Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Présentation du rapport de la mission d’information relative aux problématiques économiques de l’abattage dans le contexte de réduction des cheptels (MM. Thierry Benoît et Christophe Barthès, rapporteurs) 2
– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, expérimentant l’encadrement des loyers et améliorant l’habitat dans les outre-mer (n° 1034) (M. Frédéric Maillot, rapporteur) 2
– Information relative à la Commission.....................13
Mercredi 28 mai 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 102
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Aurélie Trouvé,
Présidente
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La commission des affaires économiques a examiné le rapport de la mission d’information relative aux problématiques économiques de l’abattage dans le contexte de réduction des cheptels (MM. Thierry Benoît et Christophe Barthès, rapporteurs).
Ce point de l’ordre du jour n’a pas fait l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
La commission a autorisé la publication du rapport d’information.
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La commission des affaires économiques a ensuite examiné la proposition de loi, adoptée par le Sénat, expérimentant l’encadrement des loyers et améliorant l’habitat dans les outre-mer (n° 1034) (M. Frédéric Maillot, rapporteur).
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons à l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, expérimentant l’encadrement des loyers et améliorant l’habitat dans les outre-mer, pour laquelle notre commission a désigné comme rapporteur M. Frédéric Maillot. Elle est inscrite à l’ordre du jour de la séance du jeudi 5 juin prochain, en deuxième position, dans le cadre de la journée réservée du groupe GDR.
Elle comportait initialement quatre articles, avant son adoption par le Sénat le 5 mars dernier. Elle en compte désormais cinq. La commission n’est saisie que de cinq amendements, aucun n’ayant été déclaré irrecevable.
Sur le fond, la proposition de loi traite d’une question particulièrement sensible pour nos concitoyens des outre-mer : l’accès à un logement à prix abordable, alors que leurs difficultés à se loger sont accentuées par la vie chère et la rareté du foncier disponible. Ce texte tel que déposé au Sénat, prévoit aussi, en complément d’un dispositif d’encadrement des loyers (article 1er), une nouvelle délimitation des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) en outre-mer (article 2), ainsi que la création, dans les départements et régions d’outre-mer (Drom), de centres scientifiques et techniques du bâtiment (article 3).
M. Frédéric Maillot, rapporteur. Vous l’avez dit, Madame la présidente, il est ici question de la crise du logement qui sévit et s'intensifie depuis quelques années dans les pays dits d’outre-mer et notamment à La Réunion, ainsi que du pouvoir de vivre – un terme que je préfère à celui de pouvoir d’achat, car nous ne sommes pas condamnés à consommer, mais à vivre. Comment se loger sans que cela coûte plus cher ? Tel est l’objet de cette proposition de loi.
Il est en effet possible de faire de 100 à 160 euros d’économies mensuelles pour les locataires dont les loyers sont les plus élevés, là où l’encadrement du prix du loyer a été expérimenté. Les observatoires anticipent une diminution d’au moins 100 euros à La Réunion, soit 1 200 euros par an : c’est énorme, quand on sait que le loyer est le premier poste de dépenses des ménages français. Depuis plus de dix ans, nous attendons que nos pays d’outre-mer bénéficient du dispositif de la loi Alur. Certes, le décret du 25 août 2023 a intégré de nouvelles villes, dont certaines en outre-mer pour la première fois, en zone tendue : c’est le cas Saint-Denis de la Réunion ; mais le délai pour candidater au dispositif de l’encadrement des loyers prévu par l’article 140 de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Elan, a expiré avant que nous puissions y prétendre.
Pourtant, tous les voyants sont au rouge. À La Réunion 70 % des ménages sont éligibles au logement social – voire très social – et plus de 50 000 demandeurs de logement social sont en attente, ce chiffre ayant nettement augmenté après le passage des cyclones. Les loyers ont augmenté de 35 % en cinq ans tandis qu’un quart de la population – soit 320 000 Réunionnais – vit en dessous du seuil de pauvreté. Selon la Fondation pour le logement des défavorisés, plus de 143 000 personnes sont en situation de mal-logement ; sur l’ensemble des départements et régions d’outre-mer (Drom), cela représente plus de 600 000 personnes. Or, seuls 1 739 logements ont été livrés en 2024, contre près de 3 000 en 2017.
Ce texte, qui émane du Sénat, est le fruit d’un travail de fond de la sénatrice réunionnaise Audrey Bélim sur l’encadrement du prix du loyer et sur la réflexion pour l’adaptation normative. J’ai pris l’engagement de le faire adopter de façon conforme, pour ne pas ajouter du temps au temps, et il est très important qu’il le soit. Même si je n’aime pas cet adage : le temps, c’est de l’argent. Une adoption conforme permettra en effet une entrée en vigueur dès 2026. Cela signifie que, dès cette date, les familles d’outre-mer pourront faire de réelles économies.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Lorsque l’on évoque la vie chère dans les outre-mer, on pense naturellement au prix de l’alimentation et des billets d’avion, moins au coût que représente le simple fait de pouvoir se loger. Pourtant, les chiffres sont alarmants. La population y est plus pauvre que dans l’Hexagone : l’argent dépensé par un ménage pour se loger peut représenter jusqu’à 80 % du revenu des ultramarins, soit l’équivalent du taux de Réunionnais éligibles à un logement social, dans un territoire où le taux de pauvreté atteint plus de 36 %.
Les logements sociaux ne représentent cependant que 20 % du parc locatif total. Comble de l’injustice, le loyer mensuel moyen au mètre carré y est l’un des plus élevés de France. Il est donc impérieusement nécessaire d’agir sur le prix des loyers. Je remercie mon collègue Frédéric Maillot pour cette initiative transpartisane, consistant à reprendre un texte de la sénatrice réunionnaise et socialiste Audrey Bélim. L’encadrement des loyers est un moyen de lutter contre la vie chère, sans que cela ne coûte un centime à l’État – il me semble utile de le préciser, en cette période de vaches maigres. En revanche, cette mesure permettrait à nos concitoyens d’outre-mer d’économiser jusqu’à 120 euros par mois.
Le texte propose par ailleurs de revoir les normes de construction européennes en outre-mer : souvent inadaptées, elles créent des surcoûts de production. Ainsi, il n’y a aucun intérêt à avoir un toit qui supporte la neige, à La Réunion, en Guyane ou aux Antilles. Certaines normes s’appliquent en dépit du bon sens : nous en appelons à une rationalisation des normes dans nos territoires. J’espère que, comme au Sénat, notre commission puis l’Assemblée adopteront ce texte à l’unanimité, pour qu’il soit effectif dans les plus brefs délais. Il y a urgence pour l’outre-mer. J’espère donc que les amendements qui ont été déposés pourront être retirés et que le vote pourra être conforme.
M. Joseph Rivière (RN). La Fondation Abbé Pierre estime à 140 000 le nombre de Réunionnais qui souffrent de mal-logement, sur une population totale de 885 000 habitants, dont 36 % vivent sous le seuil de pauvreté, soit 320 000 personnes : la misère n’est pas moins forte au soleil, bien au contraire.
Cette proposition de loi, présentée par une sénatrice socialiste et défendue par notre collègue du groupe communiste, n’apporte pas grand-chose et revient à un copier-coller de ce qui se pratique à Paris et dans les grandes métropoles urbaines. Elle propose de créer un comité pour analyser encore et encore les problèmes que nous connaissons déjà : trop de normes, pas assez de logements. Faute de grives, nous allons cependant manger des merles.
En ces temps troublés, et dans la volonté de préserver la stabilité de nos institutions, le Rassemblement national soutiendra ce texte. Il proposera des amendements pour l’améliorer. Les accepterez-vous, mes chers collègues du NFP, ou ferez-vous un barrage républicain pour empêcher leur adoption ? Il faut tout d’abord rappeler que l’État est le seul responsable de l’incurie de la politique du logement des quarante dernières années. Il faut souligner aussi que cette proposition de loi n’évoque pas la nécessité d’une grande politique d’investissement en faveur du logement, qu’il soit public ou privé.
Comme Marine Le Pen l’a indiqué dans le programme du Rassemblement national, les dispositifs de défiscalisation des lois Pons et Girardin, en 1986 et 2003, ont fait leurs preuves et méritent d’être rétablis. Ce texte vise à venir en aide aux locataires, et je m’en réjouis. Mais qu’en est-il des propriétaires, de ceux qui veulent sécuriser leur avenir en investissant dans la pierre ? Rien qu’à La Réunion, plus de la moitié du territoire est inconstructible, en raison des divers plans de prévention des risques imposés par les différents préfets et de l’absence d’endiguement de nos ravines, suite à des transferts de compétences non suivis des fonds structurels correspondants. De plus, un parc national bloque notre développement et génère des contraintes, notamment dans ma circonscription. Enfin, il existe une inégalité juridique entre l’Hexagone et l’outre-mer concernant l’avis conforme de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), qui retire aux maires le faible pouvoir qu’ils ont en matière d’urbanisme. Cette proposition de loi est un pis-aller. Nous la voterons, cependant, pour le bien de la population, de nos outre-mer et de La Réunion.
M. Frédéric Maillot, rapporteur. La Fondation Abbé Pierre, que vous avez mentionnée, est devenue la Fondation pour le logement des défavorisés ; je la connais bien, pour y avoir travaillé pendant treize ans. La référence faite à cette structure suppose d’aller au bout de ses idées et de ne pas s’arrêter à mi-chemin. Mais comme le dit un proverbe africain, quand on sait où on va, on a déjà fait la moitié du chemin. L’Abbé Pierre l’a dit, le logement n’est pas un objet de spéculation et ne saurait être utilisé pour s’enrichir sur le dos d’une famille. Alors qu’il y a une pénurie de logements à La Réunion, nous devons d’abord penser au présent, à ceux qui n’ont pas de toit et non à ceux qui veulent se garantir un avenir sur leur dos.
Mme Annaïg Le Meur (EPR). Le groupe Ensemble pour la République votera cette proposition de loi issue du Sénat, qui entend combler un vide juridique. La loi Elan de 2018 avait instauré une expérimentation d’encadrement des loyers dans les zones tendues. Les communes ultramarines, qui n’étaient alors pas classées en zones tendues, avaient cependant été exclues de ce dispositif. Ce n’est qu’en août 2023 que trente-huit communes ultramarines ont été ajoutées à cette liste. Or, les candidatures à l’expérimentation étaient déjà closes.
La crise du logement dans les outre-mer résulte d’une pluralité de facteurs : la difficulté à accéder au foncier dans un contexte insulaire ou littoral, avec des zones humides ou protégées qui limitent l’espace urbanisable et contribuent à renchérir les prix ; des coûts de construction plus élevés – de 20 % à 30 % en moyenne selon la Cour des comptes ; des normes de construction jusque-là inadaptées ; une situation démographique complexe, avec une pression sur la demande de logements à Mayotte ou en Guyane, où la forte natalité se conjugue avec une pression migratoire, ou, au contraire, la baisse et le début du vieillissement de la population aux Antilles, ce qui implique une adaptation des logements ; une prévalence de l’habitat indigne, avec plus de 110 000 logements concernés ; des logements sociaux en nombre insuffisant, alors que 80 % des ménages ultramarins sont éligibles au logement social et près de 70 % au logement très social, et que seuls 15 % d’entre eux en moyenne résident dans le parc social – un taux très faible, qui s’accompagne d’importantes disparités selon les territoires ultramarins ; des loyers sensiblement plus chers que dans l’Hexagone – supérieurs de 44 % en Guadeloupe et de 9,7 % en Guyane.
Compte tenu de l’urgence, nous espérons que le vote sera conforme.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). La cherté de la vie en outre-mer est une réalité. Les récentes mobilisations, conséquences des inégalités de traitement et des disparités entre la France hexagonale et les territoires ultramarins, l’illustrent. Je rappellerai tout d’abord que les multinationales, qui mettent en place des marges astronomiques, sont l’un des premiers acteurs dans la fabrique de la vie chère. L’empire Hayot en est le parfait exemple, l’entreprise disposant d’un quasi-monopole en outre-mer. Selon l’Autorité de la concurrence, le coût de la vie dans les territoires ultramarins est de 19 % à 38 % plus élevé en moyenne que dans l’Hexagone, alors que la grande pauvreté il y est de cinq à quinze fois plus importante.
La vie chère en outre-mer n’épargne ni le logement, ni le montant des loyers. Ainsi, trois Ultramarins sur dix sont mal logés, 64 % des ménages ultramarins sont éligibles au logement social et le loyer représente une part significative du budget des ménages. À La Réunion, mon île natale, les loyers ont augmenté de 35 % en cinq ans : elle est la quatrième région de France aux loyers les plus élevés, alors que plus de la moitié de la population vit avec moins de 1 100 euros par mois. Cet exemple n’est pas une généralité, mais une réalité commune à tous les outre-mer. Les loyers sont plus élevés dans les Drom que dans l’Hexagone. Cela explique en partie la situation de précarité dans laquelle se trouve une grande partie de nos concitoyens ultramarins. La crise du logement n’a pas épargné les outre-mer, bien au contraire : sous nos yeux, nous avons une bombe sociale à retardement.
Pourtant, depuis sa mise en place à titre expérimental en 2018, l’encadrement des loyers n’a jamais bénéficié aux outre-mer, mais uniquement à des communes de l’Hexagone. Cela doit changer. Les collectivités ultramarines doivent pouvoir bénéficier de ce dispositif d’encadrement des loyers, qui a fait ses preuves. Nous soutenons votre proposition d’étendre à toutes les communes ultramarines la possibilité d’expérimenter l’encadrement des loyers pour une durée de cinq ans. Notre groupe souhaite même aller au-delà, en pérennisant et en généralisant l’encadrement des loyers à l’ensemble du territoire, incluant l’outre-mer. Ce système ne doit pas rester une simple expérimentation. Enfin, nous soutenons également les dispositions visant à améliorer l’habitat dans les outre-mer, permettant notamment de développer les filières locales du secteur du BTP, de réduire les coûts liés à l’importation des matériaux de construction conformes aux normes européennes.
M. Philippe Naillet (SOC). Tout d’abord, je tiens à saluer l’initiative d’Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, dont la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité au Sénat. Son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, dans le cadre de la niche parlementaire de nos collègues du groupe GDR, nous offre l’opportunité de confirmer les avancées concrètes contenues dans le texte.
Je le rappelle, la précarité et le mal-logement frappent durement nos populations dans les outre-mer. Si le niveau de vie des foyers ultramarins est plus faible que dans l’Hexagone, la charge du logement est plus lourde : certains ménages consacrent entre 50 % et 80 % de leurs ressources au paiement de leur loyer. À La Réunion, le prix du mètre carré est actuellement de 16 euros tandis que la hausse des loyers a été de 35 % sur cinq ans.
En outre-mer, si plus de 80 % des ménages sont éligibles au logement social, à peine 15 % peuvent en bénéficier : la production du logement social subit un véritable effondrement, avec 124 000 agréments en 2016, mais seulement 82 000 en 2023. Nous, ultramarins, subissons une double peine : la pénurie de logements et le prix prohibitif du loyer lorsque, après un parcours du combattant, on arrive à en obtenir un. Autre injustice, sans doute la plus terrible, il est impossible pour des jeunes ménages ultramarins de devenir propriétaires là où ils sont nés.
La proposition de loi permet aussi l’adaptation des normes de construction et des matériaux dans les outre-mer, avec l’article 3 bis. L’objectif est clair : développer nos filières de construction dans chacun de nos territoires et importer des matériaux de nos bassins océaniques. Il sera ainsi remédié à des situations ubuesques, comme à Mayotte, où le bois nécessaire à la reconstruction de l’après-Chido a dû être importé depuis la Lettonie. Il est temps de mettre fin à cette dépendance et de favoriser l’utilisation de nos ressources locales.
Notre groupe est particulièrement engagé sur la question de l’encadrement des loyers et aura prochainement l’occasion de mener une évaluation de l’expérimentation dans l’Hexagone, dans le cadre d’une mission flash au sein de notre commission. Mieux encadrer les loyers dans les marchés tendus, répondre aux besoins urgents de logements en rendant les habitations plus accessibles, durables et ancrées dans la réalité de nos territoires, tel est l’horizon tracé par ce texte. Je réitère le soutien sans réserve des députés socialistes à cette proposition de loi, qu’il nous faut adopter conforme au vote du Sénat.
M. Jean-Luc Bourgeaux (DR). Ce texte, voté à l’unanimité au Sénat, soulève une problématique juste, souvent ignorée. Alors même que les loyers y figurent parmi les plus élevés de France, les outre-mer étaient jusqu’à présent exclus du dispositif d’encadrement prévu par la loi Elan. L’Insee l’a rappelé, en 2022, les loyers du secteur privé étaient de 3 % plus élevés en Martinique et à La Réunion qu’en métropole, de près de 5 % en Guadeloupe et jusqu’à 10 % en Guyane. Dans des territoires où les revenus sont globalement plus faibles, ce décalage pèse lourdement sur les ménages.
Ce texte permettra aux collectivités ultramarines concernées de mettre en place un encadrement des loyers adapté à leurs besoins, si elles le souhaitent. Disons-le aussi avec lucidité : l’encadrement des loyers ne peut être une fin. Il ne remplace ni une politique de production de logements, ni un plan ambitieux de réhabilitation de l’habitat existant, ni une stratégie d’aménagement adaptée aux défis locaux. Cette proposition de loi ne réglera donc pas tout. Nous la soutiendrons et nous affirmons la nécessité d’une meilleure prise en compte des réalités ultramarines dans les politiques nationales du logement.
M. Frédéric Maillot, rapporteur. Effectivement, ce texte ne réglera pas tout. C’est l’un des leviers à actionner. Vous avez raison de le souligner, il faut continuer à construire du logement et à alléger la pression qui s’exerce sur le seul logement social : faute de pouvoir se tourner vers le logement privé, tout le monde se rabat sur le logement social, déjà en tension. Tout grand projet commence par un petit pas. Ce texte d’Audrey Bélim en est un. C’est le début d’une grande avancée pour l’accès au logement dans les pays d’outre-mer.
M. Boris Tavernier (EcoS). Se loger c’est la galère, à Lyon et jusque dans les outre-mer. Le logement est un bien de première nécessité. Tout le monde doit pouvoir en disposer, sans avoir à se ruiner, sans y passer tout son salaire. Dans les territoires, en Guadeloupe, à La Réunion ou ailleurs, la crise du logement se fait trop violente et vient s’ajouter à un coût de la vie déjà plus élevé – une double peine.
Pourtant, des armes existent. Dans de nombreuses zones dites tendues, un encadrement des loyers a été instauré, pour freiner la hausse des prix et soulager la facture. Il protège les locataires de la voracité du marché et des spéculateurs. Faisons en sorte qu’il puisse protéger aussi nos compatriotes d’outre-mer, comme le propose ce texte. L’encadrement des loyers est une arme précieuse, dont les maires des communes d’outre-mer ne disposent pas actuellement. L’adoption de la proposition de loi corrigera cette injustice. C’est pourquoi le groupe Écologiste et social la soutient. S’il faut étendre l’expérimentation de l’encadrement des loyers en outre-mer, il ne faut cependant pas la perdre dans l’Hexagone. Or, elle arrive à échéance en novembre 2026. Pour ne pas mettre en danger des milliers de locataires, le Gouvernement devra donc anticiper, sur son temps législatif, la prolongation et l’extension de cette expérimentation.
La seconde partie du texte permet de créer des normes de construction adaptées aux territoires ultramarins utilisant des matériaux locaux, en dérogeant au marquage CE. Cela favorisera la construction de filières locales et régionales et permettra d’importer des matériaux de moins loin : notre groupe soutient toujours ces mesures de bon sens. Il faudra néanmoins que ces normes soient d’une qualité équivalente aux normes CE, notamment en matière d’écoresponsabilité.
Au nom de mon groupe, je remercie la sénatrice Audrey Bélim d’avoir rédigé ce texte et obtenu un consensus. Je remercie également le groupe GDR et son rapporteur d’utiliser leur journée réservée pour l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Nous le voterons.
M. Frantz Gumbs (Dem). La crise du logement est profonde et persistante dans les outre-mer. Elle touche l’ensemble de nos territoires, y compris ma circonscription. Les gens ne trouvent pas à se loger, même quand ils en ont les moyens. Les logements manquent, autant dans le parc privé que dans le parc social. Les loyers sont excessifs, eu égard aux moyens d’une grande partie de la population. Cette situation fragilise chaque jour davantage les ménages les plus modestes.
Cette proposition de loi nous donne l’opportunité d’agir concrètement, c’est un levier nécessaire pour mieux encadrer les loyers : le groupe Les Démocrates la soutient pleinement. Ce dispositif, expérimenté dans l’Hexagone depuis 2018, a montré son utilité. Il est urgent de l’adapter et de le déployer dans nos territoires ultramarins, là où les tensions sont parmi les plus fortes.
Je tiens aussi à saluer la création des comités référentiels de construction dans les régions et les départements ainsi qu’à Saint-Martin. Ils joueront un rôle clé, en intégrant nos réalités locales, ainsi que nos contraintes géographiques, climatiques et techniques. J’espère par ailleurs que les modalités du décret, notamment celles applicables à ma région, prendront pleinement en compte les exemptions prévues par le règlement européen sur les produits de construction, ainsi que les réalités géographiques et géopolitiques régionales.
Enfin, cette proposition de loi ne doit pas être isolée. Si l’encadrement des loyers est un outil important, il doit s’inscrire dans une stratégie plus large, une politique ambitieuse de justice sociale, de régulation du marché locatif, et, surtout, de production suffisante de logements accessibles dans les territoires ultramarins. À cet égard, la solidarité nationale sera aussi nécessaire.
M. Henri Alfandari (HOR). L’expérimentation, instaurée par la loi Elan, de l’encadrement des loyers dans les communes situées en zone tendue a exclu les collectivités ultramarines. La proposition de loi prévoit donc une expérimentation, pour une durée de cinq ans, dédiée aux seules collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution. Alors que plusieurs dizaines de communes métropolitaines expérimentent déjà le dispositif, nous saluons l’ouverture de cette faculté aux collectivités d’outre-mer.
S’agissant de l’adaptation des normes, le travail mené au Sénat, en lien avec le Gouvernement, a permis d’aboutir à un dispositif équilibré. La création de comités relatifs aux produits de construction nous semble essentielle pour lever un frein bien identifié, l’inadéquation des normes aux réalités ultramarines, qui renchérit systématiquement les coûts de construction.
Ces mesures ne résoudront pas à elles seules la crise du logement en outre-mer, mais elles peuvent y contribuer utilement, en cohérence avec la stratégie de l’État, que matérialise le nouveau plan logement outre-mer.
Le groupe Horizons et indépendants votera donc en faveur de ce texte, qui s’appuie sur deux principes qu’il défend avec constance : l’adaptation aux spécificités locales et la simplification normative.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. La parole est à M. Joseph Rivière.
M. Joseph Rivière (RN). Nous voyons le verre à moitié plein et en matière de logement, tout le monde en a besoin, nous l’entendons tous les jours sur les ondes de Radio Freedom. Il ne s’agit pas d’opposer les propriétaires et les locataires, parce qu’une personne à la recherche d’un logement est bien contente de trouver une personne privée ou publique, qui a pris des risques en investissant. La loi doit être juste et équilibrée pour tout le monde. Ce texte est un premier pas, il faut continuer dans ce sens.
M. Frédéric Maillot, rapporteur. Vous avez raison, la loi doit être juste. Je suis pour la justice, peu importe en faveur de qui elle tranche.
Ce qui est injuste, ce sont les 30 000 logements du parc privé inoccupés à La Réunion. Des leviers existent : je pense à la captation du parc privé, comme le fait l’agence Soleil, agence immobilière à vocation sociale, dans le cadre de l’intermédiation locative. Il existe de nombreux autres dispositifs soutenus par la Fondation pour le logement des défavorisés.
Ni Mme Bélim, ni moi ne cherchons des coupables ; nous cherchons ensemble des solutions.
Article 1er : Expérimentation de l’encadrement des loyers dans les départements et régions d’outre-mer
La commission adopte l’article 1er non modifié.
Article 2 (art. 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine) : Nouvelle délimitation des quartiers prioritaires de la politique de la ville en outre-mer
La commission maintient la suppression de l’article 2.
Article 3 (art. L. 121-4-1 du code de la construction et de l’habitation) : Création de centres scientifiques et techniques du bâtiment dans les DROM
La commission maintient la suppression de l’article 3.
Article 3 bis : Création de « comités référentiels constructions » et mise en œuvre de l’exemption « RUP »
Amendement CE5 de M. Joseph Rivière
M. Joseph Rivière (RN). En imposant aux principaux acteurs de la construction de logements de se mettre autour d’une table, l’amendement cherche à donner la parole aux acteurs locaux et à créer les conditions d’un dialogue franc, à l’instar de ce qui se passe dans les OPMR (observatoire des prix, des marges et des revenus).
L’objectif est double : élaborer des référentiels de construction adaptés aux besoins en privilégiant les filières économiques locales ; s’assurer de la transparence dans la formation des prix dans la construction et la location des logements.
Les professionnels du bâtiment doivent pouvoir donner leur avis et faire connaître leur fonctionnement afin d’assurer une plus grande cohérence des décisions.
M. Frédéric Maillot, rapporteur. Je redis le souhait unanime d’une adoption conforme du texte, ce qui n’interdit pas le débat.
L’exemple des OPMR que vous citez est le plus mauvais qui soit, puisque les citoyens et les professionnels qui en sont membres dénoncent un manque de transparence.
Votre amendement aurait plus sa place dans l’article relatif à l’encadrement des loyers. Il y a peu de logique, à mes yeux, à associer les locataires aux discussions sur l’adaptation des normes. La logique est parfois une manière méthodique de se tromper en toute confiance, je vous l’accorde, mais la « trompaison » est de votre côté cette fois.
M. Joseph Rivière (RN). Le logement constitue une filière, chaque acteur doit pouvoir donner son avis. Au nom de la cohérence, il faut associer tout le monde aux discussions.
M. Philippe Naillet (SOC). L’article 3 bis crée les comités référentiels construction, dont l’objet est de contribuer à la mise en œuvre de l’exemption de marquage CE et à la définition de référentiels de construction. Quel est l’objet de l’OPMR ? Étudier le coût de la vie et le pouvoir d’achat des citoyens. Ce sont deux missions bien différentes, il ne faut pas tout mélanger.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CE6 de M. Joseph Rivière
M. Joseph Rivière (RN). L’amendement tend à limiter la collaboration aux seules instances nationales. Il est inconcevable que des instances internationales se permettent de donner un quelconque avis sur l’usage des deniers publics français ou sur la politique intérieure. Seuls les élus nationaux ou locaux doivent pouvoir s’exprimer sur la politique du logement.
Je pense à ce qui se passe à la Commission de l’océan Indien (COI). C’est la France qui paye, mais ce sont souvent les Comores qui nous imposent leur choix. Considérant que Mayotte n’est pas française, elles refusent que l’île soit membre de la Commission et qu’elle participe aux jeux de l’océan Indien.
M. Frédéric Maillot, rapporteur. Il y a deux semaines, j’ai un peu choqué une classe de lycéens en affirmant qu’il fallait revenir à une logique géographique.
Monsieur Rivière, en tant que Réunionnais, vous et moi, nous ne sommes pas des Européens – M. Naillet non plus –, sur le plan géographique, nous sommes des Sud-Africains, Si nous voulons commercer avec notre environnement naturel, nous sommes obligés d’avoir des échanges internationaux. Madagascar, qui est une île sœur pour La Réunion – 60 % des Réunionnais ont du sang malgache –, représente pourtant l’international. La zone qui nous entoure est internationale. On ne peut donc pas se permettre de tout ramener à du patriotisme à tous crins, en particulier en matière économique.
M. Tavernier a parlé de bon sens. Le fait de discuter de l’adaptation normative avec notre zone géographique naturelle est une question de bon sens écologique, géographique économique, voire culturel. Mon avis est défavorable.
M. Joseph Rivière (RN). Je ramène le débat à la nation parce que nous sommes Français. J’ai du sang indien et breton. Nous appartenons à la zone géographique de l’océan Indien, mais nous sommes Français et c’est la France qui paie.
M. Frédéric Maillot, rapporteur. C’est la France qui paie et qui décide. La Réunion se trouve en France. Elle va décider de ce qui est bon pour elle dans sa zone.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte l’article 3 bis non modifié.
Article 4 : Création de « comités référentiels construction » et mise en œuvre de l’exemption « RUP »
La commission adopte l’article 4 non modifié.
Après l’article 4
Amendement CE3 de M. Frédéric Falcon
M. Frédéric Falcon (RN). L’amendement vise à revenir sur l’application dans les DOM (départements d’outre-mer) des normes issues de la réglementation européenne 2020. Les contraintes qu’elles imposent sont à l’origine d’importants surcoûts en matière de construction – de 5 à 15 % selon le Gouvernement – et le calendrier de leur mise en œuvre est intenable. Ces normes ne nous semblent pas adaptées aux spécificités des DOM, notamment climatiques. Nous proposons donc de les en exonérer. Les DOM pourront ainsi définir eux-mêmes un cahier des charges et des normes appropriés.
M. Frédéric Maillot, rapporteur. C’est tellement vrai que la réglementation environnementale 2020 ne s’applique pas en outre-mer. Je vous invite donc à retirer l’amendement, à défaut, mon avis sera défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendements CE1 et CE2 de M. Frédéric Falcon (discussion commune)
M. Frédéric Falcon (RN). L’amendement CE1 vise à épargner aux DOM les contraintes liées au diagnostic de performance énergétique (DPE). Ils bénéficient déjà d’une dérogation, puisque le calendrier y est décalé de trois ans – l’interdiction des logements classés G entre en vigueur en 2028, et non en 2025.
J’ai déjà eu maintes occasions de l’expliquer, ces contraintes conduisent à un assèchement du marché locatif. Dans un contexte aussi tendu que celui des DOM, il semble important de les exonérer des règles relatives au DPE, diagnostic qui obéit aux mêmes normes qu’en métropole, alors que les réalités climatiques y sont totalement différentes.
L’amendement CE2 est de repli. Il vise à accorder cinq années supplémentaires aux bailleurs dans les DOM pour se mettre en conformité vis-à-vis du DPE.
M. Frédéric Maillot, rapporteur. Je l’ai dit, à La Réunion, 30 000 logements du parc privé ne sont pas loués parce que ce sont des taudis. En supprimant les obligations liées au DPE ou en retardant leur application, on risque d’accroître le nombre, déjà trop grand, de personnes qui vivent dans des logements insalubres. Ayant travaillé pendant treize ans à la Fondation Abbé Pierre, j’ai une certaine culture de la lutte contre le logement insalubre.
Je rappelle que la Martinique et la Guadeloupe travaillent déjà sur des DPE plus adaptés à leurs conditions climatiques et à leurs normes environnementales. Le rapport du Sénat sur la politique du logement dans les outre-mer montre qu’il y a pléthore de normes inadaptées en outre-mer. Ma collègue K/Bidi l’a dit, à La Réunion, on nous demande de construire des immeubles capables de supporter le poids de la neige.
Des adaptations normatives sont indispensables, mais il ne faut pas tout supprimer. Cela peut être dangereux non pas seulement pour le locataire, mais aussi pour le propriétaire.
M. Frédéric Falcon (RN). Je vous invite à ne pas confondre insalubrité et indécence. Les logements classés G sont indécents, ils ne sont pas forcément insalubres. Arrêtons d’entretenir la confusion. Il faut lutter avec force contre l’habitat insalubre et des outils existent pour cela, parmi lesquels le permis de louer et les arrêtés municipaux, mais les passoires thermiques n’entrent pas systématiquement dans cette catégorie.
M. Frédéric Maillot, rapporteur. Vous avez raison d’insister sur la sémantique, mais mon avis reste défavorable.
Je suis le premier à me battre pour faire admettre que le logement traditionnel réunionnais – parfois une maison en bois sous tôle – n’est pas un logement insalubre. Mais pour autant, peut-on accepter de laisser un bébé qui vient de naître dans une maison en bois sous tôle quand il fait 35 degrés ? Il faut regarder aux quatre coins de la planète ce qui peut être adapté et ce qui ne peut pas l’être en matière de logement.
M. Frantz Gumbs (Dem). Je souhaite à mon tour faire une précision sémantique. Vous avez utilisé à de nombreuses reprises l’acronyme DOM, qui signifie départements d’outre-mer. Or, les territoires ultramarins sont des départements, des régions et des collectivités d’outre-mer. Par conséquent, l’acronyme adéquat serait DROM-COM.
M. Frédéric Falcon (RN). Loin de moi la volonté d’écarter les territoires ou collectivités d’outre-mer qui ne seraient pas couvertes par la terminologie DOM. Mon propos visait évidemment tous les territoires.
La commission rejette successivement les amendements.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi non modifiée.
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Information relative à la commission
La commission a nommé M. Frantz Gumbs, rapporteur pour avis, avec délégation au fond, sur les articles 10, 19, 19 bis, 19 ter, 20, 21, 21 bis, 23 et 24 du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 28 mai 2025 à 9 heures
Présents. - M. Henri Alfandari, M. Antoine Armand, M. Christophe Barthès, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Karim Benbrahim, M. Thierry Benoit, M. Benoît Biteau, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Stéphane Buchou, M. Romain Daubié, M. Julien Dive, M. Inaki Echaniz, M. Frédéric Falcon, M. Charles Fournier, M. Antoine Golliot, Mme Géraldine Grangier, Mme Olivia Grégoire, M. Frantz Gumbs, Mme Mathilde Hignet, Mme Hélène Laporte, Mme Annaïg Le Meur, Mme Nicole Le Peih, M. Robert Le Bourgeois, M. Pascal Lecamp, M. Hervé de Lépinau, M. Laurent Lhardit, M. René Lioret, M. Frédéric Maillot, M. Bastien Marchive, M. Patrice Martin, M. Emmanuel Maurel, M. Nicolas Meizonnet, Mme Manon Meunier, Mme Louise Morel, M. Christophe Naegelen, M. Philippe Naillet, Mme Sandrine Nosbé, M. Jérôme Nury, M. René Pilato, M. François Piquemal, M. Dominique Potier, M. Richard Ramos, M. Joseph Rivière, Mme Valérie Rossi, M. François Ruffin, M. Boris Tavernier, Mme Mélanie Thomin, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Jean-Pierre Vigier, M. Frédéric Weber
Excusés. - M. Laurent Alexandre, Mme Françoise Buffet, M. Jean-Luc Fugit, M. Harold Huwart, M. Max Mathiasin, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Loïc Prud'homme
Assistaient également à la réunion. - Mme Sylvie Ferrer, Mme Émeline K/Bidi