Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition du lieutenant-colonel Cyril Colliou, adjoint à la cheffe de l’Office mineurs (Ofmin), et de Mme Typhaine Desbordes, cheffe du bureau des partenariats et de la communication 2
– Présences en réunion..............................13
Jeudi
3 avril 2025
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 47
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à dix heures.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), le lieutenant-colonel Cyril Colliou, adjoint à la cheffe de l’Office mineurs (Ofmin) et Mme Typhaine Desbordes, cheffe du bureau des partenariats et de la communication.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous poursuivons nos travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires en recevant le lieutenant-colonel Cyril Colliou, adjoint à la cheffe de l’Office mineurs (Ofmin), et Mme Typhaine Desbordes, cheffe du bureau des partenariats et de la communication.
Mis en place en novembre 2023, l’Ofmin est chargé de lutter contre les infractions les plus graves commises à l’encontre des mineurs, parmi lesquelles les viols et agressions sexuelles perpétrés dans un cadre institutionnel – milieu scolaire, périscolaire, associatif ou religieux.
Ses missions comprennent l’élaboration d’une doctrine opérationnelle à destination de tous les enquêteurs et la production d’une analyse criminelle visant à améliorer la connaissance de cette délinquance.
Il nous semble donc que l’Ofmin a un rôle déterminant à jouer pour améliorer les suites données aux signalements transmis à la police ou à la justice en matière de violences commises contre des enfants dans le cadre de leur scolarité.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Cyril Colliou et Mme Typhaine Desbordes prêtent serment.)
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vous prie de nous exposer brièvement le rôle de l’Ofmin et de nous expliquer les grandes lignes de son fonctionnement et de nous préciser les moyens dont il dispose.
Par ailleurs, quelle part de vos interventions représentent les violences commises en milieu scolaire ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou, adjoint à la cheffe de l’Office mineurs. L’Ofmin, créé par décret du 29 août 2023, est un service de police judiciaire à compétence nationale, chef de file en matière de lutte contre les violences faites aux enfants. Il s’agit d’un service d’enquête qui conduit des investigations en saisine propre ou en appui de services d’enquête territoriaux.
Nos missions principales sont le renseignement, l’investigation et l’animation.
Tout d’abord, dans le domaine du renseignement, nous collectons, traitons, analysons et diffusons le renseignement relatif à la pédocriminalité. L’Ofmin est le point de contact au central et au niveau international du renseignement relevant de son champ de compétences et qui émane de différents canaux : services territoriaux de la police et de la gendarmerie, parquets et juges d’instruction, pays partenaires – en bilatéral ou via les canaux de coopération classiques tels Interpol et Europol –, associations et ministères.
Ensuite, concernant l’investigation, nous traitons les dossiers relatifs aux profils pédocriminels relevant du « haut du spectre », soit les profils les plus à risque. L’Ofmin gère les investigations les plus complexes et les plus sensibles, notamment celles qui concernent des faits de nature sérielle, avec la commission d’infractions dans un cadre spatio-temporel qui peut être extrêmement important. Nos investigations sont également réalisées dans le champ du numérique, avec un travail d’identification des victimes ainsi que d’identification et de localisation des auteurs utilisant toutes les techniques d’anonymisation sur internet pour échapper aux services d’enquête.
Enfin, notre mission d’animation consiste à piloter la filière mineurs. Outre l’Ofmin, les commissariats et les services de police, qui disposent de services dédiés à la famille et aux mineurs, 17 antennes et détachements de l’Ofmin seront créés au niveau territorial. Le pilotage dépasse le seul environnement policier, puisque l’Ofmin travaille étroitement avec la gendarmerie nationale et coordonne plus largement au niveau national des actions de prévention et de partenariat avec le milieu associatif et les autres ministères.
L’Ofmin est dirigé par une commissaire de police et j’occupe les fonctions d’adjoint en tant que gendarme. Notre structure comprend un pôle opérationnel, un pôle stratégie chargé des partenariats et de la prévention, et un secrétariat général pour les fonctions administratives. Actuellement, nous comptons 52 agents, avec l’objectif d’atteindre 85 personnels.
La création de l’Ofmin répond au fait que la France était l’un des derniers grands pays européens à ne pas disposer d’un service à compétence nationale dédié à cette problématique. Celle-ci était néanmoins appréhendée par différents services dont le Groupe central des mineurs victimes de l’Office central pour la répression de la violence aux personnes (OCRVP) a servi de noyau dur et de base à la constitution de l’Ofmin.
Sa création fait suite à une analyse de la menace réalisée en 2023. En effet, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a mis en exergue que, pour 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année, seules 65 300 plaintes sont enregistrées. Ce décalage significatif – avec près de deux victimes sur trois qui ne déposent pas plainte – révèle des dysfonctionnements potentiels ou des difficultés. De plus, un rapport général de l’administration indiquait que 75 % des plaintes pour violences sexuelles sur mineurs faisaient l’objet d’un classement sans suite, avec seulement 3 % des procédures comportant plus de trois pièces. Enfin, 50 % des violences sexuelles sur mineurs, principalement incestueuses, sont commises dans un cadre familial, et 25 % impliquent une personne ayant autorité, comme un enseignant ou un entraîneur sportif.
M. Paul Vannier, rapporteur. Concernant le milieu scolaire, vous avez mentionné que 25 % des 65 000 plaintes recensées visaient des enseignants ou des entraîneurs sportifs. Pourriez-vous nous préciser la proportion et la nature des violences que vous identifiez en milieu scolaire ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. L’étude réalisée par la Ciivise ne se limite pas aux plaintes déposées, mais propose une analyse globale et une projection sur l’ensemble des violences subies par les mineurs, estimées à 160 000 faits. Cette estimation inclut potentiellement la partie immergée de l’iceberg, à savoir les deux tiers des cas qui ne font pas l’objet d’une plainte.
Concernant spécifiquement les violences en milieu scolaire, le ministère de l’intérieur et les services statistiques ne disposent pas d’outils permettant une quantification précise. De plus, la création récente de l’Ofmin ne nous permet pas encore de fournir des données statistiques.
Néanmoins, je peux vous présenter un aperçu empirique basé sur notre activité. Depuis sa création, l’Ofmin a été saisi de 14 affaires liées au milieu scolaire, dont 9 sont toujours en cours. Une majeure partie de ces affaires ont une dimension internationale et concernent des établissements français situés à l’étranger. Ces enquêtes, que nous qualifions de « miroirs », sont ouvertes en France, parallèlement aux investigations menées à l’étranger pour des faits commis dans des établissements français à l’étranger.
Quatre affaires sont assez significatives et éclairantes sur la typologie des faits commis, à savoir : des faits de viols et d’agressions sexuelles sur mineur dans un établissement privé, commis par un maître d’internat ; des faits de viols sur mineurs de 15 ans dans un établissement religieux hors contrat, perpétrés par un prêtre ; la détention d’images pédocriminelles dans un établissement privé par un surveillant ; la détention et la diffusion d’images pédocriminelles dans un établissement scolaire à l’étranger, non affilié à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), impliquant le directeur de l’établissement.
L’ouverture d’enquêtes miroirs se justifie par plusieurs raisons.
Premièrement, dans certains pays, les investigations peuvent s’avérer insuffisantes, ne permettant pas de mener l’enquête à son terme de manière satisfaisante.
Deuxièmement, des éléments présents sur le territoire national peuvent potentiellement enrichir l’enquête étrangère, favorisant ainsi une coopération entre les autorités policières et judiciaires des deux pays. Si les investigations à l’étranger s’avèrent insuffisantes, les autorités françaises peuvent préempter le dossier et engager des poursuites sur le territoire national.
Troisièmement, un point crucial concernant le milieu de l’éducation nationale est le risque de sérialité. Si la personne mise en cause a potentiellement exercé une carrière sur le territoire national, il est de notre devoir de déterminer si elle a pu commettre des faits en France préalablement.
La proportion importante d’enquêtes concernant des établissements à l’étranger s’explique par un protocole tripartite signé entre l’Ofmin, l’AEFE et le parquet de Paris, afin de faciliter la remontée des incidents et le partage d’informations sur les situations de violence sur mineurs à l’étranger, que ce soit dans un cadre scolaire ou familial. Les faits sont transmis via un canal de coopération policière, à savoir la Direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS).
M. Paul Vannier, rapporteur. Cette convention tripartite entre l’AEFE, le parquet et l’Ofmin semble effectivement efficace, compte tenu du nombre important de signalements que vous recevez. Existe-t-il des conventions similaires sur le territoire hexagonal, impliquant par exemple des rectorats, des inspections académiques ou le ministère de l’éducation nationale lui-même ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. À ce jour, nous n’avons pas conclu de convention avec le ministère de l’éducation nationale. Cette situation s’explique par la création récente de l’Ofmin. Nous sommes actuellement en phase de développement de nos partenariats et une convention de ce type trouverait effectivement toute son utilité.
Cependant, il est important de souligner que l’absence de convention ne signifie pas l’absence de collaboration opérationnelle avec le ministère de l’éducation nationale. Dans le cadre de nos investigations concernant les victimes mineures sur le territoire national, nous travaillons étroitement avec la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), qui nous apporte un appui pour l’identification des victimes dans certains dossiers.
M. Paul Vannier, rapporteur. Les dossiers que vous avez évoqués semblent tous concerner des établissements privés, qu’ils soient sous contrat ou hors contrat. Pouvez-vous confirmer cette observation et nous apporter des précisions sur la nature des établissements dans lesquels des victimes vous sont signalées ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. Je n’ai pas effectué de classification des établissements concernés. Cependant, je peux affirmer qu’il n’y a pas de type d’établissement particulièrement visé, qu’il soit sous contrat ou hors contrat. Il est important de souligner que ce type de délinquance et de criminalité ne connaît pas de frontières administratives ou de distinctions entre établissements privés et publics, sous contrat ou hors contrat. Tous les types d’établissements peuvent être concernés, bien que je ne puisse pas vous donner de proportions précises.
Par ailleurs, je tiens à ajouter que nous avons une convention très efficace avec le ministère des sports, de la jeunesse et de la vie associative, appelée « Signal-sports ». Cette cellule est destinataire des remontées d’informations par les fédérations en cas de violences à caractère sexiste et sexuel, notamment impliquant des mineurs. Cette convention de partenariat nous rend également destinataires des informations relatives à l’article 40 du code de procédure pénale transmises par la cellule au parquet territorialement compétent. Cela génère une remontée d’informations intéressante dans le milieu sportif à destination de l’Ofmin.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous constatons donc l’existence d’une convention efficace pour les établissements français à l’étranger, ainsi qu’une convention performante pour les signalements avec le ministère des sports, de la jeunesse et de la vie associative. Il semble logique qu’une convention similaire avec l’éducation nationale puisse voir le jour prochainement. Au-delà de l’absence de convention formelle avec le ministère de l’éducation nationale, êtes-vous saisis d’affaires systémiques sur le territoire hexagonal ? Avez-vous été sollicités, depuis la création de l’Ofmin, pour des affaires telles que celles de Bétharram, Riaumont ou les récentes révélations concernant des lycées en Bretagne ? Existe-t-il des coopérations locales impliquant la police, les procureurs, les associations et le ministère de l’éducation nationale dans le cadre de ces affaires ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. L’Ofmin n’a pas été cosaisi pour les dossiers que vous mentionnez, car la plupart de ces enquêtes ont été ouvertes avant sa création. Au moment où notre office a été mis en place, ces enquêtes étaient déjà bien avancées par les services locaux. Par conséquent, nous ne sommes pas intervenus dans ces investigations.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Bénéficiant de la grande énergie déployée dans les médias par d’autres collectifs de victimes, un collectif structuré ces dernières semaines dans le Finistère vient de déposer une cinquantaine de plaintes. Comment se formalise la cosaisine dans ce type de situation ? Je présume que les victimes ne vous saisissent pas directement. Une cosaisine devrait-elle avoir lieu ? Si c’est le cas, pouvez-vous nous expliquer son fonctionnement ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. La saisine d’un service d’enquête relève du pouvoir souverain du parquet local dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance, ou du juge d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire. Cependant, lorsque l’Ofmin est informé de faits justifiant ou nécessitant son intervention, notamment pour des dossiers dépassant les capacités d’investigation des services locaux, nous sommes susceptibles d’intervenir, en cosaisine ou même en saisine exclusive.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous évoquez le pouvoir souverain du parquet ou du juge d’instruction, ainsi que la possibilité d’une cosaisine ou d’une saisine exclusive de l’Ofmin, en fonction des moyens du parquet. Cette procédure est-elle codifiée ? Est-elle systématique dans les cas d’affaires systémiques, comme celle impliquant 50 plaintes sur un même établissement sur plusieurs années ? Existe-t-il une convention écrite relative aux modalités de saisine entre les parquets et l’Ofmin ? Ces modalités sont-elles précisées dans le texte relatif à votre création ? Il est important que les collectifs de victimes qui nous écoutent comprennent clairement le fonctionnement de ce processus.
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. Je tiens à préciser que j’évoquais les moyens des services d’enquête locaux, et non de ceux du parquet.
Aucune codification n’existe à ce sujet. La création de l’Ofmin est encadrée par un décret de compétences. En outre, le code de procédure pénale encadre l’action d’investigation des services d’enquête sous l’autorité du parquet ou du juge d’instruction. Seul le magistrat est à même de saisir un service d’enquête. Néanmoins, en raison de notre positionnement et des remontées d’informations que nous recevons – par les services d’enquête, les juridictions ou les associations d’aide aux victimes –, lorsque nous identifions un dossier complexe, l’Ofmin peut contacter le service local, évaluer le dossier et proposer ses services au service d’enquête ainsi qu’au magistrat chargé des investigations.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. L’Ofmin a regroupé des professionnels spécifiquement formés aux enquêtes sur les violences faites aux mineurs, notamment au recueil et à l’analyse de la parole de l’enfant, ainsi qu’aux dérives systémiques. On imagine donc la plus-value de l’Ofmin pour des enquêtes complexes et systémiques. Cependant, l’absence de codification concernant l’ampleur des sujets et le moment de votre saisine me surprend. À l’inverse, votre action de communication vis-à-vis des juridictions, auxquelles vous proposez vos services, est intéressante. Pourriez-vous la détailler ? Dans le cadre d’une procédure judiciaire, on s’attendrait à un processus plus formalisé qu’une simple « offre de service ».
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. Le principe de l’Office central, service d’investigation à compétence nationale, n’est pas nouveau. Il existe différents offices pour divers types de contentieux, comme l’Office français antistupéfiants (Ofast) pour la lutte contre les trafics de stupéfiants, ou d’autres en matière d’environnement ou de lutte contre le travail illégal. Aucune de ces structures ne fonctionne selon des normes strictement définies. L’Ofmin est saisi de la même manière que les autres offices.
Concernant notre action de communication auprès des juridictions, l’Ofmin réalise actuellement un tour de France des cours d’appel, autour desquelles sont réunis les magistrats traitant de près ou de loin du contentieux relatif aux mineurs, comme les juges des enfants et les juges d’instruction. Nous leur présentons l’Ofmin, leur exposons un état de la menace, les sensibilisons à certains phénomènes et les informons des possibilités de nous saisir, au titre de l’évaluation d’un dossier ou pour mener des investigations sur des dossiers complexes et sensibles.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Ce travail de communication est d’autant plus crucial que, depuis le début de nos travaux, auditions et rencontres, l’existence, la saisine ou l’interpellation de l’Ofmin n’ont pas été évoquées par les associations et collectifs de victimes ou de professionnels. Bien que vous soyez une structure récente, il semble nécessaire de poursuivre ce travail de communication au sein du réseau des professionnels de la protection de l’enfance.
Concernant le lien avec le ministère de l’éducation nationale, avez-vous connaissance de l’application « Faits établissement » ? Celle-ci existe dans les établissements publics et comprend quatre catégories, dont une dédiée au signalement de violences ou d’agressions physiques ou sexuelles sur des élèves. La ministre de l’éducation nationale a annoncé son déploiement prochain dans les établissements privés. Voyez-vous dans ce dispositif de signalement une opportunité d’interaction pour vous saisir de certaines affaires, notamment dans la perspective d’une éventuelle convention de fonctionnement avec ce ministère ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. Je déplore l’absence d’évocation de l’existence de l’Ofmin par les associations. Cependant, je ne pense pas que cela signifie qu’elles ignorent notre existence. Des associations comme l’Enfant bleu et des membres de la Ciivise, avec lesquels nous entretenons des partenariats plus ou moins formalisés, ont connaissance de notre travail. Nous sommes d’ailleurs membres de la Ciivise, puisque deux personnels de l’Ofmin sont présents au sein de cette structure.
Quant à l’application « Faits établissement », la formalisation de canaux de remontée d’informations au sein du ministère de l’éducation nationale trouve leur utilité, a fortiori si ces informations opérationnelles nous parviennent et nous permettent d’avoir une vision globale des phénomènes. Au-delà de l’investigation et du travail, le rôle de l’office est également de produire un état de la menace et de renseigner les autorités sur les phénomènes émergents. Notre rôle est également de proposer des ripostes opérationnelles et de revendiquer la saisine sur des dossiers difficiles.
M. Paul Vannier, rapporteur. Comment l’Ofmin identifie-t-il les personnes qui consultent des contenus pédopornographiques ? Une personne qui consulte régulièrement ce type de contenus est-elle systématiquement détectée ? Dans quelle mesure les faits de violences sexuelles contre les mineurs sont-ils associés à la consommation de ce type de contenu pédopornographique ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. La terminologie est cruciale et il pourrait être nécessaire d’envisager des modifications législatives à cet égard. Nous ne parlons pas de « violences pédopornographiques », car il existe une contradiction entre le préfixe « pédo » et la notion de pornographie, qui implique un consentement, ce qui est inconcevable lorsqu’il s’agit de mineurs. Nous privilégions donc le terme « pédocriminalité ». De même, nous ne parlons pas de « tourisme sexuel », mais de « pédocriminalité itinérante ». Ces choix sémantiques sont essentiels pour nous.
Concernant l’identification des auteurs dans le cadre de la pédocriminalité en ligne, nous faisons face à une explosion des cas. En 2023, nous avons reçu 170 000 signalements, soit une moyenne de 465 par jour, ce qui dépasse nos capacités de traitement actuelles.
Ces signalements proviennent principalement de la fondation américaine National Center for Missing & Exploited Children (NCMEC), qui collabore avec les grandes plateformes numériques, réalisant de la détection spontanée sur leurs outils.
Notre deuxième source d’information provient des cyberpatrouilles. Les agents effectuent une veille sur internet et utilisent des techniques d’enquête sous pseudonyme, en se faisant passer pour des adultes ou des mineurs sur diverses plateformes. Sur les plateformes fréquentées par les mineurs, l’entrée en contact avec un pédocriminel s’établit généralement en moins d’une minute.
Nous recevons également des informations de nos partenaires étrangers et utilisons des bases de données internationales répertoriant les contenus pédocriminels connus. Notre mission consiste à identifier les auteurs et les victimes sur ces contenus lorsqu’ils sont inconnus.
En 2024, nos investigations ont permis d’identifier 60 victimes inconnues, dont 20 étaient encore en situation d’exploitation sexuelle. La plus âgée avait 12 ans et le plus jeune avait 1 mois. La mission d’identification des auteurs et des victimes a constitué l’essentiel de notre activité opérationnelle en 2024.
M. Paul Vannier, rapporteur. Constatez-vous un lien entre la consommation de ces contenus pédocriminels – merci à cet égard d’attirer notre attention sur les termes – et des passages à l’acte ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. En la matière, nous parlons d’un continuum.
Notre pôle opérationnel est structuré en deux sections distinctes. La section des atteintes générales traite de la pédocriminalité dans le monde physique. Elle concerne principalement la cellule familiale et les sphères institutionnelles, comme la sphère religieuse, le milieu scolaire et le milieu sportif. La seconde section se concentre sur la pédocriminalité en ligne. Il est crucial de comprendre que ces deux typologies d’infraction constituent un continuum et se nourrissent mutuellement. Le numérique nécessite le physique pour exister, car les contenus pédocriminels proviennent d’agressions réelles.
Nous estimons que le risque de passage à l’acte d’un consommateur de contenus pédocriminels est d’environ 40 %. Cette réalité souligne l’importance d’approfondir les investigations numériques lors d’enquêtes sur des violences sexuelles. L’examen des supports numériques des suspects permet souvent de découvrir du matériel pédocriminel supplémentaire, voire des preuves d’agressions enregistrées.
Il existe donc une véritable interaction entre ces deux aspects des violences envers les mineurs.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Existe-t-il un accès facilité aux ordinateurs professionnels des encadrants lors des inspections académiques ou générales dans les établissements scolaires faisant suite à des signalements de violence ou d’agression ? Serait-il souhaitable qu’il y ait un lien entre les aspects numérique et physique que vous évoquez ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. Les investigations numériques relèvent de moyens coercitifs encadrés par la procédure pénale et sont sous le contrôle d’un magistrat. Bien que l’utilité d’un tel accès soit indéniable pour la détection de comportements répréhensibles, la légalité et les possibilités juridiques d’accorder ce pouvoir aux autorités de contrôle du ministère de l’éducation nationale soulèvent des questions.
De plus, l’analyse des supports numériques requiert des compétences assez spécifiques. Les enquêteurs spécialisés en cybercriminalité, qu’ils soient de la police ou de la gendarmerie, suivent plusieurs semaines de formation et acquièrent une expertise dans la pratique. Cette technicité est d’autant plus cruciale que les pédocriminels en ligne développent des connaissances de plus en plus avancées des outils pour dissimuler les dossiers.
M. Paul Vannier, rapporteur. Existe-t-il un traitement particulier lorsque vous comprenez qu’un pédocriminel exerce en milieu scolaire ? À quel stade d’une éventuelle procédure transmettez-vous une alerte à l’employeur ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. L’Ofmin opère dans un cadre judiciaire précis. Par principe, nous n’informons pas la hiérarchie ou les autorités d’emploi lorsqu’un suspect est identifié. Cependant, lorsque nous détectons un risque imminent de passage à l’acte, que ce soit dans le milieu scolaire, sportif ou familial, nous accélérons nos investigations pour procéder à l’interpellation du mis en cause dans les plus brefs délais, afin de prévenir un tel passage à l’acte. Il est important de noter que l’information des autorités d’emploi pourrait compromettre l’enquête, notamment en raison du risque de fuite. Nous avons malheureusement déjà été confrontés à de telles situations dans certains dossiers.
M. Paul Vannier, rapporteur. Actuellement, des vérifications des antécédents judiciaires sont effectuées pour les enseignants et le personnel scolaire, notamment la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Estimez-vous ces mesures suffisantes pour prévenir d’éventuelles récidives en matière de violences physiques ou sexuelles sur des enfants ? Si elles vous semblent insuffisantes, quelles dispositions complémentaires préconiseriez-vous ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. La récidive, au sens juridique, désigne la commission d’une infraction similaire après une condamnation définitive pour une première infraction. Le suivi du Fijais est assuré par le ministère de l’éducation nationale, en collaboration avec l’autorité judiciaire. Néanmoins, les services d’enquête de la police et de la gendarmerie peuvent être amenés à avoir des informations, notamment dans le cadre du suivi de certaines obligations, telles que la présentation régulière devant une brigade de gendarmerie ou un commissariat de police pour les personnes sous contrôle judiciaire. Au-delà de ces modalités de contrôle et de suivi, je ne vois pas, à mon niveau, d’autres moyens pour prévenir la récidive. Il convient de noter que, bien que l’on constate empiriquement un taux de récidive relativement élevé en matière de pédocriminalité, nous n’avons pas identifié de cas de récidive spécifiquement au sein du ministère de l’éducation nationale.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous avez indiqué que 75 % des 65 000 plaintes pour violences sexuelles sur mineurs étaient classées sans suite, et que seulement 3 % de ces plaintes donnaient lieu à plus de trois actes d’enquête. Comment expliquer une si faible proportion de plaintes conduisant à davantage que trois actes d’enquête ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. Je précise que 3 % des dossiers donnent lieu à trois actes d’enquête, en plus des auditions réalisées dans le cadre des investigations.
Cette situation s’explique par un manque de moyens au sein des services. À moyens constants, il est nécessaire d’établir des priorités. Ces dernières années, même si un travail important est encore à faire, un effort considérable a été consacré à la lutte contre les violences intrafamiliales et les violences faites aux femmes, ce qui a pu potentiellement se faire au détriment de la lutte contre les violences faites aux mineurs.
Un autre facteur crucial est le manque de formation des enquêteurs. Certains dossiers sont extrêmement complexes à résoudre. L’importance croissante du numérique dans ce type de contentieux, y compris pour les agressions physiques, nécessite du temps, des compétences et des outils spécifiques qui font encore défaut dans de nombreux endroits.
Des efforts significatifs sont actuellement réalisés, notamment en matière de formation à l’accueil et au recueil de la parole des mineurs. Des stages spécifiques sont dispensés au sein de la police et de la gendarmerie nationales, axés sur l’audition des mineurs victimes, suivant le protocole du National Institute of Child Health and Human Development (NICHD). Cependant, le nombre de personnels formés au recueil de la parole reste insuffisant.
Je peux citer un cas récent où l’Ofmin a repris un dossier classé sans suite il y a cinq ou six ans. L’analyse de la procédure a révélé l’absence d’investigations numériques. En poursuivant les investigations, l’Ofmin a pu, grâce à la perquisition et à l’exploitation des supports numériques de l’auteur présumé, découvrir du contenu pédocriminel mettant en scène les deux enfants à l’origine de la procédure. Ce cas illustre l’échec des investigations initiales. Dans ce dossier, le rapport d’expertise réalisé mettait en cause la parole des enfants, dont les auditions n’avaient potentiellement pas été menées de la façon dont elles auraient dû être conduites.
L’Ofmin s’efforce d’apporter un appui méthodologique aux enquêteurs, en élaborant des doctrines, qui sont diffusées très largement au niveau national et décrivent les infractions types. Ces documents indiquent, par exemple, les spécificités du recueil de la parole des mineurs handicapés ou atteints de troubles cognitifs, surreprésentés parmi les victimes. Nous rédigeons des méthodologies d’enquête, diffusées aux enquêteurs afin de les aider dans leurs investigations. L’Ofmin s’efforce de diffuser et valoriser le travail et l’action de nos partenaires.
M. Paul Vannier, rapporteur. Nous espérons que cette audition contribuera à mieux faire connaître le travail de l’Ofmin. Vous avez mentionné avoir récemment repris un dossier classé sans suite et, grâce à vos investigations, démontré une agression. Comment avez-vous pu être saisi d’un dossier classé sans suite il y a plusieurs années ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. Dans le cas évoqué, il s’agissait de faits de viol.
Les modes de saisine sont très variables. Il peut s’agir de la révélation de nouveaux faits par d’autres victimes, nous conduisant à réexaminer d’anciens dossiers. Dans ce cas précis, des images des viols ont été détectées sur internet.
Concernant la veille et la cyberpatrouille, nous développons et utilisons des logiciels de détection d’échanges de contenus entre internautes, notamment sur les logiciels de pair-à-pair, ce qui constitue un mode d’action et de recherche en ligne.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Vous avez évoqué les profils les plus à risque en matière de pédocriminalité et de sérialité. Êtes-vous en mesure de nous exposer des facteurs ou des environnements qui augmenteraient les risques de cette sérialité ? Avez-vous pu établir un bilan ou un rapport pouvant éclairer sur les facteurs accroissant ces risques ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. Nous ne sommes pas des scientifiques, des psychologues ou des experts psychiatres. Ces professionnels seraient probablement mieux placés pour répondre à ces questions. Néanmoins, nos observations au sein de l’Ofmin révèlent qu’il n’existe pas de profil type de pédocriminel. Nous constatons que des pédocriminels se trouvent dans toutes les strates de la société. L’âge des auteurs varie considérablement, allant de 14 ans pour les plus jeunes, commettant des actes sur des mineurs plus jeunes, jusqu’à des individus de 65 ou 70 ans. Toutes les zones géographiques sont concernées, sans distinction notable entre zones rurales et urbaines, ce qui est assez caractéristique de ce type de contentieux. Toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées. Le seul facteur significatif est que 97 % des pédocriminels sont des hommes.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Il est important de souligner qu’il n’existe pas de profil type ni d’environnement spécifique, que toutes les catégories sociales sont concernées, aussi bien dans les territoires ruraux que dans les grandes villes, et que les auteurs sont majoritairement des hommes.
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. Il n’existe pas de profil type, mais on les retrouve aussi bien sur internet que dans la vie réelle, là où il y a des enfants. C’est pourquoi ces problématiques se manifestent en milieu scolaire, dans la cellule familiale, ainsi que dans le monde du sport et associatif.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous constatons l’importance de votre travail de formalisation des protocoles, ce qui s’avère important dans le cadre de notre commission d’enquête, notamment concernant la question des signalements. Nous avons en effet observé des défaillances dans les protocoles de signalement, tant au niveau ministériel qu’au niveau des établissements.
Nous avons constaté, dans de nombreux dossiers systémiques d’agression et de violence sexuelle envers des mineurs, des cas de fugues répétées d’internats en milieu rural, la nuit. Souvent, ce sont les gendarmes qui retrouvaient les enfants en fugue sur le bord des routes ou grâce au signalement de parents ou de tiers, avant de les ramener dans les internats. Dans certains établissements, ces fugues étaient fréquentes, impliquant parfois les mêmes enfants. Les fugues font-elles l’objet d’un classement particulier au sein des services de gendarmerie et de police dans la nomenclature des signalements ? Des fugues répétées d’un internat seraient-elles aujourd’hui remontées à l’Ofmin pour détecter d’éventuelles problématiques systémiques envers des mineurs ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. En tant qu’ancien commandant de compagnie de gendarmerie départementale, j’ai eu sous ma responsabilité des internats, mais je n’ai pas identifié cette problématique durant mon temps de commandement. Ce n’est pas non plus un sujet que nous traitons particulièrement. Au sein de la gendarmerie, il existe une base de données de sécurité publique (BDSP), qui permet de recenser et classifier tous les événements par type. Lors de mon expérience passée, je n’ai pas noté de liens avérés entre les fugues et d’éventuels faits de violences, notamment sexuelles, dans les internats.
Néanmoins, il va sans dire que, dans le cas de fugues répétées, des investigations sont généralement menées dans un cadre administratif. Des auditions de la victime peuvent être réalisées et conduire à la révélation de tels faits, à condition que les enquêteurs créent un climat propice à cette révélation.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous avez indiqué qu’il n’y a pas de différence entre les zones géographiques concernant les auteurs ou les victimes de violences pédocriminelles. Qu’en est-il des outre-mer, où il existe des zones géographiquement très isolées, y compris au regard de la présence de services publics et de moyens de police et de gendarmerie ? Avez-vous des signalements particuliers, exercez-vous une vigilance spécifique ou une action ciblée dans votre champ d’action pour ces territoires ?
Lieutenant-colonel Cyril Colliou. Effectivement, les territoires ultramarins font partie du travail d’animation et de coordination mené par l’Ofmin. Un personnel de l’Office s’est récemment rendu en Polynésie française dans le cadre d’un audit local de la Ciivise. Nous avons identifié des spécificités locales et des besoins, notamment en matière de formation. C’est un travail que nous menons actuellement. Dans le cadre de la création des antennes et des détachements que j’évoquais précédemment, la France métropolitaine sera concernée, mais également la France de l’outre-mer.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous vous remercions.
La séance est levée à onze heures.
Présents. – Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Marie Mesmeur, M. Jean-Claude Raux, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. José Beaurain, M. Arnaud Bonnet, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Véronique Riotton, Mme Nicole Sanquer