Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Examen de la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer (n° 522) (Mme Béatrice Bellay, rapporteure) 2
–Examen de la proposition de loi portant accélération de la rénovation énergétique des logements (n° 516) (M. Stéphane Delautrette, rapporteur) 33
Mercredi 4 décembre 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 33
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Aurélie Trouvé,
Présidente
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La commission a examiné la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer (n° 522) (Mme Béatrice Bellay, rapporteure).
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Mes chers collègues, je vous informe du report de l’audition, prévue ce matin, du président d’Auchan France et du directeur général d’Auchan Retail International, à la demande de ces derniers qui ont invoqué une contrainte internationale imprévue ce mois-ci. Nous espérons vivement les entendre prochainement. Les salariés du groupe sont d’ailleurs en train de se mobiliser à Fontenay-sous-Bois contre le plan de licenciement annoncé de 2 389 employés, qui touche des dizaines de magasins dans toute la France, c’est-à-dire dans quasiment toutes nos circonscriptions.
Notre commission est appelée à examiner deux propositions de loi en vue de la journée réservée au groupe Socialistes, prévue le 12 décembre : la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer, pour laquelle Mme Béatrice Bellay a été désignée rapporteure ; la proposition de loi portant accélération de la rénovation énergétique des logements, pour laquelle notre rapporteur est M. Stéphane Delautrette. Pour l’instant, ces propositions de loi sont inscrites respectivement en première et sixième positions à l’ordre du jour de la séance publique du 12 décembre. Nous examinerons cet après-midi une troisième proposition de loi, inscrite en quatrième position dans le cadre de cette niche, visant à lutter contre les pannes d’ascenseur non prises en charge, pour laquelle notre collègue Philippe Brun a été désigné rapporteur.
Nous commençons par la proposition de loi sur la vie chère outre-mer. J’en profite pour rappeler que notre commission est particulièrement concernée par cette question du pouvoir d’achat, préoccupation majeure, sinon première, de nos concitoyens. C’est encore plus vrai outre-mer, pour des raisons multiples sur lesquelles vous allez revenir, madame la rapporteure. Sur cette proposition de loi, notre commission est saisie de quarante‑huit amendements. Au titre de l’article 45 de la Constitution, j’ai déclaré un amendement irrecevable car il traitait de questions fiscales, alors que les articles de ce texte abordent uniquement les mécanismes de régulation des prix outre-mer.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Si l’on m’avait dit, il y a six mois, que je me tiendrais devant des députés, à l’Assemblée nationale, afin de défendre des dispositions de nature à lutter contre la vie chère dans les pays des océans, dits d’outre-mer, je ne l’aurais pas cru. Je me battais déjà tellement dans les milieux associatifs et politiques, je hurlais si fort mon indignation chaque semaine dans les médias et dans la rue, que je ne songeais à rien d’autre qu’à ce message à faire passer, à ces vies à soutenir, à ces emplois à préserver, à ces tristesses à panser, à cette faim à combler. Non, je ne pensais pas que tout ce travail de terrain, d’accompagnement et d’éclairage politique m’aurait emmenée ici, au nom des Martiniquaises et des Martiniquais. « Ba pèp mwen, mwen ka di zot ankò mèsi pou konfyans zot ! Mwen péké désité zot » : je remercie le peuple de sa confiance et ne le décevrai pas. Malgré les découragements et les grandes frustrations que procure la vie parlementaire, malgré les luttes parfois vaines, je me rends compte chaque jour davantage que nous jouons un rôle majeur et indéniable dans le quotidien de nos compatriotes. Ce que la nature humaine ne peut parfois pas générer de façon spontanée – la bienveillance, la protection, les sécurités –, c’est à nous qu’il revient de l’organiser.
Il y a quelques semaines encore, nous entendions dire par certains que la situation dans les pays des océans, singulièrement en Martinique, était conjoncturelle. Pourtant, les gouvernements se font et se défont, les ministres s’enchaînent, les mesures s’imposent et se dissipent, mais une chose demeure : l’insoutenable cherté de la vie.
La vie chère persiste parce que nos économies sont captives, enfermées dans des structures où un petit nombre d’acteurs dominent les marchés, libres d’agir, souvent au détriment de l’intérêt de la population et d’une concurrence équitable et loyale. La vie chère persiste parce que les eaux qui entourent les territoires ultramarins continuent à être perçues comme des barrières infranchissables, comme s’il n’existait que les seules voies de passage dessinées par le temps des colonies. La vie chère persiste parce que l’État n’a toujours pas décolonisé sa vision économique et stratégique de ces territoires ni décidé de participer pleinement à leur progrès social et à leur développement. En somme, la cherté insoutenable de la vie dans les pays des océans est le fruit d’un modèle archaïque qui maintient nos populations dans une précarité qui ne choque pas trop Paris. Ce modèle archaïque, il nous faut urgemment le changer et l’adapter à nos réalités.
Le constat et la colère de la population, je les partage en tant que militante et femme politique, mais aussi et surtout en tant que Martiniquaise. Je suis nourrie d’un idéal qui s’est structuré par des années de militantisme en Seine-Saint-Denis où j’ai grandi, puis en Martinique, mon petit pays. C’est avec cet héritage que j’ai défendu, avec d’autres, le blocage des prix et le renforcement du bouclier qualité-prix (BQP) dans les outre-mer. C’est pour cela aussi que, dès le début des mobilisations, j’ai soutenu le mouvement populaire qui s’est engagé en Martinique. J’ai été aux côtés de mes compatriotes partout où je l’ai jugé utile. Aujourd’hui, c’est ici que je le suis.
Pour mes premiers pas à l’Assemblée nationale, j’ai prolongé nos revendications en interpellant le Premier ministre et le ministre chargé des outre-mer à plusieurs reprises. C’est même avec beaucoup d’émotion, d’indignation et de détermination que j’ai posé ma première question au Gouvernement sur ce sujet. Ensuite, pendant des heures de débats houleux sur les textes budgétaires, j’ai poursuivi mon engagement en défendant avec sérieux et gravité des amendements qui visaient à assurer la dignité des habitants des pays des océans, à éviter la casse des services publics, à créer une véritable continuité territoriale, à réinvestir dans l’hôpital, à préserver le pouvoir d’achat, à développer nos territoires. Ce combat contre la vie chère et la pauvreté qui fragilisent les familles, c’est mon combat de longue date. Comme le pensait l’anthropologue américaine Margaret Mead, la misère n’est pas une fatalité, mais une honte pour la société qui la tolère.
Cette proposition de loi est une nouvelle étape pour nos différents territoires, un nouveau cycle d’actions politique et économique pour ces confettis de l’empire où, trop souvent, le « dernier kilomètre » de l’action publique – selon l’expression du Conseil d’État – peine à être assuré. Elle doit être efficace et effective.
Il est ressorti des auditions nombreuses et denses auxquelles j’ai pu procéder que le BQP ne répond pas aux besoins des ménages, qui subissent dès le début du mois la cherté des produits, que les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) sont des outils d’information essentiels mais inefficaces, en raison d’un manque de moyens humains, financiers et juridiques, et que la dépendance financière et logistique de ces organismes à l’égard des services préfectoraux limite leur capacité d’action. Il nous est apparu urgent de renforcer les outils de surveillance pour garantir une transparence accrue dans la chaîne de valeur, notamment pour analyser les marges arrières, mais aussi de généraliser à l’ensemble des secteurs l’abaissement des seuils de notification des opérations de concentration dans nos territoires, aux réalités économiques complexes.
Ce travail, ces auditions et ces réflexions, je les ai voulus collectifs en y associant tous mes collègues, en particulier ceux de la délégation aux outre-mer : c’est l’unité qui nous permettra d’avancer et de relever ces défis immenses. Nos 2,8 millions de compatriotes ne méritent pas moins que cette unité fraternelle et de travail au sein de l’Assemblée nationale. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être dissipés ou enfermés dans des postures égocentriques. Nous devons continuer à travailler à des solutions communes, même lorsque nous considérons que certains dispositifs ne vont pas assez loin.
Cette proposition de loi est un nouvel acte, une nouvelle pierre apportée à l’édifice. Elle s’inscrit dans une continuité historique qu’il faut rappeler pour que chacune et chacun prenne conscience que la vie chère est structurelle et non conjoncturelle, qu’elle révèle un problème d’orientation économique plus profond.
En 2009, après quarante jours de grève en Martinique et en Guadeloupe, un « relevé de décisions » avait été arraché, posant les bases d’un premier combat contre la vie chère. En 2012, il y eut la loi défendue par Victorin Lurel qui instaurait le bouclier qualité-prix. En 2017, il y eut les accords de Guyane, dits « Pou Lagwiyann dékolé » (Sauvons la Guyane). Plus récemment, il y eut la commission d’enquête sur le coût de la vie outre-mer, menée par notre ancien collègue Johnny Hajjar en 2023.
Bon nombre de ces travaux et mesures sont le fruit de l’engagement du groupe Socialistes, qui ne rechigne jamais à présenter des propositions de loi pour nos territoires. Je tiens à remercier tous mes collègues pour leur soutien, leur considération et leur engagement contre la précarité et les sentiments d’injustice, d’exclusion et de déclassement de nos populations.
Ce texte ne résout évidemment pas tous les problèmes – nous ne sommes pas dans la majorité – mais il s’inscrit dans la continuité des actions des membres de notre groupe. Il répond à une double exigence : soulager immédiatement les ménages et poser les bases d’un modèle économique plus équitable et durable.
Conscients des facteurs structurels tels que l’insularité, la dépendance construite aux importations et les structures de marché oligopolistiques, nous proposons quatre mesures : l’élargissement du bouclier qualité-prix ; le renforcement des sanctions à l’encontre des entreprises qui refusent la transparence sur leurs marges et pratiques en ne publiant pas leurs comptes ; la baisse des seuils de contrôle des concentrations économiques, afin de briser les monopoles qui étranglent les marchés ; des moyens accrus pour les observatoires des prix, des marges et des revenus afin de leur permettre d’exercer un contrôle plus rigoureux et de mieux protéger les consommateurs.
Nous ne voulons pas que nos pays des océans soient plus longtemps captifs d’un modèle économique et social hérité de l’époque des colonies, où ces territoires n’avaient vocation qu’à servir la métropole et à ne s’alimenter que du marché métropolitain. Cette proposition de loi vise à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère, qui nous permettront d’élargir notre réflexion pour parvenir à une paix sociale durable, à un développement territorial et économique, à la valorisation des initiatives économiques locales et à l’émancipation humaine et sociale des populations habitant ces territoires de la République.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Merci, madame la rapporteure, pour votre engagement dans ce domaine. Nous en venons aux orateurs des groupes.
M. Joseph Rivière (RN). En démocratie, c’est le peuple qui commande et qui décide ; en économie, c’est la demande qui dicte l’offre. La vie chère imposée aux consommateurs, donc aux citoyens, des outre-mer s’explique par l’opacité des prix conjuguée à la situation de monopole de certaines entreprises.
Commençons par l’opacité des prix. Comme mes collègues du Rassemblement national, je pense qu’il faut redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, d’où mes amendements concernant la place de l’observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) à la table des négociations. Vous devriez vous en réjouir, chers collègues de la gauche, car l’OPMR est composé de citoyens de toute sorte, dont beaucoup votent pour vous. L’essentiel est que cette instance a fait ses preuves. En tant qu’être doué de rationalité, le consommateur de l’Hexagone fait généralement le meilleur choix quand il le peut. En outre-mer, nous n’avons pas le choix d’agir en toute rationalité, nous nous décidons par dépit.
En ce qui concerne les situations de monopole, certains les expliquent par la taille trop réduite de nos marchés, tandis que d’autres répètent à l’envi leur litanie sur les économies ultramarines qui seraient sous perfusion d’argent public. Pourrait-on convenir que les outre-mer sont la France ? Pourrait-on admettre que les grosses entreprises ont très bien compris qu’elles pouvaient tirer parti de l’imbroglio en constituant des quasi-monopoles de fait et en dictant la conduite à tenir ? Tout le monde se renvoie la balle, puis on fera semblant de découvrir la question de la vie chère après une émeute rapidement balayée par des gaz lacrymogènes.
Cette proposition de loi du groupe Socialistes est un moindre mal, eu égard à tous les leviers constitutionnels dont ce groupe a disposé en 2012 sans en faire le moindre usage au bénéfice du peuple. Compte tenu de l’urgence pour notre peuple français d’outre-mer, le groupe Rassemblement national votera certaines dispositions et proposera des amendements sur d’autres. Je n’en appelle pas à l’unité, à laquelle personne ne croit, ni à l’union, dont le temps n’est pas venu, mais à un bon sens paysan qui a traversé notre histoire et nos océans pour arriver jusqu’à nous.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Nous devons avoir une unité de vues et partager le constat de la précarité dont souffrent malheureusement certains de nos territoires. Personne ne peut dire que les constats faits et refaits sont biaisés : entre 30 % et 40 % des habitants de nos territoires vivent au-dessous du seuil de pauvreté national. Ils méritent un engagement objectif, ce qui est le but de cette proposition de loi.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). La vie chère est en effet une réalité insupportable pour nos compatriotes ultramarins. Une enquête de l’Insee montre que non seulement les prix sont plus élevés outre-mer que dans l’Hexagone, mais que l’écart se creuse chaque année.
Dans son rapport, notre ancien collègue Johnny Hajjar avait identifié diverses causes de ce phénomène, car l’éloignement et l’insularité n’expliquent pas tout. Ces territoires importent la quasi-totalité de leurs céréales et une partie importante de leur viande. Au bout de la chaîne d’importation, le prix des produits est naturellement renchéri par le fret maritime, les contraintes logistiques liées au transport de produits alimentaires et, pour certains territoires, l’octroi de mer. En aval de la chaîne de distribution, l’existence de monopoles ou d’oligopoles de fait dans les territoires ultramarins ne peut être contestée, trois ou quatre groupes se partageant le marché dans chaque secteur donné. En Polynésie française, quatre groupes de la grande distribution possèdent la quasi-totalité du marché. Cette réalité existe dans d’autres secteurs clés des économies ultramarines, tel le fret maritime où l’entreprise CMA CGM détient 62 % des parts de marché en Martinique.
Dans ce contexte, l’opacité du fonctionnement des marchés et le risque d’entente entre acteurs joue en faveur de la hausse des prix. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’article 2, qui renforce les obligations de publication des comptes pour les entreprises, ainsi qu’à l’article 3, qui vise à abaisser les seuils de contrôle des concentrations outre-mer à 5 millions d’euros (M€) dans tous les domaines d’activité économique. Je note toutefois qu’il ne concerne pas les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et la Polynésie française.
En revanche, au nom de mon groupe, j’émets de fortes réserves sur l’article 1er, qui permettrait au préfet de bloquer les prix outre-mer au niveau de ceux observés dans l’Hexagone. Une telle mesure nous semble dangereuse sur un marché opaque, où l’économie informelle est déjà très développée et elle ferait même courir des risques de pénurie. En outre, comme l’ont montré les auditions, la contractualisation dans le cadre du bouclier qualité-prix relevant d’une démarche volontaire, la fixation d’un prix bloqué trop bas pourrait inciter les industriels et distributeurs à en sortir, ce qui aurait des effets contre-productifs.
Enfin, nous regrettons que votre proposition de loi n’aborde pas le sujet de l’octroi de mer. Lors des auditions conduites par notre ancien collègue Hajjar dans le cadre de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les outre-mer, tous les auditionnés ont souligné l’effet inflationniste de l’octroi de mer sur les prix ainsi que l’opacité de cette taxe.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Vous avez mentionné l’éloignement au nombre des facteurs incriminés dans la cherté de la vie outre-mer. Lors de futurs travaux, il faudra réfléchir à l’une de nos demandes restées vaines : pouvoir commercer avec les pays de notre zone géographique – la Caraïbe, l’Amérique du Sud ou l’Amérique du Nord – après avoir fixé des normes. Les difficultés d’approvisionnement tiennent aussi au fait que toutes nos importations doivent traverser l’océan. Quant à l’octroi de mer, nous prônons le rajeunissement de cet outil fiscal nécessaire. Il s’agit de le rendre plus dynamique afin qu’il offre aux collectivités les moyens de stimuler notre économie locale, au lieu de servir à la mise en place de rentes par ses bénéficiaires.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). S’il n’est pas nouveau, ce sujet reste d’actualité et primordial pour les ultramarins. Nos peuples se souviennent du grand mouvement suscité par les collectifs Cospar et LKP en 2009, au cours duquel les gens et les forces vives se sont mobilisés durant plusieurs semaines afin d’arracher des mesures immédiates contre la cherté de la vie. Nombreux sont ceux, notamment à La Réunion, qui se souviennent de la prime obtenue par le Cospar et de la liste qu’il avait dressée pour imposer aux grandes surfaces des baisses de prix significatives sur les produits de première nécessité – l’ancêtre du bouclier qualité-prix, en quelque sorte. Tout cela, c’est du passé.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Nos territoires continuent de s’embraser du fait d’un coût de la vie qui est supérieur de 19 % à 38 % à celui de l’Hexagone. Les chiffres que nous répétons depuis des lustres montrent ce que nous savons tous : la cherté de la vie s’aggrave et les gens n’en peuvent plus. Croyez-moi, les vrais experts sont les familles, les ménages, les consommateurs, ceux qui ouvrent un porte-monnaie de plus en plus vide pour payer. Ce ne sont pas les initiatives, mais les résultats qui manquent. Alors que des solutions concrètes existent, la volonté politique fait défaut, pour ne pas dire que le pouvoir continue à autoriser les abus sur nos territoires.
La proposition de loi vise plusieurs objectifs : actualiser le bouclier qualité-prix ; donner plus d’importance à l’observatoire des prix, des marges et des revenus ; instaurer plus de transparence des prix ; limiter les concentrations ; et durcir les sanctions. Ce texte, qui suscite beaucoup d’attentes et d’espoir, mérite d’être amélioré afin d’être à la hauteur des revendications de nos pays d’outre-mer. Lors de nos débats de ce matin, je souhaite qu’aucun député ne fasse faux bond. Nos populations en ont assez des paroles, des colloques, des assises et des rapports : elles veulent de quoi se nourrir, s’habiller, se soigner, se loger et payer leurs factures, c’est-à-dire vivre dignement.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Notre collègue a rappelé différents moments qui ont montré l’importance de la mobilisation de la population, même s’ils la mettent aussi en difficulté et illustrent le poids de la misère. Les épisodes graves se sont succédé depuis 2009 – le dernier, que vous avez pu suivre sur vos écrans de télévision, s’étant déroulé en Martinique. Il est temps de cesser le saupoudrage, d’apporter des réponses concrètes et de construire de vrais projets de développement pour ce qui ressemble encore trop à des confettis de la République – ou de l’empire.
M. Jiovanny William (SOC). Nous, ultramarins élus pour cette 17e législature, sommes nés au sein de territoires dont le système économique est sclérosé par la cherté de la vie. Depuis notre naissance, on nous a habitués à surveiller les prix, guetter les promotions, acheter en gros et remplir nos valises de courses lors des retours de vacances. Nous vivons dans un perpétuel « système D », comme si l’histoire de la domination économique était une fatalité.
Alors, je le dis haut et fort : la France a sa part de responsabilité dans ce statu quo, puisqu’elle n’a jamais elle-même tenté d’instaurer un équilibre et que les mesures ont toujours été arrachées par des mouvements sociaux d’ampleur. La dernière loi en date, celle de notre collègue sénateur Victorin Lurel, a été adoptée le 20 novembre 2012. D’un gouvernement à l’autre, il semble normal que les ultramarins restent ainsi appauvris et consacrent une part substantielle de leur salaire à s’alimenter.
Cette proposition de loi est un texte d’urgence et nous avons le devoir d’intervenir sur d’autres champs de la vie chère. À titre personnel, je prendrai l’exemple de l’interdiction de la pratique du yield management, qui consiste à spéculer sur les prix des billets d’avion en fonction du flux de recherche. Nous devons repenser nos filières productives alimentaires, car le modèle économique hexagonal appliqué à nos territoires n’est plus viable pour nos populations – s’il l’a jamais été. Nous avons l’ambition d’engager un vaste chantier, pour sortir de cette logique du panier de la ménagère et du bouclier qualité-prix.
Pour l’heure, nous traitons de l’urgence par le biais de ce texte. Nous voulons rendre obligatoire la fixation de prix similaires à ceux de l’Hexagone pour tous les produits de première nécessité du bouclier qualité-prix, dans un premier temps. Nous voulons sanctionner plus durement les grands groupes qui ne publieraient pas leurs comptes, afin de les contraindre à la publicité. Nous voulons renforcer le contrôle des rachats et fusions de sociétés dans tous les domaines, afin de lutter contre les concentrations. Enfin, nous voulons soumettre à autorisation préalable tout projet de création de commerce de plus de trois cents mètres carrés. Ce faisant, nous voulons préserver le pouvoir d’achat de nos compatriotes, garantir la liberté d’entreprendre et de réussir de nos entrepreneurs, et assurer une meilleure gestion du foncier disponible.
Ce n’est qu’une étape vers le rétablissement d’une justice économique et sociale outre-mer, mais je vous invite à voter pour ce texte, comme je vais le faire moi-même.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Merci, cher collègue et compatriote martiniquais. En ce moment, nous vivons une situation particulière, car il y a quelque chose d’insoutenable dans ce que vivent nos populations et la tension sociale que cela provoque. Nos compatriotes attendent beaucoup de nous et de nos décisions. J’espère que nous saurons tous être à la hauteur de ces attentes.
M. Jean-Pierre Vigier (DR). Nous devons apporter une réponse adéquate à nos compatriotes ultramarins. L’article 1er de cette proposition de loi vise à rendre les prix pratiqués outre-mer équivalents à ceux pratiqués dans l’Hexagone pour les produits figurant dans une liste élargie, ce qui soulève des interrogations importantes. Comment les entreprises absorberont-elles ces coûts ? Comment appliquer concrètement une telle mesure ? La cherté de la vie dans les territoires d’outre-mer est un phénomène complexe et multifactoriel, comme l’illustre le cas de la Martinique dont l’autonomie alimentaire n’est que de 20 %.
Le bouclier qualité-prix, qui permet de modérer le coût global d’un panier de produits de consommation courante, offre déjà une solution alternative et pragmatique à la régulation directe des prix. En outre, le préfet peut intervenir pour réguler les prix en cas de dysfonctionnement grave et persistant du marché. À notre sens, stimuler la concurrence reste et restera le meilleur moyen de maîtriser le coût de la vie. Cela passe aussi par une régulation des surcoûts liés au transport et par un encadrement des pratiques de fixation des prix sur les marchés en situation de monopole ou d’oligopole. À cet égard, les articles 2 et 3 de la proposition de loi vont dans la bonne direction, notamment la mesure visant à adapter les règles de concurrence aux entreprises ultramarines, même si l’abaissement de 15 M€ à 5 M€ du seuil de chiffre d’affaires à partir duquel il faut notifier une concentration dans le secteur du commerce de détail semble excessif. En l’état actuel du texte, le groupe Droite républicaine a décidé de s’abstenir.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Il me semble nécessaire d’apporter quelques éléments d’éclairage sur le bouclier qualité-prix, qui donne déjà la possibilité aux préfets de fixer les prix. Au cours de nos auditions, il est apparu qu’aucun des préfets n’avait eu recours à cette fixation de prix autoritaire parce qu’il y avait eu une négociation. Il faut faire confiance à la négociation, mais il faut aussi tirer les enseignements de nos auditions au cours desquelles nous avons constaté que toutes les marges de manœuvre n’avaient pas été utilisées concernant les distributeurs. Nous ne sommes pas dans l’abus ni contre le commerce, mais nous souhaitons réguler une situation qui met nos compatriotes dans la misère.
M. Steevy Gustave (EcoS). Ma prise de parole se veut le cri du cœur des outre-mer, plus particulièrement de la Martinique, l’île de mon père, où l’injustice n’est pas seulement vécue mais subie dans le silence de l’oubli.
Plus qu’un sujet économique, la vie chère outre-mer est une question de justice sociale et de dignité humaine pour les familles de travailleurs et les jeunes qui subissent chaque jour un écart de prix injustifiable sur les produits essentiels. Comment justifier que les prix alimentaires soient jusqu’à 40 % plus élevés dans ces territoires qu’en métropole, alors que les revenus y sont très inférieurs ? Cette réalité engendre un sentiment profond d’injustice, une frustration légitime. Cet écart n’est pas une fatalité, mais le résultat d’un système dévoyé où la dépendance aux importations et l’abus de position dominante de certains grands groupes économiques maintient une emprise insoutenable. Même l’Autorité de la concurrence a dénoncé ces monopoles qui écrasent la compétitivité locale et privent les ultramarins de leur droit fondamental à accéder équitablement aux biens essentiels.
Au-delà des chiffres, nous parlons de vies marquées par des crises multiples comme celle du chlordécone, qui empoisonne les terres et les corps depuis des décennies, ou encore celle de l’eau, qui prive des milliers de familles d’un droit pourtant universel. Loin d’être des accidents, ces catastrophes sont les symptômes d’un abandon, d’une fracture historique qui nous éloignent chaque jour davantage des principes républicains. Et que dire de la santé ? Les outre-mer enregistrent des taux alarmants de maladies telles que le diabète, symbole cruel d’inégalités sociales et d’un système de santé insuffisant. Chaque inégalité devient une plaie ouverte et chaque silence, une trahison.
Les révoltes qui secouent régulièrement ces territoires ne sont pas de simples éclats, mais l’expression d’une détresse profonde, d’une colère légitime face à des promesses d’égalité non tenues. Nos concitoyens ultramarins ne demandent rien d’autre que ce qui leur revient de droit : une égalité réelle dans l’accès aux biens et services et face aux possibilités économiques. Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur cette fracture. Première étape, cette proposition de loi doit être le début d’une révolution, d’un changement structurel aboutissant à une situation où la concentration économique sera régulée, les prix seront maîtrisés et les ultramarins retrouveront leur dignité volée.
L’injustice sociale outre-mer n’est pas une question marginale. Elle nous concerne tous, car elle interpelle l’âme de notre République. Il est temps de réparer les terres empoisonnées, les corps malades, les infrastructures abandonnées et surtout les vies brisées. Plus qu’un devoir, donner une vie digne aux ultramarins est un impératif républicain. Entendons leurs cris, faisons de leur combat notre combat, pour que plus jamais aucun citoyen français, où qu’il vive, ne soit laissé-pour-compte. Rappelons-nous Édouard Glissant : l’égalité n’est pas un droit, c’est un préalable.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Merci d’avoir rappelé quelles sont les conséquences de la misère sur la santé, la cohésion sociale et, parfois, la solidarité.
Le temps est trop contraint pour étudier un grand projet pour les pays des océans, mais nous souhaitons faire un premier pas avec cette proposition. Nous ne manquerons toutefois pas de batailler chaque fois que cela sera nécessaire et j’espère que nous trouverons beaucoup de nos collègues et de nos compatriotes à nos côtés.
Mme Maud Petit (Dem). La cherté de la vie outre-mer est actuellement médiatisée du fait des incidents intervenus depuis septembre en Martinique. Pourtant, c’est un problème récurrent, enraciné dans des inégalités structurelles profondes – territoriales, économiques et sociales. Il exaspère les populations concernées, car les prix à la consommation outre-mer sont largement supérieurs à ceux pratiqués dans l’Hexagone : un paquet de coquillettes est vendu 138 % plus cher et le café soluble, 150 %. En 2015, les produits alimentaires étaient 45 % plus chers en Guyane. Ces écarts scandaleux soulignent combien il est urgent d’agir.
Comment s’expliquent ces différences de prix ? Par les effets cumulés de l’insularité, de l’éloignement, de l’étroitesse des marchés, de la dépendance logique aux importations et de leur taxation spécifique. En outre, les chaînes d’approvisionnement sont éclatées, avec quatorze intermédiaires quand il n’y en a parfois que trois dans l’Hexagone. Enfin, la structure monopolistique des marchés exacerbe les problèmes. Il appartient à l’État de travailler à une véritable continuité territoriale, afin de réduire ces déséquilibres et de garantir une réelle égalité dans nos territoires.
Sur le fond, ce texte présente des mesures intéressantes mais dont l’efficacité est inégale.
L’article 1er, qui prévoit de renforcer le bouclier qualité-prix, souffre d’un défaut fondamental : aligner par la contrainte les prix outre-mer sur les prix les plus bas dans l’Hexagone sans tenir compte des spécificités liées à l’éloignement risque d’être contre-productif. Deux écueils peuvent se présenter : une augmentation des marges sur d’autres produits ou, pire encore, le retrait des distributeurs du dispositif.
Les articles 2 et 3 sont plus efficaces. Ils renforcent les sanctions en cas de non‑publication des comptes par les sociétés et abaissent le seuil de contrôle des concentrations économiques. Ce sont des leviers concrets pour briser des positions dominantes et encourager une concurrence bénéfique.
Je m’interroge sur la portée de l’article 2. L’article L. 123-5-2 du code de commerce, tel que l’a modifié la loi Egalim à l’initiative de notre collègue Richard Ramos, concerne l’ensemble du territoire français. L’astreinte de 1 % du chiffre d’affaires mondial pourrait dès lors s’appliquer à de nombreux groupes qui n’ont pas d’intérêts outre-mer, sans pour autant concerner les distributeurs ultramarins, qui ne sont pas tous des multinationales.
Enfin, je relève une contradiction dans les objectifs du texte : il prévoit de limiter les abus et de stimuler la concurrence, mais généralise le blocage des prix. Il ne faudrait pas dissuader l’arrivée de nouveaux acteurs économiques.
Notre groupe soutient cette initiative qui concerne des problèmes cruciaux pour nos compatriotes ultramarins. Mais nous souhaitons apporter quelques modifications au texte, afin qu’il soit opérationnel et à la hauteur des attentes.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Il s’agit de nous armer avec de nouveaux outils pour faire face au contexte qui résulte de l’application des principes de liberté d’entreprendre et de fixation des prix dans des marchés captifs, notamment du fait de l’insularité. Il est donc nécessaire de prévoir des mesures de contrainte réglementaires et c’est ce qu’essaye de faire cette proposition de loi.
Je tiens à vous rassurer sur la rédaction de l’article 2, puisque je propose un amendement de réécriture.
Le bouclier qualité-prix résulte d’une convention auxquelles les entreprises adhèrent librement. Mais, encore une fois, certaines d’entre elles contrôlent près de 50 % du marché avec, en général, un taux de marge réel de 3 % alors qu’il est de 1 % dans l’Hexagone pour ces mêmes entreprises. Il existe donc bien des marges de négociation.
D’autres outils que nous allons vous présenter, comme le « name and shame » ont vocation à inciter les entreprises à mieux agir.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Lors de la précédente législature, notre commission avait créé un groupe de suivi de l’inflation, dont notre collègue Xavier Albertini et moi-même étions les rapporteurs. Nous avions souhaité étendre nos travaux aux outre-mer. Il faudra les poursuivre d’une manière ou d’une autre, car cette question est essentielle.
M. Xavier Albertini (HOR). Cette proposition entend répondre à la situation économique préoccupante du pouvoir d’achat dans les territoires ultramarins. Certains d’entre eux sont en effet fragiles, tant sur le plan social et sanitaire qu’économique. Depuis 2017, cette situation a amené les différents gouvernements à proposer des politiques publiques dites « de convergence », destinées à assurer une plus grande égalité avec l’Hexagone – qu’il s’agisse du « réflexe outre-mer » ou de l’« Oudinot du pouvoir d’achat ».
Votre proposition prévoit de renforcer cette action en faisant monter en puissance le fameux « bouclier qualité-prix », afin qu’il s’applique à davantage de produits et permette de ramener les prix à un niveau comparable à ceux pratiqués dans l’Hexagone.
Si nous partageons naturellement cette volonté de modération des prix, nous ne pouvons toutefois pas faire abstraction de l’ensemble des facteurs qui participent au renchérissement des prix dans les territoires d’outre-mer.
Au premier rang, figure la dépendance aux importations en provenance de l’Hexagone et d’Europe, qui entraîne des surcoûts. Ces derniers sont accrus par le nombre des intermédiaires ainsi que par la fiscalité, notamment du fait de l’octroi de mer. Il faut y ajouter l’étroitesse du marché intérieur et la faiblesse des productions locales, qui entraînent une concurrence réduite et la consolidation des oligopoles et monopoles historiques. Nous devons nous attaquer en priorité à toutes ces causes de la situation actuelle.
Toutefois, si l’on fixait unilatéralement certains prix au niveau de ceux pratiqués dans l’Hexagone, ils pourraient être largement inférieurs aux coûts réels liés à l’éloignement, à la rémunération de la chaîne d’approvisionnement et à la fiscalité. Cela ferait courir un risque de pénurie si, in fine, les ventes aboutissaient à des pertes. Notre groupe s’opposera à l’article 1er, car il craint que ce dernier ait un effet contre-productif.
L’article 2 propose de renforcer les sanctions en cas de non-publication des comptes des sociétés, afin de garantir une plus grande transparence et de lutter contre les phénomènes de rente et de captation de la valeur. Quant à l’article 3, il prévoit d’adapter les règles de la concurrence aux spécificités ultramarines, en abaissant les seuils de contrôle de concentration à 5 M€ pour toutes les activités économiques et en rendant obligatoire l’autorisation d’exploitation commerciale pour tout projet de création ou d’extension d’un magasin de commerce de détail d’une surface de vente supérieure à trois cents mètres carrés, afin de tenir compte de l’accès limité au foncier dans ces territoires.
Il s’agit de mesures utiles pour renforcer la concurrence et lutter contre les abus de position dominante ou de captation de la valeur. Le groupe Horizons et Indépendants soutiendra donc ces deux articles.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Merci, cher collègue insulaire. J’espère que tous ceux qui déplorent les conséquences de l’éloignement seront présents lorsqu’il s’agira de demander, comme pour la Corse, la continuité territoriale et de voter les quelques milliards d’euros nécessaires pour l’assurer, notamment en ce qui concerne le transport de marchandises.
Puisque nous n’en sommes pas encore là, nous pouvons nous appuyer sur les conclusions de la commission d’enquête sur le coût de la vie outre-mer, publiées en 2023, ainsi que sur les dernières auditions, qui montrent qu’il existe des possibilités de négociation avec les distributeurs. Une fois encore, leurs marges nettes sont en général de 3 %, alors qu’elles sont de 1 % à 1,5 % dans l’Hexagone pour Carrefour ou Leclerc.
Jusqu’à présent, aucun préfet n’a fixé les prix de manière autoritaire et nous pensons que la négociation peut ramener les marges à une moyenne acceptable.
M. Frédéric Maillot (GDR). J’ai tout d’abord une pensée pour le peuple martiniquais, et en particulier pour les militants Aude, Rodrigue et Gladys, qui ont subi une répression coloniale. Si l’on parle aujourd’hui de la cherté de la vie, c’est grâce à eux.
L’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’Homme dispose que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires (…). ». Je ne doute pas que les pays d’outre-mer font partie de l’Univers, mais suis dubitatif sur le respect de nos droits.
S’il fallait donner un titre à cette discussion générale, cela pourrait être : « Pourquoi nous ? » Pourquoi a-t-on décidé de nous jeter un sort d’injustice ? Qui a décidé que, parmi tous les Français, c’est nous qui allions pour toujours subir la cherté de la vie ? Qui a décidé que les peuples d’outre-mer allaient payer plus cher pour se nourrir, se soigner et se déplacer ?
Il n’est pas question de quémander, mais d’obtenir l’égalité. La misère ne se gère pas, elle se combat. Il nous faut donc combattre les grands groupes, souvent en situation de monopole et dont l’appétit pantagruélique est issu de l’époque coloniale. Ceux qui maniaient autrefois le fouet tiennent désormais le fouet économique et ils frappent toujours aussi fort. Non, la misère n’est pas moins pénible au soleil.
Faisons peuple pour abolir l’injustice de la cherté de la vie dans les pays d’outre-mer afin que nous, Réunionnais, Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais, Mahorais et tous les peuples d’outre-mer, nous ne soyons plus le paillasson sur lequel les grands groupes assouvissent leur appétit.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Cher camarade, je salue toutes les actions militantes menées depuis un certain nombre d’années. Celles conduites récemment ont bien entendu renforcé notre mobilisation pour nous occuper de nos compatriotes.
Dès juin dernier, le programme du Nouveau Front populaire prévoyait de renforcer le bouclier qualité-prix et de bloquer les prix, singulièrement outre-mer. Nous avons fait cette promesse et nous souhaitons la tenir avec cette proposition. J’espère qu’elle sera largement adoptée, afin qu’elle produise ses effets le plus rapidement possible.
M. Max Mathiasin (LIOT). Les gouvernements successifs n’ont pas su ou pas voulu traiter les difficultés des outre-mer. Je n’étais pas dupe lors des débats sur la loi de programmation relative à l’égalité « réelle » outre-mer : il faut se méfier de l’adjectif, car l’égalité, c’est l’égalité.
Depuis des années, nous alertons sur le niveau trop élevé du coût de la vie outre-mer. La colère y explose régulièrement avec, pour derniers exemples en date, les manifestations en Martinique, tandis qu’à Mayotte les gens ont du mal à accéder aux soins essentiels.
Nous savons bien que ni l’insularité, ni l’isolement ni même l’étroitesse des marchés ne suffisent à justifier les écarts de prix constatés avec l’Hexagone, lesquels vont jusqu’à 40 % pour les produits alimentaires – et je ne parle même pas des pièces d’automobile.
Le problème est celui du modèle économique dans son ensemble qui, n’ayons pas peur de le dire, n’a pas changé depuis l’époque esclavagiste. Il faut le casser, car il entraîne des surcoûts. Ceux-ci sont liés aux importations, mais aussi à la concentration des principaux importateurs et distributeurs, à la taille des marchés locaux, à la fiscalité locale assise sur les importations, au manque d’emplois locaux, à la faiblesse des revenus ou encore à l’insuffisance de la production locale.
Mais il existe aussi un facteur plus pernicieux : les marges réalisées par les grands propriétaires fonciers, qui détiennent les capitaux et ont su créer un système où ils font preuve d’une grande solidarité entre eux.
La proposition de loi permet d’apporter une partie des réponses à cette crise complexe, en s’attaquant aux problèmes liés à la concentration et au manque de transparence de ces entreprises. Ainsi, le groupe Bernard Hayot n’a pas publié ses comptes et fait obstruction aux Martiniquais qui souhaitent y accéder. Certains acteurs manquent de transparence et font preuve de mauvaise volonté.
Le même constat peut être fait s’agissant des oligopoles. C’est la raison pour laquelle l’article 3 propose de baisser le seuil de contrôle des concentrations outre-mer et rend obligatoire d’obtenir une autorisation d’exploitation commerciale pour la plupart des projets de création ou d’extension d’un commerce de détail.
Nous soutenons la démarche qui tend à renforcer le bouclier qualité-prix et proposerons des amendements qui vont également dans ce sens. Lors de chaque projet de loi de finances, notre groupe dépose un amendement visant à exonérer de TVA les produits concernés par le bouclier qualité-prix – et il a finalement été adopté cette année.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Le constat que vous avez fait est bien connu. Il faut désormais que l’État passe à l’action pour protéger des populations qui font face à des difficultés – et pas seulement pour leurs achats alimentaires. Il est nécessaire d’avoir une vision générale pour ces confettis de l’empire. Mettre fin aux réminiscences coloniales et émanciper ces territoires suppose de les doter des moyens de se développer d’une manière endogène et adaptée à leur situation géographique.
M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). J’aimerais tout d’abord me désolidariser des propos tenus par notre collègue Frédéric Maillot. Faire un parallèle avec l’esclavage est indigne. Le sujet est beaucoup trop grave pour recourir à la stigmatisation et oser évoquer les « coups de fouet » est particulièrement déplacé.
J’en viens à la proposition de loi. Il y a bien des difficultés liées à l’étroitesse des marchés, à la faiblesse des productions locales et à la multiplicité des intermédiaires – qui provoque une accumulation de marges. En revanche, la question de l’éloignement n’est malheureusement pas traitée dans le texte, peut-être par manque de temps. Il vise certes le cas des grossistes répartiteurs, qui représentent 16 % dans la formation du prix final. Mais on sait que le prix est également constitué, à hauteur de 16 %, par les coûts liés à l’éloignement – dont la moitié au titre de l’octroi de mer, particulièrement lourd pour les produits à faible valeur ajoutée. L’Autorité de la concurrence indique ainsi que le prix d’une bouteille d’eau minérale est quadruplé, alors que celui d’une bouteille de champagne augmente de 30 %.
L’octroi de mer pose un gros problème, car on ne peut pas viser deux objectifs avec un seul outil. Or il permet de financer les collectivités locales tout en devant favoriser la substitution de produits locaux aux produits importés. Cela ne marche pas très bien et le financement des collectivités repose sur les consommateurs, ce qui contribue à augmenter les prix par le biais d’une forme de « super-TVA ». En outre, l’octroi de mer est dû même pour des produits qui n’ont aucun substitut local, comme les automobiles, ce qui pénalise le consommateur. Sauf erreur de ma part, c’est un véritable problème qu’il faut résoudre.
Je suis d’accord avec vous sur la nécessité de permettre aux territoires d’outre-mer de s’approvisionner à l’échelle régionale, par exemple auprès d’autres pays d’Amérique latine.
Il faut aussi faire la transparence sur les prix, mais je suis réservé sur l’un des points de votre proposition pour des raisons de concurrence internationale. Le texte vise certes à nous mettre en conformité avec une directive européenne, mais il aura des effets sur l’ensemble des entreprises françaises. Cela permettra à certains prédateurs, installés par exemple en Suisse ou au Luxembourg, d’accéder à de précieuses informations, alors qu’eux-mêmes ne sont pas tenus de publier les mêmes données. S’il est nécessaire pour la puissance publique que les entreprises déposent leurs comptes, les publier pose davantage de problèmes.
Nous voterons donc contre l’article 1er et pour les deux autres articles.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Je ne me mêlerai pas de votre débat avec notre collègue Frédéric Maillot. Ses propos relevaient en partie de la figure de style, mais nous avons tous dit que, malheureusement, des éléments du passé perduraient et que nous voulions y mettre fin.
Vous n’avez en effet pas forcément tout compris à l’octroi de mer. En Martinique, il représente 300 M€, alors que les recettes de TVA atteignent 800 M€. L’octroi de mer s’applique à toutes les marchandises, parce qu’en France, comme sur tout le territoire de l’Union européenne, il ne peut y avoir de mesures protectionnistes. Il s’agit donc d’un dispositif d’incitation économique, qui participe au financement des collectivités – mais, encore une fois, son produit est bien inférieur à celui de la TVA, lequel n’est pas intégralement reversé aux collectivités locales.
L’octroi de mer est un outil pour dynamiser l’économie et la production locales, en jouant avec les possibilités laissées par le droit européen. Sans cette taxe, il n’y aurait pas de production locale, car les produits importés seraient systématiquement moins chers. D’autres pays ont adopté des mesures de ce type avant nous et nous verrons bien quelles seront les réactions quand les États-Unis imposeront 400 % de droits de douane sur les importations en provenance de France.
Pour ce qui est de l’article 2, je vous invite à lire l’amendement CE44, qui en prévoit la réécriture et qui devrait davantage vous convenir.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je cite à mon tour Édouard Glissant : « Si nous voulons être solidaires [des] souffrances [du monde], nous devons apprendre à nous souvenir ensemble. ».
Nous en venons aux interventions des autres députés. Je souhaite la bienvenue à tous les collègues d’autres commissions. Je suis heureuse que nous soyons nombreux ce matin, car cela souligne l’importance accordée à la question du pouvoir d’achat outre-mer. C’est une urgence sociale : le taux de pauvreté dans ces territoires est de 27 %, soit quasiment le double de la moyenne nationale. Beaucoup a aussi été dit sur les mouvements sociaux très importants et sur la responsabilité des gouvernements successifs. D’où l’intérêt de cette proposition de loi et des débats à venir.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). L’ensemble des personnes auditionnées dans le cadre de la commission d’enquête sur le coût de la vie outre-mer avaient souligné l’effet inflationniste de l’octroi de mer, mais aussi son opacité. Dans un rapport de mars 2024, la Cour des comptes a invité à revoir cette taxe de fond en comble, en dénonçant sa complexité et son effet négatif sur les prix.
Vous connaissez très bien ce sujet, madame la rapporteure. Quelles sont les pistes de réforme que vous préconisez ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Je vous fournirai au cours de nos discussions d’autres éléments sur l’empilement des marges.
L’octroi de mer est un outil de fiscalité locale perfectible. Il mérite d’être rénové, afin de le rendre plus dynamique.
Par exemple, dans certains territoires d’outre-mer, la fiscalité sur les yaourts importés atteint 22 % à 23 %, ce qui les rend très chers et favorise les yaourts produits localement, taxés à 8 %. Mais il ne faut pas que les producteurs locaux se contentent de bénéficier de la différence de taux. Ils doivent en profiter pour augmenter leur production et l’emploi. En l’occurrence, on assiste plutôt au phénomène inverse, avec des systèmes de rente qui se mettent en place et qu’il faut juguler.
M. Philippe Naillet (SOC). Il est temps de s’attaquer au fond du problème. La vie chère est perçue par les populations ultramarines comme une injustice qui dure depuis trop longtemps. Jusqu’à présent, on a apporté des réponses dans l’urgence, notamment en diminuant des taxes mais sans s’assurer que cette baisse soit répercutée sur le prix final.
Avec cette proposition, nous prévoyons une première étape importante qui s’attaque aux causes profondes, en limitant la concentration et en exigeant la transparence sur les comptes et les marges des opérateurs économiques.
Ensuite, les prix élevés ont des répercussions sur la santé des populations, car on achète des produits moins chers et de moins bonne qualité. C’est aussi une injustice pour les populations ultramarines.
Enfin, la commission d’enquête sur le coût de la vie outre-mer a bien montré que la vie chère résulte des prix mais aussi de la faiblesse des revenus. Il faut donc encourager le développement de la production locale, accompagner nos entreprises et favoriser le commerce régional.
Quant à l’octroi de mer, il faut se méfier des analyses simplistes. Cette taxe va bien sûr devoir être toilettée : la Commission européenne va nous le demander en 2027 et l’économie n’est pas quelque chose de figé. L’octroi de mer permet certes de financer les collectivités locales et de favoriser la production locale, mais il faut aussi souligner que, compte tenu des taux réduits de la TVA outre-mer, la taxation cumulée par la TVA et l’octroi de mer aboutit parfois à niveau inférieur aux taux de la TVA appliqués dans l’Hexagone.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Merci d’avoir rappelé de manière technique comment se construisent les prix. Cela répond à ceux qui pensent que l’octroi de mer, seul impôt à la main des collectivités locales, est l’élément essentiel pour expliquer les prix élevés : il faut en finir avec ce dogme. Bien souvent, les taux cumulés de l’octroi de mer et de la TVA aboutissent à une fiscalité inférieure à celle constatée dans l’Hexagone. Il faut chercher ailleurs l’origine des surcoûts. Néanmoins, nous admettons qu’il faut effectuer un toilettage. Une réflexion a déjà été entamée dans les territoires d’outre-mer et nous la mènerons à son terme.
Mme Karine Lebon (GDR). Les révoltes qui ont embrasé la Martinique ont une nouvelle fois mis sur le devant de la scène les inégalités chroniques dont souffrent nos compatriotes ultramarins. Les Réunionnais doivent, par exemple, payer 37 % plus cher pour accéder aux mêmes produits que les Français de l’Hexagone.
Nous voulons des solutions immédiates et cette proposition en apporte quelques-unes. La question des marges, cause centrale des prix exorbitants pratiqués sur nos territoires, doit être prise à bras-le-corps. La proposition de renforcer les sanctions contre les entreprises qui ne publient pas leurs comptes semble tout à fait bienvenue.
Mon attention a été particulièrement attirée par l’audition des représentants des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR). Celui de La Réunion survit avec rien. Sans local ni budget, cet observatoire n’a qu’un secrétaire général à mi-temps et doit quémander une salle de réunion à la préfecture pour pouvoir travailler : préconisez des mesures concrètes pour que les OPMR puissent enfin remplir leur mission efficacement ?
Un mot sur l’octroi de mer – car il faut en effet se méfier des réponses simplistes : à La Réunion, les voitures électriques ne sont pas soumises à cette taxe ; pourtant, elles sont bien plus chères que dans l’Hexagone ; c’est donc bien qu’il faut chercher la réponse ailleurs.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. J’ai souhaité auditionner les représentants de tous les observatoires des prix, des marges et des revenus afin de savoir dans quelles conditions ils travaillent.
Je vous inviterai à amender avec une certaine pondération, car, pour l’heure, ces observatoires ne disposent pas des moyens matériels et juridiques qui leur permettraient d’exercer un certain nombre de tâches que nous souhaiterions leur confier. C’est la raison pour laquelle j’ai tenu compte des auditions et déposé des amendements proposant d’augmenter leurs moyens, notamment financiers et humains. J’espère que vous les voterez.
M. Stéphane Vojetta (EPR). Il s’agit d’un texte important, car la cherté de la vie exige une réponse urgente, comme en témoignent l’exposé des motifs de votre proposition de loi et l’intervention de nombreux collègues. Je vous cite, madame la rapporteure : « L’urgence sociale est criante (…), les ultramarins ne veulent plus de promesses sans suite (…). Ils exigent des mesures concrètes et immédiates (…). Cette situation n’est plus tenable. » Vous avez raison.
Je pense à nos compatriotes ultramarins qui nous regardent et qui espèrent que ce texte sera adopté, aujourd’hui en commission et le 12 décembre en séance publique, lors de la niche du groupe Socialistes et apparentés. Je pense à nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie, qui attendent avec angoisse le résultat de la motion de censure : si le Gouvernement tombe, ils pourront dire adieu au plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (S2R). Si le Gouvernement tombe, vous ignorez quand votre proposition de loi pourra être à nouveau inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée, d’autant qu’une possible et nouvelle dissolution nécessiterait de reprendre l’intégralité du parcours législatif.
Comment expliquerez-vous aux Français d’outre-mer votre éventuelle participation à l’enterrement de votre propre texte en votant la motion de censure ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Lorsqu’un gouvernement prend en compte les difficultés de nos territoires, il n’ampute pas les moyens qui leur sont alloués de 300 M€ ! Je dirai à mes compatriotes que nous sommes en train de travailler pour élaborer des mesures pérennes servant le bien de nos territoires, de leurs habitants et des générations futures. Mes compatriotes comprendront le sens de notre action.
Je vous invite à ne pas me mettre personnellement en cause, car cette décision de voter la motion de censure est collective. Ne vous inquiétez pas : l’État et la République ont suffisamment de ressorts pour survivre à une censure, contrairement à ce que vous essayez de faire croire à longueur de journée sur tous les plateaux de télévision. D’ailleurs, la motion de censure est prévue par la Constitution, cela devrait être de nature à vous rassurer.
M. Benoît Biteau (EcoS). Les territoires ultramarins bénéficient d’un dispositif destiné à répondre aux besoins primaires de production agricole et d’alimentation : il s’agit du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Posei), fort bien doté par des fonds européens. Malheureusement, les fonds du Posei sont concentrés autour de cinq grandes structures, qui, comme partout dans l’Hexagone et en Europe, préfèrent exporter des bananes et du sucre de canne plutôt que de soutenir les producteurs locaux et les paysans, lesquels pourraient fournir de la nourriture locale de qualité à la population. Le Gouvernement, menacé d’une censure, a encouragé la concentration des fonds du Posei dans ces cinq acteurs industriels. Je nous invite à nous pencher sur ce programme, notamment sur l’allocation de ses ressources.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. La question de la répartition des fonds du Posei est essentielle : le programme avait vocation à développer la diversification, mais son utilisation va dans le sens exactement opposé. Le Posei est le vecteur d’une concentration des subventions européennes vers certaines productions, singulièrement celle de la banane.
Dans la grande vision que nous devons dessiner pour les pays des océans, nous devons faire une place au développement d’une agriculture plus durable et plus diversifiée, à même de contribuer à l’autonomie alimentaire des territoires d’outre-mer.
Article 1er : Modification de l’article L. 410‑5 du code de commerce pour rendre effectif le bouclier qualité-prix et obtenir des prix en outre-mer équivalents à ceux pratiqués en moyenne dans l’Hexagone sur les biens de consommation courante
Amendements identiques CE48 de Mme Béatrice Bellay et CE29 de M. Joseph Rivière
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. L’idée initiale des alinéas 3 et 4 de l’article 1er était de permettre aux observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) de devenir des parties prenantes des négociations sur le bouclier qualité‑prix, afin que le dispositif bénéficie de leur expertise. En effet, l’avis préalable des OPMR ne s’impose pas juridiquement aux parties prenantes lors de la négociation. Toutefois, il est apparu lors des auditions menées dans le cadre des travaux d’élaboration de cette proposition de loi, notamment lors de l’audition des présidents des OPMR, qu’il était nécessaire de conserver l’avis public que les observatoires transmettent en amont des négociations du bouclier qualité-prix. Aucun consensus n’a émergé sur l’intégration des OPMR à ces négociations. Je propose de supprimer l’alinéa 3 de l’article 1er ; j’ai également déposé un amendement visant à supprimer l’alinéa 4.
M. Joseph Rivière (RN). Nous souhaitons tous améliorer le niveau de vie de nos concitoyens ultramarins. Très peu d’outils protègent les consommateurs. Il importe de renforcer les OPMR dans leur mission de protection de nos concitoyens contre la vie chère : pour ce faire, son avis public doit être rendu en amont des négociations. Voilà pourquoi nous proposons de supprimer l’alinéa 3 de l’article 1er.
La commission adopte les amendements.
Amendements identiques CE47 de Mme Béatrice Bellay et CE28 de M. Joseph Rivière
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Voici l’amendement visant à supprimer l’alinéa 4. Après discussion avec les présidents des OPMR, nous considérons qu’il est opportun de conserver, à leur demande, certaines dispositions.
M. Joseph Rivière (RN). Le présent amendement a pour but de maintenir les OPMR dans la plénitude de leurs fonctions. Les observatoires doivent rester des entités où se réunissent des citoyens pour débattre et réfléchir aux prix, dans la sérénité et pour l’intérêt général. Faire asseoir les OPMR à la table des négociations revient à en faire des acteurs économiques, potentiellement soumis à des intérêts particuliers. Toujours dans le souci de renforcer cet outil de protection des consommateurs dans les territoires d’outre-mer, nous proposons de supprimer l’alinéa 4.
La commission adopte les amendements.
Amendement CE19 de M. Max Mathiasin
M. Max Mathiasin (LIOT). Il vise à améliorer la qualité et la variété des produits protégés par le bouclier qualité-prix par la consultation de professionnels de la nutrition et de la santé. Comme le relève le rapport sur le coût de la vie dans les territoires d’outre-mer, rédigé par notre ancien collègue Johnny Hajjar en 2023, « les distributeurs sont (...) tentés d’y inclure des produits à faible valeur nutritionnelle ou peu sains. C’est ainsi que l’ancienne ministre Annick Girardin déclarait avoir " demandé, au vu de la liste initiale de produits, que l’on travaille avec des nutritionnistes afin que le dispositif ne favorise pas seulement des produits qui seraient à déconseiller pour la santé ". ».
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Il me semble pertinent que les professionnels de la nutrition et de la santé rendent un avis préalable destiné à garantir la qualité des produits protégés par le bouclier qualité-prix. Avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE27 de M. Joseph Rivière
M. Joseph Rivière (RN). Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 6. Nous souhaitons protéger le marché local et éviter qu’il soit inondé par les produits étrangers. Avec la disparition de l’alinéa 6, nous empêcherions de limiter la liste de produits de consommation courante et inciterions ainsi à la modération du prix global de tous les produits arrivant outre‑mer. Ces territoires sont, plus que les autres, soumis à des chocs exogènes, car les produits d’importation sont plus nombreux que les produits locaux. En modérant les prix de tous les produits, le maintien de l’alinéa 6 aiderait les produits étrangers, qui bénéficient de faibles coûts de production.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Il nous semble nécessaire de conserver la suppression du mot « limitative ». Il s’agit d’élargir la liste des produits, mais pas à n’importe lesquels. Nous venons justement de mettre l’accent, lors de l’examen de l’amendement précédent, sur la nécessité que les produits proposés soient de qualité. Tous les produits étrangers ne peuvent pas entrer sur les marchés des pays des océans, puisque ceux-ci se situent, jusqu’à nouvel ordre, en France. L’avis est défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CE26 de M. Joseph Rivière
M. Joseph Rivière (RN). Nous souhaitons défendre, dans la négociation des prix, les produits locaux par rapport à ceux provenant de l’extérieur. Dans cette dernière catégorie seront privilégiés ceux de première nécessité. Notre but est toujours le même : protéger la production locale.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. La production des pays des océans doit être soutenue, mais la part de la production locale peut varier : par exemple, à La Réunion, les légumes et les produits frais locaux représentaient près de 68 % de cette catégorie d’aliments en 2021, selon la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf).
J’ai déposé un amendement CE31 qui consacre une part de produits locaux dans le bouclier qualité-prix. Je vous demande donc de retirer votre amendement à son profit ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. Joseph Rivière (RN). Je maintiens mon amendement, car il importe de renforcer et de protéger la production locale. Les importations, notamment en provenance de Nouvelle-Zélande ou de Madagascar, sont trop nombreuses. Il faut protéger la production de nos agriculteurs et fournir à nos concitoyens les produits locaux de qualité dont ils ont besoin.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CE12 de M. Max Mathiasin et CE30 de Mme Maud Petit (discussion commune)
M. Max Mathiasin (LIOT). La proposition de loi a pour but de restreindre les écarts de prix entre les territoires d’outre-mer et l’Hexagone, en garantissant que le prix des produits protégés par le bouclier qualité-prix (BQP) n’est pas plus élevé outre-mer qu’en France métropolitaine. L’amendement vise à préciser le dispositif d’encadrement des prix : ceux des produits protégés devront correspondre à leur niveau moyen annuel dans l’Hexagone.
Mme Maud Petit (Dem). Mon amendement est très différent et vise à rendre plus réalistes les mécanismes promus à l’article 1er. Il nous paraît improbable que le prix pratiqué dans le cadre du BQP soit égal à celui de l’Hexagone, à cause notamment des différences de taxes et du surcoût de transport des marchandises.
L’amendement vise à inscrire dans le texte la notion de « prix raisonnables tendant vers ceux pratiqués » dans l’Hexagone et à rejeter les termes « prix équivalents à ceux pratiqués en moyenne » dans l’Hexagone. Vous ne retiendrez probablement pas ma suggestion, qui ne doit pas aller assez loin à vos yeux, puisque vous souhaitez envoyer un signal politique. Je crois toutefois qu’il faut avant tout chercher à élaborer des mesures efficaces.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Nous sommes raisonnables et réalistes, ne serait‑ce que parce que nous éprouvons les conséquences de la vie chère. Le BQP est un objectif : à La Réunion, à la Martinique ou en Guyane, nous ne sommes pas parvenus à atteindre le même prix en moyenne, dimension pourtant centrale du BQP. Nous conservons le but de « tendre vers l’objectif », mais nous souhaitons ouvrir le champ du bouclier.
Nous avons auditionné des entreprises afin qu’elles nous expliquent leur chaîne logistique et leurs résultats : certaines ont un chiffre d’affaires de 10 M€, dégagent un bénéfice de 6 M€ et versent 5 M€ de dividendes. Comme vous le voyez, des marges existent pour réduire les prix ! À ces acteurs économiques en pleine santé, nous demandons de consentir à un effort en faveur des populations qui ont contribué à l’édification de leurs empires.
Mme Maud Petit (Dem). Je maintiens que la rédaction disposant que « cet accord garantit (…) » crée une contrainte qui se révélera contre-productive. Nous sommes plusieurs à penser qu’un tel mécanisme coercitif incitera certains acteurs à augmenter leurs marges sur d’autres produits ou à quitter le cadre du bouclier qualité-prix ; le risque est réel, donc il serait nocif de conserver la rédaction actuelle. L’amendement de notre collègue Mathiasin porte sur une moyenne annuelle de prix : les objets de nos amendements sont donc très différents.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Je suis favorable à l’amendement CE12 et je demande le retrait du CE30.
La commission adopte l’amendement CE12.
En conséquence, l’amendement CE30 tombe.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CE46 de Mme Béatrice Bellay, rapporteure.
Amendement CE15 de M. Philippe Naillet et sous-amendement CE49 de Mme Béatrice Bellay
M. Philippe Naillet (SOC). Cet amendement vise à prendre en compte la production locale des territoires ultramarins intégrée au bouclier qualité-prix. Celle-ci représente, par exemple, plus de 40 % des produits de la liste à La Réunion. Le développement de cette production locale crée des emplois, génère des revenus et contribue à renforcer l’autonomie alimentaire des territoires ultramarins. Or le prix moyen des produits issus de la production locale demeure supérieur à celui de leurs équivalents importés. Un alignement sur les prix pratiqués dans l’Hexagone pourrait mettre en péril la production locale. Dans cette optique, l’amendement a pour objet de compléter l’alinéa 7 par les mots « à l’exception des produits issus de la production locale qui appartiennent à la liste mentionnée au I du présent article. »
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Mon sous-amendement vise à remplacer les mots « à l’exception » par les termes « en tenant compte ». En effet, il ne faut pas surprotéger la production locale, qui doit être concurrencée, notamment dans le cadre de l’évolution d’outils comme celui de l’octroi de mer. Je suis favorable à l’adoption de l’amendement CE15, sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement.
M. Philippe Naillet (SOC). Je soutiens votre sous-amendement, lequel intègre la préoccupation exprimée dans mon amendement.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous‑amendé.
Amendement CE35 de Mme Béatrice Bellay
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Cet amendement vise à permettre au représentant de l’État d’intégrer toute association de consommateurs, luttant par exemple contre la cherté de la vie et, plus largement, toute association qu’il jugera utile aux négociations du bouclier qualité-prix.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CE31 de Mme Béatrice Bellay et CE3 de M. Jean-Philippe Nilor (discussion commune)
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Mon amendement vise à élargir le dispositif du bouclier qualité-prix, actuellement centré presque exclusivement sur les produits alimentaires.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Nous proposons d’élargir le champ d’application du bouclier qualité-prix, afin d’y intégrer des produits relatifs à la communication (téléphonie, informatique), à l’électroménager et aux pièces détachées automobiles. Dans la même optique de baisse des prix que celle poursuivie par le protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère en Martinique, signé le 16 octobre 2024 en réponse aux fortes mobilisations populaires depuis début septembre, il s’agit d’élargir le bouclier, jusqu’à présent cantonné à l’alimentation, à de nouveaux produits pesant lourdement sur le budget des ménages ultramarins pour en baisser le prix.
Le budget automobile des foyers est bien plus élevé dans les territoires d’outre-mer que dans l’Hexagone : le différentiel de prix peut atteindre de 300 % à 400 % sur les pièces détachées. Quant aux prix de la téléphonie et d’internet, ils sont jusqu’à 35 % plus hauts en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane qu’en métropole.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Sur le fond, je partage votre ambition d’étendre le dispositif du bouclier qualité-prix à d’autres secteurs que l’alimentation. La vie chère, qui asphyxie les habitants des pays des océans, est multidimensionnelle.
Sur la forme, cependant, la rédaction de votre amendement me paraît inadaptée à la situation actuelle : je remplacerais « À partir de l’année 2025 » par « À compter de la promulgation de la présente loi ». Je vous demande de retirer votre amendement au profit du CE31.
L’amendement CE3 est retiré.
La commission adopte l’amendement CE31.
Amendements CE39 de Mme Béatrice Bellay
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Nous proposons d’adosser le bouclier qualité-prix à un dispositif de comparateur des prix, afin d’assurer la transmission d’une information claire aux consommateurs ultramarins. Dans le protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère en Martinique, il est prévu de développer ce type d’outils, déjà présents dans l’Hexagone, car ils éclairent le consommateur sur les prix pratiqués dans son territoire. Cet amendement répond à une demande forte des présidents des observatoires des prix, des marges et des revenus.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE18 de M. Max Mathiasin et sous-amendement CE41 de Mme Béatrice Bellay
M. Max Mathiasin (LIOT). Les observatoires des prix, des marges et des revenus souhaitent que le dispositif réglementaire encadrant le bouclier qualité-prix (BQP) évolue ; parmi ces modifications, figure le fait d’autoriser le préfet à fixer lui-même la liste des magasins participant au bouclier, indépendamment du résultat de la négociation. L’objectif est d’étendre la liste des établissements partenaires, donc la faculté pour les ultramarins de trouver dans les magasins de proximité des produits dont le prix est encadré par le BQP.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Je préférerais que le préfet ne puisse publier la liste qu’à l’issue des négociations. Il ne faut pas mettre de côté la dimension conventionnelle attachée au BQP : donner au préfet la faculté d’arrêter la liste des participants à un dispositif d’engagement volontaire me semble inopportun, voire inconstitutionnel, puisque chaque acteur peut accepter ou refuser d’y entrer.
En revanche, il est intéressant de donner la possibilité au préfet de dresser, au terme des négociations, la liste des enseignes participant au bouclier qualité-prix. Cette disposition revient à désigner nommément ceux qui sortiront du dispositif dans une logique de « name and shame ».
Sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement, je soutiens celle de l’amendement CE18.
M. Max Mathiasin (LIOT). Je me reconnais pleinement dans vos propos.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous‑amendé.
Amendements CE42 de Mme Béatrice Bellay
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de correction légistique : nous souhaitons que l’alinéa 12 ne vise pas le prix global de la liste, mais celui des produits figurant sur la liste.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CE20 et CE21 de M. Frédéric Maillot (discussion commune)
M. Frédéric Maillot (GDR). Un protocole d’accord a été conclu entre le ministère des outre-mer et la Martinique. C’est un énième exemple des mesures d’urgence qui sont prises – on répond toujours de cette façon à nos attentes – lorsque le coût de la vie devient insupportable et que nos pays se révoltent. On peut reconnaître dans cet accord une forme de main tendue, mais il est révélateur des crises structurelles qui se déroulent chez nous : on ne saurait y apporter de simples réponses conjoncturelles. Les crises liées à la vie chère ne sont pas nouvelles : elles se répètent de manière cyclique et les mesures adoptées pour éviter l’embrasement de nos pays ne répondent pas toujours aux demandes de justice et d’équité des peuples ultramarins.
Nos amendements visent à permettre de négocier les prix de tous les produits qui peuvent supporter des réductions et un alignement avec ce qui est fait dans l’Hexagone. Pour reprendre l’excellente expression de mon collègue Nilor, « Nous, les peuples d’outre-mer, nous ne sommes pas un tube digestif. » : il faut aller au-delà des produits de première nécessité et de consommation.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Tels qu’ils sont rédigés, ces amendements risquent d’être moins ambitieux que ce qui est prévu dans la proposition de loi. En cas d’échec des négociations, il reviendrait en effet au préfet de fixer les prix pour les seuls biens pouvant être soumis à une réduction d’au moins 20 % en moyenne par rapport à ce qui est pratiqué dans l’Hexagone, alors que la proposition de loi vise plus largement les produits (ou familles de produits) de première nécessité. Votre second amendement soumet en outre le dispositif à une expérimentation de cinq ans, ce qui est également moins-disant. Il vaudrait mieux adopter des mesures fermes dont nous pourrons ensuite mesurer les effets. Je vous demande de retirer ces amendements ; sinon, avis défavorable.
Les amendements sont successivement retirés.
Amendement CE1 de M. Philippe Naillet et sous-amendement CE43 de Mme Béatrice Bellay
M. Philippe Naillet (SOC). Cet amendement vise tout simplement à assurer en toute transparence l’information du consommateur, en précisant ainsi les modalités d’affichage des prix : « Le prix global de la liste mentionnée au I [de l’article L. 410-5 du code de commerce], tel qu’il est pratiqué, est affiché en application de l’article L. 112‑1 du code de la consommation de manière lisible et visible à l’entrée de la surface de vente par le moyen d’un support d’une superficie au moins égale à un mètre carré d’une liste limitative de produits de consommation courante. Pour chaque produit composant la liste mentionnée au I et exposée à la vente au détail, un balisage d’identification est apposé de manière permanente à proximité immédiate de celui-ci. »
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. C’est une très bonne initiative. Je propose simplement une correction légistique qui consiste à supprimer la référence à une liste limitative de produits de consommation courante. Avis favorable sous cette condition.
M. Philippe Naillet (SOC). J’accepte le sous-amendement.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous‑amendé.
Amendement CE40 de Mme Béatrice Bellay
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Dans la même lignée, il est apparu utile au fil des auditions et des discussions que nous avons eues, et comme le proposait déjà le rapport remis en 2023 par notre ancien collègue Johnny Hajjar, de donner plus de visibilité aux produits du bouclier qualité-prix, afin que les consommatrices et les consommateurs soient davantage guidés vers ces biens qui participent à la réduction de la cherté de la vie. Je vous propose de créer dans chaque rayon des corners, des emplacements réservés aux produits du bouclier qualité-prix, ce qui permettra aux consommateurs de les trouver beaucoup plus facilement qu’aujourd’hui.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE17 de M. Max Mathiasin
M. Max Mathiasin (LIOT). Instauré par la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite loi « Lurel », et régi par l’article L. 410‑5 du code de commerce, le bouclier qualité-prix repose sur la négociation annuelle d’un accord de modération du prix global d’une liste de produits de consommation courante. Il s’agit d’un dispositif essentiel. Notre amendement vise à garantir que les agents chargés du contrôle du bouclier qualité-prix veillent à la qualité et à la disponibilité des produits dans les rayons.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Avis favorable à cet amendement qui vise à améliorer la visibilité et l’accessibilité des produits. Il ressort des auditions comme de la pratique – car nous sommes aussi des consommatrices et des consommateurs – que les produits du bouclier qualité-prix sont parfois, sinon toujours, manquants dans les étals. Il faudrait que les agents chargés du contrôle puissent renforcer leur action, notamment dans les centres commerciaux.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE13 de M. Philippe Naillet
M. Philippe Naillet (SOC). Je vais retirer cet amendement pour le retravailler d’ici à la séance : je trouve, en le relisant, qu’il ne correspond pas vraiment, dans sa rédaction actuelle, à ce que je souhaitais, c’est-à-dire une meilleure articulation entre la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et l’Autorité de la concurrence.
L’amendement est retiré.
Amendement CE37 de Mme Béatrice Bellay
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Cet amendement vise à dissuader les parties prenantes, dans une logique de « name and shame », de sortir de l’accord relatif au bouclier qualité-prix. Toute sortie fera l’objet d’une mesure de publicité par voie de presse, par voie électronique et par voie d’affichage, à la charge de l’entreprise concernée, pendant une durée de six mois.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE33 de Mme Béatrice Bellay
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Cet amendement fait écho à une question posée tout à l’heure par notre collègue Karine Lebon : il vise à renforcer les moyens humains, logistiques, financiers et juridiques des observatoires des prix, des marges et des revenus. Nos échanges avec eux et d’autres acteurs, dont la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, me conduisent à penser que les moyens actuels sont insuffisants compte tenu des missions à exercer.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE32 de Mme Béatrice Bellay
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Le présent amendement, qui est également le fruit des auditions, demande qu’une évaluation annuelle du bouclier qualité-prix soit réalisée dans le cadre d’un rapport remis au Parlement sur la consommation des produits concernés, la réalisation des objectifs fixés dans les négociations, la part des marges arrières pratiquées sur les produits de consommation faisant l’objet d’un accord de réduction des prix et, le cas échéant, les évolutions à prévoir. Je considère en effet que le dispositif, même modifié, pourrait être perfectible. L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires et les observatoires des prix, des marges et des revenus seront associés à l’élaboration de ce rapport annuel d’évaluation.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE36 de Mme Béatrice Bellay
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Il s’agit de garantir le respect de l’accord relatif au bouclier qualité-prix par la transmission automatique des données de sortie de caisse à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui pourra ainsi contrôler systématiquement le montant des prix pratiqués en les comparant aux prix négociés. Cette demande a été faite par les observatoires des prix, des marges et des revenus, mais nous ne pouvons pas les doter de cet outil, car les structures commerciales entendent garder leurs secrets industriels. En revanche, nous pouvons le faire pour les services de l’État, qui sont assermentés et pourront mener des vérifications systématiques.
M. Bastien Marchive (EPR). Comment procèdera-t-on concrètement au transfert automatique des données ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Il appartiendra au Gouvernement de définir précisément, par voie de décret, les modalités de mise en place de la transmission automatique des données. Nous en avons notamment discuté avec les présidents des observatoires des prix, des marges et des revenus : les données en sortie de caisse sont disponibles et toutes les structures commerciales sont équipées ; elles pourront donc confier ces éléments. J’ajoute que cela se fait déjà dans certains territoires dans le cadre de la construction de comparateurs de prix.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE38 de Mme Béatrice Bellay
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Cet amendement répond à une autre demande des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), singulièrement celui de Mayotte, qui s’est doté d’un règlement intérieur mais déplore de ne pas avoir de fondement juridique à cet effet – cela n’était pas prévu lors de l’établissement des OPMR. Nous ne créerons pas d’obligation en la matière : une simple possibilité nouvelle sera donnée à ces acteurs.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je précise que nos travaux s’appuient notamment sur ceux de la commission d’enquête parlementaire sur le coût de la vie outre-mer, à laquelle beaucoup d’entre nous ont participé durant la précédente législature.
Amendement CE7 de M. Jean-Hugues Ratenon
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Nous proposons d’encadrer les marges du secteur de la grande distribution par la mise en place d’un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat aux fournisseurs et le prix de vente final des produits. Cette mesure, adoptée en 2023 dans le cadre d’une niche parlementaire du groupe La France insoumise (LFI), vise à limiter les marges abusives de la grande distribution qui sont pratiquées au détriment des consommateurs.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Je suis totalement favorable, pour de multiples raisons, à l’idée d’une maîtrise des marges, mais il me semble nous pourrions travailler ensemble à la création d’un dispositif bien conçu. J’avais voté la proposition de loi visant à lutter contre l’inflation par l’encadrement des marges des industries agroalimentaires, du raffinage et de la grande distribution et établissant un prix d’achat plancher des matières agricoles, examinée dans le cadre d’une niche LFI durant la précédente législature, et je vous propose de retravailler sur la question en vue de la séance afin d’insérer le dispositif au bon endroit dans le texte.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Je vous fais confiance, madame la rapporteure.
L’amendement est retiré.
Amendement CE23 de M. Joseph Rivière
M. Joseph Rivière (RN). Il s’agit d’informer les consommateurs au sujet des entreprises qui n’ont pas publié leurs comptes. Pour faire appliquer la loi, nous disposons d’une arme redoutable qui est de mettre à mal la réputation d’une entreprise en autorisant la publicité sur ses mauvaises pratiques. Très en vogue dans les pays anglo-saxons, notamment au Royaume-Uni, le « name and shame » consiste à déclarer publiquement qu’une personne, un groupe ou une entreprise agit de manière fautive. Cette pratique est apparue en 2009 lorsque la presse britannique a dénoncé le comportement de certains députés et ministres qui bénéficiaient d’un remboursement par l’État de leurs dépenses privées. Il est apparu au cours des auditions que certaines entreprises assumaient de contourner la loi. Nous pensons, dans une logique de transparence et afin de laisser le consommateur libre de ses choix, que l’application du name and shame aurait un impact significatif sur le comportement des entreprises. Un fondement est déjà prévu par l’alinéa 6 de l’article L. 470-2 du code de commerce : « La décision prononcée par l’autorité administrative peut être publiée sur le site internet de cette autorité administrative et, aux frais de la personne sanctionnée, sur d’autres supports. » Nous proposons de nous calquer sur ce dispositif.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Je vous demande de retirer cet amendement : nous proposons déjà des mesures bien plus sévères que le droit en vigueur en cas de non‑présentation des comptes. J’appelle, par ailleurs, à faire preuve de vigilance quant aux moyens employés. Un grand nombre d’entreprises, souvent majoritaires dans nos pays des océans, et singulièrement de très petites entreprises, ne déposent pas leurs comptes. Vous imaginez donc le travail qu’il resterait à réaliser. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire de la pédagogie, mais c’est aux grands groupes, aux grands conglomérats et aux cas dans lesquels on sort du bouclier qualité-prix que nous nous intéressons en particulier. Vous avez d’ailleurs voté précédemment un amendement en ce sens.
M. Joseph Rivière (RN). Mais quelles mesures « plus fortes », dites-vous, proposez‑vous ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. L’article 2, que je vous proposerai de réécrire, renforcera les sanctions pour forcer, en quelque sorte, un certain nombre d’entreprises à déposer leurs comptes. Il prévoit que le président du tribunal de commerce compétent adressera une injonction sous astreinte d’un montant minimum correspondant à 1 % du chiffre d’affaires journalier moyen par jour de retard.
M. Joseph Rivière (RN). Si je comprends bien, les entreprises qui ne déposeraient pas leurs comptes verraient non seulement leur nom publié sur un site gouvernemental mais feraient aussi l’objet d’une pénalité correspondant à 1 % de leur chiffre d’affaires ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Et c’est le président du tribunal de commerce qui pourra adresser une injonction, sous astreinte, à la suite de la non-présentation des comptes.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CE5 de M. Jean-Hugues Ratenon
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Nous proposons de renforcer les pouvoirs des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) en prévoyant que les opérations de concentration dans les outre-mer doivent faire l’objet d’un avis conforme de leur part. Cela améliorera leur légitimité et leur visibilité et justifiera l’augmentation de leurs moyens. À La Réunion, par exemple, l’OPMR avait lancé une alerte sur le rachat de Vindémia par le groupe Hayot, mais l’Autorité de la concurrence l’a autorisé. Les conséquences sont pourtant claires : réduction de la concurrence en raison de la position de duopole de Carrefour et de Leclerc, qui détiennent 66 % des parts de marché, augmentation des prix et affaiblissement de la production locale. Cet amendement est donc important.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Les auditions nous ont appris qu’il fallait augmenter les moyens des OPMR, ce que nous venons de faire : ils sont fort démunis pour l’exécution de leur mission première, qui est l’observation des prix. La mission que vous proposez d’ajouter ne relève malheureusement pas d’eux, mais de l’Autorité de la concurrence ; quant à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, elle nous a fait part, lors de son audition, d’une augmentation de ses moyens – notamment, les postes supplémentaires prévus dans le cadre du comité interministériel des outre-mer (Ciom) et qui ont été négociés pour lui permettre, ainsi qu’à l’Autorité de la concurrence, de faire son travail. Nos interlocuteurs nous ont expliqué la mise en œuvre de leurs contrôles, préalables, simples ou plus poussés. Nous ne sommes pas toujours d’accord avec les résultats : nous avons évoqué le cas de Vindémia et le fait que certaines structures se retrouvaient en position dominante, avec plus de 40 % de parts de marché, ce qui avait très objectivement pour effet d’augmenter les prix. Malheureusement, il ne revient pas aux OPMR d’entrer dans les comptes pour analyser la qualité économique et le risque de position dominante (ou d’abus de position dominante), qui ne peut apparaître que lorsque celle-ci est effective. Je vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Je ne suis pas totalement d’accord avec vos arguments, mais je retire l’amendement.
L’amendement est retiré.
Les amendements CE9 et CE10 de M. Jean-Philippe Nilor sont retirés.
Article 2 : Renforcer les sanctions en cas de non-respect de l’obligation de publication des comptes des sociétés commerciales
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons à la question des sanctions contre les sociétés qui ne publient pas leurs comptes. Elles sont nombreuses : je pense notamment à de grandes multinationales françaises, que je ne citerai pas mais que nous souhaitons convoquer pour une audition.
Amendement CE44 de Mme Béatrice Bellay
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Des collègues ont souligné les difficultés que pouvait poser la rédaction de l’article 2. Je vous propose de le réécrire pour qu’il corresponde davantage à la réalité des entreprises et de leur construction sur le territoire.
L’article L. 123‑5‑2 du code de commerce sera complété par cinq alinéas qui posent comme principe que le président du tribunal de commerce adresse une injonction sous astreinte journalière à l’entreprise qui n’aura pas déposé ses comptes dans les conditions et délais impartis. Il est prévu que le montant de l’astreinte ne pourra être inférieur à 1 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé par la société.
L’article L. 611-2 du même code sera complété par six alinéas qui prévoient également cette injonction sous astreinte d’un montant d’au moins 1 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé par la société.
Par ailleurs, cet amendement de rédaction globale permet que ce dispositif ne s’applique qu’aux pays des océans – et non à la France dans son ensemble, comme le prévoyait initialement le dispositif.
Les sanctions encourues par les entreprises qui ne déposeraient pas leurs comptes seront ainsi renforcées.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je précise que cet amendement de réécriture globale ferait tomber, s’il était adopté, les amendements suivants.
La commission adopte l’amendement et l’article 2 est ainsi rédigé.
En conséquence, les amendements CE25 de M. Joseph Rivière, CE8 de M. Jean‑Philippe Nilor et CE24 de M. Joseph Rivière tombent.
Après l’article 2
Amendement CE16 de M. Philippe Naillet
M. Philippe Naillet (SOC). Cet amendement vise à renforcer la transparence concernant les remises. Les avantages obtenus par un distributeur auprès d’un fournisseur devront être mentionnés sur les factures d’achat « dès qu’ils seront de principe acquis et de montants chiffrables, même si leur versement est différé ».
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Je vous demande de retirer l’amendement en vue d’une réécriture d’ici à la séance. La nouvelle rédaction de l’article L. 410-6 du code de commerce que vous proposez ferait tomber l’expérimentation prévue pendant cinq ans en matière d’encadrement des prix de gros. Il faudrait compléter cet article au lieu d’en faire disparaître toute une partie.
M. Philippe Naillet (SOC). Je retravaillerai l’amendement d’ici à la séance.
L’amendement est retiré.
Article 3 : Abaissement des seuils de notification des concentrations outre-mer à 5 millions d’euros dans l’ensemble des domaines d’activités économiques
Amendement CE2 de M. Philippe Naillet
M. Philippe Naillet (SOC). Il s’agit de limiter les concentrations en interdisant tout simplement d’être présent dans plus de deux activités en complément de la distribution du produit final.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. S’il le fallait, je voterais avec dix mains en faveur de cet amendement… mais il pose un problème, puisqu’il va à l’encontre de la liberté du commerce et de l’industrie. Il risquerait, de plus, d’avoir un effet contre-productif en conduisant à court terme à des augmentations de prix. Il faudrait retravailler sur la question d’ici à la séance, en veillant notamment à placer l’amendement au bon endroit et à le rendre plus opérant. Demande de retrait.
M. Philippe Naillet (SOC). Je comprends la difficulté de l’exercice : je retravaillerai l’amendement, mais j’espère, madame la rapporteure, que vous le soutiendrez alors. Il est très important et il se situe dans la continuité de la loi Lurel. Nous proposons simplement d’aller un peu plus loin.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Je l’ai dit, je voterai un tel amendement sans aucune hésitation. Nous avons vu qu’un certain nombre d’acteurs (et pas des moindres) développent des chaînes d’approvisionnement intégrales et appliquent dans ce cadre des marges qui paraissent trop importantes – elles contribuent, bien plus que l’octroi de mer, à la cherté des prix.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’amendement de précision CE45 de Mme Béatrice Bellay, rapporteure.
Amendement CE22 de M. Frédéric Maillot
M. Frédéric Maillot (GDR). Face à la concentration du marché et aux situations de duopole, voire de monopole, nous proposons de rétablir une disposition de 2003 ciblant la grande distribution dans les départements d’outre-mer. Dans ces territoires, aucun groupe ne pourrait posséder plus de 25 % de la surface totale des commerces de détail à prédominance alimentaire de plus de trois cents mètres carrés. Nos pays sont secoués par des crises à cause de la cherté de la vie et des problèmes de formation et de transparence des prix. Il est urgent d’agir.
N’attendons pas un sursaut moral des groupes concernés. Il faut les contraindre par la loi, dans l’intérêt de la population. J’aurais donc aimé que notre collègue Naillet maintienne son amendement.
J’ai grandi à La Réunion dans les années quatre-vingt et j’ai assisté à la disparition des petits commerces, des Prisunic et des Hypercrack, au profit de grands groupes. Actuellement, qu’il s’agisse d’acheter un slip, un yaourt ou un clou, tous les achats sont réalisés dans le même magasin. C’est un problème.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Avis favorable.
M. Philippe Naillet (SOC). Monsieur Maillot, j’ai retiré l’amendement CE2 pour le retravailler en vue de la séance.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Oui, nous avons tous le même objectif. Nous ne sommes pas dans des positions d’affichage. Nous devons nous montrer sévères pour faire baisser les prix, mais les mesures que nous votons doivent être bien rédigées, positionnées au bon endroit, constitutionnelles et opérationnelles. L’objectif est de nous saisir d’instruments qui soient efficaces et de nature à venir véritablement participer à la baisse des prix sur nos territoires. Notre collègue Naillet a retiré son amendement par souci d’efficacité.
M. Frédéric Maillot (GDR). Je l’ai bien compris. Nous allons dans le même sens : il faut contraindre les grands groupes par la loi, dans l’intérêt de la population.
La commission adopte l’amendement.
La commission adopte l’article 3 modifié.
Après l’article 3
Amendement CE4 de M. Jean-Hugues Ratenon
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Outre-mer, les grands groupes profitent de situations quasi monopolistiques et accumulent des marges excessives, aggravant à la fois la dépendance des producteurs locaux et le coût de la vie pour les habitants. À La Réunion, les parts de marché du groupe Hayot, détenteur des supermarchés Carrefour de l’île, sont passées de 17 % en 2019 à 39 % en 2021, à la suite du rachat de Vindémia. Ainsi, le duopole formé par Carrefour et Leclerc couvre 66 % du marché.
La situation est tout aussi préoccupante en Martinique, où quatre groupes familiaux contrôlent 80 % du marché de la distribution – dont le groupe Hayot, qui détient à lui seul 25 % des parts de marché. Sur place, il est de plus en plus difficile de subvenir aux besoins élémentaires – se nourrir, s’habiller, se laver – et de permettre aux enfants de se rendre à l’école dans des conditions dignes.
Mon amendement vise à interdire à tout acteur de la distribution de détenir plus de 25 % de parts de marché, afin de protéger l’économie locale et de favoriser la baisse des prix, grâce à une concurrence saine et équitable.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. J’émets une demande de retrait, non pas parce que cet amendement serait inintéressant, mais parce que l’amendement CE22 que nous venons d’adopter sur le même objet a l’avantage de s’appuyer sur le critère de la surface, un choix judicieux au vu de la pression foncière locale.
En outre, l’amendement prévoit un délai de douze mois pour l’application de cette mesure ; or cela créerait une forte insécurité juridique pour les entreprises concernées.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Je maintiens mon amendement.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE6 de M. Jean-Hugues Ratenon
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Nous proposons un moratoire sur l’ouverture de nouvelles surfaces commerciales supérieures à mille mètres carrés dans tous les outre-mer. Cette initiative répond à une demande des acteurs économiques martiniquais et de la collectivité territoriale de Martinique, qui fait suite aux mobilisations populaires de septembre contre la vie chère.
Dans les départements d’outre-mer, les prix alimentaires sont en moyenne 40 % plus élevés qu’en France hexagonale. En Martinique, l’écart de prix atteint 107 % pour les yaourts ; personne ne peut l’accepter. À La Réunion, la grande distribution contrôle 80 % des parts de marché. Cette concentration du marché entre les mains de quelques acteurs qui appliquent des marges en cascade alimente la vie chère et déséquilibre l’économie locale. Ce modèle est l’héritage d’une économie de rente, coloniale, qui marginalise les commerces de proximité et aggrave les inégalités économiques. Il est urgent de le réformer pour rétablir l’équilibre économique.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Cette mesure était prévue dans le protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère signé par l’État et la collectivité territoriale de Martinique. J’y suis favorable. Toutefois, une réécriture est nécessaire concernant la durée du moratoire, pour des raisons de constitutionnalité. Je vous demande donc de retirer l’amendement et de le retravailler en vue de l’examen en séance publique.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
La réunion est suspendue de douze heures dix à douze heures vingt.
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* *
Puis la commission a examiné la proposition de loi portant accélération de la rénovation énergétique des logements (n° 516) (M. Stéphane Delautrette, rapporteur).
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. J’ai lu attentivement la nouvelle stratégie nationale bas-carbone, dévoilée au début du mois de novembre par le Gouvernement. Bien que ce document ne soit pas contraignant, il fixe le cap de la politique publique en matière de transition énergétique et environnementale dans les prochaines décennies. Un chiffre a retenu mon attention : l’objectif de rénover quatre cent mille maisons individuelles et deux cent mille logements collectifs chaque année d’ici à 2030. Cet objectif de six cent mille rénovations globales reste un mirage. En effet, selon les représentants de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), le nombre de rénovations globales approcherait les quatre-vingt-cinq mille en 2024, soit bien moins que ce qui serait nécessaire pour respecter nos engagements climatiques dans les décennies à venir.
Selon le Haut-Conseil pour le climat, en 2023, les émissions du secteur du bâtiment représentaient en France 58,4 milliards de tonnes équivalent CO2, soit 16 % des émissions nationales. C’est ainsi le quatrième secteur le plus émetteur de CO2 derrière les transports, l’agriculture et l’industrie. La tâche reste donc immense. Au 1er janvier 2023, 4,8 millions de résidences principales, soit 16 % des résidences principales du territoire, étaient classées comme passoires thermiques. En incluant les résidences secondaires et les logements vacants, on estime à 6,6 millions le nombre de passoires thermiques.
Le groupe Socialistes et apparentés s’est fortement investi concernant le logement, ces dernières années, car ce secteur est emblématique de la transition écologique et sociale que la loi doit promouvoir. La situation actuelle est insupportable pour un trop grand nombre de nos concitoyens, tout particulièrement les plus fragiles qui sont surreprésentés parmi les occupants de passoires thermiques. Selon l’Observatoire des inégalités, 37 % des ménages les plus modestes déclarent souffrir de chaleur excessive en été – c’est deux fois plus que les ménages les plus aisés – et 28 % déclarent souffrir de froid dans leur logement durant l’hiver. Ces situations déjà difficiles créent d’autres difficultés, largement documentées. Certains Français renoncent même à se chauffer en raison de la hausse des dépenses de chauffage, qui atteignent en moyenne 1 700 euros par an. La santé de nos concitoyens est également en jeu. Le ministère de la transition écologique, dans une étude publiée en mars 2022, estime que ces mêmes ménages sont davantage susceptibles d’être victimes de problèmes de santé graves, comme des troubles respiratoires ou des accidents cardiovasculaires.
En s’appuyant sur ces constats largement partagés sur nos bancs, les pouvoirs publics ont lancé plusieurs initiatives législatives et réglementaires, dont la montée en puissance de MaPrimeRénov’. Si ce dispositif présente un intérêt indéniable pour accompagner les ménages dans le financement de leurs travaux d’amélioration thermique, le nombre de rénovations globales n’augmente clairement pas assez vite.
Parmi les nombreux freins identifiés (structuration insuffisante de l’offre, manque de disponibilité des accompagnateurs France Rénov’, retard des subventions, pratiques frauduleuses, etc.), arrêtons-nous sur celui, majeur, de l’importance du reste à charge pour les ménages modestes. Il faut le lever pour permettre la massification des rénovations globales.
Le présent texte vise à résorber cette faille. En complément des subventions accordées par l’Anah, les ménages les plus modestes bénéficieraient d’un financement complet du reste à charge, sous forme d’une avance remboursable à taux zéro gérée par l’Anah et financée par la Caisse des dépôts. L’avance pourra être remboursée soit sous la forme d’un prêt à taux zéro, soit au moment du transfert du bien par cession ou succession. Avec cette mesure simple et lisible, nous lèverons ainsi les freins financiers pour les ménages les plus modestes, tout en offrant de nouveaux débouchés aux acteurs économiques de la rénovation.
Ce texte ne vise ni à modifier les subventions accordées par l’Anah à travers MaPrimeRénov’, ni à concurrencer l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ), un outil plébiscité par les ménages aux revenus intermédiaires ou aisés pour financer le reste à charge de leurs travaux. L’avance remboursable serait ciblée vers les ménages les plus modestes, qui voient leurs demandes d’éco-PTZ refusées par les banques pour des raisons de solvabilité.
L’absence de solutions de financement du reste à charge pour les ménages modestes a été largement soulignée lors des auditions. Les nouveaux produits bancaires privés qui pourraient satisfaire ces besoins ne sont que rarement proposés par les établissements bancaires et restent peu connus du grand public. Seul un dispositif public pour les ménages qui en ont le plus besoin permettra de massifier les rénovations.
Je proposerai donc une réécriture de l’article 1er afin de restreindre le dispositif proposé aux ménages les plus précaires, c’est-à-dire à ceux qui peuvent être éligibles aux aides à la pierre et non au dispositif national MaPrimeRénov’.
Certains s’inquiéteront du coût de cette mesure. De fait, le texte prévoit que l’avance remboursable serait financée par un fonds unique, le fonds de rénovation énergétique, centralisé par la Caisse des dépôts et consignations et garanti par l’État, créant ainsi une charge pour les finances publiques. Cependant, la réécriture proposée de l’article 1er réduira à la fois le nombre de bénéficiaires et le montant de l’avance remboursable, puisque les ménages aux revenus les plus modestes ont le reste à charge le plus faible du fait de taux de subvention plus importants.
La proposition de loi ne remet pas en cause le rôle de l’Anah, qui reste au contraire l’interlocuteur unique des ménages. Ainsi, elle apporte une solution concrète, simple et lisible aux ménages qui en ont le plus besoin sans bouleverser les dispositifs existants.
Le sujet est au cœur des réflexions actuelles : la ministre du logement et de la rénovation urbaine Valérie Létard a ainsi lancé une mission afin de créer une banque de la rénovation. Le présent texte permettra à notre assemblée de s’emparer du sujet.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Frédéric Falcon (RN). Je ne reviendrai pas sur votre fanatisme climatique, alors que nous sommes le pays de l’OCDE dont l’économie est la plus décarbonée. La France, grâce à un parc nucléaire que le parti socialiste, puis la Macronie, ont tenté de démanteler, peut s’enorgueillir d’émettre sept fois moins de CO2 que l’Allemagne par kilowattheure produit. Par ailleurs, depuis le début des années quatre-vingt-dix, les émissions de CO2 du secteur résidentiel suivent une pente descendante, alors même que la population et le nombre de logements ont nettement augmenté. Durant cette période, la surface globale du parc a progressé de 50 %, mais les émissions de gaz à effet de serre liées au chauffage ont décru de 5 %. Cet exploit technique et écologique devrait nous réjouir, d’autant que ces progrès sont apparus bien avant la promulgation de la loi du 22 août 2021, dite loi « Climat et résilience ».
N’oublions pas toutefois la précarité énergétique qui frappe des millions de nos compatriotes. Le montant des factures d’électricité a bondi de 80 % en dix ans, principalement en raison du refus des gouvernements successifs d’abandonner les règles absurdes du marché européen de l’énergie, alors même que nous produisons l’électricité la moins chère d’Europe. En outre, les taxes représentent plus du tiers du prix de l’électricité – le gouvernement Barnier souhaitait encore les augmenter, avant de reculer, grâce à l’avertissement lancé par le Rassemblement national.
La présente proposition de loi socialiste est une nouvelle « dinguerie » bureaucratique. Elle confortera les objectifs de la loi Climat et résilience, qui rendront arbitrairement « indécents » des millions de logements en raison de leur DPE. Dans un contexte budgétaire dégradé, elle augmentera les subventions allouées à travers MaPrimeRénov’… alors que celles‑ci constituent un scandale d’État, l’administration ne parvenant pas à juguler les fraudes massives auxquelles elles donnent lieu. Le texte est une usine à gaz technocratique ; le mécanisme de portage de l’avance par la Caisse des dépôts manque de clarté et sera coûteux.
En outre, alors que les artisans agréés nécessaires pour les travaux de rénovation manquent, le texte ne formule aucune proposition pour accroître l’attractivité de ces professions essentielles. Assez de taxes, assez de contraintes ! Non à l’omnipotence de l’État qui, à cause de ses excès bureaucratiques, attaque chaque jour un peu plus la propriété privée ! Laissons les Français avancer à leur rythme en matière de rénovation énergétique. Renoncez à essayer d’intervenir à tout prix sur tout.
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Vous restez fidèle à votre climato-scepticisme. Ce texte n’est en rien fanatique. Vous-même reconnaissez les difficultés des ménages pour s’acquitter de leurs factures d’énergie dans un contexte d’augmentation des coûts de l’énergie.
Le dispositif permettrait à ceux qui ont le plus de mal à s’acquitter de leurs factures d’énergie de réaliser les travaux permettant d’en réduire le montant. Ce n’est donc nullement une « dinguerie bureaucratique ». C’est un dispositif simple et efficient, qui ne remet pas en question l’Anah et les acteurs qui interviennent par son intermédiaire.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Le texte prévoit un doublement du plafond de financement des projets financés par MaPrimeRénov’ permettant un gain énergétique d’au moins 35 % et l’atteinte de la classe D du DPE. Il prévoit en outre que les ménages concernés bénéficieraient d’un dispositif de « zéro reste à charge », sous forme d’une avance remboursable couvrant la différence entre le coût des équipements ou travaux éligibles et le montant de la prime accordée. Cette avance remboursable serait versée par l’Agence nationale de l’habitat, qui demeurerait ainsi le seul interlocuteur des bénéficiaires, et financée par la Caisse des dépôts.
Nous ne pouvons que souscrire à vos objectifs. Le reste à charge des travaux de rénovation est parfois dissuasif, notamment pour les plus modestes. Toutefois, ces ménages ont déjà accès à l’éco-PTZ à travers le fonds de garantie pour la rénovation énergétique.
En outre, l’application de votre texte poserait problème. Comment garantir a priori que les travaux permettront un gain énergétique de 35 % ? Ne craignez-vous pas de complexifier encore MaPrimeRénov’, alors que le dispositif d’accompagnement France Rénov’ instauré l’an dernier a justement échoué à trouver son public à cause de sa complexité ? Alors que la grande majorité de nos compatriotes demande de la simplification, votre réponse sur ce point est importante.
Enfin, nous manquons de visibilité sur le coût du dispositif, qui entraînerait une hausse substantielle des crédits de MaPrimeRénov’, alors que le contexte budgétaire est tendu. Nous ne pourrons donc pas soutenir cette proposition de loi en l’état, ce que je regrette.
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Je propose un amendement de réécriture de l’article 1er, afin de cibler le dispositif sur les bénéficiaires les plus précaires, ceux qui peuvent être éligibles à l’aide à la pierre. La référence à un gain énergétique d’au moins 35 % disparaîtra ainsi du texte : voilà qui répond à votre première interrogation et garantit la cohérence de notre proposition avec l’architecture des différentes aides à la rénovation énergétique. Je vous invite donc à réexaminer votre position.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). La présente proposition de loi, qui sera examinée lors de la journée d’initiative parlementaire du Parti socialiste du 12 décembre – si elle a lieu… – porte sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées au chauffage et à la climatisation des logements. Le bâtiment est le quatrième secteur le plus émetteur en France. Près de 20 % des logements ont, par ailleurs, reçu une note DPE de F ou G, ce qui implique des factures énergétiques élevées, jusqu’à 15 % des revenus mensuels pour les ménages les plus modestes.
Le dispositif incitatif MaPrimeRénov’, destiné à accompagner les ménages dans la réalisation et le financement des travaux d’isolation, a montré toutes ses limites : la prime est dispersée dans des travaux non pertinents pour l’isolation ; elle finance souvent des travaux monogestes ; le montant du reste à charge est dissuasif pour les ménages modestes ; les opérateurs du secteur profitent d’effets d’aubaine et aucun diagnostic préalable ni aucune mesure de contrôle à l’achèvement des travaux ne sont prévus. Enfin, le gouvernement Barnier prévoit de réduire de 1 milliard d’euros (Md€) la dotation budgétaire de ce dispositif, alors qu’elle était déjà indigente au regard de l’enjeu.
Le présent texte entend atténuer certaines des faiblesses de MaPrimeRénov’, tout en conservant l’architecture générale de cette subvention. Nous soutenons l’article 1er dans sa version actuelle et le soutiendrons dans sa version réécrite. Toutefois, nous aurions aimé que vous fixiez une ambition concernant le niveau de performance à atteindre – ce pourrait être au minimum l’obtention du label « Bâtiment basse consommation » (BBC) et un DPE de classe C, voire B ou A.
L’article 2, sous le nom de « zéro reste à charge », prévoit en réalité une avance remboursable qui conduira, au mieux, à un passif successoral ou, au pire, à un remboursement mensualisé. C’est manquer d’ambition. Cette dette grèvera le budget des ménages les plus modestes.
L’article 3, qui mobilise la Caisse des dépôts et consignations pour le portage financier du dispositif, permettra à cet organisme d’émettre des titres de créance envers l’Anah, organisme prêteur. Or le rapport d’information (n° 2706) du 30 mai 2024 sur l’évaluation de l’adaptation des logements aux transitions démographique et environnementale, dit rapport « Louwagie-Vidal », épingle l’Anah pour sa gestion opaque et sa persistance à se soustraire au contrôle des parlementaires.
L’article 4 prévoit la compensation de ces nouvelles dépenses.
Nous nous abstiendrons, car ce texte conforte un dispositif qui a montré ses limites fonctionnelles et ses aberrations et dont la dotation, même si elle était élargie conformément à vos vœux, restera sous-dimensionnée au regard des besoins et des enjeux. Nous prônons des mesures globales et une prise en charge complète pour les ménages modestes, soutenue par un plan de financement massif, évalué à mille milliards d’euros pour les quinze années à venir, qui concernerait le neuf comme l’ancien, les parcs public et privé, et imposerait un niveau de performance obligatoire permettant la qualification BBC.
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Les fragilités de MaPrimeRénov’ sont évidentes. Toutefois, le présent texte, parce qu’il s’inscrit dans une niche parlementaire, ne vise pas à remettre en cause les dispositifs existants. Cela ne nous empêchera pas de les perfectionner dans d’autres textes ultérieurs.
Ce texte lèverait l’un des freins à la rénovation énergétique globale pour les ménages les plus modestes : le reste à charge.
La ministre du logement et de la rénovation urbaine a lancé une mission sur le financement de la rénovation énergétique ; nous devrons nous montrer vigilants quant aux points que vous évoquez.
M. Dominique Potier (SOC). Cette proposition de loi est exemplaire, car elle permettra une transition à la fois sociale et écologique. Vous trouvez ainsi un chemin face à un défi colossal. De fait, le secteur résidentiel émet 20 % du total des émissions de gaz à effet de serre nationales.
Vous avez évoqué les souffrances sociales, les effets de la chaleur et du froid, le mal‑logement dans les passoires énergétiques, problèmes que nous avons failli à résoudre.
La présente proposition de loi avait été conçue en 2019 par nos collègues Boris Vallaud et Jean-Louis Bricout. Vous l’avez retravaillée de manière pertinente. Le système de tiers financement qui la rend crédible pour les ménages les plus modestes pourra être remboursé à la transmission du patrimoine, ou de manière mensualisée, à hauteur des dépenses d’énergie économisées. Vous reprenez ainsi le principe de « l’intracting », qui a démontré sa force pour les équipements publics.
Je ne peux que m’étonner que ces propositions n’aient pas été mieux accueillies par les majorités successives. Elles auraient au moins dû être expérimentées, ce qui aurait permis de prouver leur validité.
Vous ciblez une population précise afin d’assurer une parfaite complémentarité entre votre dispositif et MaPrimeRénov’. Comment cette cible a-t-elle été définie et en avez-vous fait une étude d’impact ? Par ailleurs, le dispositif MaPrimeRénov’ répond-il à l’ambition de la proposition de loi ?
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Tous les publics n’entrent pas dans MaPrimeRénov’. Deux régimes juridiques couvrent les aides à la rénovation énergétique : l’aide à la pierre, décidée par le conseil d’administration de l’Anah, pour les quatre premiers déciles ; MaPrimeRénov’, au-delà du quatrième décile. Je n’avais pas fait cette distinction dans le texte initial ; c’est pourquoi je propose de le réorienter vers les quatre premiers déciles. L’objectif n’est pas de faire concurrence aux outils de financement tels que MaPrimeRénov’, l’éco-PTZ et le prêt avance rénovation, mais de toucher les publics qui n’y ont pas accès.
M. Vincent Rolland (DR). Le groupe Droite républicaine est convaincu de l’importance de la rénovation énergétique, tant pour répondre à l’urgence climatique que pour créer des emplois et lutter contre la précarité. Nous partageons votre souhait d’aider les ménages, y compris les plus modestes, à y accéder. Cependant, plusieurs outils le permettent déjà, comme l’éco-PTZ, prêt garanti à 75 % par le fonds de garantie pour la rénovation énergétique.
Nous émettons des réserves sur la soutenabilité de votre dispositif et sur ses conséquences pour les finances publiques. Ainsi, le doublement du plafond de financement des projets MaPrimeRénov’ et le « zéro reste à charge » sous forme d’avance remboursable impliquent des engagements financiers lourds. Le fonds de rénovation énergétique, adossé à des titres de créance, nécessitera une gestion rigoureuse pour limiter les risques financiers et stabiliser sa trésorerie. Un ajustement fiscal sera vraisemblablement nécessaire pour couvrir l’augmentation des subventions.
Par ailleurs, la ministre du logement et de la rénovation urbaine a annoncé une mission flash sur la création d’une banque de la rénovation, qui pourrait jouer un rôle clé dans le financement du reste à charge pour les ménages modestes.
Pour toutes ces raisons et dans l’attente des conclusions de cette mission, nous nous abstiendrons.
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Vous avez raison de souligner que le dispositif vise non seulement à lutter contre la précarité, mais aussi à créer des emplois à l’heure où le ralentissement du BTP met en difficulté les entreprises du secteur.
Par ailleurs, je le répète, notre intention n’est aucunement de créer un dispositif concurrent des outils de financement en vigueur. Nous visons précisément les ménages qui ne sont pas éligibles à l’éco-PTZ et à l’offre bancaire existante. La puissance publique doit les aider à réaliser les opérations indispensables de rénovation énergétique globale.
M. Nicolas Bonnet (EcoS). Face au fanatisme « climato-dénialiste » du Rassemblement national et aux signaux négatifs envoyés par le Gouvernement avec les baisses successives des crédits de MaPrimeRénov’, je salue cette proposition de loi qui vise à améliorer le dispositif existant et à combler ses lacunes.
S’il faut évidemment faciliter l’accès au financement des travaux de rénovation, il faut aussi veiller au meilleur emploi de l’argent public ; cela implique d’améliorer la performance des bâtiments, c’est-à-dire de travailler sur l’enveloppe thermique avant de s’attaquer aux systèmes de chauffage. Cette dimension est trop souvent omise. En outre, les matériaux isolants doivent tout autant protéger du froid que de la chaleur pour garantir une habitabilité d’été – je préfère cette expression à celle de « confort d’été », s’agissant de logements qui peuvent atteindre quarante degrés le jour et trente degrés la nuit.
Cette ambition demande des moyens importants – c’est l’objet de la proposition de loi. Le financement des rénovations doit être perçu comme un investissement de long terme, qui permettra à nos concitoyens de réduire leurs dépenses énergétiques et à notre pays de renforcer sa souveraineté énergétique. Il faut bien sûr travailler en priorité sur les économies d’énergie, car l’énergie la moins chère est celle qu’on ne consomme pas.
Le dispositif qui nous est proposé facilitera l’accès à la rénovation énergétique pour tous les ménages, y compris les plus modestes, qui n’étaient pas éligibles aux financements jusqu’alors. Les aides publiques doivent favoriser les travaux d’efficacité énergétique et la transition vers les énergies renouvelables, plutôt qu’une forme de spéculation pour ceux qui ont les moyens de financer ces opérations.
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Nous sommes d’accord : l’objectif est de susciter des rénovations globales, car les rénovations à petits pas n’atteignent pas la performance espérée. C’est pourquoi je propose une nouvelle rédaction de l’article 1er.
Comme vous le soulignez, l’enjeu est d’isoler les logements non seulement contre le froid, mais aussi contre la chaleur, qui touchera de plus en plus nos concitoyens dans les années à venir.
M. Thomas Lam (HOR). La proposition de loi vise à favoriser les rénovations d’envergure, permettant de réaliser au moins 35 % d’économies d’énergie et d’atteindre la classe D du DPE. Vous souhaitez doubler le plafond des subventions MaPrimeRénov’ pour ces travaux et garantir un « zéro reste à charge » aux propriétaires grâce à une avance correspondant aux coûts résiduels qui sera remboursée soit par mensualisation, soit lors de la vente du bien ou de la succession.
Cette avance remboursable sera gérée par la Caisse des dépôts et financée par des émissions de titres de créance ou des prêts garantis par l’État jusqu’à 5 Md€ par an, avec un plafond cumulé de 150 Md€. Le texte entend ainsi lever l’un des principaux freins à une rénovation énergétique véritablement performante.
Si nous partageons cet objectif, nous nous interrogeons sur la robustesse du mécanisme. Selon toute vraisemblance, il existera un fort décalage dans le temps entre l’émission des emprunts par la Caisse des dépôts et les remboursements qui, dans certains cas, n’interviendront qu’au moment de la vente du bien immobilier ou de la succession. Cela exposera la Caisse à des besoins de refinancement importants pour garantir la viabilité du mécanisme.
Le groupe Horizons et Indépendants s’interroge également sur la pertinence de financer le dispositif par une majoration de la fiscalité sur les revenus du capital, alors que les finances publiques sont contraintes et que le levier fiscal est déjà largement mis à contribution. Cela nous semble envoyer un signal préjudiciable qui risque de nuire au financement de l’économie réelle. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre la proposition de loi.
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. La nouvelle rédaction de l’article 1er répond à certaines de vos interrogations, notamment en ce qui concerne le doublement du plafond de financement des projets MaPrimeRénov’.
Il est vrai que lorsque le remboursement des avances ne sera pas mensualisé, il interviendra à une échéance incertaine. Cependant, les mensualisations alimenteront le dispositif ; j’ai d’ailleurs déposé un amendement visant à porter la durée maximale du remboursement par mensualités de trente à vingt-sept ans.
Article 1er : Définition du public éligible au dispositif créé par la proposition de loi
Amendement CE9 de M. Stéphane Delautrette
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Il s’agit de recentrer l’article 1er sur l’objet de la proposition de loi : la création d’une avance remboursable pour les ménages les plus modestes, éligibles à l’aide à la pierre et qui réalisent une rénovation globale telle que définie par la loi.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Quel est l’impact financier de cette nouvelle mouture de l’article 1er ?
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Cela ne coûtera pas plus cher que l’éco-prêt à taux zéro. Pour la Caisse des dépôts, le coût d’opportunité correspond la rémunération du livret A.
M. Nicolas Bonnet (EcoS). Je soutiens pleinement cet amendement, qui vise à encourager les rénovations globales au sens de la loi. Il rend d’ailleurs caduc l’amendement CE7 que je m’apprêtais à défendre.
La commission adopte l’amendement CE9.
En conséquence, l’amendement CE7 tombe.
Après l’article 1er
Amendement CE6 de M. François Piquemal
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Nous souhaitons que les aides publiques touchant à la maîtrise des besoins énergétiques et aux certificats d’économie d’énergie (C2E) favorisent prioritairement les rénovations globales des logements par rapport aux actions isolées.
Si le dispositif MaPrimeRénov’ a été instauré par la loi Climat et résilience pour accompagner les ménages qui réalisent des travaux d’isolation, il se contente le plus souvent de financer les changements de systèmes de chauffage et n’encourage pas suffisamment les rénovations intervenant sur l’enveloppe thermique des bâtiments pour améliorer leur performance énergétique.
La stratégie actuelle favorise ainsi les solutions les moins onéreuses et les plus court‑termistes. En 2023, MaPrimeRénov’ a contribué à 623 790 rénovations par monogestes, contre seulement 71 613 rénovations globales, loin de l’objectif de sept cent mille prévu dans la stratégie nationale bas‑carbone. Or les monogestes ne permettent pas de lutter efficacement contre la précarité énergétique. Nous proposons d’y remédier par le présent amendement.
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Il serait effectivement souhaitable d’accorder un bonus aux rénovations globales, mais je crains que cela ne soit contraire au mode de fonctionnement des C2E, qui sont calculés par poste de travaux ou par équipement sans tenir compte du projet d’ensemble. Je partage votre intention, mais je crains que votre proposition ne soit difficile à appliquer. Je m’en remets à la sagesse de la commission.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE5 de M. Jean-François Coulomme
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Il s’agit de garantir un véritable « zéro reste à charge » en faveur des ménages les plus modestes qui réalisent une rénovation thermique performante.
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Notre intention n’est pas d’effacer toute charge, car cela ferait reposer intégralement le financement des opérations sur des subventions publiques. Nous souhaitons plutôt lever les freins à la réalisation de travaux grâce à un système d’avance remboursable. Avis défavorable.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Si les ménages les plus modestes privilégient les rénovations monogestes, insuffisamment performantes, c’est parce qu’ils n’ont pas accès au crédit : ils doivent donc bénéficier d’un véritable « zéro reste à charge ».
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. La proposition de loi vise justement à accompagner les ménages qui n’ont pas accès à l’offre de financement privée, en leur proposant une avance remboursable. Je maintiens donc mon avis.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Article 2 : Création d’une avance remboursable distribuée par l’Anah
Amendement CE10 de M. Stéphane Delautrette
M. Stéphane Delautrette, rapporteur. Je propose de porter la durée maximale du remboursement mensualisé à vingt-sept ans, au lieu des trente ans prévus dans le texte initial, afin de nous conformer aux règles prudentielles en vigueur pour d’autres prêts.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 2 modifié.
Article 3 : Création d’un fonds de rénovation énergétique géré par la Caisse des dépôts
La commission adopte l’article 3 non modifié.
Article 4 : Gage financier
La commission adopte l’article 4 non modifié.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 4 décembre 2024 à 9 h 35
Présents. – M. Xavier Albertini, M. Laurent Alexandre, M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Charles Alloncle, M. Maxime Amblard, M. Pouria Amirshahi, M. Christophe Barthès, Mme Béatrice Bellay, M. Thierry Benoit, M. Benoît Biteau, M. Philippe Bolo, M. Nicolas Bonnet, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Philippe Brun, M. Stéphane Buchou, M. Romain Daubié, M. Stéphane Delautrette, M. Julien Dive, M. Inaki Echaniz, M. Frédéric Falcon, M. Charles Fournier, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Antoine Golliot, Mme Géraldine Grangier, Mme Olivia Grégoire, M. Harold Huwart, M. Maxime Laisney, M. Thomas Lam, Mme Laure Lavalette, Mme Annaïg Le Meur, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Lebec, M. Robert Le Bourgeois, M. Guillaume Lepers, M. Laurent Lhardit, M. Alexandre Loubet, M. Frédéric Maillot, M. Bastien Marchive, M. Patrice Martin, M. Max Mathiasin, M. Nicolas Meizonnet, Mme Manon Meunier, M. Philippe Naillet, Mme Sandrine Nosbé, Mme Julie Ozenne, M. René Pilato, M. François Piquemal, M. Dominique Potier, M. Joseph Rivière, M. Vincent Rolland, M. Matthias Tavel, M. Lionel Tivoli, Mme Aurélie Trouvé, M. Paul Vannier, M. Jean-Pierre Vigier, M. Stéphane Vojetta, M. Frédéric Weber, M. Jiovanny William
Excusés. – Mme Hélène Laporte, M. Pascal Lecamp, Mme Sandra Marsaud, M. Jérôme Nury, M. Stéphane Peu
Assistaient également à la réunion. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Karim Benbrahim, M. Elie Califer, M. Jean-François Coulomme, M. Steevy Gustave, Mme Karine Lebon, M. Paul Molac, Mme Maud Petit, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Mélanie Thomin