Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), table ronde réunissant des représentants de l’enseignement privé non catholique : M. Joan-Francés Albert, directeur de l’Institut supérieur des langues de la République française, M. Philippe Buttani, secrétaire du conseil scolaire de la Fédération protestante de France, M. David Ebidia, directeur de l’action scolaire du Fonds social juif unifié, M. Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman, et M. Sullian Wiener, secrétaire général de la Fédération nationale des établissements laïques sous contrat avec l’État 2
– Présences en réunion..............................16
Mardi
29 avril 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 59
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à quinze heures quinze.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne sous la forme d’une table ronde, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), des représentants de l’enseignement privé non catholique : M. Joan-Francés Albert, directeur de l’Institut supérieur des langues de la République française ; M. Philippe Buttani, secrétaire du conseil scolaire de la Fédération protestante de France ; M. David Ebidia, directeur de l’action scolaire du Fonds social juif unifié ; M. Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman, et M. Sullian Wiener, secrétaire général de la Fédération nationale des établissements laïques sous contrat avec l’État.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous poursuivons nos travaux d’enquête en recevant des représentants de l’enseignement privé non catholique, qu’il relève ou non d’une autre confession religieuse. Comme vous le savez, nous essayons de comprendre comment vous-mêmes, au sein des établissements scolaires dont vous avez la responsabilité, et l’État, qui est censé exercer un contrôle, veillez au bien-être des élèves et combattez toute forme de violence dont ils pourraient être victimes.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. David Ebidia, Makhlouf Mamèche, Sullian Wiener, Philippe Buttani et Joan-Francés Albert prêtent successivement serment.)
Pouvez-vous brièvement rappeler l’objet de votre association ou de votre réseau d’établissements d’enseignement, son contexte de création ainsi que le nombre d’établissements, de personnels éducatifs et d’élèves qu’il représente ?
M. David Ebidia, directeur de l’action scolaire du Fonds social juif unifié (FSJU). Le Fonds social juif unifié est une association d’utilité publique qui coordonne, représente et accompagne l’ensemble des associations à caractère juif en France. Il comprend plusieurs départements d’action : celui de l’action sociale, qui prend en charge des personnes précaires, accompagne des personnes isolées ou en situation de handicap et coordonne toutes les associations à caractère social ; celui de la jeunesse, chargé des mouvements de jeunesse et des colonies de vacances ; le département culturel, qui coordonne les associations culturelles et est chargé de RCJ (Radio de la communauté juive), du magazine L’Arche et d’Akadem, une plateforme de streaming à vocation culturelle ; enfin, le département de l’action scolaire, chargé de coordonner, de représenter et d’accompagner tous les établissements du réseau de l’enseignement juif en France.
Le Fonds social juif unifié n’est pas le propriétaire des établissements juifs du réseau. Ce sont les associations de gestion qui en sont le plus souvent les créatrices et les propriétaires. Nous les accompagnons à différents niveaux – législatif, pédagogique et financier. Nous avons des réunions régulières avec les chefs d’établissement et leurs équipes par le biais de Campus FSJU, notre centre de formation agréé d’État.
Le FSJU offre aussi un accompagnement financier, grâce à divers dispositifs visant à promouvoir la mixité sociale et scolaire, la prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers ou en situation de handicap, l’accès à l’école juive pour tous et à l’innovation pédagogique. Par le biais de la fondation Gordin, nous accompagnons nos établissements dans des projets immobiliers de mise aux normes, de rénovation ou d’extension.
Le réseau de l’enseignement juif est composé de 117 groupes scolaires, qui vont le plus souvent de la petite section à la terminale, avec quelques établissements proposant des cursus post-bac. Il accueille 35 891 élèves et compte environ 2 000 enseignants académiques sous contrat, 1 100 enseignants non académiques essentiellement présents dans nos établissements ou nos classes hors contrat et entre 3 000 et 4 000 personnels non enseignants. Il regroupe des établissements entièrement sous contrat, des établissements entièrement hors contrat et une part significative d’établissements mixtes ou en attente de contractualisation.
M. Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (FNEM). La Fédération nationale de l’enseignement privé musulman a été créée en 2014 à l’initiative de cinq associations gestionnaires d’établissements privés musulmans, avec pour objectif de structurer l’enseignement privé musulman, qui a connu un fort développement ces dernières années, et de constituer un interlocuteur pour les pouvoirs publics. Elle regroupe 65 établissements privés, du premier et second degré, sur les 104 du réseau d’enseignement privé musulman. Ces établissements représentent environ 13 000 élèves dont 1 380 au sein de classes sous contrat.
La particularité de notre réseau est la part importante d’élèves boursiers : entre 50 et 60 % contre 10,6 % pour le privé à l’échelle nationale, selon un rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) en 2023. Les établissements sont souvent situés au sein de quartiers populaires, ce qui encourage la mixité sociale. L’indice de position sociale (IPS) dans nos établissements est de 102, alors que l’IPS moyen est de 106,6. Le premier établissement privé musulman à avoir obtenu le contrat d’association en France, en 2008, est le lycée Averroès, à Lille, qui fait partie de notre réseau. Nous comptons des établissements sous contrat et hors contrat, ainsi que des associations qui ont pour projet d’ouvrir un établissement privé musulman. Le groupe scolaire Al-Kindi, dont le lycée a d’abord fonctionné sans subventions publiques jusqu’en 2012, a signé chaque année des contrats d’association classe par classe pour finir par couvrir 75 % de ses effectifs. Malgré de très bons résultats et de très bonnes inspections, ces deux établissements se sont vu retirer leur contrat d’association avec l’État. Ce sont les deux seuls établissements à avoir fait l’objet d’une telle mesure ces quarante dernières années.
M. Sullian Wiener, secrétaire général de la Fédération nationale des établissements laïques sous contrat avec l’État (EPLC). M. Frédéric Lucet, le président de l’EPLC, vous prie d’excuser son absence. L’EPLC est une association loi 1901 qui a une quarantaine d’années. S’y ajoute un syndicat professionnel qui représente les chefs des établissements privés laïques sous contrat. L’EPLC ne regroupe que des établissements sous contrat avec l’État, à quelques exceptions près. Nous comptons un peu plus de 30 000 élèves au sein des 110 établissements sous contrat, dans seize académies. Certains sont très anciens, puisque l’un a fêté récemment ses 150 ans ; d’autres ont 50 ou 60 ans. Les niveaux vont de la petite section au post-bac. Chaque établissement membre de l’EPLC est indépendant. Nous les représentons auprès du ministère ou des différentes instances de l’éducation nationale sans prendre part à leur gestion.
M. Joan-Francés Albert, directeur de l’Institut supérieur des langues de la République française (ISLRF). Je représente six réseaux d’écoles enseignant une langue régionale en immersion : Diwan en Bretagne, Seaska au Pays basque, ABCM pour l’alsacien, Bressola pour le catalan, Calandreta pour l’occitan et Scola Corsa, en Corse, dont la contractualisation est en cours. Les réseaux regroupent environ 15 000 élèves du premier et du second degré. Nous comptons environ un millier de salariés.
M. Philippe Buttani, secrétaire du conseil scolaire de la Fédération protestante de France (FPF). Le conseil scolaire est une commission de la Fédération protestante de France, qui rassemble cinq établissements et un peu moins de 3 000 élèves. Ce tout petit réseau comprend des écoles très différentes : certaines ne proposent qu’un cursus en école primaire, d’autres au collège, d’autres encore de la maternelle à la terminale. Les classes sont majoritairement sous contrat.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le ministère de l’éducation nationale a élaboré récemment un guide du contrôle des établissements privés sous contrat à destination de ses inspecteurs. Avez-vous été informés de sa parution ? Avez-vous été consultés au cours des travaux préparatoires ?
Mme la ministre d’État, Élisabeth Borne, a annoncé l’extension de l’application « Faits établissement » aux établissements privés sous contrat. Vos réseaux ont–ils été associés à ce projet ?
M. David Ebidia. Nous avons été informés de l’élaboration du guide un peu avant sa parution et avons assisté à sa présentation. En revanche, nous n’avons pas été particulièrement associés aux travaux du ministère, même si, dans les académies, les services chargés du contrôle et des évaluations ont pu nous solliciter.
Quant à « Faits établissement », nous avons reçu l’information. Certaines académies nous associent à son déploiement.
M. Makhlouf Mamèche. Nous n’avons pas non plus été associés à l’élaboration du guide mais nous avons été informés de sa publication.
Nous n’avons eu aucun contact avec les académies à propos de l’extension de l’application.
M. Sullian Wiener. Nous avons été informés de la rédaction du guide. Il y a eu des temps d’échanges, d’une importance inégale, avec les académies ; des réunions ont rassemblé plusieurs réseaux. En revanche, nous n’avons pas été associés à l’élaboration qui a été imposée, en quelque sorte, par l’éducation nationale.
L’utilisation de « Faits établissement » varie selon les académies, dans la mesure où chacune a développé son propre système. Celui de Paris est efficace. Disposer d’une application simple et unique serait assurément un atout. Un effort de communication spécifique serait sans doute nécessaire pour bien identifier l’application.
M. Joan-Francés Albert. Je rejoins mes collègues. Nous avons participé à une visioconférence très intéressante, le 12 mars dernier, au cours de laquelle un diaporama très bien fait a été présenté. Je regrette toutefois que ce document n’ait pas été mis à la disposition de tous les chefs d’établissement, qui ont besoin de connaître les règles du jeu.
M. Philippe Buttani. Nous n’avons pas été particulièrement associés à la rédaction du guide, qui nous a été présenté. Nous n’avons pas plus été destinataires de ce guide ni du document de présentation que nous devions adresser aux établissements de nos réseaux respectifs. À l’occasion de la réunion de présentation, nous avons appris que les inspecteurs allaient bénéficier d’une formation spécifique, ce qui est très important. Le réseau de l’enseignement privé est constitué d’éléments très divers. Or les inspecteurs connaissent souvent le seul format classique de l’éducation nationale. Cette formation leur permettra d’appréhender le fonctionnement des établissements dans lesquels ils vont travailler.
Nous n’avons pas reçu de communication concernant l’extension de l’application « Faits établissement », à laquelle nous sommes favorables. La cohérence et la communication entre les services et les établissements sont essentielles.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour résumer, vous avez tous été informés de la parution du guide à l’élaboration duquel vous n’avez pas participé. Concernant « Faits établissement », vous n’avez toujours pas été informés de son élargissement aux établissements privés sous contrat.
Votre situation paraît bien différente de celle du réseau de l’enseignement privé catholique, qui a été très étroitement associé à l’élargissement de « Faits établissement » à ses établissements dès 2019 – nous avons retrouvé la trace des premiers échanges entre le ministère de l’éducation nationale et le Sgec (secrétariat général de l’enseignement catholique) à ce sujet. Quant au guide du contrôle des établissements privés sous contrat, nous avons trouvé un courrier de novembre 2024, signé par Philippe Delorme, qui en demande des modifications très importantes et la suppression de passages entiers – l’administration n’a pas suivi toutes les recommandations, pour ne pas dire exigences, du Sgec. L’association des différents réseaux à la politique de contrôle est donc particulièrement variable. Que pensez-vous de cette situation ? Comment la vivez-vous ?
M. David Ebidia. C’est sans aucun doute une question de volume. Le ministère doit considérer que si le plus gros réseau adhère à ce type de démarche, les autres suivront. Il y a peut-être une forme de frustration de ne pas avoir été associés aux travaux. D’ailleurs, je n’ai jamais consulté le guide ; nous ne l’avons pas vu. Pourtant, les échanges avec les académies et le ministère sur d’autres sujets sont productifs.
M. Makhlouf Mamèche. Nous aurions dû être associés par principe, parce que nous représentons tous un réseau qui a sa particularité. Nous l’avions d’ailleurs été pour le vade-mecum sur le contrôle par les inspecteurs de l’éducation nationale. Cela nous aurait permis de mieux comprendre un document que l’on nous a présenté une seule fois. J’ai fait des relances pour obtenir le document définitif, sans succès. Je n’ai donc que des souvenirs d’un guide de première importance.
M. Sullian Wiener. De manière générale, on conçoit que l’éducation nationale puisse avoir des difficultés à gérer ses relations avec différents réseaux du fait de la multiplicité des interlocuteurs. On peut également comprendre qu’elle ait une relation particulière avec le réseau catholique, compte tenu du nombre des établissements qu’il regroupe. Néanmoins, nous réclamons systématiquement qu’au sein de chaque académie un équilibre soit respecté dans les rapports que l’administration entretient avec chacun des différents réseaux. À quelques exceptions près, des progrès très importants ont été accomplis à cet égard au cours des dix ou quinze dernières années. Cet équilibre est d’autant plus important pour nous que, en tant que représentants des établissements laïques, nous sommes très attachés à la laïcité.
M. Joan-Francés Albert. Je ne peux pas dire que je ressens une frustration, mais peut-être faut-il être attentif aux problèmes d’application que nous avons pu rencontrer. Sans doute sont-ils dus à des difficultés de communication – il est vrai qu’il faut prendre en considération les volumes respectifs des différents réseaux. Mais il faut être vigilant dans ce domaine. Nos chefs d’établissement se retrouvent confrontés aux mêmes problématiques et leur degré d’information est bien moindre, ce qui provoque du stress et des inquiétudes inutiles dans la mesure où nous nous inscrivons dans le cadre de la loi.
M. Philippe Buttani. Pour ma part, je tiens à souligner la qualité des échanges et des relations que nous pouvons avoir avec le ministère, même si nous ne représentons que cinq établissements. Il prend toujours en compte le réseau protestant auquel il témoigne une réelle considération – je suppose que c’est également le cas pour les autres réseaux. Il est vrai que nous n’avons pas été associés à l’élaboration du document, sans doute pour les raisons qui viennent d’être exposées. À présent, ce document existe et il n’est évidemment pas question de le remettre en cause. Une fois le protocole établi, il est mis en œuvre. De l’esprit dans lequel les inspecteurs effectueront leurs déplacements, de leur formation et de leur connaissance des différents réseaux dépendra en grande partie la pertinence de leurs inspections et de ces temps de travail.
M. Paul Vannier, rapporteur. Des instances de dialogue académiques ont été créées par le protocole du 17 mai 2023, signé par l’enseignement catholique et le ministère de l’éducation nationale. Elles sont importantes, car c’est manifestement dans ce cadre que sont discutées l’élaboration et la conduite du plan de contrôle des établissements privés sous contrat et que sont planifiés les contrôles effectués au cours de l’année à venir. Vos réseaux sont-ils associés à ces instances de dialogue académiques ?
M. David Ebidia. J’ignore si les échanges réguliers que nous avons avec la douzaine d’académies dans lesquelles notre réseau est présent entrent dans le cadre que vous décrivez. En tout cas, celles-ci sont demandeuses de tels échanges. Lorsque j’ai pris mes fonctions, il y a quelques mois, j’ai fait le tour des académies pour rencontrer les responsables des départements chargés de l’enseignement privé ou les recteurs eux-mêmes, et j’ai bien perçu la volonté de maintenir ce lien et de nous associer à toutes les démarches concernant nos établissements, notamment les dispositifs qui y sont mis en œuvre par les académies.
M. Makhlouf Mamèche. Le réseau musulman étant très jeune, il n’est pas présent dans toutes les académies, encore moins par l’intermédiaire d’établissements sous contrat, lesquels sont au nombre d’une dizaine, dont quatre sont dans le collimateur. Le lycée Averroès et le groupe scolaire Al-Kindi, qui compte trois établissements – école primaire, collège et lycée –, ont tous perdu leur contrat. Nous avons donc perdu quatre contrats d’association, et non deux. Nous n’avons pas du tout été associés à cette démarche.
M. Sullian Wiener. Comme M. Ebidia, je ne suis pas certain que nos rencontres relèvent du protocole que vous avez mentionné. En revanche, il est certain que, depuis de nombreuses années, des réunions sont organisées au niveau académique qui rassemblent les différents réseaux, ce qui nous permet de connaître les échanges entre ces derniers et l’éducation nationale et d’adopter un discours commun, très utile pour la confiance. Cela n’empêche pas la tenue de réunions distinctes avec chaque réseau pour évoquer des questions spécifiques.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je précise ma question, qui porte sur la façon dont vous pouvez être associés, le cas échéant, à la mise en œuvre d’un programme de contrôle des établissements relevant de vos réseaux. Arrive-t-il que, lors des échanges qui existent au niveau académique entre vos chefs d’établissement et les représentants de l’éducation nationale, soit évoquée la perspective ou l’imminence d’un contrôle ou êtes-vous informés de ce contrôle lorsque les inspecteurs de l’éducation nationale se présentent à la porte de vos établissements ?
M. Sullian Wiener. Les deux situations existent. Le représentant du réseau peut être associé – ce n’est pas systématique – à une planification ou à la définition de priorités, soit parce qu’il connaît la situation de chaque établissement, notamment les changements de chef d’établissement, soit pour assurer une coordination dans le cadre des différents contrôles auxquels les établissements sont soumis. Je sais, pour en avoir parlé avec quelques représentants du rectorat, que les établissements n’étaient pas informés. Quant au représentant du réseau, il ne l’est pas systématiquement – certains établissements m’ont appris qu’ils allaient être contrôlés. Il est arrivé que l’on définisse un bassin mais, de toute façon, le rectorat a le dernier mot. Il peut y avoir des échanges utiles, mais l’incertitude demeure ; j’ai vécu des surprises avec d’autres représentants du rectorat.
M. Makhlouf Mamèche. S’agissant des établissements musulmans, qu’ils soient sous contrat ou hors contrat, tous les contrôles sont inopinés. Il fut un temps, c’est vrai – avant 2020 –, où ce n’était pas le cas pour les établissements sous contrat.
M. David Ebidia. Je rejoins M. Wiener s’agissant de la nouvelle formule de contrôle des établissements sous contrat, mais les modalités varient d’une académie à l’autre. Certaines d’entre elles nous ont parfois associés à l’élaboration du calendrier, afin de tenir compte des inspections qui pouvaient être menées par les réseaux eux-mêmes ou d’un changement de chef d’établissement, ou afin d’éviter que le contrôle ne soit pas trop rapproché d’un contrôle d’un autre type. Je pense, par exemple, aux établissements qui comportent des classes d’enseignement supérieur et qui peuvent être soumis parallèlement à un audit Qualiopi. Il s’agit de ménager les chefs d’établissement pour que les contrôles puissent se passer dans de bonnes conditions. Mais c’est l’académie qui prend la décision : il ne nous appartient pas de sélectionner l’établissement.
Encore une fois, les modalités varient d’une académie à l’autre. Dans certaines d’entre elles, des contrôles ont été effectués récemment sans que nous ayons été associés à une réflexion en amont. Quant aux établissements hors contrat, nous n’avons jamais été prévenus de leur inspection, à une exception près – sans doute pour s’assurer que l’établissement serait ouvert.
M. Joan-Francés Albert. À ma connaissance, aucun des réseaux n’a jamais été véritablement associé à des réunions de travail en amont. Nous avons bénéficié de toutes les informations pertinentes publiées sur les différents sites internet, mais nous n’avons pas travaillé directement avec l’éducation nationale. S’agissant des contrôles, ils ont déjà eu lieu dans plusieurs réseaux : certains établissements ont été prévenus – tardivement –, d’autres ne l’ont pas été. Quant aux établissements hors contrat, il arrive qu’ils fassent l’objet de contrôles inopinés, mais ceux-ci sont prévus par la loi et ne me posent donc pas de problème particulier.
M. Philippe Buttani. Le fonctionnement des instances de dialogue académiques varie sans doute selon les académies. Par ailleurs, l’établissement dans lequel je travaille figure parmi ceux qui sont les plus contrôlés de France, car c’est celui qui, au sein de notre réseau, rassemble le plus grand nombre d’élèves, de la maternelle à la terminale. Ainsi, nous venons de faire l’objet d’un contrôle de la collectivité européenne d’Alsace sur le fonctionnement du collège. Un autre, également très récent, a porté sur le fonctionnement du pass éducation. Nous subissons en moyenne un contrôle par an, sur des thèmes très différents. Leurs modalités sont toujours à peu près les mêmes : l’information nous parvient une quinzaine de jours avant la date du contrôle et nous devons fournir une somme assez importante de documents en amont et en aval du contrôle. Les inspecteurs sont présents dans l’établissement durant un ou deux jours et reçoivent une grande partie de la communauté scolaire : direction, représentants des parents, élèves et enseignants.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. La question des violences physiques, psychologiques ou sexuelles commises par des adultes ayant autorité – chefs d’établissement, enseignants et personnels éducatifs ou périéducatifs – relève du climat scolaire et de la vie scolaire. Le climat scolaire entre-t-il ou devrait-il entrer dans le champ des inspections dont vos établissements font l’objet ?
Ma deuxième question porte sur la procédure de traitement des signalements. Si un élève confie à un enseignant avoir été victime de violences commises par un adulte ayant autorité, cet enseignant ou le chef d’établissement a-t-il connaissance de la procédure à suivre ? Quelle est-elle ? Ces personnels sont-ils formés au suivi des signalements, sur le plan judiciaire et académique ?
Enfin, des faits graves sont-ils déjà survenus dans vos établissements ? Vos chefs d’établissement ont-ils été sensibilisés par le parquet, par l’inspection académique ou par la direction académique des services de l’éducation nationale (Dasen) à la question du signalement des violences, notamment dans le cadre de l’article 40 du code de procédure pénale ?
M. David Ebidia. Pas à ma connaissance, pour répondre à votre dernière question.
Nous considérons, bien entendu, que les inspections doivent porter sur le climat scolaire. C’est déjà le cas, du reste, mais dans le cadre de l’évaluation des établissements puisque celle-ci porte notamment sur la vie et le bien-être de l’élève. Toutefois, les personnels responsables de ces questions ne sont pas des personnels académiques, rémunérés par l’État. La question se pose donc de leur accompagnement par l’académie. Par ailleurs, lorsque des faits plus ou moins graves se produisent, nous demandons souvent conseil à cette dernière, mais son intervention est limitée lorsque le personnel en cause n’est pas académique. Souvent, le département de la vie scolaire conseille mais n’ordonne pas une action précise.
Le circuit de traitement des signalements est, me semble-t-il, très peu connu des chefs d’établissement. Lorsqu’ils en éprouvent le besoin, ils sollicitent l’académie, qui leur indique ce qu’ils peuvent faire dans le cas de figure précis qui lui est soumis, notamment pour lancer une procédure.
Des faits graves tels que ceux subis par les témoins entendus par votre commission, notre réseau n’en a pas connu beaucoup, à ma connaissance. Il y a deux ans, deux personnes ont été mises en cause dans une affaire dont la presse s’est fait l’écho. Ces personnes, qui n’étaient pas des enseignants académiques, ont été immédiatement mises à l’écart des établissements dans lesquels elles travaillaient.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. S’agissait-il de personnels enseignants ou éducatifs ? Quelles ont été les mesures prises par l’établissement ?
M. David Ebidia. Il s’agissait de personnels éducatifs et d’enseignement de caractère propre qui ont été accusés de faits d’abus sexuels sur des enfants de maternelle et de primaire. Ils ont été exclus de l’établissement et très rapidement remis à la justice. Tous deux ont été placés en détention durant une très longue période. L’un d’entre eux a été libéré et est dans l’attente de son jugement.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Ont-ils été licenciés ?
M. David Ebidia. Oui.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Une plainte a-t-elle été déposée ?
M. David Ebidia. Par les familles.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Et par l’établissement ?
M. David Ebidia. Je ne peux pas vous dire.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Il serait intéressant que vous nous disiez s’il s’agit d’un cas exceptionnel qui a été traité comme tel ou si l’établissement a suivi une procédure prévue pour ce type de situations.
M. David Ebidia. Ce cas de figure est exceptionnel : nous n’avions jamais connu de faits aussi graves. Pour tout vous dire, ceux-ci se sont déroulés dans un établissement que le Fonds social juif unifié subventionnait en proposant des bourses cantine aux élèves qui y étaient scolarisés, dans le cadre de notre dispositif en faveur de la mixité sociale.
Par ailleurs, un autre de nos dispositifs, Horizon enfance, consiste à faciliter, grâce à des psychologues et à des médecins scolaires ainsi qu’à des assistantes sociales, l’accompagnement psychosocial des élèves. Des conventions sont conclues à ce titre avec les établissements, qui doivent employer ce type de personnels et assurer la formation de leurs enseignants et de leurs élèves à la prévention du harcèlement et des violences physiques notamment. Il s’agit d’accompagner les établissements dans leur gestion du climat scolaire. À la suite de ces événements, considérant que l’établissement n’avait pas pris les mesures qui s’imposaient en matière de suivi, nous avons décidé de cesser de le subventionner.
M. Makhlouf Mamèche. Je n’ai pas eu connaissance de faits de violence dans le réseau musulman. Pour lutter contre les violences physiques, sexuelles et parfois même verbales, nous avons instauré des formations à destination des équipes éducatives et organisé un séminaire au niveau national sur le harcèlement.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. S’agissant des signalements au titre de l’article 40 ou des faits qui doivent être déclarés à l’académie, quel est le niveau des connaissances et de la formation des personnels dans les établissements de votre réseau ?
M. Makhlouf Mamèche. Notre réseau est très jeune et nous n’avons eu jusqu’à présent aucun fait à signaler au parquet. Nous avons des défis à relever, mais pas celui-là.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. D’accord. Mais si, demain, un élève se plaint auprès d’un chef d’établissement, pensez-vous que ce dernier a les ressources pour agir ? Je pense à la suspension conservatoire du membre du personnel concerné, au dépôt de plainte par l’établissement, à un signalement au titre de l’article 40…
M. Makhlouf Mamèche. Nos chefs d’établissement jouent pleinement leur rôle. Dans ce domaine précis, ils ont suivi une formation concernant le signalement des faits. Ils connaissent leur mission et veillent à protéger les enfants.
En ce qui concerne la prise en compte du climat scolaire par les inspecteurs, pourquoi ne pas faire de la question des violences physiques et sexuelles un aspect essentiel de leur mission ? De fait, lorsqu’ils se rendent dans un établissement, ils interrogent les élèves, échangent avec les professeurs et l’ensemble de l’équipe pédagogique et administrative de l’établissement. C’est en tout cas ainsi qu’ils procèdent lorsqu’ils contrôlent les établissements de notre réseau. Il est très important que cette question soit incluse dans leur mission. Nous souhaitons qu’ils aillent au bout de leurs enquêtes.
M. Sullian Wiener. La question du climat scolaire est délicate. Dans le cadre des autoévaluations, par exemple, c’est le chef d’établissement qui choisit les élèves et les parents d’élèves qui participeront aux réunions. Sont-ils les bons interlocuteurs ? Quand bien même un inspecteur interrogerait des élèves, des parents ou des professeurs au hasard, comment savoir que ce sont les bons ? Lors des autoévaluations et des visites d’inspecteurs, il y a eu des contacts, et je pense que la parole est libre. Les parents d’élèves n’hésitent pas à dire des choses devant les inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR), même en présence du chef d’établissement.
On a évoqué des incidents très graves, mais s’agissant du climat général, en classe ou hors des classes, notamment entre les élèves, l’évolution me semble globalement positive. La formation n’en demeure pas moins nécessaire. De fait, je ne crois pas que les enseignants soient suffisamment formés. Du reste, je n’ai pas souvenir que les rectorats leur aient proposé des formations dans ces domaines. Celles-ci relèvent de l’établissement. Cela dit, on en demande de plus en plus aux enseignants et aux chefs d’établissement : c’est effrayant ! Je ne sais pas comment ils trouvent le temps d’enseigner et de préparer les élèves aux examens.
Aucun établissement ou réseau n’est à l’abri de faits graves. Dans notre réseau, des incidents plus ou moins graves se sont produits. Lorsque les rectorats ont été sollicités, ils ont répondu et ont établi une relation forte avec les chefs d’établissement, que les personnels concernés appartiennent au corps enseignant ou ne dépendent pas de l’éducation nationale. Le parquet n’a pas été sollicité directement, car les choses passent plutôt par le responsable de la vie scolaire au sein du rectorat.
Dans les cas intermédiaires, il n’est pas facile d’obtenir une intégration dans le dossier de l’enseignant. Le chef d’établissement n’étant pas le supérieur hiérarchique de l’enseignant, il doit réussir à mobiliser l’inspecteur et le rectorat, qui sont eux-mêmes bien occupés et soumis à de nombreuses contraintes. Il faut avancer à pas mesurés.
À ma connaissance, l’établissement ne peut pas déposer plainte, il appartient aux familles de le faire. Mais je me trompe peut-être.
De manière générale, j’ai noté depuis une dizaine d’années une distension des liens entre le chef d’établissement et les enseignants. L’entretien annuel a ainsi disparu. Or ce temps d’échange permettait au chef d’établissement de faire le point avec les enseignants sur ce qui allait ou n’allait pas. Aujourd’hui, un enseignant peut refuser un entretien avec le chef d’établissement. C’est problématique puisque certains sujets ne peuvent donc pas être évoqués dans un cadre garantissant la confidentialité. En outre, il n’est pas toujours facile de faire venir un inspecteur pour un entretien.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Pourtant au sein de votre réseau, le chef d’établissement est bien celui qui embauche l’enseignant ?
M. Sullian Wiener. Tout dépend de ce que l’on entend par embaucher. Parle-t-on de celui qui signe le contrat ou de celui qui fait passer l’entretien ?
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Disons celui qui choisit.
M. Sullian Wiener. Dans notre réseau, comme dans tous les établissements sous contrat, le chef d’établissement fait passer les entretiens, mais il arrive parfois que le rectorat nous demande de recruter un lauréat de concours ou un enseignant prioritaire, une femme qui revient de congé maternité par exemple. Parfois nous aurions préféré quelqu’un d’autre, mais nous embaucherons un enseignant que nous n’aurons donc pas choisi.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Parfois, mais la règle veut que le chef d’établissement choisisse son équipe d’enseignants.
M. Sullian Wiener. Oui, mais on ne peut savoir ce que deviendra, dix ans après, l’enseignant qu’on a choisi.
M. Joan-Francés Albert. Il est primordial de parler du climat scolaire dans le cadre de l’évaluation. Il faut aussi s’intéresser à la pédagogie déployée afin de déterminer si elle permet aux élèves d’accéder à des dispositifs dans lesquels leur parole peut être entendue ou accueillie plus facilement. Cela demande du temps. Je me mets à la place des inspecteurs qui effectueront les nouveaux contrôles puisqu’ils auront à regarder un peu dans toutes les directions.
En ce qui concerne le traitement des signalements, il faut vraiment développer les réflexes. Tous les réseaux comptent des personnels dédiés pour venir en soutien des chefs d’établissement. Lorsque l’un d’eux est confronté à un problème délicat, il leur est demandé de solliciter systématiquement ces référents. Dans ce domaine, les rapports avec l’éducation nationale sont tout à fait intéressants. Nous trouvons heureusement des interlocuteurs qui répondent à nos demandes.
Les chefs d’établissement doivent aussi être conscients que si les faits sont très graves, le procureur de la République reste la personne référente. En pareil cas, il vaut mieux agir vite et de manière assez forte.
Dans nos réseaux, nous n’avons pas été confrontés à des faits extrêmement graves. Il y a eu incontestablement des faits, qui ont été gérés. J’ai en mémoire une affaire ayant abouti à la mise en retrait d’un personnel, à l’issue d’une coopération entre l’établissement et l’éducation nationale, qui a fait preuve de justesse et d’une très bonne écoute.
M. Philippe Buttani. S’agissant des contrôles et du climat scolaire, je ne peux que souscrire à ce qui vient d’être dit.
Le climat scolaire est perceptible simplement en entrant dans l’établissement et en regardant les élèves circuler et interagir avec les adultes. Mais ce n’est qu’une vision partielle. Pour pouvoir porter un regard plus juste sur la réalité, il faut évidemment aller plus loin.
Je reviens sur le panel d’interlocuteurs qui sont entendus par les inspecteurs. Oui, ils sont choisis par le chef d’établissement, souvent en fonction de la disponibilité des uns et des autres, mais ils ne sont pas choisis non plus complètement au hasard. Ils font partie des représentants d’élèves ou de parents au sein de l’établissement. Nous pouvons ainsi solliciter les élèves qui font partie du conseil de la vie de l’établissement. Ceux qui le souhaitent sont libérés de cours pour participer aux réunions ; ils viennent d’ailleurs très volontiers. Pour les parents, nous faisons appel aux représentants du conseil d’établissement et aux délégués des parents. Nous demandons à l’instance représentant les parents de désigner les personnes qui seront présentes. La latitude d’intervention du chef d’établissement est donc relativement restreinte. En outre, la parole est libre et le chef d’établissement est systématiquement absent des échanges avec les représentants de la communauté scolaire, et c’est très bien ainsi.
Pour ce qui concerne la connaissance des différentes procédures, j’imagine que les chefs d’établissement sont destinataires de notes d’information du rectorat et les transmettent aux enseignants si nécessaire. Cela dit, ces informations sont assez fluctuantes dans le temps. L’application « Faits établissement » devrait à cet égard apporter des changements positifs : elle permettra une clarification et une harmonisation là où nos interlocuteurs sont aujourd’hui souvent assez disparates. Elle permettra aussi de sécuriser la transmission des informations entre les établissements scolaires et les services académiques, voire le parquet.
Nous n’avons pas connaissance de faits graves ou de difficultés majeures entre des adultes et des élèves dans notre réseau. Cela dit, les liens entre les élèves peuvent parfois poser problème. Dans les situations récentes de tensions très fortes entre les élèves, le lien avec le service académique, et tout particulièrement le recteur ou le directeur académique, me semble vraiment primordial. Ils sont d’un conseil vraiment très important et ils apportent un soutien aux chefs d’établissement.
S’agissant des relations avec le parquet, elles se limitent à la transmission éventuelle d’informations. Je n’ai jamais eu de contact avec qui que ce soit pour des retours d’informations ou des temps d’analyse. Le temps judiciaire est très éloigné du temps scolaire.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Ma dernière question porte sur le processus de recrutement des personnels autres que des enseignants payés par l’État et sur la place que vous y faites à l’honorabilité. Qu’avez-vous mis en place dans vos réseaux, notamment pour connaître le passé des candidats appelés à être au contact des enfants ?
M. David Ebidia. Nos établissements étant autonomes, c’est à eux qu’il revient de décider. Nous n’avons pas instauré de procédure commune de recrutement. Cependant le recrutement de personnels non enseignants ou même enseignants nécessite une certaine vigilance. Nos établissements demandent systématiquement les casiers judiciaires et essaient d’analyser en profondeur le parcours de la personne avant son recrutement.
M. Makhlouf Mamèche. Il en est de même pour le réseau musulman. Le chef d’établissement préside une commission de recrutement du personnel aussi bien éducatif qu’administratif dans presque tous les établissements privés musulmans. Nous exigeons un casier judiciaire vierge. En outre, la personne est recrutée en CDD avant de voir son statut évoluer.
Je souhaite insister sur l’importance de la confiance au sein de l’établissement, confiance des parents et des élèves, qui doivent se sentir libres et en sécurité.
M. Sullian Wiener. Je ferai la même réponse que M. Ebidia : chaque établissement est indépendant, donc nous n’avons pas mis en place de procédure de recrutement.
L’une des caractéristiques des établissements privés sous contrat est la forte implication des chefs d’établissement : ils sont amenés à gérer les locaux, les recrutements directs, etc. En revanche, ils n’ont pas de droit de regard sur les recrutements effectués par les prestataires, par exemple pour le ménage ou la restauration scolaire. Ils ne verront pas les CV ni les casiers judiciaires des employés, à moins que cela ne soit prévu dans le contrat – ce qui n’est pas le cas le plus souvent.
L’implication multiforme des chefs d’établissement assure une présence et un contrôle à divers niveaux et à différents moments de la vie de l’établissement. C’est important. On ressent cet investissement mais c’est de l’ordre de l’immatériel, comme pour le climat scolaire.
M. Joan-Francés Albert. Votre question alerte plus qu’elle n’interroge. Nous procédons tous un peu de la même manière pour le recrutement. Mais, dans le contexte, nous devons aller un peu plus loin.
Certes, il faut respecter l’autonomie des établissements et les règles de base, mais nous devons être plus vigilants. S’agissant de l’honorabilité, les entretiens devraient être un peu plus poussés. Le casier judiciaire est une pièce importante mais il ne suffit pas pour connaître véritablement la personne et son parcours.
Votre question m’incite à demander à nos chefs d’établissement et à chacun des réseaux d’approfondir les discussions pour disposer d’un regard tout à fait objectif sur les personnes que nous recrutons.
M. Philippe Buttani. Nous ne disposons pas de procédure commune pour les recrutements d’enseignants ou de personnels administratifs.
Pour les enseignants de la filière hors contrat, les rectorats ont instauré des contrôles très stricts et très minutieux. Avant d’être habilités à enseigner dans une filière hors contrat, ils doivent franchir une série d’étapes importantes. On peut s’interroger sur les délais de traitement : l’année scolaire commence au mois de septembre, tout le monde le sait, les dossiers sont constitués en amont ou dans le courant du mois de septembre, mais la validation peut être relativement tardive. Or, dans l’intervalle, il nous faut pourtant bien assurer des cours. C’est une réelle difficulté pour les chefs d’établissement.
On peut aussi s’interroger sur la pertinence de l’extrait de casier judiciaire pour certains enseignants dans les filières internationales, dont le parcours les a menés dans plusieurs pays. Je ne parle même pas des académies frontalières, qui font régulièrement appel à des enseignants de l’autre côté de la frontière. L’extrait de casier judiciaire ne peut être le seul élément d’appréciation.
Le climat de l’établissement ainsi que la confiance des adultes envers la direction et celle des élèves envers la direction et les adultes sont des garde-fous. Ils aident à recueillir des informations sur des situations qui pourraient être déviantes.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Outre le casier judiciaire, je voulais évoquer le Fijais, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, auquel ont accès des personnels de l’administration, des préfets, des officiers de police judiciaire ou l’administration de l’éducation nationale, mais pas vous. On pourrait réfléchir à la possibilité d’une consultation pour certains recrutements.
M. Paul Vannier, rapporteur. Monsieur Mamèche, votre réseau a cette particularité d’avoir été l’objet ces derniers mois de plusieurs ruptures de contrat d’association avec trois établissements de la cité scolaire Al-Kindi et le lycée Averroès, même si le tribunal administratif de Lille a rétabli le contrat de ce dernier. La ministre a toutefois annoncé ce matin son intention de faire appel de cette décision. La commission d’enquête n’a pas à se prononcer sur la procédure puisqu’il existe une séparation nécessaire entre le travail de la justice et celui des parlementaires.
Vous avez indiqué précédemment qu’à partir de 2020, les contrôles au lycée Averroès étaient devenus inopinés. Qu’est ce qui, selon vous, explique ce changement ? Quelle est votre analyse de l’intensité et de la fréquence des contrôles que l’établissement Averroès et l’établissement Al-Kindi ont eu à connaître ces dernières années ?
M. Makhlouf Mamèche. J’aimerais d’abord vous inviter à rendre visite à l’un de nos établissements qui ont connu de nombreux contrôles, que ce soit le groupe scolaire Al-Kindi ou le lycée Averroès. Vous vous êtes bien rendus à Bétharram parce qu’il y avait un problème. Nous sommes pris, nous aussi, dans une tempête politico-médiatique, donc une visite sur place s’impose pour discuter avec les enseignants, l’administration, les élèves et les parents d’élèves d’une situation qui dure depuis 2019.
Qu’est ce qui a provoqué cette tempête de contrôles, lesquels d’ailleurs s’accélèrent ? Pas plus tard qu’hier, nous avons été informés d’un contrôle fiscal du lycée Averroès, et la semaine dernière d’un contrôle de la préfecture sur les ressources du collège. Nous avons dépassé le nombre de quatorze contrôles pour atteindre dix-sept ou dix-huit. Il en est de même pour le groupe scolaire Al-Kindi, qui a connu douze contrôles.
La tempête, l’acharnement a commencé en 2019. À cette date, Xavier Bertrand découvre que nous avons reçu des dons de la part de Qatar Charity – à ma connaissance, il n’est pas interdit de recevoir des dons de l’étranger dès lors qu’ils sont tracés. Il décide unilatéralement d’interrompre les subventions dont le versement est pourtant obligatoire pour un établissement sous contrat, mettant en difficulté le lycée Averroès. Depuis, la justice a condamné Xavier Bertrand à verser les subventions au titre du forfait d’externat. C’est un cas inédit dans l’histoire de l’enseignement privé.
Je tiens à votre disposition le contrôle de l’IGESR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche) ainsi que l’audit de 2022.
Le tribunal administratif de Lille dit : « Circulez, il n’y a rien à voir ! Il n’y a aucun problème. » Cette décision conforte le lycée Averroès dans son rôle.
Malgré cela, les musulmans en France, les parents d’élèves, les élèves n’arrivent pas à comprendre quelles sont les vraies motivations de ceux qui ont décidé de résilier le contrat d’association. Nous avons entendu les déclarations du ministre de l’intérieur, du ministre de la justice et du président de la région. Il est question de dons de l’étranger, ou d’entrisme, voire de frérisme, ou encore de l’interdiction d’accès des inspecteurs. Tous ces arguments ont été écartés par le tribunal administratif de Lille.
Quels sont donc les nouveaux éléments qui justifient la décision de la ministre de faire appel ? Je suis confiant, l’équipe pédagogique, les parents d’élèves, et la communauté éducative du lycée Averroès ainsi que du groupe scolaire Al-Kindi le sont aussi. C’est un déchaînement politique, un acharnement politique qui s’abat sur le réseau privé musulman. Si ces établissements privés musulmans posent vraiment problème, alors, je suis le premier à le dire, il faut les fermer et non pas se contenter de résilier le contrat d’association.
Soit on s’en tient aux conclusions des inspecteurs de la DRFIP (direction régionale des finances publiques) et à la décision de la justice, soit on fait ce qu’on veut. Il y a une volonté politique de nuire au réseau musulman.
La séance est levée à seize heures quarante.
Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Graziella Melchior, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. Arnaud Bonnet, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Nicole Sanquer