Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition de Mme Sophie Macquart-Moulin, adjointe à la directrice des affaires criminelles et des grâces, accompagnée par Mme Anne-Mahaut Mercier, adjointe à la cheffe du bureau de la politique pénale générale 2
– Présences en réunion..............................13
Mercredi
9 avril 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 53
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à quinze heures.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), Mme Sophie Macquart-Moulin, adjointe à la directrice des affaires criminelles et des grâces, accompagnée par Mme Anne-Mahaut Mercier, adjointe à la cheffe du bureau de la politique pénale générale.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires en recevant Mme Sophie Macquart-Moulin, adjointe à la directrice des affaires criminelles et des grâces, accompagnée par Mme Anne-Mahaut Mercier, adjointe à la cheffe du bureau de la politique pénale générale.
Nous avons entendu, la semaine dernière, le lieutenant-colonel Cyril Colliou, adjoint à la cheffe de l’Office mineurs, du ministère de l’intérieur. Nous constatons certaines difficultés de coordination et de partage d’informations entre le ministère de la justice, celui de l’intérieur et le ministère de l’éducation nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Madame, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
(Mmes Sophie Macquart-Moulin et Anne-Mahaut Mercier prêtent serment.)
Notre commission d’enquête s’intéresse aux violences commises par des adultes sur des élèves en milieu scolaire. Le procureur de la République est destinataire de l’ensemble des signalements effectués sur ce type de situations : pouvez-vous indiquer quel est le délai moyen de traitement de ce type d’affaires sur le plan judiciaire ?
Mme Sophie Macquart-Moulin, adjointe à la directrice des affaires criminelles et des grâces. Je tiens au préalable à vous remercier d’avoir associé la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) à vos travaux qui portent sur des sujets qui doivent tous nous engager collectivement. L’école doit être un sanctuaire permettant de développer la personnalité de nos enfants, et il est inacceptable que de telles violences puissent y être commises.
Certains faits dramatiques nous obligent tout particulièrement. Depuis des années, le ministère de la justice est fermement engagé pour lutter avec plus d’efficacité contre les violences, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles commises sur des mineurs, en particulier dans les établissements scolaires. Il s’agit d’une des priorités de politique pénale du gouvernement régulièrement rappelée dans les circulaires et les dépêches qui sont diffusées aux procureurs généraux et procureurs de la République. Je pense ainsi notamment à la circulaire du 27 janvier 2025, mais j’évoquerai surtout celle du 28 mars 2023, très importante circulaire sur la lutte contre les violences aux mineurs.
Elle avait ainsi pour objectif de hisser la lutte contre les violences faites aux mineurs à un niveau d’engagement identique à celui mis en œuvre contre les violences intrafamiliales, à la suite du Grenelle consacré à cette question. Cette circulaire-cadre couvre l’ensemble du spectre du traitement des violences contre les mineurs, en rappelant à la fois les politiques de juridiction, les politiques partenariales, mais également la politique pénale de fond. Toutes les violences commises sur les mineurs sont visées, tout particulièrement les violences commises dans les établissements scolaires.
Le ministère de la justice et la direction des affaires criminelles et des grâces assument diverses missions, tout d’abord dans le champ de la norme pénale, en lien avec les initiatives du gouvernement, mais également du Parlement. Nous sommes très régulièrement sollicités pour apporter une analyse sur toutes les propositions d’évolutions normative. Nous avons, ces dernières années, contribué avec la représentation nationale à l’enrichissement de l’arsenal juridique.
Au titre de ces enrichissements récents, il faut évidemment souligner le renforcement de la répression des violences sexuelles – qui concerne toutes les victimes – et en particulier celles qui peuvent être commises dans ou aux abords des établissements scolaires. La loi du 21 avril 2021 a notamment supprimé la notion de consentement dans les relations sexuelles entre un majeur et un mineur. Je pourrais également évoquer le travail législatif mené depuis trente-cinq ans pour allonger la durée de la prescription, afin de favoriser la révélation des faits. Les travaux normatifs ont ainsi consisté à retarder le point de départ de la prescription à la majorité et à allonger considérablement ce délai de prescription, pour aller jusqu’à trente ans en matière de crimes sexuels et vingt ans en matière d’agression et d’atteinte sexuelles. Cette loi a été très novatrice, puisqu’elle a mis en place la prescription glissante.
Par ailleurs, la loi du 14 avril 2016 a créé aux articles 11-2 et 706-47-4 du code de procédure pénale un cadre beaucoup plus étoffé pour régir la transmission d’informations entre l’autorité judiciaire et les administrations, en particulier l’éducation nationale. Cette loi prévoit un dispositif d’information soit facultatif, soit obligatoire.
Je souhaite également mentionner la contribution de la DACG au développement, à l’élaboration et l’animation des politiques pénales que nous portons sur le sujet qui vous intéresse. De très nombreuses circulaires et dépêches ont été diffusées ces dernières années à l’attention des procureurs généraux et des procureurs, notamment dans l’intention de favoriser la révélation des faits et la transmission des plaintes et dénonciations auprès de l’autorité judiciaire. Ces circulaires ont aussi poursuivi l’objectif d’améliorer l’efficacité des enquêtes, de garantir l’information, l’accompagnement et la protection des victimes tout au long d’un parcours judiciaire que l’on sait extrêmement long et difficile pour elles. Ces circulaires ont également pour objet de donner des instructions claires aux procureurs et procureurs généraux concernant les réponses pénales qu’il convient d’apporter aux faits commis, pour prévenir la récidive et protéger les victimes.
S’agissant de la révélation des faits, le ministère de la justice, à travers la DACG au premier chef, a promu ces dernières années des politiques pénales qui visaient à renforcer les partenariats entre l’autorité judiciaire et l’éducation nationale, d’autant plus que l’article 40 du code de procédure pénale impose à tout fonctionnaire et autorité constituée de porter à la connaissance du procureur tout fait criminel ou délictuel dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
Ce partenariat très important se traduit par la conclusion et la signature de conventions avec les établissements scolaires publics, mais également privés, sous contrat ou hors contrat – mais essentiellement sous contrat. Il s’agit d’un axe fort de politique pénale, qui a notamment été mis en avant dans une dépêche du 8 octobre 2021 faisant suite aux travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase). Cette dépêche invitait le ministère public à conclure de telles conventions avec les diocèses, dans l’idée de favoriser la transmission à l’autorité judiciaire de signalements et de dénonciations, et ainsi de contribuer au passage de relais lorsqu’une victime est en mesure de révéler les faits.
Les données récentes, datant d’octobre 2024, confirment que les parquets se sont pleinement mobilisés à cet égard puisque plus de 84 % d’entre eux ont signé de telles conventions avec les diocèses. D’autres dépêches et circulaires vont dans le même sens. La dépêche du 5 septembre 2023, relative aux infractions commises en milieu scolaire, invitait pareillement les parquets et les parquets généraux à conclure des partenariats avec l’éducation nationale et les établissements scolaires, pour mettre en place des circuits de signalement et établir les modalités d’échanges entre l’autorité judiciaire et l’éducation nationale, dans un sens comme dans l’autre. Il ressort des rapports du ministère public établis pour l’année 2023 que plus de 73 % des parquets avaient signé des conventions et que d’autres étaient en cours de signature. Il est donc raisonnable de penser qu’actuellement, plus de 90 % des parquets ont passé des conventions avec l’éducation nationale.
Ce partenariat repose également sur des échanges et des contacts plus directs entre les personnels, et surtout entre les référents. Dans les parquets et même dans les services de l’éducation nationale, rectorats et directions académiques des services de l’éducation nationale (Dasen), des référents ont été nommés afin que chaque institution ait un point de contact et puisse plus facilement obtenir les informations nécessaires dans le suivi ou la transmission d’une information. Cette pratique très ancienne, généralisée à la suite d’une circulaire en date du 11 mars 2015, produit aujourd’hui ses effets.
La DACG demeure très attentive aux bonnes pratiques pouvant exister dans certains ressorts. Je pense notamment aux réunions, souvent annuelles, qu’organisent les parquets avec les chefs d’établissements de leur ressort et leurs équipes. Ces rencontres sont importantes pour échanger au sujet des difficultés de chaque acteur engagé dans la prévention et la lutte contre les violences commises sur les mineurs dans les établissements scolaires. Elles permettent également de faire le point sur les circuits mis en place dans les conventions.
Travailler sur la transmission des plaintes et dénonciations effectuées au titre de l’article 40 du code de procédure pénale est essentiel, mais pas suffisant. Ainsi, l’attention de la DACG porte également sur la qualité du traitement des faits dénoncés, dont certains sont prescrits. Mais en tout état de cause, dans une dépêche datée du 26 février 2021, la DACG a invité les procureurs et les procureurs généraux à ouvrir systématiquement des enquêtes, même si les faits paraissent a priori prescrits. Ainsi, les investigations menées peuvent permettre d’identifier d’autres victimes pour lesquelles les faits ne seraient pas prescrits et lutter contre le sentiment d’impunité des auteurs.
Par ailleurs, la DACG est attentive aux délais de traitement au sein des services d’enquête, à la qualité de la prise en charge des victimes par ces services d’enquête, de la prise en charge pluridisciplinaire et du traitement des procédures dans les juridictions. Il s’agit en effet de traiter le plus rapidement possible ces procédures, notamment dans le cadre de filières de l’urgence. Il s’agit également d’être attentif aux réponses pénales qui peuvent être apportées. Nombre de procédures se terminent par un classement sans suite. Mais la circulaire du 28 mars 2023 rappelle l’importance d’un examen attentif de la procédure avant le classement et la nécessité de veiller à la notification du classement aux victimes. La réponse pénale doit être rapide et ferme lorsque cela s’avère nécessaire, notamment au regard de la nature des faits, de la gravité du préjudice subi par la victime et des antécédents du mis en cause,
Nos circulaires insistent particulièrement sur la nécessité de ne pas oublier certaines peines, telle la peine d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs. Dans certains cas, l’inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) est essentielle, notamment pour veiller par la suite au contrôle d’honorabilité des personnes pouvant être recrutées par l’éducation nationale. Enfin, il importe de veiller au retour d’informations que nous devons à l’éducation nationale ou à tous ceux qui ont transmis des plaintes ou des dénonciations au parquet.
Beaucoup a été réalisé, beaucoup reste à faire, et nous sommes attentifs à la fois aux retours du terrain, mais également aux travaux que vous menez dans le cadre de cette commission.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous avez évoqué les nombreuses conventions et circulaires portant sur les principes qui guident l’action du ministère de la justice pour mieux protéger les enfants. Nous souhaitons, au regard des expériences de terrain, des documents et témoignages recueillis, vous interroger plus précisément sur certaines actions de transmission et de traitement de ces informations signalées ou de ces signalements.
Vous avez évoqué notamment les efforts accomplis pour mieux faire connaître l’article 40 du code de procédure pénale, à la fois par le ministère de la justice et le ministère de l’éducation nationale. Vous avez mentionné rapidement la nécessité d’informer le ministère de l’éducation nationale du suivi des plaintes. Lorsqu’un signalement est effectué au procureur de la République, celui-ci a-t-il immédiatement et systématiquement pour instruction d’informer l’éducation nationale ou l’établissement concerné qu’une plainte vise l’un de ses personnels ? Sous quels délais ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. La loi du 14 avril 2016, qui fixe un cadre de transmission obligatoire ou facultatif d’information à l’éducation nationale, vise à trouver un équilibre entre la nécessité d’informer celle-ci pour prévenir la commission d’autres faits, la protection des victimes et le respect de la présomption d’innocence – en tout cas les premiers temps de l’enquête. La transmission d’informations telles qu’elles résultent des articles 11-2 et 706-47-4 du code de procédure pénale retardent quelque peu ce retour à l’éducation nationale au moment de l’engagement des poursuites. Au stade de l’enquête, il n’y a pas lieu de transmettre immédiatement une information à l’éducation nationale. Cela ne dispense pas, le cas échéant, les contacts entre les référents que je viens de mentionner.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je comprends que cette transmission n’est pas systématique, mais qu’un échange informel est possible entre le référent justice territorial au niveau du parquet et le référent éducation nationale au niveau de l’académie.
Vous évoquez un retard, mais quelle en est la durée, approximativement ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Il est extrêmement difficile de vous répondre. Tout dépend de la complexité des investigations menées, du risque de réitération, de la nécessité de préserver immédiatement la victime de tout contact avec l’auteur. Ces éléments sont difficiles à établir.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Comment le procureur de la République, qui est destinataire de ce signalement, peut-il s’assurer, en tenant compte du niveau suffisant de vraisemblance et de la gravité potentielle des faits, que la protection de l’enfant est mise en œuvre dans les plus brefs délais ? Cela relève-t-il de la compétence du procureur ? Le délai de l’enquête dicte-t-il le moment où celui-ci met en place une mesure de protection ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Cette préoccupation est essentielle pour les procureurs, qui l’ont toujours en tête. Si le mineur peut être immédiatement écarté, la question ne se pose pas. Si une situation de danger justifie un éloignement, le procureur saisit le conseil départemental pour envisager un placement auprès de l’aide sociale à l’enfance (ASE), après évaluation.
Les actions qui sont menées à l’égard des victimes vont de pair avec la diligence qui est employée à l’égard du mis en cause. Plus exactement, il s’agit de veiller à ce que certaines enquêtes soient diligentées le plus rapidement possible, dans le cadre de filières de l’urgence, afin de pouvoir envisager notamment des poursuites, soit par la saisine d’un juge d’instruction, soit par une voie procédurale de jugement rapide, de type comparution immédiate. Celle-ci permet ainsi la mise en œuvre de mesures de sûreté comme le contrôle judiciaire, l’assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse) ou la détention provisoire. L’action menée contre l’auteur est également une mesure de protection pour le mineur.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous avez évoqué le fait que les différentes circulaires ont imposé la mise en place d’un référent éducation nationale au sein des parquets et d’un référent justice au sein des académies. À votre connaissance, ces référents sont-ils installés partout, dans tous les parquets et dans toutes les académies ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Je pense pouvoir dire que dans les parquets, un magistrat est chargé de développer ces relations avec l’éducation nationale et dispose également de contacts privilégiés avec les services de l’ASE et les juges des enfants.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Diriez-vous que le niveau de gravité des faits et de certitude devant donner lieu à un partage d’information à l’éducation nationale est uniformisé au sein des différents parquets ? Le choix de partager cette information est-il discrétionnaire ou est-il codifié par des circulaires auprès des différents parquets en France ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Les textes du code de procédure pénale issus de la loi du 14 avril 2016 fixent des critères, parfois obligatoires, de transmission d’informations. En conséquence, ces critères sont censés s’appliquer de manière uniforme sur le territoire national. Pour le reste, l’article 11-2 de ce code laisse une certaine souplesse, puisqu’il concerne une transmission facultative et non obligatoire. Cependant, grâce aux circulaires diffusées aux procureurs et procureurs généraux, ces derniers sont tous sensibilisés à la nécessité de partager une information avec l’éducation nationale, dans le cadre des relations partenariales qu’ils développent avec elle.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Les réunions annuelles dont vous avez parlé, entre procureurs et chefs d’établissement concernent-elles tous les établissements, publics et privés, sous contrat et hors contrat, et sont-elles mises en œuvre dans tous les parquets en France ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Il s’agit d’une bonne pratique, que nous souhaiterions voir généralisée, qu’il s’agisse d’établissements du premier ou du second degré. Cependant, il s’agit d’une charge qui peut parfois être lourde pour certains parquets. En conséquence, ils ne peuvent pas forcément agir de la sorte avec tous les établissements scolaires. Mais la mise en œuvre des dispositifs fixés dans le code de procédure pénale et qui visent à la transmission d’informations doit évidemment être approfondie. Les travaux que nous menons actuellement consistent également à développer des outils numériques pour permettre aux magistrats de ne pas manquer certaines obligations, notamment dans la transmission d’informations, et favoriser aussi cet échange d’informations avec l’éducation nationale. Les moyens numériques doivent aussi permettre de pallier certains oublis.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je comprends qu’au niveau de la DACG vous ne disposez pas d’une vision consolidée de la mise en place régulière de ces réunions annuelles. Vous ne savez pas non plus si les parquets invitent tous les établissements, publics et privés, sous et hors contrat. Les comptes rendus de ces réunions annuelles ou les ordres du jour sont-ils établis par des directives nationales ou sont-ils laissés à la discrétion des parquets ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Je ne peux affirmer que tous les parquets procèdent à ces réunions annuelles. Il s’agit de bonnes pratiques, que nous souhaitons voir généralisées. Même si ces réunions ne se tiennent pas dans tous les ressorts, des échanges avec l’éducation nationale ont lieu, à travers les conventions ou les référents éducation nationale et justice.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Le procureur de la République est-il systématiquement informé des mesures conservatoires ou des sanctions disciplinaires prises par l’employeur à l’encontre de personnels qui seraient mis en cause pour des faits de violence ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. L’article 40 impose la transmission d’une information relative aux crimes ou délits dont l’autorité constituée a connaissance dans l’exercice de ses fonctions. À travers cette transmission, nous avons parfois connaissance des mesures conservatoires ou disciplinaires qui peuvent être engagées, mais le parquet ne dispose pas toujours d’une information complète. Il arrive que le parquet ne soit pas informé des suites données à la procédure disciplinaire.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. La transmission systématique de cette information de l’employeur au parquet est-elle inscrite dans les conventions de partenariat ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Cela peut être intégré dans les conventions, mais je ne peux vous assurer que cette information est effective.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Estimez-vous souhaitable que la transmission concernant ces mesures conservatoires ou ces suspensions soit systématique, à la fois dans les conventions et dans la réalité ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Il est toujours très intéressant de disposer de ce type d’information.
M. Paul Vannier, rapporteur. Savez-vous si les procureurs sont souvent sollicités par des recteurs ou des inspecteurs d’académie pour connaître l’éventuel déclenchement de poursuites judiciaires, alors même que ceux-ci s’interrogeraient sur le déclenchement de poursuites disciplinaires à propos de personnels ayant autorité sur des élèves et ayant pu commettre des violences à leur encontre ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Si je comprends bien votre question, vous me demandez si l’éducation nationale se rapproche du parquet pour savoir si des procédures judiciaires sont engagées contre des personnels qu’elle emploie. Lorsqu’il s’agit de poursuites pénales, ce type d’information doit être porté à sa connaissance.
M. Paul Vannier, rapporteur. Cette transmission est-elle normée, forcément écrite ? Pour avoir échangé avec des recteurs, nous pouvons avoir le sentiment qu’il peut plutôt s’agir de conversations téléphoniques, dans un cadre plus informel.
Mme Sophie Macquart-Moulin. Les textes prévoient une transmission par écrit.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je souhaite vous interroger sur le cas particulier de l’établissement Notre-Dame de Bétharram et sur une pièce que nous avons pu consulter. Datée du 17 septembre 1996, elle émane du procureur de la République de Pau et est intitulée « Avertissement avant poursuites ».
Cette pièce nous a interpellés dans la mesure où le procureur, dans ce document, s’adresse à deux personnes, le père L. et un certain Thomas C., tous deux ayant fait l’objet d’une plainte pour violences. Dans ce courrier, procureur leur indique :s « Compte tenu des circonstances de cette affaire, j’ai décidé de ne pas lui donner de suite pénale. Il va de soi que cette décision pourra être révisée en cas de survenance d’éléments nouveaux ou de récidive de votre part. Je souhaite que vous sachiez tenir le plus grand compte de cet avertissement ».
Ce type d’avertissement avant poursuites était-il habituel à cette époque, dans des affaires de violences, sans que soit mentionnée une réparation des victimes, une peine alternative ou une période probatoire ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Je ne peux vous répondre, dans la mesure où je n’ai pas l’autorisation de m’immiscer, ni de me prononcer sur une affaire individuelle.
Je peux cependant vous indiquer que le procureur dispose de l’opportunité des poursuites dans l’exercice de l’action publique. Dans la circulaire du 28 mars 2023, une attention particulière a été portée au classement sans suite, que le procureur doit décider après examen attentif du dossier.
Le rappel à la loi a été supprimé au bénéfice de l’avertissement pénal probatoire, mais toutes les mesures alternatives aux poursuites, qui peuvent consister à recevoir un individu et à lui adresser un avertissement solennel, doivent être réservées aux faits les moins graves. De plus, le risque de réitération des faits doit être pris en considération. Les parquets sont davantage sensibilisés qu’il y a quelques années sur la nécessité de hausser le niveau de réponse pénale à l’égard de ces faits. En tout état de cause, les parquets sont de plus en plus attentifs à la réponse pénale qu’ils apportent aux infractions commises au sein des établissements.
M. Paul Vannier, rapporteur. Après 2023, l’équivalent d’un avertissement avant poursuites ne serait donc pas intervenu, selon vous.
Mme Sophie Macquart-Moulin. Encore une fois, le procureur est libre d’apporter la réponse qu’il souhaite dans un dossier en particulier. Mais il est vrai que la qualité du mis en cause fait partie des critères au regard desquels la Chancellerie invite effectivement à apporter des réponses autres qu’un simple avertissement.
M. Paul Vannier, rapporteur. À votre connaissance, en 1996, un dernier avertissement avant poursuites devait-il être nécessairement porté à la connaissance de l’administration de l’éducation nationale, du conseil général ou de la direction diocésaine ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Il est difficile pour moi de répondre, s’agissant d’un cadre juridique ancien.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Concernant l’établissement du Village d’enfants de Riaumont, à Liévin, une information transmise en 2019 par le procureur au recteur d’académie et au préfet, mentionne « plusieurs crimes et délits de violences physiques et sexuelles réputés avoir été commis par différents types de personnel durant ces dernières années ». Savez-vous si d’autres signalements avaient été reçus par le parquet concernant cet établissement avant 2019 et quelle suite y avait été donnée ? Ces informations avaient-elles été transmises au préfet ou au rectorat ? Auraient-elles systématiquement dû l’être ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Là encore, je ne peux pas répondre concernant une affaire individuelle.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je souhaite néanmoins vous interroger sur une autre affaire, celle du lycée Pierre Bayen de Châlons-en-Champagne. Une enquête judiciaire a été ouverte en avril 2023, à la suite de signalements reçus par le parquet. Ce parquet a-t-il informé le recteur de l’académie de Reims ou l’administration de l’éducation nationale des neuf plaintes déposées contre l’enseignant mis en cause ? Si tel est le cas, savez-vous quelle suite a été donnée par les services de l’éducation nationale à cette alerte du parquet ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Je suis désolée, mais au titre de l’article 11 du code de procédure pénale, seul le parquet peut communiquer sur une affaire individuelle et répondre à vos questions. Je ne suis pas compétente.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Vous indiquez qu’à l’époque, le procureur avait la possibilité d’effectuer un rappel à la loi, et qu’il peut aujourd’hui adresser un avertissement pénal probatoire. S’agit-il d’une manière de mettre en attente une possible plainte ? D’enterrer un dossier et de le classer sans suite ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Un classement peut toujours faire l’objet d’un réexamen si des nouveaux faits sont portés à la connaissance du procureur. Il ne s’agit pas selon moi d’un moyen de mettre en attente une plainte. Aujourd’hui, un procureur classe une plainte lorsqu’il estime qu’en l’état, il ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour poursuivre des investigations et mettre à jour la commission des faits.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. En 1996, que signifiait un « avertissement avant poursuites » ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Cela signifiait la chose suivante : « Vous n’êtes pas poursuivi aujourd’hui, je vous délivre un avertissement solennel. Vous êtes prié de ne pas réitérer les faits. Si d’aventure, vous deviez à nouveau commettre des faits similaires ou autres, je pourrais revenir sur ce classement et engager des poursuites si les faits ne sont pas prescrits ».
M. Paul Vannier, rapporteur. Dans l’affaire du lycée Pierre Bayen de Châlons-en-Champagne, le mis en cause est décédé. Puisque son décès éteint la procédure, pouvez-vous répondre aux questions que je viens de vous adresser au sujet de cette affaire ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Même si l’auteur est décédé, je crois que la procédure est toujours en cours. Le décès de l’auteur n’entraîne pas nécessairement une extinction de l’action publique. N’ayant pas d’éléments suffisants, je préfère m’abstenir de répondre.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Lors de vos propos liminaires, vous avez parlé des bonnes pratiques avec l’éducation nationale. Vous avez cité notamment les réunions pour échanger sur les difficultés rencontrées, qui permettent également de faire le point sur les circuits et les conventions. Il y a peu de temps, nous avons auditionné des représentants de syndicats de l’éducation nationale. Ils nous ont indiqué que, dans certains départements, des conventions étaient établies, avec notamment une note qui revenait sur les différences entre les informations préoccupantes (IP), les signalements et le parcours d’un article 40. Pourquoi un article 40 est-il mis en œuvre plutôt qu’un signalement auprès de la cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) ? Malgré toutes les bonnes intentions, comment se fait-il que ces dispositifs n’existent pas dans tous les départements ? Pourquoi ne sont-ils pas uniformisés sur l’ensemble du territoire ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Je vous ai indiqué que dans pratiquement tous les ressorts, des conventions de ce type avaient été signées. Ensuite, il s’agit de les faire vivre, effectivement. Au-delà d’un écrit, les échanges entre personnes sont essentiels et il faut continuer à sensibiliser les magistrats sur les cadres légaux qu’ils doivent respecter, notamment les obligations de transmission obligatoire de l’information. Il convient également, au-delà des moyens que l’on peut renforcer dans les juridictions pour bien traiter ce contentieux, de développer des outils numériques pour ne pas oublier certaines étapes procédurales, comme celle du retour sur les suites qui ont été données à une affaire.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Je ne parle pas des conventions qui existent entre les magistrats et l’éducation nationale, mais des notices d’information en direction des enseignants, des personnels de l’éducation nationale, afin que tous soient bien informés. À ce titre, je vous invite à visionner l’audition et l’intervention du représentant syndical qui nous a parlé de notices à l’initiative du procureur de son département, qui n’existent pas forcément dans d’autres départements.
Je me permets de vous signaler que la bonne volonté de tous les magistrats – notamment les juges des enfants – et greffiers ne suffit pas nécessairement. Une décision politique ou nationale est sans doute nécessaire pour venir en soutien et informer tous les membres de l’éducation nationale, voire tous les adultes qui sont normalement concernés par la protection de l’enfance.
Mme Sophie Macquart-Moulin. Je ne peux que vous rejoindre sur le fait que la bonne volonté ne suffit pas. Il est effectivement nécessaire de disposer de process, de moyens et d’outils pour aider effectivement les magistrats, juges des enfants et parquetiers, à bien accomplir leur travail. Mais les conventions se déclinent à travers les fameuses notices dont vous parlez.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). En l’espèce, il s’agit plutôt d’une information émanant des procureurs en direction des personnels de l’éducation nationale, qui expliquent la différence entre la Crip, le parquet, le 119 ; entre un signalement, une information préoccupante et le cheminement de l’article 40. Les professionnels se plaignent tous de ne jamais connaître les suites qui ont été données à leurs signalements.
Mme Sophie Macquart-Moulin. Vous parlez peut-être plutôt effectivement d’une information générale. Je précise que ces conventions doivent normalement comporter un certain nombre d’annexes, qui doivent être diffusées des deux côtés et qui peuvent effectivement être revisitées, à l’occasion des fameuses réunions que j’ai évoquées plus tôt.
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Si un personnel d’un établissement signale un fait, mais sans passer par la voie hiérarchique, celui-ci est-il bien considéré comme émanant de l’éducation nationale ? Pouvez-vous nous rappeler le pourcentage de classements sans suite dans le cadre des affaires de violences sexuelles sur les mineurs, ainsi que le pourcentage des faits qui sont prescrits dans ce domaine ? Enfin, quelle est la position de la direction des affaires criminelles et des grâces quant à l’idée d’une imprescriptibilité des crimes sexuels sur les mineurs ?
Mme Graziella Melchior (EPR). Nous le savons tous, la libération de la parole intervient toujours tard, trop tard. Aujourd’hui, des victimes se sont regroupées dans des collectifs. Il existe apparemment plusieurs manières de déposer plainte, soit directement à la gendarmerie, soit auprès du procureur. Auriez-vous des conseils à donner concernant la procédure, pour accélérer le traitement des plaintes et idéalement obtenir autre chose qu’un classement sans suite ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. S’agissant des plaintes, de mon point de vue, il est toujours préférable de s’adresser tout de suite à un service d’enquête, pour gagner du temps. Cela n’empêche pas que les personnes qui souhaitent initier une démarche de révélation des faits puissent s’entourer de conseils, notamment en allant voir des associations d’aide aux victimes.
Monsieur Bonnet, je ne dispose pas des chiffres, mais ils pourront vous être communiqués par la suite. Nous ne pouvons que nous réjouir du mouvement de révélation de la parole, qui entraîne de très nombreuses procédures et saisines des juridictions. En regard, le taux de classement peut être extrêmement décevant, mais il doit être mis en lien avec la difficulté pour les juridictions et les services enquêteurs à établir la réalité ou leur donner une consistance suffisante pour engager des poursuites. Plus le temps passe, plus les faits sont difficiles à établir, a fortiori s’ils ont été commis à huis clos, sans témoins.
L’allongement de la prescription est intéressant pour lever les blocages psychologiques, mais elle ne pourra peut-être pas se traduire par davantage de poursuites et de condamnations. En revanche, nous ne sommes pas favorables à l’imprescriptibilité des infractions sexuelles : pour les raisons que je viens justement d’évoquer, l’imprescriptibilité ne résoudrait pas forcément le problème. De même, elle n’inciterait pas forcément davantage les victimes à parler. Enfin, cela remettrait aussi en cause la cohérence d’ensemble des délais de prescription dans notre système répressif.
S’agissant des nécessités de mieux informer l’éducation nationale, encore une fois en dehors du cadre légal qui impose une obligation en cas de poursuites, les parquets ont à cœur de veiller à respecter les équilibres entre présomption d’innocence, nécessité de ne pas gêner les premières investigations, mais aussi de protéger les victimes et d’éviter que d’autres faits puissent être commis. Il existe des échanges entre les procureurs et les référents de l’éducation nationale.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Certaines victimes que nous avons rencontrées ne dorment plus la nuit parce qu’elles savent que leur plainte sera prescrite, mais que l’auteur est aujourd’hui encore en fonction dans un autre département, auprès de jeunes enfants. Lorsqu’une plainte est déposée contre un auteur identifié et qu’elle est prescrite, des liens existent-ils entre les parquets ? Comment les jeunes peuvent-ils être protégés en cas d’absence d’enquêtes judiciaires ? Existe-t-il une solution ? Enfin, le ministère de la justice a-t-il été associé à l’élaboration du plan « Brisons le silence, agissons ensemble » ?
Mme Sophie Macquart-Moulin. Je réponds par la négative à votre dernière question.
S’agissant de votre première question, j’évoquerai une dépêche de 2021, très importante pour nous. Elle indique aux procureurs d’engager systématiquement des enquêtes, y compris sur des faits qui leur paraissent prescrits, ne serait-ce que pour permettre à la victime d’être entendue correctement, mais aussi pour que l’auteur puisse être entendu, même s’il ne peut pas être poursuivi. Même s’il est parfois obligatoire de procéder à un classement pour prescription des faits, il peut être important pour des victimes de connaître la position du mis en cause. Certaines peuvent apprécier de voir qu’il reconnaît les faits, même si des poursuites ne seront pas engagées.
Encore une fois, cette audition et ces investigations ont pour but, d’une part, de s’assurer que les faits sont bien prescrits – ce qui n’est pas toujours évident à déterminer, même si nous avons développé un outil pour aider les parquets à cet égard – et, d’autre part, à travers des investigations, notamment sur l’environnement, de s’assurer qu’il n’existe pas d’autres victimes, ou de risque de commission des mêmes actes sur d’autres personnes. Ce faisant, nous transmettons un message extrêmement fort.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vous remercie.
La séance est levée à seize heures.
Présents. – M. Arnaud Bonnet, Mme Florence Joubert, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Graziella Melchior, Mme Marie Mesmeur, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. José Beaurain, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Isabelle Rauch, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux, Mme Nicole Sanquer