Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition de Mme Dominique Marchand, cheffe du service de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), Mme Cristelle Gillard, cheffe du pôle affaires juridiques et contrôle, et M. Erick Roser, responsable du collège expertise administrative et éducative 2
– Présences en réunion..............................24
Mardi
8 avril 2025
Séance de 14 heures 30
Compte rendu n° 49
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à quatorze heures trente.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), Mme Dominique Marchand, cheffe du service de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), Mme Cristelle Gillard, cheffe du pôle affaires juridiques et contrôle, et M. Erick Roser, responsable du collège expertise administrative et éducative.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous reprenons nos travaux d’enquête. Nous avons entendu le lundi 31 mars la direction générale de l’enseignement scolaire, la direction générale des ressources humaines, la direction des affaires financières et le service de la défense et de la sécurité. Nous avons déjà évoqué le rôle de l’Inspection générale, mais nous allons pouvoir aller plus loin avec vous aujourd’hui.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Dominique Marchand, Mme Cristelle Gillard et M. Erick Roser prêtent serment.)
Pouvez-vous nous indiquer, par type de mission de contrôle ou d’inspection, combien et quelle proportion d’établissements scolaires publics, privés sous contrat et privés hors contrat ont été contrôlés l’année dernière, ainsi que les prévisions pour l’année scolaire en cours ?
Mme Dominique Marchand, cheffe du service de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR). L’Inspection générale est née en 2019 de la fusion de l’Inspection générale de l’éducation nationale (Igen), l’Inspection des bibliothèques, l’Inspection du sport et celle de la jeunesse. Cette consolidation revêt une importance particulière, au regard non seulement du volume d’activité mais également de l’étendue des champs d’intervention désormais couverts. L’Inspection générale exerce en effet ses missions dans des domaines relevant de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la jeunesse, des sports, des bibliothèques et, plus largement, de la lecture publique.
Nos activités sont multiples et s’articulent autour de trois grands axes, que sont l’évaluation des politiques publiques, qui nous permet également de formuler des propositions auprès de nos ministères de tutelle, les missions classiques d’inspection et de contrôle et, enfin, l’appui et l’accompagnement des acteurs locaux et des établissements.
Comme le précise clairement le décret du 23 décembre 2022 relatif à l’IGSER, nous intervenons exclusivement sur saisine des ministres de tutelle, sans possibilité d’auto-saisine. Les rapports produits sont remis aux commanditaires, à qui il revient de décider de la mise en œuvre des recommandations qu’ils contiennent, ainsi que de leur éventuelle diffusion ou publication.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Pouvez-vous préciser qui sont les commanditaires ?
Mme Dominique Marchand. Le décret précise que nos missions peuvent être engagées à la demande des ministres de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la jeunesse et des sports ou du premier ministre. À cela s’ajoute le programme de travail annuel, lui-même arrêté par les ministres. Quelle que soit la nature du rapport, qu’il s’agisse de l’évaluation d’une politique publique ou d’une inspection-contrôle, il est toujours élaboré à la demande explicite de l’un de nos ministres de tutelle.
Mme Cristelle Gillard, cheffe du pôle affaires juridiques et contrôle. En matière de contrôle, nous avons mené une mission sur un établissement privé sous contrat.
Concernant les enquêtes administratives, tous périmètres confondus, nous en avons conduit 28 en 2024. Parmi celles-ci, 17 relevaient du périmètre scolaire, dont 7 portaient spécifiquement sur des établissements scolaires publics. Certaines saisines portent en effet sur des services relevant de l’éducation nationale sans concerner directement des établissements. Par exemple, nous avons été saisis de situations impliquant des tensions entre inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) au sein d’une même académie. Cela ne concerne donc pas un établissement en particulier mais bien une structure à l’échelle académique. J’ai ainsi distingué les enquêtes selon les grands périmètres d’intervention puis, à l’intérieur du champ de l’éducation nationale, j’ai opéré une distinction entre celles portant sur des établissements et les autres. Les enquêtes relatives aux établissements, peuvent porter aussi bien sur un problème de pilotage, sur des dysfonctionnements, que sur le comportement inapproprié d’un enseignant. Les sept enquêtes évoquées renvoient à différents types de saisines et différentes situations.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Pouvez-vous me confirmer que les sept établissements scolaires ayant fait l’objet d’une enquête administrative relevaient de l’enseignement public ?
Mme Cristelle Gillard. Tout à fait. En 2024, aucun établissement relevant de l’enseignement privé – qu’il soit sous contrat ou hors contrat – n’a été concerné.
Mme Dominique Marchand. Il me semble important de préciser la distinction entre une enquête administrative et un contrôle.
Les enquêtes administratives sont généralement déclenchées à la suite de signalements précis portant sur des faits précis ou en lien avec une situation jugée problématique. Les deux cas de figure les plus fréquents sont soit l’examen de faits rapportés, soit une situation qui a évolué sans traitement adapté et pour laquelle nous cherchons à comprendre l’absence de réponse.
Les contrôles, quant à eux, visent plutôt à vérifier la régularité des actes au regard des prescriptions législatives et réglementaires.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je souhaite revenir sur les conditions entourant votre saisine.
Vous avez indiqué qu’elle émanait exclusivement des ministres, et donc du pouvoir politique. Pourriez-vous nous préciser ce qui pousse un ministre à solliciter l’Inspection générale dans le cadre d’un contrôle, notamment s’agissant des établissements scolaires, puisque notre échange se concentrera exclusivement sur ce type de structures ?
Mme Dominique Marchand. De manière générale, les critères qui motivent la saisine de l’Inspection générale par un ministre s’appliquent également aux établissements scolaires, et peuvent être mobilisés de façon cumulative ou indépendante selon les situations. Ils recouvrent notamment la gravité des faits en cause, la nécessité de recourir à un regard extérieur lorsque le traitement local apparaît insuffisant ou inapproprié, ainsi que le niveau de responsabilité des personnes impliquées, notamment lorsqu’un chef d’établissement est concerné. Le degré de médiatisation constitue un autre facteur déterminant, souvent corrélé au besoin d’une expertise extérieure. À cela s’ajoute le critère fréquemment rencontré du déficit de ressources locales, notamment lorsqu’aucun personnel suffisamment qualifié n’est en mesure de conduire une enquête à la hauteur des enjeux.
Dans ce contexte, il n’est pas rare que la saisine ministérielle s’opère sur proposition d’un recteur d’académie ou d’un chef d’établissement d’enseignement supérieur.
M. Paul Vannier, rapporteur. À la lumière des critères que vous avez mentionnés, je m’interroge sur les raisons pour lesquelles l’Inspection générale n’a pas été saisie pour conduire le récent contrôle opéré au sein de l’établissement Le Beau Rameau, anciennement Notre-Dame de Bétharram. Les éléments portés à notre connaissance sont d’une extrême gravité et tout porte à croire qu’une évaluation extérieure aurait été indispensable, d’autant qu’un précédent rapport d’inspection académique avait été établi dans les années 1990.
Par ailleurs, la médiatisation de ce dossier a atteint un niveau sans précédent dans le champ de l’éducation nationale, ce qui renforçait encore la pertinence d’un regard indépendant.
Enfin, les responsabilités semblent s’étendre bien au-delà de l’établissement lui-même et impliquer également les services de l’éducation nationale, dont l’inaction prolongée interroge. Dès lors, pourquoi l’Inspection générale n’a-t-elle pas été saisie dans ce cas précis ?
Mme Dominique Marchand. À ma connaissance, nous sommes ici en présence d’un contrôle et non d’une enquête administrative. Il s’agit d’une mission de vérification du respect des dispositions réglementaires, relevant des compétences des services académiques, qui disposent de l’expertise nécessaire pour la mener à bien. Pour autant, cela n’exclut en rien une éventuelle mobilisation de l’Inspection générale à une étape ultérieure, si les circonstances le justifient. Nous pourrions tout à fait intervenir dans un second temps, en cohérence avec notre mode de fonctionnement, dans une logique d’appui aux académies.
M. Paul Vannier, rapporteur. Caroline Pascal, ancienne cheffe de l’Inspection générale, entendue par notre commission d’enquête le 31 mars dernier, indiquait que le recours à l’Inspection générale pouvait signaler soit une volonté politique forte de la part du ministre, soit la gravité ou la complexité d’une situation. J’aimerais approfondir cette notion de volonté politique forte. De quelle manière cette dimension politique influence-t-elle le travail des inspecteurs généraux ? Comment l’Inspection générale s’approprie-t-elle une commande à caractère politique ?
Mme Dominique Marchand. Je n’aurais pas, pour ma part, employé ce terme. Bien que la décision de recourir à l’Inspection générale procède d’une autorité ministérielle, et puisse à ce titre être perçue comme un acte politique, la saisine relève avant tout d’un cadre réglementaire précis, puisque c’est au ministre qu’il revient d’apprécier les priorités et de décider des interventions à mener. Cette logique s’inscrit pleinement dans les critères précédemment évoqués tels que la gravité des faits, leur portée stratégique ou encore leur médiatisation. Il est indéniable que solliciter l’Inspection générale constitue un signal fort, témoignant de l’attention particulière portée à une situation donnée. C’est d’ailleurs notre rattachement direct au niveau ministériel qui confère à nos interventions une légitimité et une portée tout à fait singulières.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je comprends donc que l’absence de saisine de l’Inspection générale dans le cas de l’établissement Le Beau Rameau traduit également un signal envoyé par le ministère, la ministre, son cabinet et, plus largement, le pouvoir politique.
Mme Dominique Marchand. Je ne crois pas avoir tenu de tels propos. J’ai seulement précisé qu’il s’agissait ici d’un contrôle, et non d’une enquête administrative, ces dernières relevant plus spécifiquement du champ d’intervention de l’Inspection générale. Nous sommes en effet rarement mobilisés sur des contrôles à caractère strictement réglementaire.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour bien clarifier la distinction entre les contrôles et les enquêtes administratives, l’Inspection générale a mené en 2023 une mission au collège Stanislas. Cette intervention relevait-elle d’un contrôle ou d’une enquête administrative ?
Mme Dominique Marchand. Il s’agissait bien, dans ce cas précis, d’une enquête administrative.
M. Paul Vannier, rapporteur. Qu’est-ce qui distingue le contrôle et d’une enquête administrative ?
Mme Cristelle Gillard. La distinction entre un contrôle et une enquête administrative repose avant tout sur la méthodologie employée. Dans le cas du collège Stanislas, il s’agissait bien d’une enquête administrative, déclenchée selon les critères que nous avons précédemment évoqués. Cette saisine du ministre faisait suite à des articles de presse rapportant certains faits. Les enquêtes administratives répondent à un protocole méthodologique particulièrement rigoureux, élaboré au sein de l’IGESR, qui les différencie clairement d’un simple contrôle de conformité ou de régularité.
Nous disposons à cet égard d’un vade-mecum, accessible sur les sites des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, qui détaille précisément cette méthodologie à destination des inspecteurs généraux. Elle prévoit notamment la conduite d’auditions individuelles, formalisées par des procès-verbaux, ainsi que la collecte structurée de témoignages. Le contrôle s’appuie sur une procédure plus allégée, fondée sur des critères prédéfinis et moins intrusive dans ses modalités.
La solidité méthodologique des enquêtes administratives est essentielle, dans la mesure où elles peuvent déboucher sur des suites disciplinaires. Elles ont pour objectif d’établir la matérialité des faits, d’identifier d’éventuelles responsabilités individuelles et peuvent conduire à des préconisations en matière de procédures disciplinaires. C’est cette exigence de rigueur, ainsi que les implications qui en découlent, qui distinguent fondamentalement l’enquête administrative du contrôle.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous soulignez la différence méthodologique entre le contrôle et l’enquête administrative en mettant notamment en avant, pour cette dernière, la conduite d’un grand nombre d’auditions formalisées avec procès-verbaux. Pourtant, lors de notre déplacement à Beau Rameau puis de notre visite au rectorat de Bordeaux, il nous a été précisé qu’au moins quarante-cinq auditions d’élèves étaient prévues dans le cadre du contrôle conduit par les inspecteurs d’académie, sur une durée de quatre jours. Ce dispositif inclurait également des entretiens avec des personnels et des parents d’élèves. Dans ces conditions, j’ai du mal à saisir la frontière que vous établissez entre contrôle et enquête administrative, dans la mesure où cette mission présente toutes les caractéristiques d’une enquête, qu’il s’agisse du volume important d’auditions, de leur formalisation ou de la méthodologie qui, à nos yeux, apparaît particulièrement structurée et rigoureuse.
Mme Cristelle Gillard. Il me semble utile de vous présenter l’offre de formation que nous déployons auprès des académies depuis environ 2020, dans le but de favoriser l’appropriation de notre méthodologie d’enquête. En ce qui concerne le contrôle que vous mentionnez, je n’en connais pas les modalités précises, notamment la façon dont les auditions ont été conduites ou les témoignages recueillis.
Cela étant, si la méthodologie appliquée repose effectivement sur des auditions individuelles d’élèves, elle peut être tout à fait conforme aux standards que nous recommandons. Je ne sais pas si cette méthodologie figure dans les fiches de contrôle auxquelles vous faites référence, mais je peux, en tout état de cause, vous exposer les principes qui régissent les enquêtes administratives telles que nous les menons à l’Inspection générale, et qui sont en place depuis 2015 ou 2016.
Je ne suis donc pas en mesure, à ce stade, de vous répondre précisément sur le contrôle académique en question, faute d’en connaître les détails. En revanche, je pourrais tout à fait le faire ultérieurement, une fois ces éléments en ma possession.
M. Paul Vannier, rapporteur. Dans la mesure où ce contrôle semble en tout point identique à une enquête administrative, permettez-moi de poser une nouvelle fois ma question : pourquoi l’Inspection générale n’a-t-elle pas été saisie s’agissant de Bétharram, alors même que tous les critères précédemment listés étaient remplis ?
Mme Dominique Marchand. A priori, il s’agissait bien d’un contrôle. Cela étant, il arrive que la nature de l’intervention évolue en fonction des circonstances rencontrées sur le terrain. Qu’il s’agisse d’une enquête administrative ou d’un contrôle, mené par l’Inspection générale ou par les services académiques, une capacité d’adaptation reste souvent nécessaire. Il n’est pas rare, en effet, qu’une mission engagée sur un objet précis révèle, au fil des échanges, d’autres problématiques appelant une intervention élargie.
C’est précisément la raison pour laquelle je soulignais tout à l’heure que, malgré l’existence de critères différenciant contrôle et enquête administrative, la frontière entre les deux peut parfois s’avérer ténue. Des ajustements peuvent alors être opérés en cours de mission. Ce qui importe, avant tout, c’est que les auditions, lorsqu’elles sont conduites, respectent les exigences fondamentales en matière de qualité d’écoute, de confidentialité et de formalisation par procès-verbal.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour avancer sur la compréhension du fonctionnement de l’Inspection générale, pouvez-vous nous expliquer la façon dont les inspecteurs généraux sont choisis, par qui et selon quelles modalités ?
Mme Dominique Marchand. Il s’agit, conformément aux prescriptions réglementaires, d’une responsabilité qui relève du chef de service, à qui il revient de désigner les collègues en charge d’une mission. Très concrètement, nous lançons un appel à candidatures auprès des inspecteurs généraux, accompagné d’une description synthétique mais suffisamment explicite du sujet de la mission. Nous désignons également un référent que les collègues peuvent contacter s’ils souhaitent obtenir des informations complémentaires avant de se porter volontaires. Les candidatures sont ensuite examinées en comité de direction, en tenant compte des compétences, de l’expertise des candidats et de la nature du thème. Nous veillons, notamment pour les enquêtes administratives mais également pour d’autres types de missions, à ce qu’un inspecteur expérimenté assure le rôle de pilote, aux côtés de collègues parfois moins aguerris, pour qui cela peut représenter une première expérience.
S’agissant plus spécifiquement des enquêtes administratives, seuls peuvent y participer les collègues ayant suivi la formation obligatoire, qui couvre aussi bien les aspects juridiques que des questions de posture et de qualité d’écoute. Nous exigeons donc que les équipes comprennent, d’une part, un pilote disposant d’une réelle expérience des enquêtes administratives et, d’autre part, des membres formés, même s’ils sont moins expérimentés.
Pour chaque mission, un référent et un relecteur sont systématiquement désignés. Ils jouent un rôle important de conseil et d’accompagnement dans la finalisation du rapport. Ce fonctionnement contribue à garantir la collégialité de nos travaux, qui constitue un principe essentiel, étroitement lié à celui de l’indépendance.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je vous remercie de transmettre à la commission la maquette de cette formation.
Vous avez évoqué les rôles distincts des référents et des relecteurs. Pourriez-vous préciser les prérogatives de chacun ? À quel moment interviennent-ils dans le cadre de la mission conduite par les inspecteurs déployés sur le terrain ?
Mme Dominique Marchand. La lettre de saisine ministérielle s’accompagne généralement d’une lettre de cadrage qui permet de mieux cerner les contours de la mission. Un temps de cadrage est systématiquement prévu entre les membres, en lien étroit avec le référent. Le relecteur peut, selon la nature de la mission, être associé dès cette étape, mais cela n’est pas systématique. Dans tous les cas, le référent assure un rôle de soutien tout au long de la mission, tandis que le relecteur intervient plus spécifiquement lorsque le rapport a suffisamment avancé. Son rôle de relecture porte sur le fond, la cohérence, la clarté de l’argumentation, l’enchaînement des idées, et vise à s’assurer que le propos est intelligible du point de vue d’un lecteur extérieur. Ce travail constitue aussi une forme de mise à l’épreuve constructive du rapport, dans un esprit de rigueur.
Une fois le rapport finalisé, il est relu non seulement par le relecteur, mais également par le référent, en plus du rapporteur. Ce processus s’inscrit dans une logique d’assurance qualité, mais également de collégialité, qui demeure un fondement essentiel de notre fonctionnement.
M. Paul Vannier, rapporteur. Avant d’être transmis au cabinet ministériel à l’origine de la demande, les rapports sont-ils relus par la cheffe de l’Inspection générale ?
Mme Dominique Marchand. Conformément aux dispositions réglementaires en vigueur, il me revient de transmettre le rapport au ministre commanditaire, accompagné d’une lettre de transmission. Il convient toutefois de souligner que je n’interviens en aucune manière sur le contenu du rapport lui-même. Les textes encadrent d’ailleurs la situation dans laquelle le chef de service ne souscrirait pas aux conclusions formulées. Dans ce cas, il peut adresser un courrier séparé au ministre pour lui faire part de ses réserves et, en cas de refus de transmission, une commission composée d’au moins trois personnes est réunie pour examiner les motifs de ce refus. Cette procédure illustre de façon claire l’indépendance des inspecteurs généraux en mission, qui signent les rapports sous leur seule responsabilité.
Cette autonomie est d’autant plus marquée dans le cadre des enquêtes administratives car, si les inspecteurs estiment devoir procéder à un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, cette décision leur appartient pleinement. Le ministre concerné n’en est informé qu’à la réception du rapport comportant la mention de la saisine. Il s’agit là d’une démonstration explicite de l’indépendance qui caractérise notre action.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pourriez-vous nous indiquer combien de signalements au titre de l’article 40 ont été effectués en 2022, 2023 et 2024 ?
Le cas d’un désaccord entre le chef de l’Inspection générale et les inspecteurs rédacteurs d’un rapport s’est-il déjà présenté ? Le cas échéant, pourriez-vous nous préciser à propos de quel rapport ?
Mme Dominique Marchand. À ma connaissance, aucun désaccord n’a jusqu’ici justifié la mise en œuvre de cette procédure. Il n’en demeure pas moins que cette possibilité est bien prévue par la réglementation et qu’elle présente un certain degré de complexité.
M. Paul Vannier, rapporteur. Avant d’aborder le nombre de signalements au titre de l’article 40, j’aimerais mieux comprendre le processus de production des rapports. Lors de leur mission sur le terrain, les inspecteurs échangent-ils régulièrement avec leur référent et transmettent-ils leurs observations au relecteur ? Par ailleurs, la cheffe de l’Inspection générale est-elle tenue informée de l’avancement des travaux ? Rend-elle simultanément compte de l’état d’avancement au cabinet du ministre ? Le cabinet sollicite-t-il parfois directement la cheffe de l’Inspection générale pour s’enquérir de la progression d’une mission en cours ?
Mme Dominique Marchand. Bien qu’il puisse en effet arriver que nous soyons sollicités afin de fournir une estimation du délai de remise d’un rapport, ce qui me semble tout à fait légitime, je tiens toutefois à réaffirmer avec insistance qu’il n’existe jamais la moindre intervention sur le contenu même du rapport. Ce point me paraît essentiel et j’y suis personnellement très attachée.
Au-delà des dispositions explicites prévues par le décret de mars 2022, qui encadre l’ensemble des inspections générales, et par celui du 23 décembre 2022, propre à l’IGESR, l’indépendance des inspections générales, et plus particulièrement celle de leurs membres, est réaffirmée à plusieurs reprises.
Mme Cristelle Gillard. S’agissant du nombre de signalements au titre de l’article 40, nous en avons recensé un total de 43 depuis 2022 : 11 en 2022, 17 en 2023, 12 en 2024 et 3 pour l’année en cours.
Pour aller plus loin, j’ai préparé une analyse des 28 rapports produits en 2023 et 2024. Parmi eux, 17 ont trait à des enquêtes administratives conduites dans le périmètre de l’éducation nationale, à l’exclusion de l’enseignement supérieur. Quatre de ces rapports ont donné lieu à un signalement au titre de l’article 40.
Il convient de souligner que ce signalement n’est en aucun cas automatique. Les suites apportées aux rapports varient selon la nature des faits établis. Lorsque les faits relèvent strictement du champ disciplinaire, aucun article 40 n’est activé. En revanche, si des éléments susceptibles de revêtir une qualification pénale sont constatés, un signalement est alors effectué, accompagné du rapport.
M. Paul Vannier, rapporteur. En ce qui concerne ces quatre signalements dans le périmètre de l’éducation nationale, pouvez-vous nous indiquer, sans porter atteinte à la confidentialité, la nature des faits signalés ?
Mme Cristelle Gillard. Parmi les faits susceptibles de relever d’une qualification pénale, nous avons par exemple été confrontés à des cas d’outrage sexiste aggravé. Cette qualification est retenue lorsqu’un comportement sexiste est aggravé par l’implication d’une figure d’autorité.
Un autre exemple fréquent concerne le harcèlement moral. Ce type de situation est défini à la fois dans le code général de la fonction publique et dans le code pénal. Lorsque nos enquêteurs établissent la matérialité de faits correspondant à cette définition, un signalement au titre de l’article 40 est naturellement envisagé, la qualification pénale recouvrant les mêmes éléments constitutifs que la définition administrative. Ce sont ce type de comportements qui peuvent fonder un signalement. Si besoin, nous pourrons vous fournir ultérieurement des précisions complémentaires.
Mme Dominique Marchand. Concernant votre demande de transmission de rapports sur la période 2022 à 2024, nous avons procédé à une sélection que nous pensons représentative des problématiques évoquées. Il faut savoir que l’Inspection générale produit environ 230 rapports par an. Nous avons donc opéré un tri selon trois mots-clés : violences, VSS (violences sexistes et sexuelles) et harcèlement. Ces documents vous seront transmis prochainement afin de vous apporter des illustrations concrètes des situations abordées.
M. Paul Vannier, rapporteur Il nous semblerait plus pertinent d’avoir accès à l’ensemble des rapports portant sur les établissements scolaires pour la période considérée. Cela inclut également ceux traitant des processus internes de travail de l’Inspection générale, car ils peuvent nourrir utilement notre réflexion. Il ne s’agit donc pas uniquement de rapports relatifs à des faits de violence ou de dysfonctionnement.
Mme Dominique Marchand. Nous vous transmettrons donc la liste exhaustive des rapports produits sur la période et vous pourrez ensuite nous faire savoir ceux que vous souhaitez consulter plus en détail.
M. Paul Vannier, rapporteur. Lorsqu’un rapport met en lumière des dysfonctionnements, il peut comporter des recommandations. Pouvez-vous nous expliquer comment est organisé le suivi de ces recommandations ? Est-il systématiquement assuré par l’Inspection générale ou peut-il être confié à d’autres corps d’inspection ?
Mme Dominique Marchand. À ce jour, le décret régissant l’Inspection générale ne prévoit pas de dispositif de suivi formalisé des missions, contrairement à d’autres corps d’inspection tels que l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Il nous arrive toutefois de participer à des démarches de suivi, notamment dans le cadre de missions conjointes avec l’Igas ou l’Inspection générale des finances (IGF).
Bien que ce type de procédure ne soit pas encore systématisé, cela fait partie des pistes de réflexion sur l’évolution de notre fonctionnement. Le cadre actuel demeure celui que j’ai rappelé précédemment, à savoir la production d’un rapport en toute indépendance, transmis aux ministres commanditaires, auxquels il revient de mettre en œuvre les suites qu’ils jugent appropriées.
Cela étant, il peut arriver que nous échangions avec des directeurs d’administration centrale ou avec les rectorats, dans une logique d’appui et de conseil qui constitue l’un des fondements de notre mission.
M. Paul Vannier, rapporteur. En ce qui concerne le collège Stanislas, un suivi a-t-il été mis en place après la publication du rapport de 2023 et la formulation des recommandations ?
Mme Dominique Marchand. Un premier élément de suivi a effectivement été réalisé de manière formalisée, qui a donné lieu à un compte rendu écrit en lien avec le rectorat de Paris. Par la suite, conformément aux recommandations que nous avions formulées et qui relevaient de la compétence du rectorat, ce dernier a été chargé de mettre en œuvre les actions jugées nécessaires, dans le cadre de ses attributions.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour la première fois, la liste des rapports produits dans l’année ne figure plus dans le rapport d’activité de l’IGESR pour 2023-2024. Pouvez-vous nous en expliquer la raison ?
Mme Dominique Marchand. La remise de ce rapport d’activité est intervenue dans un contexte particulier, marqué par le départ de la précédente cheffe de service et une période d’intérim. Pour être totalement transparente, j’ai moi-même demandé que l’introduction, habituellement signée par la cheffe de service, soit remplacée par un simple préambule. Je ne souhaitais pas endosser la responsabilité d’un ensemble d’actions auxquelles je n’avais pas personnellement contribué, considérant que cela aurait manqué de sincérité. Il est donc possible que l’omission de la liste des rapports résulte de cette situation. En tout cas, je peux vous assurer qu’il n’y avait aucune volonté de ma part de masquer quoi que ce soit, et certainement pas une évolution du taux de diffusion des rapports.
M. Paul Vannier, rapporteur. Allez-vous corriger cet oubli et rendre cette liste publique dans les meilleurs délais ?
Mme Dominique Marchand. Cela peut effectivement être fait.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pourquoi certains rapports sont-ils rendus publics, alors que d’autres, plus nombreux, ne le sont pas ? Il semble en effet que seule une part infime des rapports de l’IGESR fasse l’objet d’une publication.
Mme Dominique Marchand. Plusieurs facteurs peuvent intervenir dans cette décision, qui appartient au ministre. Je ne trouve pas anormal que l’ensemble des rapports ne soit pas systématiquement rendu public car notre rôle consiste également à éclairer les ministres et à leur fournir des éléments de réflexion pour nourrir leurs orientations et leurs priorités. Cette fonction de conseil n’a pas nécessairement vocation à s’exercer sous le regard du public.
Des circonstances conjoncturelles telles qu’un changement de gouvernement ou un renouvellement de cabinet peuvent également influer, certains rapports pouvant alors passer inaperçus ou ne pas être connus des nouveaux responsables. Il m’est ainsi arrivé de rappeler à des ministres l’existence de rapports publiés dans les mois précédents, qui pouvaient être utiles dans le cadre de leur action.
M. Paul Vannier, rapporteur. Lorsqu’un rapport n’est pas rendu public, est-il transmis à d’autres acteurs ou reste-t-il uniquement sur le bureau du ministre ?
Mme Dominique Marchand. Il n’est pas exclusivement destiné au ministre et peut également être transmis aux directions de l’administration centrale concernées. Certains rapports qui ne font pas l’objet d’une publication peuvent également être transformés par l’Inspection générale sous la forme d’un guide ou d’une note afin d’être mis à disposition des usagers ou des professionnels.
M. Paul Vannier, rapporteur. Si un élu ou une personnalité politique souhaite consulter un rapport non publié, cela lui est donc impossible, sauf si ce rapport a été parallèlement rendu public ?
Mme Cristelle Gillard. Il convient ici de bien distinguer les différents types de rapports. En ce qui concerne les enquêtes administratives, leur caractère confidentiel implique une diffusion extrêmement restreinte, limitée au commanditaire, aux autorités d’emploi, ainsi qu’aux autorités hiérarchiques concernées.
En revanche, pour d’autres types de missions, il arrive fréquemment que des demandes de communication nous parviennent, soit directement via l’Inspection générale, soit par l’intermédiaire de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Dans ces cas, nous nous appuyons sur les dispositions du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) pour apprécier si la transmission du rapport est possible, en intégralité ou en partie. Lorsque la diffusion peut être envisagée, certaines sections peuvent être occultées afin de garantir la confidentialité des données sensibles ou des personnes mentionnées.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le rapport portant sur l’établissement Averroès de Lille est issu d’une enquête administrative datant de 2020. Ce document n’a pas été rendu public à l’époque, et ce n’est qu’à la suite de sa divulgation par la presse qu’il a été connu. Nous avons en notre possession une note du cabinet de Jean-Michel Blanquer, datée du 20 décembre 2020, évoquant une demande conjointe formulée par M. Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, et par le président du groupe Rassemblement national au sein de ce même conseil. Cette demande visait à obtenir communication du rapport, qui n’avait alors pas été publié. La note mentionne l’éventualité d’une transmission d’une version expurgée du rapport de l’IGESR, ainsi que de celui de la direction régionale des finances publiques. Avez-vous connaissance d’une telle transmission, en version expurgée, à ces deux présidents ?
Mme Cristelle Gillard. Je n’ai pas connaissance de ces faits, qui remontent à l’année 2020, période durant laquelle je n’étais pas encore en responsabilité, mais je prends bonne note de votre question.
Mme Dominique Marchand. Je ne suis pas non plus en mesure de vous apporter une réponse à ce sujet.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. À partir des sept inspections d’établissements publics menées en 2024, pourriez-vous nous indiquer, à titre indicatif, la durée moyenne de ce type de mission ?
Mme Cristelle Gillard. S’agissant précisément de ces sept inspections, je ne suis pas en mesure de vous fournir une donnée exacte. Je peux en revanche vous indiquer la durée moyenne d’une enquête administrative, dont les phases sont relativement bien identifiées.
Nous devons tout d’abord recueillir un certain nombre de documents en amont. Vient ensuite la phase d’auditions, qui représente une part importante de notre travail. Ces auditions, menées individuellement, durent souvent entre une heure et une heure trente, parfois deux ou trois heures lorsque la personne auditionnée est directement concernée par les faits. Avec un volume pouvant aller de trente à soixante-dix auditions, cette étape constitue le cœur du processus et requiert un temps conséquent. Des déplacements sur site sont également effectués, notamment au sein d’établissements.
Une fois les auditions réalisées, nous rédigeons un rapport provisoire. Ce dernier est transmis aux personnes concernées, uniquement sur les parties les concernant, afin qu’elles puissent faire valoir leurs observations. Un délai moyen de huit à dix jours leur est accordé pour formuler ces réponses, avant que nous ne rédigions le rapport définitif.
Ces étapes représentent une durée moyenne de huit semaines. Cette estimation correspond à un cas général, certaines enquêtes pouvant être plus courtes ou plus longues en fonction du nombre d’auditions et de la complexité des situations examinées. Nous accordons une attention particulière à ces auditions individuelles, qui sont souvent la seule manière d’établir la matérialité des faits.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. En moyenne, sur un établissement, combien de jours sont consacrés à ces entretiens sur place ? Combien d’inspecteurs sont mobilisés ?
Mme Dominique Marchand. En règle générale, la phase d’audition sur place s’étend sur une durée allant d’une semaine à dix jours, mais cette temporalité varie en fonction de la complexité du dossier. Pour avoir moi-même conduit des enquêtes administratives, je peux témoigner que certaines situations appellent à prolonger la mission au-delà de ce cadre initial. Il arrive en effet qu’au fil des auditions, de nouveaux éléments apparaissent, rendant nécessaire l’audition de personnes qui n’avaient pas été identifiées dans un premier temps. Pour garantir une instruction complète et rigoureuse, il peut également s’avérer indispensable de retourner dans l’établissement afin de mener des entretiens complémentaires. Dans ce type de configuration, il est préférable de prendre une ou deux semaines supplémentaires, plutôt que de passer à côté de témoignages essentiels à la compréhension des faits.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Mes questions visaient également à illustrer le niveau d’exigence et de rigueur que requiert une enquête administrative conduite par l’Inspection générale. Il s’agit également de recueillir des éléments utiles à nos réflexions futures, notamment sur les moyens mobilisés, la durée des entretiens, les modalités d’audition, les guides méthodologiques, la gravité des faits et la portée systémique de certaines situations.
Vous évoquez en moyenne sept à dix jours d’auditions sur place pour une trentaine à une quarantaine d’entretiens. À titre d’exemple, une inspection en cours à Lille, dans un établissement d’enseignement supérieur, mobilise quatre inspecteurs pendant sept jours, avec environ trente entretiens réalisés. Nous sommes donc bien dans ces ordres de grandeur.
Pourriez-vous nous indiquer, concernant les cas récents de Stanislas et d’Averroès, combien d’auditions ont été menées et combien de jours les inspecteurs se sont rendus sur place ?
Mme Cristelle Gillard. Pour ce qui concerne l’enquête menée à Stanislas, je peux vous confirmer qu’environ une centaine d’auditions individuelles ont été réalisées. L’enquête s’est déroulée sur une période d’environ trois mois, au cours de laquelle les inspecteurs se sont déplacés sur site à deux ou trois reprises. Je ne suis pas en mesure, à ce stade, de vous donner la durée précise de chaque audition, mais je m’engage à vous fournir ces données ultérieurement.
En ce qui concerne l’enquête relative à l’établissement Averroès, je ne dispose pas immédiatement des informations demandées mais je veillerai à ce qu’elles vous soient transmises.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. J’aimerais maintenant obtenir des précisions sur la méthodologie employée pour la sélection des personnes auditionnées lors des enquêtes de l’Inspection générale.
Lors de notre déplacement à Beau Rameau, les inspecteurs académiques nous ont indiqué que le chef d’établissement avait été chargé de constituer un panel représentatif d’environ quarante-cinq élèves, à la demande du chef de mission. Ce panel avait été élaboré en tenant compte de plusieurs critères tels que l’âge ou la classe afin de faciliter l’organisation des entretiens.
Dans le cas d’une mission de l’Inspection générale, ce processus est-il identique, ou bien la sélection relève-t-elle d’une autre méthode ?
Mme Cristelle Gillard. Le vade-mecum de l’Inspection générale indique clairement que la responsabilité de déterminer la liste des personnes à auditionner relève exclusivement de la mission d’inspection. Si nous pouvons bien entendu solliciter l’établissement pour obtenir des documents utiles, la décision finale quant aux personnes rencontrées relève bien de notre responsabilité.
Concernant les élèves, plusieurs méthodes peuvent être mobilisées. Il nous arrive, notamment dans le cadre d’enquêtes administratives, de procéder à des tirages au sort. En complément, nous mettons généralement en place un dispositif d’appel à témoignages. Nous informons l’ensemble de la communauté éducative de notre présence et diffusons nos coordonnées en garantissant la confidentialité des échanges. Toute personne souhaitant témoigner peut ainsi nous contacter directement, en toute discrétion. Ce dispositif permet d’enrichir les auditions et d’élargir le périmètre des témoignages recueillis.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Ces éclaircissements mettent en évidence la différence méthodologique fondamentale entre une enquête administrative conduite par l’Inspection générale et un contrôle tel que celui réalisé à Beau Rameau en mars dernier.
L’enquête de l’Inspection générale s’inscrit dans un temps plus long et suppose un nombre d’entretiens significativement plus élevé. À Beau Rameau, l’intervention a duré quatre jours, au cours desquels une quarantaine d’auditions ont été menées, avec un panel constitué par le chef d’établissement à la demande du chef de mission. Cette différence de traitement soulève des interrogations majeures, notamment sur les critères qui déclenchent une enquête menée par l’Inspection générale plutôt qu’une inspection locale.
Le cas de Riaumont, que nous avons récemment visité avec mon collègue Paul Vannier, illustre parfaitement ces enjeux. En retraçant la chronologie des faits avec les services de l’État, nous avons relevé de graves manquements dans le suivi de cet établissement. En 2012, une inspection rectorale avait émis des recommandations assorties de réserves conditionnant la poursuite de l’activité. Ces réserves ont été levées très rapidement au niveau local, malgré l’existence à l’époque de près de 200 plaintes pour violences sexuelles. Aucune enquête de l’Inspection générale n’a été diligentée entre 2012 et 2018. Ce n’est qu’en 2018, après de nouvelles condamnations et des signalements récents, qu’une inspection inopinée a été ordonnée par la rectrice. Cette mission n’a cependant pas donné lieu à un rapport final, l’établissement ayant cessé ses activités scolaires entre-temps.
Ce contraste avec un établissement contrôlé par vos services est saisissant et nous interroge sur la cohérence, la réactivité et l’équité du contrôle exercé par l’État dans les situations les plus graves.
J’aimerais connaître votre point de vue sur cette disparité de traitement.
Mme Dominique Marchand. Cette remarque très pertinente rejoint pleinement nos préoccupations actuelles. Bien que l’appui et l’accompagnement des équipes académiques aient toujours représenté une composante importante de notre mission, cet axe a été sensiblement renforcé, notamment dans le cadre du plan récemment annoncé par la ministre de l’éducation nationale. Nous avons ainsi constitué une équipe dédiée d’inspecteurs généraux, spécifiquement formés aux missions de contrôle et aux enquêtes administratives. La méthodologie que nous appliquons, déjà solidement établie, s’est enrichie d’une connaissance approfondie des cadres réglementaires applicables aux établissements privés, qu’ils soient sous contrat ou hors contrat.
Nous avons par ailleurs intensifié nos actions de formation à destination des équipes académiques, notamment à travers des webinaires, et avons contribué à l’élaboration du guide récemment diffusé. Nous finalisons actuellement une méthodologie plus détaillée à l’attention des académies, conçue sur le modèle du guide de contrôle des fédérations sportives que nous utilisons en interne. Ce document très structuré précise, étape par étape, les éléments à examiner et les mesures à envisager en cas de dysfonctionnement. Notre objectif est de transposer cette approche au contexte des inspections académiques.
Enfin, nous bénéficions d’un réseau de relais clairement identifié, avec des référents désignés au sein de chaque académie.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Pour conclure sur l’aspect méthodologique, j’aimerais revenir sur la phase initiale d’une inspection. Vous avez évoqué la collecte documentaire, la préparation de la visite sur place, la conduite des entretiens, ainsi que l’analyse des signalements transmis par le ministère ou reçus directement. Vous avez également mentionné la possibilité d’inspections conjointes avec l’IGF, l’Igas ou des partenaires locaux. Dans les cas de Riaumont et de Bétharram, nous avons en effet identifié des inspections associant les départements et les services de protection de l’enfance.
Ma question porte sur la formalisation de cette phase amont. Existe-t-il une procédure codifiée qui vous permet de vérifier, dès le lancement de l’enquête, si d’autres inspections ont eu lieu au cours des années précédentes ?
Procédez-vous systématiquement à un état des lieux, ou bien l’intégration d’un volet, par exemple financier, dépend-t-elle uniquement des éléments portés à votre connaissance au moment de la saisine ?
Mme Cristelle Gillard. La nature et l’étendue de notre mission dépendent très directement du contenu de la saisine. Dans certains cas, nous disposons d’éléments très succincts tels qu’un signalement anonyme. Dans ces situations, nous procédons à des vérifications préliminaires et établissons une première liste de points à investiguer. La première étape consiste alors à recueillir des informations auprès de la structure concernée et, le cas échéant, à solliciter des données auprès de l’employeur si une personne est expressément mise en cause. Avant toute visite sur site, notre préparation est donc très rigoureuse. À titre d’exemple, dans les enquêtes portant sur les violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur, nous exigeons la transmission intégrale des protocoles en vigueur et des bilans annuels. Ce travail préparatoire, bien que variable selon les situations, nous permet d’appréhender globalement les enjeux avant d’entamer l’instruction sur le terrain.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je comprends votre démarche de collecte d’informations mais ma question porte sur les éléments qui pourraient vous échapper. Comment vous assurez-vous de ne pas ignorer des inspections antérieures, qu’elles soient d’ordre sanitaire, financier ou liées à la protection de l’enfance ?
Cette question est cruciale car, au sein des commissions d’enquête, nous constatons régulièrement un cloisonnement entre les administrations, qui conduit à des situations où des inspections se succèdent sans jamais croiser leurs informations. Ce manque de transversalité peut nuire à une vision d’ensemble alors que pour notre part, grâce à nos pouvoirs étendus, nous pouvons obtenir ces documents.
Comment garantissez-vous donc, dès l’amorce de votre mission, une approche globale qui ne laisse aucun angle mort ?
Mme Cristelle Gillard. Vous soulevez un point crucial. Nous disposons, il est vrai, de certains outils juridiques, notamment les articles L. 241-2 et L. 241-3 du code de l’éducation, qui nous permettent de solliciter un ensemble d’informations utiles à nos enquêtes.
Cependant, notre champ d’action demeure plus restreint que le vôtre car nous ne disposons pas de pouvoirs étendus pour exiger des documents auprès d’autres administrations, telles que les services fiscaux ou les conseils départementaux. Lorsque nous avons connaissance de l’existence de rapports ou d’inspections antérieurs, nous pouvons tenter d’en obtenir la communication, mais les administrations concernées ne sont pas tenues de nous les transmettre. Dans la majorité des cas, nous obtenons satisfaction, car nos demandes sont motivées, mais il existe bel et bien une limite juridique à notre capacité d’accès à certaines informations.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je souhaite maintenant évoquer les cas du collège Stanislas de Paris, du lycée Averroès de Lille et du lycée Pierre Bayen de Châlons-en-Champagne, pour lesquels des rapports de l’Inspection générale ont été rendus au cours de ces dernières années.
Concernant le collège Stanislas, quel regard portez-vous sur un rapport qui ne qualifie pas de systémiques ou d’institutionnelles les violences homophobes pourtant décrites par de nombreux élèves et parents lors de leurs auditions ?
Mme Dominique Marchand. Les inspecteurs généraux ont pourtant relevé plusieurs points qui m’ont semblé particulièrement précis et détaillés, à la lumière des constats effectués au sein de l’établissement, notamment en ce qui concerne le règlement intérieur, l’organisation des voyages scolaires ou encore l’existence de livrets genrés.
Le rapport indique également qu’aucun témoignage émanant d’enseignants ou de membres de l’équipe éducative n’a fait état de propos homophobes, à l’exception d’une situation ayant donné lieu à un article 40, effectué par les inspecteurs eux-mêmes. Les difficultés relèveraient davantage des interactions entre élèves.
Je ne partage donc que partiellement votre analyse quant à la nature des faits rapportés. Le rapport me semble, au contraire, particulièrement circonstancié sur plusieurs points en lien avec les problématiques soulevées dans cet établissement. Il est notamment rappelé que l’établissement a connu une période où l’homophobie était ouvertement assumée, mais que cette situation ne serait plus d’actualité sous la direction actuelle. Le rapport précise que, si aucun propos homophobe n’a été rapporté lors des auditions d’enseignants, certains échanges entre élèves ont pu être interprétés en ce sens. Il est également souligné que, même si les fonctionnements observés ne relèvent pas d’un système organisé de manière institutionnelle, ils pouvaient néanmoins favoriser un climat de rejet de l’homosexualité, propice aux risques d’homophobie. Il me semble donc que le rapport exprime, sur ce point, un certain nombre d’éléments de manière claire et argumentée.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le rapport évoque des risques, des faits anciens et des propos entre élèves, ce que les procès-verbaux contredisent. Lors de son audition, Caroline Pascal indiquait que l’analyse qui aurait pu conduire les inspecteurs généraux à caractériser l’homophobie au sein du collège Stanislas d’institutionnelle ou de systémique renvoyait à leur liberté et à leur indépendance. Alors, qu’est-ce qui peut conduire des inspecteurs généraux à caractériser des faits de violence comme institutionnels ou systémiques ?
Mme Dominique Marchand. Je n’étais pas en fonction à l’époque des faits, mais il me semble que les inspecteurs généraux, dans le cadre de leur travail, s’efforcent justement de recueillir l’ensemble des éléments disponibles, qu’ils soient à charge ou à décharge. Une inspection générale, c’est aller au bout des investigations, entendre chacun des points de vue et identifier les personnes qu’il est nécessaire de rencontrer pour construire une vision aussi complète et objective que possible.
C’est dans cette dynamique collective que les inspecteurs dégagent, à l’issue de leurs travaux, des conclusions qu’ils estiment être les plus fondées, les plus équilibrées et les plus proches de la réalité.
En ce qui me concerne, j’ai trouvé que les éléments rapportés étaient, sur plusieurs points, décrits de manière très précise et très détaillée. Ces constats concernaient des faits ou des pratiques susceptibles d’interroger mais qui, selon l’analyse de mes collègues, ne relevaient pas d’une stratégie concertée ou d’une politique délibérément portée par l’établissement. C’est, à mon sens, ce qui explique l’absence de qualification d’un caractère institutionnel de l’homophobie dans ce rapport.
M. Paul Vannier, rapporteur. À décharge, vous avez cité cette unique phrase d’un élève affirmant ne pas avoir eu connaissance de faits d’homophobie. À l’inverse, les nombreuses déclarations d’élèves et de parents décrivant des comportements à caractère homophobe ne se retrouvent pas dans le rapport.
Les procès-verbaux d’audition contiennent en outre plusieurs témoignages d’élèves et de parents évoquant l’existence d’un climat raciste au sein de l’établissement. Je vais vous lire quelques extraits issus de ces auditions.
Un élève rapporte ainsi : « Le préfet m’a interrogé sur l’origine de ma famille et de mon nom. Lorsque je lui ai expliqué que mon père était français et ma mère marocaine, il m’a répondu : "Ah, finalement, vous êtes un peu chez vous, vous aussi". »
Il poursuit : « Le professeur d’allemand m’a interpellé en disant "le jeune A", comme s’il s’était retenu de dire "le jeune Arabe". » Il évoque également « des blagues sur mon prénom de la part d’un autre élève, qui faisait un rapprochement avec les attentats du 11 septembre ».
Un parent d’élève témoigne : « L’enseignement du catéchisme est assuré soit par un prêtre, soit par des parents d’élèves. Selon les intervenants, les critiques envers les autres religions sont plus ou moins fortes, notamment à l’encontre des musulmans, des orthodoxes ou des juifs ».
Un autre élève raconte : « J’étais assis sur une marche avec une amie. Le préfet est venu nous voir. Mon amie portait une jupe. Il lui a dit : "Cette tenue, assise sur une marche, n’est pas correcte, ça fait SDF roumaine". » Le même élève ajoute : « Le seul élève racisé de la classe a reçu des remarques d’un professeur telles que : "Alors, tu as traversé la Méditerranée ?", ou encore "Pourquoi portez-vous votre manteau ? Ah oui, c’est parce que vous venez des pays chauds" ».
Là encore, nous ne trouvons aucune trace de ces témoignages dans le rapport de l’Inspection générale. Le mot racisme n’y figure à aucun moment. Pourquoi cette absence ?
Mme Dominique Marchand. Je ne sais pas répondre à cette question.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je comprends que vous n’étiez pas en poste à l’époque, mais en tant qu’actuelle responsable de l’Inspection générale, quel est votre point de vue sur un rapport d’inspection qui ne qualifie pas de systémiques ou d’institutionnelles des violences homophobes pourtant décrites par plusieurs élèves et parents d’élèves, et qui met en cause la responsabilité de divers membres du personnel encadrant, enseignants, catéchistes, préfets et surveillants ? Comment interprétez-vous l’absence totale, dans le rapport de l’Inspection générale, de mention des propos racistes rapportés dans les procès-verbaux d’audition d’élèves et de parents ?
Mme Dominique Marchand. Le rapport traite de plusieurs questions liées au genre, notamment des remarques adressées aux jeunes filles concernant leur tenue vestimentaire ou leur attitude.
Sur le reste, je ne dispose pas d’éléments complémentaires pour répondre précisément à vos interrogations. Si vous en êtes d’accord, je me chargerai de transmettre vos questions aux inspecteurs qui ont conduit cette mission.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je reconnais que le rapport aborde de manière rigoureuse la question du sexisme à Stanislas. Il s’agit toutefois de faits distincts. Les actes de racisme ne sont jamais mentionnés et les faits d’homophobie ne sont pas qualifiés comme systémiques ou institutionnalisés.
Je me permets donc de vous interroger une dernière fois : n’êtes-vous pas frappée par l’écart entre les procès-verbaux d’auditions, que vous avez estimé être essentiels dans la démarche des inspecteurs, et le contenu du rapport final ? Cette divergence, en particulier sur les violences homophobes et racistes, ne soulève-t-elle pas de question ? Quel est votre sentiment face à cette contradiction apparente ?
Mme Dominique Marchand. Je ne peux que vous renvoyer à cette phrase du rapport, qui me paraît très significative, selon laquelle certains fonctionnements peuvent « favoriser un climat de rejet de l’homosexualité » et, ce faisant, « encourager un risque d’homophobie ».
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je tiens à souligner le caractère ubuesque de la situation. Lorsque nous avons interrogé l’ancienne cheffe de l’Inspection générale, elle nous a indiqué qu’ayant quitté ses fonctions, elle ne pouvait s’exprimer. Aujourd’hui, la nouvelle cheffe du service nous explique, à son tour, qu’elle ne peut répondre non plus. Il est pourtant impératif que nous puissions obtenir des réponses à ces interrogations, y compris par écrit si nécessaire. Nous devons trouver une solution car ces questions appellent des éclaircissements indispensables.
Mme Dominique Marchand. Comme je l’ai indiqué dès le début de notre échange, le contenu d’un rapport relève de la responsabilité exclusive des inspecteurs généraux qui l’ont rédigé et signé. Ce contenu ne relève pas d’une validation hiérarchique de la cheffe de service, précédente ou actuelle.
Je m’engage néanmoins à transmettre vos questions aux collègues concernés et à vous faire un retour ultérieurement.
M. Paul Vannier, rapporteur. Passons à présent au cas du lycée Averroès de Lille. Le rapport de l’IGESR, publié en juin 2020, portait l’appréciation suivante sur l’établissement : « Averroès œuvre au quotidien, par ses pratiques pédagogiques et éducatives d’excellence, aux réussites scolaires, personnelles et professionnelles des élèves et à l’émergence de citoyens responsables, autonomes et épanouis ». À la lecture de ce rapport, le regard très favorable de l’Inspection générale sur le fonctionnement de l’établissement apparaît clairement. Comment expliquez-vous, dès lors, qu’à la suite de la transmission de ce rapport au ministre, une décision de rupture du contrat d’association ait été prise trois ans plus tard ?
Je rappelle que cette rupture, intervenue en 2023, constitue un fait extrêmement rare. À ma connaissance, il s’agit seulement de la deuxième rupture de contrat d’association depuis l’adoption de la loi Debré en 1959, laquelle concerne aujourd’hui 7 500 établissements. Cette décision semble donc en contradiction totale avec les conclusions très positives du rapport de 2020. Quelle explication pouvez-vous apporter à cette évolution ?
Mme Dominique Marchand. Le rapport de l’Inspection générale sur l’établissement Averroès était effectivement positif, y compris sur les aspects pédagogiques. Les inspecteurs généraux ont formulé cette appréciation en toute objectivité, sur la base des constats réalisés lors de leur mission.
Les décisions prises ultérieurement, notamment la rupture du contrat d’association, relèvent de la compétence du préfet de département, conformément aux dispositions de l’article L. 442-11 du code de l’éducation. Il est probable que cette décision se soit fondée sur des éléments extérieurs au rapport de l’Inspection générale car ce dernier ne justifiait en aucune façon une telle rupture.
M. Paul Vannier, rapporteur. Il apparaît que le préfet s’est appuyé sur des griefs à caractère pédagogique, qui ne sont pas issus de votre rapport mais d’un rapport de la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France. Comment interprétez-vous le fait qu’une chambre régionale des comptes formule des observations à caractère pédagogique sur le fonctionnement d’un établissement privé sous contrat ?
Mme Dominique Marchand. Nous n’avons pas connaissance de ce rapport.
M. Paul Vannier, rapporteur. Il s’agit pourtant d’un document public. Plus globalement, avez-vous déjà été confrontés à des situations dans lesquelles une chambre régionale des comptes émettrait des avis à caractère pédagogique sur un établissement ? Cette démarche vous semble-t-elle conforme au cadre réglementaire et légal ?
Mme Dominique Marchand. Il nous semblerait plus pertinent d’adresser cette question directement à la chambre régionale concernée, voire à la Cour des comptes. Pour ce qui nous concerne, nous n’avons pas observé de précédents de cette nature.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Pour approfondir ce sujet, j’aimerais revenir sur la coordination entre l’Inspection générale et d’autres administrations. Vous avez notamment évoqué précédemment des missions conjointes avec l’Igas ou l’IGF.
Dans le cas présent, nous sommes confrontés à une chaîne d’interventions, avec une inspection générale conduite à Averroès suivie d’un rapport de la chambre régionale des comptes qui a servi de fondement à une décision préfectorale.
Existe-t-il aujourd’hui des conventions de collaboration entre l’Inspection générale et d’autres institutions telles que la Cour des comptes ou les chambres régionales des comptes ? Comment s’organise concrètement la coopération entre inspection financière, inspection pédagogique et, à terme, ce que nous espérons être une inspection dédiée au climat scolaire, à la vie scolaire et au bien-être des élèves ?
Mme Dominique Marchand. Nos collaborations avec d’autres inspections générales sont encadrées par des lettres de mission conjointes émanant des ministres concernés. Chaque ministre s’adresse à sa propre inspection générale et nous recevons alors une lettre de saisine cosignée par l’ensemble des ministres impliqués, adressée à leurs inspections respectives.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je ne peux m’empêcher de souligner ce qui me semble être un déséquilibre manifeste de traitement. D’un côté, l’établissement Stanislas conserve son contrat d’association malgré de nombreux témoignages faisant état de violences homophobes et racistes. De l’autre, le lycée Averroès de Lille, objet d’un rapport très favorable sur le plan pédagogique, voit son contrat d’association rompu.
J’aimerais maintenant évoquer le rapport d’inspection relatif au lycée public Pierre Bayen de Châlons-en-Champagne. Ce document, particulièrement instructif, analyse les raisons pour lesquelles des signalements de violences sexuelles commises par un enseignant à l’encontre d’élèves n’ont pas été transmis de la direction de l’établissement aux échelons hiérarchiques supérieurs, entraînant un délai important dans la mise en œuvre des mesures nécessaires.
L’une des recommandations de ce rapport a particulièrement retenu mon attention. Elle concerne les cadres supérieurs de l’académie et propose la mise en place d’une sensibilisation-formation sur les modalités d’exercice de l’article 40 du code de procédure pénale, dispensée au niveau de la direction, de l’encadrement ou de l’académie. Une telle recommandation suggère que les cadres dirigeants de l’académie de Reims ne maîtrisent pas suffisamment les modalités de signalement prévues par cet article. Dans le cas d’espèce, c’est un signalement émanant d’une association qui a finalement permis de déclencher une réaction de l’institution.
Devons-nous en déduire que la procédure d’activation de l’article 40 est encore largement méconnue ou mal comprise par les cadres des services déconcentrés du ministère de l’éducation nationale ?
Mme Dominique Marchand. Ce rapport illustre parfaitement la diversité des situations dans lesquelles intervient l’Inspection générale. En l’occurrence, nous sommes intervenus a posteriori, dans une logique d’analyse des dysfonctionnements ayant retardé la mise en œuvre de mesures adéquates.
Ce type de mission illustre également l’indépendance de l’Inspection générale, qui n’hésite pas à formuler des constats critiques, y compris à l’égard du fonctionnement de l’établissement et, si ma mémoire est exacte, à l’encontre de sa direction.
Le rapport met en évidence des défaillances structurelles à plusieurs niveaux de la chaîne hiérarchique, à la fois au sein de l’établissement mais également à la direction des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN) et au rectorat.
C’est précisément dans cette perspective que nos préconisations ont été formulées, puisqu’il s’agissait de souligner l’existence de failles à chaque étape du processus et de recommander une meilleure appropriation des procédures.
Mme Cristelle Gillard. Lors de nos formations, nous constatons en effet de manière récurrente que l’article 40 soulève de nombreuses interrogations, en particulier s’agissant de l’articulation entre l’enquête administrative et l’enquête pénale, qui relèvent de logiques distinctes.
Il existe à cet égard un besoin manifeste de professionnalisation, tant sur la compréhension des finalités propres à chaque procédure que sur le respect de leur autonomie respective et la reconnaissance de leur complémentarité. Dans le cas du lycée Bayen, il me semble que des échanges avec le parquet ont bien eu lieu. La recommandation formulée visait précisément à favoriser une meilleure compréhension des conditions de déclenchement de l’article 40, ainsi que de sa coordination avec l’enquête pénale.
Mme Dominique Marchand. Nous constatons régulièrement, malgré les rappels fréquents que nous diffusons dans tous nos champs d’intervention, que la distinction entre enquête administrative, procédure disciplinaire et procédure judiciaire reste mal appréhendée par de nombreux acteurs. Ces procédures diffèrent tant dans leur temporalité que dans leurs objectifs et leurs méthodologies. Il est notamment essentiel de rappeler qu’une absence de suites judiciaires ne signifie pas nécessairement l’absence de responsabilités disciplinaires, et inversement. Nous insistons systématiquement sur ce point dans nos actions de sensibilisation et il pourrait être utile que vous le fassiez également. Si cette méconnaissance ou cette confusion est évidente dans le cas de Bayen, elle dépasse largement ce seul établissement. Il s’agit d’un enjeu structurel dans la culture administrative de nos institutions.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous avons bien noté que vous ne pouviez être saisis qu’à l’initiative des ministres pour diligenter une mission d’inspection générale. Pour autant, existe-t-il des dossiers faisant l’objet d’un signalement ?
Mme Dominique Marchand. En dehors d’indications relatives à un degré d’urgence ou à une échéance souhaitée pour la remise du rapport, qui peut être précisé dans la lettre de mission, il n’existe pas, à proprement parler, de « signalement » qui orienterait notre travail.
Il arrive que des délais nous soient suggérés, ce qui nous aide dans l’organisation des travaux, notamment depuis que cette dimension est prise en compte dans l’élaboration du programme annuel. Mais en ce qui concerne des indications particulières sur des éléments de fond ou des données spécifiques, cela ne fait pas partie des modalités de saisine que nous connaissons.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Pouvez-vous donc confirmer que, lors de votre prise de fonctions, aucun des dossiers que nous évoquons aujourd’hui n’a fait l’objet d’un signalement spécifique à votre attention ?
Mme Dominique Marchand. Je confirme.
M. Roger Chudeau (RN). Avant de poser mes questions, je souhaite savoir si le système des correspondants de l’Inspection générale dans les académies est toujours en vigueur.
Mme Dominique Marchand. Ce dispositif existe toujours mais sa terminologie a évolué. Nous parlons désormais de CTIG, c’est-à-dire correspondant territorial de l’Inspection générale. Cette fonction s’exerce tant au niveau académique que régional.
M. Roger Chudeau (RN). Cette question s’inscrivait dans le cadre de notre enquête sur la manière dont l’État réagit face aux signalements de violences, en particulier sexuelles, et de harcèlement. L’efficacité de la réponse de l’État repose sur sa capacité à être informé. Aussi, dans l’élaboration des programmes de travail annuels des inspections territoriales, établis sous l’autorité du recteur, quel est le rôle consultatif de l’Inspection générale, par l’intermédiaire notamment des CTIG ?
Deuxièmement, M. Delorme, ancien secrétaire général de l’enseignement catholique, a récemment dénoncé un déficit d’inspection et de contrôle dans les établissements privés. Quelle est votre analyse sur ce point ? Les inspections territoriales leur accordent-elles une attention suffisante ? Si ce n’est pas le cas, quelles sont les causes de ce déséquilibre et comment y remédier ?
Troisièmement, êtes-vous destinataires des signalements les plus graves remontés par le biais de l’application « Faits établissement », notamment ceux transmis aux fonctionnaires de défense et de sécurité ? Si non, pour quelles raisons ?
Enfin, recommanderiez-vous la création d’une unité académique dédiée au suivi des signalements de violences, à l’image de ce qui existe pour les atteintes à la laïcité ? Une telle structure pourrait-elle améliorer la protection des enfants face aux violences en milieu scolaire ?
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Je tiens tout d’abord à souligner à quel point il est préoccupant de constater une forme de perte de mémoire institutionnelle sur des sujets aussi graves. Le fait que vous ayez indiqué à plusieurs reprises ne pas être en mesure de répondre à certaines questions du fait de votre arrivée récente illustre bien cette difficulté.
Un rapport d’inspection mentionne que l’établissement Immaculée Conception de Pau ne respecte pas les dispositions du code de l’éducation, notamment en matière de programme et de contenu d’enseignement religieux obligatoire, et ce depuis 2021. Comment expliquez-vous l’absence d’action concrète malgré ces constats répétés, alors même que l’établissement bénéficie de fonds publics ? Quelle est votre analyse sur le fait que des inspections à charge ne soient pas suivies d’effets ?
Madame Marchand, vous étiez déjà membre de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) en 2005. Avez-vous eu, à titre personnel ou professionnel, connaissance de faits signalés concernant l’établissement Bétharram ?
Enfin, comment traitez-vous actuellement les signalements qui vous parviennent, nous le savons désormais avec certitude, de façon directe ? Quelle procédure appliquez-vous à ces informations ?
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Dans une situation où la hiérarchie fait obstacle à la remontée d’alertes, comme dans l’affaire Françoise Gullung, quels sont les recours dont disposent les enseignants pour signaler des violences faites aux enfants ? Peuvent-ils vous saisir directement ?
Ma seconde question concerne la transparence financière. Dans le cas de l’établissement Bétharram, les comptes n’ont pas été publiés. Quelle est la réaction de l’éducation nationale dans ce type de situation ? Est-ce un cas isolé, ou observe-t-on une tendance au manque de transparence dans d’autres établissements privés sous contrat ? Cette opacité est-elle compatible avec les financements publics qu’ils perçoivent ?
Mme Dominique Marchand. Madame la députée, bien que ma nomination soit récente, je considère avoir répondu avec clarté et rigueur à l’ensemble de vos sollicitations, sans me retrancher derrière la nouveauté de ma fonction.
S’agissant de l’établissement Immaculée Conception de Pau, je n’ai pas connaissance d’éléments précis, l’Inspection générale n’ayant pas été saisie de ce dossier.
Concernant Bétharram, je peux vous assurer n’avoir eu connaissance de cet établissement à aucun moment, malgré ma présence continue au sein de l’Inspection générale.
Il est exceptionnel que nous recevions des signalements directs. Depuis ma prise de fonction, un seul m’est parvenu, qui ne concernait pas des faits de violences sexistes ou sexuelles mais un dysfonctionnement. Nous avons immédiatement transmis ces informations au rectorat compétent et informé la personne à l’origine du signalement dès le lendemain.
Il est également important de rappeler que, bien que la voie hiérarchique reste la norme pour un agent souhaitant alerter, il existe des voies alternatives. Un enseignant, par exemple, peut saisir directement les inspecteurs santé et sécurité ou les inspecteurs du travail présents dans les rectorats, avec une garantie de confidentialité.
Quant à la publication des comptes, ce sujet ne relève pas de notre compétence.
M. Erick Roser, responsable du collège expertise administrative et éducative. Le programme de travail des inspections territoriales est désormais entièrement établi par le recteur. L’Inspection générale n’y participe plus, contrairement à ce qui se pratiquait par le passé.
Depuis la modification de l’évaluation des personnels enseignants, avec la mise en place des rendez-vous de carrière et du parcours carrière et rémunération, les inspections individuelles en classe ont été recentrées sur les quelques moments clés que sont le sixième, le huitième et le neuvième échelons. Ce nouveau dispositif a mécaniquement réduit le nombre d’inspections individuelles.
L’Inspection générale n’est pas destinataire des signalements effectués sur « Faits établissements », qui remontent aux autorités académiques. Seuls les cas les plus graves remontent aux hauts fonctionnaires de défense. S’agissant du suivi en académie, les faits relèvent des conseillers techniques établissement et vie scolaire et, nouvellement, des services de défense et de sécurité académiques, qui sont précisément chargés de cette mission.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vous remercie.
La séance est levée à seize heures cinq.
Présents. – M. Arnaud Bonnet, M. Roger Chudeau, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Marie Mesmeur, Mme Anne Sicard, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. José Beaurain, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, M. Inaki Echaniz, Mme Anne Genetet, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Isabelle Rauch, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux, Mme Nicole Sanquer