de l’audiovisuel public reste un problème majeur, puisque cette proposition de loi ne fait qu’évoquer l’affectation de ressources publiques de nature fiscale, sans aucune précision. Cela laisse planer une dangereuse incertitude s’agissant de la pérennité des moyens alloués à l’audiovisuel. Nous défendons, pour notre part, le rétablissement d’une contribution à l’audiovisuel public réformée, universelle et proportionnelle.
En raison de ces risques majeurs pour la liberté éditoriale, l’emploi et le financement du service public, nous demandons la suppression de l’article 1er.
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Le moment est très étrange : nous demandons la suppression d’un article qui est au cœur de la réforme mais sur lequel le gouvernement vient de déposer, il y a quelques secondes, un amendement de réécriture globale. J’appelle l’attention de l’ensemble de nos collègues sur la manière dont nous travaillons. Le groupe Écologiste et social n’a rédigé que des amendements de fond, qui risquent d’être balayés par l’adoption de l’amendement gouvernemental, dans un manque de respect absolu du Parlement. Je vous invite à réagir à cette mauvaise manière qui nous est faite en supprimant l’article 1er, qui dénote une mauvaise vision de l’audiovisuel public, concentré et diminué du point de vue des moyens.
Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure. Avis défavorable. La dispersion de l’audiovisuel public pose problème, comme l’ont souligné plusieurs rapports parlementaires ainsi que l’étude d’impact de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC). Aussi paraît-il nécessaire de créer une holding, France Médias, regroupant les sociétés de l’audiovisuel public. Nous reprenons ainsi une proposition ancienne, qui date d’un peu plus de dix ans. Cette solution était notamment prévue par le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, dit Riester, adopté par notre commission en mars 2020.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Nous avons lu avec attention les exposés sommaires de ces amendements de suppression. Vous y affirmez avec autorité que la création d’une holding entraînerait la dérive, l’asphyxie, le démantèlement voire la destruction de l’audiovisuel public. En quoi la nomination d’un chef d’orchestre, chargé de faire avancer les coopérations et de fixer un cap stratégique pour les opérateurs publics, détruirait-elle ce secteur ?
Vous conviendrez, madame Bourouaha, que les coopérations par le bas ne fonctionnent pas. Les entités radio et télévision de France Info ne travaillent pas ensemble. Vous expliquez que la création d’une holding viendra caporaliser, d’une certaine manière, les directions éditoriales, qui seront soumises à une instance de gouvernance unique. C’est faux : chaque entité conservera sa raison d’être et son conseil d’administration. Radio France et France Télévisions continueront d’exister : elles auront juste, au-dessus d’elles, une holding, France Médias, qui pourra fixer un cap, trancher des oppositions ou proposer des projets.
Laurence Bloch nous a dit qu’il y a vingt ans, lorsqu’elle était journaliste à France Inter, elle était opposée à la holding, qu’il y a dix ans, elle hésitait, et qu’aujourd’hui, elle y est favorable. En effet, l’absence de chef d’orchestre suscite des atermoiements, des revirements, qui fragilisent les équipes et les empêchent de réaliser ensemble des projets. On peut défendre des visions différentes de l’audiovisuel public, mais j’attends d’entendre d’autres arguments que celui, prononcé d’autorité, selon lequel la création d’une holding démantèlerait le secteur.
Mme Rachida Dati, ministre. Les explications des rapporteurs, qui rejoignent certains éléments de mon discours, sont très claires. Celles de Laurence Bloch, lors de son audition, le sont tout autant : je n’ai pas entendu, à gauche, de véritable contre-argument à tout ce qu’elle a exposé.
Ce n’est plus un débat, ni même de l’obstruction : vous voulez torpiller le service audiovisuel public, que nous ambitionnons, pour notre part, de rendre accessible à l’ensemble des Français, et non uniquement à un petit club. Vous souhaitez l’affaiblir, alors que nous voulons le renforcer en rassemblant ses forces. Comme l’a dit M. Balanant, le sujet est trop grave pour que nous ne fassions pas preuve de responsabilité et que nous ne proposions pas d’avancer. Vous savez très bien que les coopérations actuelles sont difficiles et qu’elles ne fonctionnent pas.
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Le service public audiovisuel ne bénéficie pas qu’à un petit club : chacune des entreprises qui le composent est suivie, en moyenne, par 30 % des auditeurs ou téléspectateurs. Ce sont des trésors nationaux.
Si nous nous opposons à cette réforme, c’est d’abord parce que les rapprochements entre télévision et radio mettent toujours en danger la radio. Toutes les expériences le montrent : je pense notamment à celle menée en Australie, où les autorités viennent de faire marche arrière après avoir constaté à quel point la mise en commun des moyens était nuisible au vecteur radio. Ce dernier porte pourtant en lui des capacités pédagogiques et la possibilité de lutter contre le tout-écran – un enjeu auquel nous sommes très attachés dans notre commission, où nous nous interrogeons sans arrêt sur la valeur pédagogique des images et les moyens de préserver la concentration des enfants dans un monde qui en est saturé.
Je développerai d’autres arguments ultérieurement.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Le débat n’est pas au bon niveau. Vous faites comme si la gauche était indifférente à l’audiovisuel public ou qu’elle en méconnaissait les enjeux, alors que tous les acteurs du secteur – responsables, salariés, syndicats, associations professionnelles – sont hostiles à cette réforme.
Mme Rachida Dati, ministre. Arrêtez ! Respectez aussi ceux que nous recevons ! (Protestations.)
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Madame la ministre, vous n’avez pas la parole.
Mme Rachida Dati, ministre. Vous mentez, monsieur Grégoire ! Ce que vous dites est faux ! (Nouvelles protestations.)
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Chacun a son temps de parole. Ce n’est pas une discussion entre deux personnes : un député, et lui seul, est en train de réagir aux avis des rapporteurs et du gouvernement. La ministre s’est déjà exprimée : je ne lui redonnerai donc pas la parole immédiatement.
Terminez votre intervention, monsieur Grégoire.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Je le répète, tous les acteurs avec lesquels nous avons échangé – responsables, salariés, syndicats, dirigeants de l’audiovisuel public…
Mme Rachida Dati, ministre. Et François Hollande ?
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Bien sûr, François Hollande aussi. Je vois que son avis compte beaucoup pour vous… Malgré vos efforts très poussés, vous ne l’avez pas convaincu. Tous les acteurs que nous avons rencontrés ont donc jugé la réforme inopportune dans son calendrier et mal préparée sur le fond.
Je le répète, parce que vous esquivez à chaque fois ce sujet : il n’y a pas d’étude d’impact. Êtes-vous capables de dire, madame la ministre, madame et monsieur les rapporteurs, quels seront la trajectoire financière et le schéma d’emplois pluriannuel de la future holding ? Ce sont tout de même des questions non négligeables, que les dirigeants de n’importe quelle entreprise privée s’engageant dans la création d’une holding auraient l’obligation d’aborder, de manière documentée, devant leur conseil d’administration. La seule chose que nous vous demandons, c’est de produire une étude d’impact et de présenter aux députés ici présents les enjeux financiers sous-jacents à cette réforme. Je ne comprends pas que vous ne puissiez pas répondre à cette question.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Mme la ministre ne peut pas y répondre, principalement parce qu’elle n’a pas la parole. Nous faisons les choses dans l’ordre : après la présentation d’un amendement par son auteur, les rapporteurs et la ministre donnent leur avis, puis les députés ont la possibilité de réagir : la discussion s’arrête là.
La commission rejette les amendements.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je viens de recevoir du gouvernement un amendement de réécriture globale de l’article 1er, long de trois pages. Je ne peux pas travailler de cette façon : j’ai besoin de temps pour découvrir cet amendement et décider de la façon dont il sera traité. Je vais donc suspendre notre réunion.
La réunion est suspendue de dix-huit heures trente à dix-neuf heures dix.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Si j’ai été amenée à suspendre notre réunion, c’est parce que l’amendement déposé par le gouvernement ne pouvait être examiné en l’état : il ne s’agit pas réellement d’un amendement de réécriture globale de l’article 1er, mais plutôt de plusieurs amendements venant modifier certains alinéas.
La suspension a été marquée par beaucoup de tensions, notamment à l’encontre de l’administration. Je voudrais que nos débats soient sereins, apaisés, et que chacun reste poli. Le moindre problème me conduira à suspendre nos travaux pour une durée plus longue, et peut-être même définitivement. Je suis très sérieuse.
Amendements AC285, AC286, AC287, AC288, AC289, AC290, AC291, AC292, AC293 et AC294 de Mme Céline Hervieu (discussion commune)
Mme Céline Hervieu (SOC). Sur le fond comme sur la forme, ce texte n’est pas du tout satisfaisant. Certes, il est nécessaire de réfléchir à la façon dont les différents opérateurs peuvent travailler en synergie, au sein d’un pôle public audiovisuel. Nous en sommes tous conscients, car la plupart d’entre nous ici souhaitons défendre l’audiovisuel public. C’est d’ailleurs pour cela que nous nous opposons à la réforme que vous nous proposez.
Des acteurs de premier plan, tels que les syndicats et les personnes qui seront directement concernées, au quotidien, par cette réforme, manifestent leur mécontentement de façon extrêmement claire – nous étions encore avec eux aujourd’hui devant l’Assemblée nationale. Veut-on faire le bien des gens en passant outre leur avis ? Il est important d’avancer dans la concertation, dans le dialogue social, notamment avec les organisations syndicales.
Je sais, madame la ministre, que vous avez un agenda politique personnel. Vous voulez mener à bien cette réforme, contrairement à d’autres qui vous ont précédée et qui ne sont pas allés jusqu’au bout. Je comprends que cela soit important pour vous, mais laissez-moi vous alerter sur le fond. Il n’y a pas d’étude d’impact, et on nous explique que la réforme ne coûtera pas un centime d’argent public ; or n’importe quelle personne ayant déjà travaillé à la fusion de deux entités de cette taille sait pertinemment que cela n’est pas possible.
Le but d’une réforme aussi structurelle et importante est-il, comme vous l’avez dit, de réduire les coûts et de faire des économies dans le budget de l’État ? Vous avez menacé de couper les crédits des opérateurs concernés si le projet n’allait pas jusqu’à son terme. Je vous rassure, c’est déjà le cas : Radio France est en grande difficulté, après avoir subi des millions d’euros de coupes budgétaires, et la pérennité de ses orchestres se trouve même menacée.
Au lieu de soutenir l’audiovisuel public dans toute sa diversité – je pense notamment à tous les métiers qui y concourent –, dans toute sa complexité, et de préserver l’identité de ses structures, vous foncez dans le mur, tout en sachant pertinemment que les personnels de terrain sont opposés à cette réforme. Quant à nous, notre position est parfaitement claire : nous continuerons de nous battre pour préserver l’indépendance de France Télévisions et de Radio France, ainsi que pour faire rejeter cette réforme injuste.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Que les salariés de l’audiovisuel public soient inquiets, qu’ils manifestent, j’allais dire que c’est normal. Connaissez-vous beaucoup d’entreprises qui se transforment, qui se réorganisent sans que cela suscite des inquiétudes ou des préoccupations ? Cela doit-il nous empêcher de réorganiser l’audiovisuel public en créant une holding ? Je ne le pense pas.
L’objectif de la holding, pardon de le répéter – mais vous répétez vos propres arguments –, est simplement d’avoir un chef d’orchestre qui fixe des orientations stratégiques. Peut-on sérieusement se satisfaire du fonctionnement actuel de France Info, en particulier du manque de coopération entre France Info télévision et France Info radio ? Je ne le crois pas. Quand on échange avec les salariés, on voit que certains d’entre eux considèrent qu’il manque une holding, un acteur stratégique capable de trancher quand des projets sont importants. C’est exactement ce qu’a dit Laurence Bloch et elle n’est pas la seule à l’exprimer. J’ai été administrateur de Radio France : je sais que des salariés considèrent que l’absence d’un chef d’orchestre ou d’un arbitre, peu importe le nom, empêche d’avancer de manière structurante et pérenne.
Il existe tellement de défis, tellement de menaces – les plateformes, la concurrence étrangère ou encore la désinformation – que nous devons unir les forces, pour travailler ensemble ; sinon, notre audiovisuel se fragilisera et s’affaissera.
Mme Rachida Dati, ministre. Madame Hervieu, cela ne vous ressemble pas de dire que nous avons un agenda. Nous ne sommes pas au conseil de Paris – c’est un simple rappel. Avis défavorable.
Mme Frédérique Meunier (DR). J’ai du mal comprendre ces pas moins de dix amendements. Il s’agit de modifier un seul mot, remplacé par « diffusion », « information », « transmission » ou encore « radiodiffusion ». Si vous n’êtes pas capables de trancher entre ces différents termes, ne nous demandez pas de le faire. Par ailleurs, les propos que vous tenez n’ont rien à voir avec vos amendements. Tout cela démontre, une fois de plus, que votre objectif est de faire de l’obstruction.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Je ne résiste pas au plaisir de vous lire ce que nous disait, il y a exactement un an, Mme Abdul-Malak : « J’estime qu’une holding, préalable ou pas à une fusion, n’est pas indispensable. » Quelques instants plus tard, Mme Bachelot enchaînait : « Je suis une vieille bête de la vie politique ; depuis le temps qu’on nous vend des fusions comme devant conduire à des économies et à un meilleur fonctionnement, et qu’on ne voit que des dérives des coûts de gestion des holdings, on ne me la fait plus ! » Après elle, M. Donnedieu de Vabres déclarait ceci : « Je vais être caricatural : chaque minute passée à des réflexions structurelles certainement très importantes [...] est une minute passée à ne pas réfléchir, face à la violence de l’air du temps, aux liens, à la paix, au respect, à l’identité de chacun. Revenons-en à l’essentiel et à l’urgence. » Quant à M. Toubon, voici ses propos : « Je ne peux qu’être à 200 % d’accord avec ce qui vient d’être dit. Très franchement, et je me permets de le dire comme ancien député, le Parlement ne rendrait pas service au pays en décidant de mettre le doigt dans l’engrenage d’un débat qui serait au mieux superfétatoire, et plus probablement détestable. »
Je crains, malheureusement, que le débat ne devienne vite détestable compte tenu de votre état d’esprit, madame la ministre, et surtout que vos prédécesseurs n’aient eu entièrement raison. Je crains aussi qu’ils ne se soient pas exprimés en tant qu’hommes ou femmes de gauche mais en tant que responsables politiques de droite, de votre famille politique, et on voit que vous êtes bien embarrassée quand il s’agit de répondre aux réserves qu’ils ont exprimées.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Ces amendements ne sont pas de l’obstruction parlementaire. Ils visent à vous obliger à répondre à des questions que, depuis le début de nos échanges, vous laissez méthodiquement de côté au motif que c’est de l’obstruction, qu’il faut avancer, que c’est important pour la France, pour l’avenir, pour l’audiovisuel, etc. Combien coûtera la création de la holding France Médias et sur quelles sources vous appuyez-vous pour avancer un chiffrage ? Par ailleurs, vous engagez-vous à ne pas réduire les crédits de l’audiovisuel public au cours de l’exercice 2025 ?
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements AC623 et AC624 de Mme Céline Hervieu (discussion commune)
Mme Céline Hervieu (SOC). Ces amendements rédactionnels posent une vraie question sur la forme de ce projet de réforme de l’audiovisuel public. Je partage l’étonnement de mes collègues, notamment Emmanuel Grégoire, qui vous posent des questions intelligibles au sujet de vos prévisions. Lorsqu’il est question de décisions aussi structurelles en matière d’organisation, n’importe quel chef d’entreprise est capable d’anticiper. Or gouverner et présider, c’est prévoir. S’il n’existe ni étude d’impact ni capacité de dessiner une trajectoire en matière budgétaire et de RH (ressources humaines), c’est qu’un réel problème de fond se pose. « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface. » Nos interrogations sur la rédaction de l’article 1er sont donc légitimes. Si vous aviez la gentillesse de nous apporter des éléments de réponse, nos échanges seraient beaucoup plus fluides.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Nous avons déposé un amendement pour que les conventions stratégiques pluriannuelles soient non seulement soumises au Parlement mais qu’elles fassent, en plus, l’objet d’un avis contraignant. Le Parlement aura donc à s’exprimer sur la stratégie que l’État fixera à la holding ainsi que, chaque année dans le cadre du budget, sur l’allocation des ressources. Le Parlement gardera la main : il aura le dernier mot. Le président ou la présidente de la holding sera nommé par l’Arcom. Il lui reviendra de préparer une stratégie en lien avec l’État – en particulier le ministère de la culture –, puis le Parlement votera pour ou contre cette stratégie et l’allocation des ressources au sein des différentes entités. Il ne faut pas aller plus vite que la musique, si je puis dire. Attendons que le principe de la holding soit validé.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements AC775 et AC776 de Mme Sophie Taillé-Polian
M. Jean-Claude Raux (EcoS). Deux visions s’opposent. L’une se voudrait rassurante quant à la création de la holding. Nous nous inquiétons, au contraire, de l’effet dévastateur que pourrait avoir cette évolution et nous continuerons donc de nous opposer au regroupement des sociétés de l’audiovisuel public français au sein de la holding France Médias.
Le premier amendement demande ainsi que France Télévisions ne fasse pas partie de cette structure, pour une raison essentielle qui est la préservation de la richesse et des particularités de la télévision publique française. L’amendement suivant a le même objectif général pour ce qui est de Radio France.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Avis défavorable. On a l’impression que ces amendements portent sur un texte qui instaurerait une fusion de l’audiovisuel public. Or il n’y aura pas de fusion : il s’agit de créer une holding comportant des filiales. Il existera, je le répète, une filiale France Télévisions, qui aura un conseil d’administration, donc des administrateurs et des représentants des salariés, ainsi qu’un budget et des équipes pour mettre en œuvre des missions de service public. Je ne vois donc pas en quoi la création de la holding pourrait nuire, comme vous l’écrivez dans l’exposé des motifs, à la « richesse de la télévision publique française ».
Mme Rachida Dati, ministre. Même avis.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Vous nous expliquez qu’il y aura un conseil d’administration pour France Télévisions comme pour Radio France, que la holding aura une véritable existence, mais que tout se fera à moyens constants. Le moins que vous pourriez faire, par honnêteté intellectuelle, serait de reconnaître qu’il y aura au moins des coûts de coordination au niveau de la holding et des coûts supplémentaires en matière de communication. Vous ne pouvez pas dire que vous ferez 1 + 1 = 3, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas des coûts supplémentaires. Soit votre objectif est de réduire les budgets des différentes entités, ce qui permettra peut-être de travailler à coûts constants mais en dépouillant les filiales, soit vous ne ferez rien. Les différents éléments de votre argumentation ne sont pas compatibles entre eux et nos collègues écologistes ont bien raison de vouloir sortir de la holding au moins un des principaux acteurs concernés.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Je partage les interrogations de nos collègues. J’ai travaillé à Universcience au moment de sa création. Cet établissement public avait vocation à regrouper la Cité des sciences et le Palais de la découverte, sous la présidence de Claudie Haigneré, auprès de qui je travaillais directement. Or ce fut une galère monstrueuse. On avait pensé qu’un super établissement public permettrait d’économiser de l’argent et de créer un centre de sciences à taille parisienne et plus efficace mais les deux cultures étaient différentes, même s’il s’agissait de deux établissements scientifiques. On a donc mis beaucoup d’argent dans des dialogues sociaux pour mettre tout le monde au même niveau et finalement, alors qu’on pensait faire des économies, on a dépensé plus d’argent et l’entité unique qui était souhaitée n’a absolument pas marché. Le président actuel d’Universcience est ainsi revenu à deux politiques distinctes en ce qui concerne les publics – il est vrai que le Palais de la découverte est actuellement fermé, mais il rouvrira bientôt.
Les fusions d’entités qui ont des cultures différentes, même si on pense qu’elles sont proches, fonctionnent très difficilement. C’est mon vécu, mais on pourrait citer d’autres exemples. Alors que nous vivons à une époque où il faudrait faire preuve d’efficacité, d’agilité, vous voulez créer une super holding tout en cherchant à nous rassurer en disant qu’elle aura des filiales, ce qui signifie une superposition entre elles et un super machin, c’est-à-dire un millefeuille à la française dont vous déplorez l’existence dans d’autres cas.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques AC1094 du Gouvernement, AC25 de Mme Béatrice Piron, AC57 de Mme Sophie Mette, AC86 de M. Bartolomé Lenoir, AC121 de M. Philippe Ballard, AC156 de M. Salvatore Castiglione, AC720 de Mme Danielle Brulebois et AC777 de Mme Sophie Taillé-Polian
Mme Rachida Dati, ministre. L’amendement AC1094 vise à retirer la société France Médias Monde du périmètre de la future holding.
Mme Béatrice Piron (HOR). Merci, madame la ministre, d’avoir déposé au cours de cette réunion un amendement identique. Nous avions déjà fait cette proposition précédemment – un amendement similaire avait même été adopté en mai dernier. Dans le contexte international que nous connaissons, il nous paraît indispensable de sortir de la holding France Médias Monde, qui a des objectifs et un public totalement différents de ceux de France Télévisions.
Mme Sophie Mette (Dem). Nous souhaitons également sortir France Médias Monde du périmètre de la holding France Médias. On a besoin, dans la période actuelle, de la voix de la France à l’étranger.
M. Philippe Ballard (RN). Notre amendement vise aussi à retirer France Médias Monde de cette holding, par cohérence avec notre projet de privatisation, à terme, d’une partie de l’audiovisuel public.
M. Salvatore Castiglione (LIOT). Le groupe LIOT avait également demandé de retirer France Médias Monde de la holding et continue à le faire.
M. Jean-Claude Raux (EcoS). Après France Télévisions et Radio France, nous demandons de sortir France Médias Monde du périmètre de la holding. Vous nous avez répondu, monsieur le rapporteur, qu’il ne s’agissait pas d’une fusion, mais il y a de quoi s’inquiéter compte tenu de ce qu’on entend dans cette commission. D’autres étapes pourraient suivre : après avoir mis en cause la justice, certains pourraient s’en prendre à la liberté de l’audiovisuel public.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Ma collègue rapporteure et moi avons sans doute une vision un peu singulière : nous souhaitons maintenir France Médias Monde dans la holding.
France Médias Monde a des résultats remarquables. Le rôle de cette société est essentiel, notamment dans le contexte actuel de guerre de l’information, et nous voulons saluer ses salariés, qui font face à des coupures de service en Russie, au Mali, au Burkina Faso, au Soudan et en Libye, ce qui n’est pas acceptable. Exclure France Médias Monde du périmètre de la holding risquerait de l’affaiblir durablement. France Médias, si nous créons cette holding, disposera de moyens importants et pourra développer une offre d’information internationale. Les coopérations éditoriales entre, d’une part, France Médias Monde et, d’autre part, France Télévisions et Radio France, sont déjà substantielles. Les correspondants de RFI participent aux programmes de France Télévisions et un tiers de la grille des programmes de la chaîne d’information en continu France Info est fourni par France 24. Par ailleurs, France 24 est diffusée sur la chaîne France Info toutes les nuits, de minuit à 6 h 30. En tout, 80 % des 25 % de programmes d’actualité française de France Médias Monde proviennent de France Télévisions. L’intégration de France Médias Monde dans la holding permettrait de renforcer ces coopérations et la visibilité de l’actualité internationale.
Le rapport pour avis de la commission des affaires étrangères ne comprend pas réellement d’argument en faveur de l’exclusion de France Médias Monde de la holding : il exprime simplement une crainte. J’entends la nécessité de rassurer ceux qui pensent que la création de la holding affaiblirait l’audiovisuel public extérieur, mais nous pouvons prévoir à cet effet des garde-fous. Si nous précisons que l’audiovisuel extérieur doit être une priorité parmi les missions de la holding, nous pouvons inclure France Médias Monde dans le périmètre de cette dernière. Je crains très sérieusement que si nous créons la holding en excluant France Médias Monde de son périmètre, notre audiovisuel en soit fragilisé à moyen terme.
Mme Rachida Dati, ministre. Je suis favorable, je l’ai dit, à l’exclusion de France Médias Monde du périmètre de la holding.
On me demande combien celle-ci coûtera, mais il faudrait savoir : soit on pense qu’elle sera coûteuse, soit on croit que nous la faisons pour réaliser des économies. Essayez de faire preuve de cohérence. Par ailleurs, la holding aura un PDG.
Madame Hadizadeh, s’agissant du Palais de la découverte et de la Cité des sciences, vous avez raison. La politique des publics menée à la suite de cette fusion ne marche pas tellement bien. Comme une vraie question se pose, j’ai mandaté une mission, qui reverra l’ensemble, y compris sous l’angle de la restauration, et me remettra ses conclusions avant l’été. Pour ce qui est de France Télévisions, une holding a d’abord été créée, en 2000, puis une société unique, en 2009, et ce fut une réussite – cette évolution n’a jamais été remise en cause. Ce sont des matières et des univers différents.
Mme Sophie Mette (Dem). Il me semble, à la lecture de l’exposé des motifs de l’amendement du Gouvernement, qu’il n’a pas été toiletté avant son dépôt.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Madame la ministre, on peut très bien augmenter les frais de gestion ou de coordination et réduire les dépenses de production et de création, en faisant le calcul, mauvais selon nous, que les économies l’emporteront sur l’explosion des coûts. Chacun serait alors libre d’en tirer des conclusions.
Nous vivons un de ces moments de vérité que le débat parlementaire nous offre parfois. Le rapporteur est cohérent, ce que je salue : si la holding est une bonne chose pour les entreprises de l’audiovisuel public, on ne voit pas pourquoi France Médias Monde devrait faire exception. Madame la ministre, vous devriez donc nous expliquer en quoi ses missions et son travail seraient si différents de ceux des autres acteurs de l’audiovisuel public, mais vous ne le faites pas, car ce projet est vicié dans son principe même, et vous le savez très bien. Nous sommes cohérents : nous ne voulons de cette holding ni pour France Médias Monde ni pour aucune filiale.
Par ailleurs, vous n’avez pas répondu aux propos de vos prédécesseurs que j’ai cités tout à l’heure. Rien ne plaide dans l’exposé des motifs du Gouvernement dans le sens d’une singularité de France Médias Monde si ce n’est l’évocation de missions spécifiques – mais c’est vrai pour toutes les filiales. Donnez-nous au moins un argument. Expliquez-nous pourquoi vous vous êtes avisée, le jour de l’examen du texte en commission, qu’il était urgent de retirer France Médias Monde de la holding alors que vous nous avez dit que des réflexions étaient en cours sur la création de cette structure depuis dix ans et que vous y travaillez vous-même depuis un an. Le Gouvernement est-il si peu préparé que vous avez découvert au dernier moment que France Médias Monde était en péril en cas d’intégration de la holding ?
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Il est sain de sortir France Médias Monde du projet de holding. Je regrette simplement que votre audace n’aille pas jusqu’à en sortir toutes les autres sociétés.
Monsieur Ballard, vous avez souligné que la création de la holding était un moyen de préparer la privatisation de l’audiovisuel public. Vous l’avez dit très honnêtement et je veux que chacun prenne conscience de la gravité de la décision que nous prendrions en préparant cette évolution, qui serait mise en œuvre par le Rassemblement national ou par d’autres.
Madame la ministre, je relève ce que vous avez dit, lorsque vous êtes revenue sur la question du Palais de la découverte et de la Cité des sciences, au sujet de la holding préparant la fusion. Vous ne l’avez peut-être pas exprimé sous la forme d’une intention assumée, mais c’est incontestablement la menace que nous voyons poindre, notamment dans « l’étude d’impact » actualisée – qui n’est pas une étude d’impact. Le niveau d’intégration concernant France Info et Ici est incontestablement le signe avant-coureur d’une fusion pure et simple.
Mme Céline Calvez (EPR). Quand la question de l’inclusion ou non de France Médias Monde s’est posée en mai 2024, le projet qui nous était présenté était celui d’une fusion et il avait été introduit dans nos débats d’une manière plus abrupte, ce qui a suscité, c’est vrai, beaucoup d’émotion, notamment chez eux qui s’intéressent aux affaires étrangères – ils voulaient épargner France Médias Monde. Il est désormais question d’une holding et je pense, comme le rapporteur, qu’il est plus sain que France Médias Monde en fasse partie. C’est pour son bien : cette société ne doit pas rester isolée. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’elle s’adresse à d’autres publics qu’elle ne peut pas aussi nous éclairer, que nous habitions à Paris ou au Mans. Enfin, exclure France Médias Monde du projet de holding ne ferait qu’affaiblir cette dernière. Comme je crois profondément en ses vertus, je trouve qu’il est important de voter contre ces amendements. Une holding doit regrouper et non exclure.
La commission adopte les amendements.
Amendement AC778 de Mme Sophie Taillé-Polian
M. Jean-Claude Raux (EcoS). Comme nous l’avons fait pour France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, nous demandons que l’Institut national de l’audiovisuel soit sorti de cette holding dont nous ne voulons toujours pas.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. Même avis.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Il faudrait présenter des arguments en ce qui concerne l’INA. S’il existe au sein de la future holding une filiale dont le métier est très singulier, c’est celle-ci. C’est là que les capacités, les savoir-faire, les missions et les statuts sont les plus différents de ce qui existe ailleurs. Je sais bien qu’on utilise à l’INA, comme à la radio et à la télévision, des micros et des écrans, mais cela ne suffit pas. On n’y fait pas le même métier que les journalistes ou les créateurs, de radio ou de télévision. Expliquez-nous donc pourquoi l’INA aurait sa place dans la holding. Vous venez de dire que la singularité des missions et des métiers de France Médias Monde justifiait que cette société n’y fût pas. Expliquez-nous pourquoi l’INA ne devrait pas faire l’objet du même traitement.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Nous sommes favorables à cet amendement. Je ne sais pas si tout le monde sait à quel point l’INA, tout en étant parfaitement indépendant, a su développer des synergies et des nouveaux produits et augmenter considérablement l’audience de ses archives documentaires, lesquelles sont extrêmement appréciées sur les réseaux sociaux. C’est un argument de plus : quand on fait des contenus de qualité et qu’on sait les mettre en avant, on n’a besoin ni de holding ni de fusion.
Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure. Il se trouve que le président de l’INA s’est lui-même montré favorable, lors des auditions, à un rapprochement au sein de la holding. Nous ne sommes pas convaincus par les arguments que vous avez développés.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AC628, AC629 et AC625 de Mme Céline Hervieu (discussion commune)
Mme Céline Hervieu (SOC). Ce que vous proposez, il faudrait l’entendre, va exactement dans le sens du Rassemblement national, qui a pour objectif une privatisation. La création d’une holding est le préalable d’une fusion, qui est elle-même le préalable d’une privatisation. Il faudrait apporter des réponses sur ce point, madame la ministre, d’autant que vous souhaitez plutôt défendre l’audiovisuel public – vous ne voulez pas une privatisation. Expliquez-nous comment vous comptez faire pour éviter que le premier pas que vous allez réaliser avec le vote de ce texte ne soit une première pierre sur le chemin de la privatisation de l’audiovisuel public.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. La création de la holding facilitera-t-elle demain la privatisation de l’audiovisuel public ? La réponse est non. Je ne suis pas juriste, mais vous pourrez poser la question à des gens plus qualifiés : tout le monde vous expliquera que la création d’une holding ne facilitera en aucune manière la privatisation. Il faudra passer par la loi pour privatiser la holding ou, si elle n’est pas créée, chacune des entités. La création de la holding ne changera strictement rien à la capacité du législateur de privatiser demain. Comme il y aura des filiales et d’autres entités à côté, cela risque même d’être plus compliqué. Ce que vous dites n’est donc pas un argument.
Mme Rachida Dati, ministre. Nous avons déjà connu des privatisations : il faut passer par la loi. Ensuite, ce texte ne vise pas à réaliser une fusion, mais à créer une holding. Et quand des entités sont investies d’une mission publique, elles ne sont pas privatisables à moins d’un changement beaucoup plus important – il faudra plus qu’une loi ordinaire. Ce texte ne permettra évidemment pas une privatisation. Il faudrait pour cela un changement politique majeur et une majorité dans cette assemblée. À nous de nous battre pour protéger ce à quoi nous tenons.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements AC630, AC631 et AC632 de Mme Céline Hervieu (discussion commune)
Mme Céline Hervieu (SOC). Madame la ministre, le 14 mai 2024, lors du précédent examen de ce texte, vous avez déclaré : « Pour notre part, nous souhaitons préserver l’indépendance de l’audiovisuel public en sanctuarisant son financement et en rassemblant ses forces. » Résultat : le budget pour 2025 a diminué de 80 millions d’euros par rapport à 2024. Vous nous assurez maintenant que la création d’une holding ne facilitera pas la privatisation : vu ce qu’il est advenu de votre engagement sur le financement, permettez-moi d’en douter. Non seulement nous ne savons pas qui sera aux responsabilités demain, mais en plus, pas besoin d’avoir fait huit ans de droit pour savoir qu’il est plus simple de privatiser une entité unique.
Tout le monde a parfaitement compris qu’un des objectifs de votre réforme est de réaliser des économies, notamment en supprimant des doublons de poste dans les fonctions support. Seulement, la création de cette holding coûtera elle-même plusieurs dizaines de millions d’euros par an : assumez-le ! Vous nous assurez que le coût de la réforme sera nul, comme cela est écrit dans l’étude d’impact : serez-vous capable de tenir cet engagement ?
Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure. Ce sont des amendements d’obstruction. Avis défavorable.
Mme Rachida Dati, ministre. Nous sommes tous, ici, capables de tenir nos engagements – moi la première. Je m’étais engagée à préserver le mode de financement de l’audiovisuel public : c’est chose faite, grâce à la sanctuarisation de l’affectation d’une fraction de TVA, qui devait initialement disparaître au 1er janvier 2025. Je m’étais engagée à maintenir le budget, en valeur absolue, tout au long de l’année : c’est chose faite.
Comme je l’ai déjà dit – mais je peux le répéter à nouveau –, la création d’une holding ne génère pas de coûts. Il reviendra au PDG exécutif et au conseil d’administration de la holding de décider de son organisation pour assurer les missions qui lui seront dévolues, à commencer par la préservation de l’audiovisuel public.
Enfin, je vous rappelle qu’en 2015, un sénateur écologiste a rédigé un rapport favorable à la création d’une holding.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Correction : ce n’est pas vous qui avez tenu votre engagement sur l’indépendance du financement de l’audiovisuel, mais bien nous, députés, qui l’avons sauvé en acceptant de voter conforme la proposition de loi organique ad hoc !
Quant à nos amendements, tout cabotins qu’ils soient, ils sont prétexte à des questions précises, auxquelles vous refusez systématiquement de répondre. Par exemple, vous ne nous avez pas apporté la moindre réponse sur le coût de la réforme.
Mme Frédérique Meunier (DR). Elle vous répond, mais les réponses ne vous conviennent pas !
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Non, elle ne nous a pas répondu !
Mme Rachida Dati, ministre. Mais si !
M. Emmanuel Grégoire (SOC). « Rien », telle est votre réponse ! Ce n’est vraiment pas sérieux.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Voilà que ça recommence ! Nous sommes tout près de la fin de la réunion, ce serait dommage d’ajourner les travaux maintenant.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Effectivement, vous nous avez contraints à accepter votre solution en nous menaçant, si nous ne nous y résolvions pas, de laisser le financement de l’audiovisuel public partir dans le décor ! Au moins ce débat aura-t-il eu le mérite de vous forcer à reconnaître qu’en réalité, vous vous fichez comme d’une guigne de l’avenir de l’audiovisuel public, et que vous n’avez pas l’intention d’employer tous les moyens à la main du gouvernement pour le sauver de la privatisation.
Vous prétendez que la création d’une holding n’engendrera aucun coût. Mais une telle fable n’amuse que les petits enfants ! Il y aura un PDG, il lui faudra au moins un bureau ! Et le changement des papiers à en-tête ? Ces exemples sont un peu absurdes, mais ils montrent bien que le coût ne peut pas être nul. Alors dites-nous la vérité : si ça doit coûter une poignée de cerises, dites-le, et nous jugerons sur pièce. Mais nous refusons de gober des contre-vérités manifestes comme celles que vous assénez !
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques AC750 de M. Frédéric Maillot et AC779 de Mme Sophie Taillé-Polian
M. Frédéric Maillot (GDR). La dernière fusion de ce type, intervenue en 2000, visait à regrouper France 2, France 3, France 4, France 5 et Outre-mer La Première au sein de France Télévisions : ça a pris dix ans et coûté 189 millions ! Nous savons donc tous pertinemment que la création d’une entité unique a un coût social et financier.
Ensuite, si nous ne sommes pas parfaitement transparents sur les missions et orientations stratégiques du projet dès le départ, nous allons droit dans le mur. Afin d’apporter aux salariés la confiance et le respect qu’ils méritent, cet amendement vise donc à garantir que l’indépendance et la liberté éditoriale resteront les principes cardinaux de la future entité.
En ces temps de désinformation, l’audiovisuel public reste un rempart important pour les auditeurs et téléspectateurs : il est de notre devoir de permettre aux journalistes d’exercer leur métier librement et sans pression extérieure.
M. Jean-Claude Raux (EcoS). Les missions qui seront dévolues à France Médias restent pour le moins imprécises, et n’empêchent pas la création d’une direction éditoriale centralisée. Cet amendement tend donc à insister sur le respect de l’indépendance et de la liberté éditoriale des différentes sociétés de l’audiovisuel public.
Reconnaissant la qualité de l’information qui y est diffusée, nos concitoyens plébiscitent largement l’audiovisuel public – 81 % d’opinions favorables pour la radio, 71 % pour la télévision. Or l’indépendance de la gouvernance et la diversité des médias publics sont l’une des conditions de la confiance qu’ils accordent à l’audiovisuel public. Contrôler simultanément France Télévisions, Radio France, Arte et l’INA constituerait un véritable défi et, de fait, la centralisation de la gouvernance en favoriserait largement l’exercice. Mais ce n’est pas la direction que nous devons prendre.
M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Vous voyez dans cette holding une sorte de monstre technocratique qui censurerait les filiales ; nous y voyons un chef d’orchestre, capable de fixer un cap stratégique et de renforcer la coopération pour offrir, demain, une information commune. Il a fallu quarante ans pour que deux médias de proximité, France 3 et France Bleu, travaillent ensemble et deviennent Ici : ce n’est pas acceptable ! La gouvernance unique n’aura pas vocation à censurer les filiales, mais à renforcer les projets éditoriaux communs, au service des Français et de la proximité.
Nous sommes évidemment attachés à la liberté et à l’indépendance éditoriale des médias publics, et avons d’ailleurs déposé un amendement garantissant la présence de journalistes au sein du conseil d’administration de France Médias et de ses sociétés filles.
Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure. Quelle mauvaise foi, monsieur Grégoire : la ministre vous a clairement répondu sur le coût de la holding ! Quand on a déposé 485 amendements – 228 pour les écolos – et que des dizaines de sous-amendements sont déposés petit à petit dans l’unique objectif d’obstruer les débats, on ne donne pas de leçons de sérieux !
Mme Rachida Dati, ministre. Même avis que les rapporteurs.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Moi non plus, je n’ai pas eu de réponse à mes questions – et pourtant, mon groupe n’a pas déposé des centaines d’amendements ! Si vous nous répondiez, cela bénéficierait à tout le monde.
Ces deux amendements sont, d’une certaine façon, une pétition de principe. Puisque vous nous assurez que l’indépendance et la liberté éditoriale des filiales sont acquises, monsieur le rapporteur, vous pourriez soutenir leur adoption, ne serait-ce que pour nous rassurer ; mais vous ne le faites pas. Après huit ans de macronisme, je n’ai plus aucune confiance en vous. Et vous venez encore une fois de me prouver que j’ai bien raison.
La commission adopte les amendements.
La séance s’achève à vingt heures cinq.
Présences en réunion
Présents. – Mme Farida Amrani, M. Rodrigo Arenas, M. Raphaël Arnault, Mme Bénédicte Auzanot, M. Erwan Balanant, M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, Mme Béatrice Bellamy, Mme Soumya Bourouaha, Mme Danielle Brulebois, M. Joël Bruneau, Mme Céline Calvez, M. Aymeric Caron, M. Salvatore Castiglione, M. Pierrick Courbon, M. Laurent Croizier, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Julie Delpech, Mme Virginie Duby-Muller, M. Philippe Fait, M. José Gonzalez, M. Emmanuel Grégoire, Mme Justine Gruet, M. Frantz Gumbs, M. Steevy Gustave, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Florence Herouin-Léautey, Mme Céline Hervieu, Mme Florence Joubert, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Jean Laussucq, M. Bartolomé Lenoir, Mme Pauline Levasseur, M. Eric Liégeon, M. Frédéric Maillot, M. Christophe Marion, Mme Graziella Melchior, Mme Marie Mesmeur, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Michelet, M. Jérémie Patrier-Leitus, M. Thierry Perez, Mme Béatrice Piron, Mme Lisette Pollet, M. Alexandre Portier, M. Christophe Proença, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Claude Raux, Mme Claudia Rouaux, M. Aurélien Saintoul, M. Bertrand Sorre, Mme Violette Spillebout, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Paul Vannier
Excusés. – M. José Beaurain, M. Arnaud Bonnet, Mme Anne Genetet, Mme Tiffany Joncour, Mme Nicole Sanquer
Assistaient également à la réunion. – M. Xavier Breton, M. Alexis Corbière, M. Bruno Fuchs, M. Bertrand Sorre