Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) :
– mission « Économie » :
. Avis Commerce extérieur (Mme Louise Morel, rapporteure pour avis) 2
. Avis Tourisme (M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis). 12
Mercredi 16 octobre 2024
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 8
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Aurélie Trouvé,
Présidente
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La commission des affaires économiques a examiné, sur le rapport de Mme Louise Morel, les crédits du programme « Commerce extérieur » de la mission « Économie ».
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous poursuivons l’examen pour avis des crédits de la mission Économie du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. La France souffre d’un déficit commercial tenace, évalué à 56 milliards d’euros, en particulier dans les secteurs des biens industriels et d’équipements, et de l’énergie. Dans l’agroalimentaire, le risque d’une perte de souveraineté sur certains produits, comme le lait, dans les années à venir, suscite des inquiétudes. Le déficit commercial intraeuropéen de la France, très important, est également en dégradation constante depuis 2018 – une situation qui appelle très certainement des réponses de la puissance publique.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Le commerce extérieur est un sujet important de nos politiques publiques en matière économique. Dans le prolongement des travaux sur la régulation que j’ai conduits sous la XVIe législature en tant que rapporteure du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, j’ai souhaité consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire au soutien à l’internationalisation et à l’attractivité du secteur du numérique et de la tech, où les enjeux sont immenses.
Je commencerai par quelques informations générales sur le commerce extérieur et les crédits prévus dans le PLF pour 2025. Le solde du commerce extérieur français est effectivement déficitaire de manière continue depuis le milieu des années 2000, mais la nette amélioration de la balance commerciale en 2023 a permis de diminuer d’un quart le déficit commercial global, services compris, de 74 milliards d’euros en 2022 à seulement 56 milliards. C’est une bonne nouvelle, d’autant que les résultats du premier semestre 2024 confirment cette dynamique positive : nous sommes en train de sortir de la période néfaste qui a commencé par la crise sanitaire.
En matière d’attractivité, les nouvelles sont, elles aussi, excellentes : l’édition 2024 du baromètre EY confirme que la France reste le pays le plus attractif d’Europe en termes d’investissements directs à l’étranger, devant l’Allemagne et le Royaume-Uni – une première place qu’elle occupe depuis 2019 grâce à des dispositifs ambitieux en faveur des investissements et de l’innovation.
La politique du commerce extérieur s’organise autour de deux acteurs majeurs de la Team France Export, Business France et BPIFrance, soutenus par l’action 07 du programme 134. Dans le PLF pour 2025, la subvention pour charge de service public de Business France passe de 100 millions à 90 millions d’euros, sachant que 5 millions de crédits ont déjà été annulés par décret en février. Avec cette décision, qui ne fait évidemment plaisir à personne mais apparaît compréhensible au regard d’un contexte budgétaire très difficile appelant des efforts de toutes les administrations, le ministre chargé du budget et des comptes publics, lui-même ancien directeur général de Business France, fait, en quelque sorte, montre d’exemplarité.
Cet opérateur a, en revanche, besoin d’une plus grande stabilité de ses crédits. Le contrat d’objectifs et de moyens (COM) signé en octobre 2023 prévoyait la sanctuarisation de ses crédits jusqu’en 2026, mais il n’a pas empêché l’annulation de 5 millions d’euros de crédits quelques mois plus tard. Or, Business France a besoin de visibilité pour assurer ses missions de service public, généralement mises en œuvre de façon pluriannuelle – par exemple, les places dans les salons internationaux sont réservées plus d’un an à l’avance. Comme mon prédécesseur Charles Rodwell, je préconise donc d’inscrire formellement les crédits prévus par le COM dans le prochain PLF.
Tout en insistant sur la nécessité de veiller à ce que l’évolution des crédits s’inscrive, à l’avenir, dans une trajectoire plus prévisible, je propose d’émettre un avis favorable à l’adoption des crédits relatifs au commerce extérieur.
J’en viens à la partie thématique du rapport, qui porte sur le soutien au numérique et à l’innovation, dans sa double dimension attractivité – donc compétitivité – et internationalisation. Ce secteur clé pour la croissance et l’autonomie stratégique de la France se caractérise par des risques et des coûts initiaux élevés, qui empêchent certains types d’entreprises, comme les start-up, d’accéder aux financements bancaires classiques. Nous devons donc inciter le secteur privé à investir dans des fonds de capital-risque, qui pourraient également être abondés par des financements publics ciblés. Dans ces domaines, le développement international n’est pas une option ; les entreprises doivent absolument développer leur activité à l’étranger pour atteindre une taille critique et rentabiliser leurs investissements. Les coûts fixes étant très élevés, notamment pour la recherche et développement, et les coûts variables, faibles, seules quelques entreprises peuvent atteindre ce niveau mondial, et ce sont des entreprises américaines, les Gafam. Cela doit nous interpeller.
L’internationalisation et le développement du numérique sont soutenus à différents niveaux, à commencer par la Team France Export, qui est au cœur de la politique de commerce extérieur. Business France et le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) ont ainsi conclu fin 2023 un partenariat visant à aligner les priorités de Business France sur celles du plan d’investissement France 2030, axé sur l’innovation disruptive et les start-up.
La mission French Tech, créée il y a une dizaine d’années et rattachée à la direction générale des entreprises (DGE) de Bercy, est chargée de soutenir et mobiliser l’écosystème des start-up françaises, en France et à l’international, rassemblées sous la marque French Tech, qui appartient à l’État. L’État a également créé plusieurs dispositifs fiscaux de soutien à l’innovation, notamment le crédit d’impôt recherche (CIR), le crédit d’impôt innovation, la réduction d’impôt pour souscription au capital d’une société (IR-PME) ou encore le statut de « jeune entreprise innovante ». Créé en 2019, le dispositif Tibi vise, lui, à inciter les assureurs à investir une part de leurs fonds dans le capital-risque.
Au niveau européen, les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) permettent aux États membres, à titre dérogatoire et avec l’accord de la Commission européenne, d’accorder des aides d’État à certains projets d’intérêt européen. Le Conseil européen de l’innovation finance, pour sa part, les projets les plus disruptifs, sélectionnés par appel à projets.
Les acteurs sont donc nombreux dans ce domaine. Si nous pouvons nous en réjouir, je formulerai quelques pistes d’amélioration.
Tout d’abord, la mission French Tech est utile, mais on se perd un peu dans les divers programmes d’accompagnement, qui se sont multipliés au fil des années. Le souci de rationalisation voudrait qu’on les fusionne au sein d’un programme unique, fondé sur des critères clairs. Le programme « Je choisis la French Tech » mériterait d’être renforcé pour devenir le cœur de la politique de soutien aux start-up, afin que les grands groupes choisissent systématiquement des solutions développées par de jeunes entreprises innovantes françaises.
En matière de dispositifs fiscaux, le crédit d’impôt recherche est, à mes yeux, l’outil le plus formidable qui existe en faveur de l’innovation. On lui doit en grande partie les bons résultats de la France en matière d’attractivité, et on ne peut donc que se réjouir qu’il soit maintenu dans le prochain projet de loi de finances. Je regrette cependant que son petit frère, le crédit d’impôt innovation, ne soit pas, lui, reconduit. Il me semble que l’économie de 300 millions d’euros résultant de cette suppression aurait pu être obtenue autrement – par exemple, en plafonnant le crédit d’impôt recherche pour qu’il ne profite pas excessivement aux grandes entreprises, ou en y supprimant l’éligibilité des dépenses de veille technologique.
Même si la réduction d’impôt IR-PME a déjà été largement réformée dans le dernier PLF, la recentrer davantage encore sur l’innovation – à travers la suppression de l’éligibilité des investissements directs, par exemple – permettrait de réaliser des économies tout en améliorant l’efficacité de la dépense publique, dans une logique de responsabilité budgétaire.
Né d’une excellente idée, le dispositif Tibi, qui encourage les assureurs à investir une petite part de leurs fonds dans le capital-risque, reste trop peu contraignant et insuffisamment ambitieux, puisque l’objectif pour la période 2023-2026 est de 7 milliards d’euros seulement. Du fait qu’il n’a aucun caractère obligatoire, le mécanisme fonctionne bien quand la conjoncture est bonne, moins bien quand elle est mauvaise. Or, on ne saurait parier uniquement sur la bonne volonté des acteurs privés.
Enfin, les PIIEC relatifs au cloud et aux semi-conducteurs lancés l’an dernier sont une excellente nouvelle, et il faudrait en développer dans d’autres domaines, comme le cyber et l’intelligence artificielle (IA). Il faut également réfléchir beaucoup plus activement à une sorte de Buy European Act, au moins dans les domaines technologiques, non pour interdire aux acteurs publics de recourir aux entreprises américaines, mais bien pour permettre aux États d’élargir les critères de sélection de la commande publique, en prenant en compte, au-delà du seul prix, la résilience de la chaîne de valeur ou la fiabilité technologique et juridique. Les entreprises américaines, qui ont déjà réalisé leurs investissements, peuvent se permettre de casser les prix : un « protectionnisme intelligent » nous permettrait de rattraper notre retard et de développer des solutions souveraines dans des secteurs stratégiques.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Lionel Tivoli (RN). Sur le plan extérieur comme intérieur, notre situation budgétaire n’a jamais été aussi grave. Pour favoriser le redressement de notre pays, il est impératif d’opérer des choix drastiques. À cet égard, le commerce extérieur est une priorité et doit être sanctuarisée. Le solde commercial de la France s’établit à – 40 milliards d’euros pour le premier semestre 2024 ; cette situation particulièrement alarmante devrait tous nous préoccuper. Nous ne sommes pas de ceux qui voient le verre à moitié vide ou à moitié plein, ou qui se satisfaisons de quelques données contextuelles positives ; nous sommes résolument de ceux qui continueront à alerter sur la pente dangereuse que notre pays emprunte.
La réduction de la subvention de Business France, de 100 millions en 2024 à seulement 90 millions dans le PLF 2025, est un signal inquiétant. Un pays qui se porte bien est un pays qui exporte ; or, la France n’exporte pas suffisamment. Il ne s’agit absolument pas ici de mettre en cause les entreprises françaises. Au contraire, ce sont bien souvent de véritables championnes qui, quand elles exportent, contribuent au rayonnement de notre pays à l’international. Seulement, on ne permet pas à suffisamment de sociétés françaises d’exporter leurs produits, souvent d’excellence, à l’étranger.
Parmi les multiples freins à l’exportation, les contraintes diverses qui pèsent sur nos entreprises et les conséquences néfastes de certains traités de libre-échange ne font qu’accentuer les difficultés. Il est donc nécessaire de sanctuariser les crédits de Business France, tout en procédant, en parallèle, à une profonde refonte de l’organisation de cette structure d’accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) sur les marchés internationaux, dont l’action n’est pas suffisamment efficace, comme en témoignent de nombreuses entreprises utilisatrices.
Le commerce extérieur de la France est un outil fondamental, tant pour le rayonnement de notre pays à l’international que pour le développement de notre tissu économique. Plutôt que de belles paroles, il faut désormais des actes. Il est temps d’améliorer la coordination entre les différents services de l’État, car tous les acteurs concernés doivent œuvrer de concert afin d’offrir enfin aux entreprises françaises un écosystème réellement favorable à leur développement à l’international.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Nous partageons la même ambition de développer le commerce extérieur de notre pays. On ne peut que regretter cette baisse des crédits, qui ne réjouit personne, à commencer par moi – d’autant qu’à travers mes rencontres avec les différents acteurs, je n’ai pu que mesurer combien le soutien aux entreprises favorisait le développement d’activités formidables. Mais dans le contexte économique actuel, particulièrement contraint, un effort est nécessaire – tous les acteurs en ont d’ailleurs convenu en audition. Nous espérons tous que, dans les années à venir, nous pourrons à nouveau accorder davantage de crédits à Business France.
M. Stéphane Vojetta (EPR). Les déficits commerciaux restent élevés. Pour y remédier, les différents acteurs du soutien au commerce extérieur coopèrent au sein de la Team France Export. En tant que député des Français de l’étranger, j’ai régulièrement l’occasion de travailler avec nos entreprises, mais aussi les relais de l’État sur le terrain – Business France, les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les conseillers du commerce extérieur de la France et les pôles French Tech.
Le Premier ministre a annoncé la fusion prochaine de Business France et Atout France, agence spécialisée dans la promotion touristique. Si elle se concrétise, comment garantir qu’elle permettra effectivement de renforcer les missions de chacune des agences et d’accroître l’efficacité de la France sur la scène internationale, sans nuire à son attractivité touristique ?
À propos d’attractivité, permettez-moi de remercier ces acteurs qui, sous l’égide du Président de la République, ont fait de la France le pays européen qui attire le plus d’investissements et d’entreprises étrangers, permettant ainsi la réindustrialisation de notre pays, la transformation de notre économie, notamment en matière numérique, et la baisse du chômage – tout ce que l’on attend de l’État et du Gouvernement. Nous devons continuer de faire au mieux pour attirer ces investissements, qui permettent de créer des emplois, tout en s’assurant du respect scrupuleux de notre cadre législatif, réglementaire, et fiscal.
À cet égard, je tiens à déplorer publiquement les polémiques visant à instrumentaliser la volonté de cession, par Sanofi, d’une part minoritaire de sa filiale Opella. Cette cession permettrait à l’entreprise de libérer des milliards d’euros de capital et de les réorienter vers des investissements stratégiques. Sanofi est une entreprise privée ; or la France respecte le principe de libre administration des entreprises et l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « la propriété [est] un droit inviolable et sacré ». Il est évidemment nécessaire de s’assurer du respect des procédures d’encadrement des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques et d’obtenir des garanties, mais ce n’est pas en stigmatisant un investisseur américain et en menaçant de nationaliser Sanofi ou sa filiale que nous pérenniserons l’attractivité de la France ou créerons des champions européens.
J’appelle donc à une modération collective des propos contre les chefs d’entreprise, le capital et, plus généralement, les investisseurs ; ils ne feront que donner des envies d’ailleurs à tous ceux qui prennent des risques et créent ou maintiennent des emplois en France. Autrement, ces derniers iront le faire ailleurs, comme ceux de ma circonscription vont à Barcelone, où, à quelques centaines de kilomètres de la France, ils paient sans doute davantage d’impôts qu’en France, mais ne sont ni vilipendées, ni menacés pour leur volonté de créer de la valeur.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. J’ai bien entendu votre remarque sur Sanofi. S’agissant du projet de fusion entre Atout France et Business France, j’ai été beaucoup interrogée ces derniers jours, mais je n’ai pas plus d’informations que vous : Business France n’a pas évoqué ce sujet, ni en audition, ni dans sa réponse au questionnaire écrit que nous lui avons adressé. Ce projet mentionné par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale ne trouve de traduction ni dans le PLF, ni dans aucun autre texte officiel. Néanmoins, au regard du statut d’Atout France, cette fusion ne saurait se concrétiser qu’à travers l’adoption d’un texte législatif ; la fusion éventuelle ne pourrait donc intervenir avant, au plus tôt, le projet de loi de finances pour 2026.
Mme Alma Dufour (LFI-NFP). Décidément, en matière de records économiques, Emmanuel Macron s’est surpassé : médaille d’or des catastrophes ! Nous avons battu le record de pauvreté des Français, le record des faillites de très petites entreprises (TPE), le record de déficit des comptes publics, mais aussi le record du déficit commercial. Avec 99 milliards d’euros, soit le deuxième déficit le plus important de notre histoire, l’année 2023 n’est jamais que médaille d’argent ; la médaille d’or revient à l’année 2022, qui avait vu le déficit commercial atteindre 164 milliards d’euros. Nous ne pouvons donc nous satisfaire de la légère inflexion que vous avez présentée s’agissant du premier semestre 2024.
Rassurons-nous, le Gouvernement n’est vraiment pas pour grand-chose dans la baisse du déficit ; c’est surtout la remise en service des réacteurs nucléaires et la baisse du coût du pétrole qui ont eu pour effet de réduire notre abyssal déficit commercial en matière d’énergie. Je vous laisse deviner ce qu’il adviendra de notre balance commerciale en cas de reprise de la crise énergétique par suite de la généralisation du conflit au Proche-Orient. La Banque mondiale alertait déjà à l’automne dernier : les conséquences de cette crise pourraient être bien pires que celles de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais cela ne semble toujours pas inquiéter en haut lieu.
Depuis 2017, le macronisme a tout sacrifié à la compétitivité des grandes entreprises. Décrochage des salaires par rapport à l’inflation, baisse sans précédent des impôts des grands groupes, 170 milliards d’aides sociales et fiscales, record d’Europe des dividendes, augmentation de 15 % des licenciements économiques en 2024, refus d’instaurer des mesures protectionnistes élémentaires, sacrifice des droits de l’homme sur l’autel de l’exportation d’armes : tant d’efforts pour rester l’un des pires déficits commerciaux d’Europe ! Quel bilan douloureux ! Si l’on considère la part de l’emploi industriel dans l’emploi, la France se place au vingt-deuxième rang des pays européens.
L’état du déficit commercial après sept ans d’Emmanuel Macron est la preuve définitive que l’ultralibéralisme est une impasse : nous sommes déficitaires quasiment partout.
Selon le haut-commissariat au plan, deux tiers des 9 781 produits étudiés étaient en déficit commercial en 2022.
En matière d’énergie – le principal gouffre commercial –, l’obstination à ne pas investir dans la transition écologique nuit gravement à la planète et à nos finances publiques. En 2022, nous aurions pu, par exemple, économiser 9 milliards d’euros sur nos importations de gaz si les engagements en matière de développement des énergies renouvelables avaient été tenus.
Dans le secteur automobile, par peur de mesures de rétorsion de la Chine et sous la pression de l’Allemagne, nous avons refusé pendant des années d’instaurer une bannière douanière. Résultat, la France est le pays de l’Union européenne qui s’est le plus désindustrialisé dans ce domaine, où 114 000 emplois ont disparu en quinze ans et 70 000 sont encore menacés. Rien que cette année, 3 000 emplois ont été supprimés dans la sous-traitance automobile. Le déficit commercial de ce secteur atteint 24 milliards d’euros. Nous n’avons cessé de vous alerter sur la nécessité de contraindre rapidement les constructeurs à développer des véhicules électriques légers et abordables made in France, mais, alors même que ces véhicules ne se vendent pas, vous avez décidé de plomber un peu plus la consommation en baissant les aides à l’achat.
Peu de gens le savent mais, sans nos exportations d’alcool dans le monde entier, notre agriculture aussi serait déficitaire – une situation que la poursuite des accords de libre-échange – en particulier celui avec le Marché commun du Sud, le Mercosur – et la baisse du soutien à l’agriculture, ne risquent pas d’arranger.
Enfin, plus de 3 000 médicaments sont en situation de pénurie, et la France dépend à hauteur de 60 % à 80 % des importations dans le secteur de la santé.
Mais vous persistez et signez : alors que le contexte géopolitique est particulièrement tendu, au lieu de chercher à nous rendre moins dépendants, vous avez refusé d’imposer des objectifs de relocalisation, comme nous vous l’avons proposé lors de l’examen du projet de loi relatif à l’industrie verte. Vous n’avez donc rien appris de la crise du Covid et continuez de rendre la France toujours plus vulnérable aux prochaines crises. Dernier exemple en date, vous êtes en train de laisser le Doliprane passer sous pavillon américain. En cas de délocalisation, les Français ne pourront même plus soigner le mal de crâne que le bilan économique d’Emmanuel Macron leur laisse.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Je regrette de n’avoir plus de temps pour vous répondre, Madame Dufour.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Vous pourrez reprendre la parole aussi longtemps que vous le souhaitez à l’issue des questions des orateurs des groupes.
Mme Valérie Rossi (SOC). Mon groupe regrette la tonalité de votre rapport. Vous acceptez sans sourciller la réduction de 10 % du budget de Business France au titre de l’effort d’économies que réclame la situation budgétaire catastrophique à laquelle vous avez vous-même contribué en votant l’ensemble des budgets précédents. Cette réduction, compréhensible à vos yeux, ne l’est pas aux nôtres.
Bien que les 62 milliards de cadeaux fiscaux que vous avez consentis aux plus riches et aux grandes entreprises dans les budgets précédents soient restés sans effet sur la croissance, la création d’emploi ou les salaires, vous refusez de revenir sur ces mesures. Il ne faut donc pas s’étonner de la saignée opérée sur les dépenses dans le PLF pour 2025. Or, non seulement les 10 millions d’économies que vous imposez à cet opérateur majeur, qui ne représentent que 0,025 % des économies à trouver, ne vous permettront pas d’atteindre vos objectifs en matière budgétaire, mais ils l’affaiblissent à contretemps, en pleine période d’une concurrence internationale accrue et de plus en plus sauvage.
Entre l’offensive de la Chine sur les véhicules électriques et les énergies renouvelables et l’Inflation Reduction Act américain se joue une bataille majeure pour attirer des investissements et trouver de nouveaux marchés. Sans l’avantage compétitif que nous procurait un prix bas de l’énergie, et face aux retards structurels de la France en matière de robotisation, de digitalisation et d’IA, c’est une mise sous stéroïdes de Business France et BPIFrance dont nous avons besoin, pas l’inverse ! Les budgets de ces opérateurs doivent au moins être maintenus à leur niveau de 2024. Nous déposerons des amendements en ce sens : les soutiendrez-vous ? À défaut, nous nous opposerons à l’adoption des crédits relatifs au commerce extérieur.
Néanmoins, nous souscrivons à votre proposition de mieux cibler le crédit d’impôt recherche. Alors que vous vous y êtes toujours montrés opposés, nous nous réjouissons de vous voir enfin considérer la conditionnalité des crédits d’impôts à des critères environnementaux et sociétaux, comme nous le défendons depuis 2018. Au regard des annonces de Sanofi, ce sujet est plus que jamais majeur. Pouvez-vous préciser votre position sur ce point ?
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Je n’accepte pas sans sourciller cette baisse des crédits. Je préférerais vous annoncer des augmentations de crédits et vous proposer de dépenser sans compter, mais je crois fermement que, dans un contexte budgétaire difficile, tout le monde doit faire des efforts. Je suis très attachée à l’attractivité de notre pays, et nous n’acceptons pas cette réduction de gaieté de cœur, mais lors des auditions, les différents acteurs nous ont confirmé que leur première préoccupation était la sanctuarisation des crédits, fussent-ils en baisse, pour pouvoir s’organiser, plutôt que de découvrir une annulation de crédits en cours d’année, comme cela a été le cas en février dernier. C’est l’objet de mes premières recommandations.
S’agissant du crédit d’impôt recherche, les propositions que je formule dans le rapport tiennent compte, là encore, du contexte : dans la situation actuelle, il faut envisager des aménagements, comme la conditionnalité. Loin d’accepter sans ciller la disparition du crédit d’impôt innovation, je prône au contraire son maintien, quitte à restreindre l’éligibilité de certaines dépenses, comme celles liées à la veille technologique, car la prise en charge des abonnements à des revues ou le remboursement des billets d’avion ou de train pour se rendre à des salons internationaux ne sont pas une priorité. Nous avons mené une réflexion très poussée avec les acteurs sur ce sujet.
Je vous donnerai mon avis sur votre amendement le moment venu.
M. Guillaume Lepers (DR). Malgré l’amélioration du solde de nos échanges commerciaux en 2023, portée par une légère diminution des importations, voilà vingt ans que la balance commerciale de la France est déficitaire.
Cette situation doit collectivement nous interroger, car la conjoncture n’est pas la seule responsable de ce défaut de compétitivité sur les marchés étrangers. Nous subissons aussi des handicaps structurels, au premier rang desquels une désindustrialisation continue, qui a détruit l’économie de nombreux territoires – Fumel, dans ma circonscription, a connu la délocalisation de la métallurgie en Espagne dans les années 1970, puis le départ de l’industrie du parquet en Chine, il y a dix ans à peine. Et ce phénomène continue, sans que nous parvenions à l’endiguer. Les normes fiscales, sociales et environnementales écrasent aussi lourdement nos entreprises. Leur poids est disproportionné par rapport à nos partenaires : nous sommes le seul pays d’Europe à ajouter des normes nationales aux normes européennes. Cette situation pénalise nos entreprises, en particulier les PME, qui n’ont ni la même agilité, ni les mêmes ressources que les grands groupes, mais aussi le monde agricole, qui avait d’ailleurs placé la simplification administrative en tête de ses revendications.
Face à la dégradation des comptes publics, il est légitime de chercher partout des pistes d’économies. Il faut cependant garder à l’esprit que dépenser pour le commerce extérieur, c’est investir pour la croissance future.
Vous avez souligné le manque de lisibilité de la mission French Tech et la redondance de ses programmes d’accompagnement des start-up – un constat important. Subie par toutes les entreprises, cette multiplication des interlocuteurs et des dispositifs génère une complexité qui épuise les meilleures volontés, et est source de dépenses inutiles pour les entreprises comme pour les finances publiques. Au-delà de la mission French Tech, avez-vous identifié des possibilités de rationalisation des différents programmes de soutien au développement international des PME et des ETI ? L’internationalisation des entreprises est une étape cruciale ; beaucoup la ratent, faute d’un accompagnement efficace, et leur équilibre en est fragilisé.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. J’ai entendu à plusieurs reprises que notre balance commerciale était déficitaire. Mais attention, celle-ci englobe à la fois les biens et les services, qui sont, eux, excédentaires. Seule la balance des biens est déficitaire, notamment en raison de l’évolution de notre économie, aujourd’hui davantage tournée vers les services – gardons bien cela à l’esprit.
S’agissant de la redondance des programmes, je donne plusieurs exemples dans le rapport. Prenons celui des programmes Next 40/120 et French Tech 2030 : le premier, lancé en 2019, accompagne pour un an 120 entreprises ; le second, lancé en 2023, accompagne pour deux ans 125 entreprises. Dans les descriptions officielles, les objectifs et le contenu de ces missions sont presque identiques : dans un souci de rationalisation, on pourrait donc les fusionner. J’ai identifié des pistes, et j’en informerai les services concernés pour que l’on avance sur ce sujet.
M. Pascal Lecamp (Dem). Pour des raisons de transparence, je précise que je suis en disponibilité de Business France, l’opérateur principal du commerce extérieur, où j’ai effectué la plus grande partie de ma carrière. Je garderai donc pour moi ce que je pense de la baisse des crédits.
La fusion de Business France et d’Atout France annoncée par le Premier ministre ne se retrouve pas dans les lignes du PLF. J’espère que le Gouvernement nous éclairera en séance sur ses conséquences budgétaires.
La baisse de plus de 10 % de la dotation annuelle de Business France risque-t-elle d’affecter la Team France Export, dont elle est un membre stratégique ? Aura-t-elle des conséquences sur son efficacité et sur le fonctionnement avec ses partenaires ?
Peut-on réformer le Conseil européen de l’innovation sur le modèle de la Darpa, l’agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense ? Que suggérez-vous pour améliorer la performance du crédit d’impôt recherche ?
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Business France a pu anticiper la baisse de sa subvention, qui intervient moins brutalement que l’annulation des crédits en février. L’opérateur nous a confirmé qu’il participerait aux efforts demandés, mais souhaite que les crédits soient plus stables et respectent une trajectoire pluriannuelle.
Concernant le Conseil européen de l’innovation, nous devons vraiment nous inspirer de la Darpa. La difficulté est que le Conseil européen de l’innovation agit dans le cadre communautaire, avec les contraintes que cela implique, notamment la dépendance à l’égard de la Commission européenne. Pour ne pas être freiné par celle-ci ou par les États membres ne souhaitant pas investir dans l’innovation, le Conseil devrait fonctionner davantage de manière intergouvernementale, sur la base du volontariat. Nous pourrions même inclure des États européens non-membres de l’Union européenne.
M. Harold Huwart (LIOT). Le moteur de la dégradation du commerce extérieur, depuis 2000, est la désindustrialisation du pays. C’est l’industrie qui génère les excédents et alimente les exportations ; le combat pour la réindustrialisation est donc fondamental. Or, nos entreprises ont besoin d’être accompagnées pour pouvoir exporter. Trop de PME et d’ETI se restreignent à des marchés déjà saturés et n’osent pas aller sur les marchés en expansion.
Le rapprochement annoncé des deux opérateurs est à Bercy une idée vieille comme le monde, qui pose un problème de cohérence. Il vise à faire d’Atout France une réserve de crédits et d’ETP (équivalents temps plein) pour Business France, afin de pallier la baisse de la dotation de ce dernier. Or, les coupes dans les crédits se font toujours au détriment de l’accompagnement des entreprises à l’exportation. L’État sabote ainsi lui-même les objectifs qu’il affiche.
Je ne suis pas contre l’idée de baisser les crédits des opérateurs, car chacun doit participer à l’effort. Toutefois, cela nous oblige à avoir un dialogue de gestion avec les régions, car l’État va se défausser sur elles. Il faut donc s’assurer avec les CCI que les réductions de crédits ne se feront pas au détriment du guichet de l’exportation et de l’accompagnement sur le terrain.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Il est difficile de commenter un projet de fusion qui n’apparaît pas dans les documents budgétaires. Cela pourra faire l’objet du prochain rapport pour avis.
M. André Chassaigne (GDR). Je ne conteste pas l’attractivité de la filière numérique, mais le choix que vous avez fait d’y consacrer votre rapport est assez révélateur de l’abandon par la France de tout développement industriel : la priorité, ce sont les services, les services, les services !
D’autres sujets auraient été plus opportuns, comme les accords de libre-échange dont une analyse critique aurait pu révéler la nécessité de moyens de contrôle, donc des dépenses. Mais ayant pris le parti, comme nous l’avons constaté, de ne pas étriller ce budget, vous n’aviez pas intérêt à choisir un tel thème.
Je souhaite revenir sur une réalité occultée par toutes les analyses portant sur le commerce extérieur : notre dépendance inacceptable à des décisions prises par les États-Unis, en particulier le blocus unilatéral imposé à Cuba pour asphyxier son économie et affamer sa population. La France, au lieu d’être à l’offensive, laisse faire dans un silence terrible. La Commission mixte économique bilatérale franco-cubaine ne s’est pas réunie depuis trois ans, et l’excellent travail accompli par l’Agence française du développement (AFD) est mis en difficulté, l’ambassade de France à Cuba et Business France freinant les échanges commerciaux.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Ce n’est pas parce que j’ai fait le choix d’étudier le secteur du numérique que je suis contre la production de biens. J’insiste sur le fait qu’il y a toujours une base industrielle dans l’économie des services. J’évoque d’ailleurs les PIIEC concernant les puces, les semi-conducteurs, la microélectronique, qui visent à relocaliser la production et les chaînes de valeur dans un objectif industriel d’autonomie stratégique européenne.
Par ailleurs, l’objectif d’un rapport est d’étudier l’efficience de la dépense et de proposer des améliorations, comme nous le faisons pour le crédit d’impôt innovation et le crédit d’impôt recherche.
Enfin, n’étant pas une experte des sujets franco-cubains, je prends bonne note de vos observations et reste à votre disposition pour en discuter.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Pascal Lecamp (Dem). Alors que son budget est resté exactement le même entre 2017 et 2024, Business France a accompagné 13 500 personnes, passant de 110 000 à 150 000 exportateurs et générant 3 milliards d’euros supplémentaires. L’opérateur est d’accord pour participer à l’effort, mais une diminution de 10 % de ses crédits est trop importante au moment où l’on réindustrialise et où les entreprises ont le plus besoin d’accompagnement à l’exportation.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis.
Il ne faut pas réduire le rapport à sa position sur la baisse de crédits de 10 millions d’euros pour Business France. Le rapport propose de nombreuses pistes d’amélioration : maintenir et mieux cibler le crédit d’impôt recherche ; conserver intact le crédit d’impôt innovation ; renforcer le programme « Je choisis la French Tech » ; réfléchir à la multiplicité des programmes de la mission French Tech ; achever la réforme de l’IR-PME ; assortir le dispositif Tibi d’un appareil normatif pour garantir l’affectation d’une part des investissements des institutionnels au capital-risque, etc. Il ne s’agit pas d’attaquer l’attractivité de notre pays ; il s’agit, au contraire, de la muscler.
M. Pascal Lecamp (Dem). Cela fait quatre années consécutives que la France est le premier pays destinataire d’investissements directs étrangers (IDE) en Europe. Depuis sa fusion avec Invest in France, Business France est également chargé d’attirer des capitaux étrangers en France. Une baisse de 10 millions d’euros de sa dotation peut mettre en péril certaines activités qui font sa réussite. Attention !
Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendement II-CE19 de Mme Mélanie Thomin
Mme Valérie Rossi (SOC). Il est incompréhensible que Business France n’ait pas les moyens de lutter face à la concurrence agressive de la Chine et à l’Inflation Reduction Act des États-Unis. Nous proposons donc de revenir sur la réduction de 10 millions d’euros de sa subvention, qui doit retrouver son niveau de l’année dernière.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Business France est prêt à faire des efforts, mais souhaite avoir l’assurance que les crédits votés ne seront pas ensuite annulés. Il y va de notre crédibilité. Demande de retrait.
M. René Pilato (LFI-NFP). Le NFP a proposé 50 milliards de rentrées fiscales, totalement à rebours de ce qui se fait depuis sept ans. Nous soutiendrons l’octroi des moyens nécessaires pour que nos entreprises soient compétitives.
M. André Chassaigne (GDR). À chaque fois que nous sommes amenés à nous déplacer à l’étranger, nous faisons le même constat : nos ambassades ne disposent pas de suffisamment d’agents chargés du développement économique et des échanges internationaux, contrairement à d’autres pays. Il y a urgence à prévoir des moyens supplémentaires.
M. Pascal Lecamp (Dem). Baisser la dotation d’un opérateur de 10 %, cela va au-delà d’une simple participation à l’effort. Sans faire les marchands de tapis, un amendement à 5 millions d’euros répondrait à la fois à la demande de l’opérateur et à notre volonté de soutenir les entreprises.
Mme Louise Morel, rapporteure pour avis. Les moyens des ambassades relèvent d’un autre programme.
La commission rejette l’amendement.
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La commission a enfin examiné, sur le rapport de M. Hervé de Lépinau, les crédits du programme « Tourisme » de la mission « Économie ».
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis (Tourisme). Le tourisme est l’angle mort de notre activité économique, alors même que 1 euro d’argent public y génère près de 2 700 euros de retombées économiques, pour un chiffre d’affaires total de quelque 75 milliards d’euros. Cela signifie que les acteurs du secteur sont passionnés et totalement impliqués dans leur mission.
En 2023, la saison touristique a connu un résultat record, avec 63,5 milliards d’euros de recettes issues du tourisme international, en hausse de 12 % par rapport à 2019. L’année 2024 s’annonce également prometteuse, même si les départs ont été plus tardifs et plus courts. Le bilan provisoire des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) est, quant à lui, contrasté : il bénéficie davantage aux villes hôtes qu’au reste du territoire et, au sein des villes hôtes, l’hôtellerie-restauration a souffert des restrictions de circulation dans des quartiers entiers.
Il existe une asymétrie importante entre le poids du tourisme dans l’économie et son poids dans le budget. Alors qu’il représentait 4,1 % du PIB en 2019 et jusqu’à 7 % de la consommation touristique – je vous invite à lire la page 5 de mon rapport pour comprendre le distinguo que j’ai opéré entre ces deux chiffres –, les crédits qui lui sont consacrés au sein de la mission Économie sont très faibles. Je vous demande de retenir le chiffre de 4,1 % plutôt que celui de 7 %, car il permet de faire un comparatif avec le PIB généré par la production agricole brute. Le budget de l’agriculture s’élève à quelque 1,5 milliard d’euros – dont 800 millions d’euros de masse salariale, consacrée pour moitié aux lycées agricoles – mais ne génère que 3 points de PIB, alors que le tourisme, avec 25 millions d’euros de crédits, en crée 4,1 %. Si des réformes structurelles doivent être menées pour dégager des économies, elles doivent viser à adapter certains ministères aux réalités économiques.
Plus généralement, il est difficile de disposer d’une vision d’ensemble des crédits contribuant à la politique publique du tourisme. Les écarts de chiffrages sont considérables. Le document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2023 chiffrait l’effort global de l’État pour le tourisme, hors dépenses fiscales et hors impact de la covid-19, à 7,5 milliards d’euros ; or ce document a été supprimé. Le dernier chiffrage pouvant être évoqué est celui du plan Destination France, qui prévoit 1,9 milliard d’euros sur trois ans avec des financements provenant d’autres acteurs, comme la Banque des territoires, mais ce plan de soutien s’arrêtera fin 2024. Il est donc compliqué de pister les financements du tourisme au sein du projet de loi de finances, d’autant que les collectivités locales y prennent aussi leur part. L’impératif d’efficacité de la dépense publique nécessite que nous disposions de données plus précises afin de pouvoir nous prononcer sur ce budget en connaissance de cause.
Autre difficulté : nous manquons d’une véritable vision stratégique pour la filière. Je salue la nomination d’une ministre déléguée chargée de l’économie du tourisme car, depuis 2007, le tourisme était toujours noyé dans un portefeuille ministériel plus large. J’attends maintenant des actions concrètes.
Les crédits alloués au tourisme dans le cadre du programme 134 Développement des entreprises et régulation, sont adossés à l’action 23 Industrie et services : en effet, le tourisme ne dispose même pas d’une action qui lui soit entièrement dédiée. Les moyens consacrés à cette politique publique sont substantiellement réduits dans le projet de budget pour 2025. La subvention pour charges de service public versée à Atout France diminue de 13 %, passant de 28,7 millions à 24,9 millions d’euros. Les 5,8 millions d’euros de crédits d’intervention en faveur du tourisme, dont l’essentiel servait à financer des opérations menées par Atout France, sont supprimés. Cette baisse significative obérera les moyens d’action de cet opérateur, dont la forme particulière de groupement d’intérêt économique (GIE) lui permet d’intervenir avec des dotations d’État en associant des acteurs aussi bien publics que privés.
Les acteurs de la filière demandent la stabilité des crédits d’Atout France, qui a déjà rationalisé ses dépenses. L’opérateur m’a également alerté sur cette baisse. Celui-ci connaît, en outre, des difficultés de gouvernance, le poste de directeur général étant vacant et assuré par intérim. Il faut absolument remettre un capitaine à la barre de ce bateau.
Le contrat d’objectifs et de performance (COP) prend fin cette année et Atout France ne sait pas à quoi s’attendre. Des réflexions sur sa modernisation avaient été annoncées lors du comité interministériel du tourisme de mai 2024, mais – surprise ! – le Premier ministre a annoncé le projet de rapprochement avec Business France dans sa déclaration de politique générale. Tout comme nous, les représentants d’Atout France que j’ai auditionnés n’en savent pas davantage. Les acteurs du tourisme sont d’accord pour rationaliser les moyens, mais ils craignent que cette fusion n’aboutisse à un véritable effacement du travail d’Atout France au profit de celui de Business France, qui devra soutenir les entreprises à l’export dans un contexte de déficit commercial abyssal.
C’est pourquoi j’émettrai un avis défavorable à la baisse de ces crédits. Je vous proposerai des amendements visant à maintenir la dotation d’Atout France à son niveau de l’année dernière. Leur adoption pourra faire évoluer mon avis.
J’en viens à la partie thématique de mon avis budgétaire, qui porte sur la préservation et la valorisation des paysages agricoles dans le tourisme français.
J’ai choisi ce thème en partant d’un constat simple que j’ai fait dans mon département du Vaucluse. Il s’agit, selon l’Insee, du cinquième département métropolitain le plus pauvre de France. C’est aussi une destination touristique emblématique à l’échelle mondiale, notamment grâce à son point culminant, le mont Ventoux. Si l’agriculture s’y effondre, l’attractivité du territoire disparaîtra. Or l’activité agricole n’y tient qu’à un fil. La filière « Lavande » se heurte à l’interdiction des produits phytopharmaceutiques, qui l’empêche de lutter contre les ravageurs, et à la volonté délirante de la Commission européenne de classer ses produits comme chimiques. La cerise va donc disparaître, faute de moyens efficaces de lutter contre la drosophile suzukii. La filière viticole, celle qui contribue le plus à dessiner le territoire, n’échappera pas à la politique d’arrachage massif envisagée pour les mois à venir. Tourisme et agriculture étant interdépendants, toute détérioration de nos activités agricoles entraînera mécaniquement des conséquences sur l’économie touristique associée.
Cette logique s’applique aussi à d’autres départements. Les agriculteurs sont de véritables aménageurs de nos territoires. Nous avons la chance d’avoir en France des paysages préservés et variés. L’activité touristique liée à ces paysages est généralement de deux ordres : des activités de plein air – vélo, randonnée – qui impliquent généralement des séjours prolongés, donc des dépenses plus importantes ; l’agritourisme et l’œnotourisme, vecteurs intéressants de diversification des revenus pour les agriculteurs. Mais, bien que nos paysages agricoles soient bénéfiques économiquement et pour l’aménagement du territoire, leur préservation et leur valorisation demeurent insuffisamment soutenues.
Je regrette plusieurs atteintes au paysage, liées notamment à l’interdiction de certains produits phytopharmaceutiques ; elle conduit à couvrir de filets nos arbres, mais aussi nos vignes, selon une préconisation formulée cet été par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui implique un coût de 500 millions d’euros pour la viticulture, en pleine crise systémique – vous apprécierez. S’y ajoute le développement des énergies renouvelables, avec le problème des éoliennes et la dégradation de nombreux paysages que regrettent des élus de territoire, mais aussi, plus récemment, le développement insuffisamment encadré de l’agrivoltaïsme, qui inquiète un grand nombre des acteurs que nous avons auditionnés.
En parallèle, la réglementation permettant aux agriculteurs de diversifier leur activité pour y inclure le tourisme demeure trop complexe. Je pense en particulier aux règles régissant l’aménagement des bâtiments agricoles à des fins d’accueil touristique, qui mériteraient certains assouplissements.
Enfin, nous manquons d’une véritable structuration de l’offre touristique liée à nos paysages. Il y a toutefois des initiatives intéressantes en ce sens. Pour la valorisation de l’agritourisme, le réseau « Bienvenue à la ferme » est un atout précieux. Différents partenariats sectoriels se sont également noués entre le tourisme et l’agriculture, par exemple entre les chambres d’agriculture et Domaines skiables de France ou la Fédération nationale de l’hôtellerie de plein air (FNHPA). Mais des efforts sont encore nécessaires, notamment pour éviter les doublons dans les actions de promotion ou encore pour améliorer la coordination au niveau interministériel en faveur du soutien à ce type de tourisme.
Notre politique touristique mérite vraiment une meilleure vision stratégique, à la hauteur de son apport déterminant à l’économie.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des oratrices et orateurs des groupes.
M. Antoine Golliot (RN). Le thème très intéressant des liens qui unissent l’agriculture et les paysages français révèle le rôle primordial de nos territoires ruraux. Quand le monde agricole est en souffrance, notre attractivité touristique est affaiblie.
Notre groupe rejoint les conclusions du rapporteur concernant les crédits de la mission Économie consacrés au tourisme.
Il faut ajouter que la délinquance et l’insécurité prennent de l’ampleur dans les zones à forte fréquentation touristique. Or, le tourisme ne peut prospérer sans un environnement rassurant pour les visiteurs. À Boulogne-sur-Mer et sur la Côte d’Opale, qui font partie des sites touristiques incontournables des Hauts-de-France, la délinquance est grandissante. Dans un récent classement des communes du littoral où elle est la plus élevée, paru dans Le Figaro, Boulogne-sur-Mer se place en cinquième position, juste derrière quatre arrondissements de Marseille.
En laissant proliférer cette délinquance, nous allons affaiblir le tourisme et les emplois et entreprises qui lui sont liés. Les acteurs touristiques ont déjà suffisamment de difficultés à surmonter pour survivre. Si nous voulons être ambitieux pour notre secteur touristique, il faut aussi nous donner les moyens de garantir un environnement sûr aux visiteurs. Les Jeux olympiques ont confirmé que le tourisme peut prospérer lorsqu’on assure un climat serein.
Les membres du groupe Rassemblement national déplorent le manque de lisibilité et d’ambition des crédits consacrés au tourisme français. Ils partagent la vive inquiétude qu’inspire au rapporteur l’annonce par le Premier ministre de la fusion entre Atout France et Business France, qui risque de pénaliser le secteur.
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Nous rappellerons à nos amis de la commission des finances qu’il est nécessaire de maintenir des crédits au niveau du ministère de l’intérieur : si nous voulons sécuriser nos sites touristiques, il nous faut pouvoir rémunérer des policiers et des gendarmes en nombre.
À Paris, la vague d’attaques subie par des touristes d’origine asiatique au cours des derniers mois a rendu cette destination beaucoup moins attractive dans cette partie du globe, alors que les visiteurs qui en proviennent effectuent généralement des séjours à très forte valeur ajoutée – c’est parfois le voyage d’une vie pour des personnes qui ont très peu de vacances. L’hôtellerie de luxe, la restauration ou la maroquinerie risquent d’être affectées par cette évolution.
Les professionnels du tourisme donnent vraiment l’alerte à propos de la dégradation de notre activité agricole : elle va nous faire perdre non seulement des exploitations, mais aussi de l’activité touristique, alors que celle-ci génère quelque 1,2 million d’emplois.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Au lendemain de la crise de la covid-19, qui a durement touché le secteur du tourisme – en 2020, seulement un tiers des chambres actuellement mises en vente ont trouvé preneur –, la France a su conserver sa position de première destination touristique mondiale, soutenue dans un premier temps par ses clientèles domestique et européenne, puis américaine, avant le retour progressif des visiteurs venus de plus loin, notamment d’Asie.
Après l’année 2023, un excellent cru en matière de fréquentation comme de recettes – qui ont dépassé de 10 % leur niveau d’avant-crise –, 2024 n’a pas déçu : la croissance a été une nouvelle fois au rendez-vous.
Les aides et subventions octroyées pendant la crise sanitaire, puis dans le cadre de la relance, ont en effet été pensées non seulement pour passer le cap de la crise, mais également pour aider le secteur à s’adapter aux nouvelles tendances touristiques et aux modes de consommation qui les accompagnent.
C’est l’esprit du plan Destination France, qui vise notamment à favoriser la montée en gamme des infrastructures touristiques – ce point faible explique en partie la décorrélation entre les performances de la France en nombre de visiteurs et les recettes qu’elle tire du tourisme international, plus faibles que celles de l’Espagne ou du Royaume-Uni, qui accueillent pourtant moins de touristes.
Certaines aides de ce plan ont rencontré un grand succès, comme les mesures visant à relancer le tourisme d’affaires, les prêts publics de long terme visant à soutenir les montées en gamme ou le fonds « Tourisme durable ».
Le plan a globalement atteint ses objectifs, ce qui justifie en partie son extinction en 2025. Toutefois, le secteur fait toujours face à des difficultés structurelles. Le secteur de l’hôtellerie et de la restauration souffre de nombreuses défaillances d’entreprises qui s’expliquent par le poids des dépenses d’énergie dans les charges d’exploitation en 2023 et par le remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) liés à la crise sanitaire – l’État a proposé des rééchelonnements sous l’égide du Médiateur du crédit. Les tensions restent vives sur le marché de l’emploi malgré la revalorisation des grilles salariales.
La feuille de route pour l’emploi des saisonniers pour la période 2023-2025 prévoyait d’ailleurs que les mesures de Destination France soient pérennisées et le nombre de guichets d’accueil et d’orientation des saisonniers augmenté – votre rapport n’en fait pas mention. Ces aides sont-elles prolongées dans le cadre des crédits pour 2025 ?
Nous regrettons par ailleurs le manque de lisibilité de ces crédits, qui empêche d’en savoir plus sur le devenir de certains d’entre eux. Dans le PLF pour 2024, au sein du fonds national de l’emploi, une enveloppe de 10 millions d’euros devait être consacrée, sur le programme 103 de la mission Travail et emploi, à la formation de dix mille demandeurs d’emploi aux métiers du tourisme. Il eût été utile de disposer d’un bilan de la mesure et de savoir si elle est reconduite dans le cadre du PLF pour 2025.
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Les crédits liés au tourisme sont en effet difficiles à pister. Ainsi, votre dernière question a davantage trait aux crédits consacrés au travail. Lors des auditions que j’ai menées, il a bien sûr été question de la difficulté à trouver des salariés dans certains secteurs, mais ce n’est pas l’objet de la ligne budgétaire sur laquelle porte mon avis. Je peux vous dire que, si l’hôtellerie de luxe rencontre peu de problèmes de recrutement, les choses sont un peu plus difficiles dans les territoires, notamment ruraux ; d’où l’intérêt de l’activité d’hébergement touristique en complément de l’activité agricole. Mais je ne suis pas en mesure de répondre aux questions très précises que vous posez.
M. Philippe Naillet (SOC). Je regrette l’effort budgétaire demandé aux opérateurs, qui jouent un rôle majeur dans l’attractivité de notre économie et le soutien à notre écosystème d’entreprises.
Les Jeux olympiques et paralympiques, parfaitement réussis – ils ont même obligé la presse anglo-saxonne à dire du bien de la France pendant plusieurs semaines ! –, ont montré nos capacités en matière d’hospitalité et de sécurité. C’est le moment ou jamais de capitaliser sur les belles images de l’été, retransmises dans le monde, pour faire la promotion de la France, dont la diversité des paysages, de Marseille à Teahupoo, a été mise en valeur.
Dans ce contexte, comment comprendre la suppression de trente-deux postes au sein d’Atout France, principal opérateur chargé de cette mission de promotion ? C’est une importante réduction de moyens pour une économie budgétaire modeste. Dans ce domaine comme dans d’autres, nous faisons des choix court-termistes pour de petites économies qui, au bout du compte, nous coûteront beaucoup plus cher qu’elles ne nous auront rapporté. Nous proposerons donc que les crédits nécessaires soient rouverts.
Dans notre pays, les enjeux touristiques sont très variés : adaptation des stations de montagne à l’évolution du climat et mutation vers un tourisme de quatre saisons, régulation de l’offre de meublés de tourisme face aux besoins de logements pérennes, préservation de sites parfois sursollicités, comme Étretat.
Voilà pourquoi il est essentiel de doter nos opérateurs publics, y compris locaux, des moyens de faire face à ces défis, alors que plus de 5 milliards d’euros d’économies sont annoncés pour les collectivités locales. Si les crédits d’Atout France devaient ne pas retrouver leur niveau de 2024, notre groupe voterait contre ce budget.
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. J’ai lu votre amendement ; il y a un malentendu. Si vous maintenez la ligne budgétaire telle qu’elle figurait dans le budget de 2024, les 32 ETPT ne seront pas supprimés. Il suffit donc d’adopter mon amendement qui tend à préserver les crédits qui étaient prévus dans le précédent budget ; ainsi, la masse salariale ne sera pas touchée.
Atout France n’a pas attendu le budget pour 2025 pour se remettre en cause. Nous avons parlé des bureaux qui fermaient partout dans le monde, une décision de gestion prise par le conseil d’administration du GIE pour réaffecter les effectifs là où il était possible de susciter un intérêt touristique pour la France.
L’amélioration de l’efficacité d’Atout France passera aussi par la maîtrise de sa masse salariale pour consacrer davantage de crédits aux opérations de promotion, a fortiori si la réduction budgétaire proposée par le Gouvernement se concrétise.
M. Jérôme Nury (DR). Le tourisme est un moteur essentiel de notre économie. En 2023, le tourisme international a généré 63,5 milliards d’euros de recettes pour notre pays. Vous pointez néanmoins plusieurs difficultés structurelles de l’économie touristique française, notamment le paradoxe qui veut que l’Espagne perçoive plus de recettes touristiques que la France alors qu’elle attire moins de touristes.
Si nous faisons le même constat, nous sommes plus réservés quant à votre analyse des crédits. Vous vous désolez de la baisse de ceux qui sont alloués à Atout France, mais si le Premier ministre a annoncé un rapprochement entre ce dernier et Business France, c’est afin de mutualiser leurs compétences pour améliorer leurs résultats. Nous devons tous sortir de nos conservatismes naturels pour être un peu plus disruptifs, donc efficaces, à des coûts moindres.
Les crédits prévus pour Atout France en 2025 vont permettre à l’opérateur de poursuivre ses activités de promotion de la destination France et de gestion de marques touristiques nationales essentielles comme Destination d’excellence ou Tourisme & handicap. Par ailleurs, une partie des crédits de l’année dernière ne sont pas reconduits puisque nous n’avons plus besoin de promouvoir l’offre touristique en vue des Jeux olympiques et paralympiques.
En ce qui concerne la partie thématique de votre rapport, il est exact que le tourisme rural n’est pas suffisamment pris en compte alors qu’il pourrait jouer un rôle clé dans le développement de nos territoires. Des paysages préservés, des chemins de randonnée fléchés, des voies vertes interconnectées, des pistes VTT tracées, de la restauration et de l’hébergement authentiques : telles sont les qualités de nos territoires ruraux.
Un sujet crucial pour la filière du tourisme est la baisse du budget que les Français consacrent aux vacances, faute de pouvoir d’achat. Selon un sondage Elabe d’août dernier, seuls 53 % des Français avaient l’intention de partir en vacances cet été, soit cinq points de moins que l’été dernier. Cette situation touche d’abord les ménages les plus fragiles. Quelles pistes envisagez-vous pour relancer la consommation touristique domestique, notamment celle de ces ménages, afin qu’ils puissent profiter d’une offre de qualité et participer ainsi à la croissance économique du secteur ?
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. En Espagne, l’État a une politique très proactive de promotion du tourisme et de tout ce qui l’environne, en particulier la viticulture. Là-bas, le vin n’est pas considéré comme une drogue ou un poison, mais comme un bien de consommation courante qu’il faut valoriser. En Italie, le chiffre d’affaires dans ce secteur progresse significativement pour les mêmes raisons.
Concernant la fusion d’Atout France et Business France, je suis d’accord pour dire que nous avons besoin de nous remettre en cause et de faire des efforts, mais je vous renvoie à la page 10 de mon rapport. On s’occupe généralement bien plus des malades que des bien-portants. Or notre balance du commerce extérieur est en déficit structurel et abyssal, et je crains que les efforts budgétaires visent davantage à résoudre ce problème qu’à promouvoir la France comme destination touristique. J’ai voulu me faire l’écho de l’angoisse des acteurs que j’ai auditionnés. Ils ne comprendraient pas, alors qu’ils consomment le minimum de crédits de l’État, que l’on diminue encore cette participation. Comment améliorer la qualité de l’offre touristique si l’on ne veut plus la financer ?
En ce qui concerne la consommation domestique, les professionnels des campings seraient prêts à développer l’offre à nouveau, à condition que le pouvoir d’achat des plus modestes suive. Voilà pourquoi ils ont demandé le maintien de certaines aides passant par les caisses d’allocations familiales (CAF).
M. Pascal Lecamp (Dem). La valorisation des paysages agricoles dans le tourisme est un angle pertinent. Des maires de ma circonscription s’inquiètent de l’impact des parcs photovoltaïques sur le potentiel touristique et les paysages de leur commune rurale.
Alors que certains responsables politiques craignaient un fiasco, les Jeux olympiques ont finalement été un succès immense, contribuant au rayonnement international de la France.
Je me réjouis également de la nomination d’une ministre déléguée à l’économie du tourisme, une première depuis 2007. Cette décision renforce la coordination et la visibilité des politiques touristiques, permettant une approche plus ciblée pour développer ce secteur clé de notre économie.
Les crédits alloués au tourisme dans le projet de loi de finances pour 2025 peuvent paraître en baisse, mais le soutien au secteur ne se limite pas aux lignes budgétaires que nous examinons aujourd’hui. Plusieurs mécanismes financiers les complètent. Ainsi, le plan Destination France, lancé en 2021 et qu’il s’agira de prolonger d’une manière ou d’une autre, avait mobilisé des fonds non seulement de l’État, mais aussi des régions et de la Banque des territoires, Bpifrance jouant également un rôle important grâce à ses financements et à ses prêts.
Si la baisse des crédits alloués à Atout France est regrettable, elle relève d’un contexte plus large de rigueur budgétaire. Il est essentiel d’accompagner l’évolution de cet opérateur, mais le projet de loi de finances ne rend pas visibles les conséquences budgétaires de la fusion avec Business France ; j’espère que le Gouvernement nous éclairera sur ce point.
L’agritourisme est crucial pour le dynamisme des territoires ruraux. L’idée d’un label unique pour cette activité est intéressante, mais comment pourrait-il s’adapter aux spécificités locales ? Nous en diriez-vous un peu plus sur le modèle italien à cet égard ? Les régions pourraient-elles utiliser le Fonds européen de développement régional (Feder) pour soutenir les agriculteurs dans leur diversification ? Certaines misent-elles déjà sur ce fonds pour favoriser l’agritourisme ?
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. J’ai rencontré les élus locaux par l’intermédiaire de l’Association nationale des élus des territoires touristiques (Anett) ; ils m’ont si bien convaincu que j’y ai adhéré, et je vous invite à faire de même.
Il n’a échappé à personne que l’agrivoltaïsme fait l’objet d’une discussion au sein des chambres d’agriculture. Le sujet est complexe : l’analyse varie en fonction des cultures concernées et des techniques de conduite de l’exploitation. Notre commission se saisira de cette question.
La création d’un poste de ministre délégué est un soulagement : nous allons peut-être avoir enfin des politiques d’État en matière de tourisme, comme en Espagne et en Italie. Cela impliquera d’assouplir certaines de nos réglementations : si nous continuons, au contraire, sur la lancée de la loi Évin, il sera très compliqué de faire la promotion de l’œnotourisme et des produits de la vigne.
M. André Chassaigne (GDR). Monsieur le rapporteur pour avis, confirmez-vous l’extinction totale du plan Destination France à la suite de la consommation de ses crédits ?
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Oui, à la fin de l’année 2024.
M. André Chassaigne (GDR). Ce plan avait notamment pour objet de soutenir financièrement sur la période 2023-2025 le départ en vacances, chaque année, de cinquante mille jeunes et cent mille seniors en situation de précarité et de favoriser l’offre de tourisme social pour les ultramarins. De manière plus structurelle, il visait également à lever les freins économiques au départ en vacances. Dans un contexte de baisse du taux de départ des Français – taux évalué dans votre rapport à 65 % en 2023, en baisse de deux points –, la question du soutien public au tourisme social et solidaire n’a rien d’anecdotique. L’Union nationale des associations de tourisme et de plein air (Unat) avance même que 40 % des Français ne partent pas faute de moyens.
Or, entre la baisse prévisible des financements aux collectivités, partenaires majeurs du secteur, l’amputation du budget de l’économie sociale et solidaire et la probable fusion de Business France et d’Atout France – des suppressions de postes sont déjà annoncées –, les acteurs du tourisme social sont légitimement inquiets. À cela s’ajoute la disparition à venir du fonds « Tourisme durable » de l’Agence de la transition écologique (Ademe), un non-sens qui risque de couper dans leur élan les démarches exemplaires conduites par les acteurs du secteur en matière de transition écologique, alors que ces travaux entraînent une réduction des dépenses de fonctionnement qui plombent les équilibres financiers de nos infrastructures.
La priorité doit être de mener à bien le travail entrepris au sein du comité de filière « Tourisme » au sujet du tourisme social. Il vise à agir sur les freins au départ, notamment par une étude des modèles économiques des acteurs de ce secteur. Les moyens identifiés comme nécessaires doivent être réellement mobilisés, ce qui ne sera pas possible sans l’appui de la puissance publique : nouvelles modalités de financement, fonds de dotation, prêts bonifiés, aide à la pierre, maintien et renforcement de l’Agence nationale pour les chèques-vacances (ANCV). Nous attendons de l’État qu’il prenne ses responsabilités en matière de droit à l’accès aux vacances pour tous, au lieu de considérer celui-ci comme un poste d’économies budgétaires alors qu’il reste tant à faire.
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Nous partageons entièrement votre analyse. Nous sommes tous nostalgiques des colonies de vacances ! Cette activité a succombé sous le poids des normes, c’est ce que m’ont expliqué les professionnels du tourisme dans les zones alpines. Aujourd’hui, dans un centre de vacances, il faut refaire les cuisines et les sanitaires tous les trois ans ou presque. C’est à cela qu’ont servi les crédits, au lieu de permettre à des populations précaires de profiter d’un temps de vacances encadré, et l’immobilier de montagne qui servait à ces colonies est maintenant revendu à la découpe pour créer des appartements destinés à la location saisonnière. Le mieux est l’ennemi du bien.
Vous le savez, ce n’est pas la modeste ligne budgétaire dont je suis chargé qui va déterminer les politiques d’accompagnement social du tourisme. En revanche, les acteurs que nous avons rencontrés, notamment du camping, ont bien souligné que si l’on tue l’offre de tourisme destinée aux personnes qui ont peu de moyens, toute une filière risque d’en pâtir.
M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). Merci encore pour votre analyse très fine. J’ai eu l’immense plaisir d’assister à l’une de vos auditions ; c’était passionnant.
Je retiens cinq éléments. Premièrement, l’importance économique et culturelle, pour ne pas dire patrimoniale, du secteur du tourisme en France. Deuxièmement, la très grande diversité des activités. Troisièmement, par conséquent, la difficulté d’un suivi comptable et économique précis de ce secteur polymorphe. Quatrièmement, une très faible dépendance directe vis-à-vis des financements publics et un retour sur investissement exceptionnel, en tout cas à l’échelle strictement sectorielle. Cinquièmement, l’importance de l’entretien et de l’amélioration de nos paysages. Les Cévennes ont tout pour ressembler aux paysages toscans ; il y manque peut-être quelques crédits et, surtout, un peu de volonté et de coordination.
Avez-vous pu effectuer une comparaison internationale pour déterminer un PIB cible du tourisme que nous pourrions viser, à la fois raisonnable et suffisamment ambitieux ? Cela permettrait d’évaluer les ressources budgétaires à mobiliser pour l’atteindre, compte tenu de l’effet de levier que vous avez évoqué.
Quel est votre point de vue sur les pistes d’évolution de la segmentation de l’offre touristique française, notamment entre la gamme moyenne et le haut de gamme ? Le ticket moyen semble varier beaucoup au sein de l’Union européenne, par exemple chez les touristes anglais ; il est beaucoup plus élevé en Espagne qu’en France. Devons-nous fixer des objectifs d’augmentation du panier moyen dans le tourisme de luxe – sans effet d’éviction des autres offres – sous la supervision d’Atout France, ou ce travail devrait-il être fait de façon subsidiaire au niveau local ?
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Vous me faites beaucoup d’honneur en me décrétant spécialiste de l’offre touristique en microéconomie ! Mon avis ne porte que sur une ligne budgétaire et m’a donné l’occasion de découvrir ce secteur.
Pour vous répondre de manière un peu schématique, donc, le PIB du tourisme est déjà élevé. Dès lors que le tourisme est considéré comme une offre globale – de paysages, d’hébergement, de gastronomie, d’événements culturels –, le territoire devient mécaniquement beaucoup plus attractif. L’audition des représentants des parcs nationaux et régionaux et des grands sites a mis en évidence la question de l’accessibilité et du stationnement, qui risque de buter sur des enjeux environnementaux. Cela soulève le problème de la gestion des flux. La clientèle touristique pourrait se concentrer dans certains lieux au détriment du reste du territoire national, qui recèle pourtant lui aussi des endroits attractifs.
Tout cela suppose donc de l’ingénierie touristique. Les crédits que nous étudions ne concernent d’ailleurs pas seulement la masse salariale d’Atout France, mais ils permettent notamment de financer des aides en faveur de cette ingénierie. L’Anjou souhaite, par exemple, développer l’œnotourisme, car c’est encore un point faible par rapport à la vallée du Rhône. Atout France va pouvoir l’y aider, car l’on sait que la clientèle étrangère, notamment anglo-saxonne, est friande de ce type de tourisme.
Pour résumer, Atout France a pour mission d’aider ceux qui ont des projets pour développer leur territoire.
M. Lecamp a évoqué la question des labels. Elle a été abordée s’agissant des meublés touristiques lors des auditions, le secteur hôtelier pouvant considérer que ces derniers constituent à certains égards une forme de concurrence déloyale. La question pourrait être prise sous l’angle de la fiscalité, celle-ci variant selon qu’il s’agit d’une activité principale ou annexe. Il serait également envisageable de faire respecter un cahier des charges aux bailleurs de meublés touristiques dont c’est l’activité principale, de manière à leur faire réaliser des investissements. Cela permettrait que ce secteur ne réalise plus des bénéfices substantiellement supérieurs à ceux de l’hôtellerie traditionnelle, dont les charges fixes annuelles sont élevées. La piste de la labellisation doit à l’évidence être creusée.
Plus généralement, des labels indiquant la qualité de l’offre touristique existent déjà. On peut peut-être les améliorer, mais il faut prendre garde à ne pas aboutir à une réglementation qui deviendrait un obstacle au développement touristique.
J’en prends pour exemple les demandes pour bénéficier du Feder. Il faut remplir un très épais dossier et tout refaire si l’on se trompe sur une ligne. Les fonds européens sont destinés à aider certaines actions de développement, mais il faut simplifier les procédures si l’on veut qu’ils soient réellement efficaces. Ce n’est pas du ressort de l’échelon national, sauf lorsqu’il s’agit de débloquer les crédits, et cela relève des régions. J’ai pu constater dans le Vaucluse que c’était anormalement long et qu’il y a toujours une excuse. Il faut donc réaliser un effort de raccourcissement des délais de versement des aides provenant du Feder.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Cela dépend aussi des règles européennes.
Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendements II-CE29 et II-CE30 de M. Hervé de Lépinau (discussion commune)
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. À partir du moment où l’on fait beaucoup avec pratiquement rien, il serait dommage de ramener ce rien à néant. C’est la raison pour laquelle l’amendement II-CE29 propose de ne pas accepter la diminution de crédits prévue dans le projet de loi de finances et de reconduire les crédits consacrés principalement à Atout France à leur niveau voté dans la loi de finances pour 2024.
J’en profite pour contester l’argument selon lequel il est nécessaire que tout le monde fasse des efforts. Compte tenu de la très grande faiblesse des crédits concernés, il est compliqué de faire encore un effort supplémentaire. En revanche, je suis favorable à une clarification, qui passe par le regroupement des différentes lignes de crédits destinés au tourisme au sein d’une même action. Nous pourrons alors reparler d’effort budgétaire.
Mais l’amendement que je vous propose est vital et il répond à la demande des acteurs du secteur touristique de reconduire à l’euro près les crédits de la précédente loi de finances.
L’amendement II-CE30 est un amendement de repli, afin de sauver ce qui peut l’être. Il vise à limiter la diminution des crédits en maintenant la subvention pour charges de service public d’Atout France grâce à un transfert de 3,8 millions d’euros.
Les dotations en question ne sont pas à l’origine du trou abyssal du budget national.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement II-CE12 de M. Laurent Lhardit
M. Philippe Naillet (SOC). Cet amendement réaliste ne demande pas grand-chose : il s’agit tout simplement d’annuler la réduction des 32 ETPT prévue par le PLF 2025 au détriment d’Atout France. L’amendement propose de rétablir les crédits permettant de financer ces postes, soit 2,14 millions d’euros.
M. Hervé de Lépinau, rapporteur pour avis. Avis défavorable.
L’amendement aborde seulement la question des ETPT, alors que le problème du budget d’Atout France est beaucoup plus large.
En outre, l’amendement ne permet pas vraiment d’atteindre votre objectif, car les dépenses de personnel d’Atout France ne figurent pas dans le titre 2 du programme mais directement dans la subvention pour charges de service public qui lui est versée.
La commission rejette l’amendement.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 16 octobre 2024 à 15 h 30
Présents. – M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Maxime Amblard, M. Karim Benbrahim, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Stéphane Buchou, M. André Chassaigne, M. Jean-Luc Fugit, M. Antoine Golliot, M. Harold Huwart, M. Maxime Laisney, Mme Marie Lebec, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Hervé de Lépinau, Mme Louise Morel, M. Philippe Naillet, M. Jérôme Nury, Mme Valérie Rossi, M. Lionel Tivoli, Mme Aurélie Trouvé, M. Jean-Pierre Vigier, M. Stéphane Vojetta, M. Frédéric Weber
Excusés. – M. Laurent Alexandre, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Christine Engrand, M. Charles Fournier, M. Robert Le Bourgeois, M. Laurent Lhardit, M. Patrice Martin, M. Nicolas Meizonnet