Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

 Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 581100 du 17 novembre 1958), table ronde réunissant Mme Julie Benetti, rectrice de la région académique Île-de-France, rectrice de l’académie de Paris, et M. Laurent Noé, directeur de l’académie de Paris ; Mme Anne Bisagni-Faure, rectrice de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes, rectrice de l’académie de Lyon, et M. Jérôme Bourne Branchu, directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen) du Rhône ; M. Guillaume Gellé, recteur de la région académique, recteur et Dasen de l’académie de Guyane, et M. Guillaume Icher, directeur de cabinet du recteur ; Mme Hélène Insel, rectrice de la région académique Bretagne, rectrice de l’académie de Rennes, et Mme Catherine Moalic, Dasen du Finistère              2

– Présences en réunion..............................17

 

 

 

 

 

 


Mercredi
9 avril 2025

Séance de 17 heures 

Compte rendu n° 55

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente

 


  1 

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)

La commission auditionne sous la forme d’une table ronde, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), Mme Julie Benetti, rectrice de la région académique Île-de-France, rectrice de l’académie de Paris, et M. Laurent Noé, directeur de l’académie de Paris ; Mme Anne Bisagni-Faure, rectrice de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes, rectrice de l’académie de Lyon, et M. Jérôme Bourne Branchu, directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen) du Rhône ; M. Guillaume Gellé, recteur de la région académique, recteur et Dasen de l’académie de Guyane, et M. Guillaume Icher, directeur de cabinet du recteur ; Mme Hélène Insel, rectrice de la région académique Bretagne, rectrice de l’académie de Rennes, et Mme Catherine Moalic, Dasen du Finistère.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Mes chers collègues, dans le cadre de nos travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires, nous avons souhaité organiser une table ronde réunissant les recteurs de plusieurs académies, ainsi que leur directeur académique des services de l’éducation nationale.

Je vous remercie de vous êtes rendus disponibles pour cet échange. Nous souhaitons notamment qu’il nous permette d’y voir plus clair sur le fonctionnement des services déconcentrés de l’éducation nationale lorsqu’un cas de violence dans un établissement scolaire est signalé d’une manière ou d’une autre

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc, Mesdames, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mmes Benetti, Bisagni-Faure, Insel, Moalic et MM. Noé, Bourne Branchu, Gellé et Iche prêtent serment.)

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Disposez-vous de données sur le nombre de cas de violences commises par des adultes sur des enfants en milieu scolaire au sein de votre département ou région académique ? Par ailleurs, par quels acteurs les signalements vous sont-ils généralement transmis ? S’agit-il de signalements par les victimes, des parents d’élèves, des enseignants, des chefs d’établissement ?

Mme Julie Benetti, rectrice de l’académie de Paris. Madame la présidente, madame et monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, à titre liminaire, au nom de toutes les personnes auditionnées aujourd’hui par votre commission, mais au-delà, de tous les recteurs et directeurs académiques, je tiens à exprimer très simplement notre émotion, le choc que nous avons éprouvé collectivement face aux témoignages qui se sont succédé dans la période récente de violences commises par des adultes sur des élèves dont ils avaient la responsabilité et le devoir premier d’assurer la pleine sécurité.

Nous voulons témoigner ici de notre plein soutien aux victimes, de notre volonté d’agir avec force et détermination pour prévenir la réitération de tels drames et assurer à tous les enfants et adolescents, comme à leurs familles la priorité absolue qui est la nôtre de protéger nos élèves contre toute forme de violence, quel que soit leur établissement. Nous avons tous vocation à réinterroger nos procédures à l’échelle de nos académies pour nous assurer que tous les moyens sont mis en œuvre pour le recueil de la parole de nos élèves, le traitement des signalements et le renforcement des contrôles des établissements scolaires, ainsi que le prévoit le plan « Brisons le silence, agissons ensemble », annoncé par Mme la ministre d’État. Nous apportons tout notre concours à votre commission dans le cadre de cette audition. Au-delà du questionnaire que vous nous avez adressé, nous espérons, à la faveur de l’échange qui va suivre, qu’il pourra éclairer le mieux possible vos travaux sur nos modalités d’action et notre pleine mobilisation.

Vous nous avez interrogés, madame la présidente, sur les données dont nous disposons quant au nombre de cas de violences sur des enfants commises par des adultes en milieu scolaire. S’agissant de l’académie de Paris, pour l’année scolaire en cours, nous avons recensé vingt-huit signalements, incluant tous personnels, établissements publics et privés confondus : huit pour violence verbale, onze pour violence physique, neuf pour violences sexuelles. Ces signalements se répartissent comme suit : quinze pour les écoles de l’enseignement public, onze pour les établissements publics du second degré, deux pour les établissements privés du second degré.

Mme Anne Bisagni-Faure, rectrice de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes, rectrice de l’académie de Lyon. Dans l’académie de Lyon, dans le public, les remontées nous parviennent essentiellement par l’application « Faits Établissement », et plus rarement par des courriers. Durant l’année scolaire 2023-2024, quarante-deux faits de violences verbales, physiques ou sexuelles ont été rapportés dans les établissements publics, qui correspondent à 0,79 % de l’ensemble des remontées de l’application « Faits Établissement ». Parmi ces quarante-deux faits, cinq concernent le premier degré, dont un cas de violence sexuelle et quatre cas de violence physique. Durant l’année en cours, nous avons à ce jour quarante-et-une remontées, soit un peu plus de 1 % des faits remontés, dont neuf dans le premier degré.

Concernant l’enseignement privé, nous disposons des informations au travers de signalements qui nous remontent principalement par les directeurs diocésains. Lors de l’année scolaire 2023-2024, douze faits ont été signalés, dont cinq dans le premier degré et sept dans le second degré ; et sur l’année scolaire en cours, sept faits dont un dans le premier degré et six dans le second degré.

Monsieur Guillaume Gellé, recteur de la région académique de Guyane et directeur académique des services de l’éducation nationale. Pour l’année scolaire 2024-2025, sur un total de 432 remontées dans « Faits Établissement », treize concernent des violences commises sur des élèves ayant pour auteur des personnels, quatre dans le premier degré et neuf dans le second degré. Cela représente à l’heure actuelle 3 % de la totalité des faits remontés. Pour l’année précédente, sur les 688 remontées, onze concernent des faits impliquant des violences commises sur des élèves par les personnels : un dans le premier degré et dix dans le second degré. En Guyane, la principale voie de transmission est également l’application « Faits Établissement », à laquelle il faut ajouter des appels téléphoniques de personnels, de parents d’élèves, mais aussi des courriels. La Guyane est un territoire particulier, où la connectivité numérique n’est pas forcément toujours présente dans tous les territoires.

Mme Hélène Insel, rectrice de la région académique Bretagne, rectrice de l’académie de Rennes. Durant l’année scolaire 2023-2024, nous avons enregistré un total de total de trente-neuf faits de violence commise par des adultes sur les élèves, dont dix dans le premier degré et vingt-neuf dans le second degré. La répartition est la suivante : dans le premier degré, six dans le public et quatre dans le privé ; et dans le second degré, vingt-deux dans le public et sept dans le privé. S’agissant de l’année en cours, le total est pour le moment de trente-huit faits, dont quatorze dans le premier degré (huit dans le public et six dans le privé) et vingt-quatre dans le second degré, qui se décomposent de la manière suivante : vingt-et-un dans le public, concernant notamment cinq assistants d’éducation (AED) et accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ; et trois dans le privé.

S’agissant des voies de transmission, je n’ai pas de commentaires spécifiques à apporter par rapport à mes collègues, en sachant que le signalement, en attendant qu’il devienne obligatoire, est quand même plus difficile en général pour les établissements privés. Mais les échanges entre les Dasen et les directions diocésaines de l’enseignement catholique (DDEC) sont fréquents, notamment en cas de violences. Enfin, environ 2 % des cas sont découverts à travers des articles de presse.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Les signalements émanent-ils également des victimes, des parents d’élèves ?

Mme Catherine Moalic, directeur académique des services de l’éducation nationale du Finistère. Les situations de faits de violence de nos personnels sur les élèves remontent moins par l’application « Faits Établissement » que par les courriers, les alertes du DDEC ou de la préfecture, avec laquelle nous sommes en lien quotidien.

L’application « Faits Établissement » est essentiellement utilisée pour des faits de violences d’élèves dans le milieu scolaire. Les remontées de violences intrafamiliales dont nos élèves sont victimes interviennent essentiellement à travers l’utilisation de l’article 40 du code de procédure pénale.

M. Jérôme Bourne Branchu, directeur académique des services de l’éducation nationale du Rhône. Parfois, une régularisation peut intervenir après coup dans « Faits Établissement » concernant des faits qui ont été signalés, notamment dans l’enseignement public. Les canaux de remontée peuvent être assez divers, qu’il s’agisse du courrier d’un parent d’élève pour saisir un directeur académique d’une situation, d’un maire, d’une fédération de parents d’élèves ou d’un professionnel.

Mme Julie Benetti. Je précise que l’académie de Paris bénéficie d’une procédure spécifique de remontée d’informations, qui date d’une convention conclue en 2007 entre le rectorat, la préfecture de police et le parquet des mineurs près le tribunal judiciaire de Paris, rejointe ensuite par les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Cette procédure se décline à travers des rapports d’infractions en milieu scolaire (Rims), qui sont établis par les directeurs d’écoles ou les chefs d’établissement. Dans l’académie de Paris, cette procédure a précédé la mise en œuvre de l’application « Faits Établissement ». Elle présente l’avantage de permettre le partage d’informations simultanément avec la police. En cas de faits graves, le directeur d’école ou le chef d’établissement rédige un Rims, afin que les informations soient transmises par l’intermédiaire d’un support uniformisé, qui est envoyé simultanément à la police, à l’équipe académique et au parquet pour mineurs.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Lors de nos déplacements en tant que rapporteurs, nous avons eu assez rapidement connaissance de deux types de convention assez généralisés : une convention entre l’éducation nationale et le conseil départemental sur les sujets de la transmission des informations préoccupantes, de la remontée des statistiques de l’absentéisme ; et une convention entre l’éducation nationale et la justice, au niveau territorial, sur le partage d’informations.

À l’occasion de nos auditions, nous avons pu constater que ces conventions existent souvent, ont bien été signées, mais sont peu pilotées, peu animées. En outre, si la convention entre l’éducation nationale et la justice recommande que le rectorat soit automatiquement informé lorsque le parquet reçoit une plainte qui concerne un fait de violence commis par un enseignant sur un élève, il apparaît que cela n’est pas systématique.

Pouvez-vous évoquer la manière dont ces conventions sont animées aujourd’hui ? Quelles évolutions préconiseriez-vous ?

Mme Anne Bisagni-Faure. Une partie de la réponse pourra vous être fournie par le Dasen. En revanche, en tant que rectrice de l’académie de Lyon depuis le 26 mars dernier, il m’a été rapporté que les informations étaient transmises de manière fluide. Les services du procureur signalent immédiatement si un professeur est mis en cause, nous permettant alors de mener une action de suspension à titre conservatoire, aussi bien dans le public que dans le privé. Ensuite, le temps de la justice n’est pas forcément celui de l’éducation nationale, puisque sauf en cas de poursuites pénales, l’agent ne peut être suspendu au-delà d’un délai de quatre mois.

M. Jérôme Bourne Branchu. Dans le département du Rhône, une convention lie effectivement l’éducation nationale avec les parquets de Lyon et de Villefranche-sur-Saône. Elle couvre l’ensemble des coopérations dans tous les champs de l’action qui peut être partagée. Ces derniers temps, nous avons plutôt investi en collaboration avec les parquets les enjeux de protection des personnels, afin d’établir des modalités d’intervention.

La question du harcèlement nous a également occupés. Dans une logique de protection des élèves, nous avons établi dernièrement une convention pour définir un régime d’intervention supra éducatif – quand le harcèlement résiste au traitement éducatif –, mais infra pénal. Il implique une mobilisation des forces de sécurité intérieure qui, au nom du parquet, interviennent pour rappeler à la loi et aux exigences de cessation des faits qui sont reprochés à un élève.

Dans ce cadre général, les relations couvrent également les autres champs, notamment des mises en cause de personnels relativement aux élèves. Comme le soulignait madame la rectrice, les échanges sont très fluides. J’espère qu’ils évitent tout raté, tout manquement à l’identification d’une situation. A titre d’exemple, le 25 mars dernier, le parquet de Lyon nous a informés d’une suspicion de consultation d’images pédophiles pornographiques par un étudiant en deuxième année de master alternant et intervenant partiellement en milieu scolaire dans le cadre de ses stages. Nous avons ainsi pu le suspendre pour protéger les usagers, c’est-à-dire les élèves.

Monsieur Guillaume Gellé. En Guyane, il existe une véritable synergie dans certains cas, bien au-delà d’une fluidité d’informations. Ceci est d’autant plus important que le département est un territoire frontalier, entouré par le Brésil et le Surinam. Saint-Laurent-du-Maroni se trouve par exemple à quelques minutes de pirogue du territoire du Surinam.

Par ailleurs, j’ai en tête un exemple très récent concernant un enseignant suspecté d’avoir commis des violences sexistes et sexuelles sur des élèves. Nous avons coordonné nos actions, afin que la justice puisse le mettre en garde à vue. À cet effet, nous avons différé la notification des procédures disciplinaires à l’enseignant, par peur qu’il ne quitte le territoire.

S’agissant de l’animation des conventions, le référent justice est mon directeur de cabinet, à qui je cède la parole.

M. Guillaume Icher, directeur de cabinet du recteur de la région académique de Guyane. La coordination est quasiment journalière et s’inscrit dans le cadre d’un travail porté depuis quelques mois, et surtout depuis quelques semaines, sur la restructuration de l’activité des directeurs de cabinet de recteurs, en tant que pilotes des services de défense et de sécurité académiques. Mon rôle consiste ainsi à traiter les signaux urgents en lien avec les parquets, mais aussi avec les forces de l’ordre.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Dans une des auditions récentes, il nous a été indiqué qu’il existait un référent justice au sein de l’éducation nationale, dans chaque territoire. Pouvez-vous nous indiquer si, à votre connaissance, celui-ci est bien présent partout ? Quels sont ses missions et son rôle dans l’animation de ces conventions et ce suivi des signalements, à la fois concernant des encadrants potentiellement auteur de délits ou des victimes ?

Mme Hélène Insel. Il existe effectivement des référents justice dans toutes les académies qui, selon le choix de l’organisation de l’académie, sont soit le responsable du service juridique, soit le directeur cabinet du recteur. Mais il n’existe pas de référent au niveau départemental. Le référent justice est évidemment en lien avec les procureurs. Parfois, le retour d’information n’est pas aussi rapide que nous le souhaiterions, mais sur des sujets très graves dont nous parlons aujourd’hui, aucun problème n’est à déplorer.

Mme Catherine Moalic. Madame, vous avez eu raison de nous interroger sur la vie de la convention. Celle-ci vit effectivement au moins une fois dans l’année, lorsque nous partageons et croisons nos chiffres avec les procureurs et les forces de l’ordre. Il s’agit d’un moment important, puisque cette « photographie » nous permet de nous projeter sur des actions à venir. Dans le Finistère, le substitut du procureur vient à la rencontre des chefs d’établissement, notamment des nouveaux, pour rappeler toutes les procédures.

Ensuite, à partir du moment où un chef d’établissement, un enseignant ou un autre membre du personnel transmet une information préoccupante ou effectue un signalement, par exemple au titre de l’article 40, le Dasen est mis en copie, qu’il s’agisse d’un établissement public ou d’un établissement privé. La justice accuse réception assez rapidement.

Ensuite, comme Mme Bisagni-Faure l’a indiqué, le temps de la justice ne correspond pas forcément à celui de l’éducation nationale, qui est contraint dans le cadre de la suspension à titre conservatoire, dans l’intérêt de l’enfant, mais aussi celui du personnel.

M. Laurent Noé, directeur de l’académie de Paris. L’académie de Paris partage avec la Guyane le privilège d’être également un département. Dans ces circonstances, les distinctions entre département et académie n’ont pas lieu d’être. À Paris, le référent justice est le conseiller de la rectrice pour les établissements et la vie scolaire. Il est en lien avec le parquet et les autorités judiciaires.

Il s’assure qu’interviennent chaque année une relecture et une révision des procédures et des acteurs en jeu. De même, chaque année a lieu une réunion où les chefs d’établissement sont également conviés autour des acteurs de cette convention, pour repréciser à la fois l’esprit, le cadre et d’autres éléments. Enfin, le directeur des ressources humaines de l’académie est également l’un des interlocuteurs réguliers du parquet, une fois qu’une procédure ou qu’une enquête est en cours, pour pouvoir disposer d’informations quant aux éventuels faits nouveaux, ou être au plus près des éléments qui justifient les suspensions ou les reprises.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nos contrôles sur place et nos auditions de syndicats d’enseignants ont plutôt révélé des carences, des « trous dans la raquette ». En dépit des conventions et des réunions annuelles, des faits graves sont parfois découverts uniquement à travers des articles de presse. Les syndicats, les victimes et les lanceurs d’alerte ont également évoqué des phénomènes d’autocensure ou des craintes de répercussions hiérarchiques. Le système n’est donc pas parfait, mais nous sentons également grâce à vous une forte mobilisation de l’ensemble des cadres de l’enseignement.

Ensuite, nous avons relevé le manque de formation des enseignants de tous les niveaux sur la manière de transmettre un signalement au titre de l’article 40 ou une information préoccupante. Le ministère de la justice a évoqué une « bonne pratique », qui n’est malheureusement pas obligatoire, ni appliquée partout, consistant à organiser chaque année une réunion entre le parquet et l’ensemble des chefs d’établissements du public et du privé.

À votre connaissance, une réunion annuelle permettant de partager les pratiques, la remontée des chiffres, mais aussi les besoins en formation et en explications pédagogiques, est-elle bien organisée dans votre académie ou l’académie dans laquelle vous travailliez précédemment ?

Mme Anne Bisagni-Faure. Je travaillais précédemment à l’académie de Bordeaux. Lorsque la procédure prévue à l’article 40 du code de procédure pénale a récemment été évoquée concernant la prévention et la lutte contre le harcèlement à l’école, nous nous sommes effectivement aperçus d’un manque de formation pour rédiger un signalement à ce titre.

Pour y remédier, des actions ont été menées à trois niveaux. D’abord, la déléguée académique à la formation des personnels d’encadrement a invité les chefs d’établissement à effectuer des formations dans le cadre de webinaires, en lien avec la référente justice, qui est en l’occurrence la directrice des affaires juridiques. Ensuite, des Dasen ont pris l’initiative de travailler avec leurs contacts au niveau des parquets. Enfin, l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation propose aussi des modules dans la formation initiale des personnels de direction. En revanche, je n’ai pas connaissance de ce qui est proposé aux enseignants sur ce sujet.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Dans l’académie de Bordeaux, le parquet anime-t-il une fois par an une réunion annuelle des chefs d’établissements publics et privés ?

Mme Anne Bisagni-Faure. Je ne sais pas qui mobilise cette déléguée académique à la formation des personnels d’encadrement. J’ignore s’il s’agit du parquet.

Mme Julie Benetti. S’agissant de l’académie de Paris et en application de la convention de 2007, il existe une réunion annuelle à laquelle est traditionnellement convié l’ensemble des personnels de direction des établissements publics. Nous avons l’intention d’y associer également les directeurs d’établissement du privé. En effet, ce sont souvent nos chefs d’établissements qui assurent le signalement via l’article 40 du code de procédure pénale.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Quelles sont les initiatives du parquet à l’égard des rectorats ? Les parquets réunissent-ils les chefs d’établissement ?

Mme Julie Benetti. Il est traditionnellement de la responsabilité des autorités académiques de réunir les chefs d’établissement. Cela étant, je peux témoigner que le parquet répond très favorablement aux propositions et initiatives qui sont les nôtres pour venir s’adresser aux chefs d’établissement.

M. Jérôme Bourne Branchu. À la lumière de mes deux derniers postes, je peux attester de deux initiatives prises par le parquet. La première concerne une réunion d’information de l’ensemble des chefs d’établissements relative au nouveau code de la justice pénale des mineurs, à l’initiative du parquet d’Évry. Par ailleurs, la cour d’appel de Lyon, a récemment proposé aux chefs d’établissement un point d’information sur les éléments de procédure, et notamment ceux relatifs au signalement.

Monsieur Guillaume Gellé. Je n’ai pris mon poste en Guyane que depuis le 26 mars, mais à ma connaissance, de telles initiatives n’ont pas eu lieu par le passé en Guyane. Ceci est en partie lié à l’important turnover des responsables du tribunal. En revanche, nous allons nous adresser au procureur de la République pour lui faire part de notre souhait de mettre en place ce type de réunion.

M. Paul Vannier, rapporteur. Je souhaite vous interroger sur les procédures disciplinaires. Quels sont les textes qui fixent la doctrine des rectorats en matière de mesures conservatoires et de sanctions disciplinaires ? Cette doctrine est-elle uniforme à l’échelle nationale ou laissée à la libre appréciation des recteurs ?

Mme Anne Bisagni-Faure. Dans le domaine des procédures disciplinaires concernant les enseignants, la démarche est identique jusqu’à un certain point. S’agissant des enseignants du public, nous menons, au moment de l’instruction et avant tout lancement d’une procédure disciplinaire, un échange avec la direction générale des ressources humaines (DGRH) pour travailler sur la gradation de la sanction. S’agissant des enseignants de l’enseignement privé sous contrat, dans l’académie de Lyon, la démarche est à l’appréciation des services en charge de l’enseignement privé, de la DRH et du secrétaire général, qui conseillent le recteur sur la sanction.

Mme Julie Benetti. Le cadre législatif et réglementaire fixe la doctrine des rectorats, à supposer qu’il existe véritablement une doctrine en matière de mesures conservatoires et de sanctions disciplinaires. Nous veillons à ce que les mesures conservatoires puissent être prises très rapidement lorsque les faits qui nous sont rapportés sont graves ou de nature à générer un trouble au sein de l’établissement. Ces suspensions sont donc prises à titre conservatoire, pour une durée de quatre mois maximum. Au-delà de quatre mois et en l’absence de poursuites pénales, nous avons normalement vocation à réintégrer les personnels.

Les sanctions disciplinaires sont prises en fonction de la gravité des faits et dans le cadre d’échanges entre les services RH, les services juridiques, le secrétariat général et la DGRH.

Mme Hélène Insel.  Les textes du code de l’éducation sont clairs, à la fois sur les mesures conservatoires et les sanctions disciplinaires. Toutefois, il me semble que les pratiques pour les mesures conservatoires diffèrent d’un territoire à l’autre.

Ces dernières années, j’ai pu observer que les personnels et les organisations syndicales craignent que la mesure conservatoire soit lue comme une mesure disciplinaire. Pour ma part, je leur ai fait passer le message suivant : la mesure conservatoire n’étant pas une mesure disciplinaire, elle vise à protéger, l’élève évidemment, s’il existe une suspicion de maltraitance à son endroit, mais également la personne suspectée. Je ne vous cache pas que lorsque je considère qu’il existe un danger imminent, je préfère prendre une mesure conservatoire assez rapidement.

Mme Anne Bisagni-Faure. J’ajoute qu’une instruction du ministère de l’éducation nationale en date d’avril 2016 a été réactualisée en 2024. Nos services s’appuient sur cette dernière pour nous conseiller.

M. Paul Vannier, rapporteur. Ce pouvoir disciplinaire, qui contient la possibilité d’entreprendre une action conservatoire, vous paraît-il suffisamment mobilisé concernant les personnels relevant des établissements privés sous contrat ? L’exercice de ce pouvoir est-il différent concernant ces établissements ?

Mme Anne Bisagni-Faure. A ma connaissance, non.

Mme Hélène Insel. Non, il n’existe pas de différence de traitement, puisque nous gérons les deux types de personnel, à la fois pour la mesure conservatoire ou pour le conseil de discipline. Il convient cependant de relever que nous sommes beaucoup plus en lien avec le ministère au sujet des établissements publics, puisque le ministre prononce les sanctions de très haute catégorie. Ce n’est pas le cas concernant les établissements privés.

M. Paul Vannier, rapporteur. Ce pouvoir disciplinaire s’étend-il aux personnels de vie scolaire des établissements privés sous contrat ?

Mme Julie Benetti. En réalité, la même procédure et le même pouvoir disciplinaire s’appliquent dès lors qu’il s’agit de personnels de l’éducation nationale. S’agissant des personnels des établissements privés sous contrat, qui ne sont pas des personnels de l’éducation nationale, qu’il s’agisse d’ailleurs des directeurs de ces établissements ou encore du personnel de vie scolaire – je songe en particulier aux surveillants –, ce pouvoir relève en principe du pouvoir disciplinaire de leur employeur.

M. Paul Vannier, rapporteur. Dans ce cas de figure, êtes-vous pour autant informés – par le parquet, par exemple – d’un signalement qui concernerait un chef d’établissement ou un surveillant, dont l’employeur n’est pas l’éducation nationale, mais qui exerce dans un établissement relevant du ministère de l’éducation nationale ?

Mme Anne Bisagni-Faure. Pouvez-vous reposer la question, pour m’assurer que je l’ai bien comprise ?

M. Paul Vannier, rapporteur. Le cas échéant, seriez-vous informée, par exemple par un parquet, d’un signalement portant sur un chef d’établissement ou un personnel de vie scolaire d’un établissement privé sous contrat ?

Mme Anne Bisagni-Faure. Je ne peux pas vous répondre, je n’ai jamais été confrontée à cette situation.

M. Paul Vannier, rapporteur. Mme Bisagni-Faure, vous étiez précédemment rectrice de l’académie de Bordeaux. Il y a quelques semaines, nous vous avons rencontré au rectorat de Bordeaux. À cette occasion, nous vous révélions, Mme Spillebout et moi-même, avoir découvert à l’occasion d’un contrôle sur place dans l’établissement Notre-Dame de Bétharram des faits de violences sexuelles entre élèves, notamment un fait de viol en 2024 et des agressions sexuelles, également en 2024.

Alors que nous vous révélions cette découverte, vous nous indiquiez ne pas avoir été informée jusqu’alors de ces faits par le procureur de Pau. Juste avant de vous rencontrer, nous avions adressé un article 40 au procureur de Pau, qui nous a répondu entre-temps qu’il était déjà informé de ces faits et qu’il avait engagé une action. Vous n’étiez pas informée, mais le chef d’établissement l’était, puisqu’il l’avait signalé à la gendarmerie, qui avait ensuite manifestement contacté le procureur. J’en conclus que vous n’êtes pas automatiquement informée et que vous pourriez rester dans l’ignorance de signalements qui porteraient sur des élèves, mais également sur des personnels de vie scolaire.

Mme Anne Bisagni-Faure. Je n’ai rien à ajouter à ce que vous indiquez, monsieur le rapporteur.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. En revanche, vous avez pris une mesure à l’égard du chef d’établissement de l’Immaculée Conception, à la suite d’une inspection générale, dans laquelle vous avez délégué le Dasen sur place. Il s’agit d’une procédure assez exceptionnelle, et en l’espèce, vous avez utilisé un pouvoir disciplinaire sur un chef d’établissement privé sous contrat, qui ne dépend pas de l’éducation nationale. Pouvez-vous expliquer comment vous avez utilisé ce pouvoir ?

Mme Anne Bisagni-Faure. Absolument. L’action s’est déroulée en deux temps. Vous avez évoqué la visite du Dasen dans cet établissement, à ma demande. Cette visite, datant de 2021, ne revêtait pas un caractère de contrôle et a été suivie de recommandations. Il m’a alors été indiqué par le chef d’établissement que ses recommandations allaient être mises en œuvre.

Deux ans plus tard, j’ai reçu de nouvelles alertes émanant de professeurs de l’établissement. Au vu des échanges avec le chef d’établissement, j’ai décidé de diligenter une inspection, qui s’est déroulée en avril 2024. Le rapport produit m’a ensuite conduite à lancer une procédure disciplinaire à l’encontre du chef d’établissement, en appliquant une possibilité offerte par le code de l’éducation, qui nécessite de passer par une commission, le conseil académique de l’éducation nationale (CAEN), dans sa formation restreinte. A l’issue de l’avis de ce CAEN, j’ai décidé de suspendre le directeur de l’établissement pour une durée de trois ans. Cette décision a été ensuite a été cassée en référé suspension, mais le jugement n’est pas intervenu sur le fond.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je comprends que vous n’êtes pas l’employeur, mais qu’à travers une procédure existant dans le code de l’éducation, vous avez la possibilité de décider la suspension pendant trois ans, une sanction extrêmement grave, après le passage devant le CAEN en formation restreinte.

Mme Anne Bisagni-Faure. Oui. Cette procédure était consécutive à des alertes qui m’étaient revenues, des alertes précises de la part de personnels de l’établissement dont je suis l’employeur.

M. Paul Vannier, rapporteur. Disposez-vous également des moyens de vous assurer que des personnels qui auraient été condamnés ou sanctionnés pour des faits de violence ne puissent pas être réaffectés dans un autre établissement scolaire ? Je pense en premier lieu aux personnels de l’enseignement public, mais également aux personnels de l’enseignement privé sous contrat et aux personnels de vie scolaire de ces mêmes établissements.

Mme Julie Benetti. Pour les personnels stagiaires, nous vérifions à la fois le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais), mais également l’extrait du casier judiciaire, afin de nous assurer que nous ne recrutons pas de nouveau des personnels contractuels qui auraient déjà été condamnés pour des faits commis dans une autre académie.

S’agissant de nos personnels titulaires, leur dossier administratif les accompagne lorsqu’ils changent d’académie. Dès lors, si une sanction a déjà été prise, elle figure évidemment dans ce dossier.

Quant aux personnels de l’éducation nationale intervenant dans les établissements privés, ils relèvent également de ces règles. Enfin, le cas des personnels n’appartenant pas à l’éducation nationale est géré en principe par l’employeur. Nous pouvons également, en tant qu’autorité académique, venir en appui des directions diocésaines et des directions d’établissements privés, pour s’assurer que cette vérification est bien réalisée pour tout nouveau recrutement.

M. Paul Vannier, rapporteur. Les personnels relevant de l’éducation nationale, mais intervenant dans les établissements privés sous contrat sont recrutés par leurs chefs d’établissement. Les dossiers administratifs sont-ils systématiquement présentés au chef d’établissement au moment où il souhaite embaucher tel ou tel personnel ? Comment s’assurer du suivi de ce dossier administratif d’un diocèse à un autre, puisque ces procédures de recrutement sont conduites dans le cadre et à l’échelle des diocèses ?

Mme Anne Bisagni-Faure. À chaque changement d’affectation, nos services revérifient les fichiers, puisque nous sommes l’employeur.

M. Paul Vannier, rapporteur. Vous le faites donc après la prise de poste, n’est-ce pas ?

Mme Anne Bisagni-Faure. Oui.

M. Paul Vannier, rapporteur. Je souhaite également vous interroger sur la manière dont s’articulent le rôle des préfets et celui des recteurs en matière de contrôle des établissements privés sous contrat et des établissements privés hors contrat. Pouvez-vous revenir sur votre expérience en la matière, si elle existe ?

Mme Hélène Insel. En ce qui concerne les établissements privés hors contrat, des liens existent avec le préfet dans le cadre de la procédure, par exemple en cas de demande de création d’un établissement, en cas de doutes. S’agissant des établissements privés sous contrat, je ne crois pas qu’ils soient associés. Mais là encore, je ne sais pas tout.

Mme Anne Bisagni-Faure. Dans l’académie de Lyon, le contrôle des établissements privés sous contrat relève d’une compétence conjointe, partagée également avec les directions des finances publiques. En cas de difficulté avec des mises en demeure quand nous constatons des manquements, en particulier administratifs, ou des atteintes aux valeurs de la République, nous sommes en contact avec les préfets et les Dasen. Concernant les établissements privés hors contrat, plusieurs situations donnent lieu à une intervention conjointe.

M. Jérôme Bourne Branchu. Il existe principalement trois modalités d’intervention. La première est d’ordre réglementaire : lorsque l’établissement privé hors contrat ouvre, lorsque sa direction change, lorsque l’objet pédagogique ou les locaux qu’il occupe connaissent une évolution, nous avons réglementairement vocation à échanger pour vérifier la régularité desdites opérations.

Le deuxième grand champ participe du travail mené dans une instance partenariale, les cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (Clir), pour appréhender les phénomènes éventuels par croisement de regard sur des unités, notamment des unités livrant l’instruction de phénomènes présumés de séparatisme et de radicalisation et qui peuvent inviter à une exploration des lieux dans le cadre des contrôles, parfois de manière interministérielle.

Le troisième champ, plus nouveau, relève de la possibilité d’explorer les sources de financement des établissements privés hors contrat. En pareil cas, le préfet et la direction générale des finances publiques s’assurent de la régularité de ces financements.

Mme Anne Bisagni-Faure. Dans l’académie de Lyon, un contrôle est intervenu concernant l’établissement Al Kindi, sur lequel vous avez certainement échangé avec Mme la préfète de région.

Monsieur Guillaume Gellé. Il existe très peu d’établissements privés sur le territoire guyanais : ils sont au nombre de dix-huit, dont seize sous contrat et deux hors contrat. Dans un territoire comme le nôtre, le dialogue est permanent avec le préfet, notamment lorsqu’il concerne des sujets sensibles politiquement.

Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Depuis la levée de l’omerta concernant l’affaire Bétharram, de nombreux établissements ont été l’objet de signalements sur l’ensemble du territoire français, notamment par la presse et grâce à la libération de la parole. Combien de signalements avez-vous reçus depuis cette affaire ? Quelle suite leur donnez-vous ? Des enquêtes sont-elles en cours ?

Ensuite, lors de leur audition, les syndicats des enseignants de l’éducation nationale nous ont expliqué que pour pouvoir effectuer un signalement, les personnels étaient obligés de passer par leur direction. Or, qu’il s’agisse d’un article 40 ou d’un signalement auprès des cellules de recueil des informations préoccupantes (Crip), il est demandé à tout adulte de signaler, y compris de manière anonyme, des faits sur des mineurs dont il serait informé. Pouvez-vous me garantir que tel n’est pas le cas dans vos académies et que chaque enseignant ou personnel, témoin de faits sur mineur n’a pas à passer par sa direction pour pouvoir les signaler ?

Par ailleurs, je souhaite m’adresser plus particulière à Mme la rectrice de la région Bretagne et Mme la Dasen du Finistère. Il est recensé en Bretagne 1 144 établissements privés. Une enquête de Médiapart signale que l’académie de Rennes est celle qui accorde le plus de subventions publiques aux lycées privés sous contrat. Comment l’expliquez-vous ?

Ensuite, je souhaite évoquer deux cas particuliers. Le premier concerne la commune d’Etel dans le Morbihan où des anciens élèves d’une école privée ont signalé des faits de viols et d’agressions sexuelles commis sur mineurs dans les années 1970 par un ancien directeur, qui s’est d’ailleurs suicidé depuis. D’autres signalements de ce type ont-ils eu lieu ?

Par ailleurs, Madame Moalic, un collectif de 160 anciens élèves a dénoncé des violences physiques de la part d’enseignants dans un collège privé du Relecq-Kerhuon. Aujourd’hui, cinquante témoignages ont été déposés auprès du parquet de Brest, pour des faits qui se sont étalés entre 1962 et 1996. À l’époque, l’établissement était appelé par les familles et les enfants « le bagne du Finistère », la presse l’appelle aujourd’hui « le Bétharram breton ».

Des inspections ont-elles été conduites dans ces deux établissements ou dans d’autres établissements plus récemment objets d’un signalement ? Pouvez-vous nous certifier qu’entre 1962 et 1996, aucun signalement n’a été transmis au rectorat ?

Enfin, madame Insel, vous avez annoncé dans la presse le lancement d’un plan de formation ambitieux pour les enseignants. Comptez-vous y intégrer les sujets que nous traitons aujourd’hui, c’est-à-dire les violences sexuelles, les signalements, les règles que doivent suivre les adultes ?

Mme Hélène Insel. La directrice académique vous fournira plus de détails sur ce « Bétharram breton », puisqu’elle rouvre les archives. Pour répondre à une partie de de vos questions, j’ai demandé qu’un contrôle soit immédiatement diligenté ; il le sera.

Dans le Morbihan, l’ancien directeur de Sainte-Anne à Etel a effectivement été mis en cause. L’affaire est suivie, le directeur diocésain collabore avec les forces de l’ordre et a également ouvert ses archives. Une autre situation existe aussi dans le Morbihan et concerne un ancien enseignant et directeur de l’école de Noyal-Muzillac. Celui-ci est en détention et l’affaire s’oriente vers des faits de nature criminelle.

Mme Catherine Moalic. Dans le Finistère, il existe 755 établissements, dont 43 % relevant du secteur privé sous contrat, avec 268 établissements privés catholiques sous contrat. Il est également dit que 70 % des élèves du département sont passés à un moment ou un autre par un établissement privé catholique sous contrat.

Depuis la libération de la parole que vous avez évoquée, nous ne connaissons pas plus de signalements. Le dossier du collège privé du Relecq-Kerhuon est actuellement entre les mains du procureur de Brest. J’ai échangé sur le sujet avec le directeur diocésain, qui a d’ailleurs reçu le collectif de victimes de cet établissement. Nous nous attachons à essayer de comprendre ce qui s’est passé. J’ai effectué une demande auprès des archives pour regarder dans les dossiers des enseignants si nous disposions d’éléments. Il est probable que les affaires actuelles nous conduiront collectivement à accroître le niveau de vigilance.

Mme Hélène Insel. Je précise que l’académie de Rennes comprend 1 087 établissements privés sous contrat, dont le réseau Diwan. Ensuite, je confirme que la formation est essentielle à la fois pour les personnels de direction, mais aussi pour les enseignants.

Mme Julie Benetti. Madame Mesmeur, l’usage implique que le chef d’établissement, l’équipe de vie scolaire ou les assistants de service social signalent les faits. Ainsi, le signalement via l’article 40 du code de procédure pénale est le plus souvent effectué par le chef d’établissement. Pour autant, il s’agit évidemment d’un devoir qui s’impose à tout fonctionnaire qui aurait connaissance, dans l’exercice de ses fonctions, de la commission d’un crime ou d’un délit. Dès lors, il n’est pas question de freiner la mise en œuvre de ce devoir.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Vous avez raison de souligner ce point. Les syndicats de l’éducation nationale nous ont expliqué que les enseignants pouvaient être frileux ou inquiets et demandaient au chef d’établissement de procéder au signalement, sans vérifier si celui-ci avait effectivement été réalisé. Simultanément, il faut rappeler que des enseignants savent se saisir de l’article 40 du code de procédure pénale.

Nous vous serions donc reconnaissants de rappeler aux enseignants et aux équipes éducatives qu’avant d’être des fonctionnaires, ils sont des citoyens français adultes et qu’à ce titre, ils doivent signaler lorsqu’ils ont connaissance de dysfonctionnements ou d’anomalies.

M. Paul Vannier, rapporteur. Il existe parfois un défaut de culture professionnelle, mis en lumière par les conclusions du rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) sur le lycée Pierre Bayen de Châlons-en-Champagne, lesquelles reviennent sur la nécessité de former l’encadrement.

Ma question s’adresse à la rectrice de l’académie de Paris, dont les services sont en charge du suivi des recommandations du rapport de l’IGESR sur le collège Stanislas. Pourriez-vous nous indiquer comment ce suivi est mis en œuvre ? Quelles en sont les constatations ?

Mme Julie Benetti. Ayant pris mes fonctions il y a quinze jours, il m’appartient de pouvoir présenter le suivi de la mise en œuvre des préconisations du rapport de l’IGESR. Au-delà même des préconisations du rapport pour l’établissement Stanislas, comme pour les autres établissements, le contrôle diligenté à l’échelle d’une académie a également vocation à appréhender le fonctionnement d’un établissement dans toutes ses dimensions.

Depuis février 2024, neuf visites d’inspecteurs ont eu lieu dans cet établissement et ont été suivies au mois de mai 2024 d’un contrôle sur place conduit par cinq inspecteurs de l’académie, à l’issue duquel un rapport intermédiaire a été transmis par le recteur à la direction de l’établissement. Une nouvelle visite s’est par ailleurs déroulée en janvier 2025.

Des éléments qui m’ont été transmis, il ressort à date une dynamique de mise en conformité progressive avec les recommandations de l’IGESR, concernant notamment le programme des sciences de la vie et de la terre, ou encore l’engagement de l’établissement pour la mise en œuvre du programme de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Pour autant, des points de vigilance demeurent, par exemple sur l’enseignement dit de culture religieuse et chrétienne – qui ne peut revêtir un caractère obligatoire s’il s’apparente à de l’instruction religieuse – ou encore sur l’effectivité d’un protocole de circulation de l’information et de signalement, en dehors des situations de harcèlement, pour protéger les élèves contre tout propos ou acte contraire aux valeurs de la République.

Nous prévoyons, d’ici la fin de cette année un nouveau contrôle sur place, à l’aide d’un protocole permettant de nous assurer que toute personne – personnel ou élève – qui aurait pu être victime ou témoin de violence puisse voir sa parole recueillie au travers d’entretiens individuels ou encore dans le cadre de la mise à disposition d’une adresse mail ou d’un numéro unique dédié pour faciliter le recueil de cette parole.

M. Paul Vannier, rapporteur. Il y aurait beaucoup à dire sur le recueil de la parole et de ce qui en est fait par la suite. En effet, nous avons noté que des témoignages de violences homophobes et de violences racistes qui avaient été faits devant les inspecteurs généraux ne figurent nulle part dans le rapport de l’IGESR. Mais nous vous demanderons de nous communiquer le rapport intermédiaire transmis à l’établissement en mai 2024.

Ensuite, je souhaite interroger les rectrices et recteurs sur leur pratique. Entretenez-vous fréquemment une correspondance directe avec un chef d’établissement, notamment un chef d’établissement privé sous contrat ?

Mme Anne Bisagni-Faure. Lors de mon expérience de rectrice l’académie de Bordeaux, il m’est arrivé de le faire à deux reprises avec le directeur de l’établissement qui a été ensuite l’objet d’une procédure disciplinaire.

Mme Julie Benetti. Non, je n’ai pas eu l’occasion d’avoir une correspondance directe avec tel ou tel personnel de direction de l’enseignement privé.

Mme Hélène Insel. Moi non plus.

Monsieur Guillaume Gellé. Moi non plus.

M. Paul Vannier, rapporteur. J’en conclus qu’une telle correspondance serait tout à fait exceptionnelle et que Mme Bisagni-Faure est la seule à en avoir engagé une, dans le cadre très particulier d’une procédure disciplinaire et avant une sanction.

A ce sujet, je voudrais vous faire réagir sur l’existence d’une correspondance entre le recteur de l’académie de Bordeaux et le chef d’établissement privé sous contrat Notre-Dame de Bétharram, en 1996. En l’espèce, ce chef d’établissement cherchait à ce qu’une des enseignantes de l’établissement quitte l’établissement et demandait conseil auprès du recteur. En outre, il lui demandait s’il pouvait ne pas reconduire l’inscription d’un élève dont le père avait déposé une plainte pour violences perpétrées sur son fils par un surveillant.

Le recteur lui a répondu de la manière suivante : « Je vous propose de faire procéder à une inspection de Mme Gullung [la lanceuse d’alerte de l’affaire de Bétharram] si possible avant la fin de la présente année scolaire. Je vous invite également à m’adresser tout rapport que vous jugerez utile sur le comportement de Mme Gullung et à indiquer vos observations éventuelles sur la procédure de notation administrative ».

Dans le même courrier, à propos de la question de la reconduction de l’inscription de cet enfant dont le père a déposé plainte, le recteur indique : « Vous pouvez tout à fait mettre fin au contrat d’enseignement de droit privé passé entre votre établissement et un élève ou son représentant légal. »

Quel est votre regard sur cette correspondance ?

Mme Hélène Insel. Je suis sidérée.

Mme Anne Bisagni-Faure. Je dirais que cette correspondance n’aurait pas lieu actuellement.

Mme Julie Benetti. Tout à fait.

M. Paul Vannier, rapporteur. En matière de violence, on nous dit trop souvent que « c’était admis à l’époque ». Ce type de correspondance entre recteurs et chefs d’établissement était-il une pratique courante à cette époque, dans les années 1990 ?

Mme Julie Benetti. Je ne suis pas sûr que nous pourrons témoigner s’agissant des années 1990. En revanche, je n’ai jamais eu connaissance dans mes fonctions de courriers de cette teneur, y compris des courriers anciens qui peuvent être conservés et dont les recteurs peuvent être informés.

Mme Anne Bisagni-Faure. Je n’ai rien à ajouter, je dirais la même chose.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Dans le cas d’une inspection, ou d’un dossier sensible politiquement, vous arrive-t-il d’écrire directement au cabinet du ministre ou au directeur de cabinet du ministre pour le saisir, l’informer ou l’alerter ? Une réponse vous est-elle apportée ? De tels échanges sont-ils courants sur des dossiers sensibles ?

Mme Hélène Insel. Je pense que ce fonctionnement est systématique. Il existe un échange fluide entre les recteurs et le directeur de cabinet ou le directeur de cabinet adjoint.

Mme Anne Bisagni-Faure. Je formule la même réponse.

Mme Julie Benetti. Absolument.

Monsieur Guillaume Gellé. Également

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vous remercie.

 

La séance s’achève à dix-huit heures cinquante-cinq.


Présences en réunion

Présents.  Mme Géraldine Bannier, M. Arnaud Bonnet, Mme Céline Calvez, Mme Florence Herouin-Léautey, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Marie Mesmeur, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier

Excusés  Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. José Beaurain, M. Xavier Breton, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Isabelle Rauch, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux, Mme Nicole Sanquer