Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. Bernard Fontana, dont la nomination aux fonctions de président-directeur général d’Électricité de France (EDF) est envisagée par le Président de la République, et vote sur ce projet de nomination (M. Matthias Tavel, rapporteur)              2

 


Mercredi 30 avril 2025

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 86

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Aurélie Trouvé,

Présidente


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La commission des affaires économiques a procédé à l’audition, en application de l’article 13 de la Constitution, M. Bernard Fontana, dont la nomination aux fonctions de président-directeur général d’Électricité de France (EDF) était envisagée par le Président de la République, puis au vote sur ce projet de nomination (M. Matthias Tavel, rapporteur).

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Mes chers collègues, sur le fondement de l’article L. 151‑7 du code monétaire et financier, le rapporteur général de la commission des finances Charles de Courson et moi-même nous sommes rendus, le 16 avril dernier, au ministère chargé de l’économie et des finances. Nous avons consulté, auprès de l’agence des participations de l’État, divers documents sur le contrat conclu par EDF avec le gouvernement britannique concernant le projet de centrale nucléaire d’Hinkley Point C. Nous aurions souhaité consulter le contrat lui-même, mais nous avons découvert sur place que le ministère, étonnamment, n’en disposait pas.

Ce contrôle de documents s’est néanmoins révélé instructif et nous verrons les suites à y donner. Nous nous inquiétons notamment du poids de ce projet de plusieurs milliards d’euros par an sur les capacités financières d’EDF.

Notre commission est aujourd’hui réunie pour entendre, dans le cadre de l’article 13 de la Constitution, M. Bernard Fontana, dont la nomination aux fonctions de président-directeur général (PDG) d’EDF est envisagée par le Président de la République. À l’issue de l’audition, la commission procédera donc au vote à huis clos sur cette nomination.

Le dépouillement aura lieu simultanément dans les deux commissions des affaires économiques de l’Assemblée nationale et du Sénat. En application de l’article 13, « le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. ». La commission des affaires économiques du Sénat ayant déjà procédé à l’audition de monsieur Fontana, le dépouillement et l’annonce des résultats auront lieu dès la fin de notre audition.

Conformément aux dispositions de l’article 29-1 de notre règlement, le rapporteur doit appartenir à un groupe d’opposition ou minoritaire. Notre commission a désigné à ce titre M. Matthias Tavel, membre du groupe LFI-NFP.

Monsieur Fontana, nous vous remercions pour vos réponses au questionnaire qui vous avait été adressé par le rapporteur – réponses dont je rappelle qu’elles ont été transmises aux membres de la commission avant votre audition.

EDF est un acteur stratégique pour notre pays. Le groupe emploie plus de cent quatre-vingt-dix mille personnes dans le monde. Son chiffre d’affaires dépasse les 118 milliards d’euros (Md€), sa production électrique les 520 térawattheures (TWh) et il fournit de l’électricité et du gaz à, respectivement, trente-cinq millions et six millions de clients.

Ma première question concerne la transition énergétique, qui, en France, n’est pas négociable. Nous nous sommes dotés d’un objectif de 40 % de sources renouvelables dans la production d’énergie en 2030. Quelle stratégie proposez-vous afin de tenir cet engagement ?

S’agissant des réacteurs de type EPR, vous êtes actuellement président du directoire de Framatome, filiale d’EDF qui joue un rôle clé dans le nucléaire. Comment analysez-vous les dérives inquiétantes concernant les coûts et les délais de construction des EPR de Flamanville et Hinkley Point ?

Enfin, le statut actuel d’EDF, qui est une société anonyme, vous paraît‑il le plus approprié pour mener une politique énergétique cohérente et ambitieuse au service de l’intérêt général ? Les moyens budgétaires d’EDF permettent‑ils d’atteindre les objectifs stratégiques qui lui sont fixés ?

M. Matthias Tavel, rapporteur. Merci, monsieur Fontana, de vous présenter devant notre commission. Vous êtes directeur général de Framatome et nous devons nous prononcer sur votre nomination aux fonctions de président-directeur général d’EDF, telle que proposée par le Président de la République. Nous vous avons transmis un questionnaire, qui dépassait quelque peu les limites habituelles du contrôle parlementaire. Je vous remercie d’avoir pris le temps d’y répondre en vingt‑huit pages : nous sommes particulièrement attachés à un contrôle parlementaire exigeant.

Depuis 1946 et le temps de la reconstruction, EDF est sans doute l’une des plus belles entreprises de notre pays. Elle compte des milliers de salariés. Nous avons besoin d’elle pour fournir aux Français de l’électricité à un prix soutenable, dans une période de hausse des factures et d’explosion des impayés, pour soutenir notre industrie, pour planifier la transition énergétique et atteindre la neutralité carbone et, enfin, pour assurer la souveraineté énergétique de la France dans un monde belliqueux et instable.

Monsieur Fontana, vous n’êtes pas candidat au poste de PDG d’« Électricité nucléaire de France » : si les enjeux nucléaires sont majeurs, les enjeux énergétiques ne s’y limitent pas. Et si EDF signifie « Électricité de France », c’est bien pour qu’elle s’inscrive dans une logique de service public et non uniquement dans une logique financière d’entreprise.

Développement des énergies renouvelables, sécurisation des investissements dans l’hydroélectricité, conversion des centrales à charbon (notamment celle de Cordemais, qui m’est chère), maintien d’un parc de centrales pilotables, stockage, décarbonation de l’économie française et des usages par l’électrification, résilience et adaptation face au changement climatique : les enjeux énergétiques s’ajoutent aux enjeux écologiques, financiers, industriels et sociaux. Pourtant, la dernière loi de programmation sur l’énergie et le climat remonte à 2019. Depuis lors, le Parlement a été systématiquement contourné pour la mise à jour de la feuille de route stratégique. Il y a deux jours encore, le Gouvernement n’a laissé se tenir qu’un débat sans vote. Le vote d’aujourd’hui ne portera donc pas seulement sur votre nomination, mais aussi sur la feuille de route énergétique d’EDF et, par extension, du pays.

Ce n’est pas faire offense que de dire qu’EDF n’était pas réellement dirigée par votre prédécesseur, M. Luc Rémont, mais par M. Emmanuel Macron lui-même et que vous connaîtrez la même situation. Monsieur Rémont a été « débarqué » par le Président sur fond de désaccord concernant les offres tarifaires aux industriels, au moment où la fable macroniste de la « réindustrialisation » était rattrapée par la réalité des fermetures d’usines et des plans de licenciement.

Le problème est bien l’équation impossible voulue par les architectes du marché de l’électricité : après tout, monsieur Rémont n’a‑t‑il pas géré EDF comme une société anonyme, motivée par la recherche de profits, à laquelle l’État actionnaire a demandé le versement de 2 Md€ de dividendes ?

Le Gouvernement veut donc qu’EDF à la fois génère des profits, afin de récupérer des dividendes, tout en baissant le montant de ses contrats avec ses clients industriels, quitte à vendre à perte. Manifestement, certains voudraient la concurrence tout en bénéficiant des avantages du monopole…

Ce « en même temps » essentiellement macroniste nous semble être une équation impossible qui, quand elle se heurte au réel, conduit à un « ni l’un ni l’autre » qui menace l’avenir énergétique de notre pays, ainsi que l’une de ses plus belles entreprises.

Selon nous, il faut changer l’équation : sortir l’électricité du marché et rétablir de la régulation sur le long terme. Changer le nom du PDG nous paraît être une manière trop étroite de poser la question.

Comment comptez‑vous résoudre cette équation pour assurer, d’une part, le besoin de rentabilité d’EDF – notamment pour financer la filière nucléaire, comme le demande le Gouvernement – et, d’autre part, sa capacité à proposer des prix bas tant aux ménages qu’aux entreprises, afin que celles-ci soient concurrentielles ? Votre réponse au questionnaire ne donne pas tout à fait la solution et j’aimerais comprendre comment vous pensez réussir là où votre prédécesseur n’a pas donné satisfaction. Prévoyez-vous d’alimenter les industriels à des prix inférieurs à vos coûts de production ? Proposerez‑vous au conseil d’administration de cesser la distribution de dividendes au profit de l’État ? Souhaitez‑vous que l’État diminue les taxes pour compenser une baisse de tarifs qu’EDF ne pourrait pas supporter ?

Les investissements dans le nucléaire existant pour la sécurité, la gestion des déchets, la prolongation de la durée de vie des réacteurs, l’adaptation au changement climatique et l’augmentation de la puissance sont-ils compatibles, dans la durée, avec un prix de vente de l’électricité inférieur à 60 euros le mégawattheure (MWh), tel que le réclament les entreprises électro‑intensives ?

Tous les scénarios envisagés par Réseau de transport d’électricité (RTE), y compris ceux qui comportent le plus de nucléaire, prouvent qu’il n’y a pas d’avenir énergétique pour la France sans énergies renouvelables. En tant que député de Saint-Nazaire, je citerai par exemple l’éolien en mer – EDF y exploite le premier parc français de ce type.

Nous nous accordons sur un point : le problème de la France n’est pas de produire trop d’électricité, mais de ne pas suivre la bonne trajectoire d’électrification des usages pour aujourd’hui, demain et après-demain.

Cette réussite de l’électrification, que nous appelons de nos vœux, impliquera un mur de production électrique d’ici une dizaine d’années. Or, à cette échéance, aucun des nouveaux réacteurs nucléaires ne sera en service. Si les délais à Flamanville ou à Hinkley Point sont les mêmes que pour la première génération d’EPR, ils nous mèneront plutôt vers 2045 que vers 2038.

Pourtant, la feuille de route du Gouvernement – et donc celle d’EDF – fait peser l’essentiel de la stratégie énergétique du pays sur cette technologie non maîtrisée des EPR 2, au lieu de s’appuyer sur les énergies renouvelables. Elle place EDF dans une situation financière difficile : les coûts du nucléaire, importants, ne sont pas maîtrisés, comme dans les deux exemples cités. La dette d’EDF risque de s’emballer, à moins de répercuter le coût de ces investissements sur ses usagers et clients.

Dans le même temps, pour ne pas convertir la centrale à charbon de Cordemais en centrale pilotable, comme le Président Macron s’y était engagé, EDF dit ne pas avoir les moyens d’y investir un milliard d’euros – alors qu’il lui est demandé d’investir 100 Md€ dans le « nouveau nucléaire ».

Je vous rejoins quand vous évoquez la nécessité d’investir dans l’hydroélectricité. Mais une entreprise aussi endettée qu’EDF peut‑elle investir à la fois dans le parc nucléaire existant, dans le nouveau nucléaire, dans les ouvrages hydroélectriques et dans les autres énergies renouvelables ? Ne faut-il pas plutôt considérer ces dernières comme une variable d’ajustement énergétique et financier dans la stratégie d’EDF ? Quelles ambitions nourrissez‑vous pour l’éolien maritime et terrestre, mais aussi pour le photovoltaïque – alors qu’EDF vient d’abandonner l’usine Photowatt ?

Concernant l’hydroélectricité, êtes-vous favorable, comme M. Luc Rémont, à un dispositif s’apparentant à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), afin d’éviter une mise en concurrence des barrages ?

Enfin, concernant le nouveau nucléaire, vous affirmez que le scénario EPR 2 est le moins risqué, en vous appuyant sur le rapport de RTE Futurs énergétiques 2050. Pourtant, ce rapport prend comme hypothèse la disponibilité de ces réacteurs dès 2035 et la livraison de paires de réacteurs tous les trois à cinq ans maximum ; or la mise en service du premier EPR 2 est annoncée avec trois ans de retard et le rythme de livraison des suivants s’annonce bien plus lent que prévu. Sur quelles études vous appuyez-vous donc pour maintenir que ce scénario est moins risqué que les autres ?

Lors du récent débat sur la politique énergétique devant notre assemblée, le Gouvernement a même évoqué quatorze nouveaux EPR 2 – un scénario considéré comme risqué par RTE. Quelle confiance accordez-vous à ce projet, autrement dit à la capacité à construire et à financer ces quatorze EPR 2 ? À cent euros le mégawattheure, est-ce vraiment le scénario le plus compétitif ? Enfin, le Gouvernement doit-il aller plus loin dans le soutien financier au nouveau nucléaire ? Voilà quelques-unes des questions qui se posent à vous, ainsi qu’à EDF.

Vous aurez compris que mon groupe et moi‑même ne sommes pas d’accord avec la feuille de route que le Gouvernement assigne à EDF, dans laquelle s’inscrivent logiquement les réponses que vous nous avez apportées. Mais, comme mes collègues, je suis impatient d’entendre vos précisions sur ces questions.

M. Bernard Fontana. C’est avec humilité, écoute et engagement que je me présente devant vous dans le cadre de la proposition de me nommer au poste de président-directeur général d’EDF.

EDF est un grand groupe et notre temps est limité : si je suis confirmé, je me tiendrai à votre disposition et à celle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

J’aime l’industrie, où j’ai fait toute ma carrière. J’ai travaillé pendant dix-huit ans à la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE). Je voulais commencer dans une usine : ce fut à Toulouse, en tant qu’ingénieur procédés sur le monoxyde de carbone, l’hydrogène et les carburants spatiaux. Je suis devenu responsable de fabrication du secteur Chimie, puis responsable du secteur. J’ai eu ma première expérience de direction générale à trente ans, avec Bergerac NC, dans les nitrocelluloses. Nous avons alors rapatrié des productions réalisées dans d’autres pays.

J’ai ensuite travaillé pour SNPE Chimie, y compris en Amérique du Nord, puis suis revenu en France pour être responsable des activités civiles du groupe – intermédiaires chimiques, chimie fine, pharmacie, agrochimie et explosifs industriels. À ce titre, j’ai été chargé de gérer les conséquences de l’explosion de l’usine AZF sur nos sites voisins comme SNPE Toulouse, Toulouse-Chimie et Isochem, en privilégiant la sécurité, le dialogue social, la stratégie industrielle et la communication. Mes collègues de Toulouse et moi‑même étions et sommes toujours très soudés, même si la vie nous a séparés. Je remercie d’ailleurs ceux qui m’ont envoyé des messages ce matin.

J’ai ensuite souhaité connaître le fonctionnement d’un grand groupe industriel et ai accepté la proposition d’Arcelor de rejoindre le domaine des aciers plats, à Luxembourg. J’ai travaillé sur le partage des bonnes pratiques pour améliorer les performances industrielles. Après la fusion avec Mittal Steel, j’ai été responsable de l’activité « Acier pour automobile » dans le monde. Cela représentait alors une production de 17 millions de tonnes, soit environ 24 % du marché mondial.

J’ai ensuite travaillé à la direction des ressources humaines du groupe, basée à Londres, qui comptait, en ces années fastes, 417 000 salariés. Je me souviens n’avoir eu que quelques semaines pour recruter 15 000 ingénieurs supplémentaires ou avoir dû, lors de la crise de 2008, réduire les coûts fixes du groupe pour assurer sa continuité. Les questions de compétences, de dialogue social, de leadership et d’efficacité des organisations ont occupé mes journées.

J’ai ensuite été responsable de l’activité « Inox » pour ce qui deviendra Aperam, une entreprise électro‑intensive avec laquelle nous avons investi en France.

En devenant directeur général de Holcim, j’ai relevé le défi de diriger un grand groupe. Ce géant mondial du ciment, basé à Zurich, avait une consommation électrique équivalente à celle de la Belgique. L’optimisation de ses émissions de CO2 était déjà une priorité pour le groupe. J’ai accompagné Holcim jusqu’à sa fusion avec Lafarge.

La même semaine, j’ai relevé le défi proposé par EDF et Areva : prendre la responsabilité d’Areva NP, rebaptisée Framatome. Un grand industriel français que je respecte beaucoup et que j’avais alors consulté m’a dit : « Bernard, c’est un boulot très compliqué. Je ne suis pas sûr que je le conseillerais à mon meilleur ennemi. » Ma réaction fut : « C’est la France, c’est l’industrie, c’est un défi de leadership exceptionnel, j’y vais ! » Merci, cher ami, je vous dois d’être ici.

Chez Framatome, nos priorités sont les suivantes : la sûreté nucléaire, la sécurité – nous avons divisé par dix le nombre d’accidents par million d’heures travaillées –, la qualité – nous avons diminué de 25 % par an le nombre d’écarts qualité client par million d’heures travaillées – et la réduction du temps de cycle – le lead time (délai de mise en œuvre) est important et nous visons sa réduction de 50 % d’ici quatre ans.

Nos axes stratégiques sont les compétences – nous recrutons chaque année 2 500 nouveaux collègues, ainsi que six cents apprentis en France –, la capacité à délivrer les projets et les équipements – nous investissons près de 600 millions d’euros (M€) par an dans nos usines, principalement en France –, l’agilité de nos organisations, l’offre de solutions à nos clients électriciens – le carnet de commandes est actuellement de 30 Md€ – et le développement à l’international d’effets de levier rentables pour nos équipes et nos usines françaises. Nous portons une attention particulière à nos chaînes de fournisseurs et à leur souveraineté. Il s’agit pour nous de soutenir le parc nucléaire français et de contribuer à l’exécution des projets d’EPR.

Aujourd’hui, Framatome n’a plus de dettes. En 2024, nous avons délivré plus de 700 M€ de cash flow opérationnel, cela après avoir investi 500 M€ et procédé, avec Naval Group, à l’acquisition de Jeumont Electric afin d’en garantir la souveraineté. L’engagement des salariés et leur fierté de travailler pour Framatome sont déterminants et je les en remercie.

Plus récemment, j’ai pris la direction d’Arabelle Solutions (anciennement General Electric et Alstom), qui produit des turbines, et j’ai rejoint le comité exécutif nucléaire d’EDF. Je mesure donc les défis qui attendent son futur président-directeur général et m’engage à les relever avec détermination si ma proposition de candidature était confirmée.

Quelles sont mes priorités ? La sûreté nucléaire, la sécurité, la qualité et le lead time – la capacité à faire les choses plus vite. Ma mission sera que l’entreprise EDF soit efficace et qu’elle rende à ses clients et au pays les services attendus. Je mobiliserai les compétences des salariés d’EDF, qui sont de grands professionnels, les ressources techniques à leur disposition ainsi que la chaîne des fournisseurs, principalement nationaux, afin de produire sur le territoire national une électricité bas carbone et compétitive, au service des ménages et des entreprises françaises – en particulier, celles qui en ont le plus besoin pour être concurrentielles.

Cela contribuera aux objectifs de la France en matière de souveraineté, de compétitivité, de lutte contre le changement climatique et d’abondance de la ressource électrique. Mon action s’inscrira dans le cadre structurant du discours prononcé à Belfort par le Président de la République, le 10 février 2022.

Ma première priorité sera de poursuivre le rétablissement de la production du parc nucléaire pour atteindre les meilleurs standards internationaux. Elle était, l’an dernier, de 361,7 TWh – soit un retour, après la crise de la corrosion sous contrainte, à une disponibilité de 74 %, légèrement supérieure à celle de 2019.

Presque tous les opérateurs de centrales nucléaires dans le monde s’attachent à optimiser la durée de leurs arrêts, à augmenter si possible la durée de vie des réacteurs, à en augmenter la puissance – notamment grâce à la turbine, une technologie éprouvée et un atout pour le plan de charge d’Arabelle Solutions à Belfort – et à utiliser des combustibles nucléaires à recharger moins souvent.

Les équipes d’EDF sont très engagées sur ces sujets. Poursuivre ce travail, en visant une capacité de 400 TWh à l’horizon 2030, me semble être pour EDF un excellent investissement industriel dans le nucléaire.

Ma deuxième priorité sera de fournir une électricité compétitive à l’ensemble des consommateurs français et, plus particulièrement, aux industriels. Nous sortons du système de l’Arenh, dont les inconvénients ont été largement décrits. Nous avons également connu un épisode de prix élevés, entre la crise de la corrosion sous contrainte et le conflit en Ukraine.

Le nouveau dispositif, mieux équilibré, est de nature à permettre à la fois d’accéder à une électricité compétitive, de couvrir les coûts de production et d’assurer d’importants programmes d’investissement, à la fois dans les domaines que vous avez évoqués (nucléaire, hydroélectricité et énergies renouvelables) et dans l’ensemble des métiers de la transition énergétique.

Au 1er janvier 2026, le dispositif reposera sur des tarifs réglementés pour les ménages et les très petites entreprises qui le souhaitent, des contrats à moyen terme pour tous les types d’entreprises et des contrats d’allocation de production nucléaire (CAPN). S’y ajoutera un deuxième niveau de protection pour les consommateurs : des revenus tirés de la production du nucléaire seront prélevés et redistribués aux consommateurs en cas de crise sur le marché.

Un certain nombre d’industriels, dont les électro‑intensifs et les électro‑sensibles, ont exprimé leurs craintes. Je mesure l’importance d’une électricité décarbonée compétitive pour la réindustrialisation et l’attractivité du pays, mais aussi le besoin de visibilité des acteurs concernés. Je veillerai particulièrement à identifier les possibles marges de manœuvre.

Les prix de gros à terme (prix forward) sont actuellement orientés à la baisse, à 59 euros pour le début de 2026 : cela constitue un facteur de détente. Je vise la conclusion de contrats à long terme, de 40 TWh par an, avec les industriels et la mise en place de la phase 2 du contrat Exeltium.

Ma troisième priorité sera de maîtriser les délais et les coûts du programme de relance du nucléaire, qui est nécessaire pour faire face à l’inévitable vieillissement du parc et même si nous parvenons à prolonger sa durée de vie.

Nous bénéficions de retours d’expérience sur les EPR : Taishan 2 est en marche ; Taishan 1 est en arrêt normal de maintenance et de rechargement depuis le 22 avril ; Olkiluoto 3 a repassé jeudi soir le stade de la criticité après son premier arrêt pour maintenance, qui s’est déroulé dans de bonnes conditions – les ingénieurs de Framatome ont confirmé la nuit dernière la possibilité de poursuivre la montée en puissance jusqu’à 80 % ; Flamanville 3 est en phase de montée en puissance et vise la pleine puissance cet été. Hinkley Point C a joué un rôle salutaire dans le maintien et le renforcement des compétences de nombreux acteurs de la filière nucléaire française, comme Framatome et Arabelle Solutions, et de leurs fournisseurs.

Les fournitures d’équipements se passent bien, mais le chantier de construction a pris du retard. Maîtriser cet aspect sera pour moi une priorité, ainsi qu’une occasion de former à ces phases de construction des équipes françaises envoyées sur place. Maîtriser les risques industriels et financiers des projets à l’international est en effet très important.

Pour les EPR 2 en France – et la France est la priorité –, il faut décider rapidement des détails de design encore en suspens, renforcer l’organisation de la maîtrise d’ouvrage et celle de la maîtrise d’œuvre et travailler en partenariat plus étroit avec les industriels.

Les effets de série et l’approche lead time, soit la réduction du temps de cycle, nous donnent d’importantes marges de manœuvre, ce qui est une bonne nouvelle : le facteur « Temps » est en effet essentiel dans le coût d’un EPR. D’ici à la fin de l’année, il faudra donc proposer un devis et un calendrier pour six EPR 2.

Il faudra bien sûr les financer. Les principes du schéma de financement du programme du nouveau nucléaire ont été validés par le conseil de politique nucléaire du 17 mars 2025 : l’État s’est engagé à apporter un soutien important, notamment avec un prêt d’État. Les positions d’EDF et de l’État sur les questions de financement sont très proches et un alignement rapide est possible – il faudra ensuite les défendre au niveau européen.

La décision finale d’investissement devra être prise au second semestre 2026 au plus tard et la mise en service de la première tranche devra être garantie pour 2038, avant si possible. D’ici fin 2026, je fournirai à l’État les éléments nécessaires pour décider d’un second palier de puissance d’environ 13 gigawatts (GW), soit huit EPR 2 dans leur conception actuelle.

Dans tous les cas, le premier facteur économique est la réussite industrielle du programme. C’est ce sur quoi je souhaite mobiliser EDF et ses partenaires industriels au quotidien.

Ma quatrième priorité sera de permettre la relance de l’investissement dans le parc hydroélectrique d’EDF, à laquelle certains d’entre vous ont consacré des efforts. La « ligne rouge » concerne la mise en concurrence des installations et différents dispositifs sont envisagés.

En France, EDF dispose d’une capacité installée de 20 GW électriques, dont 14 GW mobilisables en moins de quinze minutes. D’après les équipes, un développement de 20 %, soit 4 GW électriques, est envisageable. Relancer les investissements dans le parc hydroélectrique contribuera à la stabilité des réseaux électriques et sera aussi bénéfique pour les chaînes de fournisseurs des équipements. Je le constate déjà au Creusot, avec la production dans la fonderie de directrices, ou à Carquefou, près de Nantes, où Jeumont Electric produit des barres pour les générateurs.

Ma cinquième priorité sera de mener à bien les projets d’éoliennes en mer déjà attribués à EDF en France. Je mesure bien qu’il ne s’agit pas de devenir président-directeur général d’« Électricité nucléaire de France », mais bien d’EDF, avec toutes ses composantes.

En matière d’électricité et d’énergies renouvelables, la politique d’EDF est celle de la complémentarité entre les formes d’énergie, afin de contribuer à la décarbonation et à la souveraineté de notre économie.

Le montant total de l’activité mondiale d’EDF dans les énergies renouvelables s’élève à 28 GW électriques bruts en opération et 14 GW électriques bruts en construction – ce qui est loin d’être négligeable. Je prévois un investissement personnel de mon temps dans ces énergies.

Il faudra bien sûr être attentif à la stabilité du système, notamment aux capacités de stockage. En France, c’est l’État qui a la maîtrise du lancement des appels d’offres et donc qui « donne le tempo » pour les énergies renouvelables. Les équipes devront être mobilisées pour l’exécution des grands projets d’éoliennes en mer. Le pipeline global de projets d’éolien en mer, d’une capacité cumulée de 14 GW bruts, constituera une base solide.

Sixième priorité : la soutenabilité de la trajectoire financière de l’entreprise. Vous m’avez interrogé sur la pertinence du statut de société anonyme : ce choix me semble fonctionner. Le groupe a obtenu de très bons résultats ces deux dernières années et le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (Ebitda) de 2024 a été proche de son niveau historique de 2023 (soit 39,9 Md€).

Pour la deuxième année consécutive, EDF a donc enregistré un Ebitda de plus de deux fois supérieur à son niveau de 2021 (18 Md€), qui était alors considéré comme un standard. Elle sera d’ailleurs en mesure de verser un dividende à l’État au titre des résultats de 2024.

Les prévisions pour 2025 sont bonnes. Mi-2024, l’agence de notation Standard & Poor’s a donné au groupe une perspective de notation positive. Par ailleurs, j’ai déjà évoqué l’appui de l’État pour le financement des programmes du nouveau nucléaire.

Pour que l’équation tienne, il faudra, selon moi, donner la priorité aux investissements en France et être attentif à la rentabilité et au partage des risques pour les engagements à l’international. Des cessions pourraient être envisagées, alors qu’EDF s’engage dans un programme historique d’investissements.

La performance industrielle des projets, ainsi que des unités, est déterminante. Les équipes seront donc mobilisées pour contribuer à la performance industrielle, économique et financière du groupe, qui a vocation à rester une entreprise intégrée.

En effet, la performance des entreprises repose sur le professionnalisme et l’engagement des salariés ; or il s’agit là d’un grand atout d’EDF. Je veillerai à maintenir un dialogue social de qualité. La diversité des salariés et les règles d’égalité professionnelle sont aussi un point fort du groupe sur lequel nous pourrons nous appuyer.

Il faudra bien sûr contribuer à accélérer l’électrification des usages et accompagner l’adaptation du réseau aux nouvelles exigences du système électrique.

S’agissant de la centrale de Cordemais, les équipes examinent de nouveau le projet. Une production d’énergie thermique d’appoint, qu’il faudra décarboner, sera en tout cas nécessaire en France.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Alexandre Loubet (RN). Monsieur Fontana, je suis enchanté de votre présence, qui démontre une fois de plus que le Rassemblement national a souvent raison en avance : fin 2022, nous avions déjà proposé votre nomination à la place de M. Luc Rémont, par la voix de notre collègue Jean-Philippe Tanguy. Je tiens à saluer votre carrière industrielle, notamment votre engagement en faveur de la filière nucléaire à la tête de Framatome.

Ma première question vise à préciser votre vision du rôle d’EDF. Considérez‑vous, comme votre éphémère prédécesseur, qu’EDF est une entreprise comme une autre, avec une logique de profit, ou partagez‑vous la vision du Rassemblement national selon laquelle EDF a le devoir d’être un service public, un fleuron national qui offre à notre économie et aux Français une énergie abondante, décarbonée et attractive au moyen d’une stratégie fondée sur le nucléaire et l’hydraulique ?

S’agissant des tarifs, ensuite, renoncerez‑vous à mettre l’électricité nucléaire d’EDF aux enchères européennes, comme le souhaitait monsieur Rémont, afin de réserver cet atout compétitif aux industriels français ? C’est évidemment l’exigence de notre groupe.

Enfin, il a été prouvé que l’intermittence des éoliennes et du photovoltaïque est non seulement responsable de la corrosion sous contrainte de nos réacteurs nucléaires, mais impose de les sous‑exploiter, en les empêchant de fonctionner à pleine puissance. À quel montant estimez‑vous le coût de ces modulations pour EDF ? Vous semble‑t‑il possible de retrouver un taux de charge de nos réacteurs nucléaires de près de 80 %, voire davantage, comme au début des années 2000 – alors même qu’il était de 67 % en 2024 ?

M. Bernard Fontana. EDF est un bien pour la France. Elle n’est pas une entreprise comme les autres, car elle a des missions particulières : il faut intégrer cette dimension.

Concernant les tarifs et les enjeux européens, il faut viser une première tranche de 40 TWh pour notre industrie, notamment pour les électro‑intensifs comme Framatome. En effet, ils sont l’industrie des industries – ces entreprises fournissent les matières premières et sont un facteur de souveraineté. Il est d’ailleurs dans l’intérêt d’EDF de bénéficier d’une base de clients industriels alimentés de façon compétitive. Il faudra donc trouver des marges de manœuvre.

Ensuite, il sera possible d’envisager des contrats. La mise aux enchères serait réservée aux entreprises françaises et nombre de ces entreprises seront intéressées par cette visibilité, qu’il faut pouvoir leur donner.

La corrosion sous contrainte est liée à l’inox et s’explique par des contraintes à l’assemblage et au soudage, ajoutées à un milieu corrosif. Je ne suis pas sûr que ce phénomène soit lié à l’intermittence.

Notre parc a toujours modulé sa production. Un réacteur peut descendre jusqu’à 20-25 % de sa puissance deux fois par jour –  en revanche, il ne peut pas tomber à zéro puis repartir immédiatement : il lui faut une journée pour cela.

Il faut être attentif à cette modulation de 20 TWh – c’était 30 TWh l’année dernière. Il sera nécessaire de travailler sur ces sujets techniques afin d’ajuster les choses au mieux. Le stockage, notamment hydraulique, pourrait être un élément de réponse. Je serais heureux d’y travailler avec vous : peut‑être pourrons‑nous remonter à 80 %, soit 400 TWh.

M. Jean-Luc Fugit (EPR). Votre parcours professionnel et votre expérience de dirigeant de groupes industriels donnent un profil très intéressant pour prendre la tête d’EDF au moment où ce fleuron de notre industrie, auquel nous sommes très attachés, fait face à des enjeux multiples et complexes.

Votre nomination interviendrait dans un contexte mondial bouleversé et incertain, où les crises mettent en lumière nos multiples dépendances et vulnérabilités, notamment énergétiques. L’incident survenu lundi dans la péninsule ibérique en est une illustration.

Le mix énergétique français reste encore majoritairement composé d’énergies fossiles : elles représentent 60 % de notre consommation totale d’énergie et génèrent trop d’émissions de CO2. La baisse des émissions de gaz à effet de serre engagée ces dernières années doit se poursuivre, comme le prévoit la stratégie française pour l’énergie et le climat, qui s’appuie sur la sobriété, l’efficacité, le nucléaire et les énergies renouvelables.

Nous avons la chance en France, notamment grâce à EDF, d’avoir un mix électrique décarboné à 95 % – au moyen du nucléaire, pour un peu plus des deux tiers, et des énergies renouvelables, pour près d’un tiers.

Il est important de réduire la dépendance aux énergies fossiles avec une stratégie industrielle claire et des choix technologiques forts, associant le nucléaire et les énergies renouvelables. On dit parfois qu’EDF est un champion du nucléaire en France et un champion des énergies renouvelables à l’étranger. Souhaitez‑vous en faire un champion des énergies renouvelables également sur le sol français ?

Notre compétitivité industrielle dépend étroitement de notre capacité à garantir une électricité décarbonée à un coût soutenable, en particulier pour les filières énergo‑intensives comme la sidérurgie ou la chimie, très fragilisées ces dernières années. Or, l’annonce faite par EDF le 6 mars dernier – mettre aux enchères, à l’échelle européenne, la production de son parc nucléaire historique – marque une rupture brutale avec les négociations menées depuis plus d’un an avec des industriels français.

Il y a quelques semaines, plusieurs collègues parlementaires et moi‑même avons signé une tribune appelant le Gouvernement à établir un dialogue constructif avec EDF afin de trouver rapidement un accord sur le prix de l’électricité, permettant à la fois de préserver la compétitivité de nos industriels et d’inscrire EDF dans une trajectoire financière soutenable pour ses investissements futurs : dans ce contexte, comment comptez‑vous conduire les discussions avec les énergo‑intensifs ?

M. Bernard Fontana. La décarbonation s’inscrit bien sûr dans la feuille de route d’EDF. Le groupe doit-il être un champion des énergies renouvelables aussi en France ? Oui, comme je l’ai dit, la priorité doit être donnée à la France. Cela n’interdit pas, de temps en temps, de se tester à l’étranger, mais s’il y a des choix à faire, ce sera en faveur de la France.

S’agissant des coûts de l’électricité, je pense que 40 TWh doivent être alloués aux industriels électro‑intensifs et électro‑sensibles. Je connais nombre d’entre eux, qui sont mes anciens collègues. À la lecture de leurs écrits – certains se sont occupés de contrats que j’ai signés – j’en arrive à des conclusions proches des leurs : dans l’intérêt des parties, un équilibre doit rapidement être trouvé, car ils ont besoin de visibilité ; un électro‑intensif doit savoir ce qui se passera au 1er janvier. Il faudrait donc les inviter à voir avec nous comment procéder. Nous pourrions même donner une deuxième chance à ceux qui hésiteraient encore – puisque certains anticipent une baisse des prix.

J’ai été clair sur la priorité à donner aux électro‑intensifs et aux électro‑sensibles lors de la mise de contrats sur le marché, avant une éventuelle ouverture à d’autres acteurs français. Cet ordre doit être respecté.

M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Vous écrivez, dans votre réponse au questionnaire, que la question théorique de l’abandon du programme EPR 2 « ne se pose pas ». Pourtant, la Cour des comptes a rendu en janvier un rapport accablant sur le bilan des EPR, non seulement à Flamanville, mais partout dans le monde.

Ce rapport évoque une rentabilité médiocre à Flamanville, mais aussi des retards et des surcoûts partout. La Cour des comptes s’y montre très sceptique sur la rentabilité des EPR 2. Elle écrit noir sur blanc : « L’accumulation de risques et de contraintes pourrait conduire à un échec du programme EPR 2. » Elle déplore d’ailleurs le fait qu’EDF ne se soit pas montrée très coopérative pour répondre à ses questions.

La Cour fait deux recommandations. La première est de repousser la décision finale d’investissement du programme EPR 2 jusqu’à la sécurisation de son financement et l’avancement des études de conception détaillées. Vous avez dit que cette décision interviendrait fin 2026 : où en sera‑t‑on alors de ce fameux design détaillé de l’EPR 2 ?

Votre prédécesseur a été remercié alors qu’il promettait déjà un EPR 2 en soixante‑dix mois à partir de l’effet de série – c’est-à-dire après le quatrième ou cinquième réacteur. La délégation interministérielle au nouveau nucléaire (Dinn) qualifiait alors ce délai de « challenging ». Or vous affirmez que nous allons faire encore mieux avec le lead time : voilà qui m’inquiète pour les salariés ; j’aurai d’ailleurs un mot pour les sous‑traitants du nucléaire, souvent oubliés alors qu’ils reçoivent l’essentiel des doses radioactives lors des épisodes de maintenance.

La deuxième recommandation de la Cour des comptes est de s’assurer que tout nouveau projet international dans le domaine du nucléaire génère des gains chiffrés et ne retarde pas le calendrier du programme EPR 2 en France. Pourtant, vous affirmez qu’il faudra bien continuer d’investir dans de nouveaux réacteurs à l’étranger. Je souhaite donc vous entendre concernant ces deux recommandations de la Cour des comptes.

S’agissant du dispositif post‑Arenh, je mène, avec notre collègue Philippe Bolo, une mission d’information sur le prix de l’électricité et espère vous entendre prochainement sur le sujet. Je pense que ce dispositif est une mauvaise nouvelle pour les consommateurs lorsque les prix de marché explosent. Je crains qu’il ne soit aussi une mauvaise nouvelle pour EDF lorsque les prix de marché s’effondrent, puisqu’aucun prix plancher ne lui garantit de pouvoir engager les investissements nécessaires. Quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Bernard Fontana. La question des réacteurs à l’étranger peut être abordée de différentes manières. Le programme de l’EPR de Sizewell C, au sujet duquel la décision reste à prendre, ne me semble pas risqué, puisque EDF reste minoritaire et que les entreprises de la chaîne logistique française peuvent bénéficier de marchés dans des conditions favorables.

Il y a différentes manières d’être présent à l’étranger. Ainsi, Arabelle ou Framatome y vendent les équipements qu’ils fabriquent. Il y a quelques jours, le conseil d’administration d’Arabelle a d’ailleurs approuvé une offre ferme pour équiper trois réacteurs AP1000 en Pologne. Il faut donc trouver le bon dosage, en fonction des contraintes qui pèsent sur EDF.

J’écoute toujours attentivement les conseils des équipes de la Dinn, pour lesquelles j’ai un grand respect. Elles sont sensibles au lead time que nous visons. Le délai de soixante‑dix mois est structurant. Ce ne sera pas facile, mais nous pouvons y arriver. Prenons l’exemple des turbines : pourquoi faut‑il cinquante‑deux mois de plus que les standards internationaux lorsqu’on vend cet équipement au groupe EDF ? Il faut travailler sur ces aspects : ce n’est pas de la grande science, mais le temps, c’est de l’argent.

En tout état de cause, vous avez raison sur le fait que le design doit être au point. Certains équipements, déjà en cours de fabrication, seront d’ailleurs prêts dans les temps. Nous pourrons prendre les décisions nécessaires d’ici le second semestre 2026.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). EDF est une entreprise publique historique à laquelle les Français, comme la représentation nationale, sont très attachés.

Le contexte est mouvementé, entre le départ brutal de monsieur Rémont, la situation difficile de l’entreprise, qui fait face à une dette importante, la volonté de l’État de relancer le programme nucléaire, avec six EPR, la nécessaire transition énergétique, qui peine à atteindre ses objectifs, et enfin un État de plus en plus présent dans les décisions du groupe, notamment depuis sa nationalisation.

Quelle stratégie comptez‑vous suivre pour répondre à ces nombreux défis tout en trouvant un équilibre entre le développement du nucléaire et celui des énergies renouvelables, d’une part, et un équilibre entre les prix proposés aux particuliers, entreprises, collectivités et électro‑intensifs, qui devront être soutenables, et le maintien d’une capacité d’investissement suffisante à la fois dans le nucléaire et les énergies renouvelables, à commencer par l’hydroélectricité, d’autre part ?

Notre potentiel, à travers notamment le développement des stations de transfert d’énergie par pompage (Step), permettrait de beaucoup mieux gérer les apports importants des énergies renouvelables lors des moments de forte production – et donc les prix – afin de ne pas vendre souvent à perte. Nous avons également une possibilité de développer le photovoltaïque flottant sur les retenues des barrages, qu’il ne faudrait pas négliger.

Mon collègue Philippe Bolo et moi‑même conduisons une mission d’information suivie par l’ensemble des groupes politiques de notre Assemblée. Nous rendrons nos conclusions dans quelques jours. Nous voulons éviter la mise en concurrence des installations. Nous déposons d’ailleurs une proposition de résolution européenne, examinée cet après-midi, pour acter le fait que les parlements sont opposés à la mise en concurrence. Si nous parvenons à lever ces précontentieux européens, êtes‑vous prêt à investir rapidement dans certains ouvrages, dont les Step ?

M. Bernard Fontana. Les Step et l’hydraulique sont clairement une priorité. Mes collègues me disent d’ailleurs que la centrale hydroélectrique de Montézic 2 pourrait être mise en service en 2030. C’est important non seulement pour l’hydroélectricité, mais aussi pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement française. Il s’agit d’un atout majeur.

Il faut donc poursuivre dans cette direction et trouver la bonne formule pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes. Avons‑nous des marges de manœuvre ? Les augmentations de puissance et de durée de vie que j’ai évoquées sont des actions extrêmement rentables. Nous pouvons également exporter. Je veux enfin mobiliser l’entreprise autour des marges de manœuvre à gagner sur l’efficacité industrielle des programmes nucléaires. S’il y a des arbitrages à faire, il faut donner la priorité à la France, quitte à voir ensuite si des cessions doivent être faites – c’est déjà le cas chez EDF.

Encore une fois, il faudra se mobiliser pour remplir cette priorité stratégique. La force d’EDF, ce sont ses équipes professionnelles, qui sont engagées et de très bon niveau. Je leur fais confiance et les remercie.

M. Jérôme Nury (DR). Merci pour vos réponses au questionnaire précises et exhaustives, qui nous confortent dans l’idée que vous avez le profil, les compétences et l’expérience pour piloter la plus importante entreprise de France, au regard des enjeux auxquels EDF va être confrontée.

Vous n’êtes pas dans le catéchisme macroniste du « en même temps » énergétique, qui a été une véritable catastrophe pour notre pays depuis 2017. Vous affirmez haut et fort que le nucléaire doit être soutenu, renforcé et réinvesti par EDF. Vous vous êtes placé en industriel attaché à la souveraineté de notre pays, avec des priorités qui nous paraissent plus que jamais essentielles : l’accès à une énergie décarbonée pilotable, la moins onéreuse possible pour les Français et les entreprises, sur un modèle pérenne, soutenable dans le temps et financièrement.

Les industriels électro‑intensifs ont des besoins considérables et s’inquiètent de l’approche d’EDF pour les prochaines années. Notre collègue de Savoie Vincent Rolland, qui compte de nombreux emplois liés à ces industries dans son territoire, s’inquiète de la prise en compte de la spécificité de ces clients. Du point de vue opérationnel, comment pourrez‑vous les gérer à part afin de leur assurer visibilité, stabilité et coût compétitif ?

Notre parc nucléaire est moins performant que les autres, puisque le facteur de charge y est de l’ordre de 64 % (contre 90 % dans la plupart des pays qui maîtrisent cette technologie). Comment comptez‑vous augmenter le facteur de charge français, afin d’être plus autonome et d’avoir des coûts de production moindres ?

La montée en puissance de l’éolien et du solaire force le nucléaire à combler l’intermittence, avec des arrêts et des remises en route contraignants pour les équipements dans les centrales. Il se murmure que ce fameux stop and go pourrait être à l’origine des incidents de corrosion observés il y a quelques mois et qui ont causé des arrêts de réacteur pour travaux et des envolées de prix pour nos concitoyens. Comment ferez‑vous vérifier ce point et quelle étude technique permettrait d’éviter ces problèmes majeurs ?

M. Bernard Fontana. Nous disposons de très bons juristes : nous pouvons leur demander des solutions sur la manière de faire des contrats pour les électro‑intensifs. Ensuite, il faudra travailler ensemble, dans le respect, souvent entre anciens collègues. En revanche, il faudra aller vite.

Concernant le parc français, vous avez évoqué un facteur de charge de 64 %. Il était en réalité de 74 % l’année dernière – avec la corrosion sous contrainte – et j’ai proposé qu’on l’augmente. Il existe en effet des particularités en France. Par exemple, aux États‑Unis, l’augmentation de la durée de vie d’une centrale nucléaire dépend du référentiel avec lequel elle a été mise en service. En France, c’est plus compliqué. On effectue aussi, avant de redémarrer une centrale, des tests et des épreuves hydrauliques qui prennent plusieurs jours. La situation n’est donc pas tout à fait comparable, mais l’objectif de 400 TWh sera l’orientation à suivre.

Je ne pense pas que la corrosion sous contrainte soit liée à l’intermittence. Quant à la modulation, le responsable du parc nucléaire m’a expliqué qu’elle n’avait aucune conséquence sur le circuit primaire, puisque les réacteurs sont faits pour moduler, mais qu’il engageait néanmoins une revue générale pour vérifier son impact éventuel sur l’ensemble de la centrale, y compris le circuit secondaire. Il en fournira les conclusions.

Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Je dois malheureusement reconnaître que votre nomination est politique. Monsieur Luc Rémont a été écarté de la direction d’EDF, alors qu’il avait relevé l’entreprise en dépit de deux années de crise majeure dans le secteur de l’énergie : il a été remercié parce qu’il avait émis des réserves sur le plan de relance nucléaire souhaité par le Président de la République et vous avez été nommé.

Pour nous, cette nomination est le symbole d’un passage en force du Président, qui tente de prendre le contrôle d’EDF au mépris d’une gouvernance d’entreprise stratège, indépendante et responsable. Le groupe écologiste votera donc contre votre nomination.

Je vous poserai cependant deux questions. La première concerne les industriels électro‑intensifs et les contrats d’allocation de production nucléaire. Les industriels nous ont expliqué que ces contrats concernaient l’ancien parc nucléaire, dont les coûts de production sont moins élevés : ils souhaitent donc que cette énergie leur soit réservée. En effet, les coûts du nouveau nucléaire explosent, à plus de cent euros par mégawattheure.

Confirmez‑vous cette stratégie ? Cela signifie-t-il que les Français devront payer le prix plus élevé du nouveau nucléaire ? La sécurité des centrales nucléaires restera‑t‑elle une priorité si elle devient un élément de stratégie industrielle ? Comment la garantirez‑vous ?

Il me semble que ce n’est pas aux Français de payer le coût du nouveau nucléaire. Comment allez-vous donc faire, très concrètement, pour développer fortement les énergies renouvelables ?

M. Bernard Fontana. Je souhaite apporter une précision de forme : le mandat de Luc Rémont n’a pas été renouvelé, comme cela peut arriver à tous les mandataires sociaux. J’ai un grand respect pour lui et le remercie de m’avoir permis de travailler à ses côtés à EDF.

Vous avez évoqué les CAPN. Notre parc nucléaire, dont nous sommes très fiers, qui fournit de belles performances et dont la sûreté est la priorité, est aujourd’hui amorti. Nous bénéficions de cet amortissement. Mais il faut maintenant construire le nouveau parc, qui vivra soixante ou quatre-vingts ans, peut-être plus, et mettra lui aussi du temps à être amorti.

Il faut donc trouver des modes de financement pour ce nouveau parc – question qui se pose partout dans le monde. Les contrats pour différence sont souvent retenus comme solution pour lancer ce parc, qui sera amorti à l’époque de nos enfants.

Il faut donc garder cette vue d’ensemble : il y a une partie amortie et une partie nouvelle. Comme le parc avait été construit très vite, nous nous étions habitués à ce qu’il soit amorti. Il faut maintenant prolonger sa durée de vie – par les moyens que j’évoquais – et continuer cette belle histoire avec le nouveau nucléaire.

Mme Louise Morel (Dem). Votre exposé liminaire nous permet de mieux connaître votre parcours, étroitement lié à l’énergie, ainsi que vos motivations pour prendre peut‑être la tête d’une entreprise majeure pour notre pays, à laquelle les Français sont très attachés.

Votre tâche ne sera pas simple : assurer la performance industrielle d’une entreprise qui doit faire face à des investissements massifs, particulièrement dans le nucléaire, et réussir la livraison des nouveaux réacteurs dans le délai imparti ; trouver le juste équilibre entre le nucléaire et les énergies renouvelables, alors que les partisans de l’un et de l’autre sont plus véhéments que jamais – le groupe des Démocrates, pour sa part, demande le développement d’un mix énergétique diversifié ; et maintenir un coût de l’électricité raisonnable pour des Français plus préoccupés que jamais par leur pouvoir d’achat. L’ensemble s’inscrit, en outre, dans un cadre budgétaire contraint au niveau national.

Le groupe Les Démocrates a toujours considéré que le nucléaire était une chance pour le pouvoir d’achat. Lundi dernier, le Premier ministre le rappelait justement à l’Assemblée : « C’est parce que nous disposons du nucléaire que notre système électrique actuel a l’un des taux de CO2 par kilowattheure d’électricité les plus bas au monde : 21,3 grammes par kWh, contre 350 grammes par kWh pour nos voisins allemands. ».

J’en viens à mes questions. D’abord, pensez‑vous que l’augmentation du prix de l’électricité pour les ménages et les entreprises sera nécessaire pour financer notre transition énergétique, afin d’obtenir un mix décarboné en sortant des énergies fossiles tout en assurant la justice sociale ? Les finances de l’État ne permettront pas d’assumer entièrement le financement du nucléaire et nos compatriotes n’accepteront pas une hausse des prix de l’électricité. Comment engager ces investissements sans décevoir personne ?

Par ailleurs, certains avancent que nos réacteurs ne tournent pas à plein régime. Est‑ce le cas ? Comment augmenter leurs capacités et de quel ordre de grandeur ?

Il y a deux ans, lors de la crise énergétique, notre commission a été interpellée sur le coût de l’électricité fournie aux nouveaux électro‑intensifs, en particulier les data centers et les acteurs de l’intelligence artificielle. EDF avait développé pour eux des contrats spécifiques. Qu’en pensez‑vous ?

Enfin, quel regard portez‑vous sur le bilan de votre prédécesseur ?

M. Bernard Fontana. Le prix moyen est aujourd’hui de 239 euros par mégawattheure pour un particulier, avec le tarif réglementé, dont une part de distribution, une part de taxes et une part d’énergie, qui représente 80,32 euros.

Avec la formule actuelle, nous escomptons en 2026 un prix oscillant entre 68 euros et 82 euros – probablement plus près des 68 euros. Lissé sur deux ans, ce prix porte encore la marque des prix élevés du passé. Nos compatriotes peuvent donc plutôt s’attendre à une baisse du prix de l’électricité dans les mois à venir.

L’augmentation de capacité et de puissance est en effet possible. Treize centrales de 900 mégawatts (MW) en France pourraient être dotées des nouvelles turbines – une excellente nouvelle, qui donnera du travail à l’usine de Belfort. EDF en a commandé deux. Si les treize étaient équipées, 500 MW pourraient être récupérés. Ce sont des solutions pratiques qui profitent à tout le monde : les usines tournent et on gagne de la puissance. Ces procédés éprouvés fonctionnent dans de nombreuses installations.

Les data centers offrent des possibilités que j’étudie personnellement. Aux États‑Unis, à Three Mile Island, un réacteur de 815 MW redémarre pour Microsoft et Framatome y travaille. Les entreprises électro‑intensives ont besoin de réponses rapides. À cet effet, EDF a proposé des sites connectés, car la vitesse de connexion est déterminante.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Gardons pour la fin la dernière question sur le bilan de votre prédécesseur.

M. Henri Alfandari (HOR). EDF n’est pas une entreprise comme une autre. Elle porte une responsabilité essentielle et historique : garantir à tous les Français l’accès à une électricité sûre, décarbonée et compétitive, tout en étant un acteur majeur de notre souveraineté industrielle et énergétique.

Aujourd’hui, EDF se trouve à un tournant majeur de son histoire. Elle doit faire face à de nombreux défis : optimisation de la production du parc nucléaire, développement des énergies renouvelables, relance de l’investissement dans le parc hydroélectrique, accompagnement de l’électrification des usages.

À cela s’ajoutent les défis financiers liés à l’endettement de l’entreprise ainsi qu’au contexte géopolitique, qui impose à la France de sécuriser durablement son approvisionnement énergétique, de renforcer son autonomie stratégique et d’investir massivement dans ses capacités de production pour faire face aux incertitudes internationales. Au regard de ces enjeux, nous nous prononcerons favorablement sur votre nomination.

Au‑delà, nous voulons vous dire clairement que nous comptons sur vous pour engager un dialogue constant et exigeant avec les forces vives de l’entreprise. Le succès passera par leur mobilisation et leur pleine implication dans la conduite des projets. Trop souvent, notre société oublie qu’avant la communication, l’important est de faire !

L’industrie, ce n’est pas de la com’, mais des hommes et des femmes au travail, des machines, des outils, des ingénieurs, des chaînes de production. Il faut tout connaître, de la base au sommet, et privilégier la verticalité dans la décision et l’horizontalité dans la réflexion et la construction de projets.

Sur ces sujets, votre parcours parle pour vous. Soyez assuré, monsieur le directeur général, que nous serons à la fois exigeants, attentifs et pleinement conscients de l’ampleur de la mission qui vous attend. Vous pouvez compter sur notre soutien, car nous avons une ambition commune : celle de faire d’EDF l’instrument de la souveraineté énergétique, de la compétitivité de l’économie française et de la réussite de sa transition écologique.

M. Bernard Fontana. Vous pouvez compter sur mon engagement. J’aime le dialogue dans l’entreprise – vous avez remarqué que je remercie toujours mes collègues. Je dis beaucoup « Fier d’être Framatome ! » et « Fier d’être Arabelle Solutions ! ». Si vous m’en donnez la possibilité, je pourrai dire « Fier d’être EDF ! ».

In fine, il s’agit d’aventures humaines : ce sont les hommes qui font. Il s’agit certes d’un défi, mais EDF est aussi un corps social, une culture : c’est la mobilisation de ses professionnels très engagés qui va nous mener au succès.

M. Harold Huwart (LIOT). Il y aurait mille questions à vous poser, y compris à l’issue de cette audition, car ce qui est lié à l’électricité touche à des enjeux majeurs pour l’environnement et pour le pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Deux de mes collègues vous interrogeront sur le coût de certains investissements, notamment à Hinkley Point, et sur l’attention que vous porterez aux zones non interconnectées, notamment outre‑mer. Quant à moi, je reviens sur vos explications concernant la compétitivité économique, condition de la survie de nombre de nos industries nationales et du maintien de notre puissance économique sur la scène mondiale.

La fin de l’Arenh est programmée pour cette année. Les CAPN ouvrent la perspective d’une augmentation du coût de l’électricité, y compris pour les industries électro‑intensives que vous avez amplement citées.

Vu la durée de ces contrats, de dix ou quinze ans, il s’agit de coûts fixes, indépendants de la rentabilité du parc nucléaire et qui constituent une menace importante pour la viabilité et la trésorerie de nombreuses industries. Vous semblez remettre en cause la décision du 6 mars, consistant à mettre sur le marché européen une tranche importante de la production nucléaire française. Nous en avons pris bonne note. Vous avez aussi indiqué votre volonté de réserver une tranche de 40 TWh à ces industries électro‑intensives : doivent-elles s’attendre à une augmentation et quelles en seraient, pour elles, les conséquences ?

Ce sujet est à l’image des contradictions de la feuille de route que vous a assignée le Gouvernement. Comment envisagez‑vous votre marge de manœuvre, en tant que président‑directeur général du groupe EDF, face à vos tutelles ministérielles, très actives ces derniers temps ?

M. Bernard Fontana. Je ne vois pas de contradiction concernant cette tranche : ces 40 TWh seront d’abord destinés aux industriels électro‑intensifs, ce qui n’empêchera pas ensuite de les mettre sur le marché français, comme le souhaitent certains clients.

Ayant signé un contrat Exeltium 1, je mesure l’écart de prix ; étant aujourd’hui un industriel électro‑intensif, je connais la marge de manœuvre disponible. Je pense qu’il est possible de trouver un équilibre permettant à l’électro‑intensif de fonctionner, à EDF de bénéficier d’un volume acceptable et à l’industrie de tourner, et donc de créer de la demande.

L’écart avec le prix de l’électricité chez nos voisins est impressionnant : 82 euros en Allemagne, 100 euros en Italie, contre 60 euros en France. Nous sommes entourés de pays où l’électricité est beaucoup plus chère – sauf l’Espagne, qui connaît d’autres problèmes.

M. Julien Brugerolles (GDR). Vous êtes pressenti pour prendre la tête d’EDF au moment où l’entreprise fait face à un défi historique, avec un mur d’investissements : prolongation du parc nucléaire existant, pour un coût estimé à 90 milliards d’euros, construction des nouveaux EPR 2, que la Cour des comptes évalue à plus de 100 milliards d’euros, retards coûteux sur des projets à l’international et besoins d’investissements dans l’hydroélectricité. S’y ajoutent les importants programmes d’investissement de RTE et Enedis, dont EDF est actionnaire, pour faire face au développement des énergies renouvelables et à leur raccordement.

Pour franchir ce mur, EDF aura besoin de ressources financières colossales, que le marché seul ne peut lui fournir. Là surgissent deux écueils considérables : d’abord, EDF devra continuer à vendre son électricité à des prix dictés par un marché européen volatil, trop souvent indexés sur les prix du gaz ; « cerise sur le gâteau », l’entreprise est sommée de remplir ces missions sans que l’État s’engage financièrement à la hauteur des enjeux.

Dans ces circonstances, l’évolution du prix de l’électricité dans les années à venir nous inquiète. Vos échanges récents avec l’État, au sujet des contrats à long terme ou du maintien des tarifs réglementés, sont, selon vous, rassurants. Où en sont‑ils réellement concernant la question clé du financement ? Quels engagements précis ont été pris au sujet du possible prêt que vous avez évoqué ?

Le deuxième écueil est celui d’une programmation énergétique indigente, qui mise sur un développement conjugué du nucléaire et des énergies renouvelables sans se soucier d’optimiser leur cohabitation, au risque de tensions de plus en plus fréquentes sur le réseau électrique. Cette surproduction désordonnée conduit déjà à la sous‑exploitation du parc nucléaire, avec un facteur de charge de l’ordre de 67 %. Quelle stratégie défendez-vous pour garantir l’utilisation optimale du parc nucléaire existant et éviter qu’il ne soit sacrifié au nom d’une croissance désordonnée de la production électrique ?

M. Bernard Fontana. Les montants d’investissement que vous évoquez, même mis en perspective sur dix ou quinze ans, restent élevés. Il ressort du conseil de politique nucléaire les principes de financement suivants : un prêt sans intérêt pendant la période de construction, pour au moins la moitié du projet, une possibilité de prêt bonifié et de remboursement différé, et un contrat pour différence à préciser, qui sera en dessous de cent euros le mégawattheure. Les positions convergent autour de ces paramètres.

Concernant l’organisation de la production, il faut garder des actifs pilotables. L’hydraulique constitue un facteur de stabilisation précieux et vertueux. La stabilité d’ensemble doit aussi être travaillée – il s’agit d’un sujet à la fois technique et d’organisation de la demande. L’exportation reste une possibilité, même si les prix ne sont pas extraordinaires – 89 TWh, ce n’est pas rien. Il faut s’organiser autour de tout cela, sachant que la France restera prioritaire s’il faut faire des choix, et que notre principale marge de manœuvre repose sur notre capacité à maîtriser nos programmes industriels.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Patrice Martin (RN). En mars, trois événements se sont succédé en cinq jours, jetant le trouble sur la ligne de la politique énergétique. Le 17, l’Élysée a annoncé le report de la mise en service de deux EPR 2 à Penly, dans ma circonscription, contredisant EDF qui maintenait l’échéance. Le 19, nous découvrons par décret la nomination de madame Dominique Voynet au Haut-Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, alors que son hostilité à l’atome a contribué au retard français sur cette énergie bas carbone, pilier de notre souveraineté depuis le général de Gaulle. Et le 21, nous apprenons la fin de mandat prématurée de votre prédécesseur, M. Luc Rémont, décidée par l’Élysée.

Au vu de ces constats, quel signal souhaitez‑vous donner aux Français, à Penly, à nos entreprises, à nos sous-traitants et à nos territoires ? Notre souveraineté énergétique est nécessaire au regain de compétitivité de notre pays.

M. Bernard Fontana. Travaillons ensemble, de façon partenariale, au service de la souveraineté, en ayant en tête la sûreté, la sécurité et le lead time. C’est déjà le cas chez Framatome et chez Arabelle. Certains ont rappelé que l’industrie n’était pas de la communication, mais de la réalisation : alors réalisons ! Ce sont nos actions qui nous feront gagner la crédibilité nécessaire.

M. Stéphane Travert (EPR). Le parc nucléaire français est en bonne voie pour retrouver son niveau de performance – quarante‑deux réacteurs entièrement disponibles, douze partiellement et seulement trois à l’arrêt au 28 avril. L’objectif de 93 % de production d’électricité décarbonée sera tenu, via l’augmentation de la production grâce à une meilleure gestion des arrêts de tranche.

Quels sont les éléments de la feuille de route pour atteindre ces objectifs ? Comment prévoyez‑vous de surmonter les défis techniques, économiques et compétitifs de la filière, associés à la transition énergétique à laquelle nous devons œuvrer ensemble ?

M. Bernard Fontana. Vaste sujet ! Je répondrai avec un exemple spécifique, mais qui illustre l’ensemble : la durée d’un arrêt de tranche. Avec EDF et Framatome, nous avons suivi la démarche de lead time lors du changement de générateur de vapeur de Cruas 3. Nous avons examiné toutes les séquences pour voir comment réaliser cette opération en moins de cent cinq jours. Tous les salariés de Framatome ont été mobilisés pour cet arrêt de tranche, jusqu’aux assistants : ils sont parvenus au but en cent trois jours et demi – et encore, une dizaine de jours d’arrêt ont été causés par d’autres facteurs. Un tel travail collectif mobilise ainsi les gens sur des objectifs pratiques. Nous étions ravis du résultat, et maintenant, nous nous demandons comment descendre en dessous de ce chiffre !

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Vous n’ignorez pas la situation des deux dernières centrales à charbon, celles de Cordemais et Saint‑Avold, ni les résultats de récents travaux parlementaires pour maintenir, sur ces deux sites, une activité de production énergétique, laquelle devra impérativement être plus respectueuse de l’environnement. Concrètement, comment appliquerez‑vous la loi que nous venons d’adopter ? Comment comptez‑vous maintenir la production énergétique et assurer la stabilité du réseau, notamment dans le Grand Ouest ?

M. Bernard Fontana. La stabilité du réseau repose sur divers dispositifs, dont une part d’énergie thermique qui a vocation à rester : elle sera nécessaire, à terme, au fonctionnement des divers éléments du système. Il faut donc décarboner. À la suite de l’amendement que vous évoquez, les équipes regardent de nouveau leur copie. J’avais d’ailleurs proposé de créer deux cents emplois à Cordemais – un beau site, qui fournit des emplois dans la région.

M. Raphaël Schellenberger (NI). Vous êtes un industriel, réputé apporter des solutions pragmatiques lorsque vous dirigez une entreprise. Ma première question est la suivante : comment évite‑t‑on de reproduire l’ « effet falaise » de notre parc nucléaire – un parc construit très vite mais qui, par conséquent, risque de voir tous les réacteurs confrontés en même temps aux mêmes problèmes ?

Par ailleurs, nous n’avons pas beaucoup abordé le fait qu’EDF n’est pas qu’un producteur, mais aussi un fournisseur : en dehors des tarifs réglementés de vente, comment pourrait‑elle susciter, par sa politique commerciale, une envie d’électrification auprès des consommateurs ?

M. Bernard Fontana. Nous avons en effet une falaise devant nous. Les augmentations de durée de vie ne seront pas possibles partout : elles vont atténuer un peu les reliefs – d’où l’importance de lancer vite les programmes – mais la falaise sera toujours là.

Le fournisseur doit s’interroger sur les moyens de faciliter l’électrification des usages. Il faut déjà s’assurer que la base industrielle existe. Mon prédécesseur Luc Rémont a travaillé sur le sujet de la demande. Pour la susciter, il faut que nous soyons prévisibles et simples. D’importants enjeux d’électrification nous attendent. Dans la sidérurgie, par exemple, un haut fourneau peut être remplacé par l’hydrogénation du minerai de fer, ce qui représente un gain considérable. Il faut faciliter ce genre de projet structurant.

M. François Ruffin (EcoS). Nous ne pouvons pas acheter notre électricité au jour le jour sur le marché : il nous faut, avec EDF, des contrats de long terme, de la visibilité, des prix stables. Ce sujet revient constamment dans les discussions avec les industriels, en particulier électro‑intensifs. J’étais la semaine dernière chez Aluminium Dunkerque, où l’on me disait qu’un euro supplémentaire par mégawattheure représentait, pour l’entreprise, 4 M€ de dépenses supplémentaires.

J’ai bien entendu que 40 TWh seraient réservés à ces industries. Comment le tarif sera‑t‑il fixé ? Et quel bilan tirez‑vous de vingt ans d’un marché qui ne fonctionne pas, où l’électricité est soumise à l’ouverture à la concurrence et à la libéralisation, avec une compensation par des tarifs régulés (pour certains et non pour d’autre), par de l’Arenh ou par des boucliers tarifaires ?

M. Bernard Fontana. Aluminium Dunkerque est bien l’exemple d’électro‑intensif que j’ai en tête. Je suis sûr que nous trouverons des solutions avec eux.

Le fonctionnement du système mis en place n’était pas satisfaisant, car il n’a pas permis de créer des ressources pour renouveler l’outil industriel. Nous allons donc vers un système plus équilibré. Il faut trouver la bonne manière de procéder (d’autant que l’on travaille aussi pour la France), par exemple avec des contrats à long terme pour certaines entreprises.

Trouver le chemin n’est pas facile, mais il est là. L’efficacité industrielle qu’EDF peut mettre au service du pays donne les marges de manœuvre dont nous avons besoin. Il n’y a pas de solution parfaite, mais cette mobilisation‑là me semble importante.

M. Pascal Lecamp (Dem). Dans le contexte post-Arenh que vous avez décrit, EDF propose à ses clients des CAPN, destinés à assurer le financement des futurs EPR, avec un prix cible entre 60 et 65 euros par mégawattheure.

Si j’ai bien compris, ces CAPN sont une forme de droit de tirage réservé aux industries électro-intensives et aux grandes entreprises : ce système leur garantit à long terme une visibilité concernant l’accès à une électricité compétitive, les entreprises devenant en quelque sorte actionnaires de cette production – condition indispensable pour, d’une part, préserver leur compétitivité et, d’autre part, sécuriser les investissements industriels d’EDF, notamment dans les six nouveaux EPR confirmés par le Premier ministre pour 2038.

Je vous pose donc les questions suivantes, qui ont déjà fait débat : si vous étiez demain aux commandes d’EDF, ce que je vous souhaite, vous engagez-vous à maintenir le dispositif CAPN récemment mis en place pour les grandes entreprises ? Dans l’hypothèse où le dispositif serait abandonné, quelle alternative proposeriez‑vous pour assurer à la fois le financement des futurs réacteurs et la solidité financière d’EDF, sans peser davantage sur le budget ?

M. Bernard Fontana. Il faut mettre en place des contrats à long terme – j’évoquais 40 TWh. Les CAPN sont un outil attractif pour un certain nombre d’entreprises, qui donne une visibilité. Lorsque j’étais plus jeune, cette visibilité s’appelait « Exeltium 1 ». Cela ressemblait aux CAPN : il s’agissait d’une centrale nucléaire virtuelle. Il faut travailler ensemble pour arriver à cette visibilité entre industriels, que je pense tout à fait possible. Quant aux modes de financement, j’ai évoqué tout à l’heure des pistes pour avancer sur le sujet. Il faut trouver le bon dosage d’ensemble.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. La prochaine question sera celle de M. Charles de Courson, rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

M. Charles de Courson (LIOT). Monsieur le candidat, dans votre réponse au questionnaire du rapporteur, vous citez, parmi vos six priorités, « assurer la soutenabilité de la trajectoire financière de l’entreprise. ».

Or le groupe EDF est devant un mur d’investissement : une soixantaine de milliards d’euros pour prolonger d’au moins vingt ans la durée de vie de nos cinquante‑sept réacteurs ; une vingtaine de milliards d’euros, intérêts intercalaires compris, pour l’EPR de Flamanville ; environ 35 milliards de livres sterling pour les deux réacteurs d’Hinkley Point, soit la différence entre le coût actualisé de 46 milliards de livres, hors intérêts intercalaires, et les 9 milliards de livres apportés par le partenaire chinois de la filiale anglaise d’EDF ; et environ une vingtaine de milliards de livres sterling supplémentaires si le groupe EDF décide, dans les deux mois, de s’engager dans la construction des deux réacteurs européens supplémentaires à Sizewell et si l’État britannique maintient sa participation à 50 %.

Ma question est donc simple : d’après vous, quelles mesures faudrait-il prendre pour assurer la soutenabilité financière du groupe EDF et quel rôle peut jouer son actionnaire unique, l’État français ?

M. Bernard Fontana. L’essentiel des 20 à 23 Md€ de Flamanville 3 est derrière nous. Pour Hinkley Point, 18 milliards de livres sterling restent à financer au 1er janvier. À Sizewell C, l’exposition nette d’EDF s’élève, pour l’instant, à 375 millions de livres sterling – l’entreprise envisage plutôt d’être minoritaire, tout en bénéficiant de l’effet industriel.

Il faudra bien sûr être attentif à ces investissements et faire des choix, en donnant toujours la priorité à la France.

M. Julien Brugerolles (GDR). EDF s’est construite sur une culture de service public, avec la force de ses agents – ils ont historiquement partagé avec la direction du groupe les grandes orientations visant à bâtir notre service public de l’énergie.

Nous sommes attachés au dialogue, au progrès social et à l’amélioration des conditions de travail au sein du groupe. Or les salariés s’interrogent sur votre vision du dialogue social. Comment envisagez‑vous le travail à conduire avec les agents et les organisations syndicales représentatives pour la protection du statut des industries électriques et gazières, les revalorisations salariales et la politique de formation au sein du groupe ?

M. Bernard Fontana. Chez Framatome, j’ai fait de la qualité du dialogue social une priorité stratégique. Je remercie d’ailleurs les partenaires sociaux pour la qualité atteinte. Un statut existe, qui nécessitera peut‑être des ajustements, le cas échéant, mais je n’ai pas d’inquiétudes sur le sujet.

Chez EDF, la formation est importante : l’entreprise y consacre 7 % de sa masse salariale. Avoir des professionnels formés fait partie de sa force et cette orientation doit être poursuivie. Les partenaires sociaux et moi‑même nous connaissons bien. J’ai confiance en notre capacité à avoir un dialogue social de qualité.

M. Maxime Amblard (RN). Conformément aux règles de déontologie de l’Assemblée nationale en matière de conflit d’intérêts, je précise que je suis toujours salarié de Framatome, mon contrat étant actuellement suspendu. Je ne participerai donc pas au vote à l’issue de cette audition.

Je souhaite aborder la question de la puissance des réacteurs nucléaires. À l’échelle internationale, plusieurs modèles de réacteurs de troisième génération, tels que l’AP1000 de Westinghouse ou l’APR‑1400 de Kepco, affichent une puissance inférieure à celle de l’EPR français ou de l’EPR 2. Plus rapides à construire, ils sont souvent considérés comme plus compétitifs. Face à ce constat, nombre d’experts et d’ingénieurs suggèrent qu’un optimum économique pourrait être atteint avec des réacteurs d’une puissance comprise entre 1 000 MW et 1 200 MW, contre les 1 670 MW de l’EPR.

Pensez-vous qu’à court terme, la conception d’un réacteur moins puissant que l’EPR 2, destiné à la France, serait un tabou technique ou une piste à étudier sérieusement ?

M. Bernard Fontana. Je m’adresse à l’expert : la France possède en effet un portefeuille d’EPR de forte puissance. Standardiser les sous‑systèmes afin de disposer aussi d’une offre de moyenne puissance aurait du sens, mais nous ne pouvons pas tout faire en même temps. La priorité est pour l’instant de figer le design de l’EPR 2, mais en gardant en tête cette perspective de la standardisation pour une offre de puissance plus basse. C’est un sujet auquel les équipes d’ingénierie s’intéresseront certainement.

M. Jean-Luc Fugit (EPR). Quelle place souhaitez‑vous donner à la recherche au sein d’EDF – concernant en particulier le stockage, la flexibilité et la lutte contre les cyberattaques ?

M. Bernard Fontana. Framatome a fait l’acquisition de FoxGuard Solutions, principale entreprise chargée de la cybersécurité des réacteurs nucléaires aux États‑Unis – décision qui a pu susciter l’étonnement. Or cette entreprise a ensuite obtenu le contrat de cybersécurité pour Boeing.

Nous avons fait d’autres acquisitions dans le domaine de la cybersécurité, afin de mettre à la disposition des centrales nucléaires les technologies de cybersécurité de façon ciblée – avec des patchs, des diodes, etc. Le sujet fait donc partie de nos préoccupations.

La recherche et développement est importante à tous les niveaux : connaissance des matériaux, nouvelles technologies, intelligence artificielle, mais aussi stockage et flexibilité. Elle permet de renforcer l’expertise. Il convient aussi de travailler avec les filiales et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

M. Nicolas Ray (DR). Nous sommes, comme vous, des défenseurs de l’énergie nucléaire, inscrite dans l’héritage gaulliste. Notre groupe a été l’un des seuls à ne jamais dévier de cette position. Cependant, dans le mix électrique, quel serait, selon vous, le bon dosage avec les autres énergies, notamment renouvelables ? Parmi celles‑ci, lesquelles devraient être soutenues et développées ?

M. Bernard Fontana. Je n’ai pas toute la réponse : cela dépend aussi des capacités de stockage disponibles, notamment pour l’hydraulique – d’où l’importance de disposer de marges de manœuvre. Toutes les énergies ont leur place, l’important étant de répondre précisément aux défis techniques. Il faut également prendre en compte la filière industrielle : qu’elle soit souveraine est un élément de choix entre les différentes énergies. Pardon pour le côté schématique de cette réponse.

M. Philippe Bolo (Dem). Je souhaite connaître votre analyse du black -out survenu lundi en Espagne et au Portugal. Selon vous, en quoi les caractéristiques du système électrique français en termes de mix, de puissance et de réseau ont‑elles permis d’atténuer la contagion par l’intermédiaire des interconnexions ? Quels enseignements tirez‑vous de cet épisode pour la sécurisation de la France vis‑à‑vis de coupures d’électricité dommageables pour le pays ?

M. Bernard Fontana. Il existe en effet 2 GW d’interconnexion entre la France et l’Espagne. L’an dernier, la France lui a vendu 9,4 TWh et lui en a acheté 6,6 TWh : le solde est donc en sa faveur de 2,8 TWh.

Au moment de l’interruption, 1 GW venait de l’Espagne vers la France. Notre pays a bien réagi, avec la mise en sécurité des pompes primaires de Golfech 1 et alors que Golfech 2 était à l’arrêt.

Il importe de distinguer la coupure organisée du blackout. Dans ce second cas, la procédure vise à en limiter l’ampleur et à l’isoler. Même si le cas est très peu probable, la France a mis en place des procédures d’îlotage pour les réacteurs : ils ont la capacité de s’isoler, de descendre à 20 % ou 25 % de leur puissance, de se protéger, puis de réalimenter rapidement le réseau.

Des essais sont faits tous les ans pour tester ces procédures. Au cours des dix dernières années, le taux de succès de ces exercices d’îlotage a été supérieur à 90 %, atteignant 94 % l’année dernière. L’hypothèse est donc envisagée et la réponse non seulement prévue, mais aussi testée.

Quant à la cause fondamentale du blackout dans la péninsule ibérique, je ne la connais pas encore et nous devons avoir la patience d’attendre une analyse plus précise.

M. Romain Daubié (Dem). En tant que député de la plaine de l’Ain, je vous parlerai évidemment de nucléaire. La réussite du programme EPR 2 est un impératif stratégique pour notre souveraineté énergétique et pour la nécessaire décarbonation des énergies. On imagine mal EDF porter ces investissements seule et sur fonds propres. Quelle est votre vision du financement ? Pour moi, le calendrier doit être respecté : il faut de la lisibilité à la fois pour les agents et pour les acteurs locaux.

Ma seconde question porte sur le prix de l’électricité. Quelle est votre stratégie pour concilier, dans la durée, un prix soutenable pour les ménages et les entreprises avec les investissements massifs que j’évoquais ?

M. Bernard Fontana. Concernant le financement, j’ai évoqué la participation de l’État telle qu’elle était envisagée, avec un prêt sans intérêt et un prêt bonifié, à un taux intéressant. Cela permet d’avancer, car la production doit être lancée pour commencer à rembourser le prêt.

Concernant les prix, il existe des tarifs réglementés, des contrats et un volet particulier destiné aux industriels électro‑intensifs et électro‑sensibles, afin de leur donner de la visibilité sur la longue durée.

Notre capacité à créer de la ressource électrique est un facteur positif, notamment si on est en mesure de l’exporter. Il s’agit donc d’un équilibre d’ensemble et il faut aller vite dans la construction de ces EPR.

M. Freddy Sertin (EPR). Après des années difficiles, EDF a annoncé d’excellents résultats financiers en 2024, avec un peu plus de 11 Md€ de bénéfice net et la satisfaction d’être revenue à une production supérieure à 361 TWh.

Sa performance s’établit à un peu plus de 67 % de sa capacité actuelle, contre une moyenne européenne largement supérieure à 85 % hors EDF. Vous semblez viser une capacité de production cible de 92 %. Au regard de l’actuelle sous‑exploitation des installations de production nucléaire française, quelles sont vos propositions concrètes pour tenir vos engagements et suivant quelle temporalité ? Enfin, que pensez‑vous de l’ambition principale de la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et comment comptez-vous y inscrire EDF ?

M. Bernard Fontana. Je doute de ces 92 %, si l’on part d’une capacité de base de 63 GW électriques et des 8 760 heures que compte une année.

La PPE amène un élément structurant, d’ailleurs objet de vos débats. Située dans la perspective du discours de Belfort, elle ouvre la voie à un renouveau du nucléaire, à l’extension de sa durée de vie et à des programmes de nouveau nucléaire, complétés par l’hydraulique et les autres énergies renouvelables. Cette « ligne de Belfort » guide les projets du groupe EDF.

M. Max Mathiasin (LIOT). Dans les zones non interconnectées – c'est-à-dire les outre‑mer à l’exception de la Guyane, qui dépend moins des énergies fossiles –, la loi de transition énergétique prévoit, pour 2030, une forme d’autonomie énergétique, au moins par les énergies renouvelables. Nous sommes très en retard sur cet objectif. Comment pensez‑vous poursuivre cette stratégie ?

M. Bernard Fontana. J’ai passé une partie de ma vie dans ces territoires. Un programme existant vise notamment à introduire de la biomasse liquide. Il y a quelques semaines, une centrale fonctionnant à la biomasse liquide a été inaugurée à Port‑Est, à La Réunion.

EDF a pour mission d’assurer la continuité de fourniture aux clients et la stabilité du réseau, y compris lorsque le maillage est plus relâché. Je serai heureux de travailler avec vous sur ce sujet.

M. Julien Gabarron (RN). Notre filière nucléaire reste à reconstruire et il est impératif que toutes les compétences soient rapatriées sur notre territoire. Vous vous engagez à la relancer, mais dans quelle mesure pouvez‑vous nous assurer que la chaîne de valeur que cela induira bénéficiera en priorité aux acteurs français, renforçant ainsi la souveraineté nationale ?

M. Bernard Fontana. C’est un point auquel je suis attentif. Framatome a pris le contrôle de nombre d’entreprises afin de sécuriser la souveraineté de ses approvisionnements – par exemple Velan et Segault récemment, dans le domaine des vannes. Concernant le nucléaire, mes collègues évoquent une chaîne d’approvisionnement française à 95-96 %. C’est à cette chaîne que ce programme, financé en France, doit donner la priorité, même s’il ne faut pas s’interdire de regarder à l’extérieur.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Toutes les questions ont été posées. Souhaitez‑vous compléter vos réponses ?

M. Bernard Fontana. Je respecte le bilan de mon prédécesseur, qui a placé le groupe EDF sur des bases qui permettent d’avancer dans la direction que je vous ai décrite. Nous garderons des relations amicales et, je l’espère, professionnelles.

M. Matthias Tavel, rapporteur. Merci pour les réponses apportées dans ces près de deux heures d’audition. J’ai noté avec grand intérêt la priorité que vous entendez donner aux investissements en France. Elle semble rompre avec la politique menée jusque‑là par EDF, même si je partage les inquiétudes du rapporteur général Charles de Courson : ce changement semble surtout traduire une inquiétude concernant la trajectoire financière de l’entreprise et ses effets sur l’argent public – vous êtes resté évasif sur cet aspect.

Votre approche industrielle du nucléaire est bien sûr importante. Je regrette cependant que cette audition – vos réponses, mais pas uniquement – soit passée trop rapidement sur les enjeux concernant les énergies renouvelables, le régime juridique de l’hydroélectricité ou l’avenir de la centrale de Cordemais. Ma première interrogation au sujet de l’importance de toutes ces énergies aurait mérité que vous y revinssiez davantage.

Enfin, tous les collègues partagent une même préoccupation concernant les prix de l’énergie pour les industriels électro‑intensifs. Vous avez apporté des éléments de réponse bienvenus sur le calendrier et sur le volume. En revanche, le flou subsiste concernant le prix des propositions que vous allez faire.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur la feuille de route que vous seriez amené à suivre – au‑delà des questions personnelles, bien entendu.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Merci, monsieur Fontana. Nous allons désormais procéder au scrutin à huis clos.

M. Bernard Fontana. Je vous remercie pour votre attention.

 

 

Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l’article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination.

 

*

Après le départ de M. Bernard Fontana, il est procédé au vote sur le projet de nomination, par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs d’âge étant M. Maxime Amblard et M. Louis Boyard.

Les résultats du scrutin qui a suivi l’audition sont les suivants :

Nombre de votants

55

Abstentions

2

Bulletins blancs ou nuls

0

Suffrages exprimés

53

Pour

41

Contre

12

 

——————


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 30 avril 2025 à 11 heures

Présents. - M. Henri Alfandari, M. Charles Alloncle, M. Maxime Amblard, M. Karim Benbrahim, M. Benoît Biteau, M. Philippe Bolo, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Louis Boyard, M. Julien Brugerolles, M. Stéphane Buchou, M. Pierre Cazeneuve, Mme Cyrielle Chatelain, M. François Cormier-Bouligeon, M. Romain Daubié, M. Vincent Descoeur, M. Julien Dive, M. Inaki Echaniz, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Antoine Golliot, Mme Géraldine Grangier, Mme Mathilde Hignet, M. Harold Huwart, M. Maxime Laisney, M. Thomas Lam, Mme Hélène Laporte, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Lebec, M. Robert Le Bourgeois, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Laurent Lhardit, M. Alexandre Loubet, M. Bastien Marchive, Mme Sandra Marsaud, M. Patrice Martin, M. Max Mathiasin, M. Nicolas Meizonnet, Mme Manon Meunier, M. Paul Midy, Mme Louise Morel, M. Christophe Naegelen, M. Jérôme Nury, M. Stéphane Peu, M. François Piquemal, M. Jean-François Portarrieu, M. Dominique Potier, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Richard Ramos, M. Nicolas Ray, Mme Valérie Rossi, M. François Ruffin, M. Freddy Sertin, M. Matthias Tavel, M. Boris Tavernier, Mme Mélanie Thomin, M. Lionel Tivoli, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Frédéric Weber

Excusés. - M. Laurent Alexandre, M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Christophe Barthès, Mme Joëlle Mélin, M. Philippe Naillet, Mme Sandrine Nosbé

Assistaient également à la réunion. - Mme Ségolène Amiot, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Charles de Courson, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean-Philippe Tanguy