Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

 Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition de M. Alain Hontangs, ancien adjudant-chef de gendarmerie, officier de police judiciaire à la section de recherches de Pau du 1er avril 1987 au 15 juillet 1999              2

– Présences en réunion..............................12

 

 

 

 

 


Jeudi
10 avril 2025

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 57

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente

 


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La séance est ouverte à onze heures dix.

(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)

La commission auditionne, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), M. Alain Hontangs, ancien adjudant-chef de gendarmerie, officier de police judiciaire à la section de recherches de Pau du 1er avril 1987 au 15 juillet 1999.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Afin de tenter de comprendre comment des violences aussi graves ont pu se dérouler pendant des décennies à Notre-Dame de Bétharram, nous recevons M. Alain Hontangs, ancien adjudant-chef de gendarmerie, officier de police judiciaire à la section de recherches de Pau du 1er avril 1987 au 15 juillet 1999. Cette audition vise à éclaircir le traitement, par l’ensemble de la chaîne judiciaire, de l’enquête menée entre 1998 et 2000 sur des faits de viols impliquant l’ancien directeur de l’établissement Notre-Dame de Bétharram, Pierre Carricart, aujourd’hui décédé.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Alain Hontangs prête serment.)

Quelle fonction occupiez-vous en 1998 ? Pouvez-vous nous rappeler les faits pour lesquels M. Carricart, ancien chef de l’établissement Notre-Dame de Bétharram, était mis en cause ?

M. Alain Hontangs, ancien adjudant-chef de gendarmerie. En 1998, j’exerçais les fonctions d’officier de police judiciaire au sein de la section de recherches de Pau. M. Christian Mirande, juge d’instruction au tribunal de grande instance (TGI) de Pau, m’avait chargé de mener l’enquête sur commission rogatoire concernant les actes commis par Pierre Carricart. Ces faits avaient été dénoncés peu de temps auparavant par Franck De Laganne de Malezieux, que j’avais auditionné à la maison d’arrêt de Gradignan où il était alors incarcéré pour des faits d’exhibition sexuelle. Lors de cette audition, pour expliquer ses déviances, Franck De Laganne de Malezieux avait révélé à l’officier de police judiciaire de Bordeaux avoir été victime de viol de la part de Pierre Carricart dix ans plus tôt.

M. Paul Vannier, rapporteur. Que découvrez-vous lors de vos premiers actes d’enquête, après avoir été saisi par le juge Mirande ?

M. Alain Hontangs. J’ai débuté par une audition approfondie de Franck De Laganne de Malezieux. Fort de mon expérience dans les enquêtes pour viols, j’avais en effet jugé essentiel de me forger une conviction personnelle quant à la véracité de ses propos. J’ai donc procédé à son extraction de Gradignan le matin même, pour une audition qui a duré entre cinq et six heures. À l’issue de cette audition, j’étais convaincu de la véracité de ses déclarations, d’autant que je l’avais averti dès le début des conséquences judiciaires qu’il encourrait en cas de fausses accusations envers Pierre Carricart – conséquences dont il était conscient puisqu’il était incarcéré.

M. Paul Vannier, rapporteur. Après cette audition, avez-vous rapidement eu connaissance d’autres victimes potentielles de violences sexuelles ou de viols commis par le père Carricart, alors chef de l’établissement Bétharram ?

M. Alain Hontangs. Des documents transmis par des journalistes m’ont appris que Pierre Carricart se trouvait à Rome au moment du déclenchement de l’enquête et qu’il n’occupait donc plus ses fonctions de directeur.

M. Paul Vannier, rapporteur. Vous avez raison, il s’agit d’une erreur de chronologie de ma part ; il ne dirige plus l’établissement à ce moment-là. Je repose néanmoins ma question : à la suite de cette première audition de la personne incarcérée se déclarant victime de viols de la part du père Carricart, avez-vous eu connaissance d’autres victimes potentielles ?

M. Alain Hontangs. Non, absolument pas. La commission rogatoire indiquait clairement que les poursuites étaient engagées contre Pierre Carricart. À ce stade, je me concentrais exclusivement sur cette piste. Je n’ai pas cherché à élargir le champ d’investigation et, pour des raisons évidentes, afin d’éviter toute fuite concernant l’enquête, je n’ai pas pris contact avec l’établissement de Bétharram.

M. Paul Vannier, rapporteur. Pouvez-vous expliciter ce risque de fuite que vous avez identifié ?

M. Alain Hontangs. Il est primordial, dans le cadre d’une enquête, de ne pas alerter à l’avance les personnes susceptibles d’être interpellées. Par souci de discrétion, nous évitons donc tout contact potentiel qui pourrait éveiller le moindre soupçon.

M. Paul Vannier, rapporteur. Pouvez-vous préciser la date à laquelle vous avez entendu cette victime potentielle, ainsi que la date du placement en garde à vue de Pierre Carricart ?

M. Alain Hontangs. À l’époque, notre section de recherches ne comptait que douze membres, ce qui nous obligeait à traiter simultanément un grand nombre de dossiers. Pour ma part, j’étais alors en train de finaliser une enquête pour escroquerie, sur laquelle je travaillais depuis plus d’un an. Selon les éléments que j’ai pu relire récemment, mes souvenirs personnels étant aujourd’hui moins nets, il est probable que j’aie entamé cette enquête en décembre 1997. J’ai dû procéder à l’audition de Franck De Laganne de Malezieux au début de l’année 1998 et ce n’est qu’au mois de mai que j’ai entendu Pierre Carricart.

M. Paul Vannier, rapporteur. Vous avez donc entendu Pierre Carricart puis l’avez présenté au juge Mirande au tribunal de Pau le 26 mai 1998. Lors d’un entretien accordé à TF1 le 16 février 2025, vous avez indiqué qu’à votre arrivée au tribunal ce jour-là, le juge Mirande vous aurait déclaré, je vous cite : « Il y a un problème, la présentation va être retardée. Le procureur général demande à voir le dossier » et « M. Bayrou est intervenu auprès du procureur général qui demande à voir le dossier ». Confirmez-vous aujourd’hui cette déclaration ?

M. Alain Hontangs. M. Mirande m’attendait devant la porte de son bureau pour une présentation initialement prévue à quatorze heures. Lorsque je suis arrivé avec Pierre Carricart, M. Mirande m’a alors informé : « Monsieur Hontangs, la présentation est retardée. Le procureur général demande à voir le dossier. Il y a eu une intervention de M. Bayou ».

M. Paul Vannier, rapporteur. Je vous rappelle que vous êtes sous serment. Il est crucial que vous réitériez cette déclaration aujourd’hui devant notre commission d’enquête.

Aviez-vous déjà rencontré une situation similaire lors de la présentation d’un individu sortant de garde à vue à un juge d’instruction ?

M. Alain Hontangs. J’ai eu l’occasion de présenter des individus bien plus dangereux que Pierre Carricart. Je pense notamment à Philippe Bidart, chef historique d’Iparretarrak, ainsi qu’à d’autres membres de cette organisation, arrêtés en flagrant délit alors qu’ils tentaient de poser une bombe au TGI de Dax. Jamais, dans aucun de ces cas, un magistrat instructeur ne m’avait indiqué que le procureur général souhaitait consulter le dossier à ce stade de la procédure. Il convient d’ailleurs de rappeler que le code de procédure pénale ne prévoyait alors aucun rôle pour le procureur général à ce moment précis. Son éventuelle intervention n’était envisageable qu’après la mise en examen – l’inculpation, à l’époque – et uniquement sur décision du juge d’instruction. Or, en l’espèce, aucune décision de cette nature n’avait encore été prise.

M. Paul Vannier, rapporteur. Le juge Mirande vous a donc informé que le procureur général intervenait à la demande de François Bayrou. En 1998, celui-ci est alors président du conseil départemental et député des Pyrénées-Atlantiques.

M. Alain Hontangs. L’information qui m’a été communiquée à ce moment-là était extrêmement laconique. J’avais parfaitement conscience que le procureur général n’avait aucun rôle à jouer à ce stade de la procédure. Quant à l’intervention éventuelle de M. Bayrou, elle ne remettait nullement en cause la confiance que j’avais dans la solidité de mon dossier. Ma principale préoccupation, à ce moment précis, portait sur le devenir de Pierre Carricart à l’issue de sa garde à vue.

M. Paul Vannier, rapporteur. L’apparition du nom de François Bayrou dans ce contexte particulier a-t-elle suscité une réaction de votre part ? Ce nom était-il déjà apparu à une autre étape de vos investigations ? L’intervention de François Bayrou, telle que décrite par le juge Mirande, vous a-t-elle surpris à ce moment-là ?

M. Alain Hontangs. J’ai effectivement été surpris par cette information. Cependant, comme je l’ai mentionné, il s’agissait pour moi d’une information très succincte. Ma préoccupation principale à ce moment-là restait le sort de Pierre Carricart, que je considérais comme un violeur.

M. Paul Vannier, rapporteur. Comment qualifieriez-vous cette intervention du procureur général, sur demande de François Bayrou ? S’agit-il selon vous d’une intervention dans une procédure judiciaire en cours ?

M. Alain Hontangs. Il s’agit effectivement d’une intervention dans une procédure judiciaire en cours. Lorsque je présentais un individu à un magistrat instructeur, comme c’était le cas ici, j’arrivais avec l’ensemble du dossier de procédure et la personne mise en cause. Après remise de la procédure à M. Mirande, mon rôle consistait uniquement à attendre la suite des événements.

M. Paul Vannier, rapporteur. Le 15 février dernier, lors d’une conférence de presse tenue à Pau en présence de victimes de Bétharram, François Bayrou a affirmé n’avoir jamais connu le père Carricart. Or, vous venez de nous indiquer qu’en 1998, il aurait sollicité l’accès à son dossier, en intervenant auprès du procureur général. Comment expliquez-vous cette apparente contradiction ?

M. Alain Hontangs. Je tiens à préciser que je n’ai jamais affirmé que M. Bayrou avait lui-même sollicité le dossier, mais que le procureur général avait demandé à consulter le dossier, ce qui est différent.

M. Paul Vannier, rapporteur. C’est tout à fait différent. Toutefois, selon les propos du juge Mirande, cette demande du procureur général serait intervenue à la suite d’une intervention de François Bayrou.

M. Alain Hontangs. M. Mirande m’a dit : « Le procureur général demande à voir le dossier, il y a intervention de M. Bayrou ».

M. Paul Vannier, rapporteur. Dans ce cas, il me semble raisonnable de supposer qu’en 1998, François Bayrou connaissait nécessairement le père Carricart, puisqu’il serait intervenu auprès du procureur général pour accéder à son dossier. Je souhaite confronter cette intervention de 1998 à la déclaration faite en 2025 par François Bayrou, devenu premier ministre. Le 15 février dernier, à la mairie de Pau, devant les victimes de Bétharram, il a déclaré ne pas connaître et n’avoir jamais connu le père Carricart. Deux jours plus tard, dans une interview accordée au journal Sud-Ouest, il a affirmé : « Il n’y a jamais eu d’intervention de ma part auprès de quiconque, ni sur cette affaire, ni sur aucune autre ». Il faisait alors référence à l’affaire Carricart. Quelle est votre réaction face à cette déclaration, qui semble contredire les propos que vous réitérez ce matin devant notre commission d’enquête ?

M. Alain Hontangs. Je ne suis pas le seul enquêteur de la section de recherches à avoir eu connaissance de cette intervention de François Bayrou. Dès le lendemain de la diffusion du reportage dans l’émission Sept à huit, soit le 17 février, M. Robert Matrassou, également adjudant-chef à la section de recherches de Pau, m’a adressé un message pour me dire : « J’étais au courant, M. Mirande me l’avait raconté à l’époque ». Je l’ai eu récemment au téléphone et il m’a confirmé qu’à l’époque, j’avais bien évoqué devant la section de recherches l’intervention de M. Bayrou et que, de son côté, M. Mirande lui en avait également parlé dans un autre contexte.

M. Paul Vannier, rapporteur. Ce que vous dites est très important. Vous indiquez donc que deux gendarmes de la section de recherches avaient été informés de l’intervention de François Bayrou auprès du procureur général pour accéder au dossier du père Carricart. Vous venez de partager l’identité de l’un d’entre eux. À votre connaissance, d’autres fonctionnaires de la gendarmerie ou d’autres personnes extérieures ont-ils également eu connaissance de cette intervention ?

M. Alain Hontangs. Malheureusement, d’autres camarades de la section de recherches qui étaient probablement au courant, parce que j’en avais parlé, sont aujourd’hui décédés. Il s’agissait notamment du major Marc Larrieu, qui était alors adjoint au commandant de la section de recherches, ainsi que d’Anthony Lévêque, avec qui je partageais mon bureau.

M. Paul Vannier, rapporteur. Subissez-vous, depuis les révélations par la presse sur l’affaire de Bétharram, et plus particulièrement depuis février 2025, des pressions, quelles qu’elles soient ?

M. Alain Hontangs. À l’exception de la pression médiatique, je n’ai subi absolument aucune autre forme de pression.

M. Paul Vannier, rapporteur. Lors de l’entretien que vous avez accordé au journal Mediapart le 26 février dernier, vous avez appelé à l’ouverture d’une enquête administrative. Pourriez-vous revenir sur cette demande et nous expliquer les raisons qui vous ont conduit à la formuler ?

M. Alain Hontangs. En réalité, je me suis mis en colère après la publication de l’article de Mediapart car je n’ai jamais tenu les propos qu’ils m’attribuaient dans le titre. L’édition du soir présentait d’ailleurs un titre tout à fait différent. En revanche, le contenu même de l’entretien correspondait fidèlement à mes déclarations.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je souhaite revenir au moment où vous vous trouviez devant le bureau du juge Mirande, en attente de la présentation de Pierre Carricart. Celle-ci était prévue le 26 mai 1998 à quatorze heures. Pouvez-vous nous décrire ce qu’il s’est passé ensuite ?

M. Alain Hontangs. Nous étions dans un couloir et nous attendions. Nous avons patienté jusqu’à environ seize heures, moment où M. Mirande est venu me voir pour m’indiquer que la présentation allait pouvoir être effectuée. Il m’a précisé que le procureur général lui avait fait savoir qu’il pouvait désormais prendre toutes les dispositions qu’il jugeait utiles. M. Mirande, après avoir brièvement entendu Pierre Carricart, l’a alors placé sous mandat de dépôt. Je l’ai ensuite escorté jusqu’à la maison d’arrêt de Pau.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Lorsque vous dites qu’il l’a « brièvement entendu », s’agit-il d’une appréciation positive ou négative de votre part ?

M. Alain Hontangs. C’est une appréciation positive. Il s’agissait d’un interrogatoire de première comparution au cours duquel le juge l’entendait sur les faits, lui rappelait qu’il serait entendu de manière plus approfondie par la suite et lui demandait s’il reconnaissait les faits qui lui étaient reprochés. C’est une procédure relativement brève, ce qui est tout à fait normal.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Après ce placement sous mandat de dépôt et le transfert à la maison d’arrêt, nous savons que l’enquête a été interrompue à la suite de la libération du père Carricart. Pourriez-vous nous décrire précisément les faits liés à cette remise en liberté et nous faire part de votre interprétation, d’autant que vous avez indiqué, en début d’audition, avoir été très inquiet du devenir du père Carricart, que vous considériez comme un violeur ?

M. Alain Hontangs. J’étais effectivement très inquiet, comme tout enquêteur qui présente un individu devant un magistrat et, par là même, le fruit de son travail. Cette remise en liberté suscitait d’autant plus d’interrogations que le procureur général était intervenu pour consulter le dossier, alors même que celui-ci n’a qu’un rôle disciplinaire vis-à-vis d’un officier de police judiciaire. Il n’a, en principe, aucun rôle à jouer à ce stade.

Durant la garde à vue, j’avais par ailleurs eu une altercation avec l’avocat de M. Carricart, maître Legrand, ancien élève de Bétharram et membre du comité de soutien de l’établissement. À cette époque, une loi nouvellement adoptée permettait à une personne gardée à vue de s’entretenir avec son avocat pendant une durée maximale de trente minutes. Lorsque j’ai rappelé cette règle à M. Legrand, celui-ci m’a répondu qu’il prendrait le temps qu’il faudrait. J’ai fait une photocopie de l’article du code de procédure pénale concerné et la lui ai remise trente minutes plus tard, en lui indiquant que l’entretien était terminé. Il m’a alors dit qu’il en réfèrerait ultérieurement. J’ai donc envisagé que le procureur général soit également intervenu à la suite de cette divergence, maître Legrand ayant pu se plaindre de mon attitude. Cette dernière était toutefois parfaitement conforme au droit en vigueur à l’époque, tel que prévu par le code de procédure pénale.

M. Paul Vannier, rapporteur. Vous avez évoqué maître Legrand, l’avocat du père Carricart qui, je crois, entretenait également une certaine proximité avec François Bayrou. Maître Legrand avait en effet été candidat sous l’étiquette de l’UDF, parti de François Bayrou à l’époque, dans le canton des Pyrénées-Atlantiques où celui-ci possède sa résidence. Aviez-vous connaissance de cette relation entre François Bayrou et l’avocat du père Carricart au moment de la garde à vue ?

M. Alain Hontangs. Non, absolument pas.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je souhaiterais revenir sur l’épisode que vous avez décrit concernant la durée de l’entretien entre maître Legrand et son client. Vous avez mentionné la nécessité de vous munir d’une photocopie du code de procédure pénale afin de faire respecter la durée légale de trente minutes. Lorsque vous avez évoqué votre impression que le procureur général aurait pu intervenir à la suite de cet échange, vous êtes-vous senti menacé ? Était-ce une situation inhabituelle pour vous ?

M. Alain Hontangs. Le simple fait d’avoir eu une passe d’armes avec un avocat à ce niveau-là était en soi inhabituel, d’autant plus que la loi permettant un entretien de trente minutes était très récente. Je n’ai jamais eu d’autres échanges de telle nature avec un avocat, sauf peut-être dans le cadre de dépositions effectuées en tant que directeur d’enquête devant une cour d’assises.

Entre 1988 et 2001, j’ai mené sept enquêtes pour viol. Parmi celles-ci, cinq ont conduit à la comparution des auteurs devant une cour d’assises, leur détention provisoire ayant été prolongée jusqu’au procès. Deux affaires n’ont pas été jugées aux assises : celle de Pierre Carricart et une autre sur laquelle j’avais initialement été saisi dans le cadre d’une enquête préliminaire, avant de poursuivre sur commission rogatoire du juge Mirande. Dans ce second dossier, je n’étais pas convaincu par les déclarations de la victime présumée. Il m’a fallu trois mois et demi d’investigations pour établir qu’elle mentait, grâce aux écoutes téléphoniques et aux éléments matériels que j’avais pu rassembler.

Concernant la remise en liberté de Pierre Carricart, douze jours après son placement en détention provisoire, le juge Mirande m’a informé que la chambre d’accusation avait décidé de le libérer sous contrôle judiciaire.

M. Paul Vannier, rapporteur. La chambre d’accusation relève-t-elle du procureur général ?

M. Alain Hontangs. Je me réfère ici à un document que m’a transmis Laura Donna, journaliste ayant réalisé le reportage pour l’émission Sept à huit. Il s’agit de trois courriers, dont l’un daté du 15 juin 1998, rédigé par le procureur général près la cour d’appel de Pau à l’attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.

Je cite : « Procédure. Placé en détention le 26 mai 1998, le père Silviet-Carricart interjetait appel le même jour et saisissait au titre de l’article 187-1 du code de procédure pénale le président de la chambre d’accusation qui ordonnait le renvoi devant la chambre d’accusation. Celle-ci, par arrêt du 9 juin 1998, ordonnait la mise en liberté, sous contrôle judiciaire, conformément à mes réquisitions. » Signé : Rousseau, procureur général.

Dans le même courrier, le procureur général écrit : « J’ai l’honneur, en vous confirmant les termes de mon compte rendu téléphonique du 26 mai 1998 […] ». Pour rendre compte au ministre de la justice, je suppose qu’il faut détenir des informations. Ces informations figurent dans la procédure que j’amène le 26 mai 1998 au tribunal.

M. Paul Vannier, rapporteur. Le procureur général qui prononce la remise en liberté sous contrôle judiciaire est le même que celui qui, selon les propos du juge Mirande, avait sollicité l’accès au dossier de Pierre Carricart au moment où vous le présentiez ?

M. Alain Hontangs. Le parquet est censé s’exprimer d’une seule voix. Le courrier auquel vous faites référence est bien signé par le procureur général M. Rousseau, mais il y est précisé que le dossier était suivi par M. Basset, avocat général. Je ne suis donc pas en mesure d’affirmer avec certitude si la demande initiale émanait directement du procureur général lui-même ou de l’avocat général.

M. Paul Vannier, rapporteur. Comment expliquez-vous alors que ce soit le procureur général qui signe cette correspondance, alors même que l’avocat général suivait le dossier ?

M. Alain Hontangs. Le parquet, en tant qu’institution, s’exprime d’une seule voix et le procureur général en porte la responsabilité hiérarchique. Il me paraît donc logique que ce soit lui qui signe un courrier adressé au ministre de la justice, et non un avocat général.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. La remise en liberté sous contrôle judiciaire est intervenue le 9 juin 1998. Vous avez exprimé votre surprise à ce sujet. Pouvez-vous nous décrire votre réaction personnelle, mais également celle de vos collègues dans votre environnement professionnel ? Quelles ont été vos interrogations à l’époque et les discussions que vous avez pu avoir au sein de la gendarmerie ? Plus globalement, quel impact cette décision a-t-elle eu sur votre travail ?

M. Alain Hontangs. J’ai effectivement évoqué cette remise en liberté avec mes collègues, comme me l’a récemment rappelé l’un d’entre eux. Malheureusement, plusieurs personnes qui auraient pu en témoigner sont aujourd’hui décédées – à l’exception, peut-être, du capitaine Joseph Candalot, commandant de la section de recherches de l’époque. Cette décision nous a tous profondément surpris, car il est exceptionnel qu’une personne mise en examen pour viol soit remise en liberté. Nous étions néanmoins tenus de respecter la décision judiciaire. Chaque acteur de la chaîne pénale a un rôle précis à jouer et cette décision de la chambre d’accusation dépassait, de toute évidence, mes prérogatives.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Avez-vous été informé, par la suite, de l’assouplissement du contrôle judiciaire de M. Carricart décidé par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Pau, le 29 juin 1999 – un an après –, l’autorisant à se déplacer et à s’installer à Rome ?

M. Alain Hontangs. Non, absolument pas.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Durant cette période, compte tenu des liens que vous avez évoqués entre l’avocat de Pierre Carricart et l’établissement de Bétharram, avez-vous eu connaissance d’autres faits survenus au sein de cet établissement ou de sa réputation ? Avez-vous poursuivi l’enquête, soit sur ce fait précis, soit sur d’autres faits potentiellement liés à Bétharram ?

M. Alain Hontangs. Après la mise en examen de Pierre Carricart, le juge Mirande m’a effectivement confié la mission de poursuivre les investigations. Il m’a demandé d’auditionner l’ensemble des anciens internes ayant fréquenté Bétharram durant la même période que Franck De Laganne de Malezieux, soit l’année scolaire 1987-1988. J’ai donc entrepris cette démarche en ayant pleinement conscience de la difficulté que ces jeunes hommes pourraient ressentir à évoquer d’éventuels abus lors d’un premier entretien. Je considérais plutôt cette phase de l’enquête comme une tentative d’ouvrir un espace propice à d’éventuels témoignages. Et quelques mois plus tard en effet, Benoît Giaume, l’un des anciens élèves que j’avais entendus, a écrit au juge Mirande pour révéler qu’il avait également été victime de viols commis par Pierre Carricart. Il est ainsi devenu la seconde victime identifiée dans le cadre de cette procédure.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Pourriez-vous préciser si votre enquête portait spécifiquement sur des personnes susceptibles d’avoir été agressées durant la période 1987-1988 ? Vous êtes-vous rendu dans l’établissement afin d’y interroger les élèves qui y étaient encore présents en 1998, soit dix ans après les faits présumés, ou vos entretiens concernaient-ils uniquement d’anciens élèves ? Vous êtes-vous rendu à Bétharram dans le cadre de cette enquête ?

M. Alain Hontangs. Mes investigations ont principalement porté sur d’anciens élèves ayant déjà quitté Bétharram. Je me suis donc rendu à leur domicile pour les entendre. S’agissant de ma présence à Bétharram, mes souvenirs étaient initialement assez flous, mais l’un de mes collègues m’a récemment rappelé que nous nous y étions rendus avec le juge Mirande et Franck De Laganne de Malezieux afin de nous rendre dans la salle de bains des prêtres que ce dernier avait décrite avec précision. Je m’y suis également rendu pour obtenir la liste des internes inscrits durant l’année scolaire 1987-1988. En revanche, je n’ai pas interrogé les élèves présents à Bétharram en 1998 car cela ne relevait pas du périmètre défini par la commission rogatoire.

M. Paul Vannier, rapporteur. Cette visite à Bétharram, effectuée avec le juge Mirande, a-t-elle eu lieu au début de l’année 1998, au moment de l’audition de la première victime ?

M. Alain Hontangs. Cette visite a très vraisemblablement eu lieu après la mise en examen de Pierre Carricart – il s’agissait d’un transport sur les lieux. L’enquêteur qui m’a rappelé cet épisode était un spécialiste de la police technique et scientifique, chargé des reportages photographiques. Pour ma part, je n’en ai pas un souvenir précis. Il est possible que j’aie participé à cette opération, mais il s’agissait d’un acte de procédure parmi des milliers.

M. Paul Vannier, rapporteur. En janvier 2000, Pierre Carricart se suicide à Rome alors qu’il est convoqué dans le cadre d’une seconde plainte. À la suite de ce suicide, avez-vous reçu, directement ou indirectement, des critiques portant sur la manière dont vous aviez conduit votre enquête ? Si tel a été le cas, pourriez-vous nous en dire davantage ?

M. Alain Hontangs. Je n’ai reçu aucune critique, ni directe ni indirecte. Il convient de préciser que je n’étais plus en poste à la section de recherches à ce moment-là, puisque j’avais sollicité une mutation afin de prendre le commandement d’une brigade située à proximité de Pau. Malgré ce changement d’affectation, j’ai continué à suivre le dossier. En effet, M. Mirande me contacte un jour à mon nouveau poste pour m’informer qu’il venait de recevoir le rapport d’autopsie en provenance d’Italie et m’inviter à venir le consulter.

À la lecture du procès-verbal, j’ai immédiatement relevé une incohérence sur la taille du corps autopsié, qui était indiquée à 1,71 mètre. Or j’avais côtoyé Pierre Carricart pendant trente-six heures et savais pertinemment qu’il était nettement plus petit que moi. Face à cette observation, M. Mirande m’a demandé si j’en étais certain. J’ai alors proposé de me rendre à la préfecture sur sa commission rogatoire pour vérifier s’il existait une trace de demande de carte d’identité. Cette recherche m’a permis de confirmer que la taille de Pierre Carricart était comprise entre 1,53 mètre et 1,57 mètre. Cette découverte a conduit à l’exhumation du corps et à une seconde autopsie, car il subsistait un sérieux doute sur l’identité du défunt. J’ai personnellement assisté à l’exhumation et ai été chargé d’organiser l’ensemble de la procédure, des formalités administratives liées à l’exhumation jusqu’à l’envoi d’un fémur au professeur Doutremepuich à Bordeaux pour une analyse ADN.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Dans vos récentes déclarations à la presse, vous avez évoqué un échec judiciaire, une procédure entravée par des interventions extérieures et une occasion manquée de protéger d’autres enfants. Pour conclure cette audition, pourriez-vous nous livrer, avec le recul, votre regard sur la manière dont cette affaire a été gérée, tant sur le plan judiciaire que politique ?

M. Alain Hontangs. Je confirme pleinement cette analyse. Lorsque je suis allé interroger ces jeunes hommes, ils avaient quitté l’établissement depuis quelques années. J’estimais alors qu’ils pouvaient se sentir un peu plus libres de parler, même si le fait d’avouer avoir subi un viol reste toujours extrêmement difficile à vivre. Il y avait peut-être là une ouverture, une possibilité de parole que je souhaitais encourager. Il est toutefois probable qu’ils aient appris, par voie de presse, que Pierre Carricart avait été remis en liberté. Aujourd’hui encore, certains témoignages révèlent que dans leur propre famille, certains jeunes n’étaient pas crus, et qu’il leur était même interdit d’aborder ce sujet. Dans de telles conditions, comment imaginer qu’un jeune homme puisse se confier à un enquêteur venu l’interroger sur ce qui s’est produit à Bétharram ou lors des camps de vacances, où Pierre Carricart était présent ? Comment espérer que ces victimes puissent s’exprimer, lorsqu’elles constatent que la justice ne semble pas avoir cru la première victime qui a osé le faire ? Cette situation est particulièrement décevante car nous aurions peut-être pu, à l’époque, recueillir d’autres témoignages et, grâce à cela, encourager d’autres victimes à parler. Aujourd’hui, certaines d’entre elles se heurtent au mur de la prescription, tout simplement parce qu’elles n’ont pas parlé assez tôt.

Je fais peut-être de la justice-fiction, mais si Pierre Carricart était resté incarcéré à la maison d’arrêt de Pau, il ne se serait peut-être pas suicidé. Il aurait probablement été jugé devant une cour d’assises et nous n’aurions pas perdu dix ou vingt ans. Il est même possible qu’un procès et une condamnation, dès l’année 2000, auraient conduit d’autres victimes à se manifester. Or cela ne s’est pas produit et il a fallu attendre l’année 2020 pour que les choses commencent enfin à se déclencher. C’est trop tard.

M. Paul Vannier, rapporteur. Je vous remercie pour cette audition très riche et très précise. Souhaitez-vous faire une dernière déclaration devant notre commission ? Y a-t-il un point sur lequel nous ne vous aurions pas interrogé et qu’il vous paraîtrait nécessaire d’évoquer devant nous ?

M. Alain Hontangs. Je pense à certaines polémiques journalistiques dont j’ai eu connaissance, mais je ne veux pas entrer dans ce débat.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je tiens à souligner la précision et la clarté dont vous avez fait preuve tout au long de cette audition. Votre contribution, marquée par la rigueur et la sincérité, est précieuse pour les travaux de notre commission.

 

La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.


Présences en réunion

 

Présents.  M. Arnaud Bonnet, Mme Florence Herouin-Léautey, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier

Excusés.  Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. José Beaurain, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Isabelle Rauch, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux