Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Audition de M. Eric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique 2


Mercredi 30 avril 2025

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 87

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Aurélie Trouvé,

Présidente


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La commission des affaires économiques a auditionné M. Eric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi M. Éric Lombard, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Nous ne vous avions pas encore reçu depuis votre nomination, monsieur le ministre, et nous vous remercions de venir échanger avec nous sur votre action, à un moment où le contexte se révèle particulièrement difficile pour notre économie et où nos concitoyens s’inquiètent pour leur avenir. Au sein de notre commission, très mobilisée pour défendre les capacités productives de la France et contribuer à la préservation de notre souveraineté économique, nous avons aussi des motifs d’inquiétude.

Au cours des derniers mois, nous avons reçu de nombreux dirigeants d’entreprises, qui nous ont tous fait part de difficultés. De nombreux groupes ferment des sites de production ou les vendent à des acteurs étrangers. Dans la filière automobile, c’est le cas de Michelin et de Valeo. Dans le secteur de la chimie, les difficultés de Vencorex ont entraîné des répercussions sur Arkema, dont l’activité est pourtant stratégique pour notre défense. Dans l’industrie pharmaceutique, Sanofi a cédé sa filiale Opella au fonds d’investissement américain Clayton Dubilier & Rice (CD&R). Dans la sidérurgie, ArcelorMittal vient d’annoncer 600 nouvelles suppressions de postes, ce qui préfigure sans doute la délocalisation de ses activités en Asie.

Quelle politique le Gouvernement entend-il conduire pour enrayer cette spirale qui semble entraîner la chute de notre industrie, alors que l l’emploi industriel a déjà beaucoup reculé et que sa part dans l’emploi total n’a jamais été aussi faible ? Vous le savez, il y a des effets de cliquet irréversibles… Le Gouvernement compte-t-il, par exemple, utiliser davantage le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France pour préserver nos industries les plus stratégiques ? Comment travaillez-vous avec M. Stéphane Séjourné, envoyé par la France à Bruxelles comme commissaire européen ? Le PDG d’ArcelorMittal dénonce l’absence d’un plan acier européen efficace et, d’une manière générale, presque tous les grands patrons de l’industrie auditionnés par la commission exigent des mesures de protection supplémentaires et une baisse des prix de l’électricité – des exigences qui n’ont que plus de relief depuis les annonces du président Trump. Une autre question revient souvent dans cette commission : quelles conditions et quelles limites allez-vous imposer à tous ces grands groupes pour qu’ils maintiennent l’emploi en France en contrepartie du soutien financier considérable que leur apporte la puissance publique ?

Ce matin, nous avons auditionné M. Bernard Fontana, postulant aux fonctions de PDG d’EDF. Comment comptez-vous protéger les ménages et les entreprises d’une nouvelle hausse des prix de l’énergie, dans le cadre du mécanisme qui va succéder à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) ? Comment comptez-vous développer l’électrification de la France alors que les aides à la voiture électrique sont remises en cause – ce dont se plaignent un certain nombre de grands patrons de l’industrie automobile ? De même, comment comptez-vous augmenter l’efficacité énergétique alors que les aides à la rénovation thermique des logements sont remises en cause ?

Dans un monde qui bascule sur le plan géopolitique, quelles mesures concrètes de protection de notre économie envisagez-vous ? Je ne vous parle pas d’hypothétiques mesures européennes sur les petits colis, que les représentants des petits commerces jugent totalement insuffisantes. La fermeture prochaine de ces magasins vient d’être annoncée et j’ai une pensée pour les 1 000 salariés de l’enseigne Jennyfer, qui vont sans doute perdre leur emploi. Que prévoyez-vous comme réels changements de politique économique, à un moment où le président Trump agit vite et fort ? On ne peut pas dire que le dossier soit réglé, vous me l’accorderez, quand les droits de douane américains ont augmenté de 10 % pour l’Europe et de 145 % pour la Chine. Nous ne sommes pas revenus en arrière… Appeler à un nouveau traité de libre-échange transatlantique (Tafta) vous semble-t-il vraiment être la bonne solution ?

Que prévoyez-vous comme réels changements de politique économique, à un moment où tous les indicateurs économiques sont dans le rouge, que ce soit sur le plan de la croissance, de la productivité du travail, des investissements productifs, du taux de chômage, de la pauvreté, et du nombre record des défaillances d’entreprises – un chiffre encore en augmentation ce premier trimestre ? En outre, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) alerte sur l’effet récessif supplémentaire provoqué par les 40 milliards d’euros d’économies budgétaires annoncées – le revenu des ménages étant, de loin, la première source de croissance de ce pays.

Je vous cède la parole pour une quinzaine de minutes avant que mes collègues n’interviennent pour vous interroger à leur tour.

M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Madame la Présidente, je vous remercie de m’accueillir devant la commission. Ma venue est une première en tant que ministre, mais je garde un bon souvenir de mes auditions précédentes en tant que directeur général de la Caisse des dépôts. Nous verrons bien comment se passe celle-là…

La semaine dernière, j’étais à Washington pour les réunions du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, du G7 et du G20. J’ai porté la voix de la France dans les réunions du FMI et de la Banque mondiale, en insistant sur l’importance que nous accordons à la transformation écologique, à la lutte contre le dérèglement climatique et aux questions d’inclusion et de diversité, même si ces dernières rencontrent un peu plus d’opposition qu’auparavant.

Le président Trump agit vite, dites-vous. J’observe qu’il le fait en prenant des mesures fiscales par décret, sans passer par le Congrès, comme l’y autorise le droit américain. Pour ma part, je suis heureux que vous ayez à valider les mesures fiscales françaises – ce qui donne le temps de la réflexion et est conforme à nos traditions et à nos règles. Donald Trump a fait preuve de ses talents de négociateur en nous infligeant d’abord une augmentation de 20 % des droits de douane, avant de ramener le taux à 10 % pour faire croire que c’était une bonne nouvelle. C’est en réalité une demi-mauvaise nouvelle : ce taux de 10 % représente encore un prélèvement de 50 milliards de dollars sur les importations européennes aux États-Unis, supporté par le consommateur américain ! Quant au taux de 145 % appliqué à la Chine, il a entraîné une baisse de 60 % à 70 % du trafic maritime entre la Chine et les États-Unis, ce qui fait dire aux réseaux commerciaux que les étals américains seront vides à Noël. Peut-être cela va-t-il nous aider à faire changer d’avis les États-Unis…

À Washington, j’ai rappelé que l’Union européenne est le premier investisseur aux États-Unis, la France seule occupant le cinquième rang. Et la réciproque est vraie en termes d’importance relative. Nous voulons d’abord réagir fermement. Au niveau européen, nous avons déjà adopté un paquet de mesures que nous avons suspendu puisque nos partenaires américains semblent être plus ouverts. Nous travaillons néanmoins à l’élaboration d’un deuxième paquet de mesures à appliquer si d’aventure les discussions n’aboutissaient pas à un accord. Nous cherchons à revenir à un taux de droits de douane sur les biens qui soit le plus proche possible de zéro – ce qui prévalait auparavant –, sans aller jusqu’à un traité de libre-échange total qui ne correspond pas à nos objectifs dans certains secteurs tels que l’agriculture.

Ce contexte international, imposé par les actions des États-Unis et de certains pays asiatiques, pèse sur nos perspectives de croissance. Pour 2025, j’ai décidé de réviser la perspective de croissance à 0,7 %, c’est-à-dire à un niveau inférieur de 0,2 point de PIB à ce qui était prévu dans le scénario antérieur – ce qui tient compte des mesures annoncées côté américain. Ce matin, l’Insee a indiqué que le taux de croissance avait été de 0,1 % au premier trimestre. L’élément important est que l’acquis de croissance est de 0,4 %, ce qui constitue une relativement bonne nouvelle, car cela veut dire que la perspective de 0,7 % est encore accessible, même si cela reste un défi à relever. La situation internationale coûterait 0,3 point de PIB de croissance, l’inflation demeurant à 1,4 %.

J’en viens aux finances publiques. Vous affirmez que les mesures de stabilisation des dépenses ont un effet récessif. Ce jugement est inspiré de la théorie keynésienne classique. Nous faisons une autre analyse, partagée par la Banque de France : un moindre rétablissement de nos finances publiques aurait aussi un effet récessif en raison d’un surendettement massif – ce qui constitue une notable différence avec la théorie keynésienne. Le taux d’emprunt va nous coûter 67 milliards d’euros de charge d’intérêts cette année, alors que l’écart avec le taux allemand a tendance à s’accroître. Toute dégradation de nos finances publiques se traduit par une augmentation du coût de financement aux effets récessifs. D’où le chemin de crête étroit que nous pensons souhaitable : maîtrise des dépenses publiques et absence de hausse des impôts.

Même si le combat est difficile dans un tel contexte, nous restons concentrés sur notre objectif de réindustrialiser notre pays, car beaucoup de choses en dépendent. Il en va de notre souveraineté ; de la transformation écologique, qui passe par la décarbonation ; de la protection de l’emploi ; de nos efforts en matière de défense, à un moment où la sécurité de l’Union européenne est mise en cause. L’énergie jouant un rôle capital dans le processus, je suis heureux que ce secteur fasse partie de mes attributions, comme je l’avais demandé. Bernard Fontana, dont vous avez validé ce matin la nomination à la tête d’EDF, a pour mandat d’avancer très rapidement dans la mise en place des six réacteurs de type EPR programmés, et aussi d’accélérer la finalisation de contrats de long terme avec les industriels énergivores. Il faut en effet protéger les industries et les ménages de tarifs élevés de l’énergie. D’ailleurs, dans le cadre du mécanisme qui succède à l’Arenh, si le prix de l’énergie augmente trop, une partie de cette hausse sera reversée aux ménages, de sorte qu’ils soient mieux protégés qu’ils ne le sont actuellement. Le Premier ministre s’étant exprimé lundi dernier sur toutes ces questions dans le cadre du débat sur la souveraineté énergétique de la France, je ne vais pas y revenir en détail.

Notre politique soutient la réindustrialisation, qui – je le répète – représente un défi, et les mesures de soutien doivent être élaborées dans le cadre d’un dialogue très régulier avec les entreprises. C’est la raison pour laquelle, à la suite des annonces américaines, j’ai créé deux conseils qui permettent d’instaurer un dialogue très étroit, l’un avec les représentants des employeurs, et l’autre avec les organisations syndicales de salariés. C’est une manière, par exemple, de m’informer directement des situations difficiles que vous avez évoquées.

Comment protéger notre monde dans cet environnement ? En étant très déterminés, mais ouverts au dialogue. La semaine dernière à Washington, j’ai ressenti de la part de nos interlocuteurs américains une plus grande volonté de dialogue que deux mois auparavant, lorsque j’avais accompagné le président de la République. Les tarifs douaniers restent ce qu’ils sont, mais nous pouvons observer des évolutions qui constituent des progrès. Le président Trump a d’ailleurs signé un nouveau décret pour aménager les droits de douane dans l’automobile. Je souhaite que nous discutions des filières industrielles, sachant que les Américains sont soucieux de les voir s’implanter dans des pays qui leur sont proches – ce qui pourrait favoriser l’Europe. Ce dialogue me paraît plus porteur, car nous avons des filières partagées dans de nombreux secteurs.

Quant à ArcelorMittal, ce groupe appartient à l’un des trois grands secteurs que j’avais signalés dès mon arrivée, où les entreprises européennes sont menacées : l’acier, l’automobile et la chimie. Avec Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne, et l’ensemble des commissaires européens, nous préparons des mesures destinées à protéger les entreprises européennes qui affrontent droits de douane et prix cassés de la concurrence. Nous voulons protéger les outils de production ! J’ai également une pensée, Madame la présidente, pour les collaborateurs d’ArcelorMittal qui vont malheureusement perdre leur emploi. Nous allons mettre en place des mesures afin de les accompagner dans ce moment difficile. Les sites de production sont protégés et, autant que faire se peut, nous voulons les maintenir en l’état, car la production d’acier constitue une activité stratégique. Ces sites sont d’ailleurs engagés dans des projets de décarbonation indispensables et financés sur fonds publics.

En matière d’efficacité énergétique, nous veillons à ce que le dispositif MaPrimeRénov’ soit utilisé à bon escient. Le ralentissement que vous observez est lié à la volonté d’éviter les fraudes et de concentrer les aides sur des projets utiles. Nous allons maintenir cet effort. Dans mes fonctions précédentes, je suivais de très près le financement du logement social, ce que je continue à faire. Notons que l’isolation thermique est plus avancée dans le logement social qu’elle ne l’est dans le secteur libre. Nous allons poursuivre nos efforts dans ce domaine.

Pour conclure, je dirais que je me tiens à votre disposition car, quel que soit le sujet, nous privilégions le dialogue et la concertation avec toutes les parties prenantes.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je vous remercie, Monsieur le ministre ! Nous en venons aux questions des oratrices et orateurs de groupe.

M. Julien Gabarron (RN). Un grand principe de politique universelle nous enseigne que gouverner, c’est prévoir. En Macronie, force de constater que lorsque vous gouvernez, les Français subissent ! Depuis quarante ans, la France enchaîne les budgets déficitaires ; notre dette publique ne cesse de croître, atteignant aujourd’hui 113 % du PIB, soit 3 300 milliards d’euros. Nos concitoyens supportent pourtant l’un des niveaux de prélèvements obligatoires les plus élevés du monde occidental : 48 % du PIB. À quoi servent ces sacrifices ? En termes de niveau de vie de ses habitants, la France n’occupe plus que la vingt-neuvième place mondiale, dépassée par la quasi-totalité de ses voisins occidentaux.

Quelles sont les causes de cet échec cuisant et quelles solutions pourrait-on y apporter ?

D’abord, la mondialisation agressive, avec sa concurrence déloyale, qui ravage nos filières économiques pendant que vous refusez d’instaurer un protectionnisme intelligent pour défendre nos intérêts nationaux.

Ensuite, l’enfer normatif que vous avez imposé aux entreprises françaises. En acceptant le dogmatisme écologique dicté par Bruxelles, vous avez affirmé sans sourciller que les entreprises devaient accepter d’être moins rentables pour financer leur transition écologique. On voit le résultat avec ArcelorMittal...

À cela s’ajoute la prolifération franco-française d’agences, d’opérateurs, de hauts conseils et de commissions. Dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique, le Rassemblement national a proposé de supprimer certaines de ces structures obsolètes et inefficaces, ce qui aurait permis d’importantes économies publiques. Mais par idéologie, vous vous y êtes opposés.

Enfin, l’immigration de masse engendre des coûts budgétaires colossaux qui creusent largement nos déficits et appauvrit notre pays. Il faut mettre un terme à cette immigration incontrôlée que vous, monsieur le ministre, disiez encore vouloir accroître lors de votre arrivée à Bercy !

Dans l’urgence, vous tentez de trouver 40 milliards d’euros pour boucler le budget pour 2026, en adoptant une approche purement comptable, sans diagnostic sérieux de l’état du pays et sans aucune vision pour son avenir. Nous vous le disons sans ambages : nous n’accepterons aucune augmentation d’impôt, ni aucune création d’impôt supplémentaire. Au lieu de pressurer les entreprises, les retraités et les classes moyennes, laissez donc enfin les Français travailler, entreprendre et produire ! Il faut simplifier, encourager, mener une politique énergétique cohérente et ambitieuse. C’est par l’entreprenariat et la réindustrialisation que la France pourra retrouver richesse et grandeur.

Alors que vous devriez n’avoir que le mot « croissance » à la bouche, vous persistez dans votre obsession : réguler, taxer et contrôler. Après cette audition, rien ne changera car le problème est structurel : ce problème, c’est vous, votre gouvernement et tous ceux qui l’ont précédé ! Comment attendre des solutions de ceux qui sont à l’origine des maux que nous dénonçons ? Depuis 2014, celui que l’on nous avait présenté comme le « Mozart de la finance » n’a en réalité composé que son requiem pour la France. Et vous, monsieur le ministre, vous en orchestrez désormais la partition, en fidèle exécuteur testamentaire.

M. Éric Lombard, ministre. Monsieur le député Gabarron, depuis 2014, le chômage a été réduit, alors qu’il atteignait des niveaux préoccupant tout le pays depuis des dizaines d’années. Depuis 2014, le pays est redevenu attractif – le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle de février dernier a permis de mobiliser 109 milliards d’euros de promesses d’investissements. La désindustrialisation, qui était engagée depuis des dizaines d’années sans qu’aucun gouvernement n’y mette fin, a cessé. La réindustrialisation reste un défi, je le reconnais, car tous les pays veulent capter les développements industriels – c’est d’ailleurs la raison principale de la politique douanière du président Trump.

Vous soulignez que le niveau des prélèvements obligatoires atteint 48 % du PIB. Apportons une précision qui peut d’ailleurs déplaire sur d’autres bancs : ils sont revenus à leur niveau de 2012... Rappelons aussi qu’ils couvrent la santé, la retraite et certains services et biens publics qui sont privatisés dans d’autres pays – ce qui peut rendre difficiles les comparaisons. Il est heureux qu’ils soient publics chez nous, me semble-t-il. Nous avons un problème auquel nous nous attaquons : le niveau de notre dépense publique. Nous voulons maîtriser la dépense publique, afin de retrouver des marges de manœuvre pour relancer l’économie et renouer avec une croissance dont nous avons besoin.

Mme Sandra Marsaud (EPR). Depuis sa réélection à la présidence des États-Unis, Donald Trump a relancé les tensions commerciales avec l’Europe, en annonçant des mesures protectionnistes d’une ampleur inédite. Pour l’instant, il prévoit d’imposer une surtaxe de 10 % sur l’ensemble des produits européens entrant sur le marché américain. Il menace de porter cette surtaxe à 20 % et maintient les droits de douane à 25 % sur l’acier l’aluminium et les véhicules importés.

Si elles se confirment, ces décisions auraient de lourdes conséquences pour de nombreuses filières françaises telles que celle des vins et spiritueux. Pour le Cognac, fleuron du savoir-faire français, les États-Unis représentent le premier marché en volume. Toute augmentation brutale des droits de douane menace directement la pérennité de cette filière, très présente dans ma circonscription, avec des dizaines de milliers d’emplois à la clef. Les pertes sont déjà conséquentes en matière d’emploi. Monsieur le ministre, quelles garanties pouvez-vous nous apporter quant à la position défendue par la France dans le cadre des négociations commerciales ? Quelles mesures envisagez-vous de prendre à court terme et à plus long terme pour protéger les exportateurs les plus exposés ?

Par ailleurs, le projet de loi de simplification de la vie économique, actuellement en débat à l’Assemblée, comporte des avancées notables en termes d’allégement de certaines démarches qui pèsent sur nos entreprises. Mais soyons lucides ! Même s’il va dans le bon sens, ce texte ne suffira pas face à l’ampleur des problèmes liés à la complexité administrative à laquelle font face les entreprises. Je ne suis pas la seule à penser qu’il faut aller plus loin. Ce projet de loi doit être un point de départ et non une fin. D’autres textes pourraient suivre pour faire de la simplification une politique structurelle, ambitieuse et continue. Quelles autres démarches allez-vous engager pour alléger les démarches administratives de nos entreprises ?

M. Éric Lombard, ministre. Nous sommes évidemment très attentifs aux conséquences des politiques douanières sur les vins et spiritueux comme sur toutes les filières agricoles et non agricoles. Deux négociations sont en cours avec les États-Unis. Nous souhaitons une baisse des droits de douane et le retour à une situation beaucoup plus équitable, et nous prenons les moyens d’y parvenir. Nous avons des échanges quasi quotidiens avec Maroš Šefčovič, le commissaire européen au commerce, très impliqué dans ce dossier. Il ne faut pas oublier la Chine. Dans les semaines à venir, je rencontrerai mes homologues et des entrepreneurs chinois ; le sujet se trouve au sommet de l’agenda. Même si le ton est différent, les négociations avec la Chine n’en sont pas moins vigoureuses. Le déplacement que quatre ministres de Bercy ont fait hier à Roissy montre notre volonté de défendre nos entreprises, en l’occurrence contre les dérives du commerce des plateformes en ligne qui les menacent.

La simplification est un exercice quotidien et redoutable ! Au cours de l’examen du projet de loi porté par ma collègue Véronique Louwagie, on a d’ailleurs failli aller du côté de la complexification à certains moments. Mais heureusement, dans sa sagesse, le Parlement a rempli sa mission et ce qui sortira de ses délibérations contribuera au bien commun. Le même travail est engagé à l’échelon européen. Certaines directives européennes, qui vont dans le bon sens et doivent être soutenues, sont néanmoins trop compliquées quand elles s’appliquent à de petites entreprises. Je pense à la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et à la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D). Tout en maintenant l’objectif de ces directives, nous devons en simplifier l’application pour les petites et moyennes entreprises. Ce genre de préoccupations sera pris en compte dans le programme de compétitivité et de simplification que nous allons proposer au niveau européen dans les mois à venir.

M. François Piquemal (LFI-NFP). « Quand c’est oui, c’est oui. Quand c’est non, c’est non ! Et comme là y’a un gros doute, tu remballes ton autoroute. » Ces paroles d’un très bon groupe de musique – que je vous conseille –, vous pourriez les utiliser vis-à-vis des multinationales écocides qui se permettent de faire du chantage à la délocalisation. En l’occurrence, je pense au groupe Pierre Fabre, qui menace de quitter le territoire si la construction de l’autoroute A69 est annulée. La menace vise à remettre en cause l’État de droit, en pesant par sa puissance économique sur une décision de justice. C’est lamentable, comme est lamentable l’attitude de Bernard Arnault qui, lui, menace de massifier la production de LVMH aux États-Unis si l’Europe répond de manière ferme aux droits de douane imposés par Donald Trump, jouant ainsi le jeu du président américain. Drôle d’exemple de patriotisme ! On pourrait aussi citer Thales Alenia Space et Airbus Defence and Space, où la logique actionnariale détruit des emplois et qualifications dans le secteur spatial, pourtant si utile dans la lutte contre le dérèglement climatique alors que nous venons de traverser le mois de mars le plus chaud jamais vécu en Europe.

Ces grands patrons et ces multinationales jouent contre les intérêts des habitants de notre pays, mais aussi contre ceux du vivant et de la planète, alors que la principale préoccupation de tous les responsables politiques et économiques devrait être de freiner le dérèglement climatique et de proposer une bifurcation. Nous sommes à l’heure de l’anthropocène mais les historiens noteront qu’avec les gouvernements Macron, cela aura été surtout le « procrastinocène », où l’on remet à demain ce qui aurait dû être fait depuis 2017 et bien avant. Pis encore : sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’État a été condamné plusieurs fois pour inaction climatique.

Monsieur le ministre, peut-on compter sur vous pour apprendre enfin aux forceurs de la finance le consentement climatique et social ? Qu’allez-vous mettre en place concrètement face à leur chantage à la délocalisation et pour leur apprendre le patriotisme économique ? Plus que jamais, la transition écologique est une question de justice sociale. J’en profite pour inviter tous les membres de l’Assemblée au 1er mai. Ce sera une occasion pour souhaiter une bonne fête à tous ceux qui sont les essentiels de notre pays !

M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. S’il est un point d’accord entre nous, c’est l’importance du dérèglement climatique et de la façon de lutter contre celui-ci. Nous avons tenu, sous la présidence du Président de la République, un conseil de la planification écologique, et nous maintenons l’engagement à ce que l’économie française soit décarbonée en 2050. Toute la trajectoire énergétique va dans ce sens et cela passe précisément par l’industrialisation.

Pour ce qui concerne les entreprises, j’ai eu l’occasion, dans un journal grand public paraissant le dimanche, d’appeler les patrons au patriotisme économique et je leur ai demandé de maintenir les chaînes de production ou de les rapatrier en France. Nous y sommes très attentifs et j’en parle régulièrement avec eux.

Les deux entreprises que vous avez citées comme de mauvais exemples en sont, selon moi, de bons, et pour deux raisons. D’abord, les chaînes de production des avions d’Airbus continuent à se développer dans notre pays. Ensuite, la délocalisation que vous évoquez n’en est pas une, puisqu’elle ne donne lieu qu’à un déplacement des activités autour de Toulouse. En l’occurrence, l’unité qui fabriquait des grands satellites a été réduite, parce qu’on préfère désormais de petits satellites placés en orbite plus basse ; les équipes ont été transférées dans un autre atelier, qui les fabrique. Je puis vous assurer de mon engagement et de celui des ministres qui m’accompagnent pour maintenir autant que possible la production en France.

M. Dominique Potier (SOC). Monsieur le ministre, je tiens à saluer la qualité du dialogue que vous avez engagé avec l’Assemblée nationale, notamment pour la construction budgétaire et à propos de la souveraineté industrielle – qui représente un défi commun qui nous rassemble. Cela étant, je dois aussi exprimer une immense déception quant à la politique gouvernementale. Le Parlement va en effet passer plusieurs semaines sur une loi de simplification qui ne simplifiera pas grand-chose pour les entreprises et qui est devenue un concours Lépine des imitateurs de Milei ou de Trump, en ignorant complètement les questions qui devraient nous rassembler aujourd’hui. Pendant ce temps-là, Vencorex et Arcelor sombrent ; le dumping énergétique américain concurrence les coûts européens et nous subissons de la part de la Chine, en matière notamment de coûts sociaux, une concurrence déloyale qui ne pourra que s’amplifier.

Pour que puisse souffler sur l’Europe un vent d’optimisme – pour reprendre la formule malheureuse employée récemment par Bernard Arnault à Washington –, je voudrais vous interroger sur deux sujets. Ne devrions-nous pas, tout d’abord, faire de la responsabilité sociale et environnementale l’outil d’un protectionnisme qui ne serait pas géographique, en écho et en miroir de celui que nous font subir les Américains, mais qui affirmerait les valeurs et l’ambition de l’Europe – valeurs humanistes sur le plan social et combat écologique contre le dérèglement climatique ? N’est-il pas possible d’instaurer et d’amplifier les moyens de ce protectionnisme social et environnemental ? Quelle est précisément la position du Gouvernement français à cet égard et à propos de l’entreprise de démolition « omnibus » engagée à l’échelle européenne contre les directives relatives au devoir de vigilance et à la taxonomie financière et, bien sûr, à la CSRD, la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, portant sur le reporting extrafinancier ?

Par ailleurs, disposons-nous aujourd’hui, comme Arnaud Montebourg l’avait souhaité naguère, d’une liste précise des actifs stratégiques – accès aux matières premières, premières transformations et produits – qui nous garantirait une souveraineté industrielle, et donc politique ?

M. Éric Lombard, ministre. Je rappelle que, selon toute probabilité, les Fonderies de Bretagne –après un travail très énergique de mon collègue Marc Ferracci – seront sauvées, de même que NFA (Niche Fused Aluminia) en Savoie et Le Coq sportif, à Romilly-sur-Seine, dont l’unité de production sera transférée à Troyes. Pour Arc, 4 000 emplois ont été sauvés avec un financement – important, mais nécessaire – du fonds de développement économique et social (FDES). Nous sommes donc à la manœuvre !

À propos de l’Union européenne, je partage pleinement votre avis. J’ai d’ailleurs, aux États-Unis, dit aux investisseurs que s’ils cherchaient une zone du monde qui soit démocratique, équilibrée, inclusive, où l’on lutte contre le dérèglement climatique et qui soit un État de droit aussi total que possible –et en tout cas assez abouti, me semble-t-il –, ils pouvaient venir en Europe, notamment en France. La période actuelle peut être une occasion de rapatrier des investisseurs qui accepteront nos règles en échange de la stabilité dans la durée.

Pour ce qui est de notre position par rapport à la « directive CSRD » et au devoir de vigilance, les règles – dont une partie figurent dans une loi qui porte votre nom, monsieur Potier – continuent à s’appliquer en France. La difficulté tient d’ailleurs à ce que notre pays soit plus avancé en la matière que des États européens qui n’ont pas transposé les directives existantes, car nous devons arbitrer entre la compétitivité de nos entreprises face à ces pays et le maintien des règles. C’est là un équilibre que nous avons souvent le plaisir d’évoquer avec vous.

Quant aux actifs stratégiques, j’en parlerai dans ma conclusion.

M. Jean-Pierre Vigier (DR). Avec un déficit public de 5 % du PIB en 2024, le redressement de nos finances publiques n’est plus une option, mais une urgence. Oui, des efforts sont nécessaires, mais ils doivent d’abord venir de l’État. Trop souvent, en effet, ce sont les Français qui travaillent et ceux qui ont travaillé qui paient l’addition. Cette logique est injuste, inefficace et massivement rejetée par nos concitoyens. Il faut tourner la page d’un système qui entretient l’assistanat et décourage l’effort ! Il est temps de remettre le travail au cœur de ce modèle. Ce n’est pas par les taxes que l’on crée de la richesse, mais par le travail, l’engagement et le mérite !

Dans le même temps, notre pays est devenu un enfer fiscal et bureaucratique, avec trop de normes et de complexité. Un premier chantier a été engagé par notre assemblée avec le projet de loi de simplification de la vie économique. Il faut continuer et, surtout, il faut aller plus loin ! Ces dernières semaines, monsieur le ministre, le Gouvernement a évoqué des pistes d’économies qui viseraient une nouvelle fois ceux qui ont travaillé : nos retraités. Supprimer leur abattement fiscal serait une faute politique et morale. La Droite républicaine le dit clairement : stop au matraquage de la France qui travaille et qui a travaillé !

Pouvez-vous clairement garantir à nos retraités qu’ils ne seront pas davantage mis à contribution ? Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour mettre fin à l’assistanat et faire en sorte que la France valorise enfin celles et ceux qui, chaque jour, travaillent et font vivre notre économie ?

M. Éric Lombard, ministre. Monsieur le député Jean-Pierre Vigier, nous n’avons pas forcément la même vision de la France. Pour ma part, je vois surtout une grande majorité de nos compatriotes qui travaillent, qui sont à la tâche, qui sont engagés, qui font avancer notre pays et qui lui donnent l’un des meilleurs niveaux de vie de la planète. Nous voulons aller dans cette direction et aussi vers un développement équitable.

Cela dit, je suis d’accord avec vous pour dire que la quantité de travail en France – comme l’a dit le premier ministre lors de la réunion du 15 avril – est insuffisante par comparaison avec d’autres pays européens, mais pour des raisons que nous pouvons tout à fait traiter. Nous tardons à mettre les jeunes dans l’emploi, mais ils veulent y aller : il faut travailler sur les filières de formation –c’est ce que fait la ministre d’État chargée de l’éducation nationale. Trop souvent, en outre, les entreprises ne gardent pas les seniors jusqu’à l’âge légal de la retraite, quel que soit cet âge. Il faut traiter ces deux problèmes.

S’y ajoute un taux d’absentéisme plus élevé dans nos entreprises que dans celles d’autres pays. Cela peut tenir au mode de pilotage des structures, qui se peut se traduire par une moindre motivation des salariés. C’est une question que je pose aux dirigeants d’entreprise – pour l’avoir été moi-même pendant plus de vingt ans, je sais que la motivation fait partie d’un équilibre.

La quantité de travail est néanmoins une question, car si notre taux d’emploi était celui de l’Allemagne, nous n’aurions pas de problèmes de finances publiques. Le problème de la France n’est pas tant, en effet, celui de la dépense publique que celui qu’imposent notre modèle social et notre modèle de protection. Nous avons en revanche un problème de revenu, de ressources. Si un plus grand nombre de Français pouvait avoir la chance de travailler – car une immense majorité de ceux qui n’ont pas de travail le désirent –, cela contribuerait au règlement de ce problème. Les politiques que nous menons ces dernières années visent à faciliter ce mouvement et à faire en sorte que toutes celles et ceux qui veulent un travail puissent en trouver un.

Enfin, en 2024, le déficit n’était pas de 5 % mais, malheureusement, de 5,8 % du PIB.

M. François Ruffin (EcoS). En vous écoutant, je suis inquiet. Nous sommes en pleine tempête sociale, industrielle et internationale, et je ne vois ni capitaine, ni cap ! Je ne comprends pas ce que vous dites et je n’entends pas les décisions prises à propos de l’acier, de l’énergie ou des taxes aux frontières. Cela m’inquiète et me déçoit aussi car avant d’être ministre, lorsque vous étiez à la Caisse des dépôts et consignations, vous aviez des propos clairs. Vous vous emportiez contre les excès du capital et disiez : « La rentabilité du capital que nous connaissons depuis vingt ans est très excessive et détourne une part de la valeur trop importante vers les actionnaires, alors qu’elle devrait davantage permettre de financer la transition écologique et de mieux rémunérer les salariés. » Vous poursuiviez en disant : « Lorsque j’ai commencé ma carrière professionnelle, le taux de rentabilité du capital admis correspondait à 7 %. On considère désormais que 15 % de rentabilité est la règle. Cela a conduit à une concentration de richesse qui choque à juste titre. » Vous montriez comment le capital, par sa voracité, laissait moins aux salariés, concentrait les richesses et ne permettait pas un investissement de long terme, notamment dans les domaines industriel et écologique.

Aujourd’hui, on ne vous entend plus : c’est silence sur la finance ! Vous faites même des cadeaux au capital, car la petite correction qui vient d’être faite au budget prévoit l’élimination de la surtaxe d’impôt sur les sociétés, soit 4 milliards d’euros de cadeaux faits aux plus grosses entreprises de ce pays, qui sont bénéficiaires, pendant qu’on va chercher de l’argent du côté des retraités, de la science et des investissements écologiques – ce que vous regrettiez hier.

Ma question est donc simple : que dirait le Éric Lombard d’hier au Lombard Éric d’aujourd’hui, qui est à Bercy ?

M. Éric Lombard, ministre. Merci de cette question claire, que je comprends très bien et à laquelle je vais essayer de répondre aussi clairement. Nous étions, voilà peu encore, dans un monde assez équilibré entre les grandes puissances économiques. La question du rendement du capital, malheureusement pour les Européens, est en train d’être réglée dans le mauvais sens par les attaques – d’ailleurs non concertées – des États-Unis d’Amérique qui –c’est bien là le projet du président Trump – veulent capter une part encore plus importante en rapatriant les chaînes de production aux États-Unis, et par la politique menée notamment par la Chine, qui vise à devenir l’atelier du monde. Le problème s’est donc inversé ces derniers mois ou ces dernières années : nous sommes désormais en défense pour protéger nos entreprises qui, au lieu d’investir une marge de capital pour la transformation écologique – ce qu’elles continuent néanmoins à faire malgré tout, parce que nous les y incitons –, sont dans une optique de survie. Nous devons les protéger face à deux empires prédateurs – pour reprendre le titre d’un livre à la mode en ce moment –, contre lesquels nous devons nous battre pour rétablir l’équilibre.

Pour envisager un partage plus équitable d’un capitalisme qui dégage des marges importantes, il faut que ces marges existent, alors qu’elles sont malheureusement aujourd’hui en train de disparaître dans cette compétition. Notre réponse consiste donc à nous battre dans la négociation avec les États-Unis et à négocier avec la Chine, avec des blocs amis et alliés mais aussi concurrents. C’est le grand enjeu qui est devant nous !

M. Pascal Lecamp (Dem). Depuis plusieurs années, nos entreprises doivent composer avec une politique douanière américaine marquée par l’instabilité. Comme vous venez de le rappeler, la politique d’incertitude stratégique revendiquée par les autorités américaines vise clairement à déséquilibrer les rapports commerciaux au profit de rapports d’investissement vers leur pays, comme en témoignent des droits de douane fluctuants et parfois arbitraires, voire définis à la tête du client.

Dans ma circonscription, l’entreprise Les Pigeonneaux du Poitou – que vous ne connaissez pas car elle est toute petite –, a fait l’expérience directe de ces difficultés. Grâce à un travail collectif que je tiens ici à saluer, elle a récemment réussi, au terme plus de deux ans de travail acharné avec l’administration américaine – dont la Food and Drug Administration – et l’administration française, à exporter plus de 15 600 kilos de pigeonneaux vers les États-Unis. Cependant, ce résultat positif intervient dans un contexte international particulièrement préoccupant – pour les États-Unis aussi, du reste. Avec l’élection de Donald Trump, qui a toujours prôné une approche protectionniste agressive, nous risquons de subir un durcissement des barrières douanières, notamment contre les exportations européennes et françaises. De surcroît, dans un climat géopolitique global marqué par l’incertitude, des tensions commerciales croissantes et un recul du multilatéralisme, nos entreprises, et particulièrement nos PME, sont plus vulnérables que jamais.

Quelles mesures la France et l’Union européenne comptent-elles prendre pour mieux protéger nos exportateurs face à cette montée de l’unilatéralisme tarifaire américain et ses répercussions mondiales ? Quel retour avez-vous eu à ce propos des interlocuteurs américains que vous avez rencontrés la semaine dernière à Washington ? Avez-vous été entendu ?

Plus concrètement, comment notre gouvernement compte-t-il renforcer l’accompagnement spécifique des PME pour qu’elles puissent continuer à exporter malgré ce niveau climat hostile, comme nous l’avions fait au sortir du covid, avec le plan Export, doté d’un budget opérationnel spécifique s’élevant, si je ne me trompe, à une douzaine de millions d’euros ?

M. Éric Lombard, ministre. Je tiens à dire à celles et ceux d’entre vous qui appelaient à un protectionnisme européen que nous voyons bien les ravages du protectionnisme. Le protectionnisme nuit d’abord aux individus qui voient augmenter les prix des produits et, comme ce sera probablement bientôt le cas, malheureusement, aux États-Unis, le chômage remonter. Pour accompagner nos entreprises, il faudra investir dans toutes les directions géographiques. Ainsi, j’étais récemment en Égypte et je me rends ce week-end aux Émirats arabes unis. J’ai reçu mon homologue brésilien et j’accompagnerai le Président de la République en Asie du Sud-Est. Nous avons également reçu récemment à Paris le président indien.

Nous devons veiller à projeter nos entreprises et à les accompagner dans le grand export. Protéger la nation, c’est protéger nos règles et négocier avec les Américains en vue d’un accord équilibré, afin que nous puissions continuer à exporter fortement aux États-Unis. Les Américains souhaitent que certains marchés s’ouvrent davantage et nous souhaitons aussi que certains marchés américains soient plus ouverts. Je préfère me situer dans un dialogue positif. D’ailleurs, la discussion semble s’ouvrir, comme j’en ai eu la confirmation tout à l’heure encore avec l’échange qui a eu lieu entre le commissaire européen et ses interlocuteurs américains. Dans l’intervalle, il faut entretenir un dialogue très étroit avec les entreprises – qui, jusqu’à présent, tiennent, car notre tissu économique est très solide et résilient. J’ai rappelé tout à l’heure la création du Conseil des entreprises, dans le cadre duquel nous parlons tous les mois avec les représentants des filières industrielles et de services afin de suivre en détail les difficultés qui pourraient apparaître dans certains domaines.

Enfin, je vous prie de féliciter de ma part Les Pigeonneaux du Poitou de leurs bons résultats.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Nous assistons à une déferlante de produits low cost, alimentée notamment par les géants du e-commerce que sont Shein et Temu. Leurs prix défient toute concurrence et menacent directement nos commerçants, nos emplois et nos filières. Le constat est sans appel : en 2024, ce sont 4,6 milliards de colis d’une valeur inférieure à 150 euros qui sont entrés sur le marché européen, dont 91 % en provenance de Chine. Les mesures douanières récemment décidées par le président Donald Trump à l’égard de la Chine nous font craindre une accentuation du phénomène, car les industriels chinois cherchent désormais à renforcer leur présence en Europe, notamment en France.

Dans ce contexte, il est essentiel d’anticiper les risques pour préserver notre tissu économique, valoriser nos savoir-faire et défendre nos valeurs. Derrière ces produits à bas coût, en effet, se cachent des enjeux sociaux, sanitaires et environnementaux majeurs. Nombre d’articles achetés ne répondent pas aux exigences européennes, que ce soit sur le plan de la qualité, des conditions de fabrication ou du respect des normes sociales et écologiques. Il y avait donc urgence à agir !

Le 14 mars dernier, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi de ma collègue Anne-Cécile Violland, visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile. Ce texte prévoit notamment de responsabiliser les entreprises du secteur en renforçant le dispositif d’éco-modulation des contributions versées par les producteurs soumis au principe de responsabilité élargie. Nous espérons désormais que son examen par le Sénat, prévu début juin, permettra d’aboutir rapidement à un accord en commission mixte paritaire et que nous pourrons voir des avancées. Nous regrettons toutefois que la version sortie de la commission du Sénat soit vidée d’une grande partie de sa substance et comptons sur le Gouvernement pour y réintroduire ces éléments et pour convaincre.

Nous saluons les annonces que vous avez faites hier, monsieur le ministre, à propos de la régulation des plateformes d’e-commerce, notamment l’instauration d’un mécanisme coordonné de contribution des plateformes sous forme de frais de gestion par colis pour financer les contrôles, appelés à se renforcer face à l’afflux de colis de faible valeur venus notamment de Chine.

Dans cette perspective, des discussions ont-elles déjà été engagées en ce sens avec nos partenaires européens et une convergence des positions est-elle en cours pour assurer une mise en œuvre rapide de cette mesure ? Pouvez-vous nous assurer que cette dernière a vocation à peser sur les plateformes, et non pas sur les consommateurs ? Enfin, quelles autres mesures le Gouvernement envisage-t-il pour faire face à la menace croissante de la fast fashion, non seulement pour nos commerçants, mais aussi pour l’environnement et, plus largement, pour notre modèle économique et social ?

M. Éric Lombard, ministre. Je partage tout à fait votre analyse. En compagnie d’autres ministres, sur une plateforme de fret à Roissy, nous avons pu constater que les produits importés par ces plateformes mettaient en danger les consommateurs : certains peuvent prendre feu – il y a déjà eu des incendies – et certains jouets peuvent mettre en danger la santé des enfants, ou certaines crèmes celle des adultes. Ces produits mettent aussi en danger nos commerces et nos industries. Nous voulons donc agir fortement en augmentant les contrôles.

Notre défense se déploie à plusieurs niveaux. Au niveau européen, la lutte contre ces plateformes fait partie du programme de gouvernement signée par les membres de la coalition allemande, et elle sera donc menée. Nous avons par ailleurs parlé notamment avec les Néerlandais et continuerons à le faire avec d’autres pays en vue d’une action européenne.

Nous allons –je l’ai dit – accroître ces contrôles, qu’il faudra financer très rapidement, car ils sont très coûteux. À Roissy, les agents des douanes et de la répression des fraudes – que je salue –  ont ouvert devant nous un grand sac contenant des dizaines de produits et déclaré pour une valeur de 0,33 euros. Il faut également compter avec les fraudes à la TVA. Nous instaurons donc contrôles et tarifs. Au niveau européen, nous imposerons des droits au-dessous de 150 euros, mais cela se fera dans le cadre de l’union douanière, qui requiert des systèmes d’information et des textes que nous nous emploierons à mettre en place dans les délais les plus brefs.

M. Harold Huwart (LIOT). Parmi les multiples sujets de préoccupation, il faut citer l’impact de la guerre douanière, des retournements conjoncturels et des ralentissements économiques sur l’avenir de notre industrie nationale et de notre économie productive, qui est l’un des piliers de notre puissance économique dans le monde. La liste des dossiers s’est allongée au fil des mois. Certains ont connu des reprises avec l’accompagnement de l’État, tandis que d’autres sont plus difficiles, comme ceux d’Arcelor et de Vencorex.

Je tiens à signaler aussi le cas de STMicroelectronics, qui a annoncé aujourd’hui même la suppression d’un millier d’emplois en France. Il s’agit d’un fleuron technologique de tout premier ordre, dont l’État, par l’intermédiaire de la Banque publique d’investissement (BPI France), est le premier actionnaire. Nous y avons beaucoup investi au cours des années précédentes et sa préservation revêt, malgré la dureté de la conjoncture, un intérêt stratégique. Quels sont les éléments dont vous avez connaissance à ce propos ?

M. Éric Lombard, ministre. STMicro est en effet un fleuron d’une industrie d’avenir : celle des puces. Un investissement qui se compte en centaines de millions d’euros a été réalisé dans l’usine de Crolles, près de Grenoble, et dans une usine homologue en Italie, puisque cette société est détenue conjointement par des intérêts italiens et par BPI France. Les difficultés que connaît STMicro sont liées au marché auquel s’adresse cette société, qui est spécialisée notamment dans les puces pour les automobiles et pour l’électroménager. Ce secteur est en difficulté, après une période d’achats massifs réalisés par les industriels de l’automobile pour se protéger et qui les a conduit à prendre de l’avance et à constituer des stocks de puces. Le ralentissement de l’économie, notamment dans le secteur de l’automobile, a placé STMicro en situation de surcapacité, alors que l’entreprise devait continuer à investir pour les générations suivantes. STMicro a ainsi dû réduire ses effectifs en France comme en Italie. C’est une situation naturellement difficile pour les salariés ; ils possèdent toutefois des compétences qui, nous l’espérons, leur permettront, avec l’accompagnement de l’État, de retrouver rapidement une autre situation. STMicro devrait ainsi revenir à l’équilibre dans le cadre d’un dialogue franco-italien mené avec vigueur dans un cadre diplomatique et amical.

M. Julien Brugerolles (GDR). Monsieur le ministre, comment ne pas vous interroger sur les conséquences économiques de la politique austéritaire que vous prévoyez pour 2026 et qui se traduit déjà par des annulations de crédits en 2025 et par de nouveaux gels de crédits, à hauteur de 3,1 milliards d’euros. Ces annulations concernent des missions essentielles : Économie, Écologie et Recherche et enseignement supérieur. Comment préparer la croissance de demain en réduisant les crédits consacrés à la recherche ? Monsieur le ministre, vous avez été directeur général de la Caisse des dépôts et consignations et j’aimerais comprendre votre logique lorsque vous validez de telles coupes.

Surtout, ce choix d’austérité, loin de rassurer les marchés, affaiblira la croissance, donc les recettes et la soutenabilité même de votre trajectoire budgétaire. Prétendre faire 40 milliards d’économies l’an prochain et 110 milliards d’ici 2029 n’est-il pas un total contresens économique ?

Ma deuxième question porte sur l’industrie et la réindustrialisation. C’est désormais au tour de l’industrie du verre d’être la cible d’actionnaires sans foi ni loi. Le groupe Owens-Illinois Glass, géant américain du verre dont le premier actionnaire n’est autre que le fonds d’investissement Black Rock, annonce la déclinaison française de son plan mondial de restructuration, pour – je cite – « redresser sa profitabilité », pourtant exceptionnelle. Cinq cent cinquante-six postes sont menacés, même si le groupe évoque le chiffre de 320 postes nets, soit 15 % des salariés des sites français du groupe, avec l’annonce de la fermeture de la verrerie de Vergèze et un impact sur quatre autres verreries, dont celle de Puy-Guillaume, dans ma circonscription. Nous retrouvons là le fameux cocktail magique : aides publiques et résultats exceptionnels… Il s’agit là aussi d’une filière stratégique essentielle pour la transition écologique ! Quand poserez-vous des actes forts pour faire cesser la guerre que les actionnaires mènent contre notre industrie ?

M. Éric Lombard, ministre. Monsieur le député, je ne qualifierai pas d’austéritaire une situation dans laquelle nous consacrons chaque année 1 700 milliards d’euros à la dépense publique, c’est-à-dire 57 % de la richesse nationale, dont un tiers pour le financement de notre régime de sécurité sociale. Ce régime est protecteur – ce qui est une excellente chose – et notre politique vise à le maintenir à ce niveau. Ce qui risque de nous affaiblir, c’est en effet la multiplication des dépenses non financées. Or, comme nous évoluons dans un environnement concurrentiel – que certains ont évoqué –, nous ne souhaitons pas augmenter les impôts. Il faut donc trouver un équilibre entre la préservation de notre modèle social et la protection de notre compétitivité.

L’annulation de 3 milliards d’euros – et même de 5 milliards au total – que la ministre des comptes publics et moi-même avons décidée consiste en une suppression de fonds mis en réserves. Cela signifie qu’il n’y aura pas un euro d’argent public qui sera repris à une université ou à une unité de recherche qui devait en bénéficier. Comme tous les autres budgets, le nôtre inclut des réserves de précaution, qui sont comptabilisées, toujours par précaution, dans la dépense publique. Nous considérons que l’exécution budgétaire, telle qu’elle se déroule, permet d’en supprimer une partie, au regard des aléas, et nous en avons eu des sérieux depuis le début de l’année – et parce que nous sommes dans les clous en matière de suivi des dépenses.

Quant au dossier industriel que vous avez évoqué, je n’en ai pas encore pris connaissance et mon cabinet reviendra vers vous dans les heures ou les jours qui viennent.

M. Charles Alloncle (UDR). Peut-être vous souvenez-vous de la dénonciation des quinze maux de la Curie par le pape François ? Puisque c’est d’actualité, permettez-moi de filer la métaphore : il est temps de s’attaquer aux grands maux de Bercy. Votre ministère est malade, monsieur le ministre !

Il est malade, d’abord, de troubles obsessionnels compulsifs du prélèvement : ceux qui vous font céder sur les taxes sur les billets d’avion, sur les contributions durablement exceptionnelles, sur les surtaxes d’impôt sur les sociétés, ou encore sur les retraités – quand bien même vous avez encore annoncé cet après-midi qu’il n’y aurait pas le moindre impôt supplémentaire.

Votre ministère est malade, aussi, du syndrome de Diogène, qui consiste à empiler frénétiquement les comités, les commissariats, les autorités et autres strates administratives.

Il est malade, enfin, de schizophrénie réglementaire. En avril, vous combattiez main dans la main avec la gauche contre toute suppression d’agence que vous ne jugiez pas appropriées ; il y a quelques jours, vous repreniez, avec Amélie de Montchalin, mon amendement relatif à la fusion ou la suppression d’un tiers de ces mêmes agences.

Certes, mieux vaut tard que jamais ! Et pour continuer de trouver de bonnes idées, je ne saurai trop vous conseiller de vous plonger dans le programme économique de l’UDR. Nous avons dressé une liste assez longue au sein de laquelle figurent le millefeuille territorial, à cause duquel 7,5 milliards d’euros sont gaspillés ; le parc immobilier de l’État, qui représente 96 millions de mètres carrés ; la bureaucratie qui frappe nos hôpitaux, nos écoles, nos services publics, avec près d’un tiers des personnels administratifs employés à remplir des formulaires ; ou encore, j’y reviens, les agences, comme celle de la transition écologique, l’Ademe, dont le budget s’élève à 1 milliard d’euros. Au total, la suradministration occasionne un coût estimé à 84 milliards d’euros chaque année – sans compter les 15 milliards d’aide au développement, les 30 milliards de fraude sociale et les 54 milliards que coûte l’immigration.

Monsieur le ministre, pourquoi persistez-vous à demander toujours plus d’efforts aux Français, alors que notre pays est déjà le plus fiscalisé au monde ? Quand aurez-vous enfin la lucidité de vous attaquer aux grands maux de Bercy pour sauver un pays qui est déjà en situation de déficit et de faillite ?

M. Éric Lombard, ministre. Monsieur le député Charles Alloncle, je profite de vos commentaires pour affirmer mon soutien, mon amitié et mon admiration aux agents de Bercy, qui sont d’une grande loyauté, d’un grand professionnalisme, qui ne ménagent pas leur peine et qui, en définitive, appliquent les politiques publiques décidées par les gouvernements et par les parlements successifs. Je comprends que vous souhaitiez critiquer le Gouvernement : nous sommes là pour cela et nous assumons ce que nous faisons.

Derrière chaque dépense, il y a des bénéficiaires, puisque notre pays est géré avec une grande intégrité. À cet égard, je passe mon temps à rencontrer des parties prenantes, parmi lesquelles des parlementaires, qui me demandent de réduire la charge fiscale ou les cotisations, mais aussi, dans la mesure du possible, d’augmenter l’avantage, le soutien ou la dotation dont elles bénéficient. C’est le privilège de ma fonction... Comme le disait François Ruffin, quand j’étais à la Caisse des dépôts, on me demandait moins et j’avais plus à distribuer. J’assume néanmoins mon choix…

Oui, les politiques publiques peuvent gagner en efficacité et en sélectivité. C’est bien le travail que nous présenterons dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026 et pour lequel nous espérons obtenir votre soutien. Nous avons d’ailleurs commencé cette année : notre objectif est de maintenir la qualité des services publics avec une maîtrise des dépenses accrue.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Merci, Monsieur le ministre. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Patrice Martin (RN). Les entreprises industrielles suffoquent sous le poids d’une énergie aux tarifs délirants, d’une inflation normative permanente, mais aussi d’une fiscalité étouffante. C’est un cocktail explosif pour notre tissu productif et néfaste pour la productivité et la compétitivité. Résultat : nous assistons à une désindustrialisation silencieuse mais massive, que mon collègue Alexandre Loubet analyse dans le cadre de la commission d’enquête demandée par le groupe Rassemblement national.

Dans ma circonscription, la Glass Vallée, nichée dans la vallée de la Bresle, est un joyau industriel ; son flaconnage de luxe et l’excellence de ses verreries sont reconnus dans le monde entier. Toutefois, même cette filière d’exception commence à vaciller. La fiscalité et les impôts de production sont assimilables à de véritables droits de douane internes ; ils étranglent nos entreprises et nos usines les plus stratégiques. Combien de temps allons-nous continuer à punir ceux qui créent de la richesse et des emplois au lieu de redorer notre tissu industriel ?

M. Stéphane Buchou (EPR). La question a déjà été évoquée, notamment par mon excellente collègue Sandra Marsaud, mais je souhaite revenir sur l’augmentation des droits de douane, décidée par les États-Unis et la Chine, et qui met certaines filières industrielles en difficulté. Dans ma circonscription, c’est notamment le cas du groupe Beneteau, mondialement connu pour ses exportations, notamment aux États-Unis. Quelles mesures le Gouvernement prévoit-il pour protéger ce secteur industriel ?

De la même manière, l’industrie de l’ameublement pâtit d’une concurrence déloyale, exacerbée par l’arrivée massive de mobilier importé, ne respectant souvent pas nos normes et vendu à bas prix sur les plateformes en ligne. C’est une triple injustice, évidemment pour les entreprises, mais aussi pour les consommateurs, exposés à des risques, et pour l’environnement, dans la mesure où cette logique favorise la « fast déco » qui est contraire à toute ambition de durabilité.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Après avoir fait adopter par 49.3 le budget le plus austéritaire depuis trente ans, après l’annonce de 40 milliards d’économies en 2026, après le milliard d’euros annulé par décret il y a quelques semaines sur le budget de l’assurance maladie, M. Bayrou et vous-même avez annulé plus de 3 milliards d’euros de crédits sur l’exercice 2025. C’était le 25 avril, c’est-à-dire lorsque les Français les plus chanceux se trouvaient en vacances ou en week-end.

Ce dernier décret prévoit un demi-milliard en moins pour l’écologie, dont 263 millions pour les transports, ou encore 71 millions pour la prévention des risques. Vous venez pourtant de dire que c’est une question très importante et de rappeler qu’il existe un conseil de planification écologique. J’aimerais donc savoir comment nous pouvons agir dans ce domaine si nous réduisons encore ses crédits, après l’avoir déjà fait de 2 milliards d’euros l’an dernier.

Il en va de même de l’enseignement supérieur, également concerné par un demi-milliard d’économies. Ce seront notamment 300 millions en moins pour la recherche scientifique, soit exactement le même montant que la ristourne offerte à M. Bolloré et à son groupe, qui aurait dû payer des pénalités après un redressement fiscal. Quant à la recherche spatiale, elle est concernée par 95 millions d’euros de coupes. Comment, dans ce contexte, défendre une politique ambitieuse pour notre pays ?

M. Laurent Lhardit (SOC). La croissance de l’Espagne a été 2,5 fois supérieure à celle de la France en 2023, trois fois supérieure en 2024 et, à en croire les dernières prévisions, elle sera encore quatre fois supérieure à la nôtre cette année. Monsieur le ministre, n’y aurait-il donc pas quelques leçons à tirer des politiques économiques menées dans ce pays depuis cinq ans – ainsi qu’au Portugal depuis dix ans ? Pour le dire autrement, ne pensez-vous pas que le refus – assez doctrinaire – d’introduire une dose de politique de la demande, par exemple en améliorant le pouvoir d’achat grâce à une augmentation du smic, est devenu un handicap pour la dynamique de croissance de la France ?

M. Boris Tavernier (EcoS). Ma question porte sur un secteur qui fait tenir le pays debout et dans lequel des millions de travailleurs, salariés comme bénévoles, donnent de leur temps, de leur sueur, de leur cœur : je parle du secteur associatif. Il représente près de 1,8 million de salariés en France, ainsi qu’un service hors norme rendu à la Patrie contre la précarité alimentaire, dans le domaine de l’aide à domicile, ou encore en faveur de l’accès à la culture et au sport.

Pourtant, les associations sont en grande difficulté. Dommage collatéral ou cible directe des politiques d’austérité, nombre d’entre elles sont en train de mourir ! Un tiers des associations employeuses disent rencontrer des problèmes de trésorerie ; 45 % des subventions sont en baisse ; plus d’une association sur quatre est contrainte de diminuer ses activités.

Au secteur associatif, la Patrie sera-t-elle reconnaissante ? Ou allons-nous faire comme pour l’industrie, c’est-à-dire abandonner, laisser filer un secteur stratégique et, avec lui, des territoires et des emplois ? Nos associations prennent soin du pays. Bercy prendra-t-il soin du tissu associatif ? Un réel plan stratégique de sécurité financière des associations est-il prévu ?

M. Éric Lombard, ministre. Il se trouve que nous avons organisé hier à Bercy une conférence des financeurs de l’économie sociale et solidaire, en présence du président d’ESS France, M. Benoît Hamon, et des différents dirigeants du secteur. La Caisse des dépôts le finance largement et j’y demeure très attaché. D’ailleurs, ce n’est pas toujours le cas qu’une ministre de Bercy, en l’occurrence ma collègue Véronique Louwagie, a explicitement l’ESS dans l’intitulé de son portefeuille. Nous allons soutenir ce secteur, qui est confronté à des défis, qui représente 10 % du PIB et dont l’importance est majeure.

S’agissant de la politique de la demande, je rappelle, monsieur Lhardit, que le taux d’épargne s’élève à 18 % en France. Sans que j’en connaisse toutes les raisons, nombre de nos compatriotes épargnent comme des fourmis. Nous souhaiterions que le rythme des dépenses et la consommation s’accroissent, mais elles restent vacillantes. Ce n’est donc pas qu’une question de pouvoir d’achat.

Quant aux différentes filières industrielles, qui ne sont pas toutes dans la même situation, nous les soutenons sans exception.

Monsieur Buchou, sauf erreur de ma part, Beneteau a des usines aux États-Unis, ce qui lui donne la possibilité d’équilibrer ses décisions. Il en va de même, d’ailleurs, de la filière aéronautique, qui est complètement partagée entre l’Europe et les États-Unis. Je resterai très prudent, mais cela pourrait conduire mes homologues américains à considérer ce secteur comme une exception. En tous les cas, il y aurait une logique à cela.

Plus généralement, pour l’ensemble des secteurs, la meilleure solution serait une baisse des droits de douane, qui demeurent aux niveaux trop élevés de 25 % pour l’acier et l’aluminium et de 10 % par ailleurs. C’est ce à quoi nous nous employons ardemment.

M. Alexandre Loubet (RN). Monsieur le ministre, vous semblez très fier de la situation économique du pays, alors même que vous êtes en train de tuer de nombreuses filières, notamment l’industrie automobile. Je renouvelle donc mon alerte : une hécatombe nous attend et vous la provoquez main dans la main avec la Commission européenne ! En plus de supprimer 100 000 emplois industriels à cause de l’interdiction de la vente des véhicules à moteur thermique en 2035, la Commission négocie la fin des surtaxes sur les véhicules électriques chinois. Ainsi, non seulement vous imposez à une filière en difficulté des normes et des délais intenables, mais en plus vous l’exposez – alors que vous parlez de patriotisme et de protection – à une concurrence déloyale extrêmement féroce, notamment due aux surcapacités chinoises ! Allez-vous réagir ? Allez-vous enfin, s’il vous reste une once de patriotisme, défendre les intérêts de la France ?

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Je donnerai trois chiffres : 700 millions d’euros, soit le prix de rachat d’Eviden, filiale d’Atos ; 600 millions, soit le montant des honoraires perçus pour ce dossier par des cabinets comme Rothschild ou McKinsey ; et 70 millions, soit la valeur réelle de la totalité du groupe Atos, si l’on se fie à son cours de Bourse. Pouvez-vous donc expliquer la logique des choix opérés par votre ministère lors de la restructuration de la dette du groupe, sachant que, désormais, ainsi que monsieur Ferracci l’a expliqué ici même, ce sont ses créanciers qui sont à la tête de l’entreprise, puisque nous avons converti leurs titres en actions et que les banques se sont alors empressées de commencer à vendre la société par petites tranches ? Worldgrid a été vendu à Alten dès décembre dernier. Par chance, il s’agit d’une entreprise française, mais nous voyons bien qu’un démantèlement se profile pour Atos. De mon point de vue, nous avons d’ores et déjà affaire à une affaire d’État de la même ampleur que le scandale Alstom.

M. Karim Benbrahim (SOC). Après Vancorex, Michelin ou General Electric, c’est au tour d’ArcelorMittal d’annoncer un plan social. Ces décisions en série mettent en péril notre souveraineté dans des secteurs industriels pourtant stratégiques.

Sur le site d’ArcelorMittal de Basse-Indre, en Loire-Atlantique, 25 % des postes sont menacés. Avec une telle réduction des effectifs, outre la menace immédiate, les salariés craignent le sabordage du site. Une nouvelle fois, une entreprise ayant bénéficié d’aides publiques – 298 millions d’euros en 2023 –, sans contreparties en matière de pérennité des emplois, annonce des délocalisations malgré des profits énormes, en l’occurrence 1,3 milliard en 2024. Et alors que nous devons réussir la nécessaire transition écologique, nous importerons ainsi de l’acier produit dans des conditions que nous n’acceptons pas dans notre pays.

Pendant la crise du covid, l’acier a été identifié comme une production essentielle. Il ne doit pas devenir un symbole de plus de notre perte de souveraineté. Monsieur le ministre, quels sont vos engagements pour sauver la filière française ?

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Voici la liste de toutes les économies qui ont été faites sur les jeunes depuis qu’Emmanuel Macron est président de la République : 100 millions d’euros retirés du budget de l’éducation nationale le week-end dernier ; baisse du salaire des apprentis, qui doivent maintenant payer la contribution sociale généralisée (CSG) alors qu’ils travaillent pour un salaire inférieur au seuil de pauvreté ; 1,5 milliard d’euros de coupes budgétaires pour les universités, ce qui équivaut, selon l’Union étudiante, à la fermeture de sept universités ; suppression du repas servi par le Crous à 1 euro pour l’ensemble des étudiants ; baisse du budget de l’écologie de 2 milliards d’euros en 2024 puis de 550 millions d’euros en 2025 –et ce alors que certains experts indiquent que nous avons déjà dépassé la trajectoire qui permettrait de contenir le réchauffement climatique à + 1,5 degré et qu’il est désormais quasiment impossible de respecter l’accord de Paris ; suppression du Pass culture pour les moins de 17 ans et diminution de moitié de son montant pour les plus de 18 ans ; suppression du Pass rail, qui permettait aux jeunes de voyager sur tout le territoire ; suppression de l’aide pour le recrutement en contrat de professionnalisation ; baisse de 30 millions d’euros du budget du service national universel – nous nous sommes toujours opposés à ce dispositif, mais ces crédits n’ont pas été redistribués ailleurs dans le budget de la jeunesse – ; Parcoursup, qui est une mesure d’économie ; suppression des postes d’adultes-relais… Et la liste est encore très longue. En définitive, êtes-vous ministre de l’économie, ou ministre de l’économie sur les jeunes ?

M. Nicolas Meizonnet (RN). Monsieur le ministre, l’industrie française va très mal : les plans sociaux se multiplient, tout comme les fermetures de site, qui sont désormais légion dans nos circonscriptions. Dans mon département du Gard, ce sont Royal Canin, Eminence, Perrier, dont nous aurons l’occasion de reparler, qui sont en difficulté, ou encore la verrerie de Vergèze, que je souhaite évoquer et dont la fermeture a été annoncée par le groupe Owens-Illinois. Au total, 164 salariés vont se retrouver sur le carreau, sans compter les sous-traitants et leurs familles, qui vont souffrir alors que cette usine est rentable. Je vous ai déjà alerté, ainsi que le ministre de l’industrie, sur ce cas. Que comptez-vous faire ?

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Avant que vous ne répondiez, monsieur le ministre, je me permets de rappeler que des questions sur les importations d’ameublement et sur les annulations de crédits vous ont également été posées.

M. Éric Lombard, ministre. C’est exact ! Je vous remercie, Madame la présidente, d’être plus attentive que je ne le suis.

Monsieur Buchou, s’agissant aussi bien de l’ameublement que des autres secteurs, l’Union européenne a instauré des contrôles aux frontières afin de vérifier qu’il n’y avait pas d’afflux excessifs de marchandises qui seraient la conséquence des droits de douane américains. Comme nous l’avons montré au sujet des plateformes de e-commerce, nous sommes attentifs à toutes les formes de concurrence déloyale.

Madame Cathala, si je ne suis pas revenu sur les annulations de crédits, c’est parce que j’avais déjà répondu sur ce point. Ce sont des suppressions de réserves de crédits : il n’y a donc aucun impact direct.

Monsieur Loubet, contrairement à ce que vous affirmez, non, je ne suis pas satisfait car la situation est très difficile. Mais en de telles circonstances, il faut prendre toutes les mesures nécessaires avec détermination, calme et engagement. C’est que nous faisons avec nos équipes. Le contexte est difficile à l’échelle mondiale. Il y a la question permanente et durable de la lutte contre le dérèglement climatique ; il y a le sujet de l’équité sociale – à propos duquel nous pouvons avoir des visions différentes, mais qui n’en demeure pas moins important – ; nous faisons face à de très graves perturbations extérieures, que nous prenons comme telles et que nous traitons. Cette situation à un impact négatif, mais je répète que pour être efficace, il faut prendre les choses avec calme.

Monsieur Saintoul, Atos est une entreprise privée : je ne confirme, ni n’infirme les niveaux de commission dont vous avez parlé et qui relèvent de la relation entre la société et ses conseils. Pour des raisons stratégiques, l’État a décidé de nationaliser le groupe – ce qui montre bien que nous pouvons recourir à la nationalisation d’entreprises ou d’activités d’entreprises – et il est vrai que les actionnaires ont pris la tête de l’entreprise. Si vous pensez qu’il y a des problèmes éthiques, il est de votre devoir de les signaler, mais si tel le cas, je n’en ai pas connaissance.

L’acier, monsieur Benbrahim, est évidemment un secteur stratégique et depuis l’aggravation de la situation, due aux décisions américaines, toute la politique européenne vise à maintenir les sites de production au sein de l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle, comme je le disais en début d’audition, nous souhaitons qu’EDF passe des contrats avec les industries électro-intensives. Nous sommes très attentifs à ce que les sites soient maintenus sur le territoire. Marc Ferracci et moi-même y travaillons.

Monsieur Boyard, je suis ministre de l’économie et non des jeunes. J’entends ce que vous dites et je n’ai aucun doute sur votre bonne foi, mais il me sera difficile de vous répondre sur ces questions un peu éloignées de mes attributions – même si les enjeux relatifs à la jeunesse sont importants.

Quant à la source de Vergèze, monsieur Meizonnet, des éléments techniques – à propos desquels je ne tiens pas à donner trop de détails publiquement – présentent effectivement des risques sanitaires. Nous suivons cette question de près avec le préfet et cela fait partie des dossiers industriels que nous regardons

M. Nicolas Meizonnet (RN). Je vous interrogeais sur la verrerie et non sur la source de Vergèze, monsieur le ministre.

M. Éric Lombard, ministre. Dans ce cas, je reviendrai vers vous à ce sujet.

Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Alors que l’industrie française s’effondre – à l’image d’ArcelorMittal et de Vencorex –, ma question porte sur un dossier tarnais emblématique : celui de Safra, pionnière dans la rénovation de bus, le rétrofitage et l’hydrogène, qui est au bord du précipice. Une offre de reprise sérieuse existe : le français TTH s’engage à maintenir soixante-quatre emplois dans l’activité rénovation, qui est rentable, et à créer quatre-vingt-onze postes supplémentaires d’ici 2028. Toutefois, une offre chinoise a été déposée, visant à une reprise globale mais sans garantie sociale, avec un risque de siphonage des brevets et de fermeture sèche à moyen terme. À dix jours du jugement du tribunal administratif d’Albi, les salariés n’attendent plus des promesses : ils demandent des actes. Ce n’est pas seulement une entreprise qu’il faut sauver, mais un pan entier de notre souveraineté industrielle, un levier nécessaire à l’économie de mon département rural et indispensable à la bifurcation écologique.

Monsieur le ministre, quand cesserez-vous de vous en remettre au marché et au privé ? Quand l’État prendra-t-il ses responsabilités en nationalisant les secteurs clés de notre industrie ? Quand l’État garantira-t-il des débouchés aux ouvrières et aux ouvriers de cette filière ? Le Tarn attend des actes, pas des hommages posthumes !

M. Jérôme Nury (DR). Les choix délirants de l’Union européenne visant à imposer à marche forcée l’électrification des véhicules de nos concitoyens sont en train de tuer nos constructeurs, mais aussi tous leurs sous-traitants. Alors que l’automobile était la dernière grande industrie présente sur le territoire, cette mutation va mettre à terre toute la filière.

Dans l’Orne, où les sous-traitants sont nombreux, l’équipementier Forvia vient d’annoncer la fermeture dans quelques mois du site de Messei, qui fabrique des pots d’échappement. Dans quelques mois, près de 109 salariés se retrouveront sans emploi, plongeant des familles entières dans la détresse. Comment l’État et Bercy peuvent-ils être actionnés pour garantir une solution individuelle à chacun, mais aussi pour chercher une solution collective en soutenant ou suscitant une reprise du site ou une reconfiguration pour d’autres productions, afin de sauver des emplois ? Votre engagement, monsieur le ministre, et celui de l’État sont indispensables et attendus par les élus locaux et les salariés. Pouvons-nous compter sur vous ?

M. Julien Gabarron (RN). La révolution de l’intelligence artificielle est en marche au sein de l’économie française, et un nombre croissant d’entreprises montent dans le train de cette transformation qui promet des gains de productivité, de nouveaux services et des marchés réinventés. Ce tournant soulève un défi majeur : renforcer notre économie, sans fragiliser notre société. Les entreprises sont en train d’intégrer ces technologies, de transformer leur métier et d’adapter leur modèle.

Si nous n’anticipons pas, le risque de décrochage est réel. Les PME et les ETI, au cœur du tissu productif, seront les plus exposées. Bien que disposant de moins de moyens et de ressources humaines, elles devront fournir l’essentiel de l’effort. Il est donc essentiel de les soutenir activement dans cette mutation. Cela suppose des investissements lourds et rapides. Il faut financer l’adoption des solutions d’IA, créer les infrastructures numériques nécessaires à leur déploiement, former les salariés aux nouveaux outils et aux nouvelles compétences, et accompagner les reconversions quand certains métiers disparaîtront ou se transformeront profondément. Nous aimerions donc savoir, Monsieur le ministre, quels financements d’envergure sont prévus pour l’accompagnement des entreprises afin de franchir ce cap incontournable qu’est l’IA.

M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Monsieur le ministre, avec mon collègue rapporteur Philippe Bolo, nous avons lancé hier les auditions d’une mission d’information sur les prix d’électricité. J’espère que nous aurons la chance de vous auditionner dans les semaines qui viennent, notamment sur le dispositif post-Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Il y a six mois, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, je n’avais pas réussi à obtenir de réponse des services de votre ministère sur des simulations de factures pour 2026.

Le rapport de la Cour des comptes de janvier 2025 est assez accablant sur le bilan de l’EPR et très sceptique sur l’EPR 2. Ses auteurs se plaignent par ailleurs du fait qu’EDF a refusé de manière délibérée et persistante de communiquer à la Cour des informations sur la rentabilité et les coûts de production prévisibles. Cela a un rapport avec le dispositif post-Arenh. La nomination de M. Bernard Fontana à la présidence d’EDF ayant été validée ce matin – c’était le candidat de l’exécutif –, ferez-vous en sorte, en tant qu’actionnaire unique d’EDF, que des réponses soient apportées, y compris à la Cour des comptes ?

M. Lionel Tivoli (RN). La réindustrialisation est un défi majeur pour notre pays. Derrière ce mot, ce sont les emplois des Français, notamment dans les PME locales, qui sont en jeu. La crise liée à l’épidémie de covid-19 avait cruellement mis en lumière la pénurie de médicaments et de masques qui, au-delà de circonstances particulières, traduisait un recul très net de notre tissu industriel dans des secteurs clés pour notre souveraineté. À grand renfort de communication, le Président de la République avait alors annoncé la relocalisation de certaines productions. Une fois de plus, les belles paroles n’ont pas été suivies d’effets tangibles. L’année dernière, ce sont près de quatre-vingt-neuf sites de production qui ont fermé, quand seulement soixante-six ont ouvert ! Le bilan est donc négatif. Le coût exorbitant de l’énergie est en partie la cause de cette situation.

L’industrie représente aujourd’hui 10 % de notre PIB. Comment comptez-vous atteindre dans les prochaines années l’objectif affiché de 15 %, alors que la réindustrialisation du pays est actuellement à l’arrêt ? Quel soutien concret comptez-vous apporter aux PME, notamment dans le département des Alpes-Maritimes, afin de leur permettre de conserver leur compétitivité ?

M. François Ruffin (EcoS). Monsieur le ministre, je trouve audacieuse votre réponse sur les marges. La une des Échos de mon ami Bernard Arnault titrait encore très récemment sur le nouveau record de versement de dividendes : avec + 8,2 % sur un an, nous sommes médaille d’or du continent européen. Selon vous, cela est dû à un affrontement entre puissances. C’est vrai, mais celui-ci ne doit pas masquer l’existence d’un affrontement entre le capital et le travail, et le fait que, depuis quarante ans – ainsi que le soulignent de nombreux observateurs, y compris Christine Lagarde – le capital l’emporte sur le travail.

Vous parlez d’empires prédateurs, mais que fait-on pour protéger les Français et les Européens des hyper-importations de l’empire chinois ? Celles-ci seront doublées car, l’empire américain se protégeant, il se produira un nouveau basculement. Les décisions du Gouvernement français et de la Commission européenne ne sont pas à la hauteur.

M. Frédéric Weber (RN). En 2012, François Hollande promettait la guerre à la finance. En 2025, Emmanuel Macron veut une économie de guerre. La réalité est bien différente. Depuis 2012, nos capacités opérationnelles et stratégiques de production d’acier ont disparu et seuls quelques hauts-fourneaux demeurent, à Dunkerque et à Fos-sur-Mer.

Vous êtes, dans le titre, le ministre de la souveraineté économique. J’aimerais bien que cela se voit un peu plus dans les actes ! Que vous comptez-vous faire pour maintenir nos capacités de production d’acier primaire, alors qu’ArcelorMittal vient d’annoncer de nouvelles attaques contre l’acier destiné à l’emballage et l’exportation des emplois concernés en Inde ou en Pologne ? Aujourd’hui, lors de la séance des Questions au Gouvernement, le ministre de l’industrie, Marc Ferracci, a évoqué la recherche et le développement : c’était fumeux, on était dans un monde parallèle... Or, clairement, cela relève de votre responsabilité : quand protégerez-vous la souveraineté de la production d’acier en France ?

M. Éric Lombard, ministre. Beaucoup d’argent public a déjà été dépensé pour soutenir l’entreprise Safra. Malheureusement, il apparaît qu’il n’y a pas de modèle économique soutenable. Ainsi, une nationalisation ne serait pas une bonne utilisation de l’argent des Français. L’offre chinoise est incertaine, il faudrait en valider la qualité. C’est un sujet que nous suivons de près, mais qui est très difficile...

Je suis en revanche moins pessimiste sur les décisions prises par l’Union européenne pour l’électrification des véhicules. La bascule du marché va assez vite. Certes, les aides ont été réduites pour des raisons budgétaires, mais le déploiement de réseaux de bornes de recharge se poursuit. Le changement d’usage ne doit pas seulement être accompagné financièrement : il faut aussi que les habitudes se prennent et, en effet, il faut accompagner les sous-traitants. L’exemple de la Fonderie de Bretagne en est l’illustration : il est nécessaire de s’adapter à ce nouvel environnement.

Concernant le post-Arenh, vous avez pu auditionner Bernard Fontana ce matin. Il se tiendra naturellement à votre disposition pour répondre à vos questions. Je n’ai pas encore eu le temps de lire le rapport de la Cour des comptes, mais il devrait susciter un débat intéressant.

Protéger notre industrie commence par un calibrage macro-économique : les charges pesant sur les salaires ne doivent pas augmenter – c’est le cœur du sujet, raison pour laquelle nous ne souhaitons pas augmenter les impôts, tout en maîtrisant la dépense publique. Afin de se protéger contre des attitudes qui deviennent plus agressives, nous négocions durement avec les Américains, pour baisser les droits de douane, et avec les Chinois, pour que la concurrence se déroule de façon équitable. En outre, nous investissons pour préparer l’avenir : le plan d’investissement France 2030 continue à se mettre en œuvre.

S’agissant de l’intelligence artificielle, des accompagnements ont été mis en place par l’État et par BPI France. L’insertion de l’intelligence artificielle dans les processus peut nous permettre de reprendre de l’avance sur les grandes entreprises américaines que nous avons perdue en matière de services numériques.

Monsieur Ruffin, que faisons-nous pour protéger les Français des conséquences de l’affrontement entre puissances ? Mais précisément tout ce dont je parle devant vous et qui vous paraît insuffisant ! Nous verrons dans la durée les effets des mesures que nous adoptons pour protéger les Français des conséquences de l’affrontement entre puissances. Vous citez une entreprise qui obtient des résultats et avec laquelle vous avez manifestement une relation personnelle. À côté d’entreprises qui réussissent, beaucoup sont en difficulté. Ce sont elles que je souhaite accompagner pour leur permettre de reconstituer leurs marges, ce qui permettra ensuite de travailler à un meilleur équilibre – ainsi que le préconise Christine Lagarde que vous citez – entre la rémunération du capital et celle du travail. Mais, dans l’immédiat, nous sommes dans une position défensive dans la relation avec nos grands concurrents.

Concernant la souveraineté des filières de production, ce terme figure dans l’intitulé de mon portefeuille, car il s’agit d’un sujet essentiel. Nous nous battons tous les jours pour maintenir, pour rapatrier, pour protéger ! C’est évidemment difficile, raison pour laquelle on avait un peu lâché l’affaire depuis quarante ans. Cela fait dix ans que nous essayons de remonter la pente. Nous avons arrêté la baisse, ce qui est une première étape. Certes, l’industrie ne représente pas encore 15 % du PIB, mais nous venons de 20 % – et les Allemands se trouvent à ce niveau. C’est pour cela que nous nous battons tous les jours pour revenir à ce niveau.

Enfin, nous sommes très attentifs aux filières stratégiques. Nous suivons les menaces secteur par secteur, entreprise par entreprise, avec une équipe de sécurité économique placée auprès de la direction des grandes entreprises à Bercy. Nous évaluons tous les investissements étrangers et avons les moyens de bloquer l’achat d’une entreprise. Récemment, l’entreprise Segault, qui était convoitée par un acheteur américain, a été rachetée par Framatome. De même, l’État a racheté une partie d’Atos. En matière de souveraineté, la menace se faisant plus pressante, les services de renseignement sensibilisent les entreprises afin qu’elles se protègent des cyberattaques et d’autres démarches d’information économique qui peuvent aller contre nos intérêts. C’est un sujet sur lequel nous sommes aussi extraordinairement attentifs et engagés.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la précision de vos réponses.

En ce qui concerne les investissements étrangers, on peut quand même s’interroger sur l’accaparement par un géant chinois pour 1 euro symbolique des brevets sur les monomères de Vencorex. Concernant la Fonderie de Bretagne, le maintien de l’entreprise est surtout une victoire des salariés et de leurs syndicats, qui se sont fortement mobilisés. Je ne sais pas si cela aurait été possible sans cela... J’espère bien d’ailleurs que les mobilisations de salariés seront suffisamment fortes pour assurer le maintien de certains sites – je pense en particulier à ArcelorMittal.

 


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

 

Réunion du mercredi 30 avril 2025 à 14 h 30

 

Présents. - M. Charles Alloncle, M. Karim Benbrahim, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Louis Boyard, M. Julien Brugerolles, M. Stéphane Buchou, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Harold Huwart, M. Maxime Laisney, M. Pascal Lecamp, M. Laurent Lhardit, M. Alexandre Loubet, Mme Sandra Marsaud, M. Patrice Martin, M. Nicolas Meizonnet, M. Jérôme Nury, M. Stéphane Peu, M. François Piquemal, M. Dominique Potier, Mme Marie‑Agnès Poussier-Winsback, M. François Ruffin, M. Boris Tavernier, M. Lionel Tivoli, Mme Aurélie Trouvé, M. Frédéric Weber

 

Excusés. - M. Laurent Alexandre, M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Christophe Barthès, Mme Cyrielle Chatelain, M. Max Mathiasin, Mme Joëlle Mélin, M. Philippe Naillet, Mme Sandrine Nosbé

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Gabrielle Cathala, Mme Karen Erodi, M. Aurélien Saintoul, M. Jean-Pierre Vigier